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Les théologiens libéraux francophones et Karl Barth les raisons d’un désamour

Le cas d’Auguste Lemaître1

Christophe CHALAMET

Faculté de théologie de Genève

Pour Bernard Reymond, en signe de respect et de gratitude

« Il est toujours plus facile de déformer une pensée, pour simplifier la tâche d’une éventuelle réfutation, que d’accepter de la comprendre dans toutes ses dimensions et nuances, que d’en recevoir ce qui peut déranger nos idées, notre confort intellectuel, et fissurer le trop bel équilibre de nos conceptions et systèmes théologiques. »

Laurent Gagnebin2

Introduction

Les raisons du « désamour » entre Karl Barth et les théologiens libéraux sont bien connues des historiens de la théologie protestante au XXe siècle, mais aussi des théologiennes et théologiens qui, encore aujourd’hui, s’inscrivent dans le sillage de la théologie libérale, d’un côté, et de la théologie dialectique de l’autre.

Karl Barth a très bien connu la théologie libérale : il a été formé en son sein par certains de ses meilleurs représentants, à Berlin avec Adolf Harnack, à Marbourg avec Wilhelm Herrmann, Martin Rade et Johannes Weiss, mais aussi à travers ses lectures, d’Ernst Troeltsch et de Friedrich Schleiermacher par exemple. Très tôt, Barth s’est situé dans un courant libéral, celui de Herrmann, contre un autre courant non moins libéral (en fait : bien plus libéral !), celui de Troeltsch. Ce point est important, il nous rappelle que l’étiquette « théologie libérale » recouvre des tendances théologiques variées.

À partir de 1915, cela est bien connu, Karl Barth s’est mis en quête d’une nouvelle manière de fonder sa théologie et, dans la foulée, la théologie protestante. Scandalisé par les prises de position de plusieurs de ses maîtres à l’automne 1914 dans les premiers mois de la Guerre, il s’était mis en quête d’une manière différente d’envisager le travail théologique dans son versant systématique ou dogmatique. S’il y eut désamour entre Barth et les libéraux, cela s’explique en grande partie par la décision que prit Barth de fonder la théologie non pas sur l’expérience religieuse, comme W. Herrmann et d’autres – dont des penseurs de Suisse romande comme Gaston Frommel (1862-1906) et Georges Fulliquet (1863-1924) – le faisaient à l’époque, et comme beaucoup de théologiens libéraux continuèrent de le faire et le font encore, mais sur l’acte de l’auto-manifestation de Dieu dans sa parole, Jésus-Christ, et le témoignage écrit rendu à cette parole, l’Écriture.

Là où la tradition libérale s’intéressait à la psychologie de la religion, à l’histoire de la religion, à la philosophie de la religion, Barth se mit à affirmer que l’objet de la théologie, ça n’est pas la religion, mais Dieu qui se révèle et dont la foi seule discerne l’action et l’être.

Encore en 1932, dans le premier volume de sa Kirchliche Dogmatik, Barth s’en prenait au « néo-protestantisme » et dénonçait toute théologie de la « corrélation », c’est-à-dire toute manière de poser Dieu et l’être humain comme l’objet de la théologie. Cet objet, c’est Dieu dans son acte, et non Dieu et l’être humain et encore moins l’être humain et Dieu. Il fallut à Barth encore environ deux décennies pour réviser ce point et affirmer que si l’objet de la théologie a quelque chose à voir avec la figure de Jésus, confessé comme Christ, alors il y a bel et bien une sorte de corrélation dans l’objet même de la théologie, et il devient nécessaire dès lors de parler de « l’humanité de Dieu » (« die Menschlichkeit Gottes »). Et alors des passerelles se présentent entre la théologie de Karl Barth et la tradition théologique libérale francophone – tel penseur, comme par exemple Wilfred Monod, qui peut paraître franchement « libéral » au premier regard, apparaît sous un jour différent, presque « pré-barthien », notamment lorsqu’il parle de l’humanité de Dieu ou lorsqu’il souligne le chemin qui va de Dieu à l’être humain (plutôt que l’inverse)3. Ces passerelles, il est grand temps de les emprunter, au-delà des oppositions et des polémiques, tout en reconnaissant qu’il y a des options théologiques divergentes mais que nous ne devons ni anathémiser ni chercher à atomiser.

Dans ce qui suit, par souci de précision, je m’en tiendrai à une figure importante de la théologie libérale francophone au XXe siècle : celle d’Auguste Lemaître. Je ferai mention d’une autre grande figure, celle de Wilfred Monod (1867-1943), auquel Lemaître fut lié d’amitié, mais je me concentrerai sur Lemaître, dont les papiers sont préservés à la Bibliothèque de Genève (BGE)4.

Auguste Lemaître

Commençons par situer quelque peu Auguste Lemaître. Né à Genève en 1887, il étudia la théologie à Genève auprès d’Ernest Martin (1849-1910) et de Georges Fulliquet5. En 1909, il fit un séjour d’études à l’Université de Marbourg, où il suivit notamment les cours de Wilhelm Herrmann, et où il se lia d’amitié avec Karl Barth, qui résidait alors à Marbourg (depuis avril 1908), travaillant comme assistant à la revue Die christliche Welt (Barth quitta Marbourg pour la Suisse et pour Genève à la mi-août 1909). Lemaître effectua deux suffragances, à Génolhac (Gard, à la frontière de la Lozère) et à l’Église luthérienne du faubourg Saint-Antoine à Paris. Sa thèse de baccalauréat, en 1911, était intitulée : Comment poser l’affirmation de l’immortalité (Genève, Albert Kundig, 1911). Il y entrait en discussion avec le théologien genevois évangélique Aloys Berthoud (1845-1932). Consacré pasteur en la cathédrale Saint-Pierre à Genève le 19 novembre 1911, Lemaître exerça le ministère à Liévin, dans le Nord, pendant la Guerre, assisté de son épouse Odette (née Privat). À un certain moment il dut se replier à Lens, puis à Bruay. Dans la région du Pas-de-Calais, comme beaucoup d’autres pasteurs de cette région, il s’engagea dans la Croix-Bleue. Du Nord, il retrouva le Gard, à Bessèges, une paroisse qu’il desservit jusqu’en 1919, date à laquelle il retourna à Genève, à Plainpalais, avec comme responsabilité le quartier de la Jonction. Il y exerça le ministère durant treize ans. Ce ministère ne l’empêcha pas de travailler à une thèse de doctorat, qu’il termina et publia en 1924 : La pensée religieuse de Rudolf Otto et le mystère du divin (Lausanne, La Concorde). Une charge de cours lui fut confiée cette même année, suite au décès de Georges Fulliquet le 17 novembre 1924. Quatre ans plus tard, il fut nommé professeur ordinaire de théologie dogmatique, une fonction qu’il occupa jusqu’à sa démission en 1960, deux ans avant son départ en retraite officiel. Auguste Lemaître, âgé de 73 ans, était fatigué. Trente-six ans d’enseignement de la théologie dogmatique ou systématique ; un doctorat honoris causa de la Faculté libre de théologie protestante de Paris en 1930, un autre de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne en 1937 ; rédacteur en chef pendant 40 ans du journal le Messager social ; modérateur à deux reprises de la Vénérable Compagnie des pasteurs de l’Église protestante de Genève ; président du Consistoire : Auguste Lemaître fut une figure marquante du protestantisme genevois et au-delà. Son principal ouvrage parut en 1954 : Foi et Vérité. Dogmatique protestante (Genève, Labor et Fides). Pour lui succéder, la Faculté de théologie de l’Université de Genève nomma deux théologiens, pour trouver un équilibre entre la tendance barthienne et une tendance plus ouverte à la philosophie et à la tradition théologique de Suisse romande : Jacques de Senarclens (1914-1971), qui travailla à la traduction française de la Kirchliche Dogmatik de Barth, et Gabriel-Ph. Widmer (1923-2013), dont les sympathies pour Barth étaient nettes, mais qui s’intéressait également à la philosophie et à la philosophie de la religion.

Quelques étapes de la critique d’Auguste Lemaître envers Karl Barth

« L’Évangile et la Théologie du Dieu lointain »

Le 27 octobre 1928, au « temple de l’Auditoire » à Genève, lors de la séance de rentrée de la Faculté de théologie, Auguste Lemaître, qui venait d’être nommé professeur ordinaire, prononça une conférence intitulée « L’Évangile et la Théologie du Dieu lointain »6. Lemaître évoque le fait que, après un siècle de théologie où les « états d’âmes du chrétien » occupaient « la partie centrale », ou la conscience et l’expérience du sujet jouaient un rôle décisif en théologie protestante, « de différents côtés on cherche à rendre une place plus importante, dans le message chrétien, à l’affirmation du Dieu lointain »7. Lemaître pense d’abord à Rudolf Otto, sur l’œuvre duquel il vient d’écrire sa thèse de doctorat. Il exprime son accord avec Rudolf Otto : « Nous avons été les premiers à saluer avec reconnaissance une théologie qui remettait en honneur la prédication du Dieu souverain et mystérieux et qui rabaissait l’orgueil de la raison, en lui montrant en Dieu des profondeurs et des abîmes que l’homme peut contempler sans avoir la faculté de les explorer. »8 Le rappel de la transcendance divine dans les écrits de Rudolf Otto n’annule en rien la présence de Dieu à l’histoire, à l’être humain dans son expérience et sa conscience : « Le Dieu lointain dans sa sublimité est malgré tout saisi au sein même de l’expérience humaine », écrit Lemaître ; « nous le rencontrons dans l’histoire et dans la conscience »9. Il en va autrement avec « l’école de Karl Barth et Brunner »10. Lemaître signale le fait que Barth a souvent prêché dans le lieu-même où se déroulait la Séance de rentrée, à savoir le « temple de l’Auditoire » (aujourd’hui : l’Auditoire de Calvin), tout près de la cathédrale de Saint-Pierre. Il signale, sans préciser davantage, qu’ils furent condisciples. Et il évoque le fait que Barth « a acquis par son riche et touffu commentaire de l’Épître aux Romains une célébrité telle, qu’il est devenu un des principaux inspirateurs de la jeunesse théologique d’Allemagne. Véritable chef, il a groupé autour de lui de jeunes pasteurs suisses de valeur, tel Edouard Thurneysen de Bâle et le professeur Brunner de Zurich »11. Lemaître commence ses remarques sur un ton laudatif, mais déjà pointe un élément négatif : « Qu’il me suffise de dire, pour éviter tout malentendu, que je crois à la valeur religieuse de cette école, et que, si le premier volume de la dogmatique de Barth me semble un inextricable fouillis où s’entassent les paradoxes et les discussions scolastiques les plus vaines, j’attribue à d’autres ouvrages sortis de sa plume ou de celle de ses amis une tout autre valeur »12. Il vient ensuite à la question décisive, à savoir : « Le Dieu dont parlent Barth et ses amis est-il encore le Dieu de Jésus-Christ ? »13 Aux yeux de Lemaître, le Dieu de Karl Barth « devient en tout cas le Dieu radicalement lointain ; et l’être suprême nous est présenté comme à ce point transcendant que le chrétien lui-même ne peut s’affranchir de ce sentiment de l’absolue distance qui le sépare de son Dieu »14. La théologie de Barth « coupe résolument tous les ponts », hormis celui-ci : « Dieu a parlé »15. Avec Barth, c’en est fini d’une certaine manière d’envisager le rapport entre la foi et la raison :

Nous avions cru que, saisie dans son sens large et plein, la raison humaine dans ses dernières démarches découvrait en elle la signature de l’esprit infiniment actif, et se sentait enracinée dans un monde supra-terrestre et éternel ; nous avions cru que l’exercice de nos plus hautes facultés constituait un témoignage en faveur de la divine origine de l’esprit. Erreur16.

Lemaître voit dans la pensée de Karl Barth un « pessimisme », un « scepticisme » « radical », un « nihilisme spirituel » : tout cela s’explique par la situation européenne après la terrible épreuve et le désenchantement de la Guerre17.

Contre cette « philosophie tragique et sombre », Lemaître pose une « harmonie préétablie » entre le message de l’Évangile « et la nature profonde » de l’être intérieur de la personne humaine18. C’est une erreur théologique grave que d’avoir « expuls[é] Dieu du monde, pour mieux le retrouver en Jésus-Christ »19. Jésus avait « une conception franchement optimiste de la nature » ; il y voyait « la grande parabole animée du Royaume de Dieu »20.

Dieu est lointain dans tous les sens du terme : relégué à un ailleurs, mais aussi relégué à un passé et à un avenir, sans contact avec le présent. « Dieu reste lointain à tous égards »21 ; loin de la conscience et de la nature ; loin du monde et de l’être humain.

En même temps, cette théologie de l’altérité radicale de Dieu cherche à remettre au goût du jour la doctrine trinitaire :

La dogmatique a tout d’abord à développer cette affirmation de la trinité en reprenant tous les vocables les plus scolastiques des querelles du passé. Quand nous avons songé à l’histoire de ce dogme, à l’influence de la pensée païenne sur sa formation, aux luttes qu’il a suscitées, aux bûchers allumés en son nom, nous aimions à penser que la théologie moderne, sans nécessairement l’abandonner, ne s’en servait en tout cas plus guère que comme d’une expression synthétique résumant les aspects de l’activité divine et couronnant le système de la pensée chrétienne. Voici qu’aujourd’hui on nous invite (on se demande parfois si cela est sérieux) à réinaugurer les débats scolastiques les plus absurdes sur les relations des trois personnes divines ; et un théologien qui tout à l’heure avait l’air de ne rien savoir du Dieu proche, du Dieu de la nature, du Dieu de la conscience, du Dieu de la justice, se trouve singulièrement savant pour définir la trinité essentielle du Dieu lointain qui évolue au-dessus du monde22.

Lemaître refuse donc la nouvelle école théologique, en s’alignant sur la critique de Bernhard Dörries, qui venait lui aussi, un an plus tôt, de critiquer la pensée de Karl Barth comme une théologie du Dieu lointain23. Lemaître est très bien informé : il a non seulement consulté le Römerbrief de Barth, qu’il ne cite toutefois jamais dans sa leçon, mais aussi la Christliche Dogmatik im Entwurf parue en décembre 1927 (qu’il ne cite pas non plus). Il conclut sa leçon d’ouverture avec ces mots : « En résumé, pour nous qui sommes restés confiants dans la valeur du Jésus de l’histoire et dans la netteté de son message et de sa prédication de la paternité divine, la théologie du Dieu lointain sous sa dernière forme, la plus intransigeante et la plus absolue, ne nous paraît pas devoir servir d’une manière durable les intérêts de la piété. »24

La leçon d’ouverture d’Auguste Lemaître pour l’année académique 1928 annonce la position qui sera la sienne sa vie durant : une appréciation pour la vigueur théologique de Karl Barth, accompagnée de sérieuses réserves quant au fond, surtout concernant la dépréciation de l’expérience religieuse, de la conscience, la disharmonie foncière entre Dieu et la nature, qui conduit à la représentation de Dieu comme « lointain ».

Il y aurait beaucoup à dire sur tous ces points. Autant Lemaître voyait bien que Barth sapait les théologies de l’expérience du tournant du XXe siècle, autant il me semble qu’il n’a pas bien lu Barth à propos du prétendu « Dieu lointain ». Certes, Barth, en ces années, s’intéresse surtout à la « divinité » de Dieu, à la « différence qualitative infinie » entre le Créateur et la créature25. Cela dit, il me semble que Barth n’avait aucun désir de reléguer Dieu hors du monde et de fouler aux pieds l’immanence divine. Toute sa théologie tournait autour de la relation du Dieu tout autre à l’histoire et au monde. Son refus des théologiens qui tendent à parler, comme le fait Lemaître, d’une « saisie » de Dieu par l’expérience ou dans la conscience, peut être, et doit à mes yeux être, interprété comme une manière de fonder la véritable rencontre de Dieu et de l’être humain : une rencontre où Dieu ne devient jamais une « donnée » de l’expérience, de la conscience, une « donnée » de la subjectivité. Mais le fait que Dieu ne devient pas une « donnée » ne signifie nullement que Dieu ne se donne pas ! Schleiermacher avait, à sa manière, déjà mis en évidence, au début de sa Glaublenslehre, la différence entre l’acte de se donner (Gabe), ou le fait que Dieu se donne, et l’être-donné (Gegebensein)26. Lemaître a interprété la pensée de Karl Barth comme une distortion de l’Évangile. Se pourrait-il que son interprétation des ouvrages de son ancien camarade à Marbourg ait elle-même été le fruit d’une lecture quelque peu biaisée ?

« Le retour à la théologie orthodoxe » (1930)

Deux ans après sa leçon de la rentrée universitaire, Auguste Lemaître fit paraître un article dans la Revue de théologie et de philosophie intitulé : « La théologie de Karl Barth et le retour à la christologie orthodoxe »27. Il s’agit d’une communication présentée aux Conférences pastorales de Paris le 21 mai 1929.

Là encore, Lemaître ne se refuse pas à certaines remarques positives au sujet de Barth. Il évoque la « fougue intellectuelle impressionnante » du Römerbrief28. Malgré la difficulté de la lecture, malgré la « subtilité dans la dialectique », qui fait de son auteur « un type accompli de scolastique protestante », « ce livre demeure un grand livre. Une sorte de passion sainte l’anime. »29 Mais, malheureusement, Barth « oppose métaphysiquement le monde divin éternel au monde humain temporel » ; sa « philosophie première » relie ensemble « scepticisme et pessimisme »30. Là où, selon l’Évangile, Dieu sauve « par l’histoire », aux yeux de Barth l’histoire « est, par définition, vide de tout contenu divin positif »31.

Contrairement à la leçon de rentrée d’octobre 1928, dans sa conférence de mai 1929 Lemaître cite abondamment le Römerbrief de Barth ainsi que sa Christliche Dogmatik im Entwurf de 1927. Il se penche également, plus brièvement, sur la christologie d’Emil Brunner (Der Mittler, 1927). Puis il montre pourquoi cette « réaction néo-orthodoxe » a tant de succès. Ce succès s’explique par certaines faiblesses de la théologie protestante moderne : là où l’exégèse historico-critique a fait perdre de vue « l’unité du témoignage biblique », où « l’école historique » a montré les liens entre les écrits bibliques et d’autres cultures antiques, le récent mouvement théologique, pour sa part, présente la « divinité » et « l’absoluité » du Christ Seigneur32. Lemaître salue ces aspects de la « réaction néo-orthodoxe ». Il écrit : « voici une théologie vraiment théologique qui nous rappelle que la seule puissance qui assure notre salut et notre résurrection est la puissance de Dieu même »33. Mais, revenant à la thématique spécifique de sa conférence, Lemaître en vient à la critique, qui est fortement négative : Barth et Brunner ont remplacé « le Jésus sauveur de l’Évangile » par « un Christ-Dieu mythique »34. La « sublime simplicité » de l’Évangile est supplantée par une dialectique mythologique des deux natures, inféodée aux promulgations conciliaires de Nicée et de Chalcédoine, qui ne fait pas droit à la pleine humanité de Jésus. Jésus apparaît comme un Dieu qui, pour un temps, prend un « masque provisoire » humain35.

On risque fort, avec la « réaction néo-orthodoxe », de perdre « ce qui importe par-dessus tout », c’est-à-dire : « la valeur des expériences, dont vit l’Église militante, de communion avec le Christ et de salut par le Christ »36. Revenir à la christologie haute de Chalcédoine et de Nicée, c’est risquer de séparer le Christ de l’âme humaine, de créer « une distance » et même « un abîme » métaphysique, là où Jésus a vu une proximité37.

Lemaître conclut candidement en disant ne pas « souhaiter que pénètre dans le protestantisme français l’influence d’un penseur si décidément germanique »38. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les décennies qui suivirent n’allèrent pas dans le sens du vœu d’Auguste Lemaître. La vague « barthienne » fut, en effet, importante, dès le début des années 1930 et surtout à partir de 1933, avec la publication en français du recueil d’articles Parole de Dieu et parole humaine (Paris-Genève, « Je Sers »-Labor). C’était la première publication majeure de Karl Barth disponible en français (en 1931 sous forme d’article dans les Études théologiques et religieuses, puis en 1932 dans une petite brochure, Visser ‘t Hooft avait publié une Introduction à Karl Barth, Paris, « Je Sers »). En avril 1934, Barth donna des conférences à Paris, rencontra plusieurs figures importantes de la pensée catholique (Jacques Maritain, Étienne Gilson, Yves Congar) et trouva ses collègues protestants « poussiéreux »39...

La recension par Lemaître de Parole de Dieu et parole humaine (1933)

Lemaître accueillit la publication de cet ouvrage avec générosité, saluant le travail des deux traducteurs (Pierre Maury et Auguste Lavanchy), saluant également la force de la pensée de Barth en ces mots : « Il n’est aucune des conférences de K. Barth, qui ne soit riche en formules frappantes et suggestives. À travers la diversité des questions envisagées, réapparaît l’unité d’une pensée qui veut encore et toujours, nous replacer directement devant le Dieu vivant, le Dieu de la Bible. Pour le retrouver face à face à la fois terrible et salutaire, Karl Barth déblaie le sol de notre pensée moderne qu’il estime infesté d’idoles. »40 Puis, fidèle à son approche critique, Lemaître en vient à ce qui lui cause des difficultés :

Pourquoi faut-il que Karl Barth, en voulant réexprimer énergiquement des vérités, qui pour avoir été voilées, n’ont cependant jamais été ensevelies, affectionne les déclarations exagérées, énormes, les condamnations massives ? Ce sont là des coups durs qui endurcissent l’esprit. Mais au réveil, nous cherchons en vain une lumière plus pure que celle de nos habitudes anciennes de pensée. Le mérite religieux de Barth est incontestable. Toute sécurité intellectuelle et morale risque d’être une prison de paresse, ou un refuge loin d’un Dieu qui n’a pas cessé de vouloir nous conduire plus haut, et nous atteindre plus profondément. Mais Barth offre-t-il à la théologie contemporaine une méthode précise, juste et vraie ? Les confusions, les difficultés, les détours que nous rencontrons dans son étude sur la Parole de Dieu et la tâche de la théologie nous laissent perplexes41.

La perplexité de Lemaître l’emporte au bout du compte sur la reconnaissance du « mérite religieux de Barth ». Cette perplexité le conduit à conclure : « Humblement, mais fermement, nous réclamons, en face de l’engouement de la jeune génération pour la théologie de Barth, le droit de ne pas nous inféoder à sa méthode. Nous le faisons, non pas seulement parce que nous participons peut-être à l’“idolâtrie” latine de la clarté ; mais nous le faisons, par souci de la vérité. »42 En octobre 1928, Lemaître parlait de l’harmonie foncière entre le Créateur et la créature. En 1934, il évoque la « parenté entre l’Esprit de Dieu et l’esprit humain »43. Il y a ici, outre l’inquiétude que suscite chez le professeur genevois le refus qu’il perçoit chez Barth vis-à-vis de l’« effort de compréhension religieuse, de recherche du vrai, de science historique, d’approfondissement mystique », un point d’achoppement majeur entre les deux hommes44.

Une lettre de Karl Barth à Auguste Lemaître du 31 décembre 1934 montre que les rapports entre les deux hommes étaient alors chaleureux et amicaux45. Le 1er octobre 1934 puis, n’ayant pas reçu de réponse, une deuxième fois le 26 novembre 1934, Lemaître avait invité Barth à venir parler aux étudiants de Genève ainsi qu’à une association, les « Amis de la pensée protestante »46. Barth lui répondit, tardivement, qu’il ne pouvait pas envisager ce déplacement en raison des nombreuses tâches qui l’attendaient (Barth était alors en plein Kirchenkampf, bien sûr) et des récents chamboulements dans sa situation professionnelle (il venait d’être démis de sa fonction de professeur à l’Université de Bonn).

Le « clash » de 1937

C’est peu dire que la situation s’envenima rapidement, dans les années qui suivirent la parution de Parole de Dieu et parole humaine (1933). Le « clash » eut lieu, au grand jour, en 1937. C’est Auguste Lemaître qui mit le feu aux poudres, avec une recension du dernier ouvrage de Barth paru en français, le Credo, traduit par Pierre et Jean Jundt (Paris, « Je Sers », 1936)47. Alors que, « depuis plusieurs générations », le Credo était devenu « dans la main de certains chrétiens, un instrument de leurs intolérances, un moyen de lancer l’anathème », c’était au tour de Karl Barth de « brandi[r] à son tour le Credo traditionnel pour condamner les protestants égarés dans la “synagogue du modernisme”. » Le parallélisme entre l’intolérance, la lancée d’anathèmes et la réflexion de Karl Barth était une première pique. Mais la suite de la recension va bien plus loin encore :

Il semble parfois que ce grand théologien protestant considère le symbole comme un document tombé du ciel. Il veut que nous professions à son égard le respect de l’enfant à l’égard de « la parole du Père ». Or le simple amour de la vérité nous l’interdit. Le reproche que nous adressons à la théologie dialectique de Barth est de manquer d’honnêteté intellectuelle48.

L’accusation est forte, voire choquante. Pour en comprendre le sens précis, nous devons lire ce qui suit immédiatement l’accusation de malhonnêteté intellectuelle :

Est-il vrai, oui ou non, que les docteurs grecs ont interprété l’Écriture avec des préoccupations philosophiques ou ecclésiastiques étrangères à la Révélation ? Est-il vrai, oui ou non, que la théologie biblique nous enseigne en même temps que l’unité du témoignage central des apôtres, la diversité de leurs tendances et de leurs expressions ? Il n’est pas loyal de taire ces problèmes49.

Lemaître revient, vers la fin de sa recension, sur les anathèmes et les tendances à accuser autrui d’hérésie. Il écrit : « ceux qui croient de toute leur âme au Christ sauveur, mais qui donnent de leur foi une autre traduction dogmatique que celle de K. Barth, n’autorisent pas plus un docteur qu’un pape à les situer hors de l’Église de Dieu. »50

La question qui vient tout de suite à l’esprit est celle de savoir si Barth a jamais « situé » qui que ce soit « hors de l’Église de Dieu ». À ma connaissance, il ne l’a jamais fait. Ses principes et ses convictions théologiques me semble d’ailleurs interdire d’emblée ce type de prise de position. Même au plus fort du Kirchenkampf, c’est-à-dire au moment où l’Église protestante allemande était infiltrée de toutes parts par l’idéologie nazie, je ne pense pas que Barth aurait jeté l’anathème envers qui que ce soit publiquement et directement. A fortiori, lors de la chasse aux sorcières dont Rudolf Bultman fut la victime, vers la fin des années 1940 et au cours de la décennie suivante, Barth refusa catégoriquement d’y participer de quelque manière que ce soit51. Et donc on peut se demander si ce n’est pas Lemaître qui, ici, « affectionne les déclarations exagérées, énormes, les condamnations massives » qu’il reprochait précisément à Barth52. Lemaître n’avait-il pas lu, dans l’appendice au Credo, ce que Barth affirmait au sujet de l’« orthodoxie » ? Il y écrivait ceci : « “Orthodoxie” signifie accord avec les Pères et les Conciles. Cet accord n’est jamais en soi un but. Vouloir à tout prix le restaurer n’a pas de sens. Cependant, quand on repousse l’“orthodoxie” avec tant d’effroi, n’est-ce pas au nom d’une autre “orthodoxie”, peut-être celle de certaines habitudes de pensée du XIXe ou du XXe siècle ? »53 De la même manière, Lemaître n’a-t-il pas remarqué que, dès la première page, Barth parlait du Symbole des apôtres comme d’un texte « dont l’existence est attestée depuis le huitième siècle, [...] déjà connu vers les années 200 et remontant à des temps plus reculés encore », mais que l’objet de ses conférences était le sens théologique et dogmatique de ce texte, et non son origine historique ?54

Quoiqu’il en soit, Barth s’offusqua du compte rendu de son ouvrage par Lemaître. Le 1er février 1937, il écrivit une lettre au rédacteur de la Semaine religieuse, le pasteur Charles Genequand (1869-1950), ainsi qu’au lectorat de ce journal : « Il me semble, que [le] reproche de manque d’honnêteté intellectuelle, étant [un] reproche moral, n’est pas trop gentil et non plus trop révélateur quant à la supériorité spirituelle, dont un élève de Vinet devrait faire preuve. Il me semble, que L.[emaître] aurait pu m’attaquer sans m’insulter. »55 Barth envoya sa lettre à Pierre Maury, qui le remercia et évoqua « l’article scandaleux de la Semaine religieuse » dans une lettre à Barth56. Maury précisait : « Celui-ci m’a absolument indigné et je suis content que tu y aies répondu avec cette vigueur. [...] Décidément ces libéraux sont inimaginables, et Lemaître a dépassé les bornes. Mais je désespère qu’on arrive jamais à leur faire comprendre quoi que ce soit. Tout au moins devrait-on pouvoir attendre d’eux une certaine courtoisie et “honnêteté intellectuelle”, ce qui n’est pas toujours le cas. »57 Le 12 juillet 1937, Maury écrit à Barth que « [l]e libéralisme se défend avec acharnement, comme s’il était l’objet d’une conspiration occulte. »58

Avant même de faire paraître des extraits de la lettre de K. Barth, la rédaction de la Semaine religieuse s’exprima : « Nous reviendrons sur cette lettre, mais nous tenons à dire dès aujourd’hui à M. K. Barth que la Rédaction de la Semaine Religieuse n’a pas attendu sa protestation pour regretter une expression qui ne devrait pas figurer dans une discussion entre théologiens également convaincus de la parfaite loyauté de leur pensée. »59

Puis, le 13 février 1937, la Semaine religieuse publia des extraits de la lettre de Barth (« nous nous sentons obligés de publier les passages essentiels »), sans inclure l’une des phrases décisives, à savoir celle dans laquelle Barth reproche à Lemaître de l’avoir attaqué sur le plan moral et de l’avoir insulté, ce qui détonnait de la part d’un disciple de Vinet60. Du côté de la Rédaction de la Semaine religieuse, on était manifestement assis « entre deux chaises » : on ne voulait pas contrarier le théologien bâlois, mais on ne voulait pas non plus froisser un proche collaborateur comme Auguste Lemaître.

Le reproche de « manquer d’honnêteté intellectuelle » jeta un froid sur leurs relations. Le reste de l’année 1937 n’allait pas simplifier les choses.

Auguste Lemaître et Wilfred Monod en 1937

À peu près au même moment où Lemaître mettait en question l’honnêteté intellectuelle de Barth dans son compte rendu du Credo, Wilfred Monod, professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie de Paris, éminent représentant de la théologie libérale francophone, se retrouvait seul, le mardi 16 février 1937, au moment d’entrer dans l’auditoire de sa Faculté pour y donner son cours : l’auditoire était « aussi désert que la surface lunaire »61. Après un moment de stupéfaction, Monod écrivit, le soir-même, au doyen de la Faculté, Maurice Goguel, pour lui signaler le fait que son cours, en plein semestre, avait été déserté, que les étudiants lui reprochaient de s’en tenir « aux faits, aux expériences » alors qu’ils voulaient « un enseignement doctrinal »62. Monod, qui était proche de son 70e anniversaire, avait vu la situation se détériorer au fil des ans. Le « barthisme » était largement responsable de cette situation, et Monod s’en prenait régulièrement à ce mouvement dans ses cours63. Monod décida de démissionner. Ses collègues tentèrent de le faire changer d’avis, sans succès.

Deux lettres inédites de W. Monod à A. Lemaître montrent les liens qui unissaient les deux hommes. En premier lieu, cette lettre écrite le Dimanche des Rameaux, 21 mars 1937 :

Je continue à être préoccupé des contrecoups de la réaction dogmatique barthienne ou néo-calviniste, pour l’Évangile du Royaume de Dieu et pour la véritable foi apostolique, laquelle est joie et victoire. La théologie pratique – ilôt que rongent ces courants hostiles [Monod ajoute ces mots en tout petits caractères, entre deux lignes] – est singulièrement menacée par les outrances doctrinales d’une jeune génération aux allures scolastiques, dédaigneuse de l’histoire et de la psychologie, de la méthode inductive et de l’expérience religieuse. J’ai rompu des lances avec mes étudiants, qui naïvement confondent les termes : personnel et subjectif. « Mon cœur me dit de TA part : “Cherchez MA face.” Je cherche TA face, ô Dieu vivant ! » Je me sers de Calvin contre Barth, pour sauver la notion de testimonium spiritus sancti – et de Barth contre Calvin, pour mettre en relief une conception de la Parole de Dieu qui rend impossible la « théopneustie » de la lettre biblique. Ma situation a fini par devenir délicate, même difficile. Vous en jugerez par un document que je confie au dogmaticien, car il est un « signe des temps ». Je le confie aussi à votre cœur fraternel de chrétien... oratio, meditatio, tentatio faciunt theologum64.

On voit bien, dans cette lettre, que le souci de Monod s’adresse au moins autant à la « jeune génération aux allures scolastiques, dédaigneuse de l’histoire et de la psychologie, de la méthode inductive et de l’expérience religieuse », qu’à Karl Barth lui-même. Quelques mois plus tard, le 28 juillet 1937, Monod reprends la plume et confirme qui est visé par sa critique :

Vous avez pris le temps de m’écrire au sujet de ma démission de professeur – non pas « volontaire », puisqu’elle me fut moralement imposée par les circonstances – mais « réfléchie ». Je vous remercie profondément. [...] J’aimerais causer avec vous d’une manière approfondie, devant prêcher à la cathédrale de St Pierre, le 10 octobre, je me demande si vous pourriez m’accorder – à cette occasion – le privilège d’un entretien. Il s’agirait de mettre au point bien des choses – au lendemain du Congrès œcuménique. Et devant l’offensive dialectique du jeune clergé hicetnunquiste, comment préserver l’Una sancta (en formation) de ces funestes malentendus qui « rongent comme la gangrène » ? (2 Tim. 2/17) De quelle presse disposons-nous, dans les pays de langue française, pour propager efficacement l’idéal de Vinet, des Robertson, des Frommel, des H. Bois, des Fallot ?65

Les déboires de Wilfred Monod, l’irrespect dont il fait l’objet à la Faculté libre de théologie protestante de Paris, sont étroitement liés à « l’offensive dialectique du jeune clergé hicetnunquiste ». Les jeunes théologiens de la revue Hic et nunc étaient, en effet, des barthiens militants66.

Le Christianisme social contre la théologie de la résignation

Je souhaite ne pas passer sous silence le fait qu’Auguste Lemaître combinait un accent libéral marqué avec une ligne, très tôt assumée et jamais reniée, qui relève du Christianisme social. Son ministère à Liévin, dans la région où Élie Gounelle et Henri Nick avaient fait œuvre de pionners, à la toute fin du XIXe siècle, en fondant des Solidarités (Roubaix) et autres Foyers du peuple (Lille-Fives), fut plus qu’une étape vite oubliée67.

Cet accent chrétien social retentit nettement en 1949, à Genève, lors des Rencontres internationales, qui portaient cette année-là sur la question d’un « nouvel humanisme ». Barth y donna une conférence intitulée « L’actualité du message chrétien », mais dont le véritable thème est l’« l’humanisme de Dieu ». Cette conférence annonce l’autre conférence, bien plus célèbre, qu’il donna en 1956 sur L’humanité de Dieu68. Lemaître participa à l’entretien, entre diverses personnalités, qui suivit la conférence de Barth. Voici notamment ce qu’il dit, en conclusion de ses remarques, qu’il avait pu préparer et rédiger à l’avance :

Un dernier mot, qui est peut-être une question directe à mon vieil ami Karl Barth. J’ai été très frappé de l’entendre dire : « Ceux qui sont en quête d’un nouvel humanisme me font l’impression de gens un peu tristes, parce qu’ils sont indécis. » [...] Mais lorsque j’entends tant de chrétiens, formés à l’école de la néo-orthodoxie et aussi à celle de mon ami le professeur Barth, dire et répéter : « Le monde ne changera pas », eh bien voilà ce que je trouve triste ! Je me demande si M. Barth nous dira qu’il fait sienne cette formule que nous entendons souvent répéter – à Genève comme ailleurs – : les chrétiens ne croient plus que le monde changera ; j’entends avant la transformation catastrophique de la fin des temps et du Royaume transcendant de Dieu69.

La théologie barthienne donne à certains, dont Auguste Lemaître, une impression de résignation, sans doute liée à l’anthropologie théologique de Barth, bien plus proche à de nombreux égards de la pensée des réformateurs protestants du XVIe siècle que de la pensée moderne à laquelle Lemaître adhère. Et en effet Barth ne croit pas en la possibilité pour l’être humain de contribuer à l’advenue du Royaume de Dieu. Il ne croit pas non plus en l’idéologie moderne du progrès. Mais cela signifie-t-il qu’il opte pour la résignation, étant donné que « le monde ne changera pas » ? Certes non ! L’engagement de Barth – un engagement qu’il ne renia jamais – auprès des travailleurs durant ses années de ministère à Safenwil (Argovie), de 1911 à 1921, au point où on le qualifia de « pasteur rouge », puis son rôle de chef de file dans la lutte contre les Deutsche-Christen et donc contre tout accueil de l’idéologie nazie au sein de l’Église protestante en Allemagne, mais aussi sa participation à la lutte contre la bombe atomique dans l’après-guerre, tout cela manifeste une vive conscience que le monde « change », et qu’il ne change pas toujours pour le mieux. La nécessité de l’engagement des chrétiens dans la société n’a jamais fait le moindre doute aux yeux de Barth. Le monde « changera », aucun doute à ce sujet. La question est plutôt de savoir dans quelle direction il changera et quelle théologie nous permet de rester lucide tant sur la nécessité que les limites de l’action de l’être humain dans la société et dans l’histoire. Le refus, chez Barth, d’envisager une collaboration ou une contribution humaine à l’advenue du Royaume ne signifiait en rien qu’il considérait comme facultatif le fait de travailler à l’humanisation des sociétés humaines.

Le problème de la récitation liturgique du Symbole des apôtres

La théologie libérale, on le sait, se méfie des « autorités » humaines que certains souhaitent imposer. La critique des dogmes et des énoncés doctrinaux vient de cette méfiance. En 1957, Lemaître reprend une vieille querelle (cf. l’Apostolikumsstreit de 1891-1892 notamment), qu’on aurait pu imaginer dépassée, lorsqu’il s’insurge contre la récitation du symbole des apôtres durant le culte :

Récemment, au cours d’un service matinal de Sainte Cène, annoncé dans la liste des cultes réguliers de l’Église, à Genève, le pasteur a prié les membres de l’assemblée de prononcer avec lui à haute voix, le « credo », si malheureusement désigné sous le titre : Symbole des apôtres. Ce texte classique, considéré avec vénération par nos frères catholiques, soulève bien des réserves. De nombreux protestants ne peuvent souscrire à tous les articles d’un document qui dès le XIXe siècle a été l’occasion de vives controverses. Si nous comprenons que le public d’un culte puisse être appelé à réciter l’Oraison dominicale, nous trouvons inadmissible de recourir à ce même procédé liturgique quand il s’agit d’un Credo doctrinal, auquel tous les fidèles sont loin d’attacher le même prix. Participant au culte d’une communauté, l’adorateur accepte de ne pas retrouver toujours sa propre pensée dans les cantiques ou les prières auxquels il est invité à s’associer. Mais qu’on lui demande la proclamation orale d’un document tout humain, en qui il ne reconnaît plus l’expression de ses convictions personnelles, voilà qui est fort peu « protestant ». La sincérité devant Dieu est un devoir absolu70.

Il y a dans cette prise de position quelque chose de typique du libéralisme théologique : la « sincérité » et l’authenticité l’emportent sur une quelconque « vérité » objective. Cette sincérité, selon Lemaître et bien d’autres penseurs libéraux, est menacée par l’imposition de la récitation d’un document « tout humain » aux fidèles.

Barth, quant à lui, n’a jamais considéré les dogmes comme des autorités infaillibles qui réclament notre obéissance sans condition. En 1932, dans le premier tome de sa Kirchliche Dogmatik, il écrit que le « dogme ecclésiastique ne possède en lui-même aucun caractère divin ; il n’a de valeur qu’humaine et pédagogique. Nous pourrions donc le répudier. »71 Concernant l’Écriture elle-même : c’est « mal rendre hommage à la Bible que de l’identifier directement à l’Autre, à la révélation de l’Autre. »72

Conclusion

De l’avis de son collègue et ami Jaques Courvoisier, en Auguste Lemaître le pasteur l’emporta sur le professeur73. On peut dire la même chose de Wilfred Monod, qui reconnaissait volontiers cet état de fait : « Je suis pasteur ; je n’aurai été que pasteur. Ai-publié des ouvrages ? Simples copeaux tombés de l’établi dans un atelier pastoral. »74 Autre point commun décisif entre Lemaître et Monod : l’un comme l’autre, contrairement à Barth, ne vécut pas la Première Guerre mondiale comme un bouleversement qui mettait en question la théologie qu’ils avaient héritée et qu’ils s’étaient appropriée75.

Dans les remarques critiques exprimées par Auguste Lemaître au fil des ans, on retrouve presque tous les éléments de la critique du libéralisme théologique vis-à-vis de Barth : la défense d’une harmonie foncière entre le Créateur et la créature, de la connaissance de Dieu à travers la conscience, de la présence indispensable de la liberté dans le rapport aux dogmes et à la doctrine, mais aussi, comme conséquence de tout cela, la possibilité intrinsèque à l’être humain de collaborer à l’œuvre divine et à la venue du Royaume de Dieu. Tout cela fait de Lemaître une excellente illustration du « désamour » qui fut celui des théologiens libéraux. Désamour envers qui, toutefois ? Envers Barth ou envers les « barthiens » plus ou moins rigides et intolérants ? De la même manière que Barth ne lut pas toujours en bonne part, tant s’en faut, les penseurs du libéralisme théologique, il me semble évident qu’il y a de la caricature de la part des libéraux dans leur critique de sa pensée76. Dans le tout premier tome de sa Kirchliche Dogmatik, Barth écrivait sans arrière-pensée qu’« [a]u fond, la théologie libérale n’a jamais été aussi nocive qu’elle le semblait. »77 Et vers la fin de sa vie il affirmait qu’il pouvait légitimement se considérer lui-même comme un théologien « libéral », et que les questions liées à cette tradition théologique, loin de lui être étrangères, l’habitaient encore78.

Il nous revient, aujourd’hui, de dépasser ces caricatures. Pour les dépasser, il nous appartient d’acquérir une connaissance fine, détaillée, des penseurs en question et des théologies qu’ils promouvaient (et promeuvent encore).

Lettre de Karl Barth à Charles Genequand du 1er février 1937 (Karl Barth Archiv 9237.24)

Bâle, le 1. Février 1937

Monsieur et très honoré pasteur !

Dans la critique que mon ancien ami Lemaître a écrit sur mon livre ‘Credo’ (Sem. Rel. Nr. 5. p.18) je lis les lignes suivantes :

« Le reproche central que nous adressons à la théologie dialectique de Barth est de manquer d’honnêteté intellectuelle. Est-il vrai, oui ou non, que les docteurs grecs ont interprété l’Écriture avec des préoccupations philosophiques ou ecclésiastiques étrangères à la Révélation ? Est-il vrai, oui ou non, que la théologie biblique nous enseigne en même temps que l’unité du témoignage central des apôtres, la diversité de leurs tendances et de leurs expressions ? Il n’est pas loyal, de taire ces problèmes... »

J’aimerais à vous dire – et si vous êtes d’accord, aussi aux lecteurs de la Sem. Rel. – en quelques mots ce que j’en pense.

Il me semble, que la reproche de manque d’honnêteté intellectuelle, étant une reproche morale, n’est pas trop gentille et non plus trop révélatrice quant à la supériorité spirituelle, dont un élève de Vinet devrait faire preuve. Il me semble, que L. aurait pu m’attaquer sans m’insulter.

Les deux questions, qui me sont posées si solennellement, sont répondues il y a longtemps – sans que, hélas, Lemaître s’en soit aperçu. Je répète :

  1. C’est une idée des rationalistes du 18e siècle et des Harnack du 19e, que les « docteurs grecs » (j’entends : les promoteurs directs et indirects du dogme du 4e et 5e siècle) aient interprété l’Écriture avec des préoccupations étrangères à la révélation. Mais ce n’est pas vrai. Ils l’ont interprété dans leur language, dans le cadre de leurs présuppositions philosophiques, vis-à-vis des erreurs de leur temps. Sans diminuer les dangers et même les fautes de leur théologie, je ne vois qu’ils aient faussé la substance de l’évangile. Je vois, que, dans leur dogme, ils l’ont préservé contre la falsification.
  2. Il est vrai, que la théologie biblique nous enseigne une diversité de tendances et des expressions des auteurs du N.T. Paul n’est pas Pierre, Jean n’est pas Jacques. Pourtant cette diversité n’est pas infinie. C’est une diversité dans le cadre d’une unité très nette. Il n’y a pas d’arianisme, il n’y a pas de pélagianisme, il n’y a pas de catholicisme romain, il n’y a pas de Schleiermacherianisme dans cette unité. Il y a, au N.T., la première de Jean... Et « il n’est pas loyal de taire ces problèmes » !

Est-ce qu’il est permis, que moi aussi je pose une question ? Je ne suis pas trop étonné de l’attaque de Lemaître. Mais je suis étonné de trouver cette attaque dans la Semaine Religieuse. Il y avait un temps, où mon pauvre livre aurait trouvé un accueil un peu plus intéressé dans ce journal. Est-ce que les « évangéliques » de la Suisse romande sont devenus libéraux depuis ?

Tout en vous assurant de mon plus grand estime, je suis, monsieur et très honoré pasteur, votre dévoué

K. Barth

____________

1Le présent article a d’abord été présenté, à l’invitation de Valentine Zuber et de Pierre-Olivier Léchot, à l’Institut protestant de théologie (IPT) de Paris le 5 mai 2018 dans le cadre d’une journée d’étude du Groupe de recherche sur l’histoire des protestantismes (GRHP). Outre les deux collègues susmentionnés, je tiens à remercier Peter Zocher, directeur du Karl Barth Archiv (Bâle), qui a mis à ma disposition divers documents inédits.

2Laurent Gagnebin, Christianisme spirituel et Christianisme social. La prédication de Wilfred Monod (1894-1940), Genève, Labor et Fides, 1987, p. 446.

3Ibid., p. 148-150 (sur le chemin de Dieu vers l’humain), 161-162 (sur l’humanité de Dieu) et 446 (sur les accents pré-barthiens de W. Monod). Les origines « évangéliques » de Wilfred Monod transparaissent nettement dans son autobiographie Après la journée. Souvenirs et visions 1867-1937, Paris, Grasset, 1938, ainsi que dans Élie Gounelle-Henri Nick, Réveil et Christianisme social. Correspondance 1886-1897, Christophe Chalamet et Grégoire Humbert éd., Genève, Labor et Fides, 2013.

4Pour un inventaire détaillé de ce fonds, cf. http://w3public.ville-ge.ch (dernière consultation le 30 avril 2018).

5Auguste Lemaître exprime son avis sur G. Fulliquet et d’autres dans « Die Theologie der welschen Schweiz », Ekklesia, t. 10 : Die Evangelischen Kirchen der Schweiz, Gotha, L. Klotz, 1934, p. 155-168 (version française : La théologie de la Suisse romande, tiré à part de la Semaine Religieuse, Genève, 1935, 25 pages) ; « La pensée théologique de Georges Fulliquet », RThPh 13 (1925), p. 32-42.

6Séance de rentrée de la Faculté autonome de Théologie, 27 octobre 1928 au temple de l’Auditoire, Genève, Albert Kundig, 1929.

7« L’Évangile et la Théologie du Dieu lointain », in Séance de rentrée, p. 7-8.

8Ibid., p. 10.

9Ibid., p. 11.

10Ibid.

11Ibid., p. 12.

12Ibid.

13Ibid.

14Ibid.

15Ibid., p. 13.

16Ibid.

17Ibid., p. 14-15.

18Ibid., p. 15.

19Ibid.

20Ibid.

21« Dieu reste lointain à tous égards. Lointain parce que sa révélation indirecte n’est jamais dans le présent, mais dans le passé : Jésus-Christ, la Bible ; et dans l’avenir : le ciel et sa gloire. Le vrai salut, la vraie connaissance de Dieu est un objet d’espérance. Et cette forte tendance à souligner l’attente de la gloire pousse cette théologie à l’indifférence vis-à-vis des problèmes du Royaume de Dieu sur la terre, au scepticisme à l’égard du christianisme social. » Ibid., p. 17-18.

22Ibid., p. 18.

23Bernhard Dörries, Der ferne und der nahe Gott. Eine Auseinandersetzung mit der Theologie Karl Barths, Gotha, Leopold Klotz, 1927 (Bücherei der Christlichen Welt). La préface fut rédigée en juillet 1927. Dörries articule une critique similaire à celle de Lemaître, mais il ajoute que le « Dieu lointain » de Karl Barth est en fait un retour à la tradition réformée la plus stricte. Lemaître inclut l’ouvrage de Dörries dans la bibliographie qui clôt son article : « La christologie de Karl Barth et le retour à la christologie orthodoxe », RThPh 18 (1930), p. 84.

24A. Lemaître, « L’Évangile et la Théologie du Dieu lointain, » p. 22.

25En 1956, Barth écrivit : il y a « une quarantaine d’années », ce « n’était pas alors tellement l’humanité de Dieu, mais bien sa divinité qui nous pressait si fortement : nous étions frappés par ce qu’il y a d’absolument unique en Dieu dans sa relation avec l’homme et le monde, par l’insurmontable hauteur, la distance et la différence devant lesquelles l’homme se trouve placé lorsqu’il prononce le nom de Dieu et que Dieu l’atteint [...]. On est bien obligé de reconnaître que l’humanité de Dieu avait alors glissé pour nous du centre à la périphérie : elle n’était plus la thèse principale, mais une notion en somme secondaire. » K. Barth, L’humanité de Dieu, trad. Jacques de Senarclens, Genève, Labor et Fides, 1956, p. 6-7. Et ces mots tirés de la Préface de Barth à la deuxième édition de son Épître aux Romains (septembre 1921) : « Si j’ai un “système”, il consiste en ce que je tiens mon regard fixé aussi opiniâtrement que possible sur ce que Kierkegaard a nommé la “différence qualitative infinie” du temps et de l’éternité, et cela dans sa signification négative et positive. “Dieu est dans les cieux, et toi, tu es sur la terre.” La relation entre ce Dieu-ci et cet homme-ci, la relation entre cet homme-ci et ce Dieu-ci, constitue pour moi, tout ensemble, le thème de la Bible et la somme de la philosophie. » L’Épître aux Romains, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 17.

26« Insofern kann man wohl auch sagen, Gott sei uns gegeben im Gefühl auf eine ursprüngliche Weise ; und wenn man von einer ursprünglichen Offenbarung Gottes an den Menschen oder in dem Menschen redet, so wird immer eben dieses damit gemeint sein, dass dem Menschen mit der allem endlichen Sein nicht minder als ihm anhaftenden schlechthinnigen Abhängigkeit auch das zum Gottesbewusstsein werdende unmittelbare Selbstbewusstsein derselben gegeben ist. In welchem Mass nun während des zeitlichen Verlaufs einer Persönlichkeit dieses wirklich vorkommt, in eben dem schreiben wir dem Einzelnen Frömmigkeit zu. Hingegen bleibt jedes irgendwie Gegebensein Gottes völlig ausgeschlossen, weil alles äusserlich Gegebene immer auch als Gegenstand einer wenn auch noch so geringen Gegenwirkung gegeben sein muss. » F. D. E. Schleiermacher, Der christliche Glaube, 2e éd., § 4.4, éd. Martin Redeker, Berlin, W. de Gruyter, 1960, I :30 (je souligne).

27RThPh 18 (1930), p. 62-84.

28Ibid., p. 64.

29Ibid., p. 64-65.

30Ibid., p. 67.

31Ibid., p. 68.

32Ibid., p. 76.

33Ibid., p. 77.

34Ibid., p. 80.

35Ibid., p. 79 et 76.

36Ibid., p. 81.

37Ibid.

38Ibid., p. 82.

39Barth écrit ceci au sujet de la soirée passée, près de l’Arc de Triomphe, avec les collègues protestants : « Ce que j’ai vécu pendant ce temps était de toute évidence incomparablement moins riche de substance et d’impressions. [...] Je garde pour ainsi dire de cette soirée le souvenir d’un arrêt dans un musée pas très intéressant. [...] Tout aimables qu’ils se soient montrés à mon égard, les collègues me donnèrent le sentiment d’être poussiéreux, et la jeunesse théologique de Paris, avec laquelle il y aurait certainement quelque chose à faire, pourrait bien me faire un peu pitié si je ne me disais pas que dans le monde entier ce qui est juste doit toujours recommencer à se frayer un chemin, que ce soit avec ou contre nous les professeurs, et a toujours réussi à se le frayer. » « Relation par Charlotte von Kirschbaum du voyage de Karl Barth à Paris en avril 1934 », in Karl Barth-Pierre Maury, Nous qui pouvons encore parler... Correspondance 1928-1956, Bernard Reymond éd., Lausanne, L’Âge d’Homme, 1985, p. 288-290.

40Auguste Lemaître, « Parole de Dieu, parole humaine », La Semaine Religieuse no 33, 81e année (19 août 1933), p. 130.

41Ibid.

42Ibid.

43Ibid.

44Ibid.

45Karl Barth Archiv (KBA 9234.383).

46Lettre d’A. Lemaître à K. Barth du 1er octobre 1934 ; Karl Barth Archiv (KBA 9334.0927).

47Auguste Lemaître, « Credo, par Karl Barth », La Semaine Religieuse no 5, 85e année (30 janvier 1937), p. 17-18.

48Ibid.

49Ibid.

50Ibid.

51Cf. la lettre de Karl Barth à l’évêque luthérien Theophil Wurm du 29 mai 1947, in K. Barth-R. Bultmann, Briefwechsel 1911-1966, Bernd Jaspert éd., Zurich, TVZ, 19942, p. 276-285.

52Cfsupra, note 41.

53K. Barth, Credo, trad. Pierre et Jean Jundt, Paris, « Je Sers », 1936, p. 228. Barth ajoute : « Moi aussi j’ai appartenu au libéralisme et j’en connais les charmes ! ».

54Ibid., p. 7.

55Lettre inédite (Karl Barth Archiv 9237.24). Cette lettre est reproduite, dans son intégralité, à la fin du présent article. La référence à Alexandre Vinet s’explique par la conclusion de la recension du Credo de Barth par Lemaître : « Qu’on ne nous dise pas que nous avons dans ce Credo un pain qui va nourrir les âmes et puisse faire passer le souffle de l’Esprit sur les Églises ! Un lecteur laïc, qui ne serait ni formé ni déformé à l’école de nos docteurs, risque fort de s’égarer dans les labyrinthes de K. Barth et de s’y trouver plus épuisé que fortifié, plus affolé que guidé par ce maître subtil. À ceux qui cherchent le Dieu sauveur, la lecture de quelques discours de Vinet apporterait une réponse autrement claire et vivante. Mais Vinet écrivait il y a cent ans... » A. Lemaître, « Credo, par Karl Barth », art. cit., p. 18.

56Lettre du 25 février 1937, in K. Barth-P. Maury, Nous qui pouvons encore parler..., op. cit., p. 111.

57Ibid., p. 112.

58Ibid., p. 114. En note, Bernard Reymond commente : « P. Maury s’en remet ici à une impression toute générale. La presse protestante de l’année 1937 n’a en effet pas été particulièrement agressive à l’endroit de Barth. » Ibid., p. 114, note 274. Cette remarque surprend, au vu de la recension par Lemaître du Credo de Barth, parue le 30 janvier 1937 dans La Semaine Religieuse, recension à laquelle Maury faisait allusion dans un post-scriptum à sa lettre précédente (du 25 février 1937).

59« À propos d’un article », La Semaine Religieuse no 6 (6 février 1937), p. 22.

60K. Barth, « Réponse à Lemaître », La Semaine Religieuse no 7, 85e année (13 février 1937), p. 27.

61Sur cet épisode, cf. Bernard Reymond, Théologien ou prophète ? Les francophones et Karl Barth avant 1945, p. 162-173.

62Ibid., p. 163.

63Ibid.

64Lettre de W. Monod à A. Lemaître du 21 mars 1937 ; Fonds Auguste Lemaître, BGE, Ms. fr. 6602, f. 522.

65Lettre de W. Monod à A. Lemaître du 28 juillet 1937 ; Fonds Auguste Lemaître, BGE, Ms. fr. 6602, f. 530-531.

66Sur cette revue, cf. Arnaud Baubérot, « La Revue Hic et Nunc : Les jeunes turcs du protestantisme et l’esprit des années trente », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français 149 (juillet-août-septembre 2003), p. 569-589.

67Sur É. Gounelle, H. Nick, ces fondations et leur important rayonnement au près et au loin, cf. Réveil et Christianisme social, op. cit. Cf. également mon ouvrage Revivalism and Social Christianity. The Prophetic Faith of Henri Nick and André Trocmé, Eugene (Oregon, USA), Wipf & Stock, 2013.

68K. Barth, « L’actualité du message chrétien » (conférence du 1er septembre 1949, Rencontres internationales de Genève), in René Grousset et al., Pour un nouvel humanisme. Textes des conférences et des entretiens organisés par les Rencontres internationales de Genève (1949), Neuchâtel, La Baconnière, 1949, p. 37-47 ; K. Barth, L’humanité de Dieu, trad. Jacques de Senarclens, Genève, Labor et Fides, 1956.

69« Troisième entretien », in Pour un nouvel humanisme, op. cit., p. 257.

70A. Lemaître, « La Sainte Cène et le “Credo” », in Le Protestant du 15 mars 1957, p. 3.

71Dogmatique I/1**, tome 2, Genève, Labor et Fides, 1953, p. 111. Barth continue : « Mais, justement, nous n’avons aucune raison de le faire. » Ibid.

72Dogmatique I/1*, tome 1, Genève, Labor et Fides, 1953, p. 108. Après avoir affirmé que « la Bible et la révélation sont distinctes », Barth envisage leur unité comme « un événement ». Ibid., p. 109.

73« En Auguste Lemaître, le pasteur domine le théologien. Cela se sent tout au long de son livre. » Jaques Courvoisier, « Une nouvelle Dogmatique protestante », Journal de Genève du 15 septembre 1954 (à propos du livre d’Auguste Lemaître Foi et Vérité).

74Wilfred Monod, Après la journée, op. cit., p. 15. Cf. Laurent Gagnebin, Christianisme spirituel et Christianisme social, op. cit., p. 105-106.

75Concernant Wilfred Monod et la guerre, cf. Laurent Gagnebin, Christianisme spirituel et Christianisme social. La prédication de Wilfred Monod (1894-1940), p. 450 : « on ne trouve pas chez Monod cette profonde remise en cause, proprement théologique, qui marqua l’entreprise théologique d’alors. » Monod « garde ainsi une tonalité d’avant-guerre ». Il n’en va pas autrement pour Auguste Lemaître.

76Sur les manières dont Karl Barth interprétait certaines grandes figures de la théologie libérale germanophone, cf. mon article « Karl Barth and Liberal Protestantism », in Paul Dafydd Jones et Paul T. Nimmo éd., The Oxford Handbook of Karl Barth, Oxford-New York, Oxford University Press, 2019.

77K. Barth, Dogmatique I/1, t. 1, op. cit., p. 244.

78K. Barth, « Möglichkeiten liberaler Theologie heute », in Schweizerische theologische Umschau 30 (juillet 1960), p. 95-101.