« Le sage qui écoute sera plus sage »1
Bible et philosophie : perspectives d’un historien de la philosophie médiévale
À la mémoire de Fernand Brunner (1920-1991)2
Wo andere weitergehn, dort bleib stehen.
Ludwig Wittgenstein, Vermischte Bemerkungen, 1948.
Introduction
L’esprit qui animait les fondateurs de la Revue de théologie et de philosophie est clairement exprimé dans une déclaration d’intention d’Eugène Dandiran publiée an 1868 :
Constituant entre les partis théologiques et philosophiques une sorte de terrain neutre où la parole appartient à chacun tour à tour, appelant à elle intentionnellement des collaborateurs de toutes les écoles pour exposer des idées de toutes les provenances, en un mot, impersonnelle par principe et purement scientifique, cette Revue pouvait être hospitalière à toutes les opinions parce qu’elle ne se proposait qu’une chose : donner au public des informations précises et authentiques sur le mouvement actuel de la philosophie et de la théologie dans les grandes nations de l’Europe et de l’Amérique3.
On peut sans hésitation encore de nos jours adhérer à l’épigraphe d’Alexandre Vinet que la Revue avait choisi à ses débuts et qui résume assez bien cette déclaration d’intention : « La vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité »4. Les travaux publiés à l’occasion du centième anniversaire (1968) obéissent indéniablement aux intentions des fondateurs. Les interventions de Gabriel Widmer et Jean-Claude Piguet sont focalisées sur la question du rapport entre philosophie et théologie5. Il est encore plus intéressant de relever que la Revue a organisé à cette occasion un concours sur ce même thème. Trois articles ont été primés et publiés : ceux de Jean Zumstein6, Jean-Pierre Thévénaz7 et Henry Mottu8. Notre étude entend rejoindre l’esprit de ce concours. En effet, la question de la relation entre la Bible et la philosophie qui sera traitée ici concrétise celle, plus générale, du rapport entre la philosophie et la théologie. Il faut toutefois préciser que notre approche de cette question fondamentale sera traitée sous l’angle de l’histoire de la pensée médiévale, qu’elle sera par conséquent non seulement fragmentaire, mais encore partiale.
La lecture philosophique de la Bible9 est une entreprise plutôt périlleuse, car le croyant la considère en principe comme inadéquate et illégitime et le philosophe la trouvera probablement superflue et inutile. Cependant, les choses sont évidemment beaucoup plus complexes et plus intéressantes à la fois et, de plus, les perspectives selon lesquelles on peut aborder le thème du rapport entre Bible et philosophie au moyen âge sont aussi multiples que fécondes. Du point de vue de l’histoire intellectuelle, force est de constater que la Bible a joui dans le monde européen du IIe au XXIe siècle d’une présence, d’un intérêt et d’une portée incroyable et unique. Il est incontestable que la philosophie a contribué abondamment à la vivacité de cette présence, à sa permanence et sa fécondité, mais la question inverse peut aussi se poser : la lecture de la Bible a-t-elle autant fécondé la philosophie que la philosophie a enrichi la lecture de la Bible ? Les considérations qui vont suivre sont conçues comme une modeste contribution, non pas à cette immense question, mais à la clarification de ladite question, contribution dont la perspective est exclusivement philosophique, mais dont l’intérêt concerne évidemment, au moins indirectement, ceux qui sont intéressés par le destin du christianisme. Envisagée de ce point de vue, il paraît incontestable que cette problématique concerne la Revue de théologie et de philosophie, non seulement d’un point de vue historique, mais encore sous un angle programmatique.
Nous allons aborder cette question immense sous trois angles différents, en commençant par la lecture d’un texte rare de la Bible où le thème de la philosophie et de sa relation au message chrétien est explicitement posé.
I
Il y a au moins un texte biblique qui aborde frontalement la question de ce rapport, en plus de quelques remarques pauliniennes plutôt critiques sur cette relation. Il s’agit, bien entendu, du discours de Paul à Athènes, discours rapporté au chapitre 17 des Actes des apôtres10. La prédication de Paul à Athènes met en scène une confrontation du message évangélique et de la culture païenne. L’analyse de ce texte fondamental de Luc comporte trois aspects : les destinataires, le prédicateur et le contenu spécifique du sermon. Le prédicateur : il est à première vue manifeste qu’en parlant de Paul l’auteur des Actes se réfère à l’activité du proto-philosophe athénien, Socrate. Un interprète récent a parlé à ce propos d’une « Sokratesmimesis », d’une véritable imitation de Socrate dans le récit lucanien11. Trois aspects du récit lucanien rappellent Socrate : d’abord, comme Socrate dans les dialogues de Platon et les textes de Xénophon, Paul discute avec les gens présents dans l’agora. Ensuite, et ici la convergence est encore bien plus directe, Paul est présenté comme un prédicateur de « divinités étrangères ». L’expression ξένων δαιμονίων au verset 18 du texte biblique rappelle directement les Memorabilia de Xénophon et l’Apologie de Platon, où il est affirmé que Socrate a introduit des « divinités nouvelles » (δαιμόνια καινά, Apol. 24b). Finalement, il ne paraît pas sans signification que l’on amène Paul à l’Aréopage et qu’il y prenne la parole pour expliquer ce qu’il fait et veut, pour expliquer et justifier sa démarche (v. 19-20). Il est donc incontestable que la présentation de Paul à Athènes dans les Actes comporte des résonances significatives de la figure de Socrate, ce qui jette une lumière toute particulière sur le rôle et la fonction du discours lui-même. En rapprochant de la sorte Paul de Socrate, Luc établit une singulière ressemblance entre le prédicateur et le philosophe.
Les destinataires de ce discours sont les Athéniens, qui sont qualifiés de gens toujours avides de nouveautés (v. 21). Il est par ailleurs précisé que Paul a discuté avec des philosophes, des stoïciens et des épicuriens (v. 18). Certes, comme le signale l’adresse – ἄνδρες Ἀθηναῖοι, viri Athenienses (v. 22) –, la prédication parle à toutes les personnes présentes, mais nous pouvons supposer que le public cible, celui qui est plus particulièrement visé, est composé de ceux que le texte lui-même appelle des philosophes. Dans tous les cas, il faut souligner que le discours est adressé plus spécifiquement à des philosophes.
Dans la structure du discours, il est aisé de distinguer un exorde (v. 22-23), qui est comme une sorte de captatio benevolentiae, et une conclusion (v. 30-31). On peut diviser le reste du discours de diverses manières (v. 24-29) : alors que les versets 24-25 parlent du rapport entre le Dieu unique et le monde, aux versets 26-28 il est question plus particulièrement du genre humain et de son rapport à Dieu. La fin de ce passage central tire les conclusions de ce qui précède pour la vénération de Dieu, excluant le culte des idoles (v. 29).
La phrase centrale de l’exorde est bien entendu l’interprétation de l’inscription de l’autel adressée au Dieu inconnu (v. 23) : « Celui que vous adorez dans l’ignorance, moi je vous l’annonce », dit Paul. Quel est le rapport entre le Dieu annoncé par Paul et celui des philosophes ? Il faut se demander si on peut admettre une identité entre le Dieu inconnu, vénéré par les Athéniens, et le Dieu annoncé par Paul. Le discours, qui commence par invoquer la religiosité des Athéniens, s’achève en évoquant le noyau du message chrétien, à savoir le jugement dernier et la résurrection du Christ.
Si la dernière phrase du sermon (v. 31) affirme clairement en quoi consiste la nouveauté du kérygme paulinien selon Luc, la partie centrale, en revanche, vise un enseignement que les destinataires athéniens doivent pouvoir saisir. Sans accepter les positions extrêmes de Norden, Dibelius ou Pohlenz, qui interprètent le discours comme une interpolation strictement philosophique dans les Actes, nous pouvons cependant affirmer que cette partie centrale est comme une propédeutique philosophique adressée aux auditeurs païens polythéistes12. Quatre aspects doctrinaux majeurs méritent d’être mentionnés : d’abord, l’affirmation du Dieu unique créateur du monde et de tout (v. 24) ; ensuite, le fait que ce Dieu est autarcique, autosuffisant (v. 25) ; puis, l’affirmation que l’homme est de la descendance de Dieu (v. 28) et qu’il cherche naturellement Dieu (v. 27). Sans doute l’aspect le plus important est l’idée que ce Dieu unique est le principe de la vie, du mouvement et de l’être (v. 28) : « ἐν αὐτῷ γὰρ ζῶμεν καὶ κινούμεθα καὶ ἐσμέν ». On peut considérer comme une conséquence de cette conception de Dieu ce que le texte exprime par deux négations aux versets 24 et 25 : Dieu n’habite pas dans les temples construits par les hommes et ne peut pas être servi par les mains de l’homme. Dieu est parfait et n’a donc besoin de rien.
Si l’on tient compte de l’impressionnant ensemble de résonances grecques, littéraires et philosophiques dans ce discours, on peut suggérer que le prédicateur entend ici parler le langage philosophique, non seulement pour amener ses auditeurs là où il veut les mener, mais aussi par conviction, en parfaite concordance avec Rm 1,19-20 :
Car ce qu’ils peuvent connaître de Dieu leur est donné à voir clairement, puisque Dieu le leur a rendu manifeste. Car ce qui, de lui, est invisible, l’éternité de sa puissance et de sa divinité, ses œuvres, depuis la création du monde, l’ont rendu intelligible et par là pleinement visible, afin de rendre les hommes inexcusables. [...]13.
Sans nier l’arrière-fond biblique du discours, on peut suivre les interprètes qui voient dans la prédication de l’Aréopage l’affirmation, l’explication et l’exposé du fondement de la possibilité humaine de trouver Dieu. Il n’est donc pas interdit de rapprocher notre texte du célèbre passage de l’épître aux Romains (1,19-20) qui atteste et confirme la possibilité d’une connaissance naturelle de l’existence de Dieu. Dans cette perspective, il est particulièrement intéressant de regarder comment Thomas d’Aquin comprend le discours paulinien. Dans son commentaire de Rm 1,19-20, Thomas renvoie explicitement au texte lucanien. Il veut dans ce passage expliquer que les sapientes gentilium, les sages païens, ont découvert certaines vérités sur Dieu. Il faut donc reconnaître que les philosophes accèdent à une authentique connaissance de Dieu :
L’apôtre fait donc d’abord cette déclaration : Je dis bien qu’ils ont retenu la vérité de Dieu, car la vraie connaissance de Dieu fut en eux sur quelque point, car ce qui est connu de Dieu, c’est-à-dire ce que l’homme peut connaître de Dieu par la raison, est manifeste en eux, c’est-à-dire est manifeste pour eux par ce qui est en eux, à savoir par la lumière intérieure14.
Ces lignes sont comme une explicitation d’un point décisif du discours athénien qui parle de la capacité humaine de connaître Dieu par la seule raison. Dans la suite du texte cité, Thomas fait d’ailleurs directement allusion à ce discours pour bien préciser, grâce au rappel de l’inscription sur l’autel, qu’il faut bien distinguer la connaissance de l’existence et de l’essence divine15. Et pour bien se faire comprendre, Thomas poursuit son excursus en développant l’idée de la triple voie par laquelle l’homme peut découvrir quelque chose de Dieu : par la causalité, l’existence d’un premier principe ; par la voie de l’éminence, la transcendance de Dieu : on peut ainsi connaître qu’il est au-delà de tout. La voie de la négation vient parfaire cette démarche16. Il est vrai que Thomas n’a pas explicitement commenté le discours paulien de l’Aréopage ; toutefois, il a répondu de manière indirecte mais très claire à l’une des questions que ce discours pose : Paul s’adresse aux sapientes gentilium. De ce fait, Thomas se demande, à son tour, comment on peut parler et discuter avec ceux qui n’ont pas la foi ; en effet, dans le dialogue avec les philosophes, il faut parler leur langage qui est celui de la seule raison. On pourrait énoncer l’hypothèse que la Somme contre les gentils sera un vaste développement du programme articulé dans le discours sur l’Aréopage. En effet, après avoir clarifié que les musulmans et les non-croyants n’acceptent pas l’autorité de l’Écriture, Thomas explique qu’il faut par conséquent se servir de la raison naturelle dans la discussion avec eux17 : il dit explicitement que son intention est de rechercher par la voie de la raison ce que la raison humaine peut découvrir de Dieu18.
On peut comparer cette approche thomasienne du discours paulien à celle de s. Augustin qui a consacré à ce texte un sermon entier, le sermon 15019. Convaincu que la philosophie est recherche du bonheur, Augustin ne propose pas une interprétation suivie de l’intervention paulinienne à Athènes, mais il met en scène dans son sermon une discussion avec les philosophes avec lesquels Paul aurait discuté, à savoir les stoïciens et les épicuriens. Ce qui est frappant c’est qu’Augustin parle avec eux comme avec des pairs, comme un philosophe. Il interprète le christianisme comme une sagesse supérieure qui répond mieux que la philosophie aux questions que la philosophie pose. Nous retrouvons ainsi l’itinéraire personnel d’Augustin qui cherchait chez les philosophes ce à quoi il trouvera finalement la réponse dans la foi chrétienne. Le problème du rapport entre sagesse païenne et foi chrétienne ne se pose pas tant comme une rencontre entre deux approches de la vérité entre lesquelles il faudrait chercher un accord. Augustin conçoit plutôt la philosophie et la foi chrétienne comme une réponse à une même aspiration humaine, le désir du bonheur20.
Bien plus suggestif que ce sermon sont quelques-uns des très nombreux autres textes où Augustin fait référence au passage de Paul à Athènes, pour rappeler que les païens ont découvert certaines vérités concernant Dieu. Comme Thomas, Augustin est convaincu que les Gentils ont découvert certaines vérités concernant Dieu :
Que les sages païens aient connu le Créateur, saint Paul le montre clairement dans son discours aux Athéniens. Car, après ces paroles : « C’est en lui que nous avons l’être, le mouvement et la vie », il ajoute : « Comme plusieurs l’ont dit parmi vous ». S’il accuse d’abord l’impiété des Gentils, c’est afin de prouver ensuite qu’ils peuvent, en se convertissant, parvenir à la grâce. Car il ne serait pas juste qu’ils subissent la peine de leur impiété, sans recevoir la récompense due à leur foi21.
Face aux Donatistes, il insiste sur le fait que Paul n’a pas détruit ces doctrines païennes, mais s’en est servi pour enseigner la vraie doctrine :
Cependant, il y avait encore certaines doctrines de vérité, reconnues par les philosophes païens, sur le Dieu qu’ils ne connaissaient pas ; non seulement l’Apôtre ne condamne pas ces doctrines, mais il s’en sert comme de témoignages. En effet, traitant de la nature de Dieu devant les Athéniens, il leur cite ces paroles : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être, comme l’ont affirmé quelques-uns d’entre vous ». Or cette vérité, que saint Paul invoque bien loin de la détruire, les philosophes païens la retenaient captive dans l’iniquité de leur idolâtrie, et c’est cette idolâtrie que la doctrine apostolique sapait dans ses derniers fondements22.
Un long excursus dans le Contra Cresconium grammaticum et Donatistam compte parmi les interprétations les plus suggestives que propose Augustin de l’épisode athénien. Dans ce passage, Augustin explique à son interlocuteur qu’il faut suivre le Christ qui n’a pas dédaigné de discuter avec ses adversaires. Augustin invoque les Actes pour rappeler que Paul n’a pas non plus hésité à discuter avec les épicuriens et les stoïciens23. Se référant à l’exemple de Paul, Augustin s’engage dans une longue et remarquable apologie de la logique ; il rappelle la nécessité de la logique pour un exercice correct de la théologie : Paul était logicien et un maître de la discussion. Augustin cite à ce propos plusieurs passages de l’Écriture qui invitent à la dispute, dont le but est de découvrir la vérité par le rejet de ce qui est faux, une démarche qui inclut à la fois l’autocritique et la reconnaissance de ce qu’il y a de vrai dans la position de l’interlocuteur :
Celui qui est un vrai dialecticien, c’est-à-dire capable de discerner le vrai du faux, commence d’abord par bien s’assurer lui-même qu’il n’est pas victime d’une erreur, et il n’ignore pas qu’il a besoin pour cela du secours de Dieu. Ensuite, quand il se met en mesure de faire partager aux autres ses propres convictions, il étudie avant tout ce qu’il peut y avoir de vrai chez eux, afin que, appuyé sur cette vérité, il puisse les amener à ce qu’ils ignoraient ou à croire ce qu’ils rejetaient ; et c’est ce qu’il fait en leur prouvant que ce qu’il leur enseigne n’est que la conséquence de ce qu’ils savaient ou croyaient. De cette manière, ils sont forcés d’admettre, à partir de ce à quoi ils consentaient déjà, d’autres vérités qu’ils repoussaient auparavant ; et ainsi ils en viennent à regarder comme vrai ce qui auparavant leur paraissait faux, et ils discernent la vérité du mensonge avec d’autant plus de facilité que ce qu’ils admettent en dernier lieu ne leur paraît être que la conséquence nécessaire de ce qu’ils soutenaient auparavant24.
Ce long extrait enseigne que le penseur chrétien doit avoir recours à la science et à la sagesse profane pour progresser dans l’intellectus fidei. Sur ce point, Augustin a transmis au monde latin l’allégorie de la spoliation des Égyptiens25 qu’avant lui Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène et Ambroise avaient déjà explorée. Sa doctrine sur ce point capital est résumée dans le De doctrina christiana :
Quant à ceux que l’on appelle philosophes, si par hasard ils ont émis des idées vraies et conformes à notre foi, tout particulièrement les platoniciens, non seulement on ne doit pas redouter ces idées, mais il faut les leur réclamer pour notre usage, comme à d’injustes possesseurs : Voyez le Égyptiens26.
Augustin explique longuement que les Égyptiens possédaient de l’or et des vases précieux que les Israélites ont emportés, sur l’ordre de Dieu. Il en va de même des doctrines des païens ; les chrétiens doivent leur enlever ces biens pour en faire un usage juste27. Les passages de l’Exode auxquels Augustin fait allusion (3,22 ; 11,2 ; 12,35) figurent ainsi une démarche méthodique. Et Augustin veut ainsi faire comprendre sans ambiguïté que l’étude des textes sacrés ne peut se passer du soutien de la philosophie.
Notre première enquête atteste non seulement que, selon certains textes bibliques eux-mêmes et d’après certains exégètes chrétiens, il convient de reconnaître ce que la raison naturelle peut découvrir sur le principe premier, mais nous pouvons aussi constater que les objets précieux dont le théologien dépouille les philosophes païens sont un soutien indispensable pour la lecture approfondie des textes sacrés. L’histoire de l’interprétation de la Bible montre que cette démarche a été suivie et que l’on a tenté de clarifier le sens du texte sacré à l’aide des sciences profanes et de la philosophie en particulier.
IIO
Cette image de la spoliation des Égyptiens et son double complémentaire, l’évocation de la belle captive28, n’épuisent cependant nullement le sujet. En effet, le savoir profane et la philosophie sont envisagés comme des instruments auxiliaires pour l’herméneutique biblique. Nous devons à présent envisager un autre paradigme : la présence de doctrines philosophiques dans les textes bibliques. Il vaut la peine, pour l’étude de cet aspect de la question, de s’arrêter à la réception et l’interprétation du verset 1,8 du Cantique des Cantiques29 : l’amant demande à sa bien-aimée où elle va faire paître ses brebis, et poursuit :
Si tu l’ignores, ô la plus belle des femmes, suis les traces du troupeau et mène paître tes chevreaux près de la demeure des bergers30.
La traduction en grec et en latin de ce passage a ouvert la voie à une étonnante compréhension de ce verset. Voici la traduction latine :
Si ignoras te o pulchra inter mulieres egredere, et abi post vestigia gregum et pasce hedos tuos iuxta tabernacula pastorum31.
En effet, dans son commentaire du Cantique des Cantiques, qui n’existe plus que dans la traduction latine de Rufin32, Origène explique longuement que ce verset est la version biblique du célèbre Γνῶθι σεαυτόν (« Connais-toi toi-même ») de la tradition grecque33 et philosophique. Et il précise :
Or cela, Salomon qui les a tous devancés par le temps, la sagesse et la science des choses, comme nous l’avons montré dans notre prologue, le dit à l’âme, lui parlant comme à une femme sur un ton de menace : Si tu ne te connais pas etc.34
Cette citation exige deux remarques : 1o Non seulement Origène rapproche la sentence grecque du verset du Cantique des Cantiques, mais il affirme simultanément que Salomon a découvert le premier l’impératif de se connaître soi-même. Il renvoie lui-même au prologue de son commentaire où il aborde longuement le fameux thème des Grecs voleurs de la sagesse biblique. Origène précise ensuite que le livre des Proverbes enseigne l’éthique, l’Ecclésiaste la physique et que le Cantique des Cantiques est le livre qui contient la troisième, et la plus haute discipline qu’est la métaphysique. Ce thème des larcins que les Grecs firent aux Écritures est connu par les auteurs juifs et chrétiens – notamment chez Clément d’Alexandrie –, mais il est intéressant que notre auteur l’applique ici au cas concret du Γνῶθι σεαυτόν. 2o Origène affirme que Salomon adresse notre verset à l’âme : « ad animam quasi ad mulierem [...] loquens. » Cette remarque confirme qu’Origène « est vraiment l’inventeur » de la signification individuelle du Cantique des Cantiques35. Le commentateur invite le lecteur à comprendre ce qui est dit dans le texte sacré de la bien-aimée ou de l’épouse comme étant dit de l’âme humaine. L’interprétation qu’Origène propose du verset 1,7 et qui lit le texte du Cantique dans le sens du « Connais-toi toi-même » présuppose cette intellection du texte sacré.
Il vaut la peine de consulter l’interprétation que proposent certains auteurs de l’impératif exprimé dans le verset 1,7 : « Si ignoras te ». Plusieurs exégètes anciens refusent explicitement le sens que Macrobe avait donné au précepte delphique, en suggérant qu’il faut entendre l’impératif delphique comme s’il signifiait « Sache que tu es Dieu »36. De manière opposée, Ambroise comprend le verset du Cantique des Cantiques comme une invitation adressée à l’homme qui doit comprendre qu’il n’y a pas de connaissance de soi sans la conscience de la mortalité37. L’auteur qui cependant a été le plus attentif à cette idée que la connaissance de soi est d’abord et en premier lieu reconnaissance de l’humaine misère, faiblesse et indigence est Bernard de Clairvaux. Selon le cistercien, la connaissance de soi amène l’homme à comprendre qu’il est néant, elle lui fait connaître ce qui lui manque. Dans le traité De la considération dédié au pape Eugène III, il le dit explicitement : « Connais-toi afin que tu saches ce qui te manque »38. Dans une page admirable du Traité de l’amour de Dieu, Bernard développe cette compréhension du précepte contenue dans le verset 1,7 du Cantique des Cantiques par une démarche métaphysique, en insistant sur le fait que tout homme – et donc même l’infidèle et l’incroyant – peut se rendre compte qu’il n’est pas lui-même à l’origine de son être et que son être est donné. Selon Bernard, c’est avec certitude que l’on peut connaître cela. Il est indéniable que nous rencontrons chez Bernard une certaine préférence pour l’exégèse du précepte contenu dans le verset 1,7 qui met en évidence la misère de l’homme. À ce propos, on peut rappeler que le cistercien rapproche l’absence d’une authentique connaissance d’un passage de l’Épître aux Galates (6,3) où Paul dit : « Si quelqu’un se prend pour quelque chose alors qu’il n’est rien, il est sa propre dupe. »
L’ami de Bernard de Clairvaux, Guillaume de Saint-Thierry comprend un peu différemment le sens du précepte et souligne que se connaître soi-même revient à reconnaître sa dignité.
Ainsi le Nosce te ipsum possède chez Guillaume de Saint-Thierry une double fonction : d’abord, se connaître soi-même est nécessaire pour savoir ce que l’homme est et pour découvrir sa dignité ; d’autre part, l’homme doit se connaître soi-même pour connaître Dieu. Une troisième dimension de l’interprétation de Guillaume mérite cependant d’être relevée. L’homme qui se comprend lui-même à partir du monde qu’il n’est pas, est victime d’une aliénation. L’auteur s’exprime à ce propos d’une manière qui mérite d’être soulignée :
« Si tu ne te connais pas » – dit l’époux à l’âme – « va-t-en de moi, loin de ma ressemblance, va au lieu de la dissemblance »39.
Nous rencontrons donc dans ce passage du commentaire de Guillaume le τόπος ἀνομοιότητος (« le lieu de la dissemblance ») du Politique (273d) de Platon, qui a été transmis par l’intermédiaire de Plotin et Augustin40. Chez notre auteur, le syntagme regio dissimilitudinis (« région de la dissemblance ») signifie que l’âme s’aliène, lorsqu’elle se perd dans la distraction du monde, au lieu d’être attentive à elle-même, de se soucier de soi et de se connaître.
Le sermon 36 sur le Cantique des Cantiques de Bernard, qui est consacré à ce passage du Cantique, aborde le thème de la double ignorance, celle de soi et celle de Dieu. Dans ce sermon le cistercien aborde un nouveau thème, celui du rapport entre ignorance et savoir, en se demandant si toute ignorance est condamnable. Bernard s’engage dans un développement sur le savoir licite et illicite, sur l’ignorance permise et interdite. Le verset du Cantique lui fournit donc l’occasion d’une réflexion sur le sens, la légitimité et les limites de tout savoir humain. Si l’on veut découvrir les critères authentiques de la connaissance licite et illicite, il faut selon lui s’interroger sur le modus sciendi :
Tu vois que [s. Paul] n’approuve pas l’homme qui sait beaucoup de choses, s’il ignore la manière de savoir. Tu vois, dis-je, comme il situe le fruit et l’utilité de la science dans la manière de savoir. Pourquoi parle-t-il ainsi de la manière de savoir ? Pourquoi, sinon pour que tu saches dans quel ordre, avec quel soin et à quelle fin il faut connaître quelque chose ?41
En insistant une nouvelle fois sur le primat de la connaissance de soi, il précise : « Ce que nous sommes est premier pour nous »42. Quant à la finalité de toute connaissance, l’attitude de ceux qui veulent savoir à seule fin de savoir est à rejeter, autant que l’attitude de ceux qui veulent connaître pour être connus. Le seul objectif légitime de la connaissance est « savoir pour édifier »43. Lorsque l’on examine avec attention la signification de cette injonction – savoir pour édifier – il s’avère que Bernard veut dire que la connaissance essentielle doit rendre l’homme meilleur, ou autrement dit, il faut « savoir pour bien faire » (« ut bene faciant »)44. L’interprétation du verset 1,7 aboutit par conséquent à un plaidoyer en faveur d’une connaissance, d’un savoir – donc d’une philosophie – qui vise explicitement la formation spirituelle et éthique de l’homme.
Le traité intitulé Mon ignorance et celle de tant d’autres de François Pétrarque est entièrement construit sur la distinction mise en évidence par Bernard entre ignorance de soi et de Dieu. Il est insuffisant d’interpréter ce traité simplement comme une invective contre la philosophie scolastique, car ce texte magnifique – dont on peut dire qu’il est d’inspiration bernardine –, affirme clairement qu’une démarche philosophique qui ne vise pas la connaissance de soi et de Dieu et qui, de plus, ne contribue pas à rendre l’homme meilleur, manque sa véritable vocation45. Dans un long plaidoyer argumenté, Pétrarque développe une conception de la philosophie, opposée au savoir académique et universitaire, qui poursuit un seul objectif : se connaître et connaître Dieu. Seule l’ignorance de ces deux objets est illicite. Mais surtout, et sur ce point le traité de Pétrarque peut à notre avis être rapproché des deux sermons de Bernard sur le verset du Cantique, une connaissance sans finalité éthique ne mérite pas que l’on s’y consacre :
C’est donc là qu’on trouvera les vrais maîtres de philosophie morale, les professeurs de vertu dont on a besoin. Leur première et dernière intention, c’est de rendre bon le lecteur ou l’auditeur. Ils ne se contentent pas d’enseigner ce que sont la vertu et le vice, ni de remplir les oreilles du son éclatant de la première et lugubre du second ; ils pénètrent les cœurs de zèle et d’amour pour le meilleur, de haine et de répulsion pour le pire46.
Les auteurs dont nous avons évoqué l’interprétation du verset 1,7 du Cantique des Cantiques comprennent tous le verset biblique dans le sens d’un primat de la connaissance de soi. La primauté de droit de cette connaissance implique aussi une certaine antériorité dans l’ordre de l’acquisition et de la saisie de la connaissance. Selon notre évaluation cependant, l’aspect le plus fascinant dans ces explications du verset réside dans la la conception de la philosophie qui y est enseignée. Cette conception de la primauté de la connaissance de soi suppose une certaine méthode et elle peut être décrite par son objet spécifique, mais ce qui définit à notre avis en premier lieu la manière de philosopher est la conviction que la philosophie est d’abord une activité qui concerne le sujet philosophant lui-même et qui le transforme, non seulement dans sa façon de penser, mais encore dans sa manière d’être un homme.
III
Dans un premier temps, nous avons examiné comment un texte biblique célèbre prend position sur la place de la philosophie et permet ainsi d’autoriser la dépouille des Égyptiens ; dans un second moment, nous avons étudié un cas significatif de ce qu’on a appelé, à la suite d’Origène, le larcin des Grecs. Il est à présent intéressant d’envisager un troisième phénomène : la Bible comme source directe d’une réflexion philosophique. Tout d’abord, il est tout à fait étonnant, voire stupéfiant, de noter que deux textes bibliques évoquent la possibilité de la négation de l’existence de Dieu : Dixit insipiens in corde suo, non est Deus (Ps 13,1 et 52,1). Il est extrêmement instructif d’étudier la réception de ces deux passages à travers toute l’histoire de la pensée médiévale, non pas pour savoir si l’on peut, comme le prétend Olaf Pluta, parler d’un athéisme médiéval47, mais pour observer comment il est possible de comprendre et d’interpréter la proposition : « non est Deus ». Commentant le Psaume 52, Augustin est d’avis que le nombre de ceux qui affirment cela est négligeable :
L’insensé a dit en son cœur : « Il n’y a point de Dieu ». Voilà bien les hommes au milieu desquels souffre et gémit le corps du Christ ; et, si telle est cette classe d’hommes, le nombre de ceux que nous enfantons est bien petit ; autant que nous pouvons en juger, il n’y a guère de ces insensés ; il paraît bien difficile de rencontrer un homme qui dise en son cœur : « Il n’y a point de Dieu ». Leur nombre est si restreint qu’ils craignent de s’exprimer ainsi dans la foule où ils vivent : c’est leur cœur qui le dit, car leur bouche n’oserait proférer de telles paroles. Il y en a donc bien peu que nous soyons obligés de supporter, c’est à peine si l’on en peut rencontrer48.
Il est cependant fort intéressant de rendre attentif à l’usage que fait Augustin des deux citations des Psaumes dans le contexte de ce que l’on a l’habitude d’appeler des preuves de l’existence de Dieu. Il faut à ce propos examiner le deuxième livre du De libero arbitrio d’Augustin. Les paroles d’Augustin qui introduisent sa démarche livrent une première réponse à la question de la fonction de ces preuves :
Si donc l’un de ces insensés, dont il est écrit : L’insensé a dit en son cœur : Dieu n’existe pas, venait de parler de la sorte, s’il refusait de croire ce que tu crois, tout en voulant savoir si ce que tu crois est vrai, abandonnerais-tu ce particulier, ou bien estimerais-tu devoir lui inculquer de quelque façon ce que tu crois fermement, surtout s’il voulait, non pas discuter avec entêtement, mais chercher la vérité avec ardeur ?49
Ce texte nous apprend deux choses : premièrement, qu’Augustin se réfère à un interlocuteur qui met en question le bien-fondé de la foi chrétienne et de la thèse de l’existence de Dieu. Deuxièmement, qu’il considère comme son devoir de répondre à cet interlocuteur. Or cette apologie vise à démontrer la légitimité des contenus de la foi devant le tribunal de la raison. La preuve qui suit remplit donc une double fonction : d’un côté, elle veut démontrer la rationalité de la foi en l’existence de Dieu et de l’autre, elle entend convaincre l’interlocuteur. Nous pouvons par conséquent dire que celui qui nie l’existence de Dieu, personnage que le Psaume évoque, incite dans ce cas Augustin à mieux fonder sa propre position de croyant et de philosophe. Un examen attentif de l’œuvre augustinienne confirme par ailleurs qu’il identifie bien l’insipiens du Psaume à un philosophe. Dans son commentaire du Psaume 13, il précise cependant que très peu de personnes osent nier publiquement l’existence de Dieu, même si, peut-être, elles l’admettent intérieurement50.
Le texte parallèle, dans le commentaire du Psaume 52, confirme cette identification de l’insipiens avec les philosophes. De nouveau, Augustin précise que ces négateurs sont extrêmement rares. Cela peut nous étonner, si nous constatons la place que l’insipiens va occuper dans le Proslogion d’Anselme de Canterbury. Cette constatation peut encore plus nous surprendre si nous tenons compte du nouveau contexte dans lequel Anselme se préoccupe de ce personnage du Psaume. Au temps d’Augustin, le terme philosophus revêt encore une signification concrète ; il y a encore des philosophes qui, au moins potentiellement, sont des négateurs de l’existence de Dieu. Dans le De civitate Dei V, 9, Augustin émet en effet l’hypothèse que même Cicéron, à un moment donné, n’aurait pas exclu cette idée51. Dans le Monologion, qui précède le célèbre Proslogion, le bénédictin explique sans détour que ce sont ses frères qui lui ont demandé un exemple de méditation52. Il rappelle cela au début du second traité :
Après avoir publié, pressé par les prières de quelques frères, un certain opuscule (Monologion) comme un exemple de méditation sur le sens de la foi, fait au nom de quelqu’un qui chercherait ce qu’il ne sait pas par un silencieux raisonnement avec lui-même, considérant qu’il est constitué par un enchaînement de nombreux arguments, j’ai commencé à rechercher s’il n’était pas possible de trouver un argument qui, pour être probant, n’aurait eu besoin que de soi-même, qui suffirait seul pour démontrer que Dieu est véritablement, qu’il est le bien suprême, qui n’a besoin d’aucun autre, et dont tous ont besoin pour être, et aussi tout ce que nous croyons de la substance divine53.
Se référant expressément à cette première tentative d’une preuve de l’existence de Dieu, Anselme se réfère plus tard explicitement dans le Proslogion au Psaume pour tenter une preuve irréfutable de cette existence :
Ainsi donc, Seigneur, toi qui donnes l’intelligence à la foi, accorde-moi de comprendre, autant que tu le trouves bon, que tu es, comme nous le croyons, et que tu es tel que nous le croyons. Or nous croyons que tu es quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand. Est-ce qu’une nature pareille n’existe pas, parce que l’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu ?54
Ce passage exige un bref commentaire : le contexte monastique est indéniable. N’oublions pas que le traité commence par une prière. Ensuite, il est aussi patent qu’il s’agit pour ce moine de démontrer la rationalité de la foi ; « sola ratione persuadere » (« persuader par la seule raison ») est son programme qu’il avait déjà exposé au début du Monologion55. Dans notre passage, il s’agit d’intelliger que Dieu est comme on le croit. La convergence entre foi et raison est donc visée. Le passage du Psaume accentue en quelque sorte l’urgence d’une telle recherche. Il faut toutefois noter qu’Anselme accorde à la parole du Psaume et à son contenu (une explicite négation de l’existence de Dieu) une place beaucoup plus importante, ajoutant à son traité une seconde réfutation en donnant la parole à quelqu’un qui répond à la place de l’insipiens56. Anselme donne donc explicitement la parole à quelqu’un qui veut défendre la position du négateur de l’existence de Dieu. On peut par conséquent affirmer que la place de celui qui nie l’existence de Dieu est bien plus grande que chez Augustin. Évidemment, on peut penser de l’entreprise anselmienne qu’elle est totalement vaine et illusoire, il n’en reste pas moins qu’il est tout de même étonnant, voire stupéfiant, qu’un moine qui passe plusieurs heures de la journée à prier dans l’église s’adonne à un exercice intellectuel qui consiste à postuler, voire à construire un adversaire qui met en question le fondement même de la vocation personnelle du moine lui-même.
Ce qui toutefois est encore plus significatif pour notre propos est qu’Anselme conclut qu’il est impossible de penser que Dieu ne soit pas :
Ce (dont nous parlons) existe, si bien qu’il est impossible de penser qu’il n’existe pas. On peut en effet concevoir quelque chose dont on ne peut pas penser qu’il n’existe pas ; (un tel être) est supérieur à quelque chose dont on peut penser qu’il n’est pas. Si donc on peut penser que ce quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand n’est pas, il n’est pas ce quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand ; ce qui ne peut pas convenir. Si par conséquent il y a vraiment quelque chose dont on ne peut rien concevoir de plus grand, on ne peut pas penser qu’il n’est pas57.
Dans le chapitre suivant, il est par conséquent obligé d’expliquer que l’on peut bien dire, articuler, énoncer la non-existence de Dieu (intérieurement ou extérieurement), mais on ne peut pas la penser. Celui qui pense Dieu ne peut en aucun cas penser qu’il n’est pas58. Anselme a trouvé au XIIIe siècle un éloquent défenseur en la personne de Bonaventure qui, dans les Questions disputées sur le mystère de la Trinité, explique avec toute l’ampleur nécessaire qu’il est impossible de douter de l’existence de Dieu59. Il faudrait ici longuement commenter ce texte remarquable qui analyse avec minutie les divers degrés de ce qui est dubitabile (ce dont on peut douter) et qui tente finalement de prouver que nier l’être de Dieu vient d’un défaut du sujet connaissant. Ce qui est essentiel pour l’évaluation correcte des positions dont nous venons de parler (Augustin, Anselme, Bonaventure) est le fait que ces auteurs sont convaincus que l’approbation de l’existence de Dieu est une nécessité de la pensée (Denknotwendigkeit). Selon eux, il ne s’agit pas du tout d’une vérité qui serait imposée de l’extérieur à la raison, mais une vérité que la raison ne peut pas ne pas penser. Il s’agit certes d’une tentative de réfuter la négation de l’existence de Dieu – et nous pouvons même admettre que la démarche soit apologétique –, mais elle n’est pas imposée par une quelconque autorité extérieure et contraignante. On peut certes mettre en doute les critères qui régissent dans ce cas la conception de la pensée, mais il ne reste pas moins que cogitare, dans tous les cas, est un acte de l’homme qui est censé être conforme aux normes de la raison humaine.
L’insipiens d’Anselme est sans doute une figure construite, mais, pouvons-nous dire, il porte la cuculle monastique. Il est intéressant d’enquêter sur le visage de l’insipiens chez d’autres auteurs. Le cas d’Albert le Grand peut retenir notre attention, car, contrairement aux auteurs que nous venons de citer, le philosophe allemand confirme qu’il est possible de penser que Dieu n’existe pas. D’abord pour confirmer que l’homme peut penser que Dieu n’existe pas, Albert invoque bien entendu le Psaume en question, mais il invoque d’autres passages bibliques qui semblent affirmer la même possibilité60. Ce qui cependant est décisif est ceci : Albert admet – contrairement à Bonaventure et Anselme – la pensée de la non-existence de Dieu : « Donc, ils peuvent penser que Dieu n’est pas ; donc, on peut penser que Dieu n’est pas. » On découvre chez le philosophe allemand dans ce contexte un argument qui est original et digne d’attention. Se référant à Avicenne, Albert fait remarquer que l’homme peut nier tout ce qu’il affirme, comme il a la possibilité d’affirmer tout ce qu’il nie. Albert lui-même attribue cette possibilité à la liberté humaine : « Et comme dit Avicenne, l’homme n’affirme rien qu’il ne peut nier, et il ne nie rien qu’il ne peut affirmer, et il ne pense rien dont il ne peut se détourner. »61 Il est tout à fait remarquable que l’auteur mette, au moins indirectement, la possible négation de l’existence de Dieu en relation avec la liberté de l’homme. L’exemple qu’il avance et qui se réclame d’Aristote diminue cependant un peu la portée de cet argument, car Albert parle de l’œil dont la vision est empêché par la fumée et qui pour cette raison affirme que quelque chose existe qui n’est pas et prétend que n’existe pas ce qui existe.
Si nous examinons le cas de Thomas d’Aquin, les données sont encore plus claires. Le docteur dominicain cite explicitement seize fois l’énoncé des deux Psaumes, dont cinq fois dans son Commentaire de ces deux Psaumes. Le commentaire du Psaume 52 mérite le plus d’attention. Thomas explique ici qu’il y a des choses qui sont en-dessous ou au-dessus de notre capacité de connaître. Dieu est au-dessus : nous ne pouvons pas saisir immédiatement que la proposition « Deus est » est une proposition analytique où le prédicat est inclus dans le sujet, comme nous allons le voir62.
Parmi les autres occurrences, il faut s’intéresser aux trois textes majeurs où est posée la question de savoir si l’être de Dieu est évident (per se notum) : Sent. I, d. 3, q. 1, art. 3, la question disputée De veritate 10, art. 12 et la Somme théologique I, q. 2, art. 1. Le texte du De veritate est le plus riche, et nous allons l’examiner d’un peu plus près. Ce texte important, débute, selon les règles de l’art, par une double série d’arguments pour et contre la thèse suggérée dans la question : Est-ce que l’existence de Dieu est évidente, connue par soi ? Au début de sa réponse, Thomas explique que l’on peut distinguer trois réponses à cette question et il exemplifie ces trois réponses par trois positions historiques, celle de Maïmonide, celle d’Avicenne et celle d’Anselme. Selon cet exposé Maïmonide rejetterait non seulement l’idée de l’évidence de l’existence de Dieu, mais encore contesterait aussi la possibilité d’une preuve de cette existence, critiquant l’impuissance de toutes les tentatives de démonstration. Avicenne rejette également l’opinion de ceux qui considèrent cette existence de Dieu comme évidente, mais il envisage la possibilité d’une démonstration scientifique. Quant à Anselme, selon l’exposé thomasien, il pense que « personne ne peut penser que Dieu n’est pas, bien que l’on puisse proférer cela extérieurement. » Pour bien comprendre l’enjeu de l’analyse thomasienne, il convient de préciser d’abord ce qu’il faut entendre, quand on dit que l’existence de Dieu serait connue par soi (per se notum). Il s’agit ici d’une expression technique. Une proposition connue par soi – propositio per se nota – est une proposition où le prédicat est inclus dans le sujet63. En termes thomasiens :
Pour qu’une chose soit connue par soi, il est seulement exigé que le prédicat entre dans la détermination du sujet ; dans ce cas en effet, le sujet ne peut être pensé sans qu’il soit clair que le prédicat inhère au sujet64.
L’exemple classique que Thomas cite maintes fois est : le tout est plus grand que la partie ; nous pourrions aussi dire : un triangle comporte trois côtés. Comme le précise à juste titre Thomas, afin que nous soyons vraiment en présence d’une proposition connue par soi, il est exigé que nous connaissions parfaitement l’essence du sujet de la proposition : la proposition sur le triangle n’est évidente que pour celui qui sait vraiment ce qu’est un triangle. On voit dès lors clairement pourquoi la proposition « Deus est » n’est pas connue par soi et ne peut même pas l’être pour les hommes. Pour les êtres que l’homme connaît par son expérience, l’existence n’est jamais nécessaire. Nous savons que la proposition : « Jacob est » est vraie à un moment donné (si l’individu de ce nom est devant nous), mais il aurait pu arriver que ce Jacob n’existe jamais, et surtout son exister n’est pas assuré : il peut disparaître à tout moment. Il en va autrement en Dieu :
Mais en Dieu, son existence (son être) est incluse dans la détermination / notion de sa quidité, car en lui sont identiques l’être et ce qu’il est / l’essence, comme dit Boèce, et (la question) s’il est et la (question) ce qu’il est sont identiques, comme dit Avicenne. Voilà pourquoi (la proposition « Dieu est ») est évidente. Toutefois, parce que la quidité de Dieu n’est pas connue de nous, pour nous (la proposition) « Dieu est » n’est pas connue par soi, mais exige une démonstration65.
En soi, la proposition « Dieu est » est donc une proposition per se nota où le prédicat est inclus dans le sujet, puisqu’en Dieu essence et être sont identiques ; donc l’être lui est immédiatement accordé. Mais pour l’homme qui ne peut connaître l’essence divine, cette proposition n’est pas connue par soi. Il faut prouver son contenu à partir des objets que l’on peut connaître pour en découvrir la cause.
Ce qui pour notre propos est décisif est le fait que Thomas rejette clairement la position de ceux qui pensent qu’on ne peut pas ne pas penser l’être de Dieu. Autrement dit, on peut effectivement penser que Dieu n’existe pas. De fait, Thomas veut montrer que cela est une erreur, mais qu’il est possible de le penser. Non seulement Thomas admet que l’on peut penser que Dieu n’est pas, mais il explique pourquoi cela est possible.
Il vaut la peine d’examiner rapidement les arguments que Thomas cite en faveur de la non-évidence de l’existence de Dieu. Il faut en retenir trois. (a) Pour rappeler que l’on peut mettre en question l’existence de Dieu, Thomas note que cette existence est un objet de foi66. Or, tout ce que nous pouvons croire peut être mis en question : « Or un doute peut surgir à propos de tout ce qui est objet de foi. » (b) Dans un autre argument, on parle de ce que la raison distingue : nous distinguons le sujet et le prédicat de cette proposition « Dieu est ». Or, dit Thomas : « De deux choses que la raison distingue, l’une peut être pensée sans l’autre. » L’homme peut penser Dieu sans lui attribuer l’être67. (c) Peut-être, l’argument le plus intéressant est le troisième que nous retenons :
Pour Dieu, être Dieu et être juste sont une même chose. Or certains avancent l’opinion que Dieu n’est pas juste, disant que les maux plaisent à Dieu. Quelques-uns peuvent donc avoir l’opinion que Dieu n’existe pas, et ainsi, l’existence de Dieu n’est pas évidente68.
Il me semble digne d’attention que Thomas tienne compte de l’objection par excellence contre l’existence de Dieu, celle du mal dans le monde. Dans tous les cas, deux choses me paraissent être indéniables en ce qui concerne la position de Thomas d’Aquin. Premièrement, pour lui la négation de l’existence de Dieu est une question théorétique réelle qu’il entend traiter avec diligence. Mais nous devons préciser que la présence de cette problématique dans l’ordre de la connaissance ne permet aucune conclusion sur l’existence factuelle d’un athéisme pratiqué ou professé au moyen âge. Deuxièmement dans son approche théorétique Thomas combat deux adversaires dont l’un est clairement identifiable, l’autre, plus abstrait. Le premier adversaire est un penseur qui prétend que l’existence de Dieu est évidente, ce qui veut dire immédiatement connue. La proposition « Dieu est » possèderait la même clarté évidente que les premiers principes de la connaissance. Il est possible d’identifier les auteurs qui sont ainsi visés : avant tout Anselme et Bonaventure. Non seulement l’autre adversaire nie l’évidence de cette proposition, mais il affirme : « Deus non est ». Il n’est pas possible d’identifier cet adversaire, mais, pour l’histoire intellectuelle, il est décisif que Thomas considère cette position évidemment comme fausse, mais discutable. Il ouvre ainsi un champ d’investigation nouveau. En se fondant sur les deux Psaumes, Anselme avait donné la parole pour un instant à celui qui dit : « Non est Deus », mais il avait immédiatement clos le débat en prétendant qu’il ne pouvait pas vraiment penser ce qu’il dit. Certes, Thomas n’est peut-être pas le premier à modifier les données de ce débat, mais chez lui, du moins, l’existence de Dieu devient réellement questionnable, devient un problème pour le philosophe. Il est vrai qu’il pense que la question peut être résolue, mais elle est posée. Il est à notre avis intéressant de noter que, dans le texte des questions disputées que nous avons évoqué, il met cette interrogation sous le patronage de trois figures emblématiques, Maïmonide, Avicenne et Anselme – un juif, un musulman et un chrétien –, comme s’il voulait signaler que, pour les trois religions monothéistes, la question de Dieu est posée d’un point de vue philosophique et ne pourra plus jamais être écartée. Ce qui pour notre propos est décisif est le fait que nous sommes ici en présence d’une donnée particulière : le texte biblique a inspiré l’examen d’une question qui dorénavant ne pourra plus être écartée du domaine de la philosophie.
IV
Si les deux passages des Psaumes ont inspiré et influencé incontestablement la spéculation philosophique sur Dieu, cela est pareillement vrai de l’épisode du Buisson ardent, dont il est question dans Exode 3. Lorsque Moïse demande à Dieu qui lui est apparu « in flamma ignis de medio rubi » et comment il doit désigner celui qui l’a envoyé auprès du peuple, Dieu lui répond (selon la version de la Vulgate) : « Dixit Deus ad Mosen “Ego sum qui sum” ait sic dices filiis Israhel “qui est” misit me ad vos. »69
La traduction de la phrase centrale ehjeh asher ehjeh pose beaucoup de problèmes. Ce qui est toutefois déterminant est le fait que la traduction de la Septante, Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν, a ouvert le chemin à ce que nous pouvons appeler l’interprétation ontologique de ce passage, interprétation dont Philon d’Alexandrie est sans doute le pionnier. Étienne Gilson n’a pas seulement forgé la désignation « métaphysique de l’Exode » pour identifier cette compréhension, mais il a lié cette appellation à l’idée de philosophie chrétienne :
Il n’y a qu’un Dieu et ce Dieu est l’être, telle est la pierre d’angle de toute la philosophie chrétienne et ce n’est pas Platon, ce n’est pas Aristote, c’est Moïse qui l’a posée70.
Selon le philosophe français, la quintessence de cette métaphysique de l’Exode, fondement de toute la philosophie chrétienne, réside dans la thèse de l’identité de l’être et de l’essence, telle que, selon Gilson, Thomas d’Aquin l’a articulée71. S’il est de fait incontestable que ce passage de l’Exode a provoqué une très féconde spéculation philosophique sur le principe premier72, il est par contre impossible de maintenir l’interprétation gilsonienne du processus et de la signification de cette interaction très particulière entre la lecture biblique et la philosophie médiévale.
Pour renforcer cette critique et surtout pour mieux saisir le sens philosophique que certains auteurs ont découvert dans ce passage biblique, l’examen de la réception augustinienne du texte est indispensable73. Le dossier est immense, mais il existe un texte qui contient les éléments essentiels. Il s’agit du commentaire du Psaume 101, sermon 2. En proposant une exégèse du verset 25, « Tes années durent de générations en générations », Augustin explique le sens et la portée de la proposition : « Je suis celui qui suis ». La parole du Psaume fait penser à Augustin à l’exiguïté de ses jours et à son expérience de la finitude. Cette référence suggère d’opposer à cette continuelle instabilité la divine immutabilité :
Car les années de Dieu ne sont autres que lui-même ; or, ces années sont l’éternité de Dieu ; et l’éternité de Dieu, c’est la substance de Dieu qui n’a rien de changeant ; en lui, il n’y a rien de ce passé qui ne serait déjà plus, ni de cet avenir qui ne serait point encore74.
C’est cette éternité qui est exprimée par la formule de l’Exode ; elle articule le magnum Est :
Il n’y a en lui rien autre que « Il est » ; il n’y a ni « Il fut », ni « Il sera », car ce qui fut n’est plus, ce qui sera n’est point encore ; mais en Dieu tout EST75.
On peut donc dire : « Magnum ecce Est, magnum Est ». Augustin comprend par conséquent l’être divin comme éternité, immutabilité et identité, s’inspirant du Psaume lui-même :
Qui es-tu ? Tu es toi-même le même, toi qui as dit : « Je suis celui qui suis », tu es le même. Et, bien que les créatures ne puissent être que par toi, et en toi, néanmoins elles ne sont pas ce que tu es. Tu es en effet le même76.
Cette exégèse augustinienne exige plusieurs remarques. Tout d’abord que l’expérience de la mutabilité, de la temporalité et de la finitude fournit manifestement l’arrière-fond existentiel de cette interprétation qui conçoit Dieu, l’ipsum esse, comme éternelle immutabilité et indéfectible identité. Or il paraît incontestable – comme notamment Werner Beierwaltes l’a montré –, que l’horizon de cette conception de Dieu comme être est à chercher dans la philosophie néoplatonicienne, plus particulièrement chez Marius Victorinus77. Ce dernier est l’héritier du Commentaire du Parménide attribué par Pierre Hadot à Porphyre, où l’identification entre le principe premier et l’être est clairement établie78. Il paraît donc difficile de comprendre cette métaphysique de l’Exode comme spécifiquement chrétienne. Il convient cependant de préciser qu’Augustin lui-même, dans deux sermons remarquables (7 et 223A) invite, en distinguant le nomen aeternitatis ou substantiae et le nomen misercordiae, à séparer cette approche philosophique du texte biblique d’une dimension, cette fois, spécifiquement chrétienne. Dans le sermon 7, après avoir précisé qu’être signifie immutabilité et éternité, et que cela est exprimé par « Je suis celui qui suis », il ajoute qu’il faut distinguer le nom d’éternité et celui de miséricorde :
Son nom étant un nom d’éternité, qui ne serait attendri qu’il ait daigné prendre un nom de miséricorde ? « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. »79
Dans le second texte, il précise que le nom de la substance est incompréhensible pour l’intellect fini, alors que le nom de la miséricorde est accessible à l’homme :
Moïse fut un homme, et il est dans ce qui, comparé à lui, n’est pas : il fut sur terre, dans la chair ; et l’âme fut dans la chair, et donc elle fut changeable, sous le poids de la fragilité humaine. Pouvait-il comprendre ce qui est dit : Je suis celui qui suis ? [...] Comme si Dieu disait à Moïse : ce que j’ai dit – Je suis celui qui suis – tu ne le saisis pas ; ton cœur ne demeure pas, tu n’es pas immuable comme moi et ton esprit n’est pas immuable. Tu as entendu ce que je suis : écoute ce que tu comprends, écoute ce que tu espères. Tu ne peux comprendre le nom de ma substance. Saisis le nom de miséricorde : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob80.
Il est donc nécessaire de corriger l’affirmation gilsonienne péremptoire, en précisant que, dans le cas d’Augustin, la pierre d’angle de sa conception ontologique de Dieu est d’origine philosophique, qu’elle est fortement redevable à la tradition philosophique. Il existe cependant une dimension supplémentaire que nous pouvons appeler spécifiquement chrétienne de sa conception de Dieu. Mais il y a encore une autre correction primordiale qu’il faut apporter à la thèse de la métaphysique de l’Exode. S’il est incontestable que la lecture du fameux passage de l’Exode a largement contribué, dans le monde chrétien, à stimuler l’identification entre Dieu et l’être, il est toutefois impossible de méconnaître la diversité des interprétations de l’être proposées par les différents auteurs. L’identité thomiste entre l’être et l’essence n’est qu’une parmi ces interprétations possibles.
De plus, il est indispensable d’examiner avec attention la manière dont Thomas comprend Ex 3,14. À ce propos, il est d’abord instructif de remarquer quelles sont les autorités invoquées par lui pour montrer que qui est est le nom de Dieu le plus approprié. Parmi les textes qui abordent ce sujet, celui qui ouvre le commentaire de la huitième distinction du premier livre des Sentences est probablement le plus significatif. Or, dans ce passage important, il invoque non seulement Jean Damascène, Denys l’Aréopagite, mais aussi Maïmonide et Avicenne. Ce dernier confirme qu’en Dieu l’être et la quidité sont identiques. Parmi les arguments thomasiens, il faut être attentif à celui qui témoigne d’une conscience méthodique et critique aiguë, puisque Thomas met la formulation biblique en relation avec les questions épistémologiques que pose la connaissance de Dieu pour l’homme, et il établit que le nom qui est représente le plus adéquat, parce qu’il tient compte de l’incognoscibilité de l’essence divine, car ce nom est indéterminé. Voici l’argumentation de la Somme de théologie (I, 13, 11) :
Aussi, moins les noms sont déterminés, plus ils sont généraux et absolus, et plus proprement nous les disons de Dieu. C’est ce qui fait dire à s. Jean Damascène : « De tous les noms que nous donnons à Dieu, nous devons regarder comme principal “Celui qui est”, car Dieu est l’être comprenant tout en soi-même comme une sorte d’océan de substance, infini et sans bords. » Tout autre nom détermine en quelque manière la substance de la chose qu’il nomme, tandis que ce nom « Celui qui est » ne détermine aucun mode d’être ; il est sans détermination à l’égard de tous, et c’est en cela qu’il le nomme un océan infini de la substance81.
Dans le texte du Commentaire des Sentences, il devient clair que ce nom est finalement un aveu de notre ignorance, et ainsi il est possible de rapprocher cette argumentation thomasienne de la théologie négative. Dans un texte remarquable, Thomas indique la démarche progressive de la négation, au terme de laquelle demeure, comme il le suggère, « une certaine obscurité de l’ignorance » :
Donc, quand nous traitons de Dieu par la voie de la négation, nous éloignons d’abord de lui tout ce qui est corporel ; en deuxième lieu, nous nions ce qui est intellectuel dans la mesure où cela peut se trouver dans la créature, comme la bonté et la sagesse ; et alors il ne reste dans notre intellect que le fait qu’il existe et rien de plus : donc, il est comme dans une certaine obscurité. À la fin, nous éloignons de lui-même l’être tel qu’il est dans la créature ; il reste donc dans une certaine opacité de l’ignorance, une ignorance par laquelle, dans l’état de pèlerin, nous pouvons le mieux nous unir à Dieu, comme le dit Denys. Et cela est une certaine obscurité profonde dans laquelle, dit-on, Dieu habite82.
Il vaut la peine, pour nous rendre compte à quel point l’épisode du buisson ardent a inspiré la spéculation philosophique, d’examiner le commentaire que propose Maître Eckhart de ce texte, dans son exégèse du second livre de la Bible. Comme d’autres avant lui, notamment Alexandre de Hales, Maître Eckhart aborde l’interprétation de la phrase « Ego sum qui sum » par le biais de l’analyse sémantique et propositionnelle. Il dépasse toutefois le niveau exclusivement grammatical et syntaxique, pour atteindre la perspective d’une proposition spéculative, proposant plusieurs approches. D’abord il note83 que le prédicat sum affirme et pose l’être pur et nu du sujet ego, ce qui confirme la thèse avicenienne qui dit qu’en Dieu la quidité est l’existence (« quiditas est anitas »), thèse que le maître exprime aussi en disant : « esse enim Dei est quiditas »84. Comme Thomas, Eckhart se réfère à Maïmonide pour élucider la proposition spéculative. Selon le philosophe juif, au chapitre 62 du Guide des égarés, la première occurrence du verbe sum « signifie la substance nue et pure » du créateur, tandis que le second sum dit l’être85. Eckhart conclut donc que le rapport entre prédicat et sujet est ici différent du cas d’une proposition ordinaire où le prédicat parfait le sujet. Dans la proposition spéculative « Ego sum qui sum », le prédicat n’est pas différent du sujet : sujet et prédicat sont identiques :
Quand il dit : « Je suis celui qui suis », il enseigne que le sujet est le prédicat qui est en deuxième place86.
Il s’ensuit que toute altérité est exclue en Dieu. Peut-être l’aspect le plus suggestif et le plus stimulant de l’explication eckhartienne d’Ex 3,14 réside dans l’assertion de la réflexivité de l’être divin, idée inspirée par la proposition 15 du Livre des causes. La répétition indique une certaine conversion réflexive qui exprime une mansio, quelque chose qui demeure :
[...] une certaine conversion reflexive en soi et vers soi, une demeure et un arrêt en soi (ipsius esse quandam in se ipsum et super se ipsum reflexivam conversionem et in se ipso mansionem sive fixionem)87.
Cette conversion réflexive complète de l’être divin suggère la conclusion que cet être est identique à son intelliger. Maître Eckhart – comme d’ailleurs Thomas d’Aquin, à sa manière – estime qu’en Dieu il y a identité entre penser et être. Dans un sermon latin magnifique (XXIX), Eckhart résume sa doctrine à ce sujet (n. 301) :
Il est donc évident que Dieu est unique et qu’il est intellect et intelliger et qu’il est uniquement intelliger absolument sans être quelque chose d’autre. C’est pourquoi Dieu produit l’être des choses par l’intellect, car en lui seul l’être est intelliger ; de plus, rien sauf lui peut être un intelliger pur88.
On sait que dans la fameuse question parisienne, Eckhart fait un pas de plus et formule la thèse que, l’intelliger fondant l’être, « Deus est intelligere »89. Ce qui importe est le fait que Eckhart, explicitement, et Thomas, indirectement, considèrent que l’identité entre l’être et Dieu que le texte biblique – interprété philosophiquement – pose est solidaire et équivalente à la thèse que Dieu est intellect et intelliger. Cette constatation est capitale, dans la mesure où elle manifeste que la spéculation théologico-philosophique sur Dieu au treizième siècle, tout en s’appuyant sur le texte biblique, n’intègre pas seulement la tradition néoplatonicienne et les approches d’Avicenne et de Maïmonide, mais est également redevable à la doctrine aristotélicienne du Dieu-intellect qui se pense lui-même, comme le livre Lambda de la Métaphysique l’enseigne90.
Conclusion
Ces considérations, dont la portée pour l’évaluation de la pensée chrétienne et de son histoire ne sont pas négligeables, permettent de formuler quelques brèves remarques conclusives et en même temps d’expliquer le titre de cet article, titre emprunté au livre des Proverbes de la Bible (v. 5). La citation contient un comparatif : « sapiens sapientior erit » ; elle suggère donc une augmentation de la sagesse. Cette majoration de la sagesse implique une condition : audiens, il faut écouter.
Appliqué à notre sujet, cela signifie dans un premier temps que la philosophie écoute la Bible, que la confrontation entre la philosophie et la Bible apporte un enrichissement au philosopher. Nous pourrions dire aussi que la Bible inspire la philosophie, si nous comprenons le terme inspiration au sens que Thomas lui donne : « Inspiratio autem significat quandam motionem ab exteriori », l’inspiration signifie un certain mouvement de l’extérieur91. En effet, la philosophie a été transformée par la lecture de la Bible qui est quelque chose d’extérieur. Gilson, encore lui, a beaucoup souligné le fait que la philosophie sortait du moyen âge profondément modifiée92. Cependant, si ce qui précède comporte quelque vérité, il faut affiner, sinon corriger, cette représentation des choses. Il convient donc d’interpréter la relation entre la Bible et la philosophie durant la période médiévale comme une réciprocité interactive et dialectique. Ce qui implique que la lecture philosophique de la Bible, c’est-à-dire l’importation et l’usage d’idées et de conceptions philosophiques dans la compréhension de la Bible, a été très féconde, fructueuse et d’une certaine manière même indispensable pour la théologie et la pensée chrétienne, pour son développement. Toutefois, et pour cette raison, il faut parler de réciprocité, car cette interaction entre la philosophie et la Bible a également considérablement transformé et inspiré la philosophie. La philosophie a changé la lecture de la Bible et la lecture de la Bible a modifié la philosophie.
Il est sans doute périlleux de vouloir tirer un enseignement, directement, de l’étude historique pour le présent. Néanmoins notre approche montre que les deux démarches sont indispensables et nécessaires, à savoir le regard critique de la raison et de la philosophie sur les textes religieux, mais aussi la possible interrogation des prétentions de la raison par les religions et le christianisme en particulier. Cela implique que l’on adopte une conception ouverte de la raison, une raison qui non seulement dicte, critique et prescrit, mais qui sait aussi écouter. Si tel est le cas, on peut partager la thèse de Kant qui affirme qu’une religion qui déclare la guerre à la raison n’a pas d’avenir93. La Revue de théologie et de philosophie, fidèle à l’affirmation de Vinet, a contribué et contribuera à cette interaction continuelle et nécessaire : « La vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité. »
Le titre de cet article suggère une autre réflexion, inspirée de Thomas d’Aquin. Ce dernier réfléchit sur cette parole biblique dans un sermon où il parle du garçon Jésus écoutant et interrogeant les docteurs au temple. Et Thomas de noter que pour progresser en sagesse, il est nécessaire d’écouter, comme l’enseigne la parole des Proverbes : « Audiens sapiens sapientior erit » : Thomas n’insiste pas seulement sur le fait qu’il faut écouter avec persévérance, mais il ajoute deux choses remarquables. D’abord, dit-il, nous ne devons pas nous mettre à l’écoute d’un seul maître, car ce que l’un ne sait pas, un autre le sait94. Par ailleurs, il ajoute cette remarque décisive :
Or certains suivent l’opinion des maîtres, car ils les entendent, mais nul ne doit être considéré comme un ami quand il s’agit de la vérité ; il faut s’attacher uniquement à la vérité, car, selon le philosophe, la diversité des opinions ne porte pas tort à l’amitié95.
Note conjointe sur le problème de l’athéisme médiéval
Pour aborder la question d’un éventuel athéisme médiéval, il est indiqué, dans un premier temps, de se référer à l’un des travaux pionniers sur le sujet, à savoir la somme Der Atheismus und seine Geschichte im Abendlande de Fritz Mauthner96. Mauthner, surtout célèbre pour sa critique du langage, traite du moyen âge dans le premier volume de son ouvrage. Le travail critique de Mauthner sur le langage nous permet d’affirmer que son travail sur l’athéisme parachève sa démarche concernant le langage, dans la mesure où il met en œuvre en quelque sorte la célèbre affirmation de Nietzsche selon laquelle l’homme doit se débarrasser de Dieu en se débarrassant de la grammaire97.
Pour saisir l’orientation du travail de Mauthner98, il faut identifier deux présupposés de la démarche du philosophe. Tout d’abord, il envisage son entreprise comme une « histoire de la libération de la notion de Dieu » (« Geschichte der Befreiung vom Gottesbegriff »). Ce projet sous-entend non seulement que la lente marche de l’humanité vers l’athéisme est une nécessité, mais surtout qu’il faut comprendre celle-ci comme l’histoire d’un progrès, comme le mouvement d’une rationalisation progressive inéluctable. Le second présupposé est le suivant. Puisque, selon lui, tant le judaïsme que le christianisme sont par leur nature intolérants, les athées durant l’époque de la foi qu’est le moyen âge ont été opprimés. Puisque l’athée, pense Mauthner, durant cette époque est condamné au bûcher, il est particulièrement difficile de trouver des documents attestant un réel athéisme.
Le volume que consacre au moyen âge Hermann Ley, dans son histoire monumentale de l’athéisme et des Lumières, est nettement mieux documenté que l’ouvrage de Mauthner, mais, dans un certain sens, les présupposés sont les mêmes99 : il s’agit de retrouver les précurseurs médiévaux de l’athéisme authentique et nécessaire. Toutefois, les objectifs de ces deux auteurs sont bien différents, puisque chez Ley l’étude historique doit conduire à consolider la doctrine du marxisme de la RDA. Ce qui nous intéresse est le fait que Ley pense trouver dans la condamnation parisienne de 1277 l’attestation d’un athéisme flagrant. Parlant de Siger de Brabant ou de Boèce de Dacie, il les qualifie de « Pariser Atheisten ».
Le troisième interprète du soi-disant athéisme médiéval est Olaf Pluta dont l’article programmatique « Atheismus im Mittelalter » mérite une grande attention100. Je retiens trois points : d’abord Pluta propose, à la suite du livre de Michael Martin101, de distinguer entre deux notions d’athéisme, un athéisme négatif, qui consiste à ne pas croire à l’existence de Dieu (« nicht an die Existenz Gottes glauben ») et un athéisme positif, dont la caractéristique est de croire à la non-existence de Dieu. Il pense que cette distinction pourrait clarifier le débat. Le second point qu’il faut relever est d’une certaine manière plus symptomatique. Pluta parle d’une dimension morale de l’étude de l’athéisme médiéval. Selon lui, il est indéniable qu’au moyen âge les non-croyants ont été persécutés et qu’une libre expression de la pensée fut impossible. Pluta en conclut que l’historien a le devoir de donner une voix aux opprimés, de faire parler ceux à qui on interdisait d’exprimer librement leur conviction. Le troisième aspect est lié au texte que Pluta invoque comme le plus éloquent témoignage de l’existence d’un athéisme médiéval. Il s’agit d’un bref récit qui se trouve dans les Gesta Romanorum. Le passage intitulé « De statu mundi actuali » raconte qu’un roi ayant remarqué la déchéance du monde a mandé quatre philosophes pour effectuer un diagnostic. Le quatrième sage a répondu ceci : « Dieu est mort, donc le règne est plein de pécheurs ». Selon ce sage, la mort de Dieu a pour conséquence que les hommes ne pensent pas au jugement dernier et agissent mal102. Selon Pluta nous sommes donc en présence « d’une articulation manifeste de l’athéisme ».
Les perspectives des trois auteurs ont été très sévèrement critiquées par Dorothea Weltecke dans un ouvrage important qui entend renouveler entièrement l’interrogation sur l’athéisme médiéval103. Le titre de l’ouvrage (Der Narr spricht : Es ist kein Gott) fait bien entendu allusion aux Psaumes 13 et 52. Notons cependant que l’auteure traduit insipiens par « Narr », le fou. Dans la première partie de son livre, elle entreprend une déconstruction des discours répandus sur le soi-disant athéisme médiéval. Elle décèle, notamment chez les auteurs que nous avons cités, une double erreur méthodologique que l’on peut appeler l’herméneutique du progrès et l’herméneutique de la persécution. La seconde démarche sous-entend que les athées ont été persécutés au moyen âge, tandis que la première consiste à considérer l’athéisme comme un telos vers lequel l’humaine raison doit tendre. Selon ces auteurs, la période médiévale devrait donc être intégrée dans une histoire du progrès qui repose encore sur ce que Weltecke qualifie de « rêve de la modernité ». Selon elle, le topos de la persécution des athées est un des mythes de l’historiographie à bannir définitivement. L’hérésie et la déviance religieuse furent les cibles réelles de l’inquisition et non pas l’athéisme.
Après avoir, dans une deuxième partie de son ouvrage, détrôné et destitué les héros de cette marche vers la vérité, en particulier Frédéric II, mais aussi Thomas Scotus, Weltecke formule l’hypothèse que les vrais témoignages de la négation de Dieu ne doivent pas être cherchés dans la littérature savante, mais dans certains documents de la spiritualité, notamment chez Otloh de St. Emmeran ou Henri Suso. Ce sont des textes qui parlent d’un désespoir, d’une acédie liée à l’idée de la non-existence de Dieu. Elle souligne encore qu’au moyen âge il n’existe pas de terme spécifique pour désigner la négation de l’existence de Dieu (et il est donc prudent d’éviter le terme d’athéisme) ; de plus, cette négation qui est reconnue par certains auteurs comme une possibilité est en vérité, au moyen âge, plutôt un problème de la pastorale que de la théorie. Bien des aspects de l’étude de Weltecke sont incontestables et doivent être pris en compte, si l’on veut aborder le sujet de l’athéisme médiéval.
Ces considérations à la fois sur une partie de l’historiographie de l’athéisme et sur les questions méthodologiques qui y sont liées amènent l’observateur à proposer une catégorisation de la problématique non pas de l’athéisme mais de la question de l’existence de Dieu. Dans le langage humain, une telle doctrine doit s’articuler dans une proposition. Si l’on admet cela, on peut envisager trois possibilités à propos de l’existence (être) de Dieu : l’affirmation, la négation et la forme interrogative : « Deus est », « Deus non est », « Utrum Deus sit ». Il nous semble par conséquent que l’on devrait ou que l’on pourrait envisager le problème difficile d’un éventuel athéisme médiéval, ou plutôt celui de la négation de l’existence de Dieu, par l’examen de l’interprétation et du traitement de ces trois propositions au cours du moyen âge, en tenant compte de divers contextes d’énonciation et d’articulation de ces propositions. Ces contextes vont du doute existentiel, comme on peut le rencontrer dans certains récits104, jusqu’au traitement scientifique de la question de Dieu, sans oublier d’éventuelles négations explicites105 ou des preuves de l’existence de Dieu. Une telle démarche (qui a été partiellement suivie par Weltecke) est à notre avis une des voies pour aborder le problème en question, et nous avons donné quelques indications dans notre article concernant l’usage scientifique de la proposition « Deus non est ». Ces discussions autour de la citation biblique n’ont pas seulement fait progresser certains aspects de la théologie philosophique, mais elles ont surtout favorisé la réflexion sur la possible négation de l’existence de Dieu : ainsi l’interrogation sur l’existence et la non-existence de Dieu est devenue un problème incontournable de la philosophie occidentale.
Pour souligner la fécondité de cette inspiration biblique, il est intéressant de rappeler une des interprétations les plus surprenantes de la phrase du Psaume : « Dixit insipiens in corde suo : non est Deus. » Il est en effet surprenant que dans le Miroir de la charité du cistercien Aelred de Rievaulx on rencontre une réflexion concernant la signification de cette phrase. Le raisonnement sur cette phrase biblique amène l’auteur à se poser des questions sur soi-même :
Je te demande encore : Sais-tu, si tu existes ? Qui ignore cela, dis-tu ? Certes, pas même un disciple de l’Académie ? Mais as-tu toujours existé ? D’où alors as-tu reçu l’existence ? [...] Que te parle au cœur Celui qui est la Sagesse et l’Être même, et tu ne diras plus en ton cœur : Il n’y a pas de Dieu. En Lui, tu verras clairement que tu ne pourrais même pas exister pour dire en ton cœur qu’il n’y a pas de Dieu, si Dieu n’existait pas aussi106.
La réflexion dans ce passage se poursuit, passant de l’évidence de l’existence de celui qui s’interroge à la question de son origine. Mais ce qui étonne le plus est le fait que la phrase du Psaume se transforme ainsi en une interrogation du sujet sur lui-même. L’insipiens est celui qui s’ignore soi-même. Cet extraordinaire basculement se réalise d’une manière encore plus spectaculaire dans un passage de Thomas. Dans le texte du De veritate (q. 10, art. 12), une des objections, suggérant qu’il est impossible de penser le non-être de Dieu, affirme qu’il est impossible pour l’âme de penser son propre non-être. Dans sa réponse à cette objection, Thomas précise ce que l’on peut entendre par penser le non-être d’une chose107. Et cette précision amène à une argumentation tout à fait remarquable : si l’on entend penser le non-être avec un certain assentiment (cum assensu), dans ce cas, « nul ne peut penser avec assentiment son propre non-être, car dès lors que l’on pense quelque chose, il perçoit qu’il existe. » En d’autres termes : du moment que je pense (cogito), je perçois que je suis.
Nous observons donc que, réfléchissant sur l’affirmation du non-être dans la citation des Psaumes 13 et 52, Thomas d’Aquin est amené, comme cela fut déjà le cas d’Aelred, à s’interroger sur l’être du sujet pensant. Thomas précise que celui qui pense ne peut pas ne pas savoir qu’il existe : « In hoc enim quod cogitat aliquid, percipit se esse. » Il est fascinant que l’enquête sur l’existence de Dieu amène ainsi le philosophe à apercevoir la certitude de l’exister de l’homme dans l’acte de la pensée. Seul un homme existant peut proférer la phrase qui articule la non-existence de Dieu.
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1« Audiens sapiens sapientior erit » (Pr 1,5, selon la Vulgate).
2L’origine de ce texte est la conférence prononcée le 24 mai 2018 à l’occasion du 150e anniversaire de la RThPh. Je le dédie à la mémoire de Fernand Brunner dont l’enseignement dans les années 1970 a été décisif pour moi en ce qui concerne la découverte de la pensée néoplatonicienne. Il m’a également permis d’entrevoir dans la pensée de Maître Eckhart des dimensions nouvelles. – Peter Schulthess a lu attentivement mon texte. Je le remercie sincèrement pour ses remarques et ses critiques.
3Ce texte est cité dans le remarquable article qu’Henri Meylan a consacré à la RThPh lors de son centième anniversaire : « La Revue de théologie et de philosophie 1868-1968 », RThPh (Numéro du centenaire) 18 (1968), p. 273-292.
4Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la séparation de l’Église et de l’État envisagée comme conséquence nécessaire et comme garantie du principe, Paris, Paulin, 1842, partie 2, p. 391.
5Gabriel Widmer, « Théologie et philosophie », RThPh 18 (1968), p. 372-380. Jean-Claude Piguet, « Philosophie et théologie », RThPh 18 (1968), p. 381-388.
6« Théologie et philosophie : quel doit être aujourd’hui le rôle de la réflexion philosophique en théologie », RThPh 18 (1968), p. 389-401.
7« Théologie et philosophie », RThPh 18 (1968), p. 178-199.
8« La portée philosophique et théologique de la rupture de Marx avec Feuerbach », RThPh 18 (1968), p. 65-93.
9Sur ce sujet, cf. surtout les travaux de Xavier Tilliette, dont l’ouvrage Les philosophes lisent la Bible (Paris, Cerf, 2001) s’ouvre sur la déclaration : « La lecture philosophique de la Bible, la Bible lue avec l’œil critique du philosophe, est une entreprise de haut risque. » Voir également : Id., Le Christ des philosophes. Du Maître de Sagesse au divin Témoin, Namur, Culture et Vérité, 1993. Également important : Marc de Launay, Lecture philosophiques de la Bible I : Babel et logos, Paris, Hermann, 2007 ; Id., Lectures philosophiques de la Bible II : L’événement du texte, Paris, Hermann, 2015.
10Cf. Jacques Dupont, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17,22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », in : Nouvelles études sur les Actes des apôtres, Paris, Cerf, 1984, p. 380-423 ; Philippe Bossuyt et Jean Radermakers, « Rencontre de l’incroyant et inculturation. Paul à Athènes (Ac 17,16-34) », Nouvelle Revue Théologique 117 (1995), p. 19-43. On trouvera un développement plus approfondi de ce qui suit dans notre étude : « Prédicateur philosophe – philosophe prédicateur. Observations sur le discours de saint Paul à l’Aréopage et sa réception chez Augustin, Érasme et Thomas d’Aquin », Revue des Sciences philosophiques et théologiques 98 (2014), p. 413-441.
11Ekkehard W. Stegemann, « Paulus, die antike Philosophie und Immanuel Kant », in : Christian Strecker et Joachim Valentin (éds), Paulus unter den Philosophen, Stuttgart, Kohlhammer, 2013, p. 30-47, citation p. 30. Du même auteur, cf. aussi : « Paulus und Sokrates », in : Karl Pestalozzi (éd.), Der fragende Sokrates, Stuttgart-Leipzig, B. G. Teubner, 1999, p. 115-131 ; « Paulus, Sokrates und Seneca », in : Richard Faber et Barbara Naumann (éds), Literarische Philosophie – Philosophische Literatur, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1999, p. 77-96.
12Cf. Eduard Norden, Agnostos Theos. Untersuchungen zur Formengeschichte religiöser Rede, Leipzig-Berlin, B. G. Teubner, 1913 ; Martin Dibelius, Paulus auf dem Areopag, Heidelberg, Winter, 1939 ; Max Pohlenz, « Paulus und die Stoa », Zeitschrift für neutestamentliche Wissenschaft 41 (1949), p. 69-104.
13Nous suivons la traduction de Marie Depussé et Alain Gignac, in : La Bible. Nouvelle traduction, Paris-Montréal, Bayard-Médiaspaul, 2001, p. 2208-2209 ; dans la version de la Vulgate (Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, adiuvantibus Bonifatio Fischer OSB, Iohannes Gribomont OSB, H. F. D. Sparker, W. Thiele recensuit et brevi Apparatu instruxit Robertus Weber OSB, Editio tertia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1983, p. 1750b) : « quia quod notum est Dei manifestum est in illis, Deus enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius a creatura mundi per ea, quae facta sunt intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque eius virtus et divinitas ut sint inexcusabiles. »
14Thomas d’Aquin, Super epistolam B. Pauli ad Romanos, c. 1, lect. 6, n. 113, éd. par Raphaelis Cai, t. 1, Turin, Marietti, 1953, p. 22-23 : « Dicit ergo primo : recte dico quod veritatem Dei detinuerunt, fuit enim in eis, quantum ad aliquid, vera Dei cognitio, quia quod notum est Dei, id est quod cognoscibile est de Deo ab homine per rationem, manifestum est in illis, id est manifestum est eis ex eo quod in illis est, id est ex lumine intrinseco. » Traduction française de Jean-Éric Stroobant de Saint-Eloy et Jean Borella, Paris, Cerf, 1999.
15Super epistolam B. Pauli ad Romanos, c. 1, lect. 6, n. 114, éd. cit., p. 22 : « Sciendum est ergo quod aliquid circa Deum est omnino ignotum homini in hac vita, scilicet quid est Deus. Unde et Paulus invenit Athenis aram inscriptam : ignoto Deo. Et hoc ideo quia cognitio hominis incipit ab his quae sunt ei connaturalia, scilicet sensibilibus creaturis, quae non sunt proportionata ad repraesentandam divinam essentiam. »
16Ibid., n. 115, éd. cit., p. 23 : « Potest tamen homo, ex huiusmodi creaturis, Deum tripliciter cognoscere, ut Dionysius dicit in libro De divinis nominibus. Uno quidem modo per causalitatem. Quia enim huiusmodi creaturae sunt defectibiles et mutabiles, necesse est eas reducere ad aliquod principium immobile et perfectum. Et secundum hoc cognoscitur de Deo an est. Secundo per viam excellentiae. Non enim reducuntur omnia in primum principium, sicut in propriam causam et univocam, prout homo hominem generat, sed sicut in causam communem et excedentem. Et ex hoc cognoscitur quod est super omnia. Tertio per viam negationis. Quia si est causa excedens, nihil eorum quae sunt in creaturis potest ei competere, sicut etiam neque corpus caeleste proprie dicitur grave vel leve aut calidum aut frigidum. Et secundum hoc dicimus Deum immobilem et infinitum et si quid aliud huiusmodi dicitur. »
17Liber de Veritate Catholice Fidei contra errores Infidelium, seu Summa contra gentiles, éd. fr. Ceslai Pera O.P. en collab. avec Petro Marco, Turin/Rome, Marietti, 1961, vol. II, I, cap. IX, p. 12, en particulier n. 52 : « Ad primae igitur veritatis manifestationem per rationes demonstrativos convincatur. »
18Cf. op. cit., n. 57, éd. cit., p. 12b où le programme de cet ouvrage est résumé en ces termes : « Intendentibus igitur nobis per viam rationis prosequi ea quae de Deo ratio humana investigare potest [...] » ; mais voir aussi n. 55 : « Modo ergo proposito procedere intendentes, primum nitemur ad manifestationem illius veritatis quam fides profitetur et ratio investigat, inducentes rationes demonstrativas et probabiles, quarum quasdam ex libris Philosophorum et Sanctorum collegimus per quas veritas confirmetur et adversarius convincatur. » Il paraît incontestable que l’on puisse mettre ce programme en rapport avec le discours paulinien et nous avons ici un premier exemple assez convaincant qui montre comment une parole biblique peut inspirer la spéculation philosophique.
19Cf. H. R. Drobner, Augustinus von Hippo, Predigten zur Apostelgeschichte (Sermones 148-150), Francfort, Peter Lang, 2012. Voir aussi : J. Elfassi, « Le sermon 150 de saint Augustin. Édition critique et tentative de datation », Revue des études augustiniennes 45 (1999), p. 21-50.
20Sermo 150,4, éd. cit., p. 166 : « Communiter omnes philosophi studendo, quaerendo, disputando, vivendo appetiverunt apprehendere vitam beatam. Haec una fuit causa philosophandi, sed puto quod etiam hoc philosophi nobiscum commune habent. »
21Expositio quarumdam propositionum ex epistola ad Romanos 3(3), PL 35, 2063 : « Nam sapientes gentium quod invenirent Creatorem, manifeste idem Apostolus, cum Atheniensibus loqueretur, ostendit. Cum enim dixisset : Quia in ipso vivimus et movemur et sumus, addidit : Sicut et quidam secundum vos dixerunt. Hac autem intentione prius arguit impietatem gentium, ut ex hac probet etiam ad gratiam posse pertingere conversos. Iniustum est enim ut poenam subeant impietatis, et praemium fidei non accipiant. » Pour la traduction française nous avons utilisé, en la corrigeant parfois, celle de l’abbé Bardot, publiée sous la direction de Jean-Baptiste Raulx, Œuvres complètes de Saint Augustin, Commentaires sur l’Écriture, vol. V, Bar-le-Duc, L. Guérin et Cie, 1867.
22Contra Gaudentium Donatistarum episcopum II, 10,11, PL 43, 748 : « Sententias tamen quasdam veritatis, quas de incognito Deo quidam Gentilium philosophi tenent, non solum non destruxit Apostolus, sed etiam inde testimonium, cum opus esset, adhibuit. Loquens quippe Atheniensibus ait de Deo : In illo enim vivimus, et movemur, et sumus, sicut et quidam secundum vos dixerunt. Hanc illi veritatem sapientiae, quam beatissimus Paulus non solum non destruebat, verum etiam ad illos instruendos adhibebat, in iniquitate detinebant suae idolatriae, quam doctrina apostolica machinamentis apostolicis evertebat. » Traduction de l’abbé Burleraux, vol. XIII, Œuvres de saint Augustin, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1869, p. 679.
23Contra Cresconium I, 12,15, recensuit M. Petsching, Vienne, F. Tempsky, 1909 (CSEL 52), p. 338 : « Quod tamen ad quaestionem quam nunc discutimus, sufficit, attende, obsecro te, Hebraeum ex Hebraeis Apostolum Christi stantem ac sermocinantem, non in synagoga Iudaeorum neque in ecclesia Christianorum, sed in Areopago Atheniensium, hoc est, contentiosorum maxime impiorumque Graecorum. »
24Contra Cresconium I, 15,19, éd. cit., p. 342 : « Qui autem verus disputator est, id est, veritatis a falsitate discretor, primo id apud se ipsum agit, ne non recte discernens ipse fallatur ; quod nisi divinitus adiutus peragere non potest : deinde, cum id quod apud se egit ad alios docendos profert, intuetur primitus quid iam certi noverint, ut ex his eos adducat ad ea quae non noverant vel credere nolebant, ostendens ea consequentia his quae iam scientia vel fide retinebant : ut per ea vera de quibus se perspiciunt consentire, cogantur alia vera quae negaverant approbare ; et sic verum quod falsum antea putabatur, discernatur a falso, cum invenitur consentaneum illi vero quod iam antea tenebatur. » Traduction de l’abbé Burleraux (modifiée), in : Œuvres complètes de saint Augustin, vol. XVII, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1869, p. 367.
25Cf. à ce propos en particulier De diversis quaestionibus LXXXIII, question 53 : De auro et argento quod Israelitae ab Aegyptiis acceperunt ; De doctrina christiana II, XXXIX, 58-XLII, 63 ; et le remarquable article de G. Folliet, « La spoliatio Aegyptiorum (Exode 3,21-23 ; 11,2-3 ; 12,35-36) : les interprétations de cette image chez les pères et autres écrivains ecclésiastiques », Traditio 57 (2002), p. 1-48.
26De doctrina christiana, II, XL, 60, in : La doctrine chrétienne. Texte critique du CCL, revu et corrigé. Introduction et traduction de Madeleine Moreau. Annotation et notes complémentaires d’Isabelle Bochet et Goulven Madec, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1997, p. 226-227 : « Philosophi autem qui uocantur, si qua forte uera et fidei nostra accomodata dixerunt, maxime Platonici, non solum formidanda non sunt, sed ab eis etiam tamquam ab iniustis possessoribus in usum nostrum uindicanda. Sicut enim Aegyptii [...]. »
27De doctrina christiana, II, XL, 60, éd. cit., p. 226 : « [...] sic doctrinae omnes gentilium non solum simulata et superstitiosa figmenta grauesque sarcinas superuacanei laboris habent, quae unusquisque nostrum duce Christo de societate gentilium exiens debet abominari atque deuitare, sed etiam liberales disciplinas usui uertitatis aptiores et quaedam morum praecepta utilissima continent deque ipso uno Deo colendo nonulla uera iniueniuntur apud eos. »
28Sur l’usage de cette image au moyen âge (se réfèrant à Dt 21,10-13), cf. les pages fascinantes que lui consacre Henri de Lubac, Exégèse médiévale : les quatre sens de l’Écriture, I, Paris, Aubier, 1959, p. 290-304.
29Selon la Vulgate, il s’agit du verset 1,7. Pour ce qui suit, cf. notre article : « Si tu ne te connais pas, sors. Ct 1,7 », in : Catherine Chalier, Jean-Louis Chrétien, Ruedi Imbach et Dominique Millet-Gérard, Le lumineux abîme du Cantique des cantiques, Paris, Parole et Silence, 2008, p. 75-98.
30Selon la traduction de la Bible de Jérusalem.
31Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, p. 997a. Sur la réception de cette traduction qui suit la Septante, cf. Heinz Simke, « Cant. 1,7 in altchristlicher Auslegung », in : Theologische Zeitschrift 18 (1962), p. 256-267.
32Origène, Commentaire sur le Cantique des Cantiques. Texte de la version latine de Rufin, trad. et éd. Luc Brésard et Henri Crouzel avec la collab. de Marcel Borret, 2 vol., Paris, Cerf, 1991 (Sources chrétiennes 375/376). Cf. également la traduction allemande qui est amplement commentée : Origène, Der Kommentar zum Hohelied, trad. et éd. Alfons Fürst et Holger Strutwolf, Berlin/Fribourg-en-Br., W. de Gruyter/Herder, 2016.
33À ce sujet, cf. Pierre Courcelle, Connais-toi toi-même. De Socrate à saint Bernard, I-III, Paris, Études augustiniennes, 1974-1975.
34Origène, Commentaire, II, 5, éd. cit., p. 354-355 : « Quod tamen Solomon, quem praecessisse omnes hos tempore et sapientia ac rerum scientia in praefatione nostra docuimus, ad animam quasi ad mulierem sub comminatione quadam loquens dicit : Nisi cognoveris temet ipsam, o pulchra inter mulieres. » Origène rappelle ici ce qu’il avait développé dans son prologue 3,4 : après avoir présenté les trois disciplines (moralis, naturalis et inspectiva), il ajoute (éd. cit., p. 130) : « Haec ergo, ut mihi videtur, sapientes quique Graecorum sumpta a Solomone, utpote qui aetate et tempore longe ante ipsos prior ea per Dei Spiritum didicisset, tamquam propria inventa protulerunt, et institutionum suarum voluminibus comprehensa posteris quaque tradenda reliquere. Sed haec, ut diximus, Solomon ante omnes invenit, et docuit per sapientiam quam accepit a Deo. » Voir la note complémentaire « Les Grecs “voleurs de la philosophie barbare” », p. 755-756.
35Cf. l’introduction de Crouzel, p. 30 : Origène « est vraiment l’inventeur de la signification individuelle, à peine insinué avant lui dans les deux passages de la Première aux Corinthiens. » Il s’agit de 1 Co 6,16 et 7,32-34.
36In somnium Scipionis, II, 12, 5-6, éd. par Iacobus Willis, Leipzig, Teubner, 1970, p. 131 : « Et haec sit praesentis operis consummatio, ut animam non solum immortalem, sed deum esse clarescat. Ille ergo, qui fuerat iam post corpus in diuinitatem receptus, dicturus uiro adhuc in hac uita posito “deum te scito esse”, non prius tantam praerogatiuam committit homini quam qui sit ipse discernat, ne aestimetur hoc quoque diuinum dici quod mortale in nobis et caducum est. » Voir aussi Courcelle, Connais-toi toi-même, I, p. 114-115.
37Cf. Imbach, « Si tu ne te connais pas », p. 82-83, et Courcelle, Connais-toi toi-même, p. 117-125.
38De consideratione II, 7, 14, S. Bernardi Opera omnia, éd. par Jean Leclercq et Henri Rochais, t. III, Rome, Editiones Cistercienses, 1963, p. 422 : « Quamobrem, ut dixi, noveris te, ut inter angustias quae desunt fruaris conscientiae bono, magis autem ut scias quid desit tibi. »
39Exposé sur le Cantique des Cantique. Texte latin, introduction et notes de J.-M. Déchanet, traduction française de M. Dumontier, Paris, Cerf, 1962 (Sources chrétiennes 82), n. 65, p. 164 : « Abi a me, a similitudine mea, in locum dissimilitudinis. »
40On trouvera une bibliographie sur ce sujet de 1934 à 1968 dans Pierre Courcelle, Recherches sur les Confessions de s. Augustin, Paris, É. de Boccard, 19682, p. 405, note 1. Un premier dossier de textes a été dressé par Pierre Courcelle, Les Confessions de s. Augustin dans la tradition littéraire. Antécédents et posterité, Paris, Études Augustiniennes, 1963, p. 623-645. Ce dossier a été complété dans : Connais-toi toi-même, vol. II, Paris, Études Augustiniennes, 1975, p. 519-530.
41Sermons sur le Cantique, 36, 3, in : Sermons sur le Cantique, t. 3, texte latin des S. Bernardi Opera. Introduction, traduction et notes par Paul Verdeyen et Raffaele Fassetta, Paris, Cerf, 2000 (Sources chrétiennes 452), p. 111-113 : « Vides, inquam, quomodo fructum et utilitatem scientiae in modo sciendi constituit. Quid ergo dicit modum sciendi ? Quid, nisi ut scias quo ordine, quo studio, quo fine quaeque nosse oporteat ? »
42Sermons sur le Cantique, 36, 5, éd. cit, p. 116 : « Volo proinde animam primo omnium scire seipsam quod id postulet ratio et utilitatis et ordinis. Et ordinis quidem, quoniam quod quod nos sumus primum est nobis. »
43Sermons sur le Cantique, 36, 3, éd. cit., p. 112-113 : « Sed sunt quodque qui scire volunt, ut aedificant : et caritas est. Et sunt item qui scire volunt, ut aedificantur : et prudentia est. »
44Sermons sur le Cantique, 36, 4, éd. cit., p. 112 : « Horum omnium soli ultimi duo non inveniuntur in abusione scientiae, quippe qui ad hoc volunt intelligere, ut bene faciant. »
45Sur la conception de la philosophie chez Pétrarque, cf. Ruedi Imbach, « Virtus illiterata : Signification philosophique de la critique de la scolastique dans le traité De sui ipsius et multorum ignorantia », in Ruedi Imbach et Catherine König-Pralong (éds), Le défi laïque. Existe-t-il une philosophie de laïc au Moyen Âge ?, Paris, Vrin, 2013, p. 167-191.
46De sui ipsius et multorum ignorantia. Mon ignorance et celle de tant d’autres (1367-1368), Préface d’Olivier Boulnois ; traduction de Juliette Bertrand (1929) revue par Christophe Carraud ; notes de Christophe Carraud, Grenoble, Jérôme Millon, 2000, V, § 57, p. 158 : « Hi sunt ergo veri philosophi morales et virtutum utiles magistri, quorum prima et ultima intentio est bonum facere auditorem ac lectorem, quique non solum docent quid est virtus aut vitium preclarumque illud hoc fuscum nomen auribus intrepunt, sed rei optime amorem studiumque pessimeque rei odium fugamque pectoribus inserunt. » Le meilleur commentaire de ce texte est celui de Enrico Fenzi (Francesco Petrarca, De ignorantia. Della mia ignoranza e di quella di molti altri, éd. bilingue, Milan, Mursia, 1999).
47Sur ce problème, voir ci-dessous la « Note conjointe sur le problème de l’athéisme médiéval ».
48Enarrationes in Psalmos, Ps. 52, § 2, in : Enarrationes in Psalmos LI-C, éd. par E. Dekker et J. Fraipont, Corpus Christianorum Series Latina 39, Turnhout, Brepols, 19902, lin. 1-8 : « Dixit imprudens in corde suo : non est deus. Tale genus est hominum, inter quos dolet et gemit corpus christi. Si tale hoc hominum genus est, non multos parturimus : quantum videtur occurrere cogitationibus nostris, perpauci sunt ; et difficile est ut incurramus in hominem qui dicat in corde suo : non est deus, tamen sic pauci sunt, ut inter multos timendo hoc dicere, in corde suo dicant, quia ore dicere non audent. Non ergo multum est quod iubemur tolerare ; vix invenitur : rarum hominum genus est qui dicant in corde suo : non est deus. » Traduction française d’après Les œuvres complètes, sous la direction de M. Raulx, vol. VIII, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1869, p. 570a. Voir l’importante note 43 sur le verset Ps 13,1, in : Œuvres de Saint Augustin, 57, Les Commentaires des Psaumes. Enarrationes in Psalmos, Ps 1-16, sous la direction de M. Dulaey, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 2009, p. 617-619 qui renvoie à d’autres occurrences augustiniennes aux deux versets des Psaumes.
49De libero arbitrio, II, 2, 5, Œuvres de Saint Augustin 6, Dialogues philosophiques III, Introduction, traduction et notes par Goulven Madec, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1999, p. 270-271 : « Si quis ergo illorum insipientium de quibus scriptum est : “Dixit insipiens in corde suo: non est Deus”, hoc tibi diceret nec uellet te cum credere quod credis, sed cognoscere utrum uera credideris, relinqueres ne hominem an aliquo modo quod inconcussum tenes persuadendum esse arbitrareris, praesertim si ille non obluctari peruicaciter, sed studiose id uellet agnoscere ? »
50Enarrationes in Psalmos, Ps XIII, éd. Dulaey, p. 504 : « Nec ipsi enim sacrilegi et detestandi quidam philosophi, qui perversa et falsa de Deo sentiunt, ausi sunt dicere, Non est Deus : ideo ergo, Dixit in corde suo ; quia hoc nemo audet dicere, etiam si ausus fuerit cogitare. »
51Cf. De civitate Dei V, ix, La Cité de Dieu, Livres I-V. Texte de la 4e édition de B. Dombart et A. Kalb, introduction générale et notes par Gustave Bardy, trad. fr. de Georges Combès, Paris, Desclée de Brouwer, 1959, p. 682 : « Quod uero negat ordinem omnium causarum esse certissimum et Dei praescientiae notissimum, plus eum quam Stoici detestamur. Aut enim esse Deum negat, quod quidem inducta alterius persona in libris de deorum natura facere molitus est ; aut si esse confitetur Deum, quem negat praescium futurorum, etiam sic nihil dicit aliud, quam quod ille dixit insipiens in corde suo : Non est Deus. Qui enim non est praescius omnium futurorum, non est utique Deus. »
52Anselme de Canterbury, Monologion, Prologus, in : S. Anselmi Cantuariensis Archiepiscopi, Opera omnia, ed. Franciscus Salesius Schmitt, vol. I, Édimbourg, Thomas Nelson, 1946, p. 7 : « Quidam fratres saepe me studioseque precati sunt, ut quaedam, quae illis de meditanda diuinitatis essentia et quibusdam aliis huiusmodi meditationi cohaerentibus usitato sermone colloquendo protuleram, sub quodam eis meditationis exemplo describerem. »
53Proslogion, Prooemium, Opera omnia, vol. I, p. 93 : « Postquam opusculum quoddam velut exemplum meditandi de ratione fidei cogentibus me precibus quorundam fratrum in persona alicuius tacite se cum ratiocinando quae nesciat investigantis edidi : considerans illud esse multorum concatenatione contextum argumentorum, coepi me cum quaerere, si forte posset inveniri unum argumentum, quod nullo alio ad se probandum quam se solo indigeret, et solum ad astruendum quia deus vere est, et quia est summum bonum nullo alio indigens, et quo omnia indigent ut sint et ut bene sint, et quaecumque de divina credimus substantia, sufficeret. » Traduction française : Fides quaerens intellectum. Proslogion. Liber Gaunilonis pro insipiente atque liber apologeticus contra Gaunilonem, Introduction, texte et traduction par Alexandre Koyré, Paris, Vrin, 19928, p. 3.
54Proslogion, c. 2, éd. cit., p. 101 : « Ergo, domine, qui das fidei intellectum, da mihi, ut quantum scis expedire intelligam, quia es sicut credimus, et hoc es quod credimus. Et quidem credimus te esse aliquid quo nihil maius cogitari possit. An ergo non est aliqua talis natura, quia dixit insipiens in corde suo : Non est deus ? » Traduction Koyré, p. 13.
55Monologion, c. 1, éd. cit., p. 13 : « Si quis unam naturam, summam omnium quae sunt, solam sibi in aeterna sua beatitudine sufficientem, omnibus que rebus aliis hoc ipsum quod aliquid sunt aut quod aliquomodo bene sunt, per omnipotentem bonitatem suam dantem et facientem, alia que perplura quae de deo sive de eius creatura necessarie credimus, aut non audiendo aut non credendo ignorat : puto quia ea ipsa ex magna parte, si vel mediocris ingenii est, potest ipse sibi saltem sola ratione persuadere. »
56Il s’agit de Gaunilon dont il est dit (Proslogion, éd. cit., p. 130) : « Quoniam non me reprehendit in his dictis ille “insipiens”, contra quem sum locutus in meo opusculo, sed quidam non insipiens et catholicus pro insipiente : sufficere mihi potest respondere catholico. »
57Proslogion, c. 3, éd. Schmitt, p. 102-103 : « Quod utique sic uere est, ut nec cogitari possit non esse. Nam potest cogitari esse aliquid, quod non possit cogitari non esse ; quod maius est quam quod non esse cogitari potest. Quare si id quo maius nequit cogitari, potest cogitari non esse : id ipsum quo maius cogitari nequit, non est id quo maius cogitari nequit ; quod conuenire non potest. Sic ergo uere est aliquid quo maius cogitari non potest, ut nec cogitari possit non esse. » Traduction Koyré, p. 15.
58Proslogion, c. 4, éd. Schmitt, p. 103-14 : « Nullus quippe intelligens id quod deus est, potest cogitare quia deus non est, licet haec uerba dicat in corde, aut sine ulla aut cum aliqua extranea significatione. »
59Quaestiones disputatae de mysterio Trinitatis, q. 1, art. 1, Opera omnia, t. V, ed. PP. Collegii a S. Bonaventura, Florence, Quaracchi, 1891, p. 49 : « Non est dubitabile, Deum esse, si dubitabile intelligitur aliquod verum, cui deficit ratio evidentiae sive in se, sive in comparatione ad medium probans, sive in comparatione ad intellectum apprehensivum. Dubitari tamen de eo potest ex parte cognoscentis, scilicet ob defectum in actibus vel apprehendendi, vel conferendi, vel resolvendi. »
60Albertus Magnus, Summa theologiae sive de mirabili scientia Dei, I, tract. IV, q. 19, in : Opera omnia XXIV, 1, edidit Dionysius Siedler P.A. collaborantibus Wilhelmo Kübel et Henrico Georgio Vogels, Münster, Aschendorff, 1978, p. 93 : « In contrarium hujus est, quod dicitur in Psalmo (XIII, 1) : Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus ; in corde autem dicere, est mente cogitare ; ergo mente cogitavit deum non esse. Adhuc (Job XXI,14) dicunt impii ad deum : “Scientiam viarum tuarum nolumus”. Et cum non possit cognosci nisi per vias eius, scientiam dei non habent. Et cuius scientiam non habent, cogitare possunt non esse. Ergo cogitare possunt deus non esse. Ergo cogitari potest deum non esse, I Ad Corinth. X,34 : “Ignorantiam dei habent quidam usque adhuc”. »
61Albertus Magnus, Summa theologiae, I, tract. IV, q. 19, éd. cit., p. 93 : (actus rationis) « Comparatur scilicet ad libertatem rationis sive potentiae, a qua elicitur ; et sic dicit Avicenna, quod nihil affirmat, quod negare non possit, et nihil negat, quod non possit affirmare, nec aliquid cogitat a quo non possit averti. Et si trahitur passionibus vel errore, afficitur sicut oculus stans in fumo, ut dicit Aristoteles, et non videt quemdmodum oportet eum videre. Unde tunc frequenter dicit non esse quod est, et esse quod non est. Et hoc modo in corde dixit insipiens deum non esse. »
62Thomas Aquinas, Commentaire du Psaume 52, in : S. Thomae Aquinatis, In Isaiam prophetam, In tres Psalmos David, in Boetium de Hebdomadibus Expositiones, ed. Petri Antonii Uccelli, Rome, Typographia Polyglotta Vaticana, 1880, p. 243b-244a : « Sciendum est quod sapientia, si proprie sumatur, differat a scientia, quia sapientia est circa divinorum cognitionem, scientia circa humanorum cognitionem. Vir insipiens contemnit cognitionem divinorum. Tob. XXI : “Recede a nobis, et scientiam viarum tuarum nolumus”. Rom. I: “Obscuratum est insipiens” etc. Dixit ergo insipiens ; idest contempsit Deum et scientiam Dei ; et hoc fecit in corde suo, dixit : Non est Deus. Contra ; Anselmus dicit, quod nullus potest cogitare Deum non esse. Dicendum quod dupliciter potest aliquid esse nobis ignotum. Uno modo propter se ; alio modo propter nos. Primo modo sunt nobis ignota illa quae habent minimum (éd. : primum) de esse, ut contingentia, materia prima, motus et tempus. Secundo modo sunt nobis ignota illa quae excellunt cognitionem nostram. Dico ergo quod si consideremus Deum secundum se ipsum, sic non potest cogitari non esse, et nulla propositio est magis nota illa cuius praedicatum includitur in subiecto. Esse Dei est eius essentia, et ideo haec propositio : Deus est, est maxime per se nota, tamen quoad nos essentia Dei non est nobis nota, sed innoscitur nobis per suos effectus ; et inde est quod qui negat aliquos effectus Dei, puta providentiam hominum bonorum et malorum et omnium universaliter, et miracula Dei, et quod omnipotens non sit, negat Deum, et dicit in corde, quia a Deo est in corde omnium quod Deus sit, quod nullus quidem hoc velit, reputatur insipiens, quod dicat Deum non esse. » Traduction française : Thomas d’Aquin, Sur les Psaumes, trad. Jean-Éric Stroobant de Saint-Éloy, préface de Mark D. Jordan, Paris, Cerf, 1996, p. 668a-b. Sur l’interprétation thomasienne des Psaumes, cf. Daniel E. Flores, The Perfective Word. The Teaching of Saint Thomas Aquinas in the Prologue « Super Psalmos » on the Character of Scriptural Discourse and Its Proper Exposition, Rome, Pontificia Studiorum Universitas a S. Thoma Aq. in Urbe, 2000 ; Thomas F. Ryan, Thomas Aquinas as Reader of the Psalms, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2000.
63Thomas emprunte cette expression et sa signification à Aristote, Anal. post. 73a34-b24 et Met. Δ 18, 1022a14-36.
64Quaestiones disputatae de veritate, q. 10, art. 12, Rome, Editio Leonina/Ed. di San Tommaso, 1970, vol. X, p. 340b-341a : « Ad hoc enim quod aliquid sit per se notum secundum se, nihil aliud requiritur nisi ut praedicatum sit de ratione subiecti ; tunc enim subiectum cogitari non potest sine hoc quod praedicatum ei inesse appareat. »
65De veritate, q. 10, art. 12, éd. cit., p. 341a : « Sed in Deo esse ipsius includitur in suae quidditatis ratione, quia in eo est idem quod est et esse, ut Boetius dicit, et idem an est et quid est, ut dicit Avicenna ; et ideo secundum se est per se notum. Sed quia quidditas Dei non est nobis nota, ideo quoad nos Deum esse non est nobis notum, sed indiget demonstratione. »
66De veritate, q. 10, art. 12, éd. cit., p. 340a : « Praeterea, nihil est homini certius sua fide, ut Augustinus dicit. Sed de his quae sunt fidei, dubitatio potest nobis oriri, ergo et de quibuslibet aliis ; et sic cogitari potest Deum non esse. »
67De veritate, q. 10, art. 12, éd. cit., p. 340a : « Praeterea, inter quaecumque distinguit ratio, unum eorum potest sine altero cogitari ; sicut etiam cogitare possumus Deum, sine hoc quod cogitemus eum esse bonum, ut patet per Boetium in libro de Hebdom. Sed in Deo differt essentia et esse ratione. Ergo potest cogitari eius essentia sine hoc quod cogitetur esse, et sic ut prius. »
68De veritate, q. 10, art. 12, éd. cit., p. 340a-b : « Praeterea, Deo idem est esse Deum quod esse iustum. Sed quidam opinantur Deum non esse iustum, qui dicunt Deo placere mala. Ergo aliqui possunt opinari Deum non esse, et sic Deum esse non est per se notum. »
69Vulgata, éd. cit., p. 79a ; dans la version de la Septante (Septuaginta, id est vetus testamentum graece iuxta LXX interpretes, ed. Alfred Rahlfs / Robert Hanhart, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 20062): « Καὶ εἶπεν ὁ θεὸς πρὸς Μωυσῆν ᾿Εγώ εἰμι ὁ ὤν· καὶ εἶπεν Οὕτως ἐρεῖς τοῖς υἱοῖς Ισραηλ ῾Ο ὢν ἀπέσταλκέν με πρὸς ὑμᾶς. »
70Étienne Gilson, L’esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1969, p. 51 ; voir également : Id., Introduction à la philosophie chrétienne, Paris, Vrin, 2007 (19601).
71Voir à ce sujet p. ex. : « La philosophie chrétienne », in : Le philosophe et la théologie, Paris, Vrin, 2005, p. 157-178. L’aveu suivant est significatif (p. 210) : « Rapportant mon expérience, je dis donc seulement que si j’avais trouvé quelque chose de plus intelligent et de plus vrai que ce que Thomas a dit de l’être, je me serais empressé d’en faire part à mes contemporains. »
72Cf. Xavier Tilliette, « Le Buisson ardent », in : Les philosophes lisent la Bible (cf. supra, note 9), p. 77-88, mais surtout : Alain de Libera et Émilie Zum Brunn (éds), Celui qui est. Interprétations juives et chrétiennes d’Exode 3,14, Paris, Cerf, 1986.
73Pour ce qui suit, cf. Werner Beierwaltes, « Deus est esse – esse est Deus. Die onto-logische Grundfrage als aristotelisch-neuplatonische Denkfigur », in : Platonismus und Idealismus, Francfort, Klostermann, 1972 (sur Augustin en particulier p. 26-37), mais aussi l’article d’Émilie Zum Brunn, « L’exégèse augustinienne de Sum qui sum et la métaphysique de l’Exode », in : Celui qui est, p. 141-164.
74Enarrationes in Psalmos, Ps 101, sermon 2, § 10 ; in : Enarrationes in Psalmos CI-CXXXIX, éd. E. Dekker et J. Fraipont, Corpus Christianorum Series Latina 40, Turnhout, Brepols, 19902, lin. 25-28 : « Non enim aliud anni dei, et aliud ipse ; sed anni dei, aeternitas est, ipsa dei substatia est ; quae nihil habet mutabile ; ibi nihil est praeteritum, quasi iam non sit ; nihil est futurum, quasi nondum sit. » Traduction : Œuvres complètes de saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, vol. IX, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1871, p. 485.
75Enarrationes in Psalmos, Ps 101, sermon 2, § 10, éd. cit., lin. 29-30 : « Non est ibi nisi : est ; non est ibi : fuit et erit, quia et quod fuit, iam non est ; et quod erit, nondum est ; sed quidquid ibi est, nonnisi est. » Traduction, p. 485.
76Enarrationes in Psalmos, Ps 101, sermon 2, § 12, éd. cit., lin. 7-8 : « Tu quis es, Idem ipse es. Tu dixisti : Ego sum qui sum, idem ipse es. Et quamvis etiam ipsa non essent nisi ex te et per te et in te, tamen non quod ipse es : tu enim idem ipse es. » Traduction R. I.
77Cf. Werner Beierwaltes, « Deus est esse », p. 25-26.
78Voir à ce sujet Pierre Hadot, Porphyre et Victorinus, Paris, Études augustiniennes, 1968 (contient l’édition du Commentaire attribué à Porphyre, qui établit que Dieu est « l’être même »).
79Sermo 7, in : Sermones de vetero Testamento (1-50), éd. Cyrille Lambot, Corpus Christiaorum Series Latina 41, Turnhout, Brepols, 1961, p. 75 : « Cum ergo sit hoc nomen aeternitatis, plus est quod est dignatus habere nomen misericordiae : Ego sum deus Abraham, et deus Isaac, et deus Iacob. Illud in se, hoc ad nos. » Traduction M. Raulx, Œuvres complètes, vol. VI, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1866, p. 33. La dernière proposition du texte latin signale que le nom d’éternité vaut en soi (in se), tandis que le nom de miséricorde concerne les hommes (hoc ad nos).
80Sermo 223A, in : Sancti Augustini Sermones post Maurinos reperti, éd. G. Morin, Miscellanea Agostiniana, vol. 1, Rome, Tipografia Polyglotta Vaticana, 1930, p. 17 « Sed Moyses homo erat, et in his, quae in illius comparatione non sunt, erat : in terra erat, in carne erat ; et in ipsa carne anima erat, natura mutabilis erat, sub sarcina fragilitatis humanae erat. Nam illud quod dictum est, Ego sum qui sum, quando capiebat ? [...] tamquam diceret Moysi : quod dixi, Ego sum qui sum, non capis ; non stat cor tuum, non es immutabilis me cum nec incommutabilis mens tua. Audisti quid sum : audi quid capias, audi quid speres. Dixit iterum deus ad Moysen : Ego sum deus Abraham, et deus Isaac, et deus Iacob. Non potes capere nomen substantiae meae : cape nomen misericordiae meae. Ego sum deus Abraham, et deus Isaac, et deus Iacob. »
81Summa theologiae I, q. 13, art. 11, Rome, Editio Paulina, 1988, p. 71a : « Et ideo, quanto aliqua nomina sunt minus determinata, et magis communia et absoluta, tanto magis proprie dicuntur de Deo a nobis. Unde et Damascenus dicit quod principalius omnibus quae de Deo dicuntur nominibus, est qui est, totum enim in seipso comprehendens, habet ipsum esse velut quoddam pelagus substantiae infinitum et indeterminatum. Quolibet enim alio nomine determinatur aliquis modus substantiae rei, sed hoc nomen qui est nullum modum essendi determinat, sed se habet indeterminate ad omnes ; et ideo nominat ipsum pelagus substantiae infinitum. » Traduction Aimon-Marie Roguet, Thomas d’Aquin, Somme théologique, vol. 1, Paris, Cerf, 1984, p. 250b. Thomas cite le De fide orthodoxa I, cap. 9. Cf. Thierry-Dominique Humbrecht, Théologie négative et noms divins chez Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 2006.
82Scriptum super libros Sententiarum I, d. 8, q. 1, art. 1, ad 4, ed. Pierre Mandonnet, Paris, Lethielleux, 1929, p. 196-197 : « Unde quando in Deum procedimus per viam remotionis, primo negamus ab eo corporalia ; et secundo etiam intellectualia, secundum quod inveniuntur in creaturis, ut bonitas et sapientia ; et tunc remanet tantum in intellectu nostro, quia est, et nihil amplius : unde est sicut in quadam confusione. Ad ultimum autem etiam hoc ipsum esse, secundum quod est in creaturis, ab ipso removemus ; et tunc remanet in quadam tenebra ignorantiae, secundum quam ignorantiam, quantum ad statum viae pertinet, optime Deo conjungimur, ut dicit Dionysius, et haec est quaedam caligo, in qua Deus habitare dicitur. » Traduction R. I.
83Expositio libri Exodi, n. 15 (Meister Eckhart, Die lateinischen Werke, t. 2, éd. par Heribert Fischer, Joseph Koch et Konrad Weiss, Stuttgart, Kohlhammer, 1992, p. 20-21) : « Adhuc li sum verbum est substantivum : Verbum : “deus erat verbum”. Ioh. 1 : substantivum : “portans omnia verbo virtutis suae”. Hebr. 1. Secundo notandum quod li sum est hic praedicatum propositionis, cum ait : Ego sum, et est secundum adiacens. Quod quotiens fit, purum esse et nudum esse significat in subiecto et de subiecto et ipsum esse subiectum, id est essentiam subiecti, idem scilicet essentiam et esse, quod soli deo convenit, cuius quiditas est sua anitas, ut ait Avicenna, nec habet quiditaem praeter solam anitatem quam esse significat. »
84Expositio libri Exodi, n. 18, éd. cit., p. 24 : « In deo autem, ubi anitas est ipsa quiditas, convenienter respondetur quaerenti, quis aud quid sit deus, quod deus “est”. Esse enim dei est quiditas. Ego, inquit, sum qui sum. »
85Expositio libri Exodi, n. 19, éd. cit., p. 25 : « Rursus quinto notandum quod Rabbi Moyses, l. i, c. 65 hoc verbum tractans : sum qui sum, videtur velle quod ipsum est “nomen tettragrammaton” autem proximum illi “quod est” sanctum et “separatum”, “quod scribitur et non legitur”, et ipsum solum “significat substantiam creatoris nudam et puram”. [...] Vult ergo Rabbi Moyses dicere quod li “sum” primo dictum significat rei essentiam et est subiectum sive agnominatum. Secundo vero positum sive repetitum significat esse et est praedicatum sive agnominans et agnominatio. » De fait, Eckhart cite le ch. 62 du Dux neutrorum. Cf. Yossif Schwartz, « Meister Eckharts Schriftauslegung als Maimonidisches Projekt », in : Görge K. Hasselhoff et Otfried Fraisse (éd.), Moses Maimonides (1138-2004) : His Religious, Scientific and Philosophical Wirkungsgeschichte in Different Cultural Contexts, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2004, p. 173-208, Id., « Meister Eckhart and Moses Maimonides : From Judeo-Arabic Rationalism to Christian Mysticism », in : A Companion to Meister Eckhart, éd. par Jeremiah M. Hackett, Leiden, Brill, 2012, p. 389-414.
86Expositio libri Exodi, n. 20, éd. cit., p. 26 : « Cum ergo dicit : sum qui sum docet ipsum subiectum esse ipsum praedicatum sum secundo positum. »
87Expositio libri Exodi, n. 16, éd. cit., p. 21-22 : « Tertio notandum quod repetitio quod bis ait : sum qui sum puritatem affirmationis excluso omni negativo ab ipso deo indicat ; rursus ipsius esse quandam in se ipsum et super se ipsum reflexivam conversionen et in se ipso mansionem sive fixionem ; adhuc autem quandam bullitionem sive parturitionem sui – in se fervens et in se ipso et in se ipsum liquescens et bulliens, lux in luce et in lucem se toto se totum penetrans, et se toto super se totum conversum et reflexum undique, secundum illum sapientis : “monas monadem gignit – vel genuit – et in se ipsum felexit amorem – sive ardorem”. »
88Sermo XXIX, n. 301, in : Magistri Echardi Sermones, trad. et éd. par Ernst Benz, Bruno Decker et Joseph Koch, Stuttgart, Kohlhammer, 1987, p. 268 : « Patet ergo manifeste quod deus est proprie solus et quod ipse est intellectus sive intelligere et quod solum intelligere praeter esse aliud simpliciter. Ideo solus deus per intellectum producit res in esse quia in ipso solo esse est intelligere. Iterum quod nihil praeter ipsum potest esse purum intelligere. »
89Cf. Ruedi Imbach, Deus est intelligere. Das Verhältnis von Sein und Denken in seiner Bedeutung für das Gottesverständnis bei Thomas von Aquin und in den Pariser Quaestionen Meister Eckharts, Fribourg, Universitätsverlag, 1976.
90Cf. à ce sujet Ruedi Imbach, « Quelques observations sur la réception du Livre XII de la Métaphysique chez Thomas d’Aquin », Revue des sciences philosophiques et théologiques 99 (2015), p. 377-407.
91Selon la Summa theologiae I-II, q. 68, art. 1.
92L’esprit de la philosophie médiévale (cf. supra, note 70), p. 11 : « En d’autres termes, le moyen âge n’a peut-être pas été si philosophiquement stérile qu’on le dit, et c’est peut-être à l’influence prépondérante exercée par le christianisme au cours de cette période que la philosophie moderne doit quelques-uns des principes directeurs dont elle s’est inspirée. »
93Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft, Vorrede zur ersten Auflage (1793), éd. Karl Vorländer, Hambourg, Felix Meiner, 1978, p. 11 : « denn eine Religion, die der Vernunft den Krieg ankündigt, wird es auf die Zeit gegen sie nicht aushalten. »
94Sermo Puer Iesus, in : Sancti Thomae de Aquino Sermones, éd. par L. J. Bataillon, avec G. Berceville, M. Borgo, I. Costa, A. Oliva en collab. avec P. Krupa, M. Millais, J.-Ch. de Nadaï et Z. Pajda, Rome-Paris, Commissio Leonina-Cerf, 2014 (Leonina vol. XLIV, 1, p. 109a : « Quod non narrat unus, narrat alius. »
95Ibid., p. 109a : « sed nullus debet habere amicum in ueritate, sed solum debet ueritati adherere, quia dicit Philosophus, quia discordia in opinionibus non repugnat amicicie. » Traduction : Thomas d’Aquin, Sermons, Traduction française d’après le texte latin de l’édition Léonine, introduction et commentaire de Jean-Pierre Torrell, Paris, Paris, 2014, p. 130b. Voir aussi Summa theologiae II-II, q. 29, art. 3, ad 2, éd. cit. 1226a : « Ad secundum dicendum quod, sicut Philosophus dicit, in IX Ethic., ad amicitiam non pertinet concordia in opinionibus, sed concordia in bonis conferentibus ad vitam, et praecipue in magnis : quia dissentire in aliquibus parvis quasi videtur non esse dissensus. Et propter hoc nihil prohibet aliquos caritatem habentes in opinionibus dissentire. »
96Fritz Mauthner, Der Atheismus und seine Geschichte im Abendlande, I-IV, Stuttgart-Berlin, Deutsche Verlags-Anstalt, 1920-1923. Sur cet auteur, cf. Jacques Le Rider, Fritz Mauthner. Scepticisme, linguistique et modernité. Une biographie intellectuelle, Paris, Bartillat, 2012, et notre compte rendu dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques 96 (2012), p. 391-395.
97Cf. Friedrich Nietzsche, Götzen-Dämmerung, Die « Vernunft » in der Philosophie, § 5 (Werke in drei Bänden, éd. Karl Schlechta, München, Hanser 1966, p. 960) : « Ich fürchte, wir werden Gott nicht los, weil wir noch an die Grammatik glauben... »
98L’auteur accorde une très grande place à Frédéric II et à la parole sur les trois imposteurs que le pape Grégoire IX prête à l’empereur dans la bulle Ascendit de mari de 1239. Sur le récit des trois imposteurs, il faut lire Thomas Gruber, « Les Trois imposteurs “pré-modernes” et leur intérêt pour les modernistes. Quelques propositions », La Lettre clandestine 24 (2016), p. 35-48 ; Id., « A tribus barattatoribus deceptus. The Formula of the Three Impostors Travelling the Medieval Mediterranean », in: Alessandro Musco et Giuliana Musotto (éds), Coexistence and Cooperation in the Middle Ages, IV European Congress of Medieval Studies, F.I.D.E.M., 23-27 June 2009, Palermo (Italy), Palerme, Officina di Studi Medievali, 2014, p. 671-684.
99Hermann Ley, Geschichte der Aufklärung und des Atheismus, volume 2/2, Berlin, Deutscher Verlag der Wissenschaften, 1971.
100Olaf Pluta, « Atheismus im Mittelalter », in : Klaus Kahnert et Burkhard Mojsisch (éd.): Umbrüche: Historische Wendepunkte der Philosophie von der Antike bis zur Neuzeit, Festschrift für Kurt Flasch zu seinem 70. Geburtstag, Amsterdam-Philadelphie, B. R. Grüner, 2001, p. 113-130. Du même auteur : « “Deus est mortuus”. Nietzsches Parole “Gott ist tot !” in einer Geschichte der Gesta Romanorum vom Ende des 14. Jahrhunderts », in : Friedrich Niewöhner et Olaf Pluta (éd.), Atheismus im Mittelalter und in der Renaissance, Wiesbaden, Harrassowitz, 1999, p. 129-146.
101Atheism. A Philosophical Justification, Philadelphie, Temple University Press, 1990, en particulier l’appendice : « Atheism Defined and Contrasted », p. 463-476.
102Ce texte étant à la fois très significatif et peu connu, il vaut la peine de le citer en entier, dans la transcription d’Olaf Puta : Gesta Romanorum : De statu mundi actuali, Berlin, Preussischer Kulturbesitz, Ms. Lat. fol. 140 : « Tertia ratio quarti philosophi : Deus est mortuus, ideo peccatoribus regnum est repletum. Certe, si deus quantum ad celerem vindictam peccatoris sicut ante incarnationem adhuc viveret, quando pro peccato luxuriae totum mundum subvertit octo animabus exceptis, procul dubio non essent peccatores sine metu. Nam etsi multi tunc non ex vera caritate aut timore gehennae a peccatis se abstinuerunt, tamen timore vindictae, quia sciebant deum omnia vindicare, sicut patet in Sodomitis. Patet etiam in David, cui Deus pro uno peccato intantum iratus, quod in uno die ultra 70 milia hominum subitanee interierunt, ut habetur in libro Regum. Sed nunc quasi mortuus a nobis reputatur deus, ut neque de futuro iudicio neque de poenis inferni cogitemus. Ecce, audistis 12 rationes, quare totus mundus iam in maligno est positus et tot et tantis affligitur malis. “Quiescite igitur perverse agere et discite bene facere !” scribitur Isaiae. Et cum David et Ninivitis veniam postulate, quia omnia praetereunt praeter amare deum ! »
103Dorothea Weltecke, Der Narr spricht : Es ist kein Gott. Atheismus, Unglauben und Glaubenszweifel vom 12. Jahrhundert bis zur Neuzeit, Francfort-New York, Campus, 2010. Voir aussi, du même auteur : « L’athéisme et le doute au Moyen Âge : un problème controversé », Revue de l’histoire des religions 232 (2013), p. 330-361.
104Il faudrait évoquer ici le cas d’Otloh de St. Emmeran (analysé par Weltecke, p. 384-389) ou celui de Henri Suso (p. 391-393) ou un saisissant passage du Liber Miraculorum (IV, xxxix) de Cesarius de Heisterbach (p. 394-396). À titre d’exemple, on peut rappeler un exemplum que raconte Étienne de Bourbon : Tractatus de diversis materiis predicabilibus, Liber IV (de fortitudine), éd. par Albert Lecoy de la Marche, Paris, H. Loones, 1877, n. 226, p. 196-197 : « Vidi aliquem pium et religiosum et probum clericum in noviciatu suo temptatum, primo utrum mundus aliquid esset nisi sompnium aliquod, utrum ipse animam haberet, et utrum eciam Deus esset et de hoc ad mortem dolebat, et fere pro hoc ad desperacionem induxisset eum [dyabolus] vel ad suî occisionem nisi saniori consilio credidisset, dicenti sibi quod, ex quo illa cogitacio dyaboli pocius quam sua non placebat ei, sed pocius ei omnino displicebat, pocius erat ei martyrium quam culpa, sicut infra dicemus de cogitacione blasphemosa. »
105Un cas particulièrement intéressant est celui de Guido Cavalcanti que Boccace évoque dans le Décameron et qu’analyse magistralement Kurt Flasch, « Attributionsatheismus in Boccaccios Decameron VI,9 : Guido Cavalcanti », in : Atheismus im Mittelalter, p. 115-127.
106Aelred de Rievaulx, Speculum caritatis I, 6, ed. C. H. Talbot, Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis 1, Turnhout, Brepols, 1971, lin. 284-309 : « [...] Quaero iterum, utrum scias te esse. Quis, inquis, hoc ignoret ? Plane nec academicus. Semperne fuisti ? Unde ergo accepisti, ut esses ? [...] Sileat ergo tibi sic et sic sapere, sic et sic esse : loquatur tibi in corde ipsum sapere et ipsum esse, et jam non dices in corde tuo : Non est Deus, in ipso plane perspiciens nec posse saltem te esse, qui diceres in corde tuo, Non est Deus, nisi esset et Deus. » Traduction française par Charles Dumont et Gaëtane de Briey, Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles-en-Mauges, 1992, p. 49-50.
107De veritate, q. 10, art. 12, ad 7, éd. cit., p. 342a : « Ad septimum dicendum, quod cogitari aliquid non esse, potest intelligi dupliciter. Uno modo ut haec duo simul in apprehensione cadant ; et sic nihil prohibet quod aliquis cogitet se non esse, sicut cogitat se quandoque non fuisse. Sic autem non potest simul in apprehensione cadere aliquid esse totum et minus parte, quia unum eorum excludit alterum. Alio modo ita quod huic apprehensioni assensus adhibeatur ; et sic nullus potest cogitare se non esse cum assensu : in hoc enim quod cogitat aliquid, percipit se esse. »