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Léon Bloy, Essais et pamphlets

Édition établie et présentée par Maxence Caron, Paris, Bouquins, 2017, 1 536 p.

Jean BOREL

Quelle que soit la manière d’aborder Léon Bloy, la lecture de ses œuvres reste aujourd’hui encore un émerveillement, mais également une épreuve. En effet, aucun lecteur, qu’il soit admiratif ou critique, ne peut prétendre qu’il n’est pas lui-même sur le banc des accusés. Le radicalisme de Bloy est tel, la véhémence qui le nourrit de page en page est si virulente qu’il n’est aucune échappatoire pour se retrancher ou se cacher derrière une simple objectivité littéraire. « Tout homme qui possède au-delà de ce qui est indispensable à sa vie matérielle et spirituelle est un millionnaire et par conséquent un débiteur de ceux qui ne possèdent rien » (p. 449). Si tout Bloy est dans ce mot tiré du Sang du pauvre, tout homme se sent aussi jugé par lui, et chacun sait bien qu’il est juste, et juste jusque dans son extravagance. Saint Augustin n’avait-il pas déjà dit : « Si tu donnais ton bien, ce serait largesse, mais si tu donnes le bien qui est à Dieu, c’est une restitution » ? En rassemblant ainsi en un volume les principaux Essais et les Pamphlets dans lesquels Bloy n’a cessé, par la critique acerbe des bourgeois et des riches, de la société de bourse et de salariat de son époque, de vouloir prendre au nom de l’évangile la défense des pauvres, la puissance de la pensée de l’écrivain apparaît sous un jour nouveau, dans ses intentions les plus originales. S’appuyant sur l’affirmation répétée dans la Bible que tout est image et symbole, que tout événement, tout être, toute chose « signifie », Bloy a désespérément cherché à « déchiffrer les signes » et à interpréter l’histoire humaine. À travers la diversité des thèmes explorés aussi bien dans les romans que les essais critiques, c’est une vision du réel et du sens ultime de la vie qu’il veut mettre en lumière. La souffrance, la révolte, l’impatience, l’attente et le rêve d’une apocalypse non seulement déterminent le style et l’esthétique qui lui sont propres, mais suggèrent dans sa profondeur cette « présence du mystère » auquel Bloy fut toujours attentif. « Personne n’a dit que je suis un poète, rien qu’un poète, que je vois les hommes et les choses en poète tragique ou comique et que par là tous mes livres sont expliqués. Je vous livre ce secret ». Inclassable autant qu’inimitable, Bloy le restera toujours. Et ce qu’il nous presse de faire à chaque page de ses écrits, au travers de la démesure et de l’outrance excessive qu’il met en œuvre, c’est de comprendre que la justice et le bien ne peuvent prendre leur origine et leur sens que dans l’absolu et la violence du feu que Jésus-Christ est venu « jeter et allumer sur la terre ». Avec quelques pages de repères biographiques précis et complets, les différentes notices que Maxence Caron a rédigées au sujet de chacun des ensembles de textes rassemblés sont importantes par la manière dont elles recontextualisent sur les plans historique, littéraire et biographique ces écrits de combat. L’excellente préface d’Augustin Laffay offre un portrait remarquable de Léon Bloy et des intentions théologiques et spirituelles, éthiques et littéraires qui l’ont guidé toute sa vie.