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Le sacré post-théologique1

John E. JACKSON

À envisager les choses d’un point de vue d’historien, la grande césure dans l’évolution des rapports entre la poésie et les dieux se place au XVIIIe siècle. Jusque-là, du moins dans la tradition chrétienne, les choses étaient relativement simples. Il y avait la poésie d’un côté, et les dieux, ou plutôt le Dieu de l’autre. Lorsque la poésie se rapprochait de Dieu, c’était soit parce que la Bible avait elle-même donné l’exemple, comme avec les psaumes, soit, c’est ce qu’on appelait alors la poésie sacrée, qu’on employât la parole à glorifier la divinité ou, comme dans la piété baroque, à se servir d’elle pour amener le croyant au repentir ou à la conversion. La poésie devenait ainsi tour à tour hymne ou prière, elle se mettait au service de Celui qu’elle célébrait ou qu’elle implorait. Son statut était celui d’une parole ancillaire qui trouve sa finalité dans la grandeur immuable et supra-historique de son objet et qui, même dans ses moments d’exaltation, lui reste subordonnée.

À partir du moment où cette grandeur immuable va subir la relativisation de l’histoire, tout va changer. C’est ce qui arrive au XVIIIe siècle. À la théologie poétique pure et dure, comprenons à une théologie anhistorique postulant l’absolu de la vérité et de la révélation divines va succéder, non sans lien avec les coups de boutoirs antireligieux des philosophes des Lumières, une conception qui va faire de la religion elle-même le lieu d’une histoire. Or ce changement, cette relativisation ou cette historicisation de la divinité va bouleverser ses rapports avec la poésie. Ce qui est en jeu, il s’agit de bien le comprendre, c’est le statut de la parole. Stipuler le caractère historique de la religion – c’est de cette époque que date à proprement parler la notion d’histoire des religions –, c’est postuler au moins implicitement que la nature du Dieu ou des dieux dépend en partie de la parole qui les définit ou qui du moins leur assigne leur rang et leur statut. Or si l’on réfléchit ce changement sur le plan poétique, cela veut dire que c’est le poète qui devient en quelque sorte l’opérateur du sacré (et non plus son serviteur comme auparavant). Il se produit non seulement ce que Paul Bénichou a décrit jadis comme le « sacre de l’écrivain »2 – celui-ci prenant le relais de ce qui était auparavant la fonction du prêtre –, mais encore, et de manière plus décisive me semble-t-il, le sacre de la parole, par quoi j’entends l’attribution d’une fonction fondatrice au langage poétique. Le poète chez lequel il me semble qu’on peut observer le plus clairement ce phénomène est Friedrich Hölderlin. La raison en est que pour Hölderlin, la notion même de divinité est une notion historique. Certes, il postule la pérennité d’une instance, qu’il nomme par exemple, das Höchste, et qui est éternelle. Mais cette instance ne se révèle aux humains qu’à travers une histoire, et concurremment à cette histoire qu’à travers une dialectique dont cette histoire est inséparable. Autrement dit, les dieux, ou l’instance absolue, si l’on préfère, changent de nature. Ce changement, Hölderlin le voit en même temps comme un mouvement géographique, un mouvement qui va de l’Asie vers l’Europe et plus précisément vers l’Occident ou ce qu’il nomme Hesperien, l’Hespérie, du terme grec hesperos qui signifie ce qui appartient au crépuscule, au couchant. L’âge premier, qu’en disciple de Winckelmann Hölderlin comprend comme l’âge de la présence, a vu les dieux habiter la terre, ou se mêler aux hommes et à la terre, comme l’atteste la mythologie grecque. Seulement, cette présence des dieux est dangereuse. Hölderlin a tendance à lier la présence d’un dieu à un feu consumant. Par exemple, lorsque Sémélé désire voir Zeus, celui-ci se révèle et s’unit à elle sous la forme d’un éclair qui la consume. Comme il le postule dans sa plus belle élégie, « Brod und Wein », « nur zu Zeiten erträgt göttliche Fülle der Mensch », ce n’est qu’à certains moments que l’humanité peut endurer la plénitude divine. Le temps de la présence, que Hölderlin envisage à travers les poètes grecs de l’Antiquité, s’achève avec la mort du Christ. Christ est curieusement chez lui le dernier des dieux ou plutôt des demi-dieux grecs. Il est comme le demi-frère de deux autres figures, Dionysos, d’une part, Héraklès, de l’autre avec lesquels il partage la caractéristique d’avoir un père divin et une mère humaine. Si une page se tourne avec la mort du Christ, c’est que cette mort met un terme à l’âge de la présence et même, pour être plus exact, au jour de la présence. Désormais, le monde vit dans la nuit. À l’âge de la présence succède l’âge du signe :

Nemlich, als vor einiger Zeit, uns dünket sie lange,
Aufwärts stiegen sie all, welche das Leben beglückt,
Als der Vater gewandt sein Angesicht von den Menschen,
Und das Trauern mit Recht über der Erde begann,
Als erschienen zuletzt ein stiller Genius, himmlisch
Tröstend, welcher des Tags Ende verkündet und schwand,
Liess zum Zeichen, daß einst er da gewesen und wieder
Käme, der himmlische Chor einige Gaaben zurück,
Derer menschlich, wie sonst, wir uns zu freuen vermöchten,
Denn zur Freude, mit Geist, wurde das Größre zu groß
Unter den Menschen und noch, noch fehlen die Starken zu höchsten
Freuden, aber es lebt stille noch einiger Dank.
Brod ist der Erde Frucht, doch ists vom Lichte geseegnet,
Und vom donnerden Gott kommet die Freude des Weins.
Darum denken wir auch dabei der Himmlischen, die sonst
Da gewesen und die kehren in richtiger Zeit,
Darum singen sie auch mit Ernst die Sänger den Weingott
Und nicht eitel erdacht tönet dem Alten das Lob3.

Lorsque voici quelque temps, qui nous semble si long,
Vers le ciel sont montés ceux qui avaient béni la vie,
Lorsque le Père a détourné son visage des hommes
Et que le deuil à bon droit commença sur la terre,
Lorsque parut enfin un calme génie, divinement
Consolateur, qui annonça la fin du jour et disparut,
Le chœur céleste laissa quelques dons derrière lui
En signe de sa présence et de son retour prochain
Dont nous pouvons humainement nous réjouir
Car, pour une joie alliée à l’esprit,
le plus grand était devenu trop grand
Parmi les hommes et encore les héros manquent-ils pour
Les joies les plus hautes, mais en silence reste quelque gratitude.
Le pain est le fruit de la terre, quoique béni par la lumière
Et du dieu tonnant vient la joie du vin.
Ainsi pensons-nous avec eux aux Célestes qui furent là
Autrefois et reviendront au moment venu,
Ainsi les chanteurs chantent-ils avec sérieux le dieu du vin
Et leur éloge ne paraît pas vain au vieillard.

Comme on le voit, cette strophe, qui est la huitième du poème, retrace toute une histoire de nature théologique. Les dieux sont remontés au ciel, le Père a détourné son visage, un génie est venu pour annoncer finalement la fin du jour (allusion à Jn 9,4). Ces disparitions multiples marquent la fin de l’âge de la présence. Mais ce chœur céleste (« der himmlische Chor »), qui a disparu, présente d’autres caractéristiques, et notamment une nature syncrétique. Le fait que Hölderlin emploie le pluriel dans les deux premiers vers prouve qu’il pense à l’ensemble du panthéon grec, le Père, lui, c’est le Père de la Bible alors que le « stiller Genius », le génie paisible, c’est le Christ. Ce chœur céleste a laissé quelques dons « einige Gaaben » en guise de signes de sa présence et de son retour futur. Ces dons, ce sont les espèces de l’eucharistie, sauf que ceux-ci sont réinterprétés. Le pain, en plus du signe du corps de Jésus, est le « fruit de la terre » tandis que le vin, ou pour être plus exact, la joie du vin vient, elle, du « dieu tonnant », c’est-à-dire de Zeus, le père de Dionysos, l’inventeur de la vigne et donc le dieu du vin4. Comme on le voit, cette strophe se fait l’opératrice d’une réinterprétation de l’histoire en tant que l’histoire, pour Hölderlin, est avant tout l’histoire de la présence et de l’absence des dieux. Le poème nomme les dieux et, ce faisant, les donne à reconnaître à la fois et institue leur culte. Autrement dit, la parole du poème se fait l’instrument d’une théophanie qu’elle modèle selon sa propre vision. Hölderlin avait du reste thématisé cette visée dans une strophe antérieure lorsqu’il écrivait que pour que les dieux renouvellent leur présence sur la terre il fallait que fleurissent les mots propres à favoriser leur retour : « Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, enstehn. »

J’aimerais insister encore brièvement sur deux aspects de la théologie poétique de Hölderlin. Le premier, qui le révèle comme un disciple du Rousseau du Contrat social, est qu’il pense sa fonction de poète, ce qu’il nomme son Dichterberuf, comme une fonction communautaire. Le Je du poète ne trouve son sens qu’à l’intérieur du Nous d’une communauté. C’est le destin de celle-ci, et non son propre destin qui est en jeu. Le second, c’est que cette communauté ne trouve son sens à se constituer qu’à travers la piété dont elle fait preuve à l’endroit des dieux. Le poème devient ainsi, dans la visée de son auteur, le lieu où la communauté trouve les mots nécessaires à attester cette piété. Il est le lieu où se constitue le nouveau livre d’hymnes qui doit sceller le lien entre la communauté et son Père céleste. C’est ce que dit par exemple, d’une façon magnifique, la dernière strophe de « Patmos », l’un de ses plus grands hymnes :

Zu lang, zu lang schon ist
Die Ehre der Himmlischen unsichtbar.
Denn fast die Finger müssen sie
Uns führen und schmählich
Entreißt das Herz uns eine Gewalt.
Denn Opfer will der Himmlischen jedes,
Wenn aber eines versäumt ward,
Nie hat es Gutes gebracht.
Wir haben gedienet der Mutter Erd’
Und haben jüngst dem Sonnenlichte gedient,
Unwissend, der Vater aber liebt,
Der über allen waltet,
Am meisten, daß gepfleget werde
Der veste Buchstab, und bestehendes gut
Gedeutet. Dem folgt deutscher Gesang5.

Depuis trop, trop longtemps
L’honneur des Célestes est-il invisible.
Car ils doivent presque nous conduire
Les doigts et honteusement
Une puissance nous arrache-t-elle le cœur.
Car chaque être céleste veut une offrande,
Et lorsque l’un d’eux a été négligé
Cela n’a jamais amené rien de bon.
Nous avons servi la terre mère
Et avons voici peu servi la lumière du soleil,
Ignorants, mais le Père aime,
Qui règne sur tout,
Plus que tout que l’on cultive
La lettre ferme et que ce qui est
Soit interprété justement.
Ainsi va le chant allemand.

Servir « la lettre ferme », der veste Buchstab, interpréter avec justesse ce qui est : le poème se voit prescrire à la fois une fonction herméneutique et une fonction ontologique qu’il appartient à l’écrivain, en tant que membre et porte-parole de la communauté, d’exercer dans un acte de piété qui seul, notons-le, donne son sens à la vection théologique de la poésie.

J’espère que l’on comprend à présent pourquoi j’ai voulu faire débuter ce parcours par Hölderlin. Il me semble en effet que plus qu’aucun autre poète il constitue le trait d’union entre ce qui put être la fonction que la tradition réservait aux poètes jusqu’au dix-huitième siècle et ce qui va devenir notre modernité. Cette modernité, j’aimerais à présent l’aborder en confrontant deux poèmes de Baudelaire, de ce Baudelaire dont Rimbaud dira qu’il fut « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu », comprenons, le premier poète de ce que Rimbaud, et nous après lui, nommons justement la modernité. Le premier de ces deux poèmes se nomme « Harmonie du soir ». « Harmonie du soir » est, en apparence, l’un des poèmes les plus « catholiques » de Baudelaire. Cette apparence, il la doit en premier lieu au fait qu’étant construit sur deux rimes, l’une de ces rimes, la rime masculine en « oir », repose sur l’itération de trois substantifs qui relèvent explicitement du lexique religieux catholique. Voici le poème (je note en passant pour ne plus y revenir parce que ce n’est pas ici mon propos que ce poème, qu’on nomme un « pantoum malais ». Un pantoum malais est un poème composé d’une série de quatrain à rimes croisées dans lesquels le deuxième et le quatrième vers d’une strophe sont repris par le premier et le troisième vers de la strophe suivante).

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !6

En dépit de sa structure fortement répétitive, – et cela non seulement sur le plan structurel de la reprise de vers de strophe en strophe mais aussi de toute une série d’effets musicaux fondés sur le jeu des assonances et des allitérations –, ce poème marque en vérité une progression. Cette progression concerne à la fois la temporalité de la journée (on passe de l’annonce initiale de la venue du soir à la réalisation véritable du crépuscule avec ce soleil qui s’est noyé dans son sang) et la plongée dans une dimension intérieure. Ce qui rythme cette progression, c’est l’importance des trois termes religieux : l’encensoir, le reposoir, l’ostensoir. Le poème mime à sa façon une procession religieuse, il s’achemine vers une révélation. Sauf que cette révélation, en fin de compte, n’est pas religieuse. La lumière qui finit par émerger de l’obscurcissement progressif des quatre quatrains n’est pas la lumière d’une épiphanie christique mais la lumière liée au souvenir de la femme aimée. Le pantoum mime le surgissement d’une présence réelle, mais cette présence réelle est une présence amoureuse. S’il y a bien sacralisation par la vertu de la parole, c’est une sacralisation poétique, pas religieuse. Baudelaire a certes besoin du lexique catholique pour assurer la dignité de sa célébration, mais il ne s’en sert qu’à la manière d’un instrument analogique dont la finalité est poétique et affective. Ce qui est célébré, c’est l’amour. Pourquoi alors le langage religieux ? Parce que, au stade de développement de la pensée du poète au moment où il écrit « Harmonie du soir », vers 1845 semble-t-il, seul ce langage peut suggérer le prix d’une mémoire amoureuse (je note en passant que les grands poèmes d’amour des Fleurs du Mal sont presque tous des poèmes de la mémoire). En assimilant implicitement cette mémoire à une épiphanie, le poème lui confère une valeur paradigmatique.

Nous sommes loin, toutefois, avec « Harmonie du soir », de ce qu’on peut tenir pour le dernier mot de la pensée baudelairienne de la religion. À supposer qu’un tel dernier mot existe – ce qui est une question ouverte –, c’est plutôt du côté de son plus grand poème, du côté des « Petites Vieilles » qu’il faut le chercher. « Les Petites Vieilles » sont non seulement l’un des tableaux les plus saisissants de l’humanité, et en occurrence de l’humanité des vieilles femmes, que Baudelaire ait jamais donné, elles sont aussi, du point de vue qui nous intéresse, l’un des témoignages les plus émouvants de la profondeur avec laquelle il a médité son catholicisme. Selon celui-ci, en effet, l’acheminement vers la mort est inséparable de la possibilité d’une nouvelle naissance, l’accès au salut, ou à la vie éternelle, venant réparer la finitude du corps mortel. Je ne retiendrai ici que deux passages de ce grand poème. Le premier est précisément le passage qui évoque la possibilité d’une nouvelle naissance. Ayant décrit, sans la moindre complaisance, les corps déformés, torturés, des petites vieilles pendant les cinq premiers quatrains du texte, Baudelaire s’interrompt brusquement pour s’adresser à son lecteur dans les termes suivants :

— Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d’un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d’un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j’entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S’en va tout doucement vers un nouveau berceau... (v. 21-28)7

On pourrait dire que la palingénésie envisagée ici n’a rien d’explicitement catholique. Il y a toutefois suffisamment d’éléments dans les strophes qui précèdent pour penser autrement. Les petites vieilles sont « flagellées » par « des bises iniques », elles serrent sur leur flanc un petit sac « ainsi que des reliques », elles ont « les yeux divins de la petite fille ». Le poète qui attire l’attention des lecteurs sur l’impression que lui donne cette « Mort savante » qui règle la taille des cercueils est bien, pour un instant, dans la position du Fils dont l’amour rendrait la vie à celle dont il la tient. Bonnefoy a raison de parler à propos de ces deux quatrains de ces « Dormitions de l’église grecque où l’on voit le Christ délivrer du corps mourant de sa mère une figure qui en est la ressemblance, la fleur, mais petite, toute enfantine. À la notion de chair comme amande de l’absolu s’ajoute à ce moment, mais ce n’est que l’autre aspect d’un mystère unique, que c’est l’amour du fils qui, rendu à celle dont il est né, a assuré la maturation, veillé à la seconde naissance. »8 Sauf que cette impression ne dure, justement, qu’un instant. Baudelaire, après avoir évoqué ce « nouveau berceau », ajoute aussitôt, c’est le quatrain suivant :

À moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l’aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l’ouvrier varie
La forme de la boîte où l’on met tous ces corps9.

Le cercueil, ou plutôt le nouveau berceau a fait place à cette boîte que l’observateur envisage froidement dans une distance dénuée de tout espoir. On dirait, à lire l’ensemble des « Petites Vieilles » que Baudelaire a rejoué, mais pour en constater l’inanité, le drame de la Passion. Ces vieilles femmes, que le poème compare ailleurs à des Madones, à des « mères au cœur saignant » ou encore à des saintes se retrouvent pour finir de simples « débris d’humanité » mûrs pour une éternité privée de toute rédemption. Comme il le demande dans les deux derniers vers du poème :

Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?10

Une Ève octogénaire, c’est une Ève que n’a racheté aucune Marie, c’est le symbole d’un être voué à la déréliction que représente une humanité qui n’a plus d’autre expérience du divin que celle d’une culpabilité ou d’un abandon sans avenir. Baudelaire, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de m’attarder un moment sur lui, est un poète qui appartient encore entièrement à ce qu’on pourrait nommer l’âge théologique de la poésie, mais qui ne lui appartient que pour en constater, sinon la fin, du moins le cruel obscurcissement.

D’obscurcissement, il est aussi question, et dès son titre, dans le poème du troisième et dernier auteur que j’aimerais aborder aujourd’hui, un poète d’autant plus crucial pour la problématique des rapports de la poésie et des dieux qu’il est aussi le poète d’Auschwitz, càd du lieu qui, pour beaucoup, est devenu le symbole de la mort de Dieu. Je veux parler bien sûr de Paul Celan. Le premier poème dont j’aimerais citer quelques vers s’intitule précisément « Tenebrae ». Ces ténèbres, ou plutôt l’emploi du terme latin pour ténèbres est une référence directe au passage de la Vulgate « A sexta autem hora tenebrae factae sunt super universam terram usque ad horam nonam ». Ce passage de Matthieu (27,45) précède immédiatement la mort de Jésus ou plutôt ses dernières paroles, Eli, eli lamma sabacht’ani. Celan avait d’abord intitulé son poème « Leçons de Ténèbres » selon le genre musical liturgique qui accompagne les matines des offices du jeudi, vendredi et samedi saints, et dont il possédait en disque la version de François Couperin. Il s’est ensuite décidé pour le titre latin, sans doute dans le but d’écarter toute connotation culturelle, ce qui lui importait étant bien plutôt la force de suggestion du mot Tenebrae11. Citons les premiers vers :

Nah sind wir, Herr,
Nahe und greifbar.

Gegriffen schon, Herr,
ineinander verkrallt als wär
der Leib eines jeden von uns
dein Leib, Herr.

Bete, Herr,
bete zu uns,
wir sind nah12.

Nous sommes proches, Seigneur,
proches et saisissables.

Déjà saisis, Seigneur,
engriffés l’un dans l’autre, comme si
la chair d’un chacun de nous
était ta chair, Seigneur.

Invoque, Seigneur,
Invoque-nous,
Nous sommes proches.

Comme on le voit, un tel poème repose entièrement sur un procédé de renversement. C’est le Seigneur qui est invité à invoquer le « nous », qui est le nous des hommes. Ce premier renversement en cache d’autres. Par exemple, l’affirmation de la proximité et du caractère saisissable du « nous », du « wir » dès le premier vers est en fait le renversement du vers liminaire de l’hymne de Hölderlin, « Patmos », que nous avons cité tout à l’heure. « Patmos » commence ainsi :

Nah ist
Und schwer zu fassen der Gott.
Wo aber Gefahr ist, wächst
Das Rettende auch13.

Proche
Et difficile à saisir est le Dieu.
Mais là où croît le danger, croît
Aussi ce qui sauve.

Chez Hölderlin, le dieu est proche, mais difficile à saisir. Chez Celan, ce sont les hommes qui sont proches et faciles à saisir. En fait, ils sont déjà saisis. Saisis par quoi ? Saisis par les spasmes de la mort qu’ils subissent dans les chambres à gaz. Celan a lu une description des corps enchevêtrés les uns dans les autres qui s’offraient à la vue une fois que les Juifs avaient été gazés. Ce sont les Juifs morts qui parlent ici. Ils sont « ineinander verkrallt », « engriffés l’un dans l’autre » dans une sorte de renversement parodique et accusateur de l’eucharistie. Alors que dans la Cène le corps de Jésus est partagé dans une hostie salvatrice, les corps enchevêtrés des gazés ont subi la même torture que le corps de Jésus sur la Croix. La communion n’est plus que communion dans la mort ou dans la souffrance. Les Juifs gazés sont autant de doubles du Juif Jésus crucifié. D’où la demande adressée au « Herr », au Seigneur, de nous invoquer. Nous sommes proches a sans doute ici le sens de : nous avons le même destin.

Un poème comme celui-ci, avec les renversements qu’il contient, appartient à une stratégie très précise à laquelle Celan a donné le nom de Gegenwort, de contre-parole. C’est dans le discours qu’il prononça à la réception du prix Büchner le 22 octobre 1960 qu’il introduit cette notion. La contre-parole est la parole qui, prenant à revers les conventions de la langue et de la culture, provoque le scandale d’une vérité informulée jusque-là. En même temps, contre-parole a un sens plus souterrain mais peut-être encore plus important. Paul Celan est né en novembre 1920 dans une province de ce qui avait été jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, deux ans plus tôt, une partie de l’Autriche-Hongrie, la Bucovine. Dans cette province, la langue parlée était l’allemand. Les Juifs de Bucovine, et en particulier de Czernowitz, son chef-lieu, étaient très attachés à cette langue dans la mesure où l’empereur François-Joseph avait été le premier à leur accorder une citoyenneté que la plupart des pays européens leur déniaient encore à l’époque. Dans la famille Celan, si le père souhaitait que son fils apprît l’hébreu et s'il l’inscrivit dans une école primaire hébraïque, la mère, au contraire, lui transmit un profond amour de l’allemand nourri par une passion commune pour la poésie. L’allemand était ainsi non seulement la langue de culture, la langue maternelle dans le plein sens du mot, mais aussi la langue dans laquelle les Juifs avaient trouvé leur pleine identité civile. Écrire des poèmes en allemand était ainsi une multiple affirmation de liberté.

Que cette même langue allemande soit devenue, avec l’accès des nazis au pouvoir, la langue non plus de l’identité mais au contraire de la destruction des Juifs plaçait un poète juif germanophone dans une situation paradoxale. Ce n’est pas seulement Dieu qui s’éclipsait à Auschwitz, c’était aussi la possibilité de se servir poétiquement de l’allemand. La notion de contre-parole avec les renversements qu’elle implique est le résultat de ce paradoxe.

J’en donnerai à présent un autre exemple avec un second poème, intitulé « Psalm », psaume :

Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand bespricht unsern Staub.
Niemand.

Gelobt seiest du, Niemand.
Dir zulieb wollen
wir blühn.
Dir
entgegen.

Ein Nichts
waren wir, sind wir, werden
wir bleiben, blühend :
die Nichts-, die
Niemandsrose.

Mit
dem Griffel seelenhell,
dem Staubfaden himmelswüst,
der Krone rot
vom Purpurwort, das wir sangen
über, o über
dem Dorn14.

Personne ne nous pétrira plus de terre et d’argile,
Personne ne conjurera notre poudre.
Personne.

Loué sois-tu, Personne.
Par amour de toi nous
voulons fleurir.
Vers
toi.

Un Rien
étions-nous, sommes-nous, resterons-
nous, en fleur :
la Rose de Rien, la
Rose de Personne.

Avec
le style clair d’âme,
l’étamine ciel-désert,
la corolle rouge
du mot de pourpre que nous
avons chanté
par-dessus, ô par-dessus
l’épine.

On peut lire ce poème – et j’avoue l’avoir lu ainsi moi-même très longtemps – comme un simple document de théologie négative, comme le psaume adressé à un Personne qu’on qualifie ainsi pour ne pas le réduire à aucun de ses attributs. Dieu inconnu ou Dieu inconnaissable dont les locuteurs, ceux qui chantent ce psaume, seraient, comme en miroir, les adorateurs anonymes ou les figures rendues au néant de cette rose d’Israël désormais exterminée, une rose que le poème détaille à l’aide des épithètes, « seelenhell », clair d’âme, « himmelswüst », ciel désert, et surtout rouge comme la pourpre du sang qui a coulé sous l’épine, la couronne d’épines qui coiffait le Roi des Juifs sur la croix15. Je pense toutefois qu’une telle lecture est insuffisante, et qu’on ne peut la soutenir à partir du moment où l’on comprend que ceux qui parlent dans ce poème ne sont pas les humains, mais les morts, les morts d’Auschwitz, de Treblinka et d’ailleurs. Personne ne nous pétrira plus de terre et d’argile parce que nous ne sommes plus terre ni argile, nous sommes cendres. Personne ne conjurera notre poussière, parce qu’à l’image de nous, qui n’existons plus, toi, Personne, tu n’existes pas non plus. La louange que nous t’adressons n’est que la louange ironique issue de ces deux inexistences. Notre communion, ou le psaume que nous pouvons chanter, ne procède que du négatif. Que reste-t-il alors ? Il reste, et c’est point où je voulais en venir, il reste le langage du poème, cet étrange langage paradoxal dont le propre est qu’il est en mesure de créer une réalité nouvelle, la réalité de ce Niemand ou la réalité de cette Nichts- et Niemandsrose, cette rose de Rien et de Personne qui redéfinit l’instance à partir de laquelle la poésie, la poésie d’après Auschwitz, est encore possible (j’ajoute à ce propos que Theodor Adorno, qui affirmait si bruyamment qu’après Auschwitz aucune poésie n’était plus possible, révisa son jugement quand il prit connaissance des recueils de Celan). Il reste un langage qui s’appuie sur la souffrance du Juif exemplaire qu’est Jésus sur la Croix. L’épine, le Dorn sur lequel le texte s’achève n’est pas seulement plantée dans notre chair, mais aussi dans notre capacité à parler.

Que reste-t-il ? Cette question va hanter Celan comme elle hante le seul auteur qu’on puisse lui comparer de ce point de vue, je veux dire le dernier Beckett. « Psalm », que je viens de citer, est tiré du recueil auquel son vers central donne son nom, Die Niemandsrose qui parut à l’automne 1963. Durant les six ans et demi qui lui restaient à vivre cette question devint toujours plus pressante, et les réponses qu’il lui donna toujours plus brèves, toujours plus incertaines, plus solitaires. Le pouvoir fondateur du langage, de cet allemand tourné contre l’allemand, ou de cet allemand de juif se réappropriant l’allemand, sera toujours plus marqué au coin d’un négatif qui font d’ailleurs de ces poèmes des poèmes toujours plus difficiles à déchiffrer. Celan souffrait de cet état de choses comme il souffrait aussi, il n’est plus de raisons de le cacher, de troubles psychiques toujours plus graves qui le conduisirent à être de plus en plus souvent interné.

La poésie, toutefois, ne peut survivre en se nourrissant exclusivement de négativité. Quand bien même, comme nous venons de le voir, le travail du négatif s’étend jusqu’au dieu créateur, quand bien même nous ne serions plus qu’une rose de Rien et de Personne, il n’en reste pas moins que nous sommes encore « blühend », en fleur, et que la vie continue. Même privé de Dieu, le langage de la poésie reste à la recherche d’un sacré. J’aimerais en donner pour exemple un poème que Celan écrivit à son retour d’Israël où il s’était rendu pour la première fois en octobre 1969, six mois avant son suicide. C’est un poème d’amour, qu’il écrivit en pensant à Ilana Shmueli, qui venait comme lui de Czernowitz et qui fut la dernière femme qu’il ait aimée, et qui évoque une promenade faite en commun à Jérusalem, où elle habitait. Comme presque tous les poèmes de la fin de sa vie, celui-ci n’est pas un poème facile. Il n’en contient pas moins, me semble-t-il, assez d’éléments qu’on peut comprendre pour saisir ce qu’il en est de ce sacré. Voici ce poème :

Die Pole
sind in uns,
unübersteigbar
im Wachen,
wir schlafen hinüber, vors Tor
des Erbarmens,

ich verliere dich an dich, das
ist mein Schneetrost,

sag, daß Jerusalem i s t,

sags, als wäre ich dieses
dein Weiß,
als wärst du
meins,

als könnten wir ohne uns wir sein,

ich blättre dich auf, für immer,

du betest, du bettest
uns frei16.

Les Pôles
sont en nous,
insurmontables
pendant la veille,
nous les passons en sommeil,
devant la Porte de la Miséricorde,

je te perds en toi-même, telle
est ma consolation de neige,

dis que Jérusalem e x i s t e,

dis-le comme si j’étais cette blancheur
qui est tienne,
comme si tu étais
ma blancheur,

comme si nous pouvions être nous sans nous-mêmes,

je t’effeuille pour toujours,

ton étreinte, ta prière
nous libèrent.

On ne sait pas quels sont les « pôles » intérieurs dont le poème parle dans ses premiers vers. On peut imaginer qu’il s’agit d’une polarité de lieux, par exemple de Czernowitz et de Paris, le lieu de naissance des deux interlocuteurs et le lieu où Paul a retrouvé Ilana. C’est une polarité insurmontable parce que, d’une part, à l’époque où le poème est écrit (novembre 1969), le monde est encore en pleine guerre froide, et que Czernowitz n’est plus guère accessible et que, d’autre part, la Czernowitz juive des années 1920 et 1930 n’existe plus, et que même s’ils pouvaient y retourner, Paul et Ilana ne retrouveraient pas leur lieu d’origine. L’exil demeure insurmontable. Sauf dans le sommeil, ce sommeil qui revient devant la « Tor des Erbarmens », cette Porte de la Pitié, Scha’ar haRachamim, l’une des portes de Jérusalem. C’est moins l’indication géographique qui importe ici que le nom même, comme si cette pitié était le sentiment unissant les amants dans la mémoire des morts. « Je te perds en toi, telle est ma consolation de neige ». Je ne sais pas au juste comment interpréter ces deux vers qui sont à la fois si simples et si beaux. La neige est très souvent associée à la mort dans la poésie de Celan, elle l’est souvent par le biais d’une allusion à l’espace de l’Est, de la Russie et de l’Ukraine, où le poète perdit ses parents. Mais nous sommes ici à Jérusalem. Nous le sommes d’autant plus qu’il y a au centre exact du texte cette affirmation extraordinaire : « Sag, daß Jerusalem i s t. » Le verbe « ist » est mis en évidence typographiquement. Que peut vouloir dire : « Dis que Jérusalem est (ou existe) » ? Pourquoi faut-il que la femme aimée le dise ? Pourquoi faut-il qu’elle le dise « comme si j’étais ce blanc », cette blancheur, cette neige qui t’appartient et toi, cette blancheur qui est mienne ?

Dans un texte écrit plusieurs années plus tôt, Celan avait écrit cette phrase, qui est une clé importante pour sa poésie. « Wirklichkeit ist nicht, Wirklichkeit will gesucht und gewonnen werden », la réalité n’est pas, la réalité demande à être recherchée et conquise. Je pense que c’est d’un tel genre de réalité qu’il en va dans ce texte : la femme aimée doit affirmer la réalité de Jérusalem parce que la réalité de Jérusalem n’existe pas en soi, elle n’existe ou du moins elle ne trouve son sens que dans l’amour qu’elle porte au poète et que le poète lui porte. Et c’est pour cela que le texte ajoute « als könnten wir ohne uns wir sein », comme si nous pouvions être nous sans être nous-mêmes. Sous le règne de Niemand, de Personne, la transcendance qu’est Jérusalem ou dont elle est le signe n’a plus d’autre support, plus d’autre fondement que l’amour qui lie ce toi et ce moi, ce Tu et ce Je, dans un Nous qui est aussi seul propre à surmonter, ne fût-ce que le temps d’un poème, la polarité insurmontable qui réside en eux. D’où les derniers vers, et notamment le distique final avec son admirable paronomase, du betest, du bettest/uns frei. Le texte parle d’une libération. Cette libération est également le fait d’une prière, du betest, et d’une étreinte amoureuse, du bettest uns frei. On a envie de dire que la prière est l’étreinte amoureuse ou que l’étreinte amoureuse est la prière. Il y a bien transcendance puisqu’il y a prière, mais c’est une prière fondée sur éros, un éros à son tour appuyé sur une mémoire, qui est à la fois la mémoire des morts et la mémoire du lieu natal. La mémoire d’un lieu et d’un temps d’avant le règne de Niemand. Je crois que si l’on peut parler encore de sacré ou de sacralité à propos de la poésie de Paul Celan, et, à travers lui à propos de la poésie d’après Auschwitz, la poésie d’un âge post-théologique, c’est à un sacré comme celui-là qu’il faut penser.

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1Le présent texte a été présenté le 16 mars 2019 à Saint-Maurice (Suisse) dans le cadre d’un colloque doctoral de théologie systématique intitulé « Théologie et poésie – le défi de la traduction ». Ce colloque était organisé dans le cadre de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO).

2Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, Corti, 1973.

3Friedrich Hölderlin, Sämtliche Werke und Briefe, éd. Michael Knaupp, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1998, I, p. 318.

4Sur l’image de Dionysos chez Hölderlin, voir Bernhard Böschenstein, « Frucht des Gewitters ». Zu Hölderlins Dionysos als Gott der Revolution, Francfort, Insel, 1989.

5Hölderlin, loc. cit., p. 453.

6Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1975, p. 47.

7Baudelaire, op. cit., p. 89-90.

8Yves Bonnefoy, « Baudelaire contre Rubens », Le Nuage rouge, Paris, Mercure de France, 1992, p. 47.

9Baudelaire, op. cit., p. 90.

10Ibid., p. 91.

11Voir l’édition critique, Paul Celan, Sprachgitter, Vorstufen-Textgenese-Endfassung, Tübinger Ausgabe, Heino Schmull éd., Francfort, Suhrkamp, 1996, p. 30-31.

12Paul Celan, Die Gedichte. Kommentierte Gesamtausgabe in einem Band, Barbara Wiedemann éd., Francfort, Suhrkamp, 2005, p. 97. Voir aussi le commentaire de Fred Lönker dans Kommentar zu Paul Celans ‘Sprachgitter’, Jürgen Lehmann éd., Heidelberg Universitätsverlag Winter, 2005, p. 187-195.

13Hölderlin, op. cit., p. 447.

14Celan, op. cit., p. 132-133.

15Voir le commentaire de Klaus Manger in Kommentar zu Paul Celans ‘Die Niemandsrose’, Jürgen Lehmann éd., Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 19982, p. 112-118, qui donne la bibliographie critique relative au poème.

16Celan, loc. cit., p. 362.