Paul Claudel, Lettres à Ysé
Texte établi, présenté et annoté par Gérald Antoine, Préface de Jacques Julliard, Ouvrage publié sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, 2017, 445 p.
Avec cette correspondance de Claudel à Ysé s’éclaire un mythe littéraire que l’on pensait devoir demeurer à jamais caché. Qui était donc cette Rosalie Vetch qui fut le modèle d’Ysé dans Partage de midi et de Dona Prouhèze dans Le Soulier de satin ? Comment Claudel l’avait-t-il réellement rencontrée ? De quelle foudre fut-il atteint pour que tout bascule dans sa vie et que, à peine sorti d’un essai de vocation monastique, il ait pu se jeter dans les bras d’une femme mariée ? Dans ces 197 lettres, écrites entre 1904 et 1947, où le feu de la passion s’allie au génie littéraire, où la conscience adultérine lutte avec la foi et la soumission aux règles de l’Église, où le sérieux alterne avec le bouffon, l’affectif avec le narratif, le poète se débat avec un réalisme surréaliste. Tout à la fois lucide et aveuglé, reconnaissant en lui une nature double au-delà des limites humainement admises tout en étant en perpétuel conflit avec une aspiration à l’harmonie et à l’unité, Claudel ne cesse de s’interroger sur le sens ultime d’une telle rencontre : Dieu l’aurait-il permise ? Conscient de ses vices de dureté, d’orgueil et d’égoïsme d’homme seul, « Dieu aurait-il voulu que je sache ce que c’est que d’aimer une créature humaine, de lui être complètement livré, ce qu’on peut souffrir par elle et quel pouvoir elle a sur vous ? » Si la question reste, bien sûr, sans réponse, la manière de la poser est dramatique. Si cette correspondance est d’abord le témoignage d’une crise existentielle et spirituelle « dont il importe d’évaluer avec précaution l’étrange teneur », elle est également décisive pour comprendre de l’intérieur les dialogues extrêmement subtils et complexes sur le plan spirituel et psychologique qu’entretiennent les différents personnages dans les deux pièces susdites.