Book Title

Yves Gerhard et Marc Weidmann, Elie Gagnebin, géologue et ami des artistes

Vevey, L’Aire, 2016, 245 p.

Jean-Pierre SCHNEIDER

La biographie approfondie d’un homme d’esprit dépasse l’individu qui en fait l’objet. À travers lui, c’est tout un milieu intellectuel et culturel qui se dessine, toute une époque, inscrite dans un cadre géographique déterminé. Élie Gagnebin (1891-1949), à la fois homme de science – professeur de géologie à l’Université de Lausanne depuis 1933 –, et passionné de théâtre, de musique et de littérature, noue des relations d’amitié et de travail avec les scientifiques et les artistes contemporains : parmi ces derniers, des écrivains, des musiciens et des philosophes : Ramuz, Ansermet, Stravinsky – il jouera le rôle du Lecteur dans la première représentation « mythique » de l’Histoire du soldat en 1918 –, Cocteau, Maritain, Mounier, pour n’en citer que quelques-uns. Un des intérêts que suscite l’ouvrage réside dans les nombreuses citations extraites de la correspondance entretenue avec ses contemporains. Les auteurs, Y. Gerhard, antiquisant, petit-fils d’un frère d’Élie Gagnebin, et M. Weidmann, géologue, ont puisé largement dans les archives familiales et des documents inédits pour composer le portrait d’Élie Gagnebin dans toute sa diversité. Un chapitre de l’ouvrage est consacré à « Élie Gagnebin philosophe » (p. 139-158). Comme nombre de penseurs romands au XIXe  s. et encore au XXe , Élie Gagnebin défend une philosophie spiritualiste d’essence chrétienne, mais comme scientifique, il veut s’inscrire dans la tradition réaliste aristotélicienne. Ces deux tendances conjuguées le rapprochent, de façon assez originale, de Thomas d’Aquin et de son disciple contemporain, Jacques Maritain. Son spiritualisme chrétien s’exprimera aussi dans le mouvement personnaliste « Esprit » d’Emmanuel Mounier († 1950), dont il sera l’un des fondateurs du groupe lausannois (p. 148-151). De ses réflexions sur la science, on pourra lire ses contributions à la présente revue : « La finalité dans les sciences biologiques » (RThPh 19 (1931), p. 17-54) et « Mécanisme ou vitalisme en biologie » (RThPh 24 [1936], p. 276-282). Pour donner un exemple de la liberté d’esprit qui caractérisait l’homme et le penseur, on lira sa protestation courageuse – comme celle de son ami, l’helléniste André Bonnard – envoyée aux autorités à l’occasion de l’attribution par l’Université de Lausanne d’un doctorat honoris causa à Musolini en 1937 : « Il me paraît que le rôle de toute Université, et particulièrement de la nôtre, en une époque où les idéologies politiques risquent d’envahir tous les domaines de l’esprit, devrait être de maintenir les notions de vérité, de droit, de morale, indépendantes des opportunismes et des ambitions, plutôt que de couronner les puissants du jour qui se targuent de les fouler au pieds. » (p. 143) Quelques extraits choisis de l’œuvre d’Élie Gagnebin figurent en seconde partie de l’ouvrage (p. 199-223), ainsi qu’une bibliographie exhaustive de ses écrits (p. 227-234).