François Durand, Le témoignage du Ressuscité. Contribution à une théologie fondamentale de l’expérience pascale
Namur, Lessius, 2016 (Donner raison – théologie 50).
Cet ouvrage est à cheval entre l’essai et la synthèse dans la tentative de dire la pertinence effective et contemporaine de l’attestation qui dit : « Jésus-Christ vit ». Au-travers du nombre impressionnant de références que l’A. tisse en un seul texte, c’est le rapport entre « expérience (pascale) » et « vérité » (christologique/trinitaire) qui est réinvesti à la faveur d’une théologie du témoignage – on voudrait pouvoir employer ici le terme de « martyrologie » autrement que dans le sens d’une mémoire des martyrs sanglants. En effet, le concept clef de « témoignage » tel que le propose cet ouvrage serait à placer au point de départ de tout développement christologique et ecclésiologique, les intriquant l’un dans l’autre dès le départ. La propédeutique au discours chrétien ainsi envisagé par cet ouvrage porte sur le témoignage : « C’est en effet en pensant la réalité du témoignage que nous espérons nous situer le plus près possible du lieu d’émergence de la vie véritable » (p. 8). L’ouvrage se présente en quatre grandes parties, dont les trois premières sont basés sur la distinction de H. Kessler (Sucht den Lebenden nicht bei den Toten, Düsseldorf, Patmos Verlag, 1985) entre origine, fondement et genèse de la foi pascale (pp. 126-133) : (I) l’évocation du contexte de réflexion postmoderne sur la résurrection, avec – à gauche – la déconstruction (surtout Jean-Luc Nancy) et – à droite – la Radical Orthodoxy (surtout John Milbank) ; (II) une investigation de la doctrine de la réconciliation de la Dogmatique de Karl Barth (vol. 17 à 26, avec un accent sur les vol. 23 à 25, ch. XVI « Jésus-Christ, le témoin véridique »). Elle sert pour l’A. de point de départ à l’élaboration de son concept-clef de « témoignage », en tant qu’il dépend fondamentalement du « mystère pascal » – la théologie barthienne vient ici en réponse tant à la déconstruction qu’à la Radical Orthodoxy, en évitant, selon l’A., les écueils tant de l’un que de l’autre : « Nous sommes [...] à la recherche d’une pensée théologique non totalisante, laissant sa pleine place à la Révélation sans pour autant résoudre absolument les questionnements existentiels de nos contemporains. » (p. 96) ; (III) une analyse de la dynamique pascale du témoignage dans le diptyque Luc-Actes en tant que cette dynamique affirme l’Église née de la Pentecôte dans le mouvement de la résurrection, tel qu’il culmine à l’Ascension – c’est la partie « biblique » de l’ouvrage ; (IV) une élaboration du rapport entre témoignage, mystère pascal et « expérience », sur la base de la philosophie de Jean Nabert (1881-1960) et de celle de Paul Ricoeur (1913-2005) suivant une pente herméneutique et éthique. Au cœur de cet ensemble complexe qui transgresse les limites habituelles des disciplines de la théologie, il s’agit avant tout, suivant l’A., d’indiquer selon une perspective de théologie fondamentale la puissance de l’efficacité contemporaine de la résurrection dans la mesure où la parole lui est laissée et que l’attestation qu’elle suscite est reconnue – la logique du témoignage est ainsi présentée comme celle qui laisse à la résurrection sa propre puissance : c’est elle seule qui engendre la parole du témoin qui l’atteste et qui engendre conjointement ce même témoin à sa propre vie. « Nous estimons qu’il est aujourd’hui plus opportun de laisser émerger le discours théologique à partir de l’expérience chrétienne au cœur de laquelle l’efficacité de la Résurrection se révèle » (p. 292). Cet extrait résume bien l’entreprise de l’A., ainsi que toute sa difficulté. Il s’agit de faire une théologie contemporaine qui respecte l’exigence posée par la rigueur de l’objectivité théo-logique tout en fécondant le champ de l’existence théo-logique au-delà des interdits apparents placés sur l’« expérience » humaine ; on pourrait dire qu’il s’agit mener Barth au-delà de Barth en postmodernité. « Pour élaborer une théologie fondamentale de l’expérience pascale, il est donc nécessaire de tenir ensemble la révélation biblique, la tradition du témoignage maintenue vivante dans l’Église et l’expérience, appréhendée comme trace d’un absolu qui s’atteste » (p. 294). La prospection réussit par la quantité des intuitions fulgurantes, ainsi que par l’audace avec laquelle elle noue en un seul texte des registres, des mondes d’auteurs et des réalités différentes. Cependant, la densité des propositions et des connexions établies peut rendre difficile la claire et distincte compréhension des thèses directrices. À cela palie les différentes conclusions intermédiaires qui ponctuent l’ouvrage et la conclusion générale. Si la volonté de l’A. est de faire respirer la théologie à partir des réalités pratiques – en référence notamment aux ouvrages de Christophe Théobald, Le christianisme comme style (2 t.) – dans lesquelles est attestée le Ressuscité, son texte reste en revanche un peu au-dessus ces réalités. À titre d’exemple : « Incarner sa foi chrétienne dans une pratique consiste en effet à faire la volonté du Père, telle qu’elle nous est révélée par le Fils, dans l’Esprit, et donc à entrer dans une dynamique de conversion permanente » (p. 326). Il s’agit là bien d’un énoncé de théologie fondamentale qui dit de lui-même sa dépendance à l’égard de la réplique de son complément pratique. L’ouvrage est traversé d’allusions à ce domaine pratique sans en déterminer pour autant les traits – excepté au-travers des notions générales d’« histoire » et d’« expérience » – justement parce qu’il veut souligner avant tout l’écoute qui doit être allouée à ce domaine pratique. Le texte atteste ainsi de sa dépendance à l’égard de ce qu’il appelle une pragmatique de l’Esprit (p. 264). Si l’A. veut montrer la place inaugurale du témoignage issu de l’expérience pascale pour la théologie chrétienne, il ne confond pas son propre propos avec ce témoignage, bien qu’il en dépende herméneutiquement. On ne saurait minimiser le caractère stimulant et fécond de la lecture de cet ouvrage pour toute réflexion d’ordre dogmatique, de théologie fondamentale, voire de missiologie. Quelques remarques formelles pour conclure : la littérature secondaire qui appuie l’ensemble de l’entreprise est principalement francophone et anglophone, avec quelques références hispanophones et italophones. On relèvera la présence utile d’un index biblique et d’un index onomastique, mais malheureusement aucun index thématique.