Peter Rautmann, Delacroix
Traduit de l’allemand par Denis-Armand Canal et Lydie Echasseriau, Paris, Citadelles et Mazenod, 1997, 350 p.
À l’occasion de la rétrospective du Louvre sur Eugène Delacroix, qui s’est donnée du 29 mars au 23 juillet 2018, la plus importante après l’exposition qui a commémoré en 1963 le centenaire de la mort de l’artiste, la remarquable synthèse de Peter Rautmann, publiée en 1997, prend valeur d’ouvrage de référence. D’où l’intérêt d’une recension pour en décliner l’importance, car la vision de Delacroix est loin d’avoir dit son dernier mot, autant par l’originalité des thèmes picturaux qu’elle représente, que par leur signification historique et politique, sociale et religieuse, à laquelle la richesse des commentaires et des notes de son fameux Journal ne cessent d’apporter de nouvelles perspectives. En effet, alors même qu’on serait tenté de penser qu’on a tout dit sur Delacroix, tout montré, tout analysé et qu’il n’y a plus de regard neuf possible sur cette œuvre monumentale, voilà qu’un questionnement inattendu relance à merveille le débat : comment inclure le spectateur, avec sa subjectivité et sa culture personnelle, comme partenaire engagé dans le concept artistique ? Delacroix lui-même appelait déjà de ses vœux ce genre de contemplation active. Et pour la rendre possible, il fallait avoir le courage de tout reprendre à zéro, fort de cette conviction qu’avait aussi Delacroix que « l’expérience est indispensable pour apprendre tout ce qu’on peut faire avec son instrument, mais surtout pour éviter ce qui ne doit pas être tenté » (p. 12) C’est ce que réussit Peter Rautmann en se concentrant d’abord sur le point de départ du romantisme et de la modernité, après la crise que l’art traverse après 1800, et en définissant la spécificité du renouveau apporté par Delacroix, par rapport à la tradition artistique européenne. Et s’il fallait redonner à la force de l’imaginaire, à l’art de la mémoire et à la réalité du rêve toute l’importance que l’on sait qu’ils ont eu pour Delacroix et qu’on a toujours mis en évidence, il fallait aussi oser élargir les points de vue et montrer comment la révolution et les sciences de la nature, la musique et la couleur, l’art européen et extra-européen, le fragment et la totalité s’insèrent et se comprennent dans la nouvelle perspective de l’artiste. « Pour saisir Delacroix dans sa création, dit Peter Rautmann, il ne suffit pas de s’en tenir à l’état final et de se limiter aux tableaux et aux peintures murales. Il convient d’évoquer le processus même du travail artistique dans sa cohérence et sa dynamique propre, d’inclure et de comparer les dessins et les esquisses, les gravures et les photographies, depuis l’idée initiale jusqu’à l’œuvre achevée, afin de mettre en lumière les ruptures, les éventuelles différences entre la pensée première et son élaboration, ainsi que les compromis et les adoucissements lors des finitions » (p. 14) Chaque page dégage ainsi de manière remarquable et originale certains aspects de la sensibilité psychique et émotionnelle de l’artiste qui se dissimule aussi bien dans les thèmes iconographiques, religieux ou historiques, qu’il a privilégiés, que dans son journal littéraire. Dans ce sens, dit l’auteur, la périodisation chronologique est éclairante puisqu’elle laisse transparaître un drame et une dynamique, née de l’œuvre et de son évolution. Et pour la présenter avec toute la précision nécessaire, il fallait s’efforcer d’obtenir « la clarté d’une biographie ». Une bibliographie très complète invite le lecteur à découvrir d’autres travaux et perspectives sur ce peintre qui est loin d’avoir dit son dernier mot.