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Stéphane Ratti, L’Histoire Auguste : Les païens et les chrétiens dans l’Antiquité tardive

Paris, Les Belles Lettres, 2016, 346 p.

David BENOIT

L’A. nous propose un recueil d’une vingtaine d’études. Plutôt que d’opérer par ordre chronologique, l’A. a ici privilégié un classement thématique, scindant son recueil en deux parties « païens et chrétiens dans l’Antiquité tardive » (p. 9-175) et « l’Histoire Auguste aujourd’hui » (177-337), à quoi s’adjoint un index général (339-346). La première partie traite des relations entre païens et chrétiens aux IVe et Ve siècles, la seconde étant dévolue au pseudépigraphe que constitue l’Histoire Auguste. Avant de passer brièvement en revue les deux parties, précisons que l’une des thèses défendues par l’A. est l’identification de l’auteur de l’Histoire Auguste en la personne du haut-fonctionnaire que fut Nicomaque Flavien senior, thèse que l’A. proclame depuis 2005 déjà ! La première partie est abordée d’un point de vue littéraire : « L’arsenal des lettres latines » (11-17). L’A. s’intéresse au « renouveau » de la littérature latine chrétienne rendu possible par la promulgation du rescrit de Milan (313). Après avoir retracé dans ses grandes lignes l’historique de cette littérature (apparition au IIe  s. ; développement et essor au IIIe  ; âge d’or au IVe  s. et sa perpétuation jusqu’au VIIIe  s.), l’A. revient sur ce changement qui a vu une littérature latine chrétienne passer de la défensive à l’offensive au IVe  s., embrassant désormais tous les styles littéraires (nouvelle thématique des vies d’ascètes, moines ou saints substituée à celle, devenue inactuelle, des martyres ; développement d’une littérature plus technique découlant des querelles théologiques ; amélioration de la qualité littéraire chrétienne). L’A. tient à rappeler que la littérature latine chrétienne s’est développée au contact de la littérature païenne. Sur ce constat, l’A. poursuit avec une étude plus polémique « païens et chrétiens au IVe siècle : points de résistance à une doxa » (19-40), reprenant l’épineuse question des rapports entre chrétiens et païens au IVe  s. en réexaminant les travaux de quelques chercheurs (P. Brown ; R. MacMullen ; P. Athanassiadi ; A. Cameron). Les thèses de Brown, surtout, et celles de Cameron, avec leur « filiation supposée », occupent la moitié de cet article, et il faut attendre les pages 34 et suivantes pour voir abordée la question de la doxa actuelle sur ces relations. Cette doxa, nuancée par l’A., doit admettre comme une réalité historique un affrontement polémique entre païens et chrétiens sous Théodose. La troisième étude, « les ancêtres d’Émile Ajar » (41-52), porte bien son titre. L’A. y propose l’analogie entre l’œuvre de l’écrivain français d’origine russe Roman Kacew écrivant sous de nombreux pseudonymes et celles de deux auteurs de l’Antiquité, Encolpius, secrétaire de Pline, et Nicomaque Flavien, préfet du prétoire de Théodose, auteurs respectifs, selon Ratti, du Satyricon d’une part et du Miles Marianus ainsi que de l’Histoire Auguste d’autre part. L’A. s’intéresse aux emplois et avantages qu’ont tirés ces trois auteurs de l’usage de pseudonymes et retire de cette comparaison des considérations méthodologiques, notamment en ce qui concerne l’attribution d’une œuvre anonyme à un auteur. Suivent trois études en lien avec Augustin « Saint Augustin sur scène » (53-61) ; « Saint Augustin grammairien et philosophe » (63-76) et ; « Saint Augustin a-t-il voulu interdire le Querolus ? » (77-95). Dans la première, l’A. s’intéresse aux sermons de l’évêque d’Hippone, à leur rédaction et aux différentes contraintes qui pèsent sur leur écriture (le public ; la voix et l’espace). La seconde concerne la nouvelle édition de l’Abrégé de la grammaire de saint Augustin (G. Bonnet et E. Bermon [éd.], Paris, 2013.) Après une brève introduction sur le contexte historique et le programme projeté par Augustin esquissé dans son De ordine, l’A. se penche sur les questions de transmission du traité, de compréhension du titre (le sens d’abrégé), d’authenticité et du lectorat. Suivent quelques observations, notamment sur l’influence de l’œuvre de Plotin sur les écrits d’Augustin. Dans la troisième, l’A. se focalise sur trois ouvrages et des renvois croisés qui existent entre eux : le De reditu suo de Rutilius Namatianus ; le Querolus et la Civitas Dei d’Augustin (p. 77-89). Notons que l’A. propose de voir dans un passage d’Augustin, Civ. V 26, 2, un renvoi au Querolus. Cinq études diverses viennent conclure cette première partie : « Le diptyque des Nicomaque et des Symmaque au cœur de la polémique pagano-chrétienne » (97-115) où l’A. s’intéresse à l’usage qui devait être fait de ce fameux diptyque en ivoire, à sa datation et aux différentes interprétations des motifs ; « Culture et urbanisme dans l’Antiquité tardive : à propos de deux ouvrages récents » (117-128) où l’A. fait discute de Culture profane et critique des sources de l’Antiquité tardive de J.-P. Callu (Rome, 2006) et de Decor civitatis, decor Italiae. Monuments, travaux publics et spectacles au VIe siècle d’après les Variae de Cassiodore de V. Fauvinet-Ranson (Bari, 2006) ; dans « Rutilius Namatianus : Jérôme Carcopino avait raison ! » (129-133), l’A. revient sur la datation proposée dès 1928 par le savant français pour le De reditu suo, qui était correcte (en 417). En revanche, l’hypothèse formulée par ce dernier sur le fait que cet ouvrage était inachevé est caduque depuis la découverte, en 1973, de fragments d’un second livre ; « À propos de F. Paschoud, Eunape, Olympiodore, Zosime » (135-147) ; finalement, « Jean d’Antioche et ses sources latines » (149-175). L’Histoire Auguste est au cœur de la seconde partie. L’A. aborde ce sujet à partir d’un point de vue personnel dans « mon Histoire Auguste » (179-190), pour suivre sur la datation et la diffusion de l’œuvre à travers trois études : « 394 : fin de la rédaction de l’Histoire Auguste ? » (191-225), répondant notamment aux objections portées à l’encontre de l’hypothèse de l’A. qui voit en Nicomaque Flavien senior l’auteur de l’œuvre ; « la date et la diffusion de l’Histoire Auguste » (227-245) et « l’Histoire Auguste et les provinciaux, entrailles de l’État » (247-262). Quatre études sont consacrées au contenu de l’Histoire Auguste : « Herennianus dans l’Histoire Auguste, Flavius Pollio Flavianus et Nicomaque Flavien senior » (263-276) ; « Historia Augusta contra christianos. Recherche sur l’ambiance antichrétienne dans l’Histoire Auguste », publié en collaboration avec J.-F. Nardelli (277-306) ; « l’Histoire Auguste et les barbares » (329-333) et « Zénobie » (335-337). « La signification antichrétienne des oracles de Virgile dans l’Histoire Auguste » (307-327) est un compte rendu inédit de l’ouvrage de M. Ekbom, The Sortes Vergilianae. A Philological Study, Uppsala, 2013. L’A. y aborde la question de la réappropriation de Virgile par certains auteurs chrétiens. Dans l’ensemble, le recueil est bien conçu, les thématiques bien définies, et l’A. a eu la bonne idée d’insérer dans les notes des renvois internes. On suit donc en toute logique une première partie dévolue aux relations entre chrétiens et païens dans l’Antiquité tardive, plus particulièrement sous le règne de Théodose, et aux différentes positions adoptées par les chercheurs sur le sujet. De même, la seconde partie permet au néophyte en matière d’Histoire Auguste d’approfondir ses connaissances sur cette œuvre son auteur (présumé), sa datation ou son contenu. Mais il faut attendre « l’Histoire Auguste et les barbares » pour avoir une idée générale de ce qu’est l’Histoire Auguste. Peut-être eût-il fallu le placer après « mon Histoire Auguste ». L’A. emploie avec aisance et maîtrise nombre de sources et dresse des réflexions poussées (e.g. 277-306), quelque fois moins évidentes (par ex. p. 263-276). On regrettera l’absence de l’étude de Jérôme Carcopino annoncée à la p. 129. Certaines publications de l’A. sur le même sujet, mentionnées dans les notes, auraient pu compléter le recueil. Quoi qu’il en soit, le vif intérêt suscité par la lecture de ce livre ne peut qu’inviter le lecteur à se rapporter à l’ouvrage du même auteur, Antiquus error. Les ultimes feux de la résistance païenne. Scripta varia augmentés de cinq études inédites, Turnhout, 2010.