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Pierre Judet de La Combe, Homère

(Folio Biographies), Paris, Gallimard, 2017, 370 p.

Alexandra TRACHSEL

Dans cet ouvrage, Pierre Judet de La Combe nous propose une réflexion originale sur les nombreux récits qui circulaient dans l’Antiquité au sujet du présumé auteur de l’Iliade et de l’Odyssée. Ses observations se développent en deux temps : dans la première partie du livre (Le Mythe d’Homère) le philologue nous emmène dans le monde des traditions contradictoires dédiées au poète qui aurait composé les deux chefs-d’œuvre que sont l’Iliade et l’Odyssée. Il s’attache à plusieurs éléments clefs : le nom du poète et ses diverses interprétations (l’otage, le médiateur ou l’aveugle), les différents récits sur l’origine, la famille et la vie du poète. Pourtant, même si les thèmes abordés sont bien connus, l’approche est novatrice, car l’auteur ne cherche pas à privilégier l’une des traditions ou à fournir une réponse claire relative à la vie d’Homère. Au contraire, dans la discussion, il valorise chacune des informations recueillies et les analyse sans vouloir les harmoniser, en soulignant que, pour les auditeurs antiques, l’existence d’un récit au sujet du poète par excellence – le mythe du poète ingénieux – était plus importante que le contenu qu’il transmet. Dans la seconde partie (Quand la poésie parle de son mythe), l’auteur se tourne vers les textes eux-mêmes et répertorie les images de poètes que les poèmes homériques véhiculent. Dans cette démarche, il s’engage également sur des voies nouvelles, en définissant les deux poèmes comme des artefacts, fruits d’une forme d’artisanat, comparables à des bijoux, des armes, des coupes ou des tissus. Tous ces objets doivent leur existence à un artisan-créateur. Ainsi, l’auteur se démarque, sans pour autant la rejeter, de la théorie de la poésie orale qui voit dans les poèmes des flux changeants s’adaptant aux différentes circonstances de performances. En revanche, il définit la poésie comme un temps d’arrêt correspondant aux occasions lors desquelles un poète se produit. Cette position lui permet de donner une importance toute particulière à Héphaïstos, l’artisan par excellence, et à sa mise en évidence dans l’Odyssée. Elle l’amène aussi à passer en revue les différentes formes de poésies et d’occasions de récitation que l’on rencontre dans les poèmes homériques, pour montrer que le poète de ces œuvres, tout en ne se nommant jamais, connaît le mythe du poète et l’explore dans ses poèmes. De même, en refusant de se nommer ou de nommer le contexte pour lequel ses poèmes sont composés, il peut englober toutes les autres formes de poésie et les commenter, tout en restant une voix extérieure, faisant pourtant autorité par son approche totalisante. Cet ouvrage nous permet donc de revisiter, sous la plume experte de Judet de La Combe, les enjeux soulevés par la question de la création des poèmes homériques. Toutefois, puisqu’en tant que biographie, l’ouvrage est consacré au poète et non pas aux poèmes, il nous invite aussi à nous interroger sur la virtuosité difficilement saisissable qui les a fait surgir pour la postérité.