Théisme et complémentarité
En philosophie analytique de la religion, la question de la cohérence (logique) du théisme, c’est-à-dire de la cohérence des diverses propriétés que nous attribuons à Dieu dans une perspective théiste, occupe une place importante. En effet, le respect absolu du principe de non-contradiction constitue pour ce courant philosophique un a priori incontournable pour toute affirmation qui se veut intelligible. Mais est-il possible de concevoir un Dieu dans une perspective théiste sans aboutir à des apories ? Est-il en particulier possible de le faire dans le contexte de la pensée moderne qui est le nôtre ? Et pouvons nous quand même maintenir un discours intelligible sur Dieu ?
Je voudrais montrer que ces questions se posent en particulier si nous essayons de réconcilier le théisme classique avec la conception moderne de la personne. Plus exactement : si nous cherchons à défendre le théisme tel que nous le trouvons par exemple chez Augustin, Anselme ou Thomas d’Aquin, tout en concevant Dieu comme une personne dans le sens moderne du terme, selon moi nous aboutissons inévitablement à ce qui, à première vue en tout cas, s’avère être une aporie. Je vais proposer une solution à ce problème en recourant au modèle de complémentarité élaboré dans le cadre de la physique quantique, en transposant ce modèle à la doctrine philosophique de Dieu.
Par « théisme » j’entends, en suivant Richard Swinburne, une doctrine qui définit Dieu comme une personne qui est pur esprit, éternel, tout-puissant, omniscient, libre, parfaitement bon et créateur de l’univers1. Le théisme classique conçoit Dieu, en outre, comme un être absolument parfait. Or la question décisive pour le propos de cet article est de savoir comment attribuer aujourd’hui à Dieu la notion de « personne » et quelles sont les conséquences d’une telle attribution pour le théisme classique. Je ne compte pas me pencher ici sur la question du rapport entre le concept moderne de personne et son usage théologique traditionnel dans la réflexion sur la nature trinitaire de Dieu et la nature divine de Jésus-Christ. Je partirai plutôt d’emblée de la conception moderne pour plaider en faveur de son intégration dans le théisme classique. Je ne vois pas comment défendre autrement le théisme aujourd’hui. Ce n’est toutefois pas d’abord la personne comme centre d’activité libre et doué de raison que j’ai en vue, mais l’idée d’un être capable d’entrer en relation avec d’autres personnes. Quand on conçoit Dieu comme absolument parfait et comme capable en même temps d’entrer en relation avec d’autres personnes, en particulier de les aimer, on se trouve confronté à l’aporie que je souhaite thématiser ici. Un Dieu parfait aimant autre chose que lui-même est, stricto sensu, une contradiction en soi.
Or le Dieu chrétien a été traditionnellement conçu comme porteur précisément de ces deux attributs : perfection et amour. On pourrait bien sûr adopter la position néothéiste de la philosophie analytique contemporaine qui, comme c’est le cas par exemple chez Richard Swinburne, conçoit Dieu selon le théisme, mais sans lui attribuer la perfection. Je compte toutefois montrer qu’il y a de bonnes raisons de ne pas abandonner l’idée de la perfection divine. Or si on ne l’abandonne pas, il ne reste à mon avis qu’une solution pour échapper à une aporie tout en maintenant une conception théiste : penser Dieu selon le modèle de la complémentarité. J’entends par là un modèle que le physicien Niels Bohr semble avoir été le premier à élaborer. Il s’en est en effet servi pour expliquer la fameuse expérience de la double fente. Dans le contexte de la physique quantique, le terme « complémentarité » signifie que le phénomène observé ne peut être décrit de manière exhaustive que si l’on juxtapose des descriptions contradictoires. À l’aide de ce modèle, Bohr explique entre autres la dualité onde-corpuscule.
En m’appuyant sur la théorie traditionnelle de la double détermination de Dieu par la via positiva et par la via negativa et en me référant au théisme de Thomas d’Aquin et de Richard Swinburne, je voudrais montrer comment on peut transposer la notion de complémentarité à la doctrine philosophique de Dieu : en attribuant à Dieu la perfection absolue et la notion (moderne) de personne comme deux descriptions contradictoires, absolument parlant, mais également nécessaires2.
1. Théisme classique
Pour rendre intelligible la contradiction qu’il y a à penser Dieu comme absolument parfait et en même temps comme personnel, je me sers de la méthode traditionnelle des deux voies de détermination de Dieu : via negativa et via positiva, la voie négative et la voie positive comme je les appellerai dorénavant. Je présuppose donc dans ce qui suit que les deux voies sont des moyens légitimes de détermination de la nature divine. Dans un premier temps, je montrerai qu’elles divergent par le fait que la voie négative aboutit à concevoir Dieu comme absolument parfait, alors que la voie positive, prise en elle-même, peut se passer de cet attribut. Dans un second temps, je montrerai que la voie positive, en tant que telle nous oblige, à partir de ce que nous entendons aujourd’hui par « personne », à penser Dieu comme un être en relation avec d’autres personnes, contredit la voie négative qui conçoit Dieu comme absolument parfait.
1.1. La perfection divine
La voie négative détermine ce que Dieu n’est pas. Autrement dit, elle attribue à Dieu de manière négative des propriétés que nous attribuons positivement à l’être créé. Elle attribue donc à Dieu quelque chose qui n’est pas attribué aux êtres créés. Un exemple représentatif pour la détermination de la nature divine par la voie négative est la doctrine de Dieu de Thomas d’Aquin. Thomas d’Aquin établit d’abord l’existence de Dieu comme cause première de l’univers par ses cinq preuves de l’existence de Dieu. Je ne me penche pas ici sur ces preuves. Comme le théisme constitue le cadre présupposé de mon propos, je prends l’idée d’un créateur en tant que cause première de l’univers comme point de départ. Or cette idée est déjà une idée négative. Il n’y a pas de cause première observable parmi les créatures. L’observation nous montre au contraire que tout ce qui cause quelque chose est à son tour causé par autre chose. Une cause première, si elle est vraiment première, ne peut être causée par rien d’autre et ne dépend donc de rien d’autre.
À partir de cette première idée négative, on peut quasiment déduire l’idée de la perfection divine sans quitter la voie négative, à condition de se tenir, comme le fait Thomas d’Aquin, dans le cadre de l’ontologie aristotélicienne. Dans ses Sommes (je suis ici plutôt l’ordre de la Somme théologique que celui de la Somme contre les Gentils), Thomas parvient à l’idée de la perfection divine à peu près par les étapes suivantes :
1. Si la cause première était composée de parties, cette composition devrait avoir une cause, car rien ne peut se composer par soi-même. Deux choses distinctes ne peuvent se composer que s’il y une cause (se distinguant de ces deux choses) qui les unit3. Donc rien de composé ne peut être une cause première. La cause première doit être absolument simple : Deus est simplex4.
2. Une cause ne peut pas se causer elle-même. Tout ce qui cause est causé par autre chose. Le mouvement et en général le changement ne peuvent être expliqués autrement5. Sur la base de cet axiome aristotélicien, partagé par l’ontologie implicite des sciences naturelles modernes, une cause première doit nécessairement être conçue comme immuable6. Dieu ne serait pas cause première s’il pouvait être mû par autre chose.
3. L’attribut de l’immutabilité implique logiquement celui d’être actus purus7. D’un point de vue aristotélicien, l’immutabilité exclut une composition d’acte et de puissance, car tout ce qui est composé d’acte et de puissance peut en principe être mû, donc passer de la puissance à l’acte, à l’aide de quelque chose qui se trouve déjà être en acte. Une cause première immuable ne peut donc comporter aucun mélange de puissance ; elle est obligatoirement acte pur.
Simplicité, immuabilité et acte pur sont toutes des idées négatives. Selon Thomas d’Aquin nous ne rencontrons rien parmi les êtres crées qui puisse être appelé simple, immuable ou acte pur. Or pour parvenir à l’idée de la perfection, il faut prendre en considération
4. l’idée médiévale de la création, c’est-à-dire le principe selon lequel toutes les perfections de l’être crée se trouvent en Dieu8. Parce que Dieu, en tant que cause première, a causé l’univers entier avec la totalité de ces attributs positifs, autrement dit ses perfections, il contient toutes ces perfections. L’un des arguments que Thomas d’Aquin avance est : toute perfection qui existe dans un effet doit préexister dans la cause de cet effet9. Comme ces perfections ne peuvent exister en Dieu sous forme de potentialités, il n’y a pas de perfection de l’être crée que Dieu ne possède pas (en acte). Dieu est donc absolument parfait au sens où il possède en acte la totalité des perfections de ses créatures. La perfection d’aucun genre ne fait défaut à Dieu, comme Thomas d’Aquin l’exprime selon la perspective aristotélicienne10. Dieu, en outre, est parfait au sens où il possède chaque perfection de manière insurpassable11. Rien ne peut être ajouté à Dieu, sinon il y aurait à nouveau des potentialités qu’autre chose que Dieu pourrait actualiser. Dieu est donc en quelque sorte idéal, sans le moindre manque12. Cette idée de la perfection divine comme perfection absolue incluant toutes les perfections créées est étroitement liée à celle de l’infini chez Thomas d’Aquin. Dieu ne peut pas être conçu comme infini en termes d’espace, nous dit-il, mais il doit être dit infini dans la mesure où il n’y a pas de limite et pas de fin à sa perfection13. Or attribuer à Dieu la perfection absolue est aussi une attribution par voie négative, puisque aucun être crée observable ne possède la totalité des perfections de manière absolue14.
C’est ainsi que, par la voie négative, on aboutit chez Thomas d’Aquin à la notion de perfection divine. Si nous partons de l’idée que Dieu est cause première (attribut négatif) et que de ce fait Dieu n’est causé par rien d’autre, que donc Dieu se caractérise par l’aséité, c’est-à-dire que Dieu existe par soi-même, ne doit pas son existence à autre chose que lui-même, et qu’en même temps Dieu est créateur de l’univers et de par son aséité doit posséder actuellement et à la perfection toutes les déterminations de ce qu’il crée (attribut négatif), alors Dieu est nécessairement parfait.
Cela étant dit, à côté de la voie négative on peut aussi attribuer à Dieu des propriétés par voie positive. Selon Thomas d’Aquin, il y a un certain nombre d’attributs de l’être crée qui, pris en eux-mêmes, n’impliquent aucun manque : quelque chose est bon, un être humain est sage, doué de raison, etc. Ce genre de propriétés peut aussi être attribué de manière positive à Dieu, la seule différence étant que ces déterminations lui sont attribuées de manière éminente : Dieu est bon ou sage en un sens qui dépasse toute bonté ou sagesse créée15. Mais je préfère ne pas présenter la voie positive en me servant de Thomas d’Aquin, car en vue de ce qu’il s’agit de montrer, il est important de commencer par bien distinguer les deux voies et se pencher sur la question de leur lien dans un second temps seulement. Je vais plutôt m’appuyer ici sur la doctrine néothéiste de Dieu développée par Richard Swinburne dans son ouvrage The Coherence of Theism. En effet, Swinburne, comme la plupart des néothéistes analytiques, développe sa doctrine de Dieu sans recours aucun à la voie négative16.
Comme pour Thomas d’Aquin, je m’appuie sur Swinburne de manière très sélective. Swinburne ne cherche pas à prouver que les attributs positifs qu’il étudie sont effectivement à attribuer à Dieu. Selon le titre de son ouvrage, il établit seulement la cohérence (logique) du théisme. Je n’entrerai pas non plus dans son argumentation pour justifier cette cohérence. Il me suffit pour commencer d’énumérer trois attributs positifs que Swinburne considère comme essentiels pour le théisme. Commençons par la notion de puissance (power). Les êtres humains ont de par leurs différentes facultés la capacité d’exercer du pouvoir. Cette propriété positive peut aussi être attribuée de manière positive à Dieu, la seule différence étant que Dieu doit être conçu comme tout-puissant. La toute-puissance divine est définie comme la capacité de produire tout état de choses possible17. Les êtres humains sont en outre des êtres se connaissant et connaissant leur environnement. Nous pouvons également attribuer cette propriété à Dieu de manière positive en le concevant comme omniscient. Dieu connaît, nous dit Swinburne, toute proposition vraie qu’en un temps donné il est possible de connaître18. Nous pouvons finalement aussi attribuer à Dieu la liberté. Dieu est absolument libre au sens où aucun facteur causal ne détermine ses choix19, alors que les êtres humains sont, tout en étant libres, déterminés par de multiples influences au-delà de leur contrôle. Ces trois propriétés, la liberté parfaite, l’omniscience et l’omnipotence sont les trois attributs de base du théisme selon Swinburne. Un être qui a ces trois attributs possédera aussi les autres attributs qui, selon la conception du philosophe anglais, caractérisent le Dieu du théisme ; un tel être est appelé personal ground of being20.
Les propriétés que je viens d’énumérer sont des propriétés que le théisme classique lui aussi attribue à Dieu. Mais à la différence de celui-ci, il n’y a rien qui oblige Swinburne à décrire Dieu comme un être absolument parfait. La voie négative telle qu’elle est conçue par Thomas d’Aquin déduit la perfection absolue de Dieu du fait qu’il est cause première. Le Dieu de Swinburne est également conçu comme créateur de l’univers, mais cela n’implique pas qu’il faille lui attribuer la perfection absolue. Dieu a simplement des attributs supérieurs à tout autre être, sans que la limite entre lui et la créature n’ait quelque chose à voir avec la différence entre le parfait et l’imparfait. Selon Swinburne, Dieu peut par exemple se servir de sa toute-puissance pour se limiter lui-même21, en particulier en créant des êtres humains libres par rapport à lui-même. Dieu peut aussi limiter son omniscience : s’il veut qu’ils soient véritablement libres, ils doivent pouvoir agir sans qu’il ait prescience de leurs actions22. Ainsi le Dieu théiste n’est pas pour Swinburne absolument parfait, mais seulement relativement parlant l’être le plus parfait qui soit. Et cela lui suffit pour concevoir un théisme cohérent.
Il y a comme un écart entre la voie positive et la voie négative, lorsque l’on compare Thomas d’Aquin et Swinburne. Prises isolément, ces deux voies ne parviennent pas à la même conception de Dieu. Thomas d’Aquin connaît certes une voie positive, mais il contourne cet écart en harmonisant les deux voies. Il le fait en concevant les propriétés de Dieu obtenues par la voie positive comme des perfections absolues au sens de la voie négative. Le Dieu de Swinburne, autolimitant sa toute-puissance pour rendre possible la liberté humaine, est seulement beaucoup plus puissant que la plus puissante des créatures, alors que le Dieu de Thomas d’Aquin est tout-puissant en un sens absolu, sans concession aucune. Il en est de même pour toute autre propriété qui peut être attribuée à Dieu à partir de la voie positive. Appeler Dieu « bon » ou « sage » veut dire, pour Thomas d’Aquin, le considérer comme bon ou sage en un sens absolu, sans carence aucune23. Selon la conception médiévale de la causalité divine, Dieu a nécessairement créé toute chose à son image, donc de façon similaire à lui-même, à l’exception de la perfection absolue. Dieu ne peut pas se créer lui-même24. Mais l’inverse vaut aussi : ce qui peut être attribué relativement aux créatures est toujours attribué absolument à Dieu.
C’est Kant qui, sur le plan de l’attribution d’une propriété à Dieu, nous a rendus attentifs au caractère problématique de cette identification de l’éminence de quelque chose, c’est-à-dire du mode le plus haut de son existence, avec la perfection absolue (une identification qui, pour Thomas d’Aquin, semble aller de soi). Kant le montre dans la Critique de la raison pure dans le cadre de sa critique de la preuve physico-téléologique. Il admet qu’il y a dans l’univers un ordre et une fonctionnalité étonnants, mais pour lui il n’est pas possible pour autant d’en déduire la nécessaire existence d’une cause absolument parfaite de cet univers. La seule conclusion légitime serait de considérer la perfection de cette cause comme étant proportionnée à la perfection de l’univers25.
1.2. Dieu comme personne
Cet écart entre la voie négative et la voie positive devient une véritable aporie si, par la voie positive, nous attribuons à Dieu la notion de « personne » avec tout ce que le sens moderne de ce terme implique.
En partant de la définition classique, considérons d’abord une « personne » comme un être capable de raison. Par « raison », j’entends ici la capacité de juger et de raisonner. Au sens des sciences cognitives modernes, il s’agit d’une façon de traiter de l’information qui fait appel à nos moyens cognitifs supérieurs, liés entre autres au cortex préfrontal, responsable d’un grand nombre d’opérations cognitives plus ou moins spécifiquement humaines26.
Mais nous devons aussi l’empathie, la recherche contemporaine le montre, à nos capacités cognitives supérieures, et en particulier au fonctionnement du cortex préfrontal27. Dans la recherche actuelle, on distingue entre une empathie émotionnelle et une empathie cognitive. Toute réaction emphatique de l’homme semble impliquer les deux formes à la fois. L’empathie émotionnelle consiste à partager des états émotifs. L’une de ses composantes est la compassion. L’empathie cognitive est la capacité de créer une théorie sur l’état mental d’une autre personne. Autrement dit, l’empathie cognitive est la capacité de se mettre à la place d’une autre personne, d’imaginer, de juger et de raisonner sur ses pensées, sentiments et intentions28. Elle implique donc la « raison » au sens traditionnel du terme. Mais elle implique aussi le fait de penser, sentir et avoir des intentions soi-même afin de pouvoir se mettre à la place des autres, et le fait de pouvoir développer de l’empathique émotionnelle pour les sentiments d’autrui. Or aujourd’hui on considère l’envergure que prend chez l’homme la capacité de se mettre à la place d’autrui, de comprendre sa vie intérieure et de s’affirmer par là dans l’interaction sociale, comme une caractéristique essentielle de la supériorité du fonctionnement du cerveau humaine, et cette capacité apparaît en même temps comme étant l’éventuel moteur de ce qui a fait évoluer notre capacité de juger et de raisonner en général29. Une personne au sens moderne du terme et au niveau le plus élevé de ses possibilités cognitives est un être qui a pour caractéristique essentielle de traiter de l’information qui se rapporte à la vie intérieure d’autres personnes en termes d’empathie.
Par conséquent, si nous pensons Dieu comme étant de manière éminente ce qu’est une personne au sens d’une personne humaine, nous devons penser Dieu comme étant capable d’empathie. Mais si nous attribuons à Dieu la capacité d’être empathique envers sa créature, Dieu sera également doté d’empathie émotionnelle, c’est-à-dire qu’il éprouvera de la compassion et donc souffrira avec ceux qui souffrent. Or la souffrance est un manque. La voie positive suggère que Dieu doit être capable d’empathie. Pour la voie négative, par contre, la capacité d’être empathique constitue un manque et pour cette raison ne peut pas être un attribut divin30.
L’écart entre la voie négative et la voie positive se creuse encore davantage si nous considérons la voie négative en elle-même. En effet, le Dieu de la voie négative ne peut entretenir aucune une relation directe avec ses créatures. Comme Thomas d’Aquin l’explique, toute relation revient à être dépendent de ce à quoi on est relié31. Un Dieu qui est cause première, qui est donc une cause jamais causée par autre chose, ne peut pas être conçu comme dépendant de quoi que ce soit32. Pour Thomas d’Aquin, Dieu ne peut avoir qu’une relation indirecte avec sa créature à travers la relation à l’idée de cette créature que Dieu a en lui-même33. Cette conception présuppose à nouveau l’exemplarisme médiéval selon lequel en Dieu se trouve l’idée de tout ce qui existe au niveau de l’être crée. Un Dieu absolument parfait ne peut avoir de relation directe qu’avec lui-même. Toute créature est tournée vers Dieu, mais la réciproque n’est pas vraie34. Dieu ne peut aimer ses créatures qu’en s’aimant lui-même, en aimant indirectement la créature à travers l’idée qu’il a d’elle en lui-même.
Revenons à la voie positive. Prise isolément, elle pose d’autres problèmes. Dans son livre The Existence of God, Swinburne conçoit Dieu comme ultimate explanation35, comme explication dernière de l’existence de l’univers. Une explication dernière explique l’existence de quelque chose par des facteurs qui ne peuvent plus eux-mêmes être expliqués par d’autres36. En d’autres termes, une explication dernière conçoit les causes de ce qui est à expliquer comme causes qui ne peuvent à leur tour être expliquées par d’autres causes. Si nous considérons Dieu comme l’explication dernière de l’univers, il n’y a donc pas de facteurs au-delà ou en-deça de Dieu pouvant expliquer son existence. En ce sens, Dieu est pour Swinburne the ultimate brute fact37.
Or un Dieu qui est à la fois tout-puissant, omniscient et qui crée librement l’univers peut être considéré comme une explication minimale de notre univers. Il est concevable qu’au moins dans le sens d’un créateur ex nihilo, Dieu doive avoir les attributs mentionnés par Swinburne. Mais est-ce suffisant pour une explication dernière ? Nous avons vu que Swinburne ne conçoit pas Dieu comme un être absolument simple ou parfait. En tant qu’être purement spirituel, Dieu est bien sans parties. Dieu est, toutefois, composé de différents états qui alternent chronologiquement : intentions, pensées, actes, etc. Ils alternent chronologiquement, car Dieu est pour Swinburne un être temporel qui ne se distingue de sa créature que par le fait qu’il existe éternellement dans le temps. Et il peut, comme nous l’avons vu, s’auto-limiter, se limiter lui-même dans sa perfection.
Ce qui manque à une telle conception de Dieu pour être une explication dernière de l’univers, c’est selon moi son inconditionnalité. Si nous considérons avec Kant que la raison humaine cherche naturellement la condition pour tout conditionné jusqu’à parvenir à l’inconditionné38, une explication dernière qui, contrairement à cette aspiration, ne pense pas Dieu comme un être inconditionné reste insatisfaisante. Or une telle inconditionnalité n’est donnée qu’avec un être absolument simple et parfait. Thomas d’Aquin argumente, nous l’avons vu, que pour tout ce qui est composé se pose la question de la raison ou de la cause de sa composition39. Sans prétendre être en mesure de prouver par un tel argument la nécessité de l’existence d’une cause simple, comme le fait Thomas d’Aquin, avec un Dieu composé la question de l’origine de sa composition se pose néanmoins. Pour ce qui concerne l’imperfection, une autre difficulté apparaît : imparfait, Dieu manquerait de quelque chose, quelque chose pourrait lui être rajouté, et donc il y aurait en Dieu de la potentialité. Et avec cela, quelque chose en Dieu serait capable d’être causé par autre chose. Contrairement à Thomas d’Aquin, je ne pense pas qu’il soit impossible de concevoir un Dieu qui a de la potentialité. On pourrait dire, en partant de l’idée d’un Dieu composé, qu’un aspect de Dieu qui est en acte peut actualiser un autre aspect qui est en puissance. Il n’empêche qu’en ayant de la potentialité, Dieu est potentiellement capable d’être mû par autre chose que lui-même. Autrement dit, la potentialité de Dieu rendrait son aséité conditionnée. Dieu ne dépendrait de rien d’autre, à condition seulement qu’il n’y ait pas d’autre être que Dieu qui cause le passage à l’acte de ses potentialités. Ou plus précisément : à condition qu’il n’y ait pas un autre Dieu, un Dieu absolument parfait qui pourrait compléter ce qui manque au Dieu non parfait de Swinburne40. On pourrait objecter qu’un Dieu absolument parfait ne saurait exister à côté du Dieu de Swinburne, car un Dieu absolument parfait ne pourrait pas s’auto-limiter dans sa perfection en auto-limitant sa toute-puissance pour laisser exister un autre être tout-puissant, car ce faisant il ne serait plus du coup absolument parfait. Mais on ne peut pas se servir de cet argument pour défendre Swinburne, car Swinburne lui-même ne fait rien d’autre en concevant (son) Dieu comme un Dieu tout-puissant qui se limite dans sa toute-puissance (et qui dès lors n’est plus tout-puissant tant qu’il maintient son auto-limitation).
Même si Swinburne lui-même conçoit le fait d’être ultimate brute fact comme une expression de l’aséité de Dieu, parce que pour ce qui est de son existence cet ultimate brute fact ne dépend ni de lui-même ni de rien d’autre41, il ne semble cependant voir aucun problème à considérer Dieu sur le plan de la nature divine en même temps comme une entité composée et non-parfaite. Mais une entité composée et non-parfaite pourrait justement être expliquée par autre chose encore ; non pas pour ce qui est de son existence mais pour ce qui est de sa nature. Vu ainsi, le Dieu de Swinburne n’est pas une entité inconditionnée, et donc n’est pas un ultimate brute fact au sens plein du terme42.
Si Dieu n’est Dieu que s’il est conçu comme un être inconditionné, il faut que Dieu soit cause première au sens d’une cause ne pouvant en aucun cas être causée par autre chose et qui de ce fait doit être simple et parfaite. Or avec cela nous sommes engagés dans la voie négative. Si nous cherchons une explication véritablement dernière de l’existence de l’univers, nous ne pouvons donc pas déterminer Dieu uniquement par la voie positive. Selon une image qui nous vient de Bertrand Russell ou de William James, nous pouvons nous représenter la terre comme reposant sur le dos d’un éléphant géant qui est debout sur le dos d’une tortue géante qui se trouve sur une autre tortue géante, etc., à l’infini (turtles all the way down43). Selon cette image, il se peut que le Dieu théiste de Swinburne ne soit que l’éléphant géant ou la première des tortues géantes. En tout cas, qui nous dit qu’il n’y a pas derrière ce Dieu imparfait un autre Dieu encore, absolument parfait celui-là ?
2. Complémentarité
L’analyse qui précède m’amène à conclure d’une part que la voie positive et la voie négative se contredisent et qu’il est d’autre part problématique de déterminer Dieu simplement par l’une de ces deux voies. Si nous acceptons la détermination de la nature divine par la connaissance négative, la voie négative procure de bonnes raisons de considérer Dieu comme une explication dernière au vrai sens du terme, c’est-à-dire comme une cause première absolument simple et parfaite ; mais cette voie ne nous permet pas de penser Dieu comme une personne en relation directe avec d’autres personnes. La voie positive, au contraire, nous fournit de bonnes raisons de considérer Dieu comme une personne au sens relationnel, mais elle ne parvient pas à une compréhension satisfaisante de Dieu comme explication dernière de l’univers.
La solution que je voudrais maintenant proposer consiste à appliquer à la doctrine de Dieu un modèle que, dans le cadre de la physique quantique, le physicien danois Niels Bohr semble avoir été le premier à formuler et qu’il désigne par la notion de complémentarité44. À ma connaissance, une telle application n’a jamais été faite. En soi, elle ne pose, selon moi, aucun problème. Le modèle de complémentarité est un modèle de pensée comme un autre, permettant de réconcilier des descriptions contraires d’un même phénomène. C’est en physique quantique qu’il a d’abord fait ses preuves, mais il n’implique en soi aucun présupposé (méthodologique) des sciences physiques. Une telle application n’a d’ailleurs rien de nouveau45, et Bohr lui-même était de l’avis que ce modèle pouvait être transféré à des phénomènes divers, y compris extra-physiques.
Complémentarité veut dire, nous l’avons vu, la juxtaposition de deux descriptions nécessaires mais contradictoires d’un même phénomène46. En physique quantique, l’expérience de la double fente (fente de Young) peut être conçue selon cette complémentarité pour expliquer la nécessité de concevoir les entités qu’elle observe à la fois comme onde et comme particule. Niels Bohr a lui-même utilisé la notion de complémentarité dans un sens plutôt vague pour différentes paires de propriétés. Il parle en outre d’une complémentarité entre la position et l’impulsion d’une particule élémentaire, par exemple. La complémentarité entre onde et particule ne joue en fait qu’un rôle secondaire chez lui. Cependant il s’agit d’un cas de complémentarité qu’il mentionne explicitement47. Je le choisis parce qu’il peut être parfaitement illustré au moyen de l’expérience de la double fente et parce qu’il permet de bien comprendre ma transposition de ce modèle à la doctrine de Dieu.
Je commence par rapidement esquisser l’expérience en tant que telle. Une source envoie des photons (ou des électrons) sur un écran ; une plaque comprenant une double fente a été placée entre la source et l’écran. Le comportement des particules, une fois qu’elles ont passé la fente, est étonnant dans la mesure où les photons ne frappent pas l’écran à l’endroit attendu. On s’attendrait qu’ils passent chacun par l’une ou l’autre fente et frappent donc l’écran à l’endroit qui correspond en ligne droite à l’emplacement des deux fentes sur la plaque intermédiaire. Au lieu de cela, on retrouve des photons cumulés à bien des endroits sur l’écran, mais non pas en prolongation des fentes de la plaque. En plus, ces différents endroits forment un schème correspondant à des franges d’interférence. Or la seule explication possible pour un tel schème est que les photons se comportent comme des ondes. Une onde en effet, en traversant deux fentes à la fois, est divisée en deux ondes partielles qui s’interpénètrent. Et l’impact de ces deux ondes sur l’écran correspond exactement à une telle frange d’interférence. Mais ça n’est pas tout. Il est possible de faire des mesures montrant que les photons ne sont en fait rien d’autre que des particules. Si en effet on place des détecteurs à l’endroit même des fentes de la plaque, il s’avère que chaque photon passe par exactement une seule fente (comme une particule au sens classique le ferait) et non pas par les deux fentes (comme le ferait une onde). Curieusement, un photon-particule mesuré de cette façon ne participe plus à la formation des franges d’interférence quand il frappe l’écran48.
Il s’agit d’une remarquable expérience qui laisse perplexe les physiciens pour ce qui est de l’explication de ce phénomène. Sur la base de l’interprétation de Copenhague, qui est l’interprétation la plus commune, on peut cependant conclure ceci : qu’un photon soit une particule ou une onde, cela est déterminé par la mesure. En mesurant l’impact sur l’écran, le photon semble être une onde ; en mesurant ce qui se passe à l’endroit des fentes, le photon semble être une particule. Jamais en même temps et dans le cadre d’une même mesure un photon est à la fois une onde et une particule. Cependant ces mesures, d’une part sur l’écran, d’autre part à l’endroit de la fente, nous obligent à dire que le photon est bien les deux à la fois, une onde et une particule. Nous avons besoin des deux descriptions pour décrire l’expérience de manière compréhensive. Le problème est qu’une onde et une particule sont des réalités qui s’excluent mutuellement. Une onde est quelque chose de continu, une particule quelque chose de discret, or une même chose ne peut pas être à la fois continue et discrète. Comme le physicien C. F. von Weizsäcker le dit, la physique quantique nous enseigne « qu’une interrelation complète de toutes les expériences »49 n’est plus possible. La description du photon comme onde et celle du photon comme particule doivent être considérés comme irréductiblement incompatibles. Cependant il s’agit de deux descriptions nécessaires du photon dans le cadre de l’expérience à double fente. Autrement dit : bien que les descriptions s’excluent mutuellement, elles sont complémentaires50.
À mes yeux, cette opposition entre onde et particule ne peut pas être réduite à une pure contradiction des faits. Selon l’interprétation subjective de l’interprétation de Copenhague par Heisenberg, au lieu d’une contradiction des faits, nous avons affaire ici à une incompatibilité au niveau de notre discours sur les faits51. Il s’agit d’une incompatibilité due à différentes perspectives descriptives. Les deux descriptions, en effet, ne reposent pas sur les mêmes mesures. Dans un sens très kantien, l’expérience de la double fente révèle une limite de la raison humaine plutôt qu’un non-sens au niveau de la réalité elle-même.
Le transfert de ce modèle de complémentarité à la doctrine philosophique de Dieu ne pose maintenant aucun problème. Les descriptions par la voie négative (un Dieu parfait) et par la voie positive (un Dieu personnel, en interrelation avec d’autres personnes) peuvent être interprétées comme deux descriptions incompatibles mais nécessaires de la nature divine. Elles se contredisent, mais du point de vue du théisme classique nous devons affirmer les deux afin de concevoir Dieu adéquatement. De cette façon, le modèle de complémentarité résout une aporie du théisme classique. En plaçant les termes qui se contredisent sur deux plans différents de la description, tout en affirmant que les deux descriptions sont également nécessaires, ce modèle permet de repenser le rapport entre voie négative et voie positive, entre un Dieu parfait et un Dieu personnel, en évitant les problèmes que pose le modèle d’harmonisation de Thomas d’Aquin et en échappant au réductionnisme néothéiste de Swinburne.
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1Ma définition du théisme est légèrement allégée par rapport à celle de Swinburne : « By a theist I understand [...] a person without a body (i.e. a spirit) who is eternal, free, able to do anything, knows everything, is perfectly good, is the proper object of human worship and obedience, the creator and sustainer of the universe. » Richard Swinburne, The Coherence of Theism, Oxford, Oxford University Press, 1977, p. 1.
2Cet article reprend, repense et approfondit une idée d’abord développée dans Jörg Disse, Desiderium : Eine Philosophie des Verlangens, Stuttgart, Kohlhammer, 2016, chap. 7.
3Thomas d’Aquin, Somme théologique I, q. 3, a. 7.
4Ibid. ; cf. Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 18.
5Somme théologique I, q. 2, a. 3.
6Somme contre les Gentils, I, 13.
7Ibid., I, 16.
8Somme théologique, I, q. 4, a. 2.
9Ibid.
10Somme contre les Gentils, I, 28.
11Ibid., I, 28 ; Somme théologique, I, q. 3, a. 2.
12Somme contre les Gentils I, 28.
13Ibid., I, 43.
14Je ne discute pas ici le cas particulier de l’actus essendi, qui est créé et parfait dans le sens où il est égal à Dieu en tout sauf le fait de ne pas être cause première (cf. sur ce point Jörg Disse, Kleine Geschichte der abendländischen Metaphysik. Von Platon bis Hegel, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 20073, p. 168).
15Somme contre les Gentils I, 28.
16Le refus de la voie négative, qui est quasiment constitutif de la philosophie analytique, est bien exprimé par le passage suivant de Thomas V. Morris : « How can we ever be justified in saying what something is not unless we have some sense of what it is ? This one question reveals the weakness endemic to any severely, or exclusively negative theology. Rational denial seems clearly to presuppose rational affirmation. Knowledge of what something is not seems to be based upon knowledge of what, to some extent, it is. So, as a suggestion which threatens to undermine the possibility of substantive and positively informative theological discourse, the strict via negativa seems unconvincing. » Thomas V. Morris, Our Idea of God. An Introduction to Philosophical Theology, Vancouver, Regent College Publishing, 1999, p. 23. Swinburne se prononce lui aussi de manière critique sur la voie négative ; cf. The Coherence of Theism, p. 82.
17R. Swinburne, The Coherence of Theism, p. 154.
18Ibid., p. 172.
19Ibid., p. 148.
20Ibid., p. 232.
21Ibid., p. 161.
22Ibid., p. 181.
23Pour ce qui concerne la bonté cf. Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, 38.
24Cf. ibid., II, 25.
25Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, B 655s.
26Cf. p. ex. Kate Teffer, Katerina Semedeferi, « Human Prefrontal Cortex. Evolution, Development and Pathology », in : Progress in Brain Research 195 (2012), p. 191-218.
27Cf. p. ex. Simone Shamay-Tsoory, « The Neuropsychology of Empathy. Evidence from Lesion Studies », in : Revue de Neuropsychologie 7/4 (2015), p. 237-243.
28Ibid.
29Cf. l’importante étude de Michael Tomasello, Aux origines de la cognition humaine, Paris, Retz, 2004.
30L’idée chrétienne d’un Dieu trinitaire ne change rien à cette contradiction. Le théisme classique conçoit les relations trinitaires comme immanentes à la perfection divine. Au niveau de l’immancence d’un Dieu parfait, aucun problème ne se pose puisque les personnes divines ne souffrent pas. Mais dès que ce Dieu trinitaire est sensé pouvoir entrer en relation avec des personnes humaines (qui souffrent), on retrouve la même contradiction.
31Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 13, a. 7.
32ID., Somme contre les Gentils, II, 12.
33Ibid., I, 91.
34Somme théologique, I, q. 13, a. 7.
35R. Swinburne, The Existence of God, Oxford, Oxford University Press, 20042, p. 78.
36Ibid., p. 79.
37Ibid., p. 79 et 96.
38Emmanuel Kant, op. cit., B 364.
39Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 3, a. 7.
40Swinburne lui-même se prononce d’ailleurs pour la possibilité logique de « more than one personal ground of being » et donc de plus d’un être parfaitement libre, tout-puissant et omniscient ; cf. The Coherence of Theism, p. 232-233.
41Ibid., p. 277.
42Swinburne critique à son tour la conception de Dieu comme entité inconditionnée, parce qu'on ne peut le concevoir comme inconditionné qu’en s’engageant dans la voie négative, et cela conduit alors à des formulations paradoxales, en particulier et en référence directe à Thomas d’Aquin à la nécessité de concevoir toutes les propriétés de Dieu comme identiques en Dieu ; cf. R. Swinburne, The Christian God, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 161.
43Cf. Paul Davies, The Goldilocks Enigma. Why is the Universe Just Right for Life ?, Londres, Allen Lane, 2006, p. 244-247.
44Cf. surtout Arkady Plotnitsky, Niels Bohr and Complementarity. An Introduction, New York, Springer, 2012.
45Il y a d’autres tentatives de transférer ce modèle à d’autres sciences, p. ex. à la psychologie : Jochen Fahrenberg, Zur Kategorienlehre der Psychologie. Komplementaritätsprinzip Perspektiven und Perspektiven-Wechsel, Lengerich, Pabst Science Publishers, 2013, ou à l’anthropologie philosophique : Hans-Ulrich Hoche, Anthropological Complementarism. Linguistic, Logical, and Phenomenological Studies in Support of a Thrid Way Beyond Dualism and Monism, Paderborn, Mentis, 2008.
46Formulé de manière plus précise encore : « Complementarity [...] is defined by a) a mutual exclusivity of certain phenomena, entities, or conceptions ; and yet b) the possibility of applying each one of them separately at any given point ; and c) the necessity of using all of them at different moments for a comprehensive account of phenomena that we must consider. » Arkady Plotnitsky, Niels Bohr and Complementarity, p. 6-7.
47« Vielmehr stellen die beiden Auffassungen der Natur des Lichtes zwei verschiedene Versuche einer Anpassung der experimentellen Tatsachen an unsere gewöhnliche Anschauungsweise dar, durch welche die Begrenzung der klassischen Begriffe in komplementärer Weise zum Ausdruck kommt. [...] In der Tat handelt es sich hier [...] um komplementäre Auffassungen der Erscheinungen, die erst zusammen eine naturgemässe Verallgemeinerung der klassischen Beschreibungsweise darbieten. » Niels Bohr, « Das Quantenpostulat und die neuere Entwicklung der Atomistik », in : Die Naturwissenschaften 16 (1928), p. 245-257, ici p. 246.
48Cf. la présentation tout à fait compréhensible aussi pour le non-physicien de Paul Davies, The Goldilocks Enigma, p. 275-277, ou, plus détaillée, chez Arkady Plotnitsky, Niels Bohr and Complementarity, p. 73-76.
49« [...] dass eine durchgängige Verknüpfung der Erfahrungen [...] nicht möglich ist ». Cf. Carl Friedrich von Weizsäcker, « Quantenmechanik und Philosophie », in : Die Tatwelt 17/3 (1941), p. 66-98, ici p. 90.
50« Die beiden Bilder schließen sich natürlich gegenseitig aus, weil eine bestimmte Sache nicht gleichzeitig ein Teilchen (d. h. Substanz, beschränkt auf ein sehr kleines Volumen) und eine Welle (d. h. ein Feld, ausgebreitet über einen großen Raum) sein kann. Aber die beiden Bilder ergänzen sich ; wenn man mit beiden Bildern spielt, indem man von einem Bild zum anderen übergeht und wieder zurück, so erhält man schließlich den richtigen Eindruck von der merkwürdigen Art von Realität, die hinter unseren Atomexperimenten steht. » Werner Heisenberg, « Die Kopenhagener Deutung der Quantentheorie », in : ID., Physik und Philosophie, Stuttgart, Hirzel, 1984, p. 27-42, ici p. 32.
51Ibid.