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Process et théodicée

Trancher le nœud gordien

Mathias HASSENFRATZ-COFFINET

Les théologiens du process considèrent que la toute-puissance de Dieu est un attribut non biblique, incohérent et éthiquement indéfendable. En supprimant cet attribut, la théodicée ne pose plus vraiment problème. Mais en quoi est-elle encore une question intéressante, qui mérite d’être étudiée ?

La théologie du process est un courant théologique nord-américain qui fonde ses travaux dans la philosophie d’Alfred North Whitehead, mathématicien, logicien, maître puis collègue de Bertrand Russell. Whitehead a perçu un changement radical en physique avec la théorie de la relativité. Il a tenté d’adapter la manière dont nous concevons la réalité et la traitons en philosophie à ce changement radical.

Les théologiens du process considèrent la réalité à travers l’ontologie de Whitehead, en partant du principe que l’on regarde toujours la réalité à travers une certaine ontologie, telle une précompréhension. En travaillant, en se contraignant à rester dans le cadre de l’ontologie whiteheadienne, les théologiens du process objectivent ce choix, cette précompréhension. L’ontologie de Whitehead devient ainsi une certaine norme du discours.

La réalité n’est plus comprise comme constituée de substances immuables, qu’on les appelle « essences » ou « atomes ». Elle est fluente, insaisissable et dynamique : la réalité est événementielle, et non matérielle. Le fond de la réalité, ce qui la constitue de manière ultime, n’est pas la matière. Il ne s’agit pas de nier l’importance de la matière, mais simplement de considérer que ce n’est pas elle qui constitue in fine la réalité.

Je commencerai par un très court exposé de la théodicée selon les théologiens du process. Pour eux elle consiste finalement en une critique en règle du dogme de la toute-puissance, avant d’aborder la question du mal en dehors d’une perspective proprement de théodicée : si on ne considère plus la responsabilité de Dieu, quel sens peut avoir le mal ? Peut-il avoir une valeur positive, une nécessité ? Et enfin : de quelle manière se situe Dieu, et son action, par rapport au mal ?

1. Théodicée

1.1. Introduction et définition

La théodicée, cela est bien connu, relève de la quadrature du cercle tant qu’on maintient les trois pôles du triangle : bonté de Dieu, toute-puissance de Dieu, et présence du mal. Maintenir les trois pôles en l’état est impossible. On peut ainsi affaiblir un pôle ou l’autre. Par exemple, considérer que le mal a une utilité pour éduquer les hommes ou que le mal est en passe de disparition, un résidu, que le monde, tel qu’il est, est le meilleur des mondes possibles, sont deux jeux possibles entre la puissance de Dieu et la réalité du mal.

Ou alors on peut affirmer que la justice de Dieu n’est pas la même que celle des hommes : « qui sommes-nous pour questionner sa justice, même lorsque nous voyons des atrocités ? » La conception d’une vie après la mort, selon le principe d’une justice rétributive, peut aller en ce sens : ceux qui ont souffert injustement vont recevoir leur récompense. L’enfer (ou le purgatoire) permet ainsi de « compenser » le déséquilibre présent par une rectification ultérieure de la justice.

Une autre possibilité est l’introduction d’une figure maléfique qui vient contrecarrer le projet de Dieu. Cependant, soit cette figure met en échec la toute-puissance de Dieu, soit elle n’est au final qu’un serviteur dédié aux basses œuvres (c’est le principe du mal qui concourt malgré lui au projet ultime de Dieu), dans tous les cas on retombe finalement sur le problème de fond.

On peut ainsi jouer sur chacun de ces trois pôles, ou sur plusieurs pôles pour créer un équilibre dans cette équation à la base insoluble.

Le problème de la théodicée est, dans cette formulation de recherche d’un équilibre entre ces pôles, très ancien. Les théologiens du process ont néanmoins une manière assez tranchante de considérer ces tentatives.

1.2. Toute-puissance

Si Dieu contrôle absolument tout, et qu’il n’y a que des marionnettes, il est entièrement responsable du mal comme du bien : « Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur : c’est moi le Seigneur qui fais tout cela » (Es 45,7), ou alors le monde a une certaine autonomie, l’invocation du Notre Père (« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ; Mt 6,10) est réellement une invocation, une demande pour quelque chose de non réalisé. Il y a ici une possibilité de penser une différence entre la volonté de Dieu et son accomplissement1. Néanmoins, les raisons de cette différence peuvent varier : limitation de fait de la puissance de Dieu, ou limitation volontaire de sa part.

En comprenant l’utilisation par Dieu de sa toute-puissance comme une négation de l’amour, puisqu’elle ne laisse aucune place à l’autre pour exister, cela permet de penser à la fois une toute-puissance théorique et une liberté de l’homme par une auto-limitation de Dieu. La liberté de l’homme est ainsi souvent utilisée pour expliquer le mal. Il restera encore la question des catastrophes naturelles, mais une bonne partie de la question peut être traitée ainsi. Cependant, la partie qui reste est toujours terrifiante : Voltaire avait écrit Candide, non après avoir vu des atrocités d’origine humaine, mais après le tremblement de terre de Lisbonne. Cela a amplement suffi à le révolter.

1.3. Justice ou bonté

Laisser-faire de la part de Dieu, et ne pas protéger au nom du respect de la liberté de l’homme, ne serait-il pas la marque du plus horrible des êtres ? Si la haine est une forme d’amour passionné et tordu, que dire de l’indifférence ? Un père qui laisse son enfant se brûler les doigts à un radiateur chaud paraît peut-être quelque peu « vieille école », prônant l’apprentissage par l’expérience. Mais un père d’une famille très nombreuse qui laisse ses enfants s’entre-tuer en disant « c’est leur choix » est-il vraiment attentionné ? Et que dire alors des catastrophes naturelles dont il ne les protège pas ?

1.4. La réalité du mal

Mais plutôt que de rechercher et blâmer l’auteur du mal, on peut dire que le mal a une raison d’être. « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28). Il a une utilité, c’est un outil utilisé par Dieu pour un projet dont nous n’avons pas idée ; mettre en doute son œuvre créatrice sur ce point serait un manque de foi. C’est peut-être là un discours qui peut être accepté dans dans certains cercles feutrés ou dans certaines tours d’ivoire, mais comment soutenir encore ce discours au regard du mal le plus abject de ce monde ? Il s’agit soit d’une relativisation difficilement soutenable du mal, soit d’un sérieux défi pour maintenir la bonté de Dieu. C’est dans cette perspective que David Ray Griffin cite Clarke Williamson, qui, en développant une théologie après Auschwitz, part du principe « qu’on ne devrait pas faire d’affirmations théologiques qu’on ne peut soutenir face à un bûcher d’enfants »2. Toute justification du mal est ainsi considérée comme une banalisation de celui-ci, et par conséquent rejetée.

1.5. Solution dans la théologie du process

Les théologiens du process règlent ce problème très facilement : dans leur système, Dieu n’est pas tout puissant. Il ne peut, n’a pas la capacité d’action d’empêcher ou même limiter les tremblements de terre, éruptions volcaniques, ou de forcer les belligérants à déposer les armes. Il n’a pas, et n’a jamais eu, le pouvoir de créer un monde meilleur ou d’intervenir de manière surnaturelle par la suite pour pallier ses défauts de fabrication. À peine énoncé, le problème est plié.

Il ne s’agit pas de modifier un concept existant (celui de la toute-puissance) et de le limiter, puisque ce concept était jusqu’alors complètement incohérent. Même Thomas d’Aquin conçoit des limitations à ce concept3. En lui-même ce concept n’a aucun sens : aucun regret à avoir, donc, dans l’abandon de cette idée à la fois incohérente et terrible. On peut voir par exemple le mot de Charles Hartshorne, l’un des pères de ce courant théologique, mis en exergue pour illustrer l’un de ses ouvrages : « God is alive, but not the despot we thought he was » (« Dieu est vivant, mais Dieu n’est pas le despote que nous pensions »)4. La moquerie continue un peu plus tard avec ce faux étonnement de David Ray Griffin, un disciple d’Hartshorne de seconde génération : « le type de causalité attribué à Dieu était le type qui convient uniquement au corporel, c’est-à-dire coercition, causalité déterministe. [...] Il [lui] a été donné le type de causalité attribuable uniquement aux sociétés corpusculaires »5 , donc matérielles, alors qu’il était pensé comme pur esprit. Dieu n’est pas une supercréature dotée du même type de pouvoir qu’elles mais de manière plus grande. L’attribution à Dieu de la toute-puissance ne serait alors qu’une projection du désir de puissance de la créature, alors que la vraie nature du pouvoir divin est d’un autre type. Dieu agit par l’esprit, par l’amour dans la persuasion.

À partir de là, c’est sans doute plus par moquerie que les penseurs du process écrivent autant de livres et d’articles sur le sujet6. Les questions du mal et de la puissance de Dieu sont des questions extrêmement classiques pour la théologie du process. Presque tous les théologiens de ce courant ont publié un livre sur ce sujet.

J’ai essayé de garder dans cette première partie un peu de la violence et également de cette atmosphère moqueuse, ironique et assez caricaturale il faut bien l’admettre, de leurs théodicées. Il ne faut cependant pas voir dans la simplicité de ces discours une faiblesse de leur propos, mais bien un accent fort de cet aspect dans leur théologie : la bonté de Dieu ainsi que la réalité du mal ne sauraient être atténuées. Les raisonnements qui tendent à griser les définitions du bien et du mal sont ainsi considérés comme spécieux. Un être bon qui porte son amour sur quelqu’un doit dédier, avec patience et sans discontinuer, tout son être pour le bien de celui qu’il aime et le protéger du mal. Le mal doit être pris au sérieux comme tel, c’est-à-dire en ce qu’il s’oppose radicalement au bien. La complexité d’un discours ne doit pas impliquer l’ambiguïté de celui-ci.

2. Dieu et le monde

2.1. La puissance de Dieu dans la théologie du process

Tel que traité par les théologiens du process, le sujet de la théodicée est ainsi à la fois surtraité, et à mon sens assez vide et finalement peu intéressant, puisqu’il n’y a plus de problématique possible, mais une simple description du système : Charles Hartshorne traite le problème en quelques minutes dans une prédication dominicale en 1956. Depuis, rien n’a été ajouté, mais des dizaines d’ouvrages et articles ont été édités ! Le triangle devient parfaitement cohérent : Dieu bon / mal sur terre / Dieu lutte à nos côtés de toutes ses forces.

Les théologiens du process basant tous leurs travaux sur la philosophie d’Alfred North Whitehead, il me semble pertinent de conclure cette partie par une citation de Whitehead, bien que ce dernier n’ait jamais écrit de théologie à proprement parler, et moins encore de théodicée.

Cette citation est issue de son analyse de la religion, de sa fonction et de son lien avec l’émotion et la rationalité : « Il n’y a pas là de solution aux difficultés qui hantaient Job. Ce culte de la gloire issue du pouvoir n’est pas seulement dangereux : il naît d’une conception barbare de Dieu »7. Et quelques années plus tard dans son essai de cosmologie :

Quand le monde occidental accepte le christianisme, César s’impose par la conquête [...]. L’Église donne à Dieu les attributs qui appartiennent exclusivement à César [...]. Le rôle de Dieu n’est pas de combattre la force productive par une autre force productive, ni la force destructrice par une autre force destructrice ; il réside dans le labeur patient de l’irrésistible rationalité de son harmonisation conceptuelle. Il ne crée pas le monde, il le sauve ; ou plus précisément il est le poète du monde qu’il dirige avec une tendre patience par sa vision de vérité, de beauté et de bonté8.

À partir du moment où l’on ne pense plus Dieu comme capable d’imposer sa volonté sur terre de manière unilatérale, la théodicée en tant que problème de logique à résoudre n’existe plus. En revanche, le problème plus fondamental du mal et l’interrogation que ce problème pose au théologien subsistent.

2.2. Définition et délimitation du mal

Si la question du mal n’est pas réglée par la toute-puissance de Dieu, que faire du mal, et à quoi « sert » Dieu ? Ce ne sont plus à proprement parler des questions de théodicée, mais elles sont bien plus riches que la simple mise en accusation de Dieu au tribunal de la raison, surtout pour la théologie du process qui règle le problème en tranchant le nœud gordien de la puissance et de la responsabilité.

Commençons par poser une définition du mal dans un système ontologique événementiel radicalement universaliste. Dans cette conception de la réalité, il n’y a pas de différence ontologique entre Dieu créateur, un homme ou encore un simple caillou. Ce sont ce que Whitehead appelle des « entités actuelles », des événements9.

Pour comprendre un peu ce qu’est une conception événementielle de la réalité, voyons un exemple concret. Si je frappe une table, cette table n’est pas la même que celle que je viens de frapper : il y avait une table sur laquelle je voulais frapper, une table sur laquelle je frappai, une autre sur laquelle j’ai frappé. Maintenant, il y a une table sur laquelle j’ai frappé, et qui est actuellement l’objet de notre attention : un événement passé fait partie de l’événement présent parce qu’il influe sur le présent. Un simple regard change tout autant l’être d’une entité qu’une entaille matérielle. Un clin d’œil de la part d’une personne qui nous est chère pourra avoir davantage d’impact sur nous que de se couper les ongles (qui pourtant implique une perte de matière). L’important n’est pas l’impact matériel, mais l’impact sur la constitution de l’être et par là sur la causalité d’autres événements.

Cependant, cette conception où tout est au même niveau appelle deux remarques : l’homme est-il supérieur à un caillou ? Briser un caillou est-il autant « le mal » que tuer un homme ?

Pour étudier cette question, il faut un critère qui permette de comparer n’importe quels événements. Quel est le point commun entre cette table et un caillou, là dehors ? Ou comment comparer un homme, en particulier ou en général, avec le vent qui souffle dehors ? Whitehead a alors conçu les critères de complexité, d’organisation et de la possibilité de nouveauté. Le caillou informe, dehors, est un agglomérat faiblement organisé de sous-entités. Il a un comportement largement prédictible, et son action sur son environnement est relativement faible. La table en question est également un agglomérat faiblement organisé de sous-entités ayant un comportement largement prédictible : d’autres entités en tiennent compte, par exemple elle est un facteur non négligeable pour le déroulement de la présente conférence : elle est utile, nous gardons certes à l’esprit que n’importe quelle autre table pourrait faire l’affaire, mais nous lui accordons néanmoins, de manière relative, une certaine valeur. A priori, sa valeur est supérieure à celle du gravillon dehors : elle est un facteur plus important que lui pour le déroulement des événements, quel que soit le point de vue auquel on se place. Le vent serait plus difficile à analyser, mais la difficulté reposerait sur les connaissances météorologiques que je n’ai pas, sinon l’analyse serait du même type, à condition d’en poser les limites : quel vent, quelle brise, dans une perspective locale ou globale et à quel instant ?

La valeur d’un événement dépend donc de sa complexité, de son organisation interne et de son impact sur son environnement. La complexité est non seulement une complexité interne, mais externe : l’interdépendance de ses liens avec son environnement.

La vie est issue de cette complexité et de cette organisation de l’événement. Selon Whitehead, la vie, c’est la possibilité inestimable de créer du nouveau, de l’imprévisible, d’avoir un libre arbitre qui permet de créer et de renouveler et non seulement de poursuivre10.

La vie est ainsi une question de degré : une entité est plus ou moins vivante. Le libre arbitre d’un caillou n’est théoriquement pas totalement nul, mais en pratique totalement inexistant. En revanche, celui d’une plante est plus important, comme celui d’un animal par rapport à celui d’une plante, comme celui d’un humain par rapport à celui de la plupart des animaux : à partir de facteurs connus, il est plus difficile de prévoir le comportement d’un homme ; sa possibilité de création de quelque chose de nouveau et de complexe est plus importante. L’impact sur l’environnement, la possibilité de création de nouveauté, l’interdépendance avec l’environnement, l’histoire vécue présente en souvenir et qui enrichit ainsi le présent de l’entité en influençant les autres paramètres que nous venons d’évoquer, est plus importante chez l’homme que chez les animaux, les plantes, etc.

La valeur dépend de la complexité interne et externe d’un événement : les liens de l’événement avec son environnement font partie intégrante de son être, on ne peut le définir en faisant abstraction de son contexte et des liens avec son contexte. La valeur d’un événement doit inclure le potentiel, quoique non-mesurable puisque par définition inconnu, de ce dernier : tout ce que l’événement peut induire, modifier, provoquer ou détruire à court ou long terme, et même ce qu’il peut devenir plus tard.

Le mal est alors défini selon plusieurs perspectives, qui s’éclairent mutuellement. La première est la plus évidente. Prenons un exemple : un enfant affamé qui mange un biscuit. L’enfant va détruire un ensemble stable et raisonnablement complexe qu’est ce biscuit, en cela il va réduire la complexité de son environnement. Mais cela va permettre à l’enfant de vivre : le maintien de son action imprévisible sur le monde11. Cet événement a donc un versant négatif et un versant positif, mais le gain de complexité par le maintien de la vie de l’enfant est plus grand que ce que la destruction du biscuit retire au monde. Chaque événement implique donc une modification, à la fois positive et négative de la valeur du monde. Est pointée ici l’inhérence, la nécessité du mal.

Abordons maintenant le second aspect avec cette citation de Whitehead :

Il faut noter que l’état de dégradation auquel conduit le mal, lorsqu’il est accompli, n’est pas en lui-même un mal ; il l’est seulement par comparaison avec ce qui aurait pu être. Un pourceau n’est pas une mauvaise bête, et lorsqu’un homme est rabaissé au niveau du pourceau, avec l’atrophie correspondant de ses éléments les plus élevés, il n’est pas plus mauvais que cet animal. Le mal de la dégradation finale réside dans la comparaison entre ce qui est et ce qui aurait pu être. Pendant le processus de dégradation, la comparaison est un mal pour l’homme lui-même, et à son stade final, elle reste un mal pour les autres12.

Le mal n’est ainsi pas directement dans la destruction, mais dans le « moindre bien » par rapport à ce qui aurait pu être. Ainsi, toute action, même lorsqu’elle n’est pas directement liée à une destruction, porte en elle le mal comme réduction du potentiel par rapport à ce qui a été effectivement réalisé (c’est-à-dire l’exercice du choix, l’actualisation d’une potentialité implique le rejet d’autres potentialités), mais plus encore par la constatation de la différence éventuelle entre l’action qui aurait eu la plus grande valeur pour l’événement et son environnement, et celle qui a été effectivement réalisée.

Enfin, la suite de cette citation de Whitehead nous indique une troisième perspective :

Les braves gens aux sympathies étroites sont enclins à être insensibles et statiques, jouissant de leur bonté égoïste. Leur cas, à un niveau plus élevé, est analogue à celui de l’homme complètement dégradé jusqu’à l’état de pourceau. En ce qui concerne leur vie intérieure, ils ont atteint un état de bonté stable. Ce type de correction morale est, d’un point de vue plus large, si semblable au mal que la distinction en est insignifiante13.

J’éclairerai ce passage par une citation d’Aventure d’idées, que Whitehead a écrit plus tard : « Dans la discorde, il y a toujours frustration. Mais la discorde elle-même peut être préférée à un sentiment de lente retombée dans une anesthésie générale, ou dans une monotonie qui en est le prélude. »14 Whitehead critique en fait l’anesthésie en lui préférant une mauvaise harmonie. En d’autres termes, la discordance entre des intérêts opposés peut être résolue par une synthèse enrichissante et parfaite, par une synthèse discordante, c’est-à-dire un affrontement constructif, même si les différences restent insolubles, ou enfin par une indifférence mutuelle qu’il appelle ici anesthésie et qui manque de tout intérêt à ses yeux. Cela n’est pas étonnant dans un schème événementiel où la dynamique est l’essence de l’univers : la stabilité qui n’apporte rien est pire qu’une destruction qui pourra peut-être être l’occasion d’une nouvelle création renouvelée15.

Whitehead reste ainsi dans une description assez classique du « mal métaphysique » : en tant que nécessité, le mal est inhérent au monde16. Néanmoins, il y intègre également une conception du mal qui dépasse ces catégories :

Le mal, triomphant dans sa jouissance, est jusqu’ici un bien en soi ; mais au-delà de lui-même, c’est un mal dans son caractère d’agent destructeur parmi les réalités plus grandes que lui. Dans la récapitulation du fait plus complet, le mal a obtenu une descente vers le néant, à l’opposé de la créativité de ce qui, sans réserve, peut-être appelé un bien. Le mal est positif et destructeur ; ce qui est bien est positif et créateur17.

Il est important de comprendre cette citation dans le double sens qu’elle induit. D’une part, elle implique ce que nous disions juste au-dessus : une destruction est mauvaise si elle ne permet pas la construction d’un événement plus riche et complexe, car au regard du tout, il y a une perte de beauté et de complexité pour le monde, alors que la destruction d’un événement de plus faible valeur par rapport à ce qui est créé est un bien (c’est l’inhérence du mal). La seconde chose est que, selon Whitehead, l’entité détruisant un événement de plus grande valeur qu’elle jouit néanmoins de sa destruction et crée en elle-même une certaine beauté, ce qui est un bien. Le mal réside dans la perte pour l’environnement. Il s’agit alors du mal comme égoïsme. L’entité jouit de sa propre existence en délaissant l’intérêt de son environnement qui pourtant fait partie d’elle-même dans la richesse de ses relations externes et dans son maintien. On pourrait prendre l’exemple des cellules cancéreuses : en elle-même, ces cellules sont superbes : elles se portent bien, sont résistantes, se développent admirablement vite, mais elles détruisent une complexité et un potentiel bien supérieur à ce qu’elles sont et entraînent leur propre perte en hypothéquant complètement le potentiel, l’avenir du système dont elles dépendent.

2.3. Dieu et le mal

Après cette longue explication sur la nature du mal, nous pouvons revenir à la question : que fait Dieu contre le mal ? Il faut alors commencer par comprendre la manière dont Dieu interagit avec le monde.

Dans cette compréhension événementielle de la réalité, un humain, un caillou ou une table viennent à l’existence à travers plusieurs phases. Tout d’abord les datas objectifs perçus par l’entité actuelle : attraction gravitationnelle de la Terre, réaction physique du sol, perception de sons, de la vue, etc. L’entité fait alors une synthèse de ces données. Pour faire cette synthèse, elle se base sur un but, une visée, une proposition de synthèse offerte par Dieu, mais libre à elle de se l’approprier un peu, beaucoup, totalement, et de faire de la proposition divine une réalité concrète. Dieu propose selon les possibilités de la créature afin qu’elle ait les moyens de le faire, et c’est alors son choix propre de dévier de cette proposition. Dieu pense le monde comme un tout et propose l’acte d’existence qui apporterait le plus de valeur et d’harmonie, ouvrant le plus de potentiel de création pour l’entité et son environnement : c’est la parade au mal comme moindre bien. Cette action est appelée son action primordiale. Cette action de Dieu s’adressant à chaque entité du monde sans discrimination est infinie et presque passive chez Dieu, et donc dénuée d’amour, car l’amour dépend selon Whitehead d’une préférence.

Mais il ne faudrait pas croire que la décision de s’écarter de la vision divine par l’entité est consciente, ou même qu’il ne s’agit que d’actes « actifs ». Pour l’entité actuelle, exister est un acte, et la synthèse des perceptions physiques est un acte. Par exemple, si je discute avec une personne, ce que je perçois de ses paroles, du ton de sa voix, de son regard, etc. pourrait être différent : je pourrais n’en percevoir que de la méchanceté, mais Dieu pourrait me proposer de plutôt y percevoir de la détresse. Si je me mets en colère, ce sera également un acte d’existence. La colère, le calme, la perception de la méchanceté ou de la colère ne sont pas des attributs ou des perceptions externes de l’entité actuelle, mais bien des constituants de son être.

Pour revenir à l’acte de Dieu, si Dieu nous propose de percevoir cette détresse, nous n’y sommes pas forcément réceptifs. Percevoir d’une certaine manière, ou même ne pas percevoir, est déjà une action et relève par conséquent du choix et de la liberté personnelle, bien que la volonté au niveau réflexive ne soit pas impliquée. Dieu agit dans la synthèse de notre expérience, c’est-à-dire dans le rouage même de la constitution de notre être. Ainsi, percevoir cette détresse plutôt qu’y voir de la méchanceté est d’abord un acte de l’homme, puisque la décision lui revient, et aussi en partie un acte de Dieu, puisque Dieu y a contribué.

Enfin, l’autre action divine, dite « conséquente », est celle du partage d’expérience : l’action du monde sur Dieu. Puisque Dieu fait partie de chaque entité en étant un facteur dans l’expérience, Dieu partage cette expérience au plus haut degré : non pas de manière extérieure, mais en tant que co-sujet avec la créature qui vit cette expérience. Dieu perçoit le monde en expérimentant lui-même chaque joie, mais aussi chaque peine et chaque douleur. Rien n’est laissé de côté, Dieu est le condamné à mort, le juge, le bourreau, la veuve du condamné, la victime du crime qui a conduit le prisonnier à l’échafaud. Sa synthèse est parfaite, sans aucune anesthésie, aucune donnée n’est atténuée. Il intègre l’horreur absolue sans complaisance et sans se voiler les yeux, puisqu’il expérimente lui aussi ces événements, aussi bien que les plus grandes joies que le monde connaisse. Dans son regard d’amour il saisit le monde, en fait une synthèse généreuse qui met en harmonie toutes les discordances. Tout événement, aussi noir, négatif, terrible soit-il, peut être perçu pour en faire quelque chose de positif, c’est là son regard qui lui permet de pouvoir proposer à nouveau dans le cadre de son action primordiale, à l’instant suivant, le meilleur acte d’existence possible, c’est-à-dire la définition même du bien, à chaque créature du monde. Cette action de synthèse est volontaire et se fait dans l’amour particulier de Dieu envers chaque créature.

2.4. Retour à la théodicée

Entre la limitation du pouvoir de Dieu à la persuasion qui est tout sauf absolue, et la définition même de son action comme étant toujours dirigée vers le bien, il n’y a pas de problème de « théodicée » ici. Sauf si l’on considère qu’en définissant l’action de Dieu par le bien, et le bien par l’action de Dieu, conclure que Dieu est bon est un peu facile. Whitehead affirme que « la nature du mal, c’est que, par leurs caractères mêmes, les choses se font mutuellement obstruction »18 – c’est l’inhérence du mal que nous avons vu. Le bien ne peut alors consister en une possibilité unifiée. Il n’y a dès lors pas de « Bien » avec une majuscule, il n’y a pas de Bien absolu. Ce n’est pas seulement la toute-puissance qui est un problème, mais la puissance tout court : toute action implique un certain mal, du point de vue universel. C’est donc la bonté de Dieu comme absolue qu’il faudrait faire tomber si l’on veut être cohérent, et non seulement sa puissance absolue.

On peut ainsi considérer que la conception même du mal et du bien a été floutée par leur élaboration métaphysique. La théodicée de Leibniz n’avait, aux yeux de Voltaire, pas résisté à la réalité concrète, de la même manière que, aux yeux des théologiens du process, toutes les théodicées imaginables échoueront toujours face à la réalité du mal, tant que la théologie n’acceptera pas le prérequis de la faiblesse de Dieu. Cependant, leurs discours sur le mal se heurtent tout autant au mal concret. Si leurs critiques pointent toujours l’écart entre l’abstrait et le concret, leurs constructions théologiques en lien avec le mal restent prisonnières d’une abstraction assez extrême. Le livre de Marjorie Suchocki The End of Evil ne comporte pas la moindre allusion à la personne humaine, elle s’y contente de l’appellation « entité actuelle » (qui, je le rappelle, désigne n’importe quel être de l’univers, depuis Dieu jusqu’au moindre souffle d’existence dans le vide spatial, en passant par l’homme ou un grain de poussière). Celui de David R. Griffin God, Power and Evil. A Process Theodicy réussit à être encore plus abstrait en restant au maximum dans le débat de logique, sans même faire référence au concret, même de manière allusive. Mais si nous restons avec Whitehead, la base de leurs travaux, nous pouvons considérer ce passage issu de Procès et réalité, dans un chapitre sur Dieu et le monde :

Les révoltes du mal destructeur, toujours plein d’amour-propre, sont réduites à l’insignifiance de simples faits individuels ; et pourtant le bien qu’elles ont accompli en joie individuelle, en douleur individuelle, dans l’introduction de contrastes nécessaires, est là encore sauvé par sa relation au tout achevé. L’image – et ce n’est qu’une image – sous laquelle on conçoit le mieux cette croissance opérante de la nature de Dieu, est celle du tendre souci de ne rien voir se perdre. La nature conséquente de Dieu est son jugement sur le monde. Il sauve le monde dans la mesure où celui-ci passe dans l’immédiateté de sa propre vie. C’est le jugement d’une tendresse qui ne perd rien de ce qui peut être sauvé. C’est aussi le jugement d’une sagesse qui utilise ce qui, dans le monde temporel, n’est que débris et épaves19.

Le mal particulier semble réduit, dans ce discours, à une simple trivialité de peu d’importance par rapport à la finalité de l’acte. La force de la philosophie de Whitehead est sans aucun doute sa capacité d’abstraction, qui permet de décaler le regard qu’on porte sur la réalité. La force de la théologie du process est sans aucun doute son point de départ universel, qui décale la perspective d’approche et donne dans le même temps une grande cohérence à la réflexion systématique, d’où les critiques intransigeantes de la quadrature du cercle des théodicées qui maintiennent la toute-puissance de Dieu. En revanche, et malgré un discours empreint d’amour et de générosité, leur rapport au concret est souvent froid et distancié, perdu dans la généralité du statisticien. L’infini universel empêche, selon Whitehead lui-même, toute préférence et donc un réel amour. De la même manière je défends ici l’idée que la bonté exige une limitation, une préférence. La définition métaphysique du mal ne suffit pas. La perte de vue du particulier nuit à l’acuité de l’utilisation de cette ontologie.

L’aspect dramatique, terrible et définitif du mal est aseptisé en regardant le monde du haut d’un avion, les hommes qui paraissent alors comme des fourmis20. Le retour à l’observation renouvelée du concret après l’abstraction a été fait, mais l’intuition initiale de la douleur et de l’émotion liée au mal, l’aspect irréductible et concret du mal, ont été négligés.

Si le renouvellement de la perspective à travers l’ontologie du process me semble riche de possibilités, les théologiens du process se heurtent, à mon avis, à l’écueil dans lequel la théologie tombe facilement lorsqu’elle affronte la question indispensable de l’universalisation systématique de ses conceptions. Cette universalisation peut devenir une anesthésie des émotions. C’était également ce qu’avait relevé Jürgen Moltmann dans l’ouvrage collectif World Without End. Christian Eschatology from a Process Perspective, qui était une réponse à l’ouvrage de Marjorie Suchocki (mentionné supra) sur le mal. La contribution de Moltmann s’achève sur ces mots : « Le sang des victimes continue à crier vers le ciel ! »21 Il ressort assez clairement de sa contribution qu’il considère que la conception du mal chez Suchocki est trop métaphysique et pas assez ancrée dans le réel, que la souffrance vécue concrète n’est pas suffisamment prise en compte.

Alors que le système de Whitehead permet justement de donner aux émotions une existence de premier ordre, constitutive de l’être, et non un simple attribut temporaire, que celles-ci finissent par être négligées et anesthésiées est assez regrettable.

La conception du Bien selon Whitehead repose sur la complexité du monde qu’il lie à la beauté, puis au Bien qui est le maintien et la croissance de cette beauté. Si la beauté peut être abstraite et rationalisée, il me semble dommageable que les notions de Bien et de Mal l’aient été tout autant. La grande importance que Whitehead accorde à l’ordre dans le monde a à mon sens pris trop d’importance ici, alors qu’il aurait été possible de penser dans le système du process les concepts de bien et de mal davantage en termes d’intentionnalité particulière qu’en lien avec un Bien commun, global et identifiable.

Pour être plus cohérentes, les définitions du mal et du bien pourraient être partiellement subjectivées et liées à l’amour. Ce complément de définition permettrait d’ailleurs de rendre justice au projet de Whitehead, qui était de construire un réalisme spéculatif en mesure de rendre compte de l’expérience dans le cadre d’un aller-retour entre le concret et l’abstraction spéculative. Ici, contrairement au projet initial de Whitehead, la bonté est anesthésiée, stable, froide. Une définition plus subjective du bien et du mal pourrait davantage prendre en compte l’idée et l’idéal derrière le projet que prioritairement sa conséquence pratique et sa faisabilité. Dans les catégories de Whitehead, il s’agirait de remettre ici en avant le fait que les entités-événements, qui sont des facteurs dans la constitution de l’être, subsistent au sein de l’événement plus large22. Ainsi les motivations qui guident une action ne sont pas épuisées par l’action elle-même, c’est pourquoi juger l’action, bonne ou mauvaise, par ses seules conséquences me semble un appauvrissement des possibilités offertes par cette ontologie.

L’une des conséquences serait alors que Dieu ne pourrait plus être considéré comme absolument bon, puisque le principe d’absolu de la bonté n’existerait plus. En revanche, Dieu serait toujours l’artiste, le poète qui offre sa vision au monde pour le guider vers davantage de beauté. Dieu pourrait choisir de faire primer une tentative d’incarnation d’un idéal à une réalisation sûre mais médiocre. La beauté du monde serait alors plus faible, mais l’incarnation de l’idéal, ne serait-ce que dans la motivation de l’entité qui a entreprit cette action, donnerait néanmoins une certaine valeur à l’événement pris dans sa globalité.

En d’autres termes, l’opposition entre le résultat prévisible et les idéaux qui motivent l’action ne conduirait plus à un résultat clair, net et tranché, dans la théodicée. Si Whitehead considérait que le résultat prévisible primait, les idéaux qui guide l’action doivent aussi être pris en compte comme faisant partie de la beauté du monde. Une action guidée par un idéal magnifique, mais conduisant, de par l’échec prévisible de son exécution, à une baisse de la beauté du monde, est-elle bonne ou mauvaise ?

Whitehead considère assez clairement qu’elle est mauvaise, c’est même ainsi qu’il justifie, dans Aventure d’idées23, le fait qu’une tentative d’abolition de l’esclavage dans l’Antiquité n’aurait pas été une bonne chose car, au vu du contexte de l’époque, cela aurait conduit à un chaos généralisé : le remède aurait été pire que le mal.

Mais puisque les motivations font également partie de la beauté du monde, la vision divine pourrait ainsi à d’autres moments impliquer de faire primer la motivation et une belle idée, même si elle aboutit à un échec destructeur, car l’incarnation d’un idéal peut parfois être belle et suffisante même si cet idéal finit piétiné.

La vraie question est alors : quelle est la valeur d’un idéal, abstraction faite de la réussite de son incarnation ? À quel point la beauté d’une idée peut-elle primer sur la réalisation concrète ? Une réalisation mesquine, guidée par une motivation triviale, est-elle toujours supérieure à une tentative grandiose, mais vouée à l’échec, guidée par un idéal pur et magnifique ?

Si Jésus de Nazareth avait modéré ses paroles et ses actes, transigé avec sa foi, retenu ses critiques, s’il avait pu ainsi vivre et prêcher plus longtemps, et même atteindre une haute fonction en Israël et ainsi avoir le pouvoir d’opérer des changements concrets dans le pays, aurait-ce été « mieux » ? Le monde aurait-il été plus beau ? C’est pourtant tel qu’il a vécu et été crucifié que les théologiens du process le considèrent comme ayant exprimé et incarné la volonté de Dieu24.

Le problème de la bonté de Dieu et de l’existence du mal ne peut alors se réduire à une simple remise en question du pouvoir du Dieu. En retravaillant les questions du mal, de l’action divine et de la bonté, non en termes d’accusation et de justification mais de simple cohérence des concepts, le problème de la théodicée reste toujours subversif, car il ne se laisse pas soumettre et continue à nous défier. La théodicée nous incite à revoir des conceptions qui nous semblaient pourtant acquises, comme j’ai ici essayé de le faire avec la bonté de Dieu.

Ici, le problème mis en exergue à travers l’ontologie du process n’est plus celui d’un pouvoir absolu, mais l’analyse systématique d’un pouvoir universel. Cet accent fort sur l’universalité du discours est à mon sens l’un des points forts de la théologie du process, car cela nous rappelle que le christianisme a bien une prétention à une vérité universelle dont la formulation partielle et temporaire est la tâche de la théologie systématique.

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1On peut aussi penser à ces mots : « je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se repente et qu’il vive » (Ez 33,11).

2David R. Griffin, « Process Theology and the Christian Good News », in Clark H. Pinnock et John B. Cobb (éd.), Searching for an Adequate God. A Dialogue Between Process and Free Will Theists, Grand Rapids-Cambridge, Eerdmans, 2000, p. 16.

3Dieu ne peut pas aller contre la logique (par exemple concevoir un cercle carré), cesser d’être Dieu en modifiant ses attributs (ce qui inclut l’impossibilité de renoncer à sa toute-puissance), ni modifier le passé. Thomas explique cela notamment dans les Questions disputées sur la Puissance. De potentia, Volume 1 : Questions 1 à 3, trad. Raymond Berton, Paris, Presses universitaires de l’IPC, 2011. Cf. en particulier q. 1, a. 2, arg. 3 : l’impossibilité pour Dieu de modifier sa puissance qui est intemporelle ; q. 3, a. 17, ad 2 : l’impossibilité pour Dieu de modifier le passé, car Dieu regarde vers le futur ; q. 6, a. 1, arg. 11 : l’impossibilité pour Dieu d’aller contre la raison, comme par exemple concevoir un carré dont la diagonale soit égale au côté (l’exemple similaire, mais plus frappant à mon sens, de l’impossibilité de concevoir un cercle carré, est issu du Traité des fins dernières, q. 1, a. 1, solution 2).

4Charles Hartshorne, A Natural Theology for Our Time, La Salle, Open Court Publishing Company, 1989.

5David R. Griffin, A Process Christology, Lanham-New York-Londres, University Press of America, p. 207-208.

6Une liste très loin d’être exhaustive : Charles Hartshorne, Omnipotence and Other Theologicals Mistakes, New York, State University of New York Press, 1984. John B. Cobb, God and the World, Philadelphie, Westminster Press, 1969. La théodicée n’est pas l’unique thème de ce livre, mais elle est bien la problématique qui a guidé son écriture. David R. Griffin, God, Power, and Evil. A Process Theodicy, Louisville-Londres, Westminster John Knox Press, 1976. Marjorie Suchocki, The End of Evil. A Process Eschatology, New York, State University of New York Press, 1985. Catherine Keller, God and Power. Counter-Apocalyptic Journey, Minneapolis, Fortress Press, 2005. Son livre sur la création Face of the Deep. A Theology of becoming, New York, Routledge, 2003, est également imprégné de cette question. Le terme « evil » revient près d’une centaine de fois dans l’ouvrage. Je ne cite pas d’ouvrage plus récent, non parce que cette question aurait disparu, mais seulement parce qu’il y a moins de livres qui sont aujourd’hui uniquement ou même principalement dédiés à cette question.

7Alfred North Whitehead, La Religion en gestation, trad. Henri Vaillant, Louvain-La-Neuve, Chromatika, 2008, p. 55 (Religion in the Making, Cambridge, Cambridge University Press, 1930, p. 44).

8A. N. Whitehead, Procès et réalité. Essai de cosmologie, trad. Daniel Charles et al., Paris, Gallimard, 1995, p. 527 ; Process and Reality, éd. par David R. Griffin et Donald Sherburn, New York, Free Press, 1978 (19291), p. 342.

9« Dieu est une entité actuelle, et le souffle d’existence le plus insignifiant dans les profondeurs de l’espace vide en est une aussi. » Ibid., p. 69.

10« Un organisme est “en vie” lorsque dans une certaine mesure ses réactions ne peuvent s’expliquer par aucune tradition où le legs n’est que physique. » Ibid., p. 190.

11Ibid., p. 190 (l’exemple précis d’un enfant et du biscuit est de moi). Je note cependant que l’expression anglaise de Whitehead est plus forte que dans sa traduction française, c’est pourquoi je me permets de citer ici l’anglais : « The living society may, or may not, be a higher type of organism than the food which it disintegrates. But whether or not it be for the general good, life is robbery. It is at this point that with life morals become acute. The robber requires justification. » A. N. Whitehead, Process and Reality, op. cit., p. 105.

12A. N. Whitehead, La religion en gestation, op. cit., p. 46.

13Ibid., p. 46-47.

14A. N. Whitehead, Aventure d’idées, trad. Jean-Marie Breuvart et Alix Parmentier, Paris, Cerf, 1993, p. 337 ; Adventures of Ideas, New York, Macmillan, 1969, p. 339.

15Je fais ici allusion, entre autres, au passage suivant : « Il y a de la grandeur dans la vie de ceux qui ont édifié des systèmes religieux, une grandeur dans l’action, dans les idées, dans la soumission volontaire, incarnée dans toute une série d’exemples à travers des siècles de développement. Il y a de la grandeur dans les rebelles qui ont détruit de tels systèmes : ce sont des Titans partis à l’assaut du Ciel, armés d’une sincérité passionnée. » A. N. Whitehead, Procès et réalité, op. cit., p. 520.

16« Les catégories qui régissent la détermination des choses sont les raisons de l’existence du mal ; mais elles sont aussi les raisons pour lesquelles, dans l’avancée du monde, des maux particuliers finissent par être transcendés. » Ibid., p. 359.

17A. N. Whitehead, La religion en gestation, op. cit., p. 45.

18A. N. Whitehead, Procès et réalité, op. cit., p. 524.

19Ibid., p. 532.

20Allusion à la définition, chez Whitehead, de l’entreprise philosophique comme étant semblable au vol d’un avion : ibid., p. 48. Son exposé peut se résumer sommairement à trois étapes : partir de l’observation concrète, faire une généralisation abstraite, puis procéder à une nouvelle observation du concret renouvelée par l’interprétation rationnelle.

21Jürgen Moltmann, « “Deliver Us from Evil” or Doing Away with Humankind ? », in Joseph Bracken (éd.), World Without End. Christian Eschatology from a Process Perspective, Grand Rapids, Eerdmans, 2005, p. 27.

22Subsister n’est pas ici à comprendre au sens temporel, puisque la nature d’un événement est d’être éphémère, mais au sens logique. « La nouvelle entité est à la fois l’être-ensemble de la pluralité d’entité qu’elle trouve, et l’une des entités au sein de la pluralité disjonctive qu’elle laisse ; c’est une nouvelle entité, disjonctivement parmi la pluralité des entités qu’elle synthétise. Plusieurs entités deviennent une, et il y a une entité de plus. » A. N. Whitehead, Procès et réalité, op. cit., p. 73.

23A. N. Whitehead, Aventure d’idées, op. cit., p. 65.

24« Jesus actualized these particular aims that the divine Logos, the character and purpose of that reality in which the whole creation is grounded, was supremely expressed through him. » David R. Griffin, A Process Christology, op. cit., p. 231.