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Les arguments de théodicée en première personne

Une réponse aux reproches de théodicée « sans entrailles »

Paul CLAVIER

Université de Lorraine

1. Le projet d’une théodicée en première personne

Dans les discussions sur le problème du mal et son articulation avec l’existence d’un Dieu supposé bon et tout-puissant, un diagnostic pessimiste revient souvent : « depuis Kant nous savons que toute théodicée est vouée à l’insuccès... Kierkegaard a bien montré que le mal se résout dans le désespoir, Hans Jonas nous a appris que Dieu, réduit à l’impuissance, n’est pour rien dans le mal qui défigure l’être humain... ». Mais ce sont là des arguments d’autorité. Si la philosophie n’est pas seulement un jeu où le dernier qui parle a raison, alors il faut recourir à un argument en forme. En la matière, la littérature contemporaine d’inspiration analytique n’est pas à court. A priori, une manière efficace de résoudre un problème de compatibilité entre deux propositions (« il existe un Dieu bon et tout-puissant » et « il y a des maux qu’un Dieu bon et tout-puissant ne devrait en aucun cas permettre »), c’est d’éliminer l’une des propositions. Pour éliminer la première (« il existe un Dieu bon et tout-puissant »), il suffit de nier l’un des deux attributs (« bon » ou « tout-puissant »). Toutefois, un Dieu mauvais ou cruel ne semble pas cohérent avec les revendications d’une métaphysique théiste. Pour sauver la bonté divine, il semble donc qu’on doive sacrifier sa toute-puissance. Cette manœuvre, pour séduisante qu’elle soit, demeure comme on le verra, source d’embarras. C’est ce qui conduit à envisager le réexamen de la deuxième proposition (« il y a des maux qu’un Dieu bon et tout-puissant ne devrait en aucun cas permettre »).

Une façon radicale de procéder sera de nier l’existence même du mal comme réalité positive. Cependant l’adoption d’une conception privative du mal (le mal n’a pas de consistance en soi, il n’est rien d’autre que la privation d’un bien, le méchant ne « fait rien » : il est « fainéant ») se heurte à l’obstacle de la réticence psychologique. Les victimes, elles ne sentent pas « rien » : les souffrances endurées ne peuvent être annulées par un simple décret ontologique. Or, dans l’appréhension d’un problème comme celui du mal, la recevabilité psychologique des solutions envisagées est importante. Nier purement et simplement l’existence positive du mal, ce serait manquer de cœur, proposer une théodicée sans entrailles... Pourtant (même si ce n’est pas la voie que nous allons parcourir) cette solution a un mérite : elle suggère qu’un réexamen de certains phénomènes ou aspects réputés mauvais pourrait s’avérer instructif. Après tout, il appartient au juge de qualifier ou de requalifier les faits. Sans contester en bloc l’existence de tout mal (ce que seules certaines formes aiguës de stoïcisme, de bouddhisme ou de christianisme semblent proposer), on peut procéder à des relectures partielles. Telle épreuve, telle catastrophe sont-elles, en définitive bénéfiques ? Toutefois, pour motiver une telle requalification, il importe de prendre en compte le point de vue de la première personne. En clair, motiver la requalification par des exemples d’acceptation ou d’approbation individuelle. Non que le ressenti des personnes exposées aux épreuves vaille comme norme d’évaluation du bénéfique ou de l’irréparable. Mais, si même certaines d’entre elles s’estiment finalement bénéficiaires, alors l’existence de tels ou tels maux, ordinairement brandis comme objections dirimantes, pourra ne pas être retenue à charge contre l’existence de Dieu. Nous disons bien : « pourra ne pas » et non « ne pourra pas ».

Le problème de la théodicée se concentre souvent sur la question de savoir si la permission divine de certains maux est ou non acceptable. Une des réponses traditionnelles est celle d’Augustin : « Dieu [...] ne permettrait jamais à un mal quelconque d’exister dans ses œuvres s’il n’était assez puissant et assez bon pour faire sortir le bien du mal lui-même », relayée par Thomas qui la reprend telle quelle dans sa réponse à l’objection du mal contre l’existence de Dieu1. C’est une réponse en troisième personne. Elle énonce une vérité de principe. Ce genre de principe pose deux problèmes : il semble ne pas prendre en compte la souffrance des individus exposés au mal permis ; il ne précise pas si les victimes ont accès à cette compensation. Pour rendre sinon acceptable, du moins audible une théodicée de la permission du mal, il semble requis que des victimes de ce mal permis puissent apprécier un bénéfice qu’elles paient au prix fort de souffrances apparemment injustifiables (horrendous pointless evils). L’idée est la suivante : quelle que soit la pertinence de la réponse générique au problème de la théodicée (l’affirmation que même les souffrances les plus terribles, les dévastations les plus cruelles sont permises par un Dieu bon qui se fait fort de les consoler et de les compenser « au double », voire « au centuple »), c’est d’une réponse particularisée que nous avons besoin.

Dans ce qui suit, on appelle argument en première personne un argument dans lequel l’acceptation d’une des prémisses au moins ressortit à une expérience personnelle. Une expérience en première personne sera, de manière paradigmatique, celle de Joseph qui, vendu par ses frères, semble en mesure d’accepter la souffrance endurée, du fait du bien qui en est sorti et qu’il confesse lui-même : « ne vous fâchez pas de m’avoir vendu ici, car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé en avant de vous » (Gn 45,5 ; BdJ). Ou le témoignage de Thomas More. Cette réponse en première personne constitue un accès personnalisé à la vérité de la proposition en troisième personne. On se propose de montrer que le recours à ce type d’argument est susceptible d’apaiser les controverses en théodicée, sans cautionner un déni de la réalité des souffrances endurées, ni une instrumentalisation pure et simple du mal. Pour ce faire, on repartira des formulations canoniques du problème de la théodicée, avant de revisiter la théodicée compassionnelle de Hans Jonas pour en montrer les limites. On exposera ensuite les difficultés soulevées par la théodicée de Swinburne : n’instrumentalise-t-elle pas les souffrances d’innocentes victimes dans un calcul d’utilité sans entrailles ? On tâchera de répondre à cette question en reposant la question de la compensation des souffrances et en suggérant que son traitement ressortit avant tout à la première personne. La théodicée serait affaire de témoins plus que d’arguments. Ou plutôt, ses arguments gagneraient à en appeler à des témoins.

2. La formulation canonique de Rowe

Il existe de nombreuses versions de l’argument du mal (couramment désigné par l’expression evidential argument from evil, que l’on pourrait traduire par l’argument reposant sur la donnée du mal). William Rowe en a proposé une formulation canonique :

(1) Un être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon empêcherait toute souffrance intense qu’il pourrait (sauf si cela entraînait par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire).

OR : (2) il y a des souffrances intenses qu’un être omniscient et tout-puissant aurait pu empêcher, (sans entraîner par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire).

PAR CONSÉQUENT : (3) il n’existe pas d’être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon2.

Comme l’a fait remarquer Rowe, cet argument d’athéodicée peut servir de matrice à un argument de théodicée. Il suffit pour ce faire de nier la conclusion (3), de conserver la prémisse (1), la nouvelle conclusion qui s’ensuit n’est autre que la négation de (2) :

(1) Un être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon empêcherait toute souffrance intense qu’il pourrait (sauf si cela entraînait par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire).

OR, Non-(3) : il existe une être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon.

PAR CONSÉQUENT : Non-(2) : Ce n’est pas le cas qu’il y a des souffrances intenses qu’un être omniscient et tout-puissant aurait pu empêcher, (sans entraîner par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire).

Mais comment justifier ce renversement (inspiré du « déplacement » proposé par G. E. Moore dans sa contestation du scepticisme) ? Assener Non-(3) comme prémisse, c’est présumer trop fortement de la solution. C’est pourquoi nous proposons de revenir à une contestation directe (et non à une inversion autoritaire) de l’argument. La contestation de l’argument semble ne pouvoir porter que sur la prémisse (2). En effet, la prémisse (1), si elle était niée, ferait droit à une divinité sadique, s’amusant de souffrances « inutiles ». Si l’argument peut être attaqué, ce sera donc plus vraisemblablement par la mise en cause de la prémisse (2). Or la négation de cette prémisse paraît extrêmement coûteuse. En effet, nier (2), c’est-à-dire : « OR, il y a des souffrances intenses qu’un être omniscient et tout-puissant aurait pu empêcher (sans entraîner par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire) » revient à affirmer : (2*) Toute souffrance intense est justifiée par la venue d’un plus grand bien ou par l’éviction d’un mal plus grave.

En effet, il ne suffit pas que quelques souffrances intenses soient justifiées. Il est nécessaire que toutes soient justifiées. La négation de : « il y a des souffrances non justifiées » est : « il n’y a pas de souffrances non justifiées » donc « toute souffrance est justifiée » (qui sont toutes les deux une expression de la proposition contredisant (2)) et non « il y a des souffrances justifiées » (qui exprime la proposition contraire, mais pas contradictoire). Toutefois, cette dernière prémisse pourrait fournir une position d’attente. Dès lors qu’il y a des souffrances justifiées, il est établi qu’une souffrance est justifiable. Et donc la question peut rester ouverte de savoir si toute souffrance ne pourrait pas être justifiée. Néanmoins, rappelons-le, il suffit d’une souffrance non justifiée pour récuser (2*), et donc enclencher l’argument. Outre cette vulnérabilité de (2*), qui est celle de toute proposition universelle affirmative, se pose le problème de l’évaluation de l’intensité des biens ou des maux. Qui détient la grille d’évaluation ? Y a-t-il une échelle commune aux biens et aux maux ? Deux séries de questions se posent : la question de la commensurabilité des maux, et celle de la commensurabilité des maux et des biens.

Pour ce qui est de la première question, il est relativement aisé d’envisager la permission d’un mal dans la mesure où elle évite la venue d’un mal aussi grave voire pire. Mais cela exclut que des maux soient incommensurables. Or, une douleur physique peut-elle être comparée avec une souffrance morale (une rage de dents avec un chagrin passionnel) ? Une douleur individuelle intense peut-elle se comparer à une douleur collective moindre (comparez 32 personnes ayant une dent cassée à une personne ayant 32 dents cassées) ? Une douleur extrême mais brève, à un lent délabrement ?3 Qui sera juge en la matière : la victime, le bourreau, l’expert en odontologie, ou le psychologue ? Et surtout, la comparaison a-t-elle une valeur intersubjective ?

Supposée réglée cette première question de la commensurabilité des maux, nous ne sommes pas pour autant au bout de nos peines. En effet, la prévention du moindre mal ne suffit pas à justifier la permission du mal. Il est prudent, et c’est un des principes du secourisme, d’éviter le sur-accident. Mais cela ne justifie pas l’accident.

Quant à la deuxième question, qu’est-ce qui permet de comparer un mal non-empêché avec la venue d’un « plus grand bien » ? Notamment, est-ce que la souffrance endurée par une personne pourrait être justifiée par un bienfait ressenti par une autre ? Ma rage de dents ou ma dépression pourraient-elles être justifiées par votre bonne santé ou votre grand bonheur ? C’est ce genre de problèmes qui nous conduira à envisager une distinction entre théodicée en troisième personne (celle qui considère que la justification ou la compensation des maux ne fait pas acception des personnes, et qu’on peut pratiquer une arithmétique interpersonnelle mêlant les biens et les maux dans un pot commun) et théodicée en première personne (celle qui considère que la justification ou la compensation doit être estimée du point de vue de chaque individu concerné directement ou indirectement par la douleur et la souffrance). La formulation canonique est très économique : elle ne décide pas lequel des attributs divins on pourrait ou devrait sacrifier pour neutraliser l’argument, ni ne définit précisément le critère de la souffrance dite « intense ». Mais elle permet de suggérer un complément dans l’argumentation. Au lieu de la défense coûteuse de (2*) : « Toute souffrance intense est justifiée par la venue d’un plus grand bien ou par l’éviction d’un mal plus grave », on pourrait envisager (2**) : « Il y a des personnes qui estiment que la souffrance intense à laquelle elles sont ou ont été exposées est justifiée par la venue d’un plus grand bien ou par l’éviction d’un mal plus grave », ce qui donne à la prémisse (2*) une certaine plausibilité, et en tous cas l’exonère d’être une vue de philosophe instrumentalisant, depuis son cabinet, les souffrances de ses congénères. La formulation canonique devient alors :

(1) Un être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon empêcherait toute souffrance intense qu’il pourrait (sauf si cela entraînait par la même occasion la perte d’un plus grand bien ou bien la venue d’un mal aussi grave voire pire).

(2**) Il y a des personnes qui estiment que la souffrance intense à laquelle elles sont ou ont été exposées est justifiée par la venue d’un plus grand bien ou par l’éviction d’un mal plus grave.

(3**) Il est possible que les souffrances intenses ne soient pas incompatibles avec l’existence d’un être omniscient, tout-puissant et parfaitement bon.

C’est la perspective que nous adopterons pour amender la théodicée de Richard Swinburne. On suggérera qu’elle est bien plus corroborée par le témoignage en première personne que ne le laisse entendre sa formulation assez rude, en troisième personne. Auparavant, nous évoquerons l’alternative jonassienne qui invoque l’existence de catastrophes pour conclure à l’impuissance divine. L’idée est de montrer dans un premier temps les limites voire les contradictions d’une théodicée avec entrailles, avant de montrer les ressources insoupçonnées d’une théodicée sans entrailles.

3. La théodicée « avec entrailles » de Jonas

La théodicée contemporaine la plus compatissante et apparemment la plus « humaine » (la plus recevable psychologiquement, la moins choquante) est sans conteste celle de Hans Jonas. Pourtant, je voudrais rappeler que, en dépit de la puissance compassionnelle qui en émane, la solution si prisée de l’impuissance divine n’atteint pas son objectif et peut même se révéler très compromettante. La stratégie de Jonas est assez surprenante : d’un côté il entend démontrer sur un plan purement logique que le concept de toute-puissance est contradictoire et ce, au moyen d’une assimilation de la puissance divine avec le concept de force physique qui suppose un point d’application extérieur et une réaction4. Mais, à supposer que cette assimilation conceptuelle soit convaincante, elle ne suffit pas à expliquer la permission du mal : car il ne suffit pas que Dieu ne soit pas tout-puissant pour expliquer l’occurrence du mal. Il faut encore que sa puissance soit moindre que celle du mal.

Jonas en est conscient puisque d’un autre côté, il propose à la manière de Platon un mythos assez lointainement inspiré de la conception du retrait de Dieu (qu’il reprend à Isaac Louria, via Gershom Scholem). L’interprétation du retrait adoptée par Jonas est celle de l’abandon intégral par Dieu de sa puissance (l’abandon de toute sa puissance et pas seulement de l’abandon de sa toute-puissance) : « pour que le monde soit (damit Welt sei), Dieu a renoncé à son propre être (entsagte Gott seinem eigenen Sein) ; il s’est dévêtu de sa divinité (er entkleidete sich seiner Gottheit) ». « Dans la simple permission (Zulassen) d’une liberté humaine, il y a un renoncement à la puissance divine »5.

Deux nouvelles difficultés surgissent alors :

1) L’abandon par Dieu de toute sa puissance, donc a fortiori de sa toute-puissance, pourrait impliquer que la création retombe dans le néant. En effet, si l’univers doit son existence à un créateur ex nihilo, alors ce créateur a exercé la toute-puissance. Il n’y a pas de plus grande puissance que celle qui consiste à donner radicalement l’existence. La question se pose alors de savoir si le créé peut persévérer dans l’existence de son propre fait : c’est douteux. Il faudrait qu’il puisse se mettre à exister de lui-même. Qu’il puisse prolonger son existence en l’absence de celui qui l’a produite. Mais ce pouvoir d’exister par lui-même, qu’il n’a pas au départ, il lui faudrait le tenir de quelqu’un d’autre (vraisemblablement de son créateur)... Ce ne serait donc plus un pouvoir d’exister par soi-même. C’est la teneur métaphysique du concept de création qui est ici en cause. Si Dieu renonce à son propre être, ne s’ensuit-il pas alors que « La créature sans le créateur s’évanouit » ? Le classique concept de création continuée trouve ici sa pertinence. Résumons cette objection par deux schémas plus formels, l’un relatif aux conséquences de l’abandon de la toute-puissance :

(1) Seul un être tout-puissant peut donner l’existence à partir de rien.

(2) Il ne faut pas une moindre puissance pour conserver ce qui existe que pour le faire exister.

(3) Le renoncement de Dieu à sa toute-puissance, à supposer qu’il soit possible, plongerait toute la création dans le néant.

L’autre, relatif à l’acquisition, par une entité d’abord créée, de son auto-existence :

(1) D est créateur de l’univers = Déf. (∀ t) (l’univers existe à t) ⟶ l’existence de l’univers dépend de D.

(2) D crée l’univers et renonce à sa toute-puissance à t1.

(3) Donc à t1 l’existence de l’univers ne dépend plus de D.

(4) Si à t1 l’existence de l’univers ne dépend pas de D, alors D n’est pas créateur de l’univers (à moins que l’univers puisse se mettre à exister par soi après avoir dépendu de D).

2) Supposons ce double obstacle surmonté. Supposons que le monde, qui par hypothèse doit son existence à une puissance créatrice, puisse se mettre à exister par lui-même, et ne souffre pas de la mise en retraite anticipée de son créateur. Admettons l’alibi jonassien du « renoncement de Dieu à son propre être », de « Dieu se dépouillant de sa divinité ». Il reste un énorme inconvénient. Car le retrait de Dieu ne supprime pas la responsabilité de Dieu. Car ou bien Dieu prévoyait que l’octroi de la liberté pouvait aboutir à la catastrophe, il savait donc ce qu’il faisait « en entrant dans l’aventure de l’espace et du temps ». Il avait alors le devoir de s’abstenir. Ou bien Dieu n’avait pas de visibilité et alors c’est un apprenti-sorcier. A moins d’adopter le dualisme (que Jonas récuse explicitement), l’impuissance de Dieu, loin de le mettre hors de cause, ne fait qu’aggraver son cas. L’athéisme est alors une meilleure solution que l’impuissance de Dieu6. Ce n’est pas à dire que cette théodicée manque son but. Il faut rappeler qu’elle est proposée dans le cadre de la commémoration de LA catastrophe, et que sa visée principale étant compassionnelle, il ne faut peut-être pas exiger d’elle une cohérence conceptuelle à toute épreuve. Jonas, tout en prévenant son auditoire contre le risque de « viol émotionnel », réalise le caractère psychologiquement inacceptable d’une théorie où Dieu aurait pu intervenir, mais laisse faire. Cette inacceptabilité psychologique relève de la réaction des victimes, de leurs proches et de toutes celles et ceux qui compatissent profondément avec elles. C’est sur cette inacceptabilité que Jonas fait fond pour proposer la solution du Dieu impuissant. Et c’est cette inacceptabilité que nous allons discuter, pas seulement sur une base argumentative, mais en suggérant également la prise en compte de réactions et de témoignages en sens contraire. Ces témoignages, s’ils peuvent ne pas emporter l’adhésion, voire être soupçonnés de n’être que des formes de résiliences complices du mal (une espèce de syndrome de Stockholm) auront au moins une vertu : ils montrent la plausibilité d’une acceptation.

4. La reformulation de Swinburne

Si la théodicée de l’impuissance, voire de l’évanescence de Dieu échoue, il faut reprendre l’argument du mal. On peut, comme l’a fait Richard Swinburne, entrer davantage que ne faisait Rowe dans le détail de la permission du mal. Si l’intensité d’un mal permis par Dieu n’est pas comme telle une objection de principe, quels sont exactement les réquisits d’une permission morale du mal ?

Au début de son maître-ouvrage consacré à la providence et au problème du mal, Richard Swinburne propose de repréciser le cahier des charges de la permission du mal. Si ce cahier des charges n’est pas rempli, on a alors une preuve contre l’existence de Dieu. Swinburne stipule que le concept de Dieu inclut les attributs de bonté et de toute-puissance (contrairement à Jonas qui, on vient de le voir, sacrifie la toute-puissance, mais à quel prix !).

(1) S’il y a un dieu, il est tout-puissant et parfaitement bon.

(2) Un dieu parfaitement bon ne permettra jamais que se produise un mauvais état de chose M s’il est en mesure de l’empêcher à moins que (i) il ait le droit de permettre que M arrive ; (ii) la permission que se produise M (ou un état de choses également mauvais ou pire) est la seule manière moralement licite pour dieu de rendre possible l’arrivée d’un bon état de choses B ; (iii) il fasse tout ce qu’il peut par ailleurs pour produire B ; et (iv) l’utilité espérée de la permission de M, étant donné (iii), est positive.

(3) Un être tout-puissant peut empêcher l’arrivée de tous les états de choses mauvais.

(4) Il y a au moins un mauvais état de chose m tel que : soit dieu n’a pas le droit de permettre qu’il arrive, soit il n’y a pas de bon état de chose b tel que la permission que m arrive (ou un état de choses au moins aussi mauvais) soit la seule manière moralement licite pour dieu de rendre possible l’arrivée de b, soit dieu ne fait pas tout ce qu’il peut par ailleurs pour que b se produise, soit enfin qu’étant donné b, l’utilité espérée de la permission de m soit positive.

(1) & (2) & (3) & (4) Par conséquent, il n’y a pas de dieu7.

On remarque que le cahier des charges du (4) est disjonctif (soit..., soit..., soit..., soit...) et donc relativement facile à remplir, alors que l’énoncé des conditions que doit satisfaire un mauvais état de chose pour être moralement permissible par Dieu est une conjonction de quatre conditions : (i) licéité morale intrinsèque de la permission ; (ii) licéité morale extrinsèque ; (iii) privilège des solutions alternatives ; (iv) utilité espérée positive. Des quatre critères énumérés dans la prémisse 2, les (i), (ii) et le (iii) sont difficilement contestables (autrement on aurait affaire à un dieu cruel, ou à un dieu confisquant toute liberté). Ces critères correspondent d’ailleurs à une partie des réquisits qui rendent moralement licites une action à double-effet (l’effet recherché est bon, l’effet nuisible n’est toléré que comme dommage collatéral de l’action entreprise, l’agent ne dispose pas d’autres moyens moins coûteux d’obtenir l’effet désirable).

On peut noter d’ailleurs que, pour que l’effet nuisible puisse être considéré comme un dommage collatéral et non comme un moyen d’obtenir un bien (supposé le compenser), il faudra, par exemple, que le mauvais usage de la liberté soit une conséquence possible de l’octroi de la liberté et non un moyen (la felix culpa quae talem meruit redemptorem). Mais la possibilité de ce mauvais usage, elle, est bien une condition nécessaire de l’octroi d’une liberté significative.

5. La scandaleuse utilité de la permission des maux

C’est le critère (iv) qui va retenir mon attention. Je voudrais examiner comment Swinburne le traite. Sa démarche suit la réponse traditionnelle par le libre arbitre des créatures8. Un Dieu généreux distribuera des bienfaits plus substantiels que des seuls états de bien-être. Parmi ces bienfaits, il conférera aux êtres humains des responsabilités significatives envers eux-mêmes, envers autrui et envers le monde. Ces biens d’ordre supérieur comportent, outre la jouissance de la liberté, les possibilités d’acquisition et d’accroissement des connaissances, donc une responsabilisation collective plus grande de l’humanité quant à son sort. S’il y a un Dieu, on peut s’attendre à ce qu’il permette à certains maux de se produire9.

La classique free-will defence (défense par le libre arbitre) consiste à affirmer qu’il serait contradictoire que Dieu nous confère le libre arbitre tout en s’assurant que nous n’en userons jamais pour faire le mal. La capacité de nuisance est le corrélat logiquement nécessaire d’une vraie responsabilité envers autrui. C’est le principe d’une défense par le libre arbitre. L’existence de penchants mauvais (donc d’un certain mal) est une condition nécessaire pour qu’un agent rationnel ait la possibilité de choisir entre le bien et le mal (c’est la possibilité, non l’actualité du mal qui est ici la condition d’un grand bien). La souffrance que je subis est évidemment un mal moral, mais c’est elle qui permet à autrui d’exercer sa responsabilité envers moi. Notre vulnérabilité, notre accessibilité à la souffrance (qui implique que je souffre effectivement si vous faites le mauvais choix) signifie que vous n’êtes pas seulement un pilote dans un simulateur de vol, où les fautes qui sont faites sont sans conséquence. L’existence humaine n’est pas un jeu vidéo. Pour donner une vraie responsabilité à mon aîné, je dois accepter d’exposer mon cadet, et si, lorsque je prétends confier à l’aîné la garde de son frère, je passe mon temps à les surveiller derrière un miroir sans tain et que j’interviens dès que l’aîné rudoie son frère ou lui prend son goûter, je ne lui confie en fait aucune responsabilité. Un monde de marionnettes sans responsabilité morale eût été plus pacifique. Eût-il été préférable ? Swinburne ne conteste pas que cette exposition d’autrui à une souffrance pour laquelle autrui (le petit frère) ne s’est pas porté volontaire, reste choquante. Mais Swinburne remarque que contrairement au médecin qui prévient son patient des effets secondaires d’un traitement ou des dommages collatéraux qu’une opération peut entraîner, et lui demande son consentement éclairé, Dieu ne peut pas demander à ses créatures si elles acceptent d’être créées dans un monde où la responsabilité morale des uns peut s’exercer aux dépens les plus horribles des autres. Le bienfait d’exister peut paraître neutralisé voire anéanti par certaines conditions d’existence, mais il y a une limite à la dose de souffrance que Dieu permet à un homme d’endurer, fût-ce pour la préservation d’un bien supposé plus grand. Par ailleurs, le mal naturel provoque une recherche de la connaissance et de la maîtrise des processus et des lois qui le produisent. Sans de tels maux, aucun équipement de sécurité, aucune technique de protection thermique, sanitaire, etc. n’aurait vu le jour. Swinburne affronte alors l’objection : Dieu aurait pu nous donner directement les connaissances requises pour que nous exercions notre responsabilité. Il répond qu’une communication immédiate avec Dieu sur les conséquences de nos actes inhiberait fortement nos décisions et notre autonomie (c’est la notion de distance épistémique). Par ailleurs, l’acquisition de connaissances par essais et erreurs et par coopération avec autrui est un bien qui inclut des maux, mais sauvegarde la pleine responsabilité de l’être humain dans la conduite de sa vie. L’occurrence de maux naturels fournit également l’occasion d’actes excellents (dévouement des sauveteurs, réaction de courage ou de peur, de révolte ou de résignation, de compassion ou d’indifférence, etc.). Swinburne affirme que si les biens occasionnés par la permission de certains maux ne suffisent pas à neutraliser l’objection du mal, ils contribuent du moins à diminuer les charges retenues contre Dieu. Swinburne admet cependant qu’une théodicée de la compensation (consolation post mortem des personnes ayant enduré des souffrances particulièrement intolérables ou démesurées) peut, voire doit compléter cette défense par le libre arbitre.

6. Une théodicée « sans entrailles » ?

Le procès qu’on intente souvent aux théodicées argumentatives est d’envisager des scénarios de compatibilité logique là où c’est une réponse compassionnelle qui est requise. Il se trouve que Swinburne est parfaitement au fait de ce reproche :

Inévitablement, toute tentative d’élaborer une théodicée, d’où qu’elle vienne, aura l’air de manquer de cœur, voire d’être totalement insensible à la souffrance humaine. Nombreux sont les théistes qui, comme les athées, pensent que toute tentative d’élaborer une théodicée manifeste une approche immorale de la souffrance. Il ne me reste plus qu’à demander au lecteur de croire que je ne suis pas totalement insensible à la souffrance humaine, et que mes opinions sur l’agonie par empoisonnement, le viol d’enfants, la perte d’un parent, l’emprisonnement solitaire, et l’infidélité conjugale sont celles de n’importe qui d’autre. Certes, en aucun cas je ne recommanderais à un pasteur de donner à lire ce chapitre aux victimes d’une détresse imprévue, pour les consoler dans les moments les plus durs. Non pas parce que ces arguments seraient faux, mais seulement parce que la plupart des gens, plongés dans la détresse, ont besoin de compassion, pas de discussion. En attendant le problème reste entier de savoir « pourquoi Dieu permet le mal »10.

La théodicée de Swinburne assume, comme toutes les théodicées qui ne font pas l’autruche, que les souffrances permises par Dieu dépendent bel et bien de Dieu, et qu’il serait en son pouvoir à tout moment d’y mettre fin. Si Dieu n’est pas pénalement coupable des actes de torture, il garde la responsabilité morale de la permission de ces actes. Mais les empêcher purement et simplement serait mettre fin du même coup à la valeur morale de l’existence humaine. Swinburne prend le taureau par les cornes : la permission du mal moral, dont la possibilité est une condition nécessaire de l’exercice conséquent du libre arbitre, et d’une responsabilité morale réelle, suppose qu’on puisse dire que tout compte fait, Dieu reste bienfaisant11. Et là, la partie n’est pas gagnée. Y a-t-il oui ou non compensation de toutes les souffrances ? Dieu est-il vraiment, tout compte fait, le bienfaiteur équitable de ses créatures ?

7. Ivan Karamazov et le syndrome de Stockholm

Cette interrogation fait écho au célèbre chapitre du livre 5 des Frères Karamazov, où Ivan commence par réclamer une compensation intégrale de toutes les souffrances. Il envisage même, à la façon de Marmeladov dans Crime et Châtiment, un avènement de cette compensation : « un jour la mère et l’enfant pardonneront au bourreau et tous donneront raison à Dieu »12. Or Ivan s’avise que ce droit de pardonner (le mal commis, ou certains maux commis) n’existe pas : 1) la mère n’a pas le droit de pardonner au bourreau de son enfant ; 2) même si l’enfant lui aussi pardonnait au bourreau, la mère n’aurait pas pour autant le droit de pardonner. Cela implique l’impossibilité de la compensation. La mère et l’enfant croiront peut-être pardonner au bourreau, mais si ses crimes sont impardonnables, la mère et l’enfant en seront pour leurs frais... Autrement dit, Ivan a beau envisager une solution au problème du mal (l’avènement de la compensation par le pardon), il la refuse comme réponse13. L’idée est que le pardon suscité par Dieu resterait extérieur à la souffrance endurée, ou qu’il ne justifie pas celle-ci. Il ne la vaut pas comme le dit Ivan, qui du coup « rend son billet ». Même avec le consentement des victimes, cela reste un pardon en troisième personne. La question que nous posons est simple : quelle est la portée de l’indignation persistante d’Ivan, malgré la perspective d’une réconciliation totale ? Quel est le poids de cette protestation qui ne joue pas le jeu dans la loterie de la compensation ? La force de la révolte d’Ivan consiste à affirmer que, dans la perspective d’une théodicée, le consentement de la victime ne suffit pas pour justifier la permission donnée au bourreau. C’est un consentement universel qui selon Ivan est requis. Tous doivent pouvoir s’écrier « Justice » ou « Tu as raison, Seigneur ». Tout se passe comme si Ivan s’instituait juge de la recevabilité du consentement de la victime et de la mère, soupçonnant, en l’occurrence, un syndrome de Stockholm (une relation de soumission fascinée de la victime au bourreau, allant jusqu’à justifier ses agissements, ou plus profondément une soumission pathologique de la victime à Dieu qui a permis les agissements du bourreau), et donc refusant de recevoir ce consentement comme valide14. On peut se demander si le cas symétrique pourrait se produire : la victime ne pardonne pas, s’estime injustement traitée par Dieu, mais Ivan considère que malgré tout, c’est justice, que Dieu n’a pas mal agi envers elle en laissant faire... C’est justement l’attitude de Swinburne qui estime crûment que la justification morale d’un sacrifice ne se mesure pas au confort ou au réconfort psychologique de la personne sacrifiée (Swinburne prend l’exemple d’un soldat qui, de mauvais gré, donne sa vie pour libérer son pays, et dont le sacrifice reste méritoire).

Attitude choquante, sans entrailles. Il est à parier qu’Ivan, pour sa part, ne s’assoirait pas sur les sentiments de la victime, puisqu’il dit « quand bien même le fils pardonnerait », le pardon accordé par la victime apparaissant alors comme une condition nécessaire, mais pas suffisante, de la justification de la permission du mal. Toutefois, remarquons qu’en définitive, la critériologie de la justification de Dieu par rapport à la permission du mal fonctionne de la même façon chez Karamazov et Swinburne, puisqu’en dernier ressort, c’est une tierce personne qui juge de la recevabilité des justifications, et non le ressenti de la victime et de son entourage. Certes, l’application du même critère va donner en l’occurrence deux résultats opposés, mais Swinburne et Karamazov pratiquent ce qu’on pourrait appeler une théodicée en troisième personne. Swinburne ou Karamazov (« Je ne veux pas que la mère pardonne au bourreau... quand bien même son fils pardonnerait... ») sont l’instance tierce qui départage les parties en conflit (Dieu et les victimes du mal), qui décide si les souffrances auxquelles Dieu expose ses créatures par la permission du mal sont acceptables ou non. Notre propos dans cette réflexion est de redonner la parole aux intéressés. Non que nous considérions que le ressenti soit la norme de la recevabilité de la permission du mal. Mais si des victimes et leurs proches sont en mesure d’affirmer que tout compte fait et malgré tout, il est juste et bon de rendre gloire à Dieu, même quand celui-ci permet le mal, alors l’acceptabilité de cette permission devient plausible. De ce fait, nous écartons l’arbitrage d’Ivan Karamazov qui dénie aux intéressés le droit de s’exprimer sur ce chapitre. Tel est le sens de ce plaidoyer en faveur de la réhabilitation de la première personne dans les arguments de théodicée. Si elles (les victimes et leurs proches) en sont capables, qui sommes-nous pour leur dénier ce droit ?

8. Swinburne « ridiculement nauséabond » ?

Pour Swinburne, la justification d’un mal physique ou moral n’est jamais fondamentalement une affaire de ressenti subjectif. Un bien justifie ou ne justifie pas objectivement le mauvais état de choses qui lui est corrélé. Si le secouriste qui va succomber à ses brûlures, après avoir sauvé 20 personnes dans un incendie, considère que sa vie est un échec, c’est son problème. Sa vie n’en aura pas moins une valeur morale appréciable. Certes il y a des héros qui s’ignorent, et des bienfaiteurs inconscients des bienfaits que produit leur comportement. Supposons cependant qu’aucune des personnes soumises à des épreuves ne puisse jamais percevoir ni approuver le bénéfice d’aucune épreuve endurée. Nous n’aurions aucun accès cognitif à une possible justification de la permission de ces épreuves. L’amertume et la désolation régneraient dans le cœur des justes : seul Dieu ou Sirius seraient en mesure d’estimer que « tout est bien ». On pourrait alors compter comme un mal dirimant le fait qu’aucune des personnes éprouvées n’ait jamais conscience qu’elle coopère à un bien par la souffrance qu’elle endure. C’est pourquoi il nous paraît indispensable de prendre en considération la dimension de l’acceptabilité personnelle de ces mauvais états de choses. C’est peut-être faute d’avoir pris en compte cet aspect que la théodicée de Swinburne a si mauvaise réputation. Entre autres, on lui reproche une instrumentalisation cynique des souffrances humaines, quand il affirme, par exemple, qu’une personne irradiée de plus à Hiroshima aurait représenté une occasion supplémentaire de courage dans l’adversité, de dévouement à la personne, et même d’accroissement de nos connaissances... Affirmation d’autant plus choquante qu’elle est bien réfléchie. Swinburne commence en effet par admettre :

Trop nombreux et pénibles sont les maux naturels censés servir une fin bonne comme offrir aux êtres humains des opportunités de réaction compassionnelle ou courageuse ou d’exercice de l’investigation inductive rationnelle. [...] Si Dieu existe, pourra-t-on objecter, n’a-t-il pas accordé aux humains une trop large responsabilité ? N’a-t-il pas infligé trop de souffrance à trop de personnes (et d’animaux) à seule fin de rendre possible l’exercice de libres décisions leur permettant de se transformer eux-mêmes en profondeur, de s’influencer mutuellement et de changer le monde sur la base de connaissances obtenues par l’investigation rationnelle ? Aucun Dieu, objectera-t-on, n’aurait dû permettre la Grande Peste, le tremblement de terre de Lisbonne, la Shoah, Hiroshima. J’avoue avoir dès l’abord beaucoup de compréhension pour l’objection selon laquelle, si Dieu existe, il a dépassé toute limite. Cette objection semble bien avoir du poids contre l’existence de Dieu15.

Néanmoins il poursuit :

Mais en réfléchissant, je me rends compte que l’élimination de chaque mal réel ou virtuel se traduit par l’élimination d’un bien actuel. Le moindre accroissement du nombre de maux réels ou virtuels produit une augmentation certaine du nombre de biens réels ou virtuels. Supposez qu’une personne de moins ait été irradiée par la bombe d’Hiroshima. C’eût été une occasion de moins de manifester courage et compassion, un élément d’information en moins sur les effets des radiations atomiques, moins de personnes (les proches de la personne irradiée) décidées à s’engager contre l’armement nucléaire et l’expansion impérialiste.

De telles réflexions n’ont pas manqué de susciter un tollé d’indignation. Comment un soi-disant philosophe pouvait-il se montrer aussi glacial et cynique, prêt à instrumentaliser des souffrances abyssales pour en déterminer l’utilité ? Une victime de plus à Hiroshima ? Voilà qui est excellent pour les statistiques des pathologies d’irradiation !16 Il est donc bien vu de dénoncer dans l’entreprise de Richard Swinburne une théodicée sans entrailles. Cette indignation a évidemment une valeur compassionnelle inestimable, mais si on veut en faire un argument, elle prête le flanc à une objection : où serait la limite à ne pas dépasser, la goutte de sang qui fait déborder le vase de l’incompétence divine ?

Existe-t-il un nombre de victimes ou un degré d’atrocités en deçà desquels on pourrait dire : « Dieu peut encore avoir des raisons de ne pas intervenir, il a créé certains êtres libres etc. » ; mais au-delà desquels on devrait conclure : « désormais nous savons que Dieu est impuissant face au mal » ? Y a-t-il une goutte de sang qui ferait déborder le vase de la colère divine, déclenchant une intervention jugée jusque-là inutile ? C’est pourtant bien ce que sous-entendent tous ceux qui disent qu’au vu d’Auschwitz ou d’Hiroshima, Dieu aurait dû intervenir, et concluent de sa non-intervention à son impuissance, ou même à sa méchanceté, ou encore à son inexistence.

Qu’en est-il alors de la ne victime ou de la ne dent arrachée sous la torture, si c'est seulement à partir des + 1e qu’on passe d’un mal « acceptable » à l’inacceptable ? Quid des pogroms antérieurs ? Les n premières victimes ne comptaient donc pour rien ? Ce serait là une instrumentalisation macabre. D’après ce calcul macabre, Dieu pourrait se prévaloir d’un quorum insuffisant de souffrances... En eux-mêmes, le nombre de victimes et l’intensité des souffrances ne sont pas des paramètres décisifs du problème de la théodicée. C’est bien ce que revendique Swinburne : le problème du mal n’est pas rendu plus aigu par l’alourdissement du bilan. Il est démultiplié. Mais c’est le même problème : on ne voit pas pourquoi il se poserait seulement à partir de + 1 victimes, et s’il ne trouve pas de solution dans ce cas, on ne voit pas pourquoi il en aurait une pour les précédentes. Il ne s’agit évidemment pas de nier la spécificité de l’extermination des Juifs d’Europe, entreprise de déshumanisation unique en son genre. Car le problème est celui de la permission du mal par un dieu supposé tout-puissant. Dans la mise en cause de l’excès des maux, ce n’est pas le nombre de victimes innocentes qui compte, c’est l’absence de lien entre ce nombre (effarant) et la justification de sa permission. Swinburne le reconnaît : « La question de savoir si ces biens sont suffisamment grands pour justifier les mauvais états de choses qu’ils rendent possibles est le problème crucial du mal »17. La perspective que je défends, c’est que la solution à ce problème peut être éclairée (je ne dis pas résolue) par l’appréciation des intéressés.

9. Perspectives post-mortem et réponse de l’incarnation de Dieu

Swinburne note que l’hypothèse d’une compensation post-mortem (celle-là même qu’envisage puis refuse Ivan) est satisfaisante, mais coûteuse (elle est de l’ordre de l’espérance, ce n’est pas une donnée du même ordre que les bénéfices tangibles de la permission de certains maux comme l’exercice d’un libre arbitre vraiment significatif). Il existe aussi une réponse cruciale, dont l’appréciation n’est plus seulement de l’ordre de la possibilité logique, mais de l’ordre de l’acceptation d’une donnée historique et de l’adhésion de foi. Cette réponse, c’est l’incarnation, par laquelle Dieu en personne viendrait partager nos souffrances. C’est « la compensation non quelque part dans l’infini, mais ici-bas » réclamée par Ivan Karamazov. Swinburne fait droit à cette réclamation, en faisant entrer dans sa théodicée l’Incarnation et la Passion de Jésus. Il suggère la pertinence de cette proposition au moyen de plusieurs comparaisons :

[S]i Dieu fait souffrir les êtres humains (et les animaux) au point où il le fait, même si c’est dans un bienveillant dessein, ne devrait-il pas, en vertu de sa parfaite bonté partager lui-même nos souffrances ? (Ne serait-ce pas pour lui la meilleure des choses à faire ?). Nous estimons en effet que de bons parents, qui auraient mis leurs enfants à la diète pour raison de santé, se soumettraient aussi très souvent à ce régime (bien qu’eux-mêmes n’aient pas ce problème de santé). Ou encore, s’ils demandent à leurs enfants de jouer avec des petits voisins difficiles mais qui ont un grand besoin de camaraderie, ils se montreront particulièrement amicaux avec les parents de ces voisins (même si ces parents ont moins besoin d’être entourés). Les bons monarques et les bonnes reines partagent les souffrances qu’ils demandent à leurs sujets de supporter dans un but louable (par exemple quand il s’agit de remporter une guerre contre un envahisseur), même si la souffrance du roi ou de la reine n’est pas en elle-même un moyen d’atteindre ce but. S’il nous fait souffrir autant, Dieu doit s’incarner et partager notre souffrance18.

La réponse de l’Incarnation ouvre une solution à la compensation ici et maintenant. Mais l’acceptation de cette réponse (qui passe par la reconnaissance que c’est Dieu fait homme qui souffre la passion en communion avec toutes les souffrances de tous les temps) relève de l’acte de foi. Et elle ne manque pas de soulever une interrogation « cruciale » : la souffrance portée par le dieu en croix est-elle vraiment celle de toutes les victimes de toutes les calamités ? « L’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » en ôte-t-il les catastrophes humanitaires comme les calamités naturelles ? Si j’ai évoqué cette dimension de la théodicée de Swinburne, c’est parce qu’elle suffit, me semble-t-il, à écarter l’idée qu’elle serait définitivement sans entrailles. Mais du même coup, elle sort d’une argumentation déductive pour prendre en compte l’acceptation psychologique et spirituelle d’une proposition de la foi.

10. Une théodicée en première personne

Le défi d’une théodicée avec entrailles (celle qui ne règle pas par un simple calcul d’utilité la question des souffrances atroces, insupportablement prolongées) est donc de prendre en compte l’acceptation par toute victime de son sort. Il est clair que le philosophe ne saurait décider, depuis son cabinet ou devant son écran, que toute victime doit pouvoir accepter son sort, et admettre que les pires souffrances endurées contribuent, tout compte fait (« tout compté, tout rabattu » comme dit Leibniz) à la perfection morale de la création.

Une théodicée en première personne n’est justement pas une théodicée par procuration, où les victimes délègueraient au philosophe leur signature avec une mention comme « Lu et approuvé », « Bon pour accord », etc.

Une théodicée en première personne sera encline à rechercher des témoignages en faveur de l’acceptabilité du mal. Il s’agit, à une question de principe (si Dieu est bon et tout-puissant, pourquoi tant de victimes broyées par la haine, le mépris, la violence sadique et la domination ?), de suggérer une réponse de fait. Ou du moins la possibilité d’une réponse de fait.

Reprenons la distinction désormais classique proposée par Plantinga, entre « proposer une théodicée (giving a theodicy) » et « proposer une défense (giving a defence) »19. Une théodicée positive est censée répondre de manière détaillée à la question de la source du mal que Dieu permet et des raisons qu’il a de le permettre. Une théodicée défensive se limite à montrer que la coexistence de Dieu et du mal est logiquement possible. Dans le cas de la théodicée en première personne que nous envisageons, nous pouvons considérer la chose suivante : il suffit qu’il soit possible qu’en première personne, chaque victime d’un mal reconnaisse la bonté de la création, et confesse, en dépit de toutes les souffrances, dégradations, violences par elle endurées, que « tout cela était bon », comme on le lit sous la plume de Thomas More ou Lady Julian of Norwich. On pourrait par exemple évoquer les témoignages d’Alice Herz-Sommer, de Zdenka Fentlova et Anita Lasker Wallfisch, réunis dans « The Lady in Number 6: Music Saved My Life »20, ou encore le témoignage de Jean-Marie Twambazemungu (« Aimer quoi qu’il en coûte ») et celui de François-Xavier Ngarambe et Yvonne-Solange Kagoyire (« Rescapés pour aimer »)21.

Dans une théodicée en première personne, la question de la compensation, de la justification des maux permis n’est plus seulement une question de principe (ou de calcul d’utilité espérée de la permission d’un mal, qui rend possible des biens d’ordre supérieur comme l’exercice de la liberté, la coopération dans la recherche médicale, agro-alimentaire, etc.), c’est une question d’attitude.

L’acceptabilité des souffrances consenties par les victimes ne se décide pas par décret. Elle est documentée par des récits en première personne. Il est clair également qu’à vue humaine, la réaction d’Ivan Karamazov reste psychologiquement pertinente (et statistiquement fréquente). Tout ce que j’ai voulu dire avec cette notion de théodicée en première personne, c’est qu’il suffit que cette acceptation soit possible en première personne pour qu’une défense de la permission du mal redevienne humainement audible22. Le problème de la théodicée convoque alors, non plus seulement des arguments, mais des témoins. Leur témoignage est précieux à plus d’un titre : il rappelle au philosophe pressé que c’est justement leur trajectoire abîmée qui est le fond du problème. Le problème de la théodicée n’est pas d’abord un problème de compatibilité des attributs divins avec la souffrance des créatures. C’est avant tout une prise en compte de cette souffrance comme donnée scandaleuse et comme avertissement majeur. Et il importe que le philosophe, souvent trop pressé de trouver un motif de justification ou de condamnation de Dieu, puisse vérifier que la solution conceptuelle qu’il propose est en rapport avec les situations personnelles de détresse, de souffrance et de révolte qui ont donné naissance au problème.

Bibliographie

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Filmographie

« The Lady in Number 6: Music Saved My Life », avec Alice Herz-Sommer, Zdenka Fentlova, Anita Lasker Wallfisch, écrit par Malcolm Clarke et Carl Freed, 2013, http://www.outilsdusoin.fr, consulté en janvier 2018.

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1Augustin, Enchiridion de fide, spe et caritate, ch. 11, no 3, édité par J. Rivière, 1947, 2e éd. mise à jour par G. Madec et J.-P. Bouthot, Paris, Desclée de Brouwer, 1988, repris par Thomas d’Aquin, Somme de théologie, I, qu. 2, art. 3, respondeo ad 2.

2William Rowe, « The Problem of Evil and Some Varieties of Atheism », American Philosophical Quarterly 16/4 (1979), p. 335-341.

3Les remarques de Peter Van Inwagen sur ce sujet sont très éclairantes. Voir « The Magnitude, Duration and Distribution of Evils: A Theodicy », Philosophical Topics 16/2 (1988), p. 161-187.

4« Ce sur quoi la puissance agit doit posséder une puissance par devers soi (von sich her), lors même qu’elle est issue (abstammt) de cette première puissance et qu’elle a été octroyée à l’origine (ursprünglich gewährt) à son détenteur, en même temps que son existence, par un renoncement à soi de la puissance illimitée – cela vaut jusque dans l’acte de création (eben im Akt der Schöpfung). » Hans Jonas, « Der Gottesbegriff nach Auschwitz, eine jüdische Stimme», in Philosophische Untersuchungen und metaphysische Vermutungen, Francfort-Leipzig, Insel Verlag, 1992, p. 202.

5Ibid., p. 205-207.

6Sur cette question, je me permets de renvoyer à la discussion détaillée et contextualisée que j’ai proposée dans « Le concept de Dieu après Jonas. Aveux d’impuissance, aveux contradictoires », Revue philosophique de Louvain 113/4 (2015), p. 569-597.

7Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 13-14.

8La suite de cet alinéa est un résumé du chapitre « Why God Allows Evil? » in R. Swinburne, Is there a God ?, Oxford, Oxford University Press, 1997.

9« It is no objection against theism that God allowed something bad to occur, in order to achieve some good, when he could have achieved the good by allowing a different but equally bad state to occur instead. » Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil, opcit., p. 13-14.

10Richard Swinburne, Y a-t-il un Dieu ?, trad. Paul Clavier, Paris, Ithaque, 2009, p. 93-94.

11« It is permissible to use someone for the good of others if on balance you are their benefactor, and if they were in no position to make the choice for themselves. » Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil, opcit., p. 233. En sens contraire, Marilyn McCord Adams distingue : « The value of a person’s life may be assessed from the inside (in relation to that person’s own goals, ideals, and choices) and from the outside (in relation to the aims, tastes, values, and preferences of others)... My notion is that for a person’s life to be a great good to him/her on the whole, the external point of view (even if it is God’s) is not sufficient. » Marilyn McCord Adams, Horrendous Evils and the Goodness of God, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1999, p. 145.

12« Ce qu’il me faut, c’est une compensation, sinon je me détruirai. Et non une compensation quelque part, dans l’infini, mais ici-bas, une compensation que je voie moi-même. [...] Je veux être présent quand tous apprendront le pourquoi des choses. [...] Je comprends comment tressaillira l’univers, lorsque le ciel et la terre s’uniront dans le même cri d’allégresse, lorsque tout ce qui vit ou a vécu proclamera : “Justice, Seigneur, car tes voies nous sont révélées !”, lorsque le bourreau, la mère, l’enfant s’embrasseront et déclareront avec des larmes : “Tu as raison, Seigneur !” Sans doute alors, la lumière se fera et tout sera expliqué. » Fiodor Dostoïevski, Les frères Karamazov, livre 5, ch. 4, « La révolte », trad. Henri Mongault (1935), Paris, Gallimard, 1994.

13« Je me refuse à accepter cette harmonie supérieure. Je prétends qu’elle ne vaut pas une larme d’enfant, une larme de cette petite victime qui se frappait la poitrine et priait le “bon Dieu” dans son coin infect ; non, elle ne les vaut pas, car ces larmes n’ont pas été rachetées. Tant qu’il en est ainsi, il ne saurait être question d’harmonie. Or, comment les racheter, c’est impossible. Les bourreaux souffriront en enfer, me diras-tu ? Mais à quoi sert ce châtiment puisque les enfants aussi ont eu leur enfer ? D’ailleurs, que vaut cette harmonie qui comporte un enfer ? Je veux le pardon, le baiser universel, la suppression de la souffrance. Et si la souffrance des enfants sert à parfaire la somme des douleurs nécessaires à l’acquisition de la vérité, j’affirme d’ores et déjà que cette vérité ne vaut pas un tel prix. » Ibid.

14« Je ne veux pas que la mère pardonne au bourreau ; elle n’en a pas le droit. Qu’elle lui pardonne sa souffrance de mère, mais non ce qu’a souffert son enfant déchiré par les chiens. Quand bien même son fils pardonnerait, elle n’en aurait pas le droit. Si le droit de pardonner n’existe pas, que devient l’harmonie ? Y a-t-il au monde un être qui ait ce droit ? » Ibid.

15Richard Swinburne, La probabilité du théisme, trad. Paul Clavier, Paris, Vrin, 2015, p. 332.

16Cette position est qualifiée de ridiculement nauséabonde (nauseatingly grotesque) (par exemple : http://scepticalthoughts.blogspot.fr), ou encore d’« aberrante, inacceptable ». « [L]a réaffirmation d’un Dieu tout-puissant [lit-on aussi] l’engage manifestement dans une dérive éthique atterrante. Une désinhibition inquiétante du dogmatisme chrétien ? » Cf. « Pourquoi Dieu a-t-il permis Auschwitz, Mr Swinburne ? », propos recueillis par Wolfram Eilenberger, trad. Myriam Dennehy, Philosophie magazine 65 (2012-2013), p. 54-57.

17Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil, op. cit., p. 239.

18Cf. Richard Swinburne, La probabilité du théisme, opcit, p. 333. « De la même façon, on doit s’attendre à ce qu’un Dieu qui nous impose une certaine dose de souffrance en considération de plus grands biens, s’incarne et partage l’épreuve qu’il nous a imposée. » Richard Swinburne, Y a-t-il un Dieu ?, opcit., p. 119. Cf. aussi Revelation. From Metaphor to Analogy, qui développe cette consideration : « If God has made a world in which we may suffer (in consequence both of the actions of others and of the operation of natural processes), being good, he would do this only if it provides some good for the sufferers or for others. I believe that all the evils of the world are the necessary means to great goods. For example, my availability to suffer gives to other people the great moral responsibility for choosing freely whether to hurt me or benefit me. Unless God allowed them to succeed in hurting me if they so chose, they would not have any great responsibility for me – it would have been predetermined that all would go well with me, whatever choices others made. And so he allows me to suffer when they do so choose. And God allowing me to suffer or causing me to suffer in some other way gives me the opportunity to deal bravely with my suffering and thereby form a courageous character. I too as a parent may cause a child of mine to suffer for some good cause. For example, suppose that my child and a neighbour’s child can eat only food of a certain kind. My neighbour has none of this food, but I have enough to keep both children alive, but not enough to prevent both of them from going hungry if I give my neighbour enough of the food to keep his child alive. In this situation, in order to save the life of my neighbour’s child, it is good that I should not give my own child enough food to save him from hunger. But if that is what I do, I have a duty to identify with my child’s suffering. That means that I must share her suffering, show her that I am doing so, and show her that I believe the suffering to be worthwhile ; and that means that I must bear it bravely. I will do this by going hungry myself, even though I can eat other kinds of food of which I have plenty, and I must do it without grumbling. Analogously, if God causes humans to suffer for a good cause, he must identify with us by sharing bravely the sort of human life and death which involves suffering. And he must provide us with the information that a certain suffering human was God Incarnate. » Richard Swinburne, Revelation. From Metaphor to Analogy, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 83.

19« Self-Profile », in James E. Tomberlin and Peter van Inwagen (eds.), Alvin Plantinga, Dordrecht, D. Reidel, 1985, p. 42.

20Écrit par Malcolm Clarke et Carl Freed, 2013.

21Yvonne-Solange Kagoyire, François-Xavier Ngarambe, Jean-Marie Twambazemungu, Rescapés de Kigali, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2014.

22Je remercie Ghislain Waterlot, qui avait attiré mon attention sur l’importance de l’acceptabilité psychologique des arguments de théodicée, lors d’une journée parisienne intitulée « Au bord de l’abîme, Dieu et le mal » à l’Institut catholique de Paris, le 10 mai 2016.