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Voltaire et la théodicée leibnizienne

Marc PARMENTIER

Université de Lille

Il est difficile de ne pas ressentir une forme de perplexité à la lecture de Candide lorsqu’on sait que Voltaire connaissait en réalité très bien la philosophie de Leibniz. À quelle fin accumule-t-il contresens sur contresens en toute connaissance de cause ?

Candide est une des répliques de Voltaire à une série de catastrophes, dont la plus célèbre est le tremblement de terre de Lisbonne survenu en 1755, et c’est d’abord l’auteur des Essais de théodicée, du système de l’optimisme et de l’harmonie préétablie, que Voltaire semble ridiculiser. Mais à notre tour, pouvons-nous voir dans l’ouvrage un pur et simple rejet si nous tenons compte du fait que Voltaire a mis en scène bien d’autres facettes du corpus leibnizien dans ses contes ? Dans ces conditions, Candide n’est-il pas plutôt une mise à l’épreuve de l’optimisme au sein d’un dispositif qu’on peut lui-même qualifier de leibnizien ?

1. L’art du contresens

Dans Candide se manifestent plusieurs porte-parole du système de l’optimisme : Pangloss, porte-parole attitré du fait de son statut de précepteur ; le narrateur, qui présente parfois les choses à la manière panglossienne, usant ainsi d’une sorte de discours indirect libre1 ; enfin l’élève Candide ; toute la question étant, dans son cas, de savoir s’il commet des contresens parce qu’il est un bon ou un mauvais élève de Pangloss. La liste des contresens savamment répartis dans les discours des trois porte-parole est impressionnante. Je m’en tiendrai à trois exemples.

1.1. L’a priori et la nécessité

Dans l’ouvrage publié en français en 1710 à Amsterdam, Essais de théodicée, ce terme inventé par Leibniz2 signifie qu’il y sera question de la justice de Dieu. La question est depuis très longtemps l’objet de sa réflexion, elle est notamment l’objet d’un dialogue intitulé Confessio philosophi, profession de foi du philosophe, rédigé en 16733. Mais l’originalité de l’ouvrage de 1710 est de placer la solution des difficultés liées à la confrontation entre la bonté de Dieu et l’existence du mal dans le choix par Dieu du meilleur parmi une infinité de mondes possibles :

Il faut aussi que cette cause soit intelligente ; car ce monde qui existe étant contingent, et une infinité d’autres mondes étant également possibles et également prétendants à l’existence, pour ainsi dire, aussi bien que lui, il faut que la cause du monde ait eu égard ou relation à tous ces mondes possibles, pour en déterminer un4.

Selon Leibniz, si Dieu a créé le monde, c’est qu’il avait une raison de le faire, et cette raison tient au fait que ce monde, « tout compté, tout rabattu », s’est trouvé être le meilleur parmi tous les mondes possibles prétendant à l’existence dans son entendement. Si le calcul divin avait fait émerger deux mondes meilleurs possédant la même perfection, Dieu n’en aurait créé aucun. La réponse leibnizienne au problème du mal repose donc, au moins partiellement, sur un argument a priori, à savoir le principe de raison suffisante, qui est pour Leibniz une vérité nécessaire, même si l’ensemble de son raisonnement ne peut intervenir qu’a posteriori : Dieu ayant créé le monde, ce qui est une vérité de fait, c’est qu’il avait une raison de le faire : « il faut que Dieu ait choisi le meilleur »5. Un raisonnement purement a priori reviendrait à affirmer que Dieu devait nécessairement le créer, ce qui réduirait la création à une émanation nécessaire et nierait la liberté divine. Dans la solution leibnizienne, Dieu est donc seulement incliné à choisir le meilleur. Il obéit à ce que Leibniz appelle une nécessité morale tout à fait différente de la nécessité absolue, métaphysique ou encore géométrique. Par ailleurs, il est évidemment impossible de connaître les raisons qui ont conduit Dieu à choisir ce monde. Comme le dit Leibniz : « le détail nous passe ».

Pangloss, quant à lui, raisonne inlassablement a priori : « il prouvait admirablement qu’il n’y a pas d’effet sans cause... Il est démontré que les choses ne peuvent être autrement »6. Le premier contresens qu’il commet consiste à étendre abusivement le champ d’application de l’a priori, ce qui revient à transformer la nécessité morale au cœur du système leibnizien en nécessité absolue. En déclarant, « Il est démontré que les choses ne peuvent être autrement », il est dans l’erreur, puisque la proposition revient à supprimer la notion de choix parmi un ensemble de mondes possibles et à transformer la création du monde en nécessité. Il en va de même de Candide qui déclare dans le chapitre trois : « Il n’y a point d’effet sans cause, tout est enchaîné nécessairement et arrangé pour le mieux »7.

Un autre exemple de contresens panglossien intervient au cours du chapitre cinquième mettant en scène le tremblement de terre de Lisbonne. Pangloss empêche Candide de sauver Jacques l’anabaptiste au nom de la fatalité « en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet anabaptiste s’y noyât ». Le philosophe verse ici dans « fatum mahumetanum » et dans l’argument paresseux que Leibniz s’emploie au contraire à réfuter8. Peu de temps après, Pangloss est d’ailleurs soupçonné de ne pas croire à la liberté. Or Candide refuse l’argument a priori de Pangloss9 et se révèle d’ores et déjà meilleur leibnizien que son maître. Pour Leibniz en effet le Dieu chrétien exclut tout fatalisme. Il faut agir selon sa volonté présomptive, or Dieu peut très bien vouloir que Candide tente de sauver un homme qui se noie et vouloir en même temps que sa tentative n’aboutisse pas.

La philosophie de Pangloss est donc une transcription nécessitariste du système leibnizien. Cette transcription résulte de la transformation de tout effet physique en une cause finale. Or cette traduction est en permanence confrontée à une autre forme de nécessité, l’enchaînement inéluctable de causes efficientes et d’effets physiques, dont l’exemple type est l’enchainement conduisant du voyage de Christophe Colomb à la vérole dont Pangloss est victime10. L’erreur de Pangloss est double : d’une part il donne dans le travers de ceux que Voltaire nomme les « causes-finaliers » et dont il se moque11, en voyant dans chaque effet physique une cause finale. S’il est vrai que le principe de raison leibnizien restaure une forme de finalisme global, Pangloss commet l’erreur de transformer toutes les causes en causes finales : « Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses »12. Mais d’autre part il attribue aux causes finales le type de nécessité qui est celui des causes efficientes, ignorant la logique propre aux causes finales selon Leibniz, à savoir la nécessité morale. Ces deux erreurs ne s’annulent pas mais s’additionnent, transformant la philosophie de Leibniz en nécessitarisme. Le système leibnizien se trouve ainsi pris entre deux nécessités qui s’entrechoquent en permanence, avec lesquelles il ne coïncide nullement, mais qui se font en permanence passer pour lui.

1.2. Le meilleur et le bien : réalité du mal pour Leibniz

Contrairement à certains de ses successeurs, comme le poète anglais Alexander Pope (et à ce que laisse entendre Voltaire), Leibniz ne cherche pas du tout à nier ni même à minimiser la réalité du mal. Son ouvrage est construit sur la distinction entre le mal physique – le mal de peine – et le mal moral – le mal de coulpe –, trouvant tous deux leur origine dans le « mal métaphysique », constitué par la limitation inhérente à toute créature. Le mal est bien quelque chose : « le péché est une créature, toute créature est créée continûment par Dieu, donc également le péché »13. Mal moral et mal physique ne se situent pas sur le même plan : le second peut en partie se justifier comme sanction et expiation du premier, il peut être un moyen au service d’une fin, ce qui n’est jamais le cas pour le mal moral. Celui-ci n’existe que comme condition sine qua non du monde le meilleur. Dieu ne le veut pas positivement, ni comme un moyen, mais le permet en tant que condition du meilleur et en vertu d’une obligation morale de réaliser le meilleur. Le monde le meilleur n’est donc pas du tout un monde où tout est bien, un monde d’où le mal serait banni. On ne peut cependant pas réduire le meilleur au moindre mal dans la mesure où le bien l’emporte dans l’univers, notamment du fait que certains maux se transforment en biens : tout compté tout rabattu, le bien surpasse le mal et le choix divin n’est pas un choix par défaut.

En ce sens Pangloss a raison lorsqu’il conclut sa première tirade par ces mots : « Par conséquent, ceux qui ont dit que tout est bien, ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux »14. Mais, de la façon dont il l’entend, il a tort, puisqu’il prend appui sur l’échelle argumentative habituelle, selon laquelle le meilleur est supérieur au bien ; or c’est le contraire dans le système de Leibniz : affirmer que tout est bien serait nier la réalité du mal, réalité comprise dans monde le meilleur. Il commet donc ici encore un contresens.

1.3. Le général et le particulier

Ceci laisse cependant ouverte la question de savoir en quoi le monde est le meilleur. On pourrait penser que le meilleur des mondes est celui qui comporte le plus de félicité pour les créatures raisonnables. Mais il s’agit d’un point de vue anthropomorphique réducteur, dont Leibniz se démarque nettement15. Il faut tenir compte également de la richesse et de la variété ontologique des créatures autres que l’homme, par exemple des animaux16, relevant de ce que Leibniz appelle le « bien métaphysique », symétrique du mal métaphysique.

C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’est jamais possible de conclure du meilleur en général au meilleur en particulier, du global au local : le meilleur des mondes n’est pas nécessairement le meilleur pour telle ou telle créature. Ce type de raisonnement ne vaut que dans l’abstrait, par exemple dans le calcul de la trajectoire le long de laquelle un mobile, sous l’effet de son poids, parvient le plus rapidement d’un point à un autre, que Leibniz nomme « brachystochrone » et qu’il parvient à établir grâce à son calcul différentiel17. Dans le champ métaphysique ce n’est plus le cas, du fait de l’incompossibilité entre le meilleur pour l’un et le meilleur pour l’autre : « la partie du meilleur tout n’est pas nécessairement le meilleur qu’on pouvait faire de cette partie ; puisque la partie d’une belle chose n’est pas toujours belle, pouvant être tirée du tout, ou prise dans le tout, d’une manière irrégulière. »18

Les Essais de théodicée s’achèvent sur une fiction littéraire. Sextus Tarquin, futur roi de Rome, et futur violeur de Lucrèce, interroge Apollon sur la destinée qui l’attend. Peu satisfait de sa réponse, il va se plaindre auprès de Jupiter. Celui-ci lui explique que son destin ne pourrait être différent que s’il renonçait à être roi de Rome, ce que Sextus refuse. C’est donc bien Sextus qui est responsable des malheurs qui l’attendent. C’est ensuite le prêtre Théodore qui interroge Jupiter, lequel l’envoie à Athènes auprès de sa fille Pallas. Celle-ci plonge Théodore dans un songe, au cours duquel il voit la pyramide que forment les différents mondes possibles étagés en fonction de leurs degrés de perfection et dont le sommet est occupé par le monde réel. Dans l’un des mondes, Théodore aperçoit un Sextus heureux et cultivant son jardin (sic), mourant honoré de tous. Mais le monde contenant ce Sextus n’est pas le plus élevé dans l’ordre des perfections. Au contraire le monde le meilleur (situé au sommet de la pyramide) est celui qui comporte le pire de tous les Sextus possibles, à savoir le Sextus qui devient roi de Rome, viole Lucrèce et est banni : le meilleur globalement peut donc être le pire localement19.

Or les porte-parole du leibnizianisme ne cessent de conclure allégrement du général au particulier et du particulier au général. Telle est précisément une des manifestations de la candeur du personnage principal, qui croit naïvement Pangloss « le plus grand philosophe de la province et par conséquent de toute la terre ». Pangloss à son tour conclut du global au local dès sa première réplique : « Il prouvait admirablement qu’il n’y a pas d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beaux des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. »20 Dans le chapitre quatre il commet un autre contresens quant aux rapports entre le particulier et le général : « les malheurs particuliers font le bien général, de sorte que plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien. »21

Le niveau de connaissance du système leibnizien acquis par Voltaire permet d’affirmer que tous ces contresens ne sont pas les siens.

2. Voltaire et la philosophie de Leibniz

Voltaire, en effet, connaît bien la métaphysique leibnizienne : il l’a étudiée au château de Cirey, auprès d’Émilie du Châtelet, même si c’était pour tempérer le penchant de celle-ci pour le philosophe de Hanovre. C’est donc dans les Eléments de la philosophie de Newton, réponse aux Institutions physiques de Madame du Châtelet, qu’il mène le plus loin la discussion. Les objections qu’il formule – parfois déjà avec la même ironie que dans Candide – témoignent de son excellente connaissance du système. Il réfute par l’absurde l’« harmonie préétablie » (qui, entre autres, rend compte du commerce de l’âme et du corps) : tout bien réfléchi, selon les principes leibniziens, Dieu n’avait aucune raison suffisante de faire correspondre l’âme et le corps et aurait pu tout aussi bien les dissocier au lieu de les unir. Il le montre en détournant une comparaison inventée par Leibniz lui-même, celle de deux horloges synchronisées :

Dans son hypothèse l’âme n’a aucun commerce avec son corps ; ce sont deux horloges que Dieu a faites, qui ont chacune un ressort, et qui vont un certain temps dans une correspondance parfaite : l’une montre les heures, l’autre sonne. L’horloge qui montre l’heure ne la montre pas parce que l’autre sonne ; mais Dieu a établi leur mouvement de façon que l’aiguille et la sonnerie se rapportent continuellement... Autant valait placer mon âme dans Saturne que dans mon corps : l’union de l’âme et du corps est ici une chose très superflue22.

S’agissant des Essais de théodicée, son jugement le plus radical est formulé dans le Dictionnaire philosophique : « Ce partage est-il bien ce qu’il y avait de meilleur ? Cela n’est pas trop bon pour nous ; et en quoi cela peut-il être bon pour Dieu ? Leibniz sentait qu’il n’y avait rien à répondre : aussi fit-il de gros livres dans lesquels il ne s’entendait pas. »23

Il apparaît que derrière les contresens grossiers que nous avons rencontrés dans la bouche des porte-parole se cachent des objections savantes qui sont celles de Voltaire et d’autres philosophes.

2.1. La nécessité

Le principal grief de Voltaire contre le système leibnizien est qu’il conduit au fatalisme. L’objection n’a rien d’original. C’était déjà celle que soulevait Antoine Arnauld en 1686, après avoir pris connaissance du Discours de Métaphysique. Arnauld parle de « nécessité plus que fatale ». Leibniz a beau répondre en distinguant sa nécessité morale de la nécessité géométrique, le fatum christianum et le fatum mahumetanum, la même objection accompagne, cinquante ans plus tard, et cette fois sous la plume des jésuites, le compte rendu que le Journal de Trévoux consacre à la réédition des Essais de théodicée en 1737 :

La nécessité que notre auteur tire de la sagesse divine, il ne l’appelle que Morale. Mais n’est-elle pas tout aussi métaphysique que celle de Spinoza ? Elle est au moins aussi absolue. [...] La nécessité qui oblige Dieu de bien faire et qui l’empêche de mal faire est une nécessité très absolue et très naturelle ; et M. Leibnitz l’appelle improprement nécessité morale, uniquement parce qu’elle regarde la moralité des actions24.

Pour Voltaire, ce travers du système leibnizien résulte d’une application intégrale du principe de raison, c’est-à-dire une application exactement aussi étendue que celle du principe de causalité, et de l’interaction universelle qui en résulte. Il les conteste en prenant l’exemple de deux grains de sable : leur disposition est, certes, le résultat d’un enchaînement de causes et d’effets (comme la vérole de Pangloss), elle n’en reste pas moins dépourvue de raison : « Si vous ôtez une propriété au triangle, vous lui ôtez tout ; mais si vous ôtez à l’univers un grain de sable, le reste sera-t-il tout changé ? Si de cent millions d’êtres qui se suivent deux à deux, les deux premiers changent entre eux de place, les autres en changent-ils nécessairement ? »25

Voltaire refuse ici la validité du principe de raison dans l’infiniment petit : la position d’un grain de sable peut très bien être le résultat d’un enchaînement de causes efficientes sans pour cela revêtir une signification quelconque, c’est-à-dire encore avoir un retentissement quelconque sur le reste de l’univers.

Dans Candide, dont tous les épisodes s’enchaînent de manière inéluctable, Voltaire met en scène un déterminisme mécaniste à effet comique ; ce faisant il ne vise nullement le bien-fondé du principe de causalité, mais l’interprétation de celui-ci en termes de causes finales, le déterminisme finaliste que rabâche en permanence Pangloss. Ce dernier exprime donc, non pas le système leibnizien lui-même, mais une des objections qui lui a été adressées. En présentant le choix du meilleur des mondes comme un nécessitarisme, Voltaire exprime littérairement une objection philosophique sérieuse.

2.2. La démarche a priori

Observons par ailleurs que la religion de Voltaire ne s’oppose nullement à l’optimisme, au contraire. Son optimisme est une conséquence de sa croyance en un ordre du monde et de son déisme, même s’il s’agit d’un déisme anti-chrétien26. Même la catastrophe de 1755 ne le conduit pas à le rejeter mais seulement à le faire cohabiter avec des protestations d’indignation devant le mal moral et physique dont il est témoin. Mais Voltaire sait bien que l’optimisme n’exclut pas l’existence du mal.

Dans son Poème sur le désastre de Lisbonne, rédigé dans les semaines qui suivent la catastrophe, il associe deux versions très différentes de l’optimisme : celle de Leibniz et celle du poète anglais Alexander Pope qu’il a rencontré à Londres, auteur d’un Essai sur l’homme publié en 1733.

L’opposition entre l’optimisme de Pope et celui de Leibniz réside d’abord dans l’opposition entre deux démarches. Celle de Pope est une démarche a posteriori. Elle vise à rabaisser l’orgueil de l’homme en s’appuyant sur le constat de la faiblesse de ses facultés. Tout raisonnement prétendant entrer dans les raisons de Dieu est à rejeter en tant que manifestation d’un orgueil intellectuel. Au contraire, comme nous l’avons vu, Leibniz raisonne, au moins en partie, a priori. Pour lui, par sa capacité à s’élever au principe de raison, l’esprit humain contribue à la gloire de Dieu en comprenant la rationalité du monde. Or le Poème n’aboutit pas à une réfutation sans appel de l’optimisme en tant que tel. La formule « Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire »27 indique plutôt qu’il s’en prend déjà à ceux qui transforment l’optimisme en déterminisme.

Il en résulte que, dans Candide, Voltaire dénigre moins l’optimisme que le raisonnement permettant à Leibniz de l’établir, à savoir la méthode exclusivement a priori de Pangloss. Or le système de Leibniz lui-même n’est pas intégralement a priori et ne prétend pas rentrer dans le détail des causes finales et des raisons divines.

2.3. Le meilleur et le bien

Voltaire est bien conscient de la différence entre l’optimisme d’Alexander Pope et celui de Leibniz : Pope minimise le mal en en faisant l’effet d’une parallaxe humaine, d’un faux point de vue inspiré par l’orgueil. Ramené au point de vue général, le mal apparent s’avère un bien, alors que, comme nous l’avons vu, Leibniz prend toute la mesure du mal et de sa réalité. Voltaire a donc bien compris que, dans le système de Leibniz, le « bien » et le « mieux » ne sont nullement superposables, et que le second n’est pas en excès mais en défaut sur le premier. La lettre qu’il adresse au pasteur Élie Bertrand après avoir appris la nouvelle du tremblement de terre le montre bien : « Et si tout est bien, comment les leibnitiens admettent-ils un mieux ? Ce mieux n’est-il pas une preuve que tout n’est pas bien ? Eh ! Qui ne sait que Leibnits n’attendait pas de mieux ? »28

2.4. Le général et le particulier

Quant à l’impossibilité de conclure du particulier au général ou du général au particulier, elle constitue le fil conducteur et le ressort narratif du conte intitulé Le Monde comme il va : chargé par le génie Ituriel de porter un jugement global sur le sort à réserver à Persépolis, le héros Babouc oscille en permanence d’un point de vue local à un autre point de vue local diamétralement opposé, sans parvenir à conclure : « Il s’affectionnait à la ville dont le peuple était poli, doux et bienfaisant, quoique léger, médisant et plein de vanité. Il craignait que Persépolis ne fût condamnée ; il craignait même le compte qu’il allait rendre. »29 Comme le montre Christiane Frémont, l’impossibilité d’un jugement global vient ici de l’existence des relations entre les éléments dont la composition n’est plus réductible à une addition30.

3. Utilisation de concepts leibniziens dans les contes

Selon René Pomeau, c’est la question du mal et celle de l’optimisme, qui ont déterminé Voltaire à inventer la forme littéraire du conte philosophique : « Dans l’histoire de l’œuvre voltairienne l’invention du conte philosophique paraît liée à la réflexion sur l’optimisme-pessimisme »31. Yvon Belaval de son côté attire notre attention sur la place de Leibniz dans l’œuvre de Voltaire : « Dans presque tous ses contes, pour ne rien dire de nombreux poèmes, Voltaire fait, au moins, quelque allusion à Leibniz. »32

3.1. Memnon et les mondes possibles

Certains des contes contiennent bien plus qu’une allusion et exposent littérairement certains concepts leibniziens. Un des exemples les plus manifestes est l’utilisation du concept de monde possible à la fin de Memnon. Comme Théodore à la fin des Essais de théodicée, le héros Memnon, qui « conçut un jour le projet insensé d’être parfaitement sage », voit apparaître un esprit céleste lors d’un songe. Son bon génie, qui vient pour le consoler au terme d’une série de catastrophes, lui dit que les malheurs qui lui sont arrivés ne pourraient pas advenir dans son propre monde. Il lui prédit enfin qu’il sera heureux, malgré son œil crevé, à condition qu’il renonce à son projet :

C’est donc une chose à laquelle il est impossible de parvenir ? s’écria Memnon en soupirant. Aussi impossible, lui répliqua l’autre, que d’être parfaitement habile, parfaitement fort, parfaitement puissant, parfaitement heureux. Nous-mêmes, nous en sommes bien loin. Il y a un globe où tout cela se trouve ; mais dans les cent mille millions de mondes qui sont dispersés dans l’étendue tout se suit par degrés. On a moins de sagesse et de plaisir dans le second que dans le premier, moins dans le troisième que dans le second, ainsi du reste jusqu’au dernier, où tout le monde est complètement fou. J’ai bien peur, dit Memnon, que notre petit globe terraqué ne soit précisément les Petites-Maisons de l’univers dont vous me faites l’honneur de me parler. Pas tout à fait, dit l’esprit ; mais il en approche : il faut que tout soit en sa place. Eh mais ! dit Memnon, certains poètes, certains philosophes, ont donc grand tort de dire que tout est bien ? Ils ont grande raison, dit le philosophe de là-haut, en considérant l’arrangement de l’univers entier. Ah ! je ne croirai cela, répliqua le pauvre Memnon, que quand je ne serai plus borgne33.

L’épisode est très voisin de l’épisode final des Essais de théodicée, au cours duquel la déesse Pallas fait voir à Théodore la pyramide des mondes possibles. En outre, les mondes que décrit l’esprit céleste s’organisent selon le principe de continuité, un des grands principes du système leibnizien. La formule « tout se suit par degrés » est typiquement leibnizienne. Mais, au lieu de superposer des mondes possibles, Voltaire les transforme en cent mille millions de mondes dispersés dans l’étendue, exploitant ainsi un paragraphe des Essais de théodicée dans lequel Leibniz suggère lui-même l’existence d’autres mondes contenant des êtres plus intelligents que l’homme :

Aujourd’hui, quelques bornes qu’on donne ou qu’on ne donne pas à l’univers, il faut reconnaître qu’il y a un nombre innombrable de globes, autant et plus grands que le nôtre, qui ont autant de droit que lui à avoir des habitants raisonnables, quoiqu’il ne s’ensuive point que ce soient des hommes... Il se peut que tous les soleils ne soient habités que par des créatures heureuses, et rien ne nous oblige de croire qu’il y en a beaucoup de damnées, car peu d’exemples ou peu d’échantillons suffisent pour l’utilité que le bien retire du mal34.

3.2. Zadig : le livre des destinées

Mais c’est sans doute dans Zadig que l’accumulation des thèmes et des concepts leibniziens est la plus impressionnante. Comme c’était le cas dans Le monde comme il va, comme ce sera également le cas dans Candide, miracles et désastres se succèdent ici selon une série régulière alternée : un miracle succède à une catastrophe, à laquelle succède un autre miracle, etc. Christiane Frémont remarque qu’il y a deux lectures possibles d’une telle série, l’une optimiste, l’autre pessimiste35. Nous pouvons dire qu’il s’agit d’un schéma leibnizien dans la mesure où Leibniz a étudié les propriétés de la série mathématique : 1 – 1 + 1 – 1 etc. Selon la manière de regrouper les termes, on peut conclure que la série vaut 0 ou 1. Leibniz défend l’idée qu’on peut la déclarer égale à 1/2, mais il lui faut pour cela quitter la sphère du calcul pour celle de l’estimation et des probabilités36.

La fin de Zadig est une véritable leçon de théodicée. Au terme d’une série d’épreuves, le héros rencontre un ermite (qui s’avérera être un ange). Le comportement de ce dernier provoque la stupeur de Zadig, il vole l’hôte qui les a bien accueillis, il offre un bassin d’or à un avare, il met le feu à une maison, assassine un enfant, etc. Voltaire met ainsi en scène, à travers le renversement spectaculaire du pour ou contre, le caractère seulement apparent de certains maux et leur capacité à se transformer en moyens de faire le bien : en réalité, l’ermite agit ainsi pour punir leur hôte, parce qu’il sait qu’il ne se montre généreux que par vanité ; pour donner une leçon à l’avare afin qu’il devienne plus sage ; pour permettre au propriétaire de la maison incendiée de trouver un trésor sous les ruines ; pour éviter que l’enfant ne devienne un assassin. Zadig pose alors la question cruciale : est-il permis de faire le mal pour produire le bien ?

Cette question qui reste sans réponse interrompt le récit et précipite le héros sur une autre scène : l’ermite se métamorphose en un ange, dont la mission est de consoler Zadig et de lui permettre de consulter le « livre des destinées » : « Il lui demanda quel livre il lisait. C’est le livre des destinées, dit l’ermite ; voulez-vous en lire quelque chose ? Il mit le livre dans les mains de Zadig, qui, tout instruit qu’il était dans plusieurs langues, ne put déchiffrer un seul caractère du livre. »37

Le parallèle avec la scène finale des Essais de théodicée est, ici encore, frappant : Théodore pose également à Jupiter une question cruciale qui reste sans réponse38. Dans la pyramide des mondes possibles qu’il aperçoit en songe, l’histoire de chacun d’eux est renfermée dans un « livre des destinées » :

Il y avait un grand volume d’écriture dans cet appartement ; Théodore ne put s’empêcher de demander ce que cela voulait dire. C’est l’histoire de ce monde où nous sommes maintenant en visite, lui dit la déesse : c’est le livre de ses destinées. Vous avez vu un nombre sur le front de Sextus, cherchez dans ce livre l’endroit qu’il marque39.

Revenons à Voltaire. L’ange Jesrad apporte à Zadig une réponse au moins partiellement leibnizienne :

Mais quoi ! dit Zadig, il est donc nécessaire qu’il y ait des crimes et des malheurs ? et les malheurs tombent sur les gens de bien ! Les méchants, répondit Jesrad, sont toujours malheureux : ils servent à éprouver un petit nombre de justes répandus sur la terre, et il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien. Mais, dit Zadig, s’il n’y avait que du bien, et point de mal ? Alors, reprit Jesrad, cette terre serait une autre terre, l’enchaînement des événements serait un autre ordre de sagesse ; et cet ordre, qui serait parfait, ne peut être que dans la demeure éternelle de l’Être suprême, de qui le mal ne peut approcher40.

L’ange ne va pas jusqu’à dire qu’un monde dénué de mal serait pire que le monde créé, comme le fait Leibniz dans le paragraphe 10 de ses Essais (voir infra). Il se contente d’affirmer qu’un tel monde serait entièrement différent du nôtre, mais l’argument qu’il mobilise pour le faire est de nouveau emprunté à Leibniz, c’est le « principe des indiscernables », que Leibniz illustre, lui aussi, par l’exemple des feuilles des arbres, toutes semblables en apparence et toutes différentes en réalité :

[L’Être suprême] a créé des millions de mondes, dont aucun ne peut ressembler à l’autre. Cette immense variété est un attribut de sa puissance immense. Il n’y a ni deux feuilles d’arbre sur la terre, ni deux globes dans les champs infinis du ciel, qui soient semblables, et tout ce que tu vois sur le petit atome où tu es né devait être dans sa place et dans son temps fixe, selon les ordres immuables de celui qui embrasse tout41.

Comme dans Memnon, Voltaire transforme les mondes possibles leibniziens en mondes réels disséminés dans l’espace.

3.3. Candide

Nous pouvons à présent revenir sur les contresens délibérés formulés par les protagonistes de Candide, qui tranchent avec la tonalité leibnizienne de certaines scènes dans les contes que nous avons cités. Le style indirect libre à tonalité leibnizienne employé par le narrateur doit nous servir d’indice. Candide est, lui aussi, truffé d’ingrédients leibniziens mais qui, cette fois, comme le note Christiane Frémont, se retournent contre leur auteur42. Les remarques précédentes nous permettent d’avancer l’hypothèse selon laquelle, en dépit de son ironie, Voltaire ne s’oppose frontalement ni à l’optimisme en général ni au système de l’optimisme philosophique formulé dans les Essais de théodicée, mais fait subir à ce dernier une sorte de test empirique en substituant à la démarche leibnizienne la méthode expérimentale prônée par les philosophes anglais (et enseignée en coulisse par Pangloss lui-même qui, dès le premier chapitre, donne « une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre »43).

L’originalité du conte consiste en effet à construire un dispositif expérimental lui-même inspiré de Leibniz. Comme il l’a fait dans Memnon et dans Zadig, Voltaire dissémine dans l’étendue géographique une succession de mondes possibles, entre lesquels les protagonistes pourront circuler, afin qu’un observateur – en l’occurrence le personnage central, Candide lui-même – puisse procéder à l’évaluation de la thèse leibnizienne.

La méthode expérimentale exigeant la réitération, les mondes possibles ne manquent pas : les protagonistes affrontent une longue série de désastres auxquels ils échappent par une série de miracles pour être téléportés dans une succession d’univers dont plusieurs peuvent prétendre au titre de meilleur des mondes, par exemple l’éden westphalien (le « paradis terrestre » aux yeux de Candide, dont il est chassé après avoir commis une sorte de péché originel) ; l’Eldorado : « Nous allons dans un autre univers, disait Candide; c’est dans celui-là sans doute que tout est bien »44. En définitive l’Eldorado apparaît comme le monde dans lequel il n’y aurait « que du bien, et point de mal » déjà évoqué par Zadig mais relégué par Leibniz dans le royaume des romans et des utopies :

Il est vrai qu’on peut s’imaginer des mondes possibles, sans péché et sans malheur, et on en pourrait faire comme des romans, des utopies, des Sévarambes; mais ces mêmes mondes seraient d’ailleurs fort inférieurs en bien au nôtre45.

Tout se passe comme si, en composant la fable de l’Eldorado, Voltaire avait pris Leibniz au mot en inventant sa propre « Histoire des Sévarambes »46. La transposition expérimentale du problème conduit à l’inversion du déterminisme finaliste, professé imperturbablement par Pangloss – et qui constitue, aux yeux de Voltaire, la vérité du système leibnizien – en un déterminisme purement physique. C’est ainsi que, dans le chapitre un, le baron interprète l’étreinte de Candide et Cunégonde comme une cause et un effet47. Or le strict enchaînement des causes et des effets produit des résultats dénués de raison, voire invraisemblables et absurdes ; les apparitions, disparitions, résurrections des personnages, semblent totalement incohérents. Comme dans les Éléments de la philosophie de Newton, Voltaire ne remet pas en cause l’universalité du principe de causalité mais seulement son caractère significatif. C’est la thèse d’une application intégrale du principe de raison qui est mise à l’épreuve.

Enfin, le « il faut cultiver notre jardin » final, célèbre autant qu’énigmatique, est peut-être lui-même un emprunt aux Essais de théodicée. Dans la scène ultime, Théodore voit bien, dans un de ses destins possibles, Sextus cultiver son jardin : « Le voilà qui va à une ville placée entre deux mers, semblable à Corinthe. Il y achète un petit jardin ; en le cultivant il trouve un trésor ; il devient un homme riche, aimé, considéré ; il meurt dans une grande vieillesse, chéri de tout la ville »48.

Conclusion

Quel est donc le verdict de l’expérience ? Si nous reprenons la liste des contresens apparents, à interpréter comme autant d’objections possibles et donc comme autant de questions posées au système leibnizien, le verdict est mitigé.

La méthode a priori est définitivement discréditée par le dispositif expérimental lui-même et par la répétition stérile des interminables discussions et autres dissertations. Il en va de même de l’application intégrale du principe de raison, que Voltaire interprète comme un déterminisme exactement équivalent au déterminisme des causes physiques : quoiqu’en dise Pangloss, l’enchaînement des causes et des effets conduit à des résultats dépourvus de raison et souvent absurdes.

À l’inverse, s’agissant du problème central de l’articulation entre le bien et le meilleur, en dépit de la rudesse de l’épreuve, celle-ci ne parvient à aucune conclusion probante. Comme celui de Babouc dans Le monde comme il va, le jugement de Candide oscille sans parvenir à un point d’équilibre : au tout début de l’intrigue il semble pencher en faveur de Pangloss : après que les enrôleurs bulgares lui ont offert à dîner, ayant à peine commencé son expérience du monde, Candide constate : « je vois bien que tout est au mieux »49 ; mais peu à peu il se dégage de l’emprise intellectuelle de son maître, jusqu’à s’autoriser à formuler des objections : « C’est bien dommage, disait Candide, que le sage Pangloss ait été pendu contre la coutume dans un auto-da-fé; il nous dirait des choses admirables sur le mal physique et sur le mal moral qui couvrent la terre et la mer et je me sentirais assez de force pour oser lui faire respectueusement quelques objections. »50 Candide va jusqu’à rejeter complètement le système : « Ô Pangloss... c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. »51 Mais ce n’est pas son dernier mot puisque, dans l’espoir de retrouver Cunégonde, il déclare au philosophe manichéen Martin : « Mon cher Martin, encore une fois, Pangloss avait raison : tout est bien »52. Les désastres et les miracles se succèdent et semblent s’équilibrer, comme les termes de la série.

+1 –1 +1 –1 +... mais cette fois il n’y a pas de sommation ni d’estimation possible, car il n’y a pas de balance pour faire la somme du bonheur et du malheur qu’ils entraînent. Il n’y a pas plus de balance du bonheur et du malheur globaux que de balance des joies et des malheurs individuels. C’est Martin qui l’affirme : « Je ne sais, dit Martin, avec quelles balances votre Pangloss aurait pu peser les infortunes des hommes et apprécier leurs douleurs. »53 Martin explique que, pour faire des comparaisons, il faudrait pénétrer les cœurs, autant dire voir l’essence des substances, l’intérieur des monades54, ce que tout lecteur de Leibniz sait être impossible. Comme l’avait déjà montré Le monde comme il va, il n’existe aucune balance capable de peser les quantités de bonheur et de maux ; autant dire qu’une évaluation expérimentale de l’optimisme est impossible.

L’absence d’une telle balance implique également que la confrontation entre le point de vue local et le point de vue global tourne court, dans la mesure où il n’y a pas de moyen de constituer un point de vue global par sommation. Il faut donc s’en tenir au point de vue local. Telle est sans doute la leçon du « il faut cultiver notre jardin ».

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1Par exemple dans le ch. 1 : Cunégonde « vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes. » Voltaire, Romans et contes, F. Deloffre et J. Van den Heuvel éd., Paris, Gallimard (« Pléiade »), 1979, p. 147. Dans le ch. 3 : « la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins », p. 150, etc.

2Il apparaît pour la première fois, dans une lettre datée de 1696 : « Je vous pourrais entretenir un jour de quelques réflexions, que j’ai aussi gardées et examinées fort longtemps, par moi-même et par d’autres pour les faire entrer dans mes Théodicées sur la source du mal et de la différence entre le nécessaire et le contingent, où je crois avoir découvert aussi que ceux qui ne cherchent point dans nos bonnes qualités la dernière raison des décrets qui nous sont favorables, n’ont pas tant de tort que plusieurs s’imaginent », G. W. Leibniz, Lettre à Chauvin (29 mai/8 juin 1696), Sämtliche Schriften und Briefe, 1re série, t. 12, Berlin, W. de Gruyter, 1990, p. 625.

3G. W. Leibniz, Confessio philosophi, La profession de foi du philosophe, trad. Yvon Belaval, Paris, Vrin, 1961.

4G. W. Leibniz, Essais de théodicée, éd. J. Brunschwig, Paris, Flammarion, 1969, p. 107.

5Ibid., p. 108.

6Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 146.

7Ibid., p. 146.

8« L’idée mal entendue de la nécessité, étant employée dans la pratique, a fait naître ce que j’appelle fatum mahumetanum, le destin à la turque; parce qu’on impute aux Turcs de ne pas éviter les dangers, et de ne pas même quitter les lieux infectés de la peste, sur des raisonnements semblables à ceux qu’on vient de rapporter. Car ce qu’on appelle fatum stoïcum n’était pas si noir qu’on le fait : il ne détournait pas les hommes du soin de leurs affaires; mais il tendait à leur donner la tranquillité à l’égard des événements, par la considération de la nécessité qui rend nos soucis et nos chagrins inutiles : en quoi ces philosophes ne s’éloignaient pas entièrement de la doctrine de notre Seigneur, qui dissuade ces soucis par rapport au lendemain, en les comparant avec les peines inutiles que se donnerait un homme qui travaillerait à agrandir sa taille. Il est vrai que les enseignements des stoïciens (et peut-être aussi de quelques philosophes célèbres de notre temps) se bornant à cette nécessité prétendue, ne peuvent donner qu’une patience forcée; au lieu que notre Seigneur inspire des pensées plus sublimes, et nous apprend même le moyen d’avoir du contentement, lorsqu’il nous assure que Dieu, parfaitement bon et sage, ayant soin de tout, jusqu’à ne point négliger un cheveu de notre tête, notre confiance en lui doit être entière : de sorte que nous verrions, si nous étions capables de le comprendre, qu’il n’y a pas même moyen de souhaiter rien de meilleur (tant absolument que pour nous) que ce qu’il fait. C’est comme si l’on disait aux hommes : faites votre devoir, et soyez contents de ce qui en arrivera, non seulement parce que vous ne sauriez résister à la providence divine ou à la nature des choses, (ce qui peut suffire pour être tranquille et non pas pour être content) mais encore parce que vous avez affaire à un bon maître. Et c’est ce qu’on peut appeler fatum christianum ». G. W. Leibniz, Essais de théodicée, op. cit., p. 30.

9« Tandis qu’il le prouvait a priori, le vaisseau s’entrouvre, tout périt, à la réserve de Pangloss de Candide et ce brutal de matelot. » Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 155.

10« O mon cher Candide ! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne; j’ai goûté dans ses bras les délices du paradis, qui ont produit ces tourments d’enfer dont vous me voyez dévoré; elle en était infectée, elle en est peut-être morte. Paquette tenait ce présent d’un cordelier très savant, qui avait remonté à la source ; car il l’avait eue d’une vieille comtesse, qui l’avait reçue d’un capitaine de cavalerie, qui la devait à une marquise, qui la tenait d’un page, qui l’avait reçue d’un jésuite, qui, étant novice, l’avait eue en droite ligne d’un des compagnons de Christophe Colomb. » Ibid., p. 153.

11Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire rejette le finalisme naïf de l’abbé Pluche : « tous les nez ne portent pas de lunettes ». Voltaire, article « fin, causes finales », in Dictionnaire philosophique, éd. R. Pomeau, Paris, Gallimard, 1964, p. 67-68. Voir le commentaire de E. Martin-Haag : « Qu’on soit leibnizien ou newtonien, on peut tirer de la physique une métaphysique dogmatiquement finaliste qui oublie que l’homme n’est pas un être insensible. Voltaire lutte contre ces “causes-finaliers” qui ne savent que désespérer l’humanité. Il n’en reconstruit pas moins, comme Descartes, une articulation de l’ordre physique et de la finalité, mais à partir de la distinction qu’il a établie entre les atomes ou les “éléments” immuables de l’ordre et la contingence des composés matériels. Il faut alors savoir discerner ce qui, dans l’ordre physique, renvoie ou non à la finalité divine. Dans une métaphysique du plein et de la continuité de l’être, on est condamné à sombrer dans un finalisme naïf car on ne peut pas distinguer ce qui est l’effet “immédiat” et invariable du “Maître” divin et les effets éloignés qui dépendent de l’inertie de la matière. » Éliane Martin-Haag, Voltaire, Paris, Vrin, 2002, p. 81.

12Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 146.

13« Peccatum est creatura, omnis creatura a Deo continue creatur, ergo et peccatum. » G. W. Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefe, 6e série, t. 4-B, Berlin, W. de Gruyter, 1999, p. 1382.

14Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 146.

15« [...] le bonheur des créatures intelligentes n’est que la principale partie du dessein de Dieu. Aucune substance n’est absolument méprisable ou précieuse devant Dieu. » G. W. Leibniz, Essais de théodicée, op. cit., p. 170.

16Dieu prend en compte « l’intérêt des bêtes ». Ibid., p. 171.

17« Cette différence entre la quantité et la qualité paraît ici dans notre cas. La partie du plus court chemin entre deux extrémités, est aussi le plus court chemin entre les extrémités de cette partie : mais la partie du meilleur tout n’est pas nécessairement le meilleur qu’on pouvait faire de cette partie ; puisque la partie d’une belle chose n’est pas toujours belle, pouvant être tirée du tout, ou prise dans le tout, d’une manière irrégulière ». Ibid., p. 240-241. Sur le calcul de cette courbe, voir G. W. Leibniz, Naissance du calcul différentiel, 26 articles des Acta Eruditorum, introduction, traduction et notes par Marc Parmentier, Paris, Vrin, 1989, p. 345-358.

18G. W. Leibniz, Essais de théodicée, op. cit., p. 240-241.

19 « Le cas de Sextus présente cette singularité qu’au moment où Dieu réalise le meilleur système, s’accomplit le pire pour le singulier. » Christiane Frémont, Singularités. Individus et relations dans le système de Leibniz, Paris, Vrin, 2003, p. 123.

20Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 146.

21Ibid., p. 154.

22Voltaire, Eléments de la philosophie de Newton, 1re partie, ch. 6, in The Complete Works of Voltaire, éd. Roberts L. Walters et W. H. Barber, Oxford, Voltaire Foundation, t. 15, 1992, p. 228.

23Voltaire, Dictionnaire philosophique, opcit., article « Bien (tout est) », p. 67-68.

24Voltaire, Journal de Trévoux, juin 1737, p. 964.

25Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, 1re partie, ch. 6, op. cit., p. 231.

26René Pomeau, La religion de Voltaire, Paris, Nizet, 1969, p. 288.

27Voltaire, The Complete Works of Voltaire, Oxford, Voltaire Foundation, t. 45-A, p. 337.

28Correspondance, éd. Théodore Besterman, Paris, Gallimard, t. 4, 1978, p. 699.

29Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 54.

30C. Frémont, opcit., p. 314-319.

31Voltaire, Candide ou l’optimisme, publié par R. Pomeau, The Complete Works of Voltaire, Voltaire Foundation, Oxford, t. 48, 1980, p. 19.

32Y. Belaval, « Quand Voltaire rencontre Leibniz », Études leibniziennes, Paris, Gallimard, 1976, p. 241.

33Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 119.

34G. W. Leibniz, Essais de théodicée, opcit., p. 115.

35« La structure binaire 01 est le ressort dramatique de la plupart des contes de Voltaire, le schéma quasi invariant des situations et le moteur de la progression des récits – en outre l’opérateur du comique et de l’ironie ». C. Frémont, op. cit., p. 306.

361 + (–1 + 1) + (–1 + 1) + etc., ce qui donne 1, ou (1–1) + (1–1) + (1–1) + etc., ce qui donne 0. En réalité la sommation d’une telle série divergente est impossible. Voir Lettre à C. Wolff sur la science de l’infini, in G. W. Leibniz, Naissance du calcul différentiel, Paris, Vrin, 1989, p. 436-450.

37Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 109.

38En substance : pourquoi avoir donné à Sextus la volonté d’être roi ?

39G. W. Leibniz, Essais de Théodicée, opcit., p. 361.

40Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 114.

41Ibid., p. 114.

42« Peu importent les contresens, volontaires ou non, que Voltaire accumule à plaisir ; reste que le conte met précisément en scène le monde que décrit la Théodicée ; et que le procédé consiste à plaquer sur ce monde, que Leibniz ne désavouerait pas, des structures et des notions également tirées de la philosophie leibnizienne, mais infléchies de façon à invalider leur pertinence, et par conséquent inapplicables à l’objet pour lequel elles avaient été conçues. » C. Frémont, Singularités. Individus et relations, p. 326.

43Cunégonde quant à elle observe attentivement les « expériences réitérées », ce qui montre que le premier chapitre met en place, dans la personne de Pangloss lui-même, la dualité : discours a priori vs méthode expérimentale.

44Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 166.

45G. W. Leibniz, Essais de théodicée, opcit., p. 109.

46Les Sévarambes sont un peuple imaginaire décrit dans un roman utopique intitulé L’histoire des Sévarambes publié par Denis Veiras en 1677.

47« M. le baron de Thunder-ten-tronckh passa auprès du paravent, et voyant cette cause et cet effet, chassa Candide du château à grands coups de pied dans le derrière. » Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 147.

48G. W. Leibniz, Essais de théodicée, opcit., p. 361.

49Voltaire, Romans et contes, opcit., p. 148.

50Ibid., p. 173.

51Ibid., p. 193

52Ibid., p. 222-223.

53Ibid., p. 245.

54« Ensuite, se tournant vers Martin : “Qui pensez-vous, dit-il, qui soit le plus à plaindre, de l’empereur Achmet, de l’empereur Ivan, du roi Charles-Édouard, ou de moi ? — Je n’en sais rien, dit Martin ; il faudrait que je fusse dans vos cœurs pour le savoir”. » Ibid., p. 245.