Que reste-t-il de la théodicée dans la théologie contemporaine ?1
À la mémoire de Jean-Daniel Causse
Que reste-t-il de la théodicée dans la théologie contemporaine ? Le titre qui m’a été proposé – et que je me suis empressé d’accepter – paraît n’envisager la présence de la théodicée dans la théologie contemporaine qu’à la manière d’une survivance résiduelle, d’une rémanence tout au plus de ce qu’elle fut au temps de sa splendeur. Qu’en reste-t-il ? Comme dans la chanson de Charles Trenet « Que reste-t-il de nos amours ? », la forme de la question relève de l’élégie : « Ce soir le vent qui frappe à ma porte / Me parle des amours mortes / Devant le feu qui s’éteint / Ce soir c’est une chanson d’automne. »2 La théodicée, une « chanson d’automne » ? Un soupçon de désuétude pèse assurément sur cette forme d’apologétique dont le discrédit – pour ne pas dire la disgrâce – paraît irrévocable au jugement d’une époque devenue dubitative envers son projet ou sa possibilité même.
Ce discrédit n’a pourtant pas fait disparaître la théodicée du paysage de la théologie contemporaine. La thèse même de son obsolescence énonce en creux les conditions de son renouveau. La chronique même de son agonie relance le débat qu’elle paraît clore. Comme Jürgen Habermas a pu le dire de la métaphysique après Kant, la querelle engagée pour savoir si une théodicée est encore possible après Auschwitz cache en définitive « une querelle relative à la permanence et à l’étendue de ces vérités anciennes, susceptibles de faire l’objet d’une réappropriation critique, mais aussi au mode de transformation sémantique que ces vérités anciennes sont appelées à subir dans ce cas-là »3. Les théodicées contemporaines sont en effet le produit d’une histoire. Les débats et rivalités qui les opposent entre elles sont déterminés par des problématiques anciennes dont elles renouvellent en partie – mais en partie seulement – le sens et l’enjeu.
Nous retracerons à grands traits l’histoire de ces problématiques anciennes et nouvelles, avant d’ébaucher une réponse à la question posée dans notre titre.
1. Le mal et ses raisons : essai de périodisation
Dans son Dictionnaire critique de théologie4, Jean-Yves Lacoste insère l’histoire de la théodicée, dont le concept n’est forgé qu’au début du XVIIIe siècle, dans le récit plus ample d’une histoire des conceptions du mal produites dans l’aire géographique et culturelle du christianisme. Dans la veine d’une tradition historiographique bien établie, Lacoste structure son récit en deux grandes périodes : une période « classique », exemplifiée par un corpus d’œuvres majeures du christianisme antique et médiéval, et une période « moderne » dont les œuvres phares proviennent de la philosophie européenne du XVIIIe et du XIXe siècles ; à la période classique, il fait correspondre le paradigme de l’irréalité du mal, à la période moderne celui de son instrumentalité. Dans ce qui suit, nous emprunterons à Lacoste sa périodisation schématique et les contenus clefs de son récit, mais en prenant quelque liberté dans l’identification d’une troisième période, spécifiquement « contemporaine », qui trouve son corpus de référence dans la littérature sur la Shoah, et que nous placerons sous le paradigme de l’absurdité du mal.
En dépit de leurs visions contrastées du bien et de la vie bonne, les traditions philosophiques de l’Antiquité présentent une commune propension à nier l’existence ou la réalité de ce qui leur paraît menacer le juste ordonnancement du monde. Les auteurs chrétiens des premiers siècles reprennent cette stratégie de « déréalisation du mal »5 dans leur lutte contre le gnosticisme et sa doctrine dualiste voulant que le mal soit l’œuvre défectueuse d’un démiurge, c’est-à-dire d’une divinité seconde, inférieure au Dieu suprême. Lacoste souligne que pour les Pères de l’Église, et pour Augustin en particulier, reconnaître ou concéder la réalité du mal apparaît comme un pas dangereux en direction de ce dualisme qu’on pourrait aussi bien qualifier de bi-théisme. Il ne faut donc pas s’étonner que la thèse de l’irréalité du mal se soit imposée dans ce contexte polémique. La théorie du mal que Lacoste qualifie de « classique » repose tout entière sur cette thèse d’un déficit ontologique, d’une irréalité structurelle du mal : « Le mal en fait n’est pas ; il n’a d’autre rang que celui de “privation du bien”, privatio boni ; il est l’absence de ce qui devrait être ; et du non-être, Dieu ne saurait être la cause. »6 À sa manière, l’« ontologie médiévale des transcendantaux » ratifiera cette thèse augustinienne en insistant sur la nécessité d’exclure le mal « de tout inventaire ontologique du monde, où il ne figurera que comme limite de l’être »7. Aux auteurs chrétiens présentés par Lacoste pour illustrer ce paradigme classique, il faudrait ajouter des auteurs juifs tels que Moïse Maïmonide et son contemporain Abraham ibn Dawd Halevi. Comme le remarque Dan Cohn-Sherbok, ces auteurs du XIIe siècle développent au sein de la tradition juive un argument parallèle à celui du christianisme augustinien : Dieu n’ayant pas une nature composite, il ne peut être à la fois le bien suprême et la cause du mal ; le mal n’est donc pas une création divine, mais il résulte de l’absence du bien8.
La « théorie moderne » du mal se caractérise par un rejet de cette stratégie ontologique. Dans le récit de Lacoste, la reconfiguration moderne de la question du mal passe d’abord par la reconnaissance de sa réalité. Au tournant du XVIIIe siècle, les thèses dualistes ou bi-théistes n’ont plus le prestige dont elles jouissaient autrefois sous leurs formes gnostiques, manichéennes ou cathares. Le front polémique se déplace vers des questions qui portent directement sur la justice divine. L’expérience insistante d’une souffrance injuste fait naître le soupçon d’une imperfection du monde, voire d’une injustice de Dieu. Une explication cohérente de l’existence du mal dans un monde créé par un Dieu totalement bon et tout-puissant est-elle possible dans ces conditions ? Répondre à cette question est désormais la tâche explicite d’une « théodicée » – dont le concept est forgé pour l’occasion par Leibniz. Sa thèse est que le monde tel qu’il existe constitue « le meilleur des mondes possibles », car « un monde d’où le mal serait absent serait nécessairement un monde d’où toute créature libre serait absente », et ce monde sans liberté n’aurait pas la perfection d’un monde, le nôtre, « où nous sommes libres de vouloir le mal, mais aussi de vouloir le bien »9. Dans cette thèse, le mal n’est plus irréel, mais sa réalité se voit justifiée par sa fonction providentielle. Cette justification maintient le mal dans un statut ontologique précaire, car sa réalité demeure en quelque manière conditionnelle, circonscrite à son rôle instrumental dans la promotion du « plus grand bien créé possible »10. Le mal accède ainsi au rang équivoque d’un moyen que sa fin justifie. Ébauchée dans la théodicée de Leibniz, cette conception instrumentale du mal trouvera sa forme achevée dans la philosophie de l’histoire de Hegel, où « le concept du négatif » permettra d’expliquer « la contribution du mal à l’histoire de l’esprit » au titre d’un « moment dialectique nécessaire »11.
Si l’opposition entre « théorie classique » et « théorie moderne » du mal structure les deux premières parties de l’étude de Lacoste, une troisième et dernière partie, intitulée « Le mal et le sens », suggère furtivement que ces théories ne suffisent désormais plus à relever le défi d’un pessimisme devenu radical quant à la possibilité même de donner un sens à l’expérience du mal. Mais l’objectif assigné par Lacoste à cette partie conclusive de son étude est de dresser l’inventaire des réponses théologiques opposables à ce pessimisme, non d’en examiner les causes. Il nous faut donc ici compléter son récit.
La thèse de l’absurdité du mal trouve ses principaux textes de référence dans la littérature testimoniale et théorique sur la Shoah. Primo Levi en donne une formulation fameuse et particulièrement acérée dans Si c’est un homme : « Peut-être que ce qui s’est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c’est presque justifier. »12 Quel sens pourrait avoir l’expérience des camps de la mort ? Dans Le concept de Dieu après Auschwitz, Hans Jonas suggère que les explications du mal qui prévalaient jusque-là ne sont pas de taille à se mesurer à « l’événement qui porte le nom d’“Auschwitz” »13. Qu’est-ce donc que l’expérience des camps de la mort ajoute « à ce qu’on a toujours pu savoir de la terrible, de l’horrible quantité de méfaits que des humains sont capables de commettre et ont depuis toujours commis envers d’autres humains ? »14 Rien, répond Jonas en substance, elle n’ajoute rien, mais elle met en échec toute donation de sens, notamment celles des deux apologétiques rivales de la tradition juive : la thèse de la rétribution (le malheur ne frappe que l’impie) et la thèse du martyre messianique (le pire malheur frappe le saint). Aucune de ces deux théories ne peut rendre raison de ce dont Auschwitz est le symbole : « Ici ne trouvèrent place ni la fidélité ni l’infidélité, ni la foi ni l’incroyance, ni la faute ni son châtiment, ni l’épreuve, ni le témoignage, ni l’espoir de rédemption, pas même la force ou la faiblesse, l’héroïsme ou la lâcheté, le défi ou la soumission [...] ; rien de tout cela n’était plus reconnaissable chez les survivants, chez les fantômes squelettiques des camps libérés. »15
Hannah Arendt souligne elle aussi l’impossibilité de donner sens à l’expérience des camps d’extermination. Dans Le système totalitaire, elle décrit leur mise en place méthodique comme « l’apparition d’un mal radical, inconnu de nous auparavant »16, et en comparaison duquel « le meurtre n’est qu’un moindre mal »17. La « véritable horreur » des camps vient en effet de ce qu’ils n’ont pas seulement pour objectif la suppression de la vie des victimes, mais la destruction systématique de toute trace du fait même de leur existence18. Devant un mal de cette nature, écrit-elle, « l’effroi dont est frappée l’imagination a le grand avantage de réduire à néant les interprétations sophistico-dialectiques de la politique, toutes fondées sur la superstition que du mal peut sortir le bien »19. Auschwitz est le nom de ce mal que rien ne justifie, de ce malheur qu’aucune dialectique historique ne supprime ni ne relève. Comme le note Alain Finkielkraut, Auschwitz frappe « d’obscénité l’idée que le mal n’existe pas pour lui-même, mais participe au travail universel du genre humain » ; après Auschwitz, « l’histoire ne peut plus apparaître comme l’épopée du sens »20. Dans cette thèse de l’absurdité du mal, « absurde » ne veut toutefois pas dire « insignifiant ». Le mal qui se manifeste dans la terreur totalitaire est tout sauf dérisoire. Il est dit absurde parce qu’il défie l’entendement par son intensité, parce qu’il dépasse les limites du soutenable – au double sens de l’argumentable et du supportable.
À la succession des trois désignations paradigmatiques du mal (irréalité, instrumentalité, absurdité) correspond un crescendo dans la reconnaissance de son statut ontologique : négation dans la première (le mal n’est que l’absence du bien, il n’existe pas en tant que tel), affirmation conditionnelle dans la deuxième (le mal existe relativement au bien dont il est l’instrument), affirmation inconditionnelle dans la troisième (dans l’horreur abyssale symbolisée par le nom d’Auschwitz, le mal existe absolument, il n’est relatif à aucune fin, aucun bien).
2. La théodicée – ou ce qu’il en reste – dans la théologie contemporaine : essai d’inventaire typologique
Comment faut-il entendre ici la notion quelque peu nébuleuse de « théologie contemporaine » ? D’un point de vue chronologique, la première partie de notre étude a déjà tranché la question par l’importance décisive que nous avons de fait accordée à la littérature sur Auschwitz dans la délimitation de la période contemporaine, nous conformant ainsi à une périodisation conventionnelle dans l’historiographie anglo-américaine : est contemporaine en ce sens la période qui s’étend de 1945 à nos jours21. Mais le flou de la notion de « théologie contemporaine » ne vient pas tant de son qualificatif temporel que de la surdétermination du concept même de théologie. Par définition, la théologie se décline en une variété de traditions confessionnelles. À cette variété confessionnelle s’ajoute la pluralité transversale des courants, des systèmes, des écoles de pensée. À quoi s’ajoute encore, dans le cas qui nous occupe, la pluralité disciplinaire des discours qui s’affrontent dans le débat sur la théodicée : de nombreux protagonistes de ce débat sont par exemple des philosophes qui revendiquent pour leur discipline un rapport d’extériorité, voire de rivalité avec la théologie. Cette fluidité épistémique et institutionnelle de la théologie en tant que concept et pratique sociale n’est sans doute pas propre à une époque en particulier, mais la nôtre en a une conscience singulièrement aiguë. Cette conscience ne devrait toutefois pas nous dissuader d’esquisser une réponse à la question posée dans notre titre. Un inventaire typologique des solutions contemporaines au problème de la théodicée demeure en effet possible. En dressant cet inventaire, nous porterons notre attention sur les solutions elles-mêmes sans trop nous demander si les sources dont elles émanent répondent à quelque critère préétabli de ce qu’est ou devrait être la théologie ; nous pourrons ainsi prendre en considération des sources expressément théologiques aussi bien que des sources relevant formellement d’autres disciplines.
Un inventaire typologique est par définition critique et raisonné : l’identification des types doit se faire à partir d’un certain critère et leur présentation suivre un ordre choisi en fonction de ce même critère. Où trouver ce critère d’identification et de classification typologique des discours contemporains sur la théodicée ? En toute rigueur lexicographique, il nous faut l’établir à partir du sens étroit, historique du mot « théodicée », celui d’un problème de logique hérité – au prix d’un effort de stylisation, il est vrai – des Essais de théodicée de Leibniz : comment affirmer tout à la fois la réalité du mal, la toute-puissance divine et la parfaite bonté de Dieu, sachant que deux seulement des trois affirmations sont compatibles ? La résolution de ce trilemme est un lieu commun, pour ne pas dire un passage obligé de tout discours sur la théodicée au sens étroit du terme : dans la mesure où la conjugaison de deux des trois affirmations entraîne l’exclusion de la troisième, il est possible d’affirmer conjointement soit la toute-puissance et la parfaite bonté de Dieu, mais pas la réalité du mal, soit la parfaite bonté de Dieu et la réalité du mal, mais pas la toute-puissance divine, soit la toute-puissance divine et la réalité du mal, mais pas la parfaite bonté de Dieu. Prenant pour critère ce problème de logique et les diverses possibilités de résolution qu’il présente, notre inventaire typologique distingue trois types de théodicée qui répondent aux trois combinaisons de base du trilemme : la première conserve la réalité du mal et la parfaite bonté de Dieu intactes, mais reconsidère la toute-puissance divine ; la deuxième conserve la toute-puissance divine et la réalité du mal intactes, mais reconsidère la parfaite bonté de Dieu ; la troisième conserve la toute-puissance divine et la parfaite bonté de Dieu intactes, mais reconsidère la réalité du mal.
2.1. La solution qui reconsidère la thèse de la toute-puissance de Dieu (Hans Jonas)
Ce premier type de solution au problème logique de la théodicée trouve sans doute son expression la plus emblématique dans le texte déjà évoqué de Hans Jonas : Le concept de Dieu après Auschwitz. Décrit par son auteur comme « un morceau de théologie franchement spéculative »22, ce texte a pour point de départ la conviction « qu’“Auschwitz” met en question, y compris pour le croyant, tout le concept traditionnel de Dieu »23. La théologie dont parle Jonas est explicitement celle d’une tradition juive enracinée dans la certitude que « Dieu est éminemment le Seigneur de l’histoire » ; la foi chrétienne, rangée – un peu hâtivement peut-être – sous la rubrique du contemptus mundi, ne défendrait pas – ou du moins pas au même degré que la foi juive – l’idée que « l’immanence [est] le lieu de la création, de la justice et de la rédemption divines »24. Le sous-titre et l’introduction de l’ouvrage le confirment : c’est « une voix juive » que Jonas fait entendre, et c’est d’une « expérience juive de l’histoire » qu’il veut rendre compte25. Or, « l’événement qui porte le nom d’“Auschwitz” »26 ajoute à cette expérience un « inédit » qui oblige soit à se défaire du concept de Dieu, soit à le « repenser à neuf » à partir de la question « quel Dieu a pu laisser faire cela ? »27 La réponse de Jonas prend d’abord la forme d’un « mythe de [s]on invention », une « conjecture imagée, mais crédible »28 pour s’aventurer au-delà des limites de la connaissance humaine et « réfléchir à de telles choses sous l’angle du sens et de la signification »29.
Au commencement, par un choix insondable, le fond divin de l’être décida de se livrer au hasard, au risque, à la diversité infinie du devenir. [...] Dieu, pour que le monde soit et qu’il existe de par lui-même, a renoncé à son être propre ; il s’est dépouillé de sa divinité, afin d’obtenir celle-ci, en retour, de l’odyssée des temps, donc chargée de la récolte fortuite d’une imprévisible expérience temporelle, lui-même, Dieu, étant alors transfiguré, ou peut-être aussi défiguré par elle30.
Quelles sont les implications de ce mythe pour le concept de Dieu ? Jonas en relève quatre. Les trois premières reçoivent une définition positive : le Dieu de son récit est un Dieu souffrant, un Dieu en devenir et un Dieu soucieux31. La quatrième, que Jonas présente comme le « point le plus critique » de son entreprise spéculative reçoit une définition négative : « Ce Dieu-là n’est pas un Dieu tout-puissant ! »32 S’il est relativement aisé de faire entrer en résonnance les trois premières qualifications de Dieu avec des thématiques présentes dans la Bible hébraïque et la tradition juive, la quatrième suscite un soupçon d’hétérodoxie plus caractérisé. Pour défendre cette notion d’un Dieu qui ne serait pas tout-puissant, Jonas utilise un argument logique et un argument théologique. L’argument logique est que la toute-puissance est une « notion en soi contradictoire, vouée à s’abolir elle-même, voire dépourvue de sens »33 ; Jonas affirme pour cette raison ne pas être « en mesure de maintenir la doctrine traditionnelle (médiévale) d’une puissance divine absolue, sans limite »34. Il soutient en effet qu’une « puissance absolue, totale », qui ne serait « limitée par rien » et ne rencontrerait aucune résistance, serait par définition une « puissance sans objet », et donc « une puissance dépourvue de pouvoir, qui s’abolit elle-même »35. L’argument théologique explicite la thèse – suggérée dans le titre de l’ouvrage – que l’expérience d’Auschwitz ne peut laisser indemne le concept de Dieu :
Après Auschwitz, nous pouvons affirmer, plus résolument que jamais auparavant, qu’une divinité toute-puissante ou bien ne serait pas toute-bonne, ou bien resterait entièrement incompréhensible (dans son gouvernement du monde, qui seul nous permet de la saisir). Mais si Dieu, d’une certaine manière et à un certain degré, doit être intelligible (et nous sommes obligé de nous y tenir), alors il faut que sa bonté soit compatible avec l’existence du mal, et il n’en va de la sorte que s’il n’est pas tout-puissant. C’est alors seulement que nous pouvons maintenir qu’il est compréhensible et bon, malgré le mal qu’il y a dans le monde36.
Si cet argument peut être qualifié de « théologique », c’est autant par le problème qu’il pose que par sa manière de le résoudre. Le problème a la forme d’un trilemme37, mais il ne s’agit pas exactement du trilemme habituel des discussions sur la théodicée. On y retrouve certes les éléments potentiellement conflictuels de la toute-puissance et de la parfaite bonté de Dieu, mais le troisième élément du trilemme est ici l’intelligibilité du concept de Dieu, et non la réalité du mal. Cette dernière est si peu douteuse dans ce contexte que Jonas la tient en dehors du trilemme : elle se présente à lui comme un fait trop massif pour prêter à discussion ; y renoncer n’est pas une option, pas « après Auschwitz ». Les trois éléments du trilemme sont en revanche discutés et sous-pesés en fonction d’impératifs et de contraintes spécifiques à la tradition juive. Pour Jonas il s’agit d’abord de déterminer positivement quels éléments du trilemme un concept de Dieu qui se veut fidèle à cette tradition doit considérer comme « intégralement requis », et même « inaliénables », sachant que « l’un des trois, moins fort », devra « céder aux exigences supérieures des deux autres »38. C’est à partir de ces critères, « théologiques » en ce sens qu’ils se veulent internes à la foi juive, que Jonas opte pour le concept d’un Dieu « compréhensible et bon », au détriment de celui d’un Dieu tout-puissant :
À cet égard, la bonté, c’est-à-dire la volonté de faire le bien, est certainement indissociable de notre concept de Dieu, et ne peut subir aucune limitation. La compréhensibilité ou « connaissabilité » [...] est sans doute [...] soumise à limitation, mais ne souffre en aucun cas une totale négation. [...] Un Dieu totalement caché, inintelligible, est un concept inacceptable selon la norme juive39.
Reste alors à justifier théologiquement le renoncement au troisième attribut divin, celui de la toute-puissance. Un principe que Jonas estime valable pour « toute théologie en continuité avec l’héritage juif » veut que l’idée même de création implique une autolimitation de la puissance divine : en donnant à sa création la « capacité d’agir de sa propre autorité », Dieu fait un choix délibéré de non-ingérence40. Mais ce principe est susceptible de recevoir deux significations opposées, selon qu’on interprète l’autolimitation de la puissance de Dieu comme « révocable à son gré », ou pas41. La première hypothèse n’exclut pas la possibilité de certaines interventions directes de Dieu dans les affaires du monde par un « miracle salvateur »42. Or, pour des raisons que Jonas dit « inspirées par l’expérience contemporaine de façon déterminante », cette hypothèse lui paraît devoir être abandonnée43. S’il est un cas de force majeure pour justifier une intervention divine extraordinaire, c’est bien la situation de détresse ultime que symbolise le nom d’Auschwitz. Or, « pendant toutes les années qu’a duré la furie d’Auschwitz, Dieu s’est tu »44. Le « miracle salvateur » n’a pas eu lieu, Dieu n’est pas intervenu. Pour Jonas, la conclusion s’impose d’elle-même. « Et moi, je dis maintenant : s’il n’est pas intervenu, ce n’est point qu’il ne le voulait pas, mais qu’il ne le pouvait pas »45. Jonas prend toutefois soin de circonscrire cette « impuissance de Dieu » au « domaine physique » : elle n’affecte donc pas « le principe de l’appel aux âmes, de l’inspiration des prophètes et de la Torah, ni davantage l’idée de l’élection » ; elle n’affecte pas non plus ce pilier de la foi et de la prière juives qu’est le Shema Israel, l’incipit du verset 6,4 du Deutéronome (« Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est un »), préservant ainsi l’affirmation centrale du « Dieu unique »46. Le dernier concept de Dieu que Jonas discute dans son ouvrage est en effet celui d’un « dualisme initial » qu’il estime « inacceptable pour le judaïsme »47. En lui opposant sa thèse de « l’autolimitation du Dieu unique par la création à partir du néant »48, Jonas a conscience de s’éloigner lui aussi de la « plus ancienne doctrine juive »49, mais cette thèse lui apparaît comme la seule en mesure de concilier « l’unité du principe divin » avec « l’existence et l’autonomie d’un monde »50. Il relève en outre que la tradition juive est moins monolithique qu’il n’y paraît, et qu’on trouve dans la kabbale « des spéculations originales et fort peu orthodoxes, parmi lesquelles les [s]iennes ne se trouveraient pas si totalement seules »51.
Bien que Jonas insiste sur les singularités juives de sa réponse au problème de la théodicée, des variations sur le même thème se rencontrent en nombre dans la théologie chrétienne contemporaine. De l’esquisse notionnelle d’un Dieu « impuissant et faible » dans les lettres de captivité de Dietrich Bonhoeffer52 jusqu’aux spéculations les plus élaborées de la théologie du process sur le concept d’un « Dieu compagnon de souffrance »53, en passant par les méditations d’Eberhard Jüngel sur l’« autolimitation créatrice » de Dieu54, le thème d’une divinité restreinte dans sa puissance et souffrant aux côtés de ses créatures s’est frayé un chemin jusque dans la liturgie chrétienne où, comme le note Olivier Riaudel, « la confession du Dieu tout-puissant » tend à céder le pas devant celle d’un Dieu « tout amour », d’un Dieu dont l’amour seul peut prétendre à la toute-puissance – comme si ce traditionnel attribut de Dieu n’était désormais plus que l’attribut d’un attribut55.
Les théodicées qui renoncent à l’idée de la toute-puissance de Dieu pour préserver celle de sa parfaite bonté offrent un robuste support non seulement pour une théologie pastorale de réconfort et de consolation, centrée sur la pensée que Dieu partage la condition des affligés, mais aussi pour une théologie politique de l’espérance et de l’action, centrée sur la pensée que Dieu est en devenir, solidaire de sa création, luttant pour la justice aux côtés des opprimés. Sur un plan théorique, ce renoncement à la toute-puissance divine engendre toutefois de nouvelles questions. De deux choses l’une : soit la restriction de la puissance divine qualifie un état subi, dont Dieu pâtirait inéluctablement comme d’une nécessité inhérente à son être même ; soit elle relève d’un acte originaire de renoncement, d’un dessaisissement volontaire, d’un abandon intentionnel de la part de Dieu. La première hypothèse permet d’exonérer Dieu de toute responsabilité face au mal en attribuant cette dernière à un principe adverse, mais postuler que Dieu doit composer avec une puissance rivale reconduit de fait à la thèse dualiste combattue par Maïmonide comme par Augustin. La seconde hypothèse permet de préserver l’unicité et la souveraineté de Dieu sur un mode paradoxal : c’est par un acte inaugural de toute-puissance que Dieu se dépossède de sa toute-puissance pour un temps déterminé et dans un but par avance défini ; mais cette hypothèse laisse entière la question de la responsabilité de Dieu face au mal. Le créateur peut bien décider que le jeu de la création doit se jouer sans lui, dans le respect des règles immanentes au jeu et de l’autonomie des joueurs, mais la décision n’en restera pas moins sienne ; qu’il fasse ou non le choix d’une politique interventionniste dans les affaires du monde, sa responsabilité ne sera pas moins engagée dans un cas que dans l’autre56 ; en tout état de cause, Dieu demeure le concepteur des règles et le fabricant du jeu. La thèse d’une divinité renonçant d’elle-même à la toute-puissance ne fait en somme que déplacer vers l’acte inaugural de sa liberté souveraine la question de sa responsabilité face au mal.
2.2. La solution qui reconsidère la thèse de la parfaite bonté de Dieu (John K. Roth)
Le deuxième type de solution au trilemme de la théodicée maintient les thèses de la toute-puissance divine et de la réalité du mal, mais reconsidère la thèse de la parfaite bonté de Dieu. Il trouve sa formulation classique dans la « théodicée de la protestation » du philosophe John K. Roth. Connu pour ses travaux sur la Shoah et ses responsabilités à la direction du « Center for the Study of the Holocaust, Genocide, and Human Rights » (Claremont, Californie), Roth propose une solution particulièrement audacieuse au problème de la théodicée. Avocat d’une position symétriquement inverse à celle de Hans Jonas, il estime pouvoir renoncer à la doctrine de la parfaite bonté de Dieu, mais pas à celle de sa toute-puissance. Bien que les principaux interlocuteurs de Roth soient des auteurs qui se réclament de la tradition juive57, sa « théodicée de la protestation » se veut inscrite dans une lignée théologique expressément chrétienne. Fils d’un pasteur presbytérien, il se présente lui-même comme un « chrétien protestant » soucieux de préserver la doctrine – essentielle à ses yeux – de la souveraineté divine58. En référence à Mc 10,27, son essai « A Theodicy of Protest » affirme avec emphase « l’existence d’un Dieu tout-puissant », un Dieu qui « n’est lié que par sa volonté », un Dieu ayant « tous les possibles à sa portée »59.
La théodicée dont Roth esquisse le contour prévoit une place légitime pour « la déception de Dieu devant la vie humaine qui tourne mal », pour « la possibilité de la grâce expérimentée par la foi et pour l’espérance du salut »60 ; mais elle prévoit une place non moins légitime pour la protestation humaine devant l’ampleur et l’intensité de « la dévastation accumulée dans l’histoire »61, en particulier devant les tourments insondables de la Shoah et des autres génocides du XXe siècle. Roth estime que cette protestation doit prendre la forme d’un « procès », d’une « assignation en justice » de Dieu62. Ne serait-il pas plus simple et plus expédient de renoncer à la foi en Dieu ? Roth ne retient pas cette option. « La plupart des gens veulent un Dieu totalement bon ou pas de Dieu du tout », admet-il63. Mais la tradition biblique charrie des représentations de Dieu plus équivoques. Ainsi Job élève contre Dieu une protestation véhémente, il lui fait un procès que ses amis jugent sacrilège ou blasphématoire, mais jamais il ne retire à Dieu sa confiance. Job proteste de son innocence, il dénonce un malheur injuste, immérité ; pourtant, il « ne rejette pas Dieu » ; il demeure « confiant que Dieu lui fera justice »64. Cette confiance de Job n’est pas incompatible avec « la confession que Dieu l’a traité de façon inéquitable – abusive et brutale –, car, selon le récit, c’est par un choix de Dieu que Job fut presque anéanti pour tester sa fidélité »65. Dans la veine des méditations d’Élie Wiesel sur les conséquences de la Shoah pour la foi juive, Roth interprète le livre de Job comme le modèle biblique d’une protestation contre Dieu qui est en définitive une protestation pour Dieu ; car c’est au nom même des principes de justice consignés dans les promesses et les commandements divins que s’élève la protestation humaine contre un malheur injustement subi66. Roth souligne que cette perspective n’est pas seulement celle de Job, mais qu’on la retrouve aussi bien dans les personnages de Moïse ou d’Abraham, de Jérémie ou d’Ézéchiel, sans oublier les Psaumes de lamentation et leur relecture dans les récits de la crucifixion de Jésus67. À ces exemples bibliques de protestation contre Dieu on pourrait encore ajouter le récit de la lutte entre Jacob et son adversaire divin, épisode au terme duquel Jacob recevra le nom d’Israël ou celui qui lutte avec Dieu (Gn 32,22-32). Comme le note le théologien presbytérien Daniel Migliore, tous ces textes bibliques peuvent être lus comme des appels « à protester contre le silence et l’inaction de Dieu, pour rappeler à Dieu sa promesse d’alliance même s’il semble l’avoir oubliée »68.
En expliquant l’inaction de Dieu contre le mal comme l’effet d’un défaut de volonté plutôt que d’un défaut de puissance, la théodicée de la protestation soulève toutefois de nouvelles questions qu’elle laisse sans réponse. Le défaut de volonté en Dieu relève-t-il d’une mauvaise volonté, ou d’une volonté mauvaise ? Pourquoi Dieu n’agit-il pas contre le mal ? Est-ce parce qu’il veut le mal pour le mal, auquel cas sa volonté serait mauvaise au sens fort du terme, mauvaise dans son intention, mauvaise en son principe même ? La « théodicée de la protestation » n’envisage manifestement pas cette hypothèse : Dieu n’est pas accusé de volonté mauvaise, mais de mauvaise volonté ; Dieu peut agir contre le mal, mais il se fait littéralement prier, il n’y met pas du sien, il peut mais ne veut pas. Mais quelles sont ses raisons pour ne pas vouloir agir contre le mal ? Ces raisons existent-t-elles ? Sont-elles d’ordre psychologique ? Dieu négligerait-il d’agir par insouciance ou par oubli ? Dans ce cas, les raisons ne seraient que des causes et l’absence d’intention rendrait inintelligible la notion même de volonté (sauf à se lancer dans une exploration hasardeuse – et pour tout dire un peu grotesque – des ressorts inconscients de la psyché divine). Les raisons de ne pas agir contre le mal sont-elles d’ordre didactique ? Dans ce cas, une spéculation sur l’intention secrète de la pédagogie divine serait requise, et la théodicée de la protestation se réduirait en définitive à ce qu’elle voudrait ne pas être : une variation sur le thème de l’instrumentalité du mal.
À l’image des textes bibliques dont elle s’inspire, la « théodicée de la protestation » est une théologie à la deuxième personne, une théologie qui s’énonce dans la prière. C’est sa principale force : la querelle avec Dieu est une querelle, certes, mais une querelle avec Dieu. Sa principale faiblesse est peut-être de sous-estimer la difficulté de passer de la deuxième à la troisième personne, de la prière à la théorie, de l’enchaînement rhapsodique des métaphores et narrations bibliques à l’unité cohérente d’une théologie systématique.
2.3. La solution qui reconsidère la thèse de la réalité du mal (John Milbank)
Le troisième type de solution au problème logique de la théodicée maintient les thèses de la toute-puissance divine et de la parfaite bonté de Dieu, mais reconsidère la thèse de la réalité du mal en restaurant la théorie classique de la privatio boni. Il trouve son expression paradigmatique dans la critique de la notion de « mal radical » proposée par le théologien anglican John Milbank dans son essai « Evil. Darkness and Silence »69.
Milbank suggère que les théodicées modernes n’ont guère de pertinence du point de vue d’une ontologie classique de la participation, mais que leur effort pour justifier l’existence du mal est le corrélat nécessaire des ontologies modernes qui affirment l’univocité de l’être. La thèse classique implique une équivocité de l’être : les réalités créées n’ayant d’être que dans la mesure de leur participation à l’être divin, l’être n’a pas le même sens pour la créature et pour son créateur. La thèse moderne de l’univocité de l’être affirme au contraire que l’être n’a qu’un seul et même sens pour la créature et le Créateur, l’immanence et la transcendance, le fini et l’infini. Cette thèse est pour Milbank la condition ontologique pour que le mal puisse prétendre à l’être au même titre que le bien ; c’est alors seulement, dit-il, que « la présence du mal doit être “justifiée” dans les termes d’un dessein providentiel »70. Aussi Milbank appelle-t-il la théologie à renouer avec l’ontologie de la participation en rejetant d’un bloc l’univocité de l’être et les théodicées qui tentent de s’en accommoder. C’est dans ce cadre général que son essai prend place. Il poursuit un double objectif : d’une part, réhabiliter la théorie classique de la privatio boni en tant qu’ontologie négative – ou « méontologie » – qui voit le mal non « comme une force et une qualité véritables, mais comme l’absence de force et de qualité, la privation de l’être même »71 ; d’autre part, réfuter la thèse selon laquelle la Shoah et les autres génocides systématiques du XXe siècle manifesteraient l’existence d’un « mal radical ».
Dans ce contexte polémique, Milbank ne mentionne guère la thèse moderne de l’instrumentalité du mal, en opposition à laquelle s’est d’abord construite la thèse qu’il rejette, mais il met en scène une confrontation directe entre la théorie de la privatio boni, dont il rappelle qu’elle fut « traditionnellement » défendue dans « la pensée juive et chrétienne », et la théorie du mal radical, qu’il décrit comme « spécifiquement moderne »72. De Kant à Heidegger en passant par Schelling, la théorie du mal radical impliquerait un rejet plus ou moins explicite de la conception classique du mal comme privation au profit d’une conception du mal comme « déni positivement voulu du bien, comme pur acte de perversité sans raison »73. Milbank voit dans ce retournement une tentative équivoque et dangereuse de « glamouriser » le mal74 : d’insignifiant et stérile qu’il était dans l’ancienne théorie, il atteindrait au grandiose d’un « quasi-satanisme »75 dans la nouvelle. Cet argument se polarise sur des philosophes contemporains décrits comme des « kantiens postmodernes »76 (Jacob Rogozinski, Slavoj Žižek, Jean-Luc Nancy), auxquels Milbank reproche d’interpréter les horreurs des camps de la mort et de la terreur totalitaire comme des confirmations pour ainsi dire empiriques de la théorie du mal radical, et d’ériger ainsi le mal en « attribut positif et irrationnel de l’être même »77.
La thèse de Milbank s’appuie en bonne partie sur celle que Hannah Arendt défend dans Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal78, un texte dans lequel la philosophe semble désavouer ses descriptions antérieures du mal totalitaire comme mal radical79. À la question âprement discutée de la continuité de l’œuvre d’Arendt sur ce point, Milbank répond par le postulat d’une incompatibilité rédhibitoire entre la thèse de la « radicalité » du mal et celle de sa « banalité ». En suggérant qu’un haut fonctionnaire du Troisième Reich puisse ne pas être un sociopathe, mais une personnalité médiocre, un fonctionnaire plus motivé par sa promotion professionnelle que par une appétence maladive pour la cruauté, Arendt ne minimise nullement l’horreur d’Auschwitz, mais elle cesse de la situer dans une disposition « quasi satanique » à perpétrer le mal pour lui-même80. Aussi Milbank lui emprunte-t-il cette thèse de la « banalité du mal » pour l’interpréter dans le sens d’un acquiescement tacite à la conception augustinienne du mal comme privatio boni : « Arendt voyait implicitement dans la Shoah [the Holocaust] une confirmation plutôt qu’une négation de la conception occidentale du mal comme privation. »81
Milbank ne tarit pas d’éloge sur la perspicacité d’Arendt, qu’il crédite notamment d’avoir mis en lumière une certaine connivence entre un kantisme populaire, dégradé en une doctrine de l’obéissance inconditionnelle aux autorités politiques, et la « participation d’un grand nombre d’Allemands à l’exécution de la solution finale », ce qui soulève la question du rapport entre la théorie et la pratique modernes du mal ; Milbank se dissocie toutefois d’Arendt dans la réponse qu’il apporte à cette question, car il se propose de faire remonter à Kant lui-même la responsabilité de ce qu’Arendt attribuait à un « kantisme abâtardi »82. Il estime en effet que la terreur politique des régimes totalitaires n’est pas seulement compatible avec la théorie kantienne du mal radical, mais qu’à certains égards elle en procède83. Que lui reproche-t-il au juste ? De servir de modèle théorique aux politiques de terreur et d’extermination que les régimes totalitaires mettront en pratique ? Pas franchement. Son essai joue certes avec l’idée d’une complicité entre la « théorie » et la « pratique » du mal radical, mais il procède surtout par rapprochements suggestifs, par soupçons indirects. Ce que Milbank reproche principalement à la doctrine du mal radical, c’est de confirmer l’indécidabilité morale qui grève selon lui le système kantien de la liberté. Dans une veine interprétative inspirée de Schelling, Milbank voit dans la notion de mal radical une part constitutive de ce système emblématique de la philosophie morale moderne, et non le corps étranger – réminiscent du péché originel – que croyaient y voir d’illustres contemporains tels que Goethe ou Schiller. Milbank soutient en effet que la thématique du mal radical est rigoureusement inséparable chez Kant du principe de l’autonomie de la volonté : comme il n’existe « rien dans l’ordre causal qui puisse affecter l’ordre de la liberté », le mal radical est donné en même temps que la liberté, « comme une possibilité qui lui est inhérente », à savoir la possibilité qu’a la liberté de « vouloir contre elle-même »84. À ce titre, la doctrine kantienne du mal radical est « intrinsèque à l’autonomie des Lumières »85 :
Le mal est précisément ce dont nous sommes seuls responsables. Le mal est l’autonomie qui se gouverne elle-même – le mal est le bien kantien, le bien moderne86.
La formule relève assurément d’une rhétorique de l’excès. Dans la logique même de la lecture que Milbank fait de Kant, le mal n’est pas le bien, mais il est une possibilité positive, constitutive de ce bien qu’est la liberté en tant que telle. L’hyperbole est néanmoins révélatrice du climat polémique dans lequel s’inscrit le projet de Milbank. Son pathos antimoderne dessert son propos tant il présente un caractère systématique. Quel que soit le sujet qu’il aborde, Milbank semble toujours livrer bataille contre le même adversaire : une modernité essentialisée sous le slogan de l’univocité de l’être. Sa critique de la doctrine kantienne du mal radical ne fait pas exception à la règle. Mais l’exemple d’Arendt montre qu’il est à tout le moins possible de réhabiliter la thèse classique de la privatio boni sans nullement souscrire aux spéculations filandreuses de Milbank sur une prétendue connivence entre la théorie (kantienne) et la pratique (nationale-socialiste) du mal radical87.
Interprétée in meliorem partem, la thèse que propose Milbank a toutefois le mérite de permettre une approche déflationniste de la question qui hante toutes les théodicées contemporaines, à savoir : comment parler de ce que le nom d’Auschwitz symbolise ? En relisant le thème augustinien de la privatio boni à travers les réflexions d’Arendt sur le procès Eichmann, sa méontologie du mal évite un double écueil : d’une part la justification téléologique du mal, qui déprécie le bien comme parasitique par rapport à lui88 ; d’autre part la sidération devant l’horreur, qui permet au mal d’usurper la majesté de l’absolu89.
Conclusion
Au risque de trahir la promesse d’exhaustivité que charrie la notion d’inventaire, notre typologie n’a pris en considération que les discours qui prétendent résoudre le trilemme de la théodicée, et qui en acceptent par conséquent les termes et les contraintes, c’est-à-dire l’obligation de choisir deux éléments au détriment d’un troisième (« pick two ! », selon la version populaire du trilemme de Mundell-Flemming90). Nous avons ainsi laissé hors champ tout un ensemble de discours alternatifs qui pourraient à leur tour être répartis en deux grandes catégories selon la sorte de critique, empirico-logique ou historico-culturelle, à laquelle ils soumettent le trilemme de la théodicée.
Prédominante dans les cercles de ce qu’il est convenu d’appeler la « philosophie analytique de la religion »91, la critique empirico-logique du trilemme permet de considérer que la thèse d’un Dieu à la fois tout-puissant et parfaitement bon n’est pas nécessairement incohérente au regard de la réalité du mal, notamment si, comme le prétend Richard Swinburne, on parvient à montrer sur des bases évidentialistes – c’est-à-dire en acceptant de ne croire qu’à proportion des raisons, des preuves et des données empiriques dont on dispose – que tout mal qui survient dans le monde rend certains biens possibles pour les humains et les autres espèces, et que la valeur positive de ces biens est probablement supérieure à la valeur négative des maux qui les ont engendrés. Dans Providence and the Problem of Evil, Swinburne pense en effet pouvoir démontrer, par une prise en compte exhaustive des raisons possibles des divers types de maux observables dans le monde, qu’il est « moralement licite »92 pour Dieu de permettre que ces maux adviennent, sachant qu’ils ont une fonction instrumentale dans l’accomplissement de ses « bons desseins » : les biens que Dieu poursuit sont si éminemment désirables, estime-t-il, « qu’ils compensent les maux qui les accompagnent »93. Ainsi conçue, la critique empirico-logique du trilemme restaure, dans un appareil théorique amélioré, la logique instrumentale et compensatoire des théodicées modernes ; elle ne conteste en définitive que l’impérativité du « pick two ! ». Elle refuse le trilemme en tant que trilemme, mais elle en accepte le postulat implicite, à savoir que les trois éléments devraient idéalement former un système cohérent.
Dans son essai Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie, Paul Ricœur observe qu’un tel postulat est le produit historiquement et culturellement conditionné de tout « un mode de penser » dont la quête de « cohérence logique » passe par une double exigence « à la fois de non-contradiction et de totalité systématique »94 ; ce mode de penser et la forme propositionnelle dans laquelle il s’exprime n’ont vu le jour qu’à un stade tardif de la spéculation sur le mal, celui du siècle de Leibniz, après qu’ait eu lieu ce que Ricœur décrit comme la « fusion » du « langage confessionnel de la religion » avec un discours théorique « sur l’origine radicale de toutes choses »95. Cette mise en perspective historico-culturelle du trilemme de la théodicée se veut chez Ricœur une incitation à la prudence. Prudence spéculative d’abord, qui souligne le caractère inéluctablement aporétique des théodicées à vocation totalisante. (Dans la trajectoire qui conduit de Leibniz à Hegel, le système gagne en acuité logique, mais « plus le système prospère, plus les victimes sont marginalisées. La réussite du système fait son échec. »96) Prudence herméneutique ensuite, qui met en garde contre la tentation d’ignorer la distance culturelle entre les théodicées modernes et le traitement de la question du mal ou de la souffrance injuste dans les genres littéraires disparates de la tradition biblique et patristique (le mythe et la sagesse, la gnose et la « gnose antignostique »97). Ainsi conçue, la critique historico-culturelle du trilemme de la théodicée conduit à l’intégration de son aporie spéculative dans un processus que Ricœur compare à un « travail de deuil »98. Ce repli sur une nescience apaisée n’est pas un pur processus de renoncement, car l’ascèse spéculative a pour fonction de « rendre l’aporie productive » dans les registres « de l’action et de la spiritualité »99. Ricœur assure qu’il ne s’agit pas tant d’une « solution » que d’une simple « réponse » au problème de la théodicée100, mais il faut bien constater que, du point de vue des options logiques en présence, cette réponse entérine à sa manière la solution aperçue mais rejetée par Jonas, celle d’un renoncement à l’intelligibilité de Dieu.
La trop rapide évocation de ces deux critiques du trilemme de la théodicée nous aura permis d’identifier au passage deux types complémentaires à ceux de notre inventaire tripartite. Dans quatre des cinq cas envisagés jusqu’ici, la résolution du trilemme passe par un renoncement plus ou moins strict à l’une de ses thèses constitutives explicites (la réalité du mal, la toute puissance et la parfaite bonté de Dieu) ou implicites (l’intelligibilité de Dieu) ; et même dans le cas restant, que nous avons exemplifié par la théodicée de Swinburne, la restauration d’une conception instrumentale du mal implique un renoncement partiel à la thèse de la réalité du mal – du moins si l’on admet le schème historiographique d’une gradation dans la reconnaissance du statut ontologique du mal, tel que nous l’avons esquissé en conclusion de notre première partie. De ce point de vue, il ne paraît pas déraisonnable d’affirmer qu’à chacun des cinq types correspond un renoncement spécifique.
Avons-nous achevé notre inventaire typologique des solutions contemporaines au problème logique de la théodicée ? Non. L’inventaire ne serait pas complet sans l’évocation d’un sixième type de renoncement, plus radical, plus vertigineux que les cinq autres : le renoncement à Dieu lui-même. Comme le note Odo Marquard, le procès ouvert par les théodicées du Grand Siècle a trouvé dans les philosophies de l’histoire des siècles ultérieurs un dénouement inattendu : le sauvetage de la bonté de Dieu par la négation de son existence, l’acquittement du créateur par « la preuve de la plus éclatante des innocences, l’innocence de sa non-existence »101. Pour qualifier le fruit de cet acquittement insolite, requis avec une même ferveur dans l’idéalisme allemand ou la théologie de la mort de Dieu102, Marquard parle d’un « athéisme ad maiorem Dei gloriam »103. Sans doute est-ce ironie de sa part. Mais la formule vaut mieux que ce qu’il veut lui faire dire. Que pourrait-elle dire d’autre ? Peut-être ce que tentent de faire entendre dans leur langue elliptique les traditions apophatiques. La « rose sans pourquoi » d’Angelus Silesius pourrait alors servir d’antidote salutaire à l’obsession de maîtrise, d’emprise ou de mainmise qui semble inhérente au projet même d’une théodicée. (Même chez les avocats les plus zélés de la cause de Dieu – et peut-être chez eux surtout – cette obsession transparaît dans la procédure judiciaire que la théodicée transpose dans le champ spéculatif : une assignation à comparaître.) La notion de prime abord incongrue d’un « athéisme ad maiorem Dei gloriam » exprimerait alors le renoncement à Dieu que Silesius décrit comme le stade ultime de la Gelassenheit, cette figure de l’abandon, de la déprise, du détachement, qui est en même temps la promesse d’un laisser-advenir : « L’abandon est capable de Dieu [Gelassenheit fäht Gott] »104.
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1Le présent texte, comme les suivants, reprend, en la modifiant, une communication présentée lors d’une journée d’étude intitulée « Catastrophes et théodicées » et organisée dans le cadre de l’Institut romand de systématique et d’éthique (IRSE) de la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Cette journée, qui eut lieu le 22 mai 2017, était organisée par Aurélien Chukurian et Evelyne de Mevius (NDR).
2« Que reste-t-il de nos amours ? », paroles : Ch. Trenet ; musique : Ch. Trenet et L. Chauliac, © Salabert, 1942.
3Jürgen Habermas, La pensée postmétaphysique. Essais philosophiques (1988), Paris, Armand Colin, 1993, p. 22. Sur le parallèle entre l’après-Kant et l’après-Auschwitz, cf. Hans Jonas : « De même que Kant a concédé à la raison pratique ce qu’il refusait à la théorique, de même sommes-nous en droit, pour notre part, de laisser la violence d’une expérience unique et monstrueuse intervenir dans les interrogations sur ce qu’il en est de Dieu. » Le concept de Dieu après Auschwitz (1984), Paris, Rivages Poche/Petite bibliothèque, 1994, p. 9-10.
4Jean-Yves Lacoste, « Mal. A. Théologie fondamentale », in : J.-Y. Lacoste (éd.), Dictionnaire critique de théologie (1998), Paris, P.U.F., 2007, p. 831-834.
5Ibid., p. 831.
6Ibid.
7Ibid.
8Dan Cohn-Sherbok, The Future of Judaism, Édimbourg, T&T Clark, 1994, p. 50-51; Judaism: History, Belief and Practice, New York, Routledge, 2017, p. 391. Voir aussi Lenn E. Goodman, « Judaism and the Problem of Evil », in Chad Meister et Paul K. Moser (éds), The Cambridge Companion to the Problem of Evil, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 200-201.
9J.-Y. Lacoste, op. cit., p. 832.
10Ibid.
11Ibid.
12Si c’est un homme (1947), Paris, Julliard, 1987, p. 310.
13H. Jonas, op. cit., p. 11.
14Ibid., p. 10.
15Ibid., p. 11-12.
16Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. Le système totalitaire (1951), Paris, Seuil, 1972, Nouvelle édition [traduction révisée] s. d. [dépôt légal : 2005], p. 252.
17Ibid., p. 250.
18Ibid., p. 250-251.
19Ibid., p. 250.
20Alain Finkielkraut, Une voix vient de l’autre rive, Paris, Gallimard, 2000, p. 15.
21Brian Brivati, « Introduction », in : B. Brivati, Julia Buxton et Anthony Seldon (éds), The Contemporary History Handbook, Manchester, Manchester University Press, 1996, p. xvi.
22H. Jonas, op. cit., p. 8.
23Ibid., p. 13.
24Ibid.
25Ibid.
26Ibid., p. 11.
27Ibid., p. 13.
28Ibid., p. 14.
29Ibid., p. 9.
30Ibid., p. 15 (casse modifiée).
31Ibid., p. 21, 23 et 26.
32Ibid., p. 27 (casse modifiée).
33Ibid., p. 28.
34Ibid., p. 27-28.
35Ibid., p. 28-29 (traduction légèrement modifiée). Il semble que cet argument repose sur une interprétation erronée du concept scolastique de toute-puissance divine, car il néglige de prendre en considération la distinction entre puissance active et puissance passive, dont la fonction est précisément de résoudre la contradiction que Jonas croit déceler dans ce concept. Sur la notion de puissance passive, voir Jean-Luc Solère, « Le concept de Dieu avant Hans Jonas. Histoire, création et toute-puissance », Mélanges de Science Religieuse 53/1 (1996), p. 7-38. Solère montre que la puissance passive n’est pas pour la puissance active « un opposé réel, une contre-force », mais qu’elle est plutôt « le réceptacle de son action », et qu’on peut donc « fort bien concevoir une puissance active infinie, à laquelle répondrait dans un autre être une puissance infinie, qui ne serait aucunement une résistance » (p. 27). C’est ainsi que dans les Sentences de Pierre Lombard et le commentaire de Guillaume d’Auxerre, l’action de Dieu rencontre en toute créature « une puissance passive totale (qu’on appelle “obédientielle”), et c’est en relation à celle-ci que s’identifie sa toute-puissance » (p. 28). Sur les faiblesses de l’argument logique de Jonas et leurs possibles implications pour son argument théologique, voir aussi Paul Clavier, « Hans Jonas’s Feeble Theodicy: How on Earth Could God Retire ? », European Journal for Philosophy of Religion 3/2 (2011), p. 305-322, en particulier p. 314-322.
36H. Jonas, op. cit., p. 32-33.
37« En termes plus généraux, les trois attributs concernés – bonté absolue, puissance absolue et compréhensibilité – se trouvent dans un tel rapport que toute union entre deux d’entre eux exclut le troisième. » Ibid., p. 31.
38Ibid.
39Ibid., p. 31-32.
40Ibid., p. 33.
41Ibid.
42Ibid., p. 34.
43Ibid.
44Ibid.
45Ibid (traduction légèrement modifiée).
46Ibid., p. 35.
47Ibid., p. 36.
48Ibid.
49Ibid., p. 35.
50Ibid., p. 37.
51Ibid.
52« Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide. » Dietrich Bonhoeffer, « À Eberhard Bethge » (lettre du 16 juillet 1944), in Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 431.
53La formule renvoie à l’ouvrage séminal d’Alfred North Whitehead, Process and Reality, Houndmills, Macmillan, 1929, p. 497 : « God is the great companion, the fellow sufferer who understands. »
54Cf. Eberhard Jüngel, « Gottes ursprüngliches Anfangen als schöpferische Selbstbegrenzung. Ein Beitrag zum Gespräch mit Hans Jonas über den “Gottesbegriff nach Auschwitz” », in Wertlose Wahrheit. Zur Identität und Relevanz des christlichen Glaubens. Theologische Erörterungen III, Munich, Chr. Kaiser, p. 151-162.
55Olivier Riaudel, « Le rôle d’une précompréhension, d’ordre philosophique, en théologie. L’exemple de la théologie trinitaire de Wolfhart Pannenberg », Revue des sciences religieuses 83/3 (2009), p. 431.
56Comme le remarque Paul Clavier, « quand on évalue mal ses chances de succès, on est en tort. L’ignorance ou la présomption conviennent-elles davantage à Dieu que la malice ? Ce n’est pas sûr. Destitué de la toute-puissance, Dieu reste responsable. » P. Clavier, « Les théodicées, entre mauvaises excuses et fins de non-recevoir », Klesis. Revue philosophique no 17 (2010), p. 59.
57John K. Roth décrit l’impact décisif de l’œuvre d’Élie Wiesel sur sa pensée dans A Consuming Fire. Encounters with Elie Wiesel and the Holocaust, Atlanta, John Knox Press, 1979 ; parmi les autres interlocuteurs juifs dont les travaux interagissent étroitement avec les siens, il convient de mentionner Richard L. Rubenstein, After Auschwitz. Radical Theology and Contemporary Judaism, Indianapolis, Bobbs Merril, 1966 ; David R. Blumenthal, Facing the Abusing God. A Theology of Protest, Louisville, Westminster John Knox Press, 1993 ; et Zachary Braitermann, (God) After Auschwitz. Tradition and Change in Post-Holocaust Jewish Thought, Princeton, Princeton University Press, 1998.
58Ibid., p. 4-5.
59J. K. Roth « A Theodicy of Protest », in : Stephen T. Davis (éd.), Encountering Evil. Live Options in Theodicy (1981), nouvelle edition révisée, Louisville, Westminster John Knox Press, 2001, p. 13. Le texte de Mc 10,27, « Jésus les regarda, et dit : Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu : car tout est possible à Dieu. » (trad. Louis Segond, 1910) est cité en exergue de l’essai.
60Ibid., p. 4.
61Ibid.
62Ibid., p. 6.
63Ibid., p. 7.
64Ibid., p. 15.
65Ibid.
66Ibid., p. 16.
67Ibid., p. 19.
68Daniel L. Migliore, Faith Seeking Understanding. An Introduction to Christian Theology (1991), Grand Rapids, Eerdmans, 2004, p. 129.
69John Milbank, « Evil. Darkness and Silence », in : Being Reconciled. Ontology and Pardon, Londres, Routledge, 2003, p. 1-25.
70Ibid., p. 18.
71Ibid., p. 1.
72Ibid.
73Ibid.
74Ibid.
75Ibid., p. 21.
76Ibid., p. 2.
77Ibid., p. 1.
78H. Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963), Paris, Gallimard, 1966.
79Voir supra, p. 105.
80Ibid., p. 2.
81Ibid.
82Ibid.
83Ibid., p. 4.
84Ibid., p. 15.
85Ibid.
86Ibid., p. 18.
87Notons que le soupçon d’une telle connivence n’est pour Milbank qu’un aspect particulier de la « collusion » plus fondamentale entre « libéralisme et totalitarisme » qu’il croit devoir dénoncer et combattre. Cf. ibid., p. 24-25.
88Cf. Simon Oliver, « Representing Evil in Schindler’s List and Life is Beautiful », in : Jeff Sellars (éd.), Light Shining in a Dark Place. Discovering Theology through Film, Eugene, Wipf and Stock, 2012, p. 3-17, en particulier p. 9-10.
89Milbank estime, non sans raison, que céder à cette fascination donnerait aux bourreaux d’Auschwitz une « victoire théorique fantôme » (op. cit., p. 17).
90Ce trilemme qu’on doit aux économistes Robert Alexander Mundell et John Marcus Flemming établit qu’on ne peut avoir en même temps un régime de taux de change fixe, une parfaite mobilité des capitaux et une politique monétaire indépendante. Cf. Thomas Cate, An Encyclopedia of Keynesian Economics, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar Publishing, 20132, p. 499.
91Cf. William Hasker, « Analytic Philosophy of Religion », in : William J. Wainwright (éd.), The Oxford Handbook of Philosophy of Religion, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 421-446.
92Richard Swinburne, Providence and the Problem of Evil, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 223.
93Ibid., p. x. Voir aussi le chapitre « Weighing Good against Bad » (p. 237-251), qui forme la conclusion du livre.
94Paul Ricœur, Le mal. Un défi à la philosophie et à la théologie (1985), Genève, Labor et Fides, 2004, p. 19.
95Ibid., p. 20.
96Ibid., p. 50.
97Ibid., p. 26-38.
98Ibid., p. 60-61.
99Ibid., p. 57-58.
100Ibid., p. 57.
101Odo Marquard, Abschied vom Prinzipiellen, Philosophische Studien (1981), Stuttgart, Reclam, 2015, p. 48.
102Ibid., p. 73-74.
103Ibid., p. 48.
104Johannes Angelus Silesius, Cherubinischer Wandersmann, oder geistreiche Sinn- und Schlußreime zur göttlichen Beschaulichkeit (1675), Munich, Lindauer, 1827, p. 43.