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Francois Boespflug, Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art

Montrouge, Bayard, 2017, 565 p.

Jean BOREL

Malgré deux millénaires d’iconographie et de peinture religieuse chrétienne, l’expression « Dieu et ses images » conserve le goût du paradoxe. Parce que Dieu transcende toute forme et toute créature, le désir de le représenter ne serait-il tout de même pas une transgression ? La visibilité du Fils de Dieu venu en chair parmi les hommes aurait-elle définitivement et absolument levé l’interdiction formelle du second commandement ? Même si la richesse des images de Dieu que nous lègue l’histoire de l’art occidental défie toute imagination jusqu’à la saturation, et ce livre remarquable en est le témoin, ces questions sont restées ouvertes jusqu’à aujourd’hui. Elles reviennent même au galop au moment où, comme le dit en conclusion François Boespflug, « l’inconscient visuel des Occidentaux aimerait se libérer du poids d’images qui retardent l’émergence d’un nouveau visage de Dieu, se refaire un œil neuf, un regard critique, une virginité iconographique ». Et comme il est bien connu qu’on ne peut se libérer en profondeur que de ce que l’on a pris le temps de revisiter avec lucidité, il vaut mille fois la peine de s’attarder sur cette histoire exceptionnelle et inédite à ce jour de l’histoire de Dieu dans l’art. Au fil des pages et des six grandes périodes que l’Auteur dégage dans l’histoire des perceptions successives de Dieu, la question centrale demeure toujours celle de la figuration du Dieu unique des monothéismes et plus spécialement du Dieu de la foi chrétienne, de ses divers modes, circonstances et conditions de possibilité, de ses normes et réglementations, de ses enjeux et implications. Bref, cette histoire iconique de Dieu nous permet donc de voir de manière suivie et aussi systématique que possible les diverses « venues » de Dieu dans l’imaginaire humain et dans l’espace pictural, et cherche ainsi à repérer et formuler les lois et les rythmes, la portée et les différents aspects de ces apparitions. « Il importe en effet au plus haut point, dit François Boespflug, aujourd’hui plus que jamais, que les Européens prennent conscience d’un fait majeur qu’ils n’ont que trop tendance à traiter par prétérition, comme quantité négligeable : le christianisme latin est le seul des trois monothéismes qui ait toléré, puis accepté, légitimé, suscité et pratiqué une formidable galerie de « portraits » du Dieu unique. Qui ait osé explorer son mystère intime, son secret. Qui y ait mis autant de talents que d’audace. [...] Mais le plus décisif, ajoute-t-il, est bien que cette figure picturale de Dieu léguée par l’histoire reflète, voire commande encore, la manière de vivre et de sentir, de regarder et d’agir, d’espérer, de se sentir coupable, de suivre un idéal, de croire et d’aimer de centaines de millions de personnes, croyantes ou non, mais très différentes sur ce point de centaines de millions d’autres » (p. 446). Cet ouvrage, qui est selon l’intention de l’Auteur un manuel d’iconologie unique en son genre et aussi complet que possible, nous fait donc faire l’exercice le plus salutaire qui soit, celui d’une prise de conscience hautement opportune pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. S’il a été écrit « par un croyant pour les croyants », il ne l’a pas été d’abord pour leur piété et leur édification, dit-il, mais en vue de « la capacité d’avenir » du regard nouveau que les hommes d’aujourd’hui recherchent tant. Il nous livre, de surcroît, « un savoir devenu utile, voire nécessaire, à la paix du monde ». Pour cette troisième édition, l’Auteur a ajouté une postface intitulée : L’avenir de Dieu dans l’art, une affaire à suivre, dans laquelle il tente une rapide évaluation de ce qui s’est passé au cours des dix dernières années. Le constat est tragique. Les deux exemples caricaturaux et provocateurs qu’il tire de couvertures de magazines culturels européens de grande audience constituent, dit-il, « les signaux d’une évolution récente de l’Europe occidentale dans le sens d’une totale liberté d’usage du signifiant Dieu » [...] Du jamais vu, du moins sous cette forme et en première page, témoignant un raidissement méprisant et agressif qui frappe de plein fouet et conjointement le concept de Dieu et ses signifiants visuels traditionnels » (p. 448). Les 2 000 notes érudites restent inchangées, de même que les résumés en tête de chaque chapitre, les cinq index (scripturaire, auteurs, artistes, lieux, iconologique) et le glossaire icono-théologique de 260 termes. La bibliographie générale et celle de l’auteur sont mises à jour.