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Denis Crepin, Les Frères prêcheurs et le catharisme albigeois. De Saint Dominique à Bernard Gui

Paris, Geuthner, 2017, 260 p.

Jean BOREL

L’histoire du catharisme et de sa violente répression constitue l’un de ces chapitres de l’histoire de l’Église qu’il n’est pas agréable de se remémorer. Et pourtant, il est absolument nécessaire de le faire pour mettre de l’ordre dans les fantasmes que la mémoire collective a cultivés à tort ou à raison, et que trop d’études se sont plu à relayer. Le but que s’est fixé Denis Crépin est double : revisiter minutieusement et avec de nouveaux questionnements les documents historiques qui sont à notre disposition, pour tenter de mieux comprendre, non pas tant l’histoire des faits inquisitoriaux eux-mêmes, que ce qui les a progressivement légitimés, ce qu’un François Jullien appelle en d’autres contextes les « transformations silencieuses », ces transitions qui commencent imperceptiblement et en arrivent un jour à faire tout basculer dans des comportements insensés. Comment, en effet, au tournant des XIIe et XIIIe siècles, alors que la papauté renforçait son pouvoir, la conception de la notion d’hérésie a-t-elle peu à peu évolué ? Comment cette notion d’hérésie, qui n’était considérée que comme une sorte d’aberration spirituelle, dont l’auteur devait être éloigné des fidèles, a-t-elle pu être assimilée, à travers la bulle Vergentes in senium d’Innocent III (25 mars 1199), à un crime de lèse-majesté ? Comment l’œuvre de pacification et de conversion par l’exemplarité d’une vie évangélique à laquelle s’était consacré Domingo de Guzman a-t-elle pu déboucher, à peine dix ans après sa mort, sur la création d’un appareil judiciaire et répressif aux membres de l’Ordre qu’il venait de fonder dans un tout autre but ? Comment, enfin, cet appareil s’est-il tout-aussi rapidement transformé de répressif en oppressif, élargissant à de nombreux pays de la chrétienté son champ d’action ? C’est à ces questions délicates et pertinentes que Denis Crépin s’attache à répondre de manière aussi précise et claire que possible au cours des premiers chapitres. Dans ce contexte, il est quand même stupéfiant de rappeler qu’en 1231, la constitution Excommunicamus, publiée par le pape Grégoire IX, prescrit la détention à vie pour les hérétiques repentis et la peine de mort pour ceux qui s’obstinent, confiant principalement le devoir d’inquisition aux Frères prêcheurs ! Dans une seconde partie de l’ouvrage, l’A. se concentre plus particulièrement à décrire la genèse et la hiérarchie de l’Église cathare d’Albi, l’implantation cathare sur le territoire albigeois après la croisade et l’action concertée contre elle de l’Inquisition. La traduction qu’il fait pour la première fois du récit-poème en vers qui a été fait de la conversion et du ralliement à l’Église catholique du dignitaire cathare Sicard de Lunel ou Sicard de Figueiras est très intéressante. En effet, ce texte « met en lumière la façon dont était pratiqué le ministère pastoral des Bons Hommes à l’époque de la clandestinité liée à l’Inquisition » (p. 175). En conclusion, l’A. propose l’idée qui nous semble juste que « le développement de la dissidence en Languedoc est plus le reflet d’un évangélisme radical basé sur l’imitation des Apôtres dans une vie de pauvreté et de chasteté que la construction d’une Église à la théologie dualiste dont l’origine serait à rechercher dans les Balkans. Les sources de ce qui fut appelé le catharisme sont endogènes et l’historiographie ne fournit aucun lien entre Albigeois et Bogomiles au XIIe siècle, si ce n’est le très controversé concile “cathare” de Saint-Félix-de-Caraman » (p. 215). L’A. a pris soin de donner une bonne bibliographie des Archives, Collections et études d’auteurs anciens et modernes consultées, et de dresser les index des noms de personnes, noms de lieux et auteurs cités en notes.