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Michel Fattal, Conversions et spiritualités dans l’Antiquité et au Moyen Âge

Paris, L’Harmattan, 2017, 251 p.

Jean BOREL

Cet ouvrage est le fruit d’un cours de philosophie de la culture que Michel Fattal a donné pendant cinq ans à l’Université de Grenoble Alpes. Il a pour objectif de mettre en perspective différentes expériences de conversions relatées ou décrites par des philosophies et des religions issues de milieux culturels et linguistiques divers, qui ont conduit à des formes de spiritualités originales. Après avoir explicité les deux conversions de « nature philosophique » de Platon et Plotin en montrant que, pour le premier, comme pour le second, la conversion renvoie essentiellement à un « changement d’orientation » que chacun fait « par-lui-même et sans l’aide de personne », et implique l’idée d’un retour de l’âme à l’Origine, l’A. aborde le thème de la conversion telle que la Bible l’envisage. La différence d’avec les deux précédentes est nette, dans la mesure où le retour à Dieu ne se comprend que « si l’on fait intervenir la notion de repentir et de regret que le verbe hébreu nâham niphal exprime et que le verbe grec metaneô traduit dans la LXX » (p. 49). Cette metanoia comme conversion et repentir, ajoute-t-il, demeure incompréhensible au regard des philosophes grecs, pour lesquels la conversion n’a rien à voir avec le repentir et le péché qui, à leurs yeux, relèvent davantage de la passion. Comment en effet demander une aide personnelle au Principe, conçu comme impassible et transcendant ? « La conversion philosophique est une “conversion à sens unique” qui va de l’homme vers le Principe, alors que la conversion biblique et religieuse est une “conversion réciproque” ou “à double sens”, puisque qu’elle peut aller aussi bien de l’homme à Dieu que de Dieu à l’homme » (ibid.) Le Nouveau Testament ne dit pas autre chose, tout en précisant que « la bonne conversion est une conversion au mystère du Christ » (p. 53). La conversion de Paul que l’A. aborde ensuite est l’illustration parfaite de cette différence. Si, en se convertissant, le philosophe platonicien ou plotinien s’appuie sur ses propres capacités intellectuelles et sur la pratique d’exercices intellectuels en vue de se tourner vers le Bien, chez Paul, c’est la lumière de la Vérité qui s’impose à lui à la manière d’un choc brutal et inattendu (cf. p. 62 sq.). Les deux chapitres consacrés aux conversions et aux expériences spirituelles d’Augustin marquent un tournant dans l’exposé, en ce sens que l’évêque d’Hippone s’est approprié aussi bien l’héritage platonicien qui envisage la philosophie comme conversion et amour de la sagesse, purification et transformation radicale du regard de l’âme, que l’héritage biblique et néotestamentaire qui reçoit la révélation du Christ, laquelle lui fait la grâce d’instaurer un dialogue interpersonnel. « Un tel dialogue est possible parce que le Dieu avec lequel il entretient une telle relation de réciprocité est un Dieu Amour soucieux de sa créature, et que le lieu d’habitation de ce Dieu Amour - Esprit n’est rien d’autre que ce qu’il y a de plus intérieur en l’homme et dans son âme, à savoir le cœur, lieu même de la foi » (p. 101). C’est ainsi que, par la pratique de ce dialogue, « la naissance de l’homme nouveau, tel qu’Augustin le vit, transfigure et transforme de fond en comble le “moi véritable” ou l’“homme véritable” plotinien » (p. 132). Si donc Plotin a pu fournir à Augustin le cadre conceptuel lui permettant de traduire en termes chrétiens et latins sa conversion progressive au Christ, et d’exprimer en termes philosophiques et religieux les expériences spirituelles multiples qu’il a pu vivre, l’A. démontre par la suite comment un Macaire le Grand, disciple d’Antoine et maître d’Evagre, va à son tour « transposer en termes bibliques et spirituels les notions empruntées au platonisme et à Plotin, au stoïcisme et à l’épicurisme » (p. 158) dans le but de pratiquer l’hésychia, la garde du cœur et la prière perpétuelle comme exercice d’une conversion quotidienne. L’examen du thème de la conversion chez Al-Farâbî et Al-Gazzâlî constitue la matière des deux derniers chapitres, dans lesquels l’A. peut rapprocher de manière intéressante l’exposé de leur expérience mystique avec celui que Plotin fait dans les Ennéades, par le fait que, pour eux, « le “sachant” et le “su” se trouvent identifiés, que le sujet “pensant” et l’objet “pensé” ne font plus qu’un et sont identiques » (p. 177). En conclusion, l’A. s’attache à dégager quelques constantes ou invariants d’une syntaxe et d’un lexique commun qui encadrent et structurent ces lectures spécifiques et particulières de la conversion et des expériences spirituelles. Constantes ou invariants « qui nous renseignent sur l’être intérieur du philosophe, de l’apôtre, de l’évêque, du moine ou du soufi caractérisé par un certain dynamisme, et surtout par une quête profonde d’unité » (p. 241).