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Paul Valéry, Œuvres 1 / Paul Valéry, Œuvres 2 / Paul Valéry, Œuvres 3

Édition, présentation et notes de Michel Jarrety, Paris, Pochothèque / Le Livre de Poche, 2016, 1 822 p. / Édition, présentation et notes de Michel Jarrety, Paris, Pochothèque / Le Livre de Poche, 2016, 1 104 p. / Édition, présentation et notes de Michel Jarrety, Paris, Pochothèque / Le Livre de Poche, 2016, 1 508 p.

Jean BOREL

S’il est une œuvre poétique et littéraire à laquelle le temps ne cesse de donner plus de grandeur, c’est bien celle de Paul Valéry. Le souffle nouveau que lui donne aujourd’hui sa publication en pochothèque consacre une fois de plus le Poète parmi les étoiles fixes de son siècle. Et ceci, pour la réussite d’une double ambition. La première est d’avoir voulu fonder l’exercice de la littérature sur la plus grande lucidité et la maîtrise des propriétés du langage. La seconde est d’avoir su créer une œuvre où la musique, l’architecture et la poésie puissent tisser entre elles des relations particulières de proximité par le pouvoir qui est le leur d’instituer l’autonomie d’un monde. Comme le dit Michel Jarrety dans la préface au premier volume : « La fonction du poète n’est donc pas, aux yeux de Valéry, de dire le monde si peu que ce soit, pas même seulement de l’évoquer, mais au contraire de le révoquer comme tel afin de créer un autre monde. [...] car « Chanter, écrit-il dans une note de 1931, c’est instituer un monde » (p. 10 s), un monde que le lecteur puisse habiter par la vertu d’un pur ravissement. Le principe de cette nouvelle édition est chronologique. Michel Jarrety a distingué cinq époques, soit cinq sections à l’intérieur desquelles figurent d’abord les œuvres publiées par Valéry, puis, en annexe de chaque section, un nombre important de « Textes complémentaires ». Il ne s’agit donc pas ici des « œuvres complètes », dit-il, tant sont nombreux les petits textes – en particulier des préfaces – qui n’ont jamais été repris et n’offrent qu’un intérêt mineur, mais les œuvres dont les lecteurs ont, depuis plus d’un demi-siècle, disposé grâce à la Bibliothèque de la Pléiade (p. 33). Seuls quelques textes publiés dans Vues, en 1948, ont été ajoutés, ainsi que l’Alphabet posthume publié en poche en 1999.

Le premier volume nous engage à la relecture des Poèmes de jeunesse publiés entre 1889 et 1916 (Section 1). Lorsque Gide lui demande de les réunir, Valéry y ajoute alors, dans un élan créateur nouveau, La jeune Parque, l’Album de vers anciens, avec Eupalinos ou l’architecte et L’âme et la danse, puis Charmes et Variété I (1917-1925) (Section 2). Chacun de ces écrits témoigne à sa manière qu’une œuvre majeure est en train de se construire. La gloire naissante de Valéry lui vaut alors de nombreuses commandes, études ou conférences d’où naîtront Monsieur Teste, Variété II, Pièces sur l’art et Regards sur le monde actuel (1926-1931) (Section 3). A ces premières commandes, d’autres ne tardent pas à suivre. De plus en plus sollicité, Valéry multiplie conférences et discours officiels, qu’il rassemblera entre 1932-1938 (Section 4) dans Variétés III et IV. Avec Degas Danse Dessin et de passionnants textes complémentaires sur les écrivains et la littérature française, le second volume fait découvrir l’art de la maturité du Poète, la richesse de ses réflexions novatrices et ce qu’il met dans le terme « Poétique » qu’il choisit pour la chaire du Collège de France qu’il occupe depuis 1937. Le troisième volume, enfin, réunit les œuvres rédigées et publiées de 1939 à sa mort, en 1945 (Section 5). Valéry poursuit avec une discipline quotidienne régulière ses fameux Cahiers, et il en extrait des fragments plus ou moins remaniés pour de nouveaux recueils comme Mélange, Tel Quel I et II, Mauvaises pensées et autres et Variété V. Mais la grande œuvre de ces années est sans conteste Mon Faust. C’est dans cette pièce de théâtre commencée en 1940 que Valéry pose de graves et profondes questions, dit Michel Jarrety : « En deçà de la grâce brillante des dialogues, ce qui importe en réalité est beaucoup plus sombre, car la pièce trouve son origine et son sens dans l’essentielle lassitude qu’exprime Faust quand il dit dès le départ à Mephisto : “Vivre, comme je fais, une seconde vie, dans laquelle toutes choses étant presque les mêmes, aucune n’a les mêmes effets sur l’esprit, ni les êtres, ni le soleil, ni les mots qui me viennent, c’est une sensation extraordinaire que me produit l’absence de sentiment nouveau“ » (p. 978). Cette détestation pour la répétition rappelle et scelle ce que Valéry avait écrit en 1939 : « Je suis né, à vingt ans, exaspéré par la répétition, – c’est-à-dire contre la vie. [...] L’amour me paraissait redites ; tout le “sentiment”, “enregistré” depuis des siècles ». Les textes complémentaires ajoutés à ce troisième tome des Œuvres abordent tour à tour les pensées de Bergson, Rilke, Léonard de Vinci, La Fontaine, Nerval, Mallarmé et ses « vues sur la science » et, enfin, ce qu’il nomme invariablement « sa poétique ». L’intérêt de cette nouvelle édition se trouve aussi dans la qualité de toutes les introductions et notices, aussi précises que possible sur les plans historique, biographique et littéraire, que Michel Jarrety, spécialiste mondialement reconnu de la pensée du Poète, a rédigées pour faciliter la compréhension des lecteurs. Une chronologie et une bibliographie très complètes, un index des noms propres et des titres font de cette édition une référence désormais incontournable pour les futures recherches valéryennes.