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De quelques figures du silence dans l’œuvre de Platon

David LÉVYSTONE

Facultad de Filosofía, Universidad Panamericana

« Apollon, retiens encore un peu le navire ; laisse le festival à Délos se dérouler lentement. J’ai des questions à poser à Socrate, sur le discours, le silence et le salut. »

Libanios, Declamationes II, 38.

Selon toute apparence, Socrate n’est pas un homme de silence. La nature qui se tait – « les champs et les arbres ne veulent rien [lui] apprendre » – ne l’intéresse guère et son attention ne s’éveille qu’aux voix des hommes de la cité1. Si, d’aventure, comme dans le Phèdre, il se risque hors de la ville, c’est uniquement parce qu’il ne peut résister à l’« appât » du discours que son jeune ami, Phèdre, cache sous son manteau2. Cet écrit, lui-même « mort » et « muet », n’est d’ailleurs pas destiné à une lecture solitaire et silencieuse : il ne vaut que dans la mesure où il sera prononcé à haute voix, entendu et débattu. Socrate discute sans cesse, avec tous, et de toute chose3 ; il craint même, à l’occasion, « d’incommoder [son interlocuteur] par le plaisir qu’il prend à causer »4. Il est, enfin et surtout, ce martyr de la parole, celui que la tyrannie des Trente, comme la démocratie restaurée, ont voulu faire taire5.

Pour autant, la parole socratique n’est ni un incessant et frivole bavardage, ni l’incantation du discours sophistique6. Elle est discontinue, interrompue, et se présente comme un « discours bref »7, qui implique donc le silence. Le philosophe doit aussi savoir se taire, et si la vérité peut être approchée par la médiation de la parole plutôt que par une méditation muette, elle ne se transmet pas simplement par le flux continu du verbe sophistique : quel dommage, ironise Socrate, que le savoir ne se verse pas ainsi d’une âme à l’autre, comme le vin de l’amphore à la coupe !8

C’est pourquoi le silence a une importance, ne serait-ce qu’implicite, dans l’œuvre de Platon – qui lui-même d’ailleurs toujours se tait et laisse à d’autres la parole9. Il n’y est pas seulement privation, au sens aristotélicien, de voix signifiante dans la nature, ou une violence, faite par le Souverain, à la parole philosophique. En opposition au nouveau modèle d’éducation fondé sur la rhétorique et mis en avant par les sophistes, le silence se manifeste dans les œuvres socratiques comme une valeur positive, qu’il convient de savoir préserver. Reliquat d’un idéal traditionnel, sans doute d’inspiration spartiate, il est d’abord l’attitude attendue chez les jeunes gens face à leurs aînés10. D’un point de vue socratique, le silence est ensuite et surtout la condition même d’un dialogue véritable, qu’il faut opposer et même imposer au babillage incessant des sophistes et de leurs disciples. Il y a, enfin, dans la mise en scène des dialogues de Platon, des silences « qui parlent », de la part des différents personnages et, en premier lieu, de Socrate lui-même. Le philosophe est en retard au banquet d’Agathon, arrêté dans la rue par une méditation silencieuse11 ; il entre parfois, au cours d’une discussion, dans de longs silences12 ; il lui arrive même de rester debout, immobile et muet, pendant vingt-quatre heures13 ; en d’autres occasions, son daimon lui interdit la parole. Et on relève, chez les divers interlocuteurs du philosophe, des silences variés de pensée, de pudeur, de refus, de mépris ou de colère, momentanés ou définitifs, mais souvent éloquents.

Ces figures variées du silence, qui autorise, loin du vacarme des discours des sophistes, ou au contraire conteste, comme une fin de non-recevoir, le déploiement de la pensée de Socrate, constituent cette dernière dans l’œuvre de ses disciples au même titre que la parole qu’ils lui prêtent. Peut-être même annoncent-elles déjà la figure la plus élevée du silence, celui d’un au-delà de l’être, l’Un.

1. Silence et écoute

« Et l’on dit que si la nature a donné à chacun de nous deux oreilles mais une seule langue, c’est parce que notre devoir est de moins parler qu’écouter. »14

Plutarque, Comment écouter 3, 39b.

Dans les Nuées, Aristophane oppose le « caquetage » incessant des jeunes gens formés à l’école des nouveaux maîtres de rhétorique à l’attitude de ceux éduqués selon un idéal traditionnel et qui « ne débitent pas sur l’Agora des bavardages épineux sans queue ni tête comme ceux de maintenant »15. Les élèves des sophistes sont de beaux-parleurs – c’est même là la première promesse de l’enseignement qu’ils leur payent : former à l’art du bien-dire. Les « intellectuels » hostiles aux sophistes, et le plus souvent à la démocratie, font valoir une aspiration toute autre, plus ancienne : les jeunes gens doivent surtout garder le silence. On aurait tort de sous-estimer cet idéal, profondément ancré dans la culture classique. Thrasymaque lui-même, qu’Aristote considère comme le plus important contributeur à l’art de la rhétorique depuis son fondateur (Tisias)16, fait mine, pour mieux séduire la foule à laquelle il s’adresse et s’excuser à l’avance de son discours, de regretter « cette ancienne époque, quand les jeunes gens gardaient le silence »17. Plutarque, bien plus tard, pourra affirmer tout à la fois comme une évidence et comme un précepte moral que « les enfants qui reçoivent une éducation vraiment noble et royale apprennent d’abord à se taire et seulement ensuite à parler »18.

Chez les disciples de Socrate, cet idéal de réserve est explicite et trouve, sans doute, son origine dans leur admiration du laconisme spartiate19, mais aussi dans la règle du silence chère aux pythagoriciens20. On le voit poindre dans différents textes. Le Miltiade d’Éschine de Sphettos est, à cet égard, significatif et l’attitude de Miltiade, un jeune homme éduqué selon l’idéal spartiate des milieux aristocratiques athéniens21, y est ainsi expliquée : « Puisqu’il allait devenir un jeune homme, il pensa qu’il est beau de se taire et garda le silence plus que les statues d’airain »22. C’est une semblable réserve qui séduit le Socrate de Platon chez le jeune Charmide qui « rougit », « hésite à répondre » et « en paraît encore plus beau, car la modestie est ce qui sied à son âge »23. Le jeune Socrate, enfin, se tait pour mieux écouter son aîné, l’étranger d’Élée24, et Platon espère, dans la République comme dans les Lois, instruire les jeunes gens à se taire devant les anciens25.

Cette pudeur, louable en elle-même, n’est certes pas absolue et n’exige pas d’être muet, mais avant tout à l’écoute, écoute à laquelle l’incessant bavardage des disciples des sophistes ne laisse aucune place. Et si le silence paraît toujours l’attitude appropriée pour des jeunes hommes face à leurs aînés, il s’avère simplement, pour Socrate, nécessaire à la pratique du dialogue. On le perçoit en négatif, dans les descriptions imagées que Platon, comme Xénophon, fait du discours sophistique. La parole qui parle pour ne rien dire ne laisse aucun silence à entendre, et celle ininterrompue du long discours ignore même celui à qui elle s’adresse26 ; elle n’écoute pas plus qu’elle n’est écoutée ; elle perd son sens, si jamais elle en avait un, en séduisant les sens. Elle est l’incantation qui ensorcelle l’âme27, le charme qui l’enchante et la séduit28, le bercement ou la drogue qui l’endort29, et prolonge même son effet plusieurs jours durant avant de relâcher son emprise30. De la manière dont Platon la présente, la parole sophistique ne pratique pas le silence31 – « comme l’airain que l’on frappe résonne longtemps, jusqu’à ce qu’on arrête le son en y portant la main, ainsi nos orateurs, sur la plus petite question vous font un discours à perte de vue »32 –, au mieux s’éteint-elle lorsque son combustible, l’argent, lui manque33. Et l’on pourrait prolonger, sans la trahir, l’analogie pécuniaire du philosophe par les mots de Plutarque : le sophiste, « la conversation tombe-t-elle sur des matières où il peut s’instruire et apprendre ce qu’il ignore, la bouscule et la repousse, incapable qu’il est de lui payer, par son silence, même un léger tribut »34. Mais si la parole sophistique ignore le silence pour elle-même, elle s’emploie toujours à y astreindre son adversaire : Socrate, ironique, s’effraye ainsi qu’Agathon ne lui lance par son discours, tel une gorgone, « une tête de Gorgias qui [l]’allait pétrifier et [le] réduire au silence »35. Et c’est à un autre « croque-mitaine » populaire, le loup – dont on disait que le regard paralysait le corps comme la langue – que Socrate fait sans doute allusion après l’intervention de Thrasymaque : « L’écoutant, je fus frappé de stupeur [...] je crois même que si je ne l’avais regardé avant qu’il ne me regardât, je fusse devenu muet »36.

Le silence est la condition première de l’écoute, et par là-même du dialogue : il faut savoir se taire pour écouter ; le sophiste psalmodie sans cesse pour mieux envoûter. Le dialecticien de Platon, lui, sait « quand parler et quand se taire »37 ; le sophiste, tout comme l’écrit, l’ignore: il n’est jamais ouvert à l’écoute, il n’en est pas même capable, et ne peut répondre à des questions qu’il n’entend même pas38.

2. Figures du silence

« Et en vérité ce n’est pas tout de garder le silence, mais il faut voir aussi le genre de silence qu’on garde. »39

Samuel Beckett, L’innommable.

Au silence de celui qui est à l’écoute et en attente d’une parole à venir s’oppose le silence de celui qui refuse la discussion, et qui pour ainsi dire n’écoute même plus : celui, mis en scène par Platon, de Philèbe ou de Calliclès, ou celui des interlocuteurs anonymes de Socrate dont Xénophon nous dit qu’après avoir été réfutés par le philosophe, ils dédaignaient de lui adresser à nouveau la parole40.

Dès le début du dialogue qui porte son nom, Philèbe se retire de l’entretien et se mure dans un mutisme obstiné : il se tait, il ne répond plus à rien ni de rien, et ne se prête pas à l’examen de Socrate. Protarque et le philosophe parlent seuls. Le spectateur silencieux peut certes être à l’écoute : Prodicos, Callias, Hippias et les autres personnages du Protagoras, sont attentifs, parfois divertis et, peut-être même, éduqués par les paroles qu’échangent le vieux sophiste et le philosophe ; dans le Lachès, Lysimaque et Mélèsias ne sont présents que pour entendre les avis et conseils de leurs deux amis généraux, Nicias et Lachès, et de Socrate. Ils restent silencieux, écoutent et, au moment de se séparer, après l’aporie finale, ils désirent ardemment que se prolonge la conversation41. Philèbe, lui, paraît plutôt se désintéresser de ce qui se dit. Il sort du dialogue, et son silence n’est pas de celui qui écoute pour s’engager dans une recherche commune42.

« Parle tout seul ! », « finis sans moi !», en un mot « cause toujours ! », s’exclame Calliclès lorsque, malgré les demandes pressantes de Gorgias, et voyant déjà la défaite de ses thèses, il refuse finalement de se soumettre au questionnement socratique43. La colère violente et même excessive de Calliclès est exceptionnelle chez Platon ; elle convient au caractère du personnage. Mais d’autres, plus tempérés – le sage Protagoras lui-même44 – demandent explicitement, en des termes plus affables, à Socrate de « finir seul l’argument » quand ils se savent déjà réfutés. Au moment même où il faudrait parler, pour s’engager dans la recherche d’une vérité qu’il sait à présent ne pas connaître, le sophiste se tait. Il se refuse à ce premier pas, qui l’obligerait à rabaisser ses prétentions et à se départir de son orgueil de « savant » ; il ne trouve en aucun cas, comme Socrate, « plus de plaisir à être réfuté qu’à réfuter »45. L’impossible conversion philosophique du sophiste se manifeste ainsi jusque dans sa défaite silencieuse : il n’accède jamais à la parole véritable, celle du dialogue, et s’enferme dans un silence stérile, plutôt que d’admettre son ignorance.

La parole qui n’écoute pas, celle du monologue sophistique qui cherche à imposer son point de vue, sans souci de la vérité, se mue ainsi, lorsqu’elle est mise en échec, en un silence tout aussi sourd. Répondre à Socrate, lorsque tout est déjà perdu, ce serait admettre sa défaite, et donc son ignorance : mieux vaut donc couper court et ne plus même écouter. Chez Platon, les développements ininterrompus des sophistes, comme leurs silences, se rejoignent finalement dans une même incapacité d’écoute. Le silence y est alors une privation pure, un non-être de la parole, qui ne va pas de pair avec une puissance, une dunamis, d’écoute.

À cette fin de non-recevoir des sophistes à la parole véritable, s’oppose le dialogue où silence et discours se répondent, et où le premier n’est jamais que dans l’attente du second. Le silence n’est pas alors la négation de la parole, mais en est la condition même.

Socrate, en effet, paraît tout l’opposé de ces maîtres du discours ininterrompu : il laisse parler les autres, les questionne et attend patiemment leurs réponses. Souvent même les dialogues commencent après la prestation publique d’un sophiste ou d’un maître apparenté, à laquelle Socrate a assisté, ou qu’il a, se désole-t-il parfois, juste manquée, et qui fournit prétexte à la conversation qui s’engage46. Essentielle à la dramaturgie platonicienne, cette mise en scène révèle déjà l’antagonisme entre le discours d’apparat des sophistes et le silence du philosophe. Mais c’est dans le cours même du dialogue que s’opposent les deux méthodes : là où Hippias et Gorgias se flattaient de répondre à quiconque voudrait les interroger47, « Socrate posait des questions, mais n’y répondait pas ; car il admettait ne pas savoir »48.

L’ignorance socratique, c’est-à-dire la savante ignorance de celui qui sait qu’il ne sait pas, s’oppose d’abord à la prétention du sophiste, qui s’enorgueillit justement de répondre à toutes questions, sur tout sujet, et si possible au pied levé49. Socrate, lui, ne répond pas : il écoute et, surtout, se contente d’interroger. Tels que les présente Platon, ou même Aristote, le questionnement incessant de Socrate, et son habileté concomitante à éviter de donner lui-même une réponse franche et directe, ne sont que le signe de l’humilité du philosophe et de son désir de sagesse : Socrate est toujours à la recherche d’un maître qui pourrait lui enseigner quelque chose ; il prétend même ne pas connaître de plaisir plus grand que celui d’être lui-même réfuté, si d’aventure il avançait une thèse erronée50.

Pourtant cette ignorance (feinte ou réelle peu importe ici) est, aux yeux de certains de ses contradicteurs, au mieux une habileté rhétorique, au pire une lâcheté. Nicias, qui connaît déjà Socrate, ne s’y laisse pas prendre et se prépare, dès le début de l’entretien, à se soumettre – de bon gré – à l’examen du philosophe ; il avertit son ami Lysimaque : l’interlocuteur de Socrate « est forcé de se laisser sans répit tourner et retourner, par la façon dont Socrate mène la causerie ; au point qu’il en vienne à être lui-même l’objet dont il s’agit de rendre raison »51. Thrasymaque, lui, s’en offusque et moque « la célèbre ironie habituelle de Socrate »52 : le philosophe « se contente de poser des questions » et prend un malin plaisir à réfuter les autres – il « sait bien qu’il est plus facile de poser des questions que d’y répondre ». Le sophiste refuse de se prêter au jeu socratique : « Non. Réponds toi-même et dis-nous ce que tu affirmes être le juste »53. Un reproche similaire lui est adressé par Hippias dans les Mémorables de Xénophon54. Pour toute réponse, Socrate s’abrite à nouveau derrière son ignorance : comment répondre quand on affirme ne pas savoir ?55 Dans le Théétète, il admet même qu’il y a du vrai dans cette remarque qu’on lui fait souvent : de questionner les autres, sans jamais rien affirmer lui-même56.

Or, si Socrate se tait, ce n’est pas uniquement parce qu’il ne sait pas, mais parce que seuls ces silences intermittents autorisent la conversion philosophique de son interlocuteur. Ils constituent ainsi l’essence même de la pensée socratique ; ils autorisent le dialogue, mais plus que la conversation policée, la prise de conscience des insuffisances et contradictions de sa propre opinion, par celui qui, avant son entretien avec le philosophe, croyait savoir. Ils rendent possible, dans un second temps, l’enfantement d’un savoir propre à l’interlocuteur.

Parfois pourtant, Socrate ne questionne même pas et n’engage pas le dialogue. Or, chez Platon, ces grands silences ne sont pas de son fait : c’est son daimon qui, contre son inclination naturelle, l’empêche d’engager la conversation, des années durant, avec le jeune Alcibiade57, ou qui lui interdit de s’adresser à la foule, que pourtant il aurait aimé pouvoir convaincre58. Et « maintes fois, il (le daimon) lui [est] arrivé, lorsque je parlais, de m’arrêter au beau milieu de ce que j’étais en train de dire »59.

On sait que les prescriptions du daimon chez Platon, contrairement à celles que lui attribue Xénophon, sont essentiellement négatives ; on relève moins que cet interdit porte souvent sur le langage60. Cette suspension de la parole, d’origine divine, qui s’impose au philosophe est à bien des égards intrigante – Socrate lui-même s’en étonne parfois. Elle a donné lieu, dès l’Antiquité, à des interprétations variées et surprenantes. Ainsi, Proclus verra dans le silence de Socrate en face d’Alcibiade une image du silence divin :

Adresser la parole constitue, pour les hommes, la première prise de relation les uns avec les autres ; et le fait de ne pas même s’unir de cette façon avec l’objet de son soin provident démontre que Socrate est totalement transcendant et sans aucune relation avec l’inférieur. Par conséquent, il lui est présent tout en n’étant pas présent, il l’aime tout en étant sans relation avec lui61.

Mais l’explication du néo-platonicien, pour inspirée qu’elle soit, paraît bien éloignée des préoccupations ordinaires de Socrate. Chez Platon, le daimon semble plus simplement se manifester lorsque la parole socratique est, ou sera (le daimon, lui, le sait), impuissante. Dans le Théétète, il interdit ainsi à Socrate de renouer avec certains individus sur lesquels la maïeutique a été inefficace, ou qui, égarés par l’habitude de mauvaises fréquentations et une éducation délétère, après avoir trop tôt abandonné la compagnie du philosophe, sont à présent totalement incapables de tirer profit de sa conversation62. Dans le cas de la foule et d’Alcibiade, l’interdit est préventif – provisoire pour le jeune aristocrate mais irrévocable pour la multitude. Alcibiade, avant la scène d’introduction du Premier Alcibiade, n’était pas prêt ; la foule ne le sera jamais63. Ainsi, le signe divin assigne Socrate au silence dans l’espoir de favoriser une rencontre féconde, au moment opportun. Au kairos du discours de Gorgias et Protagoras64 répond d’ailleurs, dans le Phèdre, un kairos du silence du dialecticien-orateur qui sait à qui parler et à quel moment65. Le Socrate des premiers dialogues ne semble pas encore posséder pleinement cette « science »66 – dans l’Apologie il affirme même n’avoir jamais refusé à quiconque le désirait de s’entretenir avec lui67. Mais il est assisté d’un daimon dialecticien qui lui transmet, par intermittence, cette aptitude et lui indique « à qui » aussi bien que « quand » il lui faut parler ou se taire.

3. Parole et pensée

« L’âme, quand elle pense, ne fait autre chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant. »

Platon, Théétète 189e-190a.

L’interprétation par Proclus de l’attitude du philosophe face à Alcibiade en témoigne : le silence aura une place essentielle dans le platonisme tardif. On trouve ainsi dans les textes néo-platoniciens de véritables éloges du silence. Pour le sage, écrit Damascius, « ce qui importe le plus, assurément, c’est de faire silence (hêsuchia), en demeurant dans le sanctuaire ineffable de l’âme, sans en sortir »68. Plotin, lui, fera de l’hêsuchia une caractéristique même de l’intelligible69. Le silence de la pure contemplation devient alors la finalité même de l’activité philosophique :

En commençant par ce qui est complétement exprimable et facile à connaître par la sensation, nous remonterons vers ce monde-là, et, dans le silence (σιωπή) qui l’entoure, nous abriterons, comme dans un port, les gestations de la vérité70.

Plus prononcée, voire centrale, dans la mystique néo-platonicienne, cette pensée n’est pas entièrement étrangère à l’œuvre de Platon. Dans le Gorgias, l’âme, après la mort, afin d’être reconnue pour ce qu’elle est véritablement, est « nue », c’est-à-dire dépouillée de ses atours sensibles, jugée par des juges également « nus »71. C’est la vision – de la beauté, des richesses et des parures – qui semble d’emblée mise en cause, mais la justice platonicienne de l’Hadès n’est pas seulement, comme idéalement celle des hommes, aveugle ; elle doit aussi être sourde : les âmes, écrit Platon, sont privées pareillement de la parole et de l’ouïe72, susceptibles, pour l’une, de tromper et, pour l’autre, d’être trompée. La même équivalence entre la vision trompeuse et la mystification des mots parcourt le Phédon, où Platon oppose rigoureusement l’âme au corps : il faut, écrit-il, se défaire « des yeux et des oreilles », qui « empêchent d’atteindre la vérité et la sagesse » ; il convient donc de « purifier » son âme des discours proférés – on pourrait supposer, même si Platon ne l’affirme pas explicitement, des mots mêmes – afin d’user, « de la plus pure façon », « de la pensée, toute seule, par elle-même, sans mélange, pour entreprendre la chasse de chaque réalité, toute seule, par elle-même et sans mélange »73.

Le langage lui-même, en effet, relève du sensible et ne peut donc donner à entendre qu’une pâle imitation de l’Être – c’est-à-dire, en dernière analyse, quand il s’agit de juger en vérité une illusion et un mensonge. C’est pourquoi, dans un célèbre passage de la République, Platon affirme également que le dialecticien accompli naviguera dans les Idées, par les Idées, vers les Idées « sans recourir à rien absolument qui soit sensible »74. Il faut peut-être prendre ce texte à la lettre, comme l’ont fait les lointains disciples du philosophe : l’Être lui-même est au-delà du langage, ineffable, et face au Bien même, il convient de surveiller son langage, voire de « garder un silence respectueux »75.

Cette notion, plus platonicienne, peut-être même pythagoricienne, que socratique, ne s’entend néanmoins chez Platon que comme fin de la philosophie, voire de la vie mortelle, quand l’âme pure, détachée du corps, peut espérer accéder, directement, à l’Être même. Ce silence, ce calme parfait, que la philosophie tardive trouvera près de l’Un des néo-platoniciens ou, plus tard encore dans la tradition chrétienne, de sa source divine, n’est alors jamais privation de parole, mais plutôt un retrait, ou un retour de celle-ci dans son lieu originel76.

C’est sans doute aussi le sens des longs silences de Socrate dans l’œuvre de Platon : à l’approche de sa mort, dans le Phédon, mais aussi et surtout dans les deux grands silences qui bornent le Banquet77. Le récit élogieux, à la fin de ce dialogue, de la conduite de Socrate à la bataille de Potidée peint un portrait inattendu du philosophe, perdu dans ses pensées, immobile et muet pendant près de vingt-quatre heures. La brève évocation de ce silence méditatif fut l’objet de multiples interprétations – mystiques, ascétiques ou rationalistes78. Celles-ci ne sont pourtant mutuellement exclusives que pour qui veut les opposer, alors que le texte de Platon paraît, lui, volontairement équivoque. La présentation de l’activité spirituelle de Socrate dans ces moments de silence, use en effet de termes désignant la pensée, la raison discursive, plutôt que d’un lexique de vision ou de contemplation79 ; la description de la (non-)activité de son corps, ou plus exactement de son indifférence à ce qui est extérieur à cette pensée pure (Socrate est immobile80, indifferent au lieu81 et au temps82) pourrait, elle, témoigner d’une pratique plus religieuse. Il convient d’y voir, à tout le moins, un certain effort de détachement du sensible (comme dans le Phédon83), dans une immobilité et un silence complet en vue d’une recherche (mais non d’une vision) du Beau et du Bien.

N’en va-t-il pas de même lorsque Socrate, dans la République, appelle à se défaire des mots en faveur d’une pensée pure, mais ne rend compte de celle-ci que sur le modèle de la parole? L’idée, courante dans la tradition occidentale84, de concevoir la pensée comme un discours intérieur et silencieux apparaît, en effet, dès Platon. Cette thèse, que l’on ne trouve affirmée explicitement que dans des dialogues tardifs85, affirme l’identité du discours (logos) et de la pensée (dianoia), à ceci près que la pensée est le dialogue silencieux86 que l’âme entretient avec elle-même. La pensée est donc elle-même un logos, et même un dialogos de l’âme, un processus intérieur et silencieux de questions et réponses.

Platon ne précise pas le contenu ou les éléments constitutifs de ce discours de l’âme, comme le fera Aristote pour mieux fonder sa logique87 ; il n’explicite pas même les rapports de ce dernier à son expression orale. Le langage est simplement l’expression sonore d’une pensée silencieuse, une manière de « rendre manifeste sa propre pensée au moyen de la voix »88, c’est-à-dire de communiquer aux autres en « assujettissant à des paroles ce qu’il se disait à lui-même [...], de sorte que ce que nous appelions auparavant opinion (doxa) n’est-il pas alors devenu discours (logos) ? »89

Dans le Théétète, Socrate explicite la « parenté »90 entre pensée et langage mise en avant dans le Sophiste : parler, c’est « modeler sur le courant qui est émis par la bouche, une image du jugement, comme on le ferait sur un miroir ou sur de l’eau »91. Cette façon de considérer le langage est reprise et résumée par Théétète un peu plus loin, lorsqu’il le décrit comme « un eidolon (image) de la dianoia (pensée) dans la phônê (voix) »92. La notion d’eidolon est souvent dépréciative chez Platon : c’est le simulacre, le fantasme, l’image déformée et fantomatique de la réalité. Si elle devait être prise en cette acception dans ce passage du Théétète, l’expression vocale ne pourrait jamais être qu’un reflet imparfait d’une pensée toujours ineffable. Cette conception mimétique du langage sera d’ailleurs celle des néo-platoniciens Plotin et Proclus, qui verront dans le discours une imitation qui exprime, en l’appauvrissant, le discours de l’âme93 et, plus exactement, le fragmente : « le discours proféré morcelle une pensée une et simple et développe dans le temps les intellections unifiées de l’intellect. »94

Il n’est pas certain, toutefois, que cette lecture soit la bonne, tant Platon est allusif sur ce point – nonobstant que le mot lui-même soit mis dans la bouche de Théétète, et non de Socrate – et l’eidolon pourrait être neutre dans ce contexte particulier. D’autres textes, en effet, usent d’images similaires pour faire l’éloge du langage. Le Timée reprend ainsi la métaphore du « courant » lorsqu’il décrit la manière dont fut façonnée la tête humaine et comment fut « ménagée l’entrée en vue du nécessaire et la sortie en vue du meilleur (la bouche) » : « le flot des paroles, qui s’épanche au-dehors et se met au service de la pensée, est le plus beau et le meilleur de tous les épanchements »95.

4. Modération de la parole, tranquillité de l’âme et repos de l’être

« Et qu’il n’y ait pas en nous seulement tranquillité de l’opinion et de l’imagination, pas seulement l’apaisement des passions qui empêchent notre élan vers le haut pour atteindre le premier principe, mais que l’atmosphère soit paisible et tout le monde d’ici-bas en paix. »96

Proclus, Théologie platonicienne II, 11.

Si Platon conçoit la pensée sur le modèle du langage, comme une parole silencieuse, il n’y a néanmoins pas d’exacte correspondance entre les deux : toute absence de voix n’équivaut pas à une tranquillité de l’âme, et l’esprit peut être agité à l’égal du discours. Le silence, on l’a vu dans le cas des sophistes, n’est pas toujours le calme propice à la découverte du vrai ou de l’être. La véritable sérénité (hêsuchia) de l’âme, telle que la définit Platon, réduit au silence les désirs97 et fait taire les opinions contradictoires qui l’agitent pour trouver le repos « en se fixant dans la vérité »98.

C’est dans son conflit avec les passions que le dialogos de l’âme avec elle-même prend d’ailleurs son sens le plus littéral : il ne désigne pas simplement le mouvement de la pensée pure, c’est-à-dire de la partie rationnelle qui s’entretiendrait avec elle-même, mais aussi l’échange entre la raison et les autres éléments constitutifs de la psychê humaine. Car si le dialogue socratique, contrairement aux discours sophistiques, s’adresse à la raison, et non aux passions, Socrate sait aussi que si l’argument rationnel peut obtenir l’accord du logistikon, il ne peut pas toujours à lui seul faire entendre raison à l’âme dans son ensemble. Cette brèche dans l’intellectualisme socratique strict que semble parfois présenter Platon, s’exprime le mieux face à la peur de la mort, dans le Phédon : toutes les bonnes raisons du monde de ne pas craindre peuvent être présentes à l’esprit, cela ne suffit pas toujours, affirme Cébès. Toutefois, pour Socrate, ce n’est pas le rôle du philosophe, mais bien celui de chacun de « convaincre l’enfant qui est en lui de ne pas avoir peur de la mort comme du croque-mitaine... »99. Ainsi, tout silence n’est pas l’assurance d’une tranquillité de l’âme, et celui qui se tait peut tout aussi bien être en proie à une dispute intérieure tumultueuse.

Le sommeil, qui devrait être par excellence le moment même du silence, met pleinement en lumière cette ambiguïté. Dans la longue digression que Platon consacre au rêve au neuvième livre de la République, le temps onirique se présente sous deux modalités contradictoires : sous l’emprise de la partie désirante, il est un déchaînement des passions les plus sauvages de l’homme100 ; après divers exercices de purification, il devient, au contraire, un moment de repos et de tranquillité véritable101. Dans ce dernier cas, s’ouvre la possibilité d’un songe véridique qui pourrait s’apparenter à la pratique dialogique : on échappe en fermant les paupières à la multiplicité du sensible, comme on échappe dans le silence (ou le dialogue) au brouhaha du monde et des sophistes. Le silence de l’écoute et la tranquillité du sommeil ont sans doute, en effet, quelque chose de commun car, à la brachulogia (discours bref) du dialogue102 répond, dans le Timée, le sommeil brachuoneiros (au songe bref) du sage103. Là seulement, se manifestent les visions divines par lesquels le sage peut, comme dans la République, espérer être « au plus haut degré, en contact avec la vérité »104.

Platon établit donc un lien explicite entre être, pensée et langage. On le perçoit particulièrement dans un paragraphe du Théétète où il oppose le calme de l’âme, la pondération du discours dans le dialogue et les thèses en faveur du repos de l’être à l’agitation de l’âme et l’exubérance de la parole qui caractérisent les partisans du mouvement incessant du devenir – héraclitéens et protagoréens. Leur conception de l’être et du devenir va de pair avec leur fébrilité permanente et leur interdit même d’accéder à la méthode de questions et réponses :

Le fait est, Socrate, que de ces théories héraclitéennes, ou, comme tu dis, homériques et d’une antiquité plus reculée encore, il n’est pas plus possible de s’entretenir (διαλεχθῆναι) du tout avec les gens d’Éphèse en personne, eux qui tous font profession d’être au courant, que si c’était avec des furieux (οἰστρῶσιν) : c’est que, se conformant à la doctrine de leurs traités, ils sont, bel et bien, eux-mêmes en mouvement : s’en tenir au sujet et à la question qui leur est posée (ἐπιμεῖναι ἐπὶ λόγῳ καὶ ἐρωτήματι), attendre calmement (ἡσυχίως) leur tour de répondre aussi bien que de questionner (ἀποκρίνασθαι καὶ ἐρέσθαι), cela leur est au contraire, moins que rien, étranger ; bien mieux, si incapables de calme qu’ils soient au fond, le total néant de calme (ἡσυχίας) surpasse même encore le rien du tout chez ces gaillards-là ! Si pourtant on leur pose une question, alors, tirant comme d’un carquois quelques petites phrases énigmatiques, ils les décochent au questionneur ; et, si celui-ci cherche à en obtenir l’explication, à savoir ce qu’elles voulaient dire, le voilà frappé par une autre petite phrase dont toute la nouveauté consiste en un changement de mots ! Jamais, discutant avec aucun d’eux, tu ne viendras à bout de rien, pas plus d’ailleurs qu’eux-mêmes discutant les uns avec les autres. Mais ils veillent au contraire avec un soin extrême à ne permettre à rien d’être stable (στάσιμον), ni à leur langage, ni dans leurs propres âmes (μήτ᾽ ἐν λόγῳ μήτ᾽ ἐν ταῖς αὑτῶν ψυχαῖς)105.

Ainsi, si l’incessant caquetage des sophistes paraît d’abord être le paravent de leur ignorance, ou encore un instrument de domination des foules, il est en réalité, pour Platon, le reflet bien involontaire de l’instabilité de leurs opinions, du trouble de leur âme et, en dernière analyse, de leur conception fallacieuse de l’être même. Échapper par le dialogue aux flots des paroles, c’est donc déjà d’une certaine façon s’extraire du flux du devenir.

Loin d’être de simples artifices rhétoriques (des personnages) ou stylistiques (de Platon), les silences variés qui rythment les discussions de Socrate et les écrits de Platon expriment, tout autant que les paroles qu’ils prolongent ou devancent, la vie intérieure où ils trouvent leur source. Discours et silence, dévoilent non seulement la pensée – ou la disposition de l’âme – qui les sous-tend, mais encore le repos de l’être ou le tumulte du devenir qui préside à leur formation. Car, si la parole philosophique de Socrate offre l’espoir d’une « âme fixée dans la vérité », comme il l’affirme dans le Protagoras106, elle ne saurait naître que d’une âme déjà tourné vers la vérité. Elle s’adosse ainsi à un être toujours présent, toujours présupposé, même s’il n’est jamais atteint ou exprimé.

Il est improbable, en effet, que le silence soit déjà chez Platon, comme le penseront ses lointains disciples, les néoplatoniciens, et comme lui-même le laisse poindre dans certains textes, la fin de l’activité philosophique, dans la contemplation d’un Être qui serait au-delà de la corruption du sensible et du langage même. Car la vision du Bien, quand bien même elle pourrait être atteinte107, ne conclut pas la vie du philosophe : celui qui, dans la République, s’y élève, doit, malgré tout, redescendre dans la caverne108. C’est de la même façon que, dans l’Apologie, « le dieu a attaché » Socrate « à la cité »109 : sa mission de philosopher ne saurait être un exercice solitaire et muet.

Dans cette perspective, l’oralité, la parole vivante et proférée, reste l’outil premier de la philosophie. Mais si la langue veut jouer son rôle dans le procès de découverte du vrai, il lui faut déjouer les pièges de l’éloquence incontinente des sophistes et les traits d’autres partisans du devenir. C’est pourquoi, comme l’écrivait Plutarque, ou peut-être déjà Euripide qu’il cite alors et dont on disait justement que certaines pièces étaient « bricolées à la Socrate »110, il faut la retenir par le « frein » du silence, car « avoir une bouche sans clef ni porte, qui laisse échapper comme les bouches du Pont un flux perpétuel, c’est paraître estimer sa parole sans aucune valeur »111.

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1Platon, Phèdre 230d. Les traductions de Platon sont celles de Léon Robin, Paris, Gallimard (Pléiade), 1950.

2Ibid., 228d ; 230d-e.

3Politiciens, artisans, poètes (Platon, Apologie 21b-22e), citoyens et étrangers (23b), jeunes et vieux (30a). Cf. aussi Xénophon, Mémorables I, 1, 10 ; 2, 37 ; 2, 60 ; III, 10, 14 ; IV, 2, 22 ; 4, 5 ; Platon, Apologie 33a-b, Lachès 200d, Théétète 150e-151b, Gorgias 490e-91a, Banquet 221e etc.

4Platon, Théétète 146a.

5Pour la démocratie, cf. Platon, Apologie 37e, au moment de son procès : « Mais peut-être y aura-t-il quelqu’un pour dire : Ne te sera-t-il donc pas possible, Socrate, une fois exilé, de vivre en gardant le silence et en te tenant tranquille ? » (σιγῶν δὲ καὶ ἡσυχίαν ἄγων) ; pour la tyrannie des Trente, cf. Xénophon, Mémorables I, 2, 31 : une loi pour interdire d’enseigner l’art des mots (ἐν τοῖς νόμοις ἔγραψε λόγων τέχνην μὴ διδάσκειν) et 33 : pour lui interdire de parler aux jeunes gens (τὸν Σωκράτην τόν τε νόμον ἐδεικνύτην αὐτῷ καὶ τοῖς νέοις ἀπειπέτην μὴ διαλέγεσθαι).

6Dans ce texte, les termes « parole sophistique » ou même « sophistes » ne désignent rien d’autre que ce que Platon – parfois Xénophon – présente comme tel et ne prétendent aucunement s’appliquer à la sophistique « historique ». Sur la parenté du discours sophistique « réel » et de la méthode socratique, cf. par exemple George B. Kerferd, Le mouvement sophistique, trad. Alonso Tordesillas et Didier Bigou, Paris, Vrin, 1999, p. 74 sq.

7Sur la brachylogie socratique, cf. le chapitre d’Eugène Dupréel, La légende socratique et les sources de Platon, Bruxelle, Éditions Robert Sand, 1922, ch. 2 : κατὰ βραχὺ λόγος.

8Platon, Banquet 175d.

9En laissant, bien entendu, de côté les Lettres, et particulièrement la Lettre VII.

10Et, en général, attendue pour les femmes : Sophocle, Ajax 293.

11Platon, Banquet 174d-175b.

12Phédon 84b-c ; 95e.

13Banquet 220c-d.

14Trad. (légérement modifiée) Robert Klaerr, André Philippon et Jean Sirinelli, Plutarque. œuvres morales, t. I/2, Paris, Les Belles Lettres, 1989.

15Aristophane, Nuées 1002, cf. 961-1023 (trad. Hilaire Van Daele, Paris, Les Belles Lettres, 1923, légèrement modifiée). Cf. Isocrate, Aréopagitique 48-49. À mettre en parallèle avec les pratiques spartiates : Hérodote II, 80.

1685 A2 Diels-Kranz.

1785 B1 Diels-Kranz. Cf. Ps.-Démosthène, Eroticos 21.

18Du bavardage 9, 506c (trad. Jean Dumortier, Plutarque. Œuvres Morales, t. VII/1, Paris, Les Belles Lettres, 1975).

19Louée par Platon (Protagoras 343b, Lois I, 641e), célébrée par Plutarque dans ses Apophtegmes des Lacédémoniens, la préférence spartiate pour la concision du langage se manifeste dès l’Iliade avec Ménélas (III, 214 ; παῦρα μὲν ἀλλὰ μάλα λιγέως). Sur la valorisation du silence à Sparte : Ephraim David « Sparta’s kosmos of Silence », in Stephen Hodkinson et Anton Powell (éds.), Sparta: New Perspectives, Swansea, Classical Press of Wales, 1999, p. 117-146.

20Isocrate, Busiris 29 (= 14.4 DIELS-Kranz) ; Diogène Laërce VII, 18 ; Porphyre, Vie de Pythagore, 19 ; Aulu-Gelle, Nuits attiques I, 9, 3-5 (trad. René Marache, Paris, Les Belles Lettres, 1967) : « Alors celui qui avait été examiné par lui et reconnu apte, il [...] lui imposait le silence un temps déterminé, pas le même à tous, mais à chacun selon le jugement porté sur sa capacité à progresser. Celui qui était au silence écoutait ce que disaient les autres, et il ne lui était permis, ni de poser des questions, s’il n’avait pas bien compris, ni de noter ce qu’il avait entendu. Personne ne garda le silence moins de deux ans. [...] Mais lorsqu’ils avaient appris les deux choses les plus difficiles de toutes, se taire et écouter, et qu’ils avaient commencé leur instruction par le silence... » Cf. Armand Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne, Paris, Champion, 1915, p. 116-117.

21Les liens de Socrate avec l’aristocratie athénienne sont confirmés par Platon lui-même : Apologie 23c.

22Giannantoni (Socratis et Socraticorum Reliquae) VIA 77 = fr. 37 Dittmar, cité et traduit par Gilbert Romeyer Dherbey dans sa préface à Mario Untersteiner Les Sophistes, Paris, Vrin, 1993, t. 1, p. iv.

23Platon, Charmide 159b et 158c.

24Sur le choix de Platon de réduire Socrate au silence dans les dialogues tardifs, dont il est absent ou quasi-absent, cf. Trent Eades « Plato, Rhetoric and Silence », Philosophy and Rhetoric 29/3 (1996), p. 244-258.

25Platon, République IV, 425b : σιγάς τε τῶν νεωτέρων παρὰ πρεσβυτέροις ἃς πρέπει, cf. VIII, 563a-b et Lois IX, 879b-c sur le respect dû aux anciens.

26C’est une des critiques du Phèdre : 275e.

27Platon, Ménexène 235a (γοητεύουσιν τὰς ψυχάς) ; cf. Xénophon, Mémorables II, 6, 12-13 (ἐπῳδή) ; Gorgias lui-même (Éloge d’Hélène 10) décrit l’art du discours comme une « incantation inspirée » (ἔνθεοι διὰ λόγων ἐπῳδαὶ), un art « de sorcellerie et de magie » (γοητείας καὶ μαγείας).

28Protagoras 315a-b : κηλῶν τῇ φωνῇ ὥσπερ Ὀρφεύς, οἱ δὲ κατὰ τὴν φωνὴν ἕπονται κεκηλημένοι...

29Ménon 81a : γοητεύεις με καὶ φαρμάττεις καὶ ἀτεχνῶς κατεπᾴδεις ; Banquet 194a : φαρμάττειν βούλει με ; voir Gorgias lui-même (Éloge d’Hélène 14) : ἐφαρμάκευσαν καὶ ἐξεγοήτευσαν.

30Protagoras 328d : πολὺν χρόνον κεκηλημένος. Platon définit parfois explicitement les sophistes comme des « magiciens » : Politique 291c (γόης) et 303b-c (μιμητής, γόης), cfSophiste 268c-d.

31En cela, la parole sophistique s’inscrit aussi, pour Platon, dans le prolongement de l’agon rhétorique homérique, défini fort justement par Silvia Montiglio, « La menace du silence pour le héros de l’Iliade », Mètis 8/1-2 (1993), p. 186, comme : « la compétition entre les héros qui tâchent d’imposer leur voix. Une compétition que guette la menace continue, voire définitive, du silence ». Cf. ibid., p. 184 : « Tel est en effet le destin du silence, dans l’Iliade : perçu comme un manque, comme la suspension non souhaitée d’une parole qui se veut abondante, épaisse et sans trous, il est vite dépassé par d’autres paroles, par la vive voix d’un discours direct qui absorbe le silence dans ses résonances ».

32Platon, Protagoras 329a-b.

33Au contraire du philosophe qui parle « quand il faut » : « loin de parler quand on me paie, et de me taire quand on ne me donne rien » (Apologie 33b). Autre cause de silence du sophiste chez Platon : la peur (d’être accusé d’impiété) fait taire Thrasymaque en République I, 352b.

34Plutarque, Du bavardage 22, 514b-c.

35Platon, Banquet 198c.

36République I, 336d. Sur la croyance populaire sur le regard du loup, voir par exemple Pline, Histoire naturelle VIII, 34, Théocrite, Idylles XIV, 22 et Virgile, Bucoliques IX, 53-54.

37L’idée apparaît au moins à trois reprises dans le Phèdre : 272a, 275e, 276a.

38Phèdre 274d ; voir aussi Protagoras 329a : « Si, dis-je, on pose à l’un d’eux quelque question, alors, pareil à un livre, il n’est capable, ni de répondre, ni de questionner à son tour ».

39Paris, Éditions de Minuit, 1971, p. 37, cité par Jean-Louis Chrétien, « L’hospitalité du silence », in Id., L’arche de la parole, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 63.

40Xénophon, Mémorables IV, 2, 40.

41Platon, Lachès 201-202.

42Voir Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 69.

43À de multiples reprises : Gorgias, 505d, 506c, 507a, 515b-c, 519c-d etc. ; comparer Théétète 177b ; cf. Rod Jenks, « The Sounds of Silence: Rhetoric and Dialectic in the Refutation of Callicles in Plato’s Gorgias », Philosophy and Rhetoric 40/2 (2007), p. 201-215.

44Platon, Protagoras 360d : « Ce ne fut pas sans peine que, sur ce point, il signifia de la tête son assentiment [...]. Plus ne consentit-il cette fois à faire aucun signe d’approbation et il se tut : “Qu’y a-t-il donc, Protagoras, lui dis-je alors ; à la question que je te pose, tu ne réponds, ni par un oui, ni par un non ? – Achève tout seul ! dit-il”. » Voir aussi République I, 350d avec Thrasymaque.

45Gorgias 458a-b.

46Dans le Phèdre où Socrate se désole d’avoir raté le discours de Lysias ; dans l’Hippias mineur, alors qu’il vient d’assister à une leçon du sophiste d’Élis ; dans l’Ion, qui se déroule après la victoire du rhapsode à un concours ; dans le Lachès, où la conversation s’engage après la démonstration du maître d’arme Stésilaus ; dans le Lysis, après la présentation de Miccos ; dans le Gorgias, après une conférence du sophiste ; dans le Cratyle, où il intervient dans un débat entre les deux protagonistes ; dans le Protagoras, où il interrompt les cours des sophistes Protagoras, Prodicos et Hippias ; dans le Banquet enfin, qui se déroule après la représentation d’une pièce tragique à laquelle tous ont assisté.

47Platon, Hippias mineur 363c-d ; Gorgias 447c et Ménon 70b-c.

48Aristote, Réfutations sophistiques 183b7-8.

49Sur tout sujet : Platon, Hippias majeur 285b-286c ; improvisation : Gorgias, 82 A1a Diels-Kranz et l’ensemble du traité d’Alcidamas Sur les discours écrits ou sur les sophistes.

50Platon, Gorgias 458a-b. Socrate est parfois, bien que rarement, réfuté dans les dialogues : « avec plaisir », comme dans le Banquet, par Diotime (201e-202b), ou, de manière plus ambiguë (car Socrate semble lui-même faire usage d’un argument sophistique), par Protagoras lui-même dans le dialogue qui porte son nom (Protagoras 349d-351b).

51Lachès 187e-188a.

52République I, 337a.

53Ibid., 336c.

54Xénophon, Mémorables IV, 4, 9.

55Platon, République I, 337e.

56Théétète 150c.

57Alcibiade I 103a-104b.

58Apologie 31c-e.

59Ibid., 40b ; cfPhèdre 242b-c.

60Bien qu’à proprement parler, dans l’Apologie (31c-d), le daimon empêche Socrate de πράττειν (« faire » de la politique) et non de λέγειν (« dire »).

61Proclus, Sur le Premier Alcibiade de Platon, t. I, p. 46 (trad. Alain-Philippe Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 1985).

62Platon, Théétète 151a.

63Voir les réflexions du Gorgias 474a : « avec la foule, je ne converse même pas ! » ; cf. 464d ; 521e-522a.

64Gorgias, 82 A1a, A24 Diels-Kranz; Protagoras, 80A1 Diels-Kranz.

65Platon, Phèdre 272a : προσλαβόντι καιροὺς τοῦ πότε λεκτέον καὶ ἐπισχετέον.

66Ibid., 275e : ἐπίσταται λέγειν οἷς δεῖ γε καὶ μή ; 276a : ἐπιστήμων δὲ λέγειν τε καὶ σιγᾶν πρὸς οὓς δεῖ.

67Apologie 33b.

68Damascius, Traité des premiers principes, trad. Leendert Gerrit Westerink et Joseph Combès, Paris, Les Belles Lettres, 1986, t. I, p. 22, 14-15. L’ἡσυχία signifie d’abord la tranquillité, le calme ou la sérénité, mais se comprend aussi souvent, comme ici, dans le sens de « silence » (normalement exprimé par des termes comme σιγή ou σιωπή).

69Plotin, Ennéades V, 3, 49.

70Damascius, Traité des premiers principes, t. I, p. 27, 7-10 Westerink-Combès. Voir les commentaires de Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 94-96.

71Platon, Gorgias 523e.

72Ibid., 523c-d.

73Phédon 65e-66a.

74République VI, 511b-c.

75Ibid. VI, 509a : à propos du Bien, εὐφημεῖν : « prononcer des paroles de bon augure », d’où « éviter des paroles de mauvais augure », d’où « garder un silence religieux » ; cfBanquet 201e sur Éros, ou Protagoras 330d sur la piété. Sur ce silence respectueux face au Bien : William Desmond, « The Silence of Socrates: Dialectic and the Platonic Good », Milltown Studies 58 (2007), p. 73-99.

76Augustin, Confessions IX, 10.

77Platon, Banquet 174d-175b et 220c-d. Aristodème précise (ibid., 175b) : « C’est son habitude de parfois s’écarter ainsi et de rester en plan là où il se trouve », mais c’est la seule mention explicite de cette pratique et elle a sans doute à voir avec la construction et le sujet même du Banquet : la vision du beau, en effet, ne semble pas relever de la raison discursive (210e-211b), de même que la vision du Bien lui-même, dans la République (supra, n. 75), paraît transcender le savoir. Sur la construction du Banquet : Francisco J. Gonzalez, « Temps discontinu, souvenir et oubli : les stratégies narratives du Banquet », Revue de métaphysique et de morale 80 (2013), p. 477-489.

78On ne saurait mentionner ici les analyses, nombreuses et variées, du silence méditatif de Socrate dans la littérature moderne. Pour une étude détaillée de ce passage : cf. Davide Susanetti, « Silenzio, Socrate sta pensando », Lexis 7-8 (1991), p. 113-133.

79συννοεῖν, σκοπεῖν, φροντίζειν, ζητεῖν. De même dans le Phédon 95e : pour « débattre avec lui-même l’examen de quelque point » (πρὸς ἑαυτόν τι σκεψάμενος). On est donc loin, par exemple, de Plotin (Ennéades V, 3, 17) : « Il faut que la pensée discursive, quand elle exprime quelque chose, saisisse une chose puis une autre, puisque c’est ainsi qu’elle se déroule. – Mais dans ce qui est absolument simple, quel déroulement peut-il y avoir ? – En réalité, il suffit qu’il y ait un contact intellectuel (νοερῶς ἐφάψασθαι) ; et au moment du contact, ce qui touche n’a absolument ni la possibilité ni le temps de dire quelque chose » (trad. Francesco Fronterotta, Plotin. Traités 45-50, dir. Luc Brisson et Jean-François Pradeau, Paris, Flammarion, 2009).

80ἵστημι, qui apparaît cinq fois en 220c-d.

81175b : ὅποι ἂν τύχῃ.

82175c : οὐ πολὺν χρόνον ὡς εἰώθει διατρίψαντα ; 220d : μέχρι ἕως ἐγένετο καὶ ἥλιος ἀνέσχεν.

83On renverra au bel article de Nicole Loraux, « Donc Socrate est immortel », Le temps de la réflexion 3 (1982), p. 19-46.

84La tradition occidentale qui parle de « langage de la pensée » ou « discours intérieur » plutôt que de « raison interne » ou toute autre expression, remonte peut-être à la traduction latine du commentaire d’Ammonios sur le De interpretatione d’Aristote, traduction de Guillaume de Moerbeke, où logos endiathetos devient « oratio mentalis ». Cf. Gabriel Nuchelmans, Theories of the Proposition: Ancient and Medieval Conceptions of the Bearers of Truth and Falsity, Amsterdam/Londres, North-Holland, 1973, p. 128.

85Comme définition dans le Théétète 189e-190a : « une conversation que l’âme poursuit avec elle-même » (Λόγον ὃν αὐτὴ πρὸς αὑτὴν ἡ ψυχὴ διεξέρχεται) et, plus loin, « un entretien dans lequel elle se pose à elle-même des questions et se fait des réponses, soit qu’elle affirme, ou au contraire qu’elle nie » (διαλέγεσθαι αὐτὴ ἑαυτὴν ἐρωτῶσα καὶ ἀποκρινομένη, καὶ φάσκουσα καὶ οὐ φάσκουσα) ; dans le Sophiste 263e : « Pensée et discours, n’est-ce pas tout un, sauf que c’est à un entretien de l’âme avec elle-même, se produisant au-dedans de celle-ci sans le concours de la voix à cela, n’est-ce pas, que nous avons donné le nom de pensée ? » (οὐκοῦν διάνοια μὲν καὶ λόγος ταὐτόν· πλὴν ὁ μὲν ἐντὸς τῆς ψυχῆς πρὸς αὑτὴν διάλογος ἄνευ φωνῆς γιγνόμενος τοῦτ᾽ αὐτὸ ἡμῖν ἐπωνομάσθη, διάνοια;), cf. 264a-b ; ou implicitement comme dans le Philèbe 38c-d. On renverra à ce sujet à l’étude précise et complète de Curzio Chieza, dont nous reprenons ici certaines analyses : « Le problème du langage intérieur dans la philosophie antique de Platon à Porphyre », Histoire, Épistémologie, Langage 14/2 (1992), p. 15-30.

86Platon, Sophiste 264a : μετὰ σιγῆς ; 263e: ἄνευ φωνῆς ; Théétète 190a : οὐδὲ φωνῇ, ἀλλὰ σιγῇ. On trouvera chez Porphyre, comme définition de la pensée, l’oxymore suivant (De abstinentia III, 3) : λέγω δὴ διάνοιαν τὸ ἐν τῇ ψυχῇ κατὰ σιγὴν φωνούμενον : « J’appelle pensée ce qui résonne dans l’âme en silence. »

87La réponse à la question de savoir si le discours de l’âme fait usage de mots n’est pas claire. Mais il est manifeste que les éléments de la pensée ne sont pas les Idées mêmes : les éléments du langage comme de la pensée comportent, en effet, des sujets particuliers (Sophiste 263a : « Théétète est assis »), et il ne peut y avoir chez Platon de formes d’individus. Voir aussi Parménide (132b-c) : si les idées étaient les éléments du discours de l’âme, elles deviendraient des concepts sans contenu ni référence. Sur ces questions cf. Chieza, art. cit., p. 20-21.

88Platon, Théétète 206d.

89Philèbe 38e.

90Sophiste 264b : συγγενής.

91Théétète 206d. L’image de la source et du courant sera reprise dans la tradition platonicienne, plus particulièrement chez Philon, cfDe fuga et inventione, §§ 177-201.

92Théétète 208c.

93Plotin, Ennéades I, 2, 3 ; V, 1, 3.

94Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon III, 809 (trad. Concetta Luna et Alain Philippe Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 2010, t. III/2, p. 38).

95Platon, Timée 75e.

96Trad. Henri-Dominique Saffrey et Leendert Gerrit Westerink, Paris, Les Belles Lettres, 1974, t. II, p. 64.

97Platon, Gorgias 493e.

98Protagoras 356e.

99Phédon 77e-78a.

100Même si l’analyse du rêve au livre IX de la République apparaît comme une digression dans la description de l’homme tyrannique (qui est, « aux heures de veilles, semblable à ce qu’il est dans son sommeil » [République IX, 576b]), elle relève d’une psychologie toute générale (IX, 572b) : « Il existe en chacun de nous une espèce de désirs terribles (...) et il en est ainsi de même pour les quelques gens qui, parmi nous, sont tout à fait mesurés. La considération des rêves a rendu cela manifeste » ; cf. IX, 571c.

101République IX, 572a : l’hêsuchia, quand les parties irrationnelles sont apaisées, cf. Timée 45d-e : « La protection en effet que les dieux ont ménagée pour la vue, ce sont les paupières ; or, quand celles-ci se sont closes, elles tiennent renfermée l’action du feu intérieur, qui alors relâche et aplanit les mouvements internes ; une fois aplanis, le calme (hêsuchia) s’ensuit ».

102Supra, n. 7.

103Platon, Timée 45e-46a : « S’il [le calme du sommeil] va jusqu’au calme parfait, alors survient un sommeil aux songes brefs (brachuoneiros) ». Sur les rêves du Timée : Paul Vicaire, « Platon et la divination », Revue des études grecques 83 (1970), p. 333-350.

104République IX, 572a.

105Théétète 179e-180b. Voir aussi 153a-c (avec une variété de vocables : ἡσυχία, νηνεμία, γαλήνη) : pour les héraclitéens (selon Platon), calme et repos seraient cause du non-être et de la corruption (ὅτι τὸ μὲν εἶναι δοκοῦν καὶ τὸ γίγνεσθαι κίνησις παρέχει, τὸ δὲ μὴ εἶναι καὶ ἀπόλλυσθαι ἡσυχία). Dans le Timée (30a), ἡσυχία s’oppose au désordre du monde (κινούμενον πλημμελῶς καὶ ἀτάκτως) avant sa mise en ordre par le démiurge ; cfParménide 139b, 162e. Cependant, Charmide 160b : « La sagesse n’est pas une sorte de tranquillité » (οὐκ ἄρα ἡσυχιότης τις ἡ σωφροσύνη, je traduis) dans le cadre de la réfutation de Charmide.

106Protagoras 356e.

107Le Socrate des premiers dialogues, lui, ne sait pas et ne trouve jamais.

108Platon, République VII, 519d.

109Apologie 30e-31a.

110Diogène Laërce II, 18 ; voir la note 2, p. 226 de la traduction dirigée par M.-O. Goulet-Cazé (Paris, Le livre de poche, 1999).

111Plutarque, Du bavardage 3, 503c-d ; pour Euripide : Bacchantes 386.