Penser le beau dans un monde bouleversé1
On pourrait dire que le défi que présente le changement climatique est évident : nous savons tous que nous devons rapidement et drastiquement diminuer notre consommation d’énergie fossile. Y a-t-il quoi que ce soit à théoriser, ici ? L’évidence scientifique suffit. Je pourrais citer une longue liste de chiffres qui le prouvent, mais le plus significatif est le fait qu’aux yeux des scientifiques, nous sommes déjà à l’aube d’une nouvelle ère.
En août 2016, une commission d’experts a recommandé au Congrès géologique international de déclarer la fin de l’holocène et le début d’une nouvelle ère géologique : l’anthropocène2. Celle-ci est caractérisée par l’impact profond de l’activité humaine sur l’écosystème de la Terre. Or face aux conséquences de cette activité, on constate une inactivité frappante. Comme l’écrit le philosophe français Bruno Latour : « nous devrions avoir le sentiment d’avoir glissé d’une simple crise écologique à ce qu’il faudrait plutôt nommer une profonde mutation de notre rapport au monde. Et pourtant, ce n’est sûrement pas le cas. La preuve, c’est que nous recevons toutes ces nouvelles avec un calme étonnant... S’il s’agissait vraiment d’une mutation radicale, nous aurions tous été en train de modifier de fond en comble les bases notre existence. »3
Les sources de l’action – ou de l’inaction – humaine ne sont jamais sans nuances, sans complexité. Cela est d’autant plus vrai face à une telle mutation globale de notre rapport au monde. Ce bouleversement d’une magnitude sans précédent dans l’histoire humaine appelle l’action. Or cette action, les théories scientifiques ne suffisent pas à la provoquer4. C’est pourquoi nous avons besoin de repères humanistes. Toutes les disciplines de la connaissance humaine doivent alors joindre leurs efforts. Je ne prétends nullement ici apporter la perspective englobante ou définitive qui nous ferait défaut. Je désire seulement esquisser comment l’éthique théologique pourrait, de concert avec d’autres approches, apporter sa voix au débat, à travers des arguments qui paraîtront peut-être inattendus. Je commencerai par mettre en évidence certaines structures qui sous-tendent l’action éthique, avant de m’attarder sur un exemple de ressources théologiques. Mon point de départ sera la dimension esthétique de l’agir humain. Pourquoi ? Parce que nous sommes tous attirés par ce que nous trouvons beau. Cela concerne aussi bien la manière dont nous regardons le monde que notre regard sur nous-mêmes. Qu’entendons-nous par ces termes, « beauté » et « esthétique » ?
1. L’esthétique
L’esthétique est la réflexion sur ce que nous trouvons beau ou pas beau : ce qui nous attire, ce qui nous répugne. Elle inclut aussi la question de savoir comment on perçoit et on évalue ces objets d’attrait ou de répulsion.
Un philosophe contemporain, Alexander Nehamas, remarque que l’esthétique s’est progressivement renfermée sur une question spécifique : ce qui relève de l’art ou de la critique du goût5. Mais le sens que je voudrais donner ici à l’esthétique dépasse ce cadre limité. Je voudrais faire appel à un sens de l’esthétique plus large et plus ancien, qui donne une place centrale à la beauté dans la vie humaine. Platon ainsi qu’Augustin voyaient dans l’attrait de la beauté l’une des motivations les plus essentielles à l’action. Cette notion ancienne de la beauté ne concernait pas seulement la perception des objets sensibles et matériels du monde, mais également celle des objets intelligibles et spirituels. C’est un point très important par rapport au changement climatique, car le changement climatique dépasse notre perception sensible, et cela de deux manières au moins : spatiale et temporelle. Global, le changement climatique dépasse l’expérience directe que nous pouvons avoir de notre propre environnement. De même, il dépasse la perception des effets de nos actions dans le temps, puisque les changements entraînés par nos actions ne seront perceptibles que plus tard.
Mais revenons à cette dimension esthétique de l’agir avant de considérer sa pertinence pour l’écologie. Ce que nous trouvons beau influence ce que nous désirons. Lorsque nous pensons le beau, nous nous attachons à la fois au sensible et à l’intelligible, car, humains, nous sommes des créatures aussi bien de corps que d’esprit. Ainsi, notre désir se fixe non seulement sur des objets matériels, mais aussi sur ce qui a trait aux valeurs humaines, et donc également sur ce que nous désirons faire et être dans le monde. Ce que nous trouvons beau est donc au cœur de la formation de l’être, de ses valeurs, de ses désirs, de ses projets et du parcours de toute sa vie. On peut même dire que les normes éthiques ont nécessairement une qualité esthétique, car les valeurs qui donnent forme à la vie tirent leur force du fait qu’elles expriment ce que nous désirons.
Donnons-en un exemple tiré de la littérature ancienne. Dans La République de Platon, la première cité décrite par Socrate illustre une vie très simple, très modeste : rien qui dépasse le simple est nécessaire6. La cité se suffit à elle-même, sans maladie, sans guerre, sans pauvreté. Pourtant l’interlocuteur de Socrate, Glaucon, n’en veut pas. Voilà une cité de cochons, dit-il7. En d’autres mots, elle le répugne. Il ne ressent aucun attrait pour ce mode de vie frugal, qui est pourtant pour Socrate l’idéal de la justice. Glaucon voudrait du confort, des commodités, du luxe8. Cela ne devrait pas nous surprendre, car le texte nous a appris que, pour Glaucon, les humains sont tous attirés par l’argent, le sexe et le pouvoir9. Socrate consent alors à décrire la cité rêvée par Glaucon : une cité de luxe, avide de conquête des terres de ses voisins, dont les habitants cherchent à se grandir aux dépens des autres et souffrent de leurs propres excès. Socrate la voit comme une cité fiévreuse10.
Ce texte est plus pertinent que jamais. Premièrement, parce que le réchauffement climatique est, au sens propre, une fièvre. Cette fièvre climatique reflète la fièvre affective et politique qui l’a causée. Deuxièmement, parce que ce texte de Platon éclaire la manière dont les désirs et les valeurs de l’être humain déterminent les pratiques politiques et les modes de vie d’une société.
Pour déconstruire cette valorisation esthétique de l’excès et de l’égoïsme, Socrate n’a pas de meilleure réponse que de revenir au récit de l’histoire des dieux, faisant ainsi appel à la narration plutôt qu’à l’argumentation11. Comme si le registre de la spiritualité, du mythe ou de la poésie était le seul capable de nous aider à repenser nos désirs et nos valeurs. Le monde auquel nous aspirons est formé par nos représentations de ce qu’est la prospérité.
Un aspect de la réponse au défi du changement climatique suppose alors de revenir sur la manière dont nous nous représentons l’humanité – ses désirs, ses valeurs et ses aspirations. La discussion des aspects anthropologiques de la réponse à la crise écologique a été sapée par le célèbre article de Lynn White « The Historical Roots of Our Ecological Crisis » (1967), qui a profondément influencé le dialogue entre la religion et l’écologie12. L’article condamne l’anthropocentrisme : la survalorisation de l’humain. White impute à la cosmologie judéo-chrétienne l’anthropocentrisme qui nous aurait rendu indifférents à notre environnement. Beaucoup, surtout dans le contexte nord-américain, ont alors pensé qu’il fallait rétablir la valeur intrinsèque de la création en enlevant à l’humain sa place centrale. Ces efforts dirigés contre l’anthropocentrisme ont pourtant négligé d’expliciter leurs présupposés anthropologiques13. Dans le contexte anglo-saxon, ce n’est que récemment que l’on a cherché à combler ce vide en ayant recours à l’éthique des vertus14. Ce recentrage a un dessein anthropologique explicite. Il s’agit de changer de paradigme en changeant d’anthropologie, en cherchant une nouvelle représentation de l’humanité qui intègre l’humain à son environnement15.
Le recours à ce modèle de l’éthique des vertus devrait alors permettre de mieux penser le processus de formation et de développement des vertus. Si les vertus sont une manière de faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés à l’ère de l’anthropocène, nous devons nous intéresser au processus par lequel elles sont formées. Or la formation des vertus est un processus dynamique et continu, profondément influencé par notre imagination. L’imagination, au sens augustinien, n’est autre que la capacité de reproduire et de synthétiser des images, et par suite de créer des représentations dans la pensée16. C’est donc une faculté de l’esprit qui fait le lien entre le sensible et l’intelligible. L’imagination peut alors faire le lien entre l’éthique et l’esthétique17.
2. L’imagination
Comme l’avance une jeune philosophe américaine, Mavis Biss, la plupart des théories en philosophie morale tendent à traiter l’imagination comme une forme de perception18. Mais en réalité l’imagination joue un rôle différent, selon Biss. Il nous arrive de percevoir les enjeux d’une situation qui exigent une réaction morale sans savoir comment réagir. On peut également se trouver dans une situation où une action morale dépasse les catégories actuellement disponibles dans notre cadre social ou conceptuel19. C’est alors par l’imagination morale que nous pouvons improviser et agir de manière novatrice20. L’imagination permet ainsi de suppléer aux failles de notre pensée morale et de modifier nos présupposés moraux. Selon Biss, l’imagination morale a son parallèle dans le jugement esthétique21. L’imagination, comme le jugement esthétique, passe par-dessus les cadres de réflexion établis, lorsque ceux-ci ne suffisent plus, et nous guide par l’attrait de la beauté.
Je vois un lien encore plus intime que ce que suggère Biss entre l’imagination et l’esthétique. En fait, l’imagination n’est pas que le parallèle de l’esthétique : elle fait pleinement partie de la dimension esthétique de l’agir. L’idée de l’imagination chez Biss est cohérente avec la conception de la beauté de Nehamas, selon qui notre poursuite de la beauté est motivée par le fait qu’elle dépasse la compréhension22. Le désir humain, qui est le moteur de l’action, est toujours une aspiration. L’attirance produit le mouvement – du corps, ou de l’âme – dans la recherche de ce que nous ne possédons pas encore et qui nous dépasse. C’est de là que le désir tire sa dimension esthétique et imaginative23.
Comment relier alors cette question de l’imagination morale à l’écologie ? Un éminent éthicien environnemental américain, Willis Jenkins, affirme que le défi conceptuel à l’ère de l’anthropocène est de réconcilier deux échelles de l’agir humain : une échelle individuelle et une échelle collective24. La difficulté réside dans le fait que cette figure universelle de l’échelle collective dépasse l’expérience directe25. Pour intégrer ces deux dimensions, il faut avoir recours, dit-il, au mythe et à la poésie, parce que ces formes de discours sont les vecteurs du sens de la vie26. Il faut trouver un moyen de synthétiser ces deux échelles de l’agir afin de penser l’interrelation de l’individu et de la collectivité. En d’autres termes, il faut faire appel à l’imagination.
Comme je l’ai évoqué en introduction, le changement climatique dépasse ce qui nous est intelligible par l’expérience que nous pouvons en faire. Cela vient d’abord du fait qu’il est global et que ses effets ne sont pas perceptibles partout de la même manière. Il peut même nous paraître abstrait lorsque nous sommes peu touchés par ses effets (ce qui est le cas de nombreux occidentaux)27. Cela vient aussi du fait que ses effets seront perceptibles dans un temps qui n’est pas celui de l’action. Ce que nous observons aujourd’hui est le résultat d’actions qui se sont déroulées dans le passé. Un mot d’une journaliste du New Yorker le dit fort bien : nous vivons dans le climat du passé, mais nous avons déjà déterminé le climat du futur28.
Le défi posé par l’anthropocène nous dépasse et c’est la raison pour laquelle une réflexion esthétique est nécessaire. L’imagination nous permettra de remettre en cause nos sensibilités esthétiques actuelles, parce qu’elle nous offre des possibilités inédites de repenser notre rapport à un monde bouleversé. En cela, l’imagination peut nous conduire à un nouvel imaginaire – l’imaginaire étant ici compris comme un univers de sens cohérent, attaché à un concept ou à une pratique. L’imagination permet au sujet de passer au-delà des présupposés moraux et des cadres d’action établis, souvent en faisant appel au formes discursives comme le mythe, la poésie, le rêve, les images, les rites. L’imagination crée ainsi des contenus qui, lorsqu’ils se cristallisent autour d’un concept ou d’une pratique, forment un univers de sens qu’on peut appeler un imaginaire.
La théologie chrétienne offre des ressources pour ce mouvement vers un imaginaire adapté à un monde bouleversé. S’adapter à une forme qui dépasse notre compréhension est en effet au cœur de la théologie. La vie chrétienne signifie être guidé par Dieu sur un chemin que nous ne comprenons jamais complètement. Elle exige souvent la conversion et parfois même l’inversion de nos sensibilités morales et esthétiques. La plus bouleversante de ces inversions est certainement l’appel à voir le messie attendu dans un charpentier inconnu qui s’engage volontairement à subir une mort ignominieuse. L’inversion n’a été possible pour ses disciples que lorsqu’ils l’ont vu sous l’apparence – encore plus bouleversante – d’un corps ressuscité.
3. L’eschatologie
Le domaine où la théologie a eu le plus souvent recours à l’imagination est certainement celui de l’eschatologie, le domaine des « choses dernières », de la vie après la mort, de l’au-delà, de la fin du monde mortel et temporel, de la résurrection des corps. La vision eschatologique de cet autre monde est sans doute un imaginaire.
Ce qui est dit de l’eschatologie dépasse toujours le sens de ce que nous en comprenons. L’eschatologie dépasse les catégories qui nous sont familières de par l’expérience. Néanmoins, l’eschatologie n’est pas pour le christianisme un thème périphérique, car elle inclut (parmi d’autres éléments) la description du but d’une vie en quête d’un plein épanouissement. Pour cette raison, l’imaginaire eschatologique a eu de nombreux effets sur l’éthique et la manière d’habiter le monde. On notera d’ailleurs qu’en tant que l’eschatologie boucle en quelque sorte la création et qu’elle lui fait écho, elle n’est pas étrangère à nos considérations écologiques.
Nous savons bien que l’eschatologie a également un potentiel destructeur. Comme n’importe quel domaine de la réflexion humaine, l’eschatologie peut devenir un poison – quand elle se prétend définitive, ou quand elle nous perd dans des fantasmes de fuite du réel. Mais l’eschatologie peut également bien former nos sensibilités éthiques par son potentiel d’innovation qui lui vient de l’imagination.
Il n’est pas anodin que ce soit un philosophe, Bruno Latour, qui suggère que l’imaginaire eschatologique est le seul capable de nous réveiller face à la crise écologique. L’inaction serait due, selon lui, à une forme de gnose, qui chercherait des certitudes en aplatissant le transcendant sur l’immanent29. Il y a un lien essentiel entre l’eschatologie et l’écologie, selon Latour. L’eschatologie proprement dite nous appelle à remettre « les pieds sur terre »30. En cela, Latour affirme ce que dit aussi le théologien protestant Karl Barth : l’eschatologie, comprise correctement, est le domaine le plus pratique de tout enseignement31.
Ma proposition concernant ce qu’on pourrait nommer une éco-eschatologie s’inspire d’Augustin et de Barth. Un drôle de couple, puisque l’un est un « Père » de l’Église ancienne du Ve siècle et que l’autre est certainement le plus grand théologien protestant du XXe siècle32.
Augustin et Barth peuvent paraître un choix étrange lorsqu’on veut élaborer une éthique théologique sensible à l’écologie. Dans le cas d’Augustin, son platonisme chrétien souligne le mouvement intérieur et horizontal du sujet qui dépasse le monde pour trouver la vision de Dieu. Hannah Arendt l’a accusé d’avoir ainsi fait du monde « un désert au lieu d’un chez-soi »33. Si cela peut paraître grave, comme point de départ pour penser l’écologie, la situation est sans doute pire encore dans le cas de Karl Barth. Barth, en effet, rejette toute théologie naturelle et réaffirme avec vigueur la place de l’homme au centre de la création. Pour l’éco-féministe Catherine Keller, s’il y a quelque chose à sauver chez Augustin, ce n’est pas le cas chez Barth, qui selon elle aurait radicalement répudié la nature en raison d’une misogynie pathologique34.
Il faut bien reconnaître que, dans l’un et l’autre cas, la création n’est pas reconnue comme telle de la manière qu’on pourrait le souhaiter, surtout dans la mesure où elle est conçue en tant que théâtre, soit de l’ascension vers Dieu pour Augustin, soit de la révélation de Dieu pour Barth, afin de donner, comme le dit Calvin, un « spectacle de la gloire de Dieu »35. En subordonnant le monde à la vision ou à la révélation de Dieu, Augustin et Barth ne font-ils pas de la nature un simple instrument de la quête spirituelle, privé de toute valeur intrinsèque ? Les théologiens de l’éco-théologie ont pris le contre-pied, sur ce point. Ainsi Sallie McFague, par exemple, a proposé de voir le monde comme corps de Dieu36. Mais cette approche risque d’abolir la distinction entre le Créateur et la création, une distinction qui importait tant à Augustin qu’à Barth.
Faut-il alors choisir entre, d’un côté, l’anthropocentrisme et l’instrumentalisation du monde prônés par des théologiens comme Augustin et Barth, et, de l’autre, le naturalisme et le panthéisme que l’on perçoit chez certains éco-théoriciens contemporains ? J’essaierai de montrer que non. Entre ces deux écueils, une voie est possible, où l’imaginaire tiré de la tradition chrétienne est capable de renouveler l’éco-théologie et l’éthique qui en découle.
La difficulté de s’inspirer de ces deux théologiens n’est pas seulement liée au fait que tous deux ne paraissent pas s’allier facilement aux intérêts écologiques. Elle est aussi liée au fait qu’ils ne s’allient pas entre eux de façon évidente. On aurait tendance à vouloir commencer une éco-théologie par la doctrine de la création, comme celle qu’on trouve chez Augustin. Mais Barth est un adversaire résolu de la théologie naturelle. Il refuse toute autre connaissance de Dieu que celle qui vient de sa révélation. Il reproche alors à Augustin d’avoir cherché des traces « immanentes » de Dieu dans le monde, indépendamment de la révélation en Christ37. Pour Barth, il faut absolument nier qu’on puisse déduire une véritable connaissance de Dieu à partir de l’observation de la nature, indépendamment de la révélation divine.
Or ce n’est précisément pas ce que fait Augustin. L’approche d’Augustin est trinitaire : l’action divine est une et inséparable38. Chaque fois que se manifeste la grâce, on comprend quelque chose de l’action divine, que cela concerne la création, la réconciliation par la croix ou la rédemption finale. Isoler l’une ou l’autre de ces trois dimensions de l’action divine reviendrait à ne plus en comprendre quoi que ce soit. Ainsi, dans la création même, la christologie n’est pas absente, puisque le monde est créé par le Verbe. On ne doit pas opposer le Verbe créateur et le Verbe incarné39. C’est surtout dans l’évangile de Jean qu’Augustin trouve le fondement de l’unité de l’action divine centrée sur le Verbe. Dans cet évangile, qui commence par la création du monde par le Verbe, Augustin trouve dans l’affirmation que le Verbe est devenu chair le centre de la foi chrétienne.
Pour Augustin, la création vise pour chaque être sa perfection, c’est-à-dire la beauté qui convient à sa forme, son harmonie en elle-même. La création cherche à s’accorder avec elle-même et avec Dieu en se conformant au but que Dieu lui a fixé40. La beauté créée n’existe pas indépendamment de Dieu, elle participe plutôt à la beauté divine. Le perfectionnement de la création par la providence est un processus continuel, contrecarrant la tendance de la création à se détourner du Créateur pour retourner au vide d’où elle provient41. La création aspire au moment où se réalisera son harmonie et son accomplissement, lorsque dans le Christ toute chose sera récapitulée et manifeste.
L’unité de l’action divine est mise en évidence dans l’évangile de Jean du début à la fin. C’est d’ailleurs le seul évangile qui s’attarde sur le fait que le ressuscité porte la marque des plaies de la passion. Le Verbe créateur, le Verbe incarné, le Verbe crucifié et le Verbe ressuscité sont une seule et même personne. La résurrection n’efface pas la réalité matérielle de la vie et de la mort de Jésus sur la terre. Or cette insistance sur la continuité a des conséquences sur la manière de considérer comment la création participe à son tour au mouvement rédempteur du Verbe.
Dans le dernier livre de La cité de Dieu, Augustin s’essaye à une réflexion eschatologique. Ayant évoqué les plaies du corps ressuscité du Christ, il suggère que les martyrs garderont eux aussi la trace de leurs plaies42. Pourquoi ces marques, alors qu’Augustin vient d’affirmer que la résurrection aura guéri les déformations de leurs corps ? La réponse vient de la théologie de la croix, comprise en lien étroit à cette action globale divine. Dans le cas du Christ, ces marques résultent du péché de ceux qui ont livré le Christ à la mort, c’est-à-dire de la déformation spirituelle qui les a rendus incapables de reconnaître en Jésus la beauté de Dieu43. En en portant la marque sur son corps, Jésus en transfigure le sens pour ses bourreaux et pour l’humanité tout entière par son amour qui se dépouille. Le corps crucifié du Christ est paradoxalement beau, dans la mesure où son sacrifice révèle son amour. Il rend en outre l’humanité belle lorsqu’elle s’oriente vers lui dans l’amour, l’espérance et la foi44. Que les martyrs gardent ainsi peut-être les stigmates de leur passion, n’est pas simplement laid, mais aussi beau, puisque c’est le signe qu’ils ont su faire resplendir l’amour du Christ face à la destruction même de leur corps. Ce resplendissement est possible dans l’unité de l’action divine qui relie la création, la réconciliation et la rédemption. Mais tout comme Augustin s’oppose à une vision qui perdrait de vue l’horreur de la crucifixion en esthétisant les plaies du Christ elles-mêmes45, le témoignage des martyrs, qui a été source d’inspiration éthique à travers la tradition chrétienne, ne doit pas mener à une glorification masochiste de la souffrance, à une tendance à la mutilation en soi, ou à une complaisance face à la violence et l’injustice responsables cette destruction.
Quel peut être le rapport de tout cela avec l’écologie ?
Si toute la création est inclue dans l’unité de l’action divine, ne pourrions-nous imaginer que les plaies de la terre participent à cette même dialectique de déformation et de transfiguration ? Dans l’unité de l’action divine, le monde entier est destiné à louer Dieu, bien que sa louange soit corrompue et même se taise parfois à cause du pêché46. Selon les mots de Paul, la création tout entière souffre et soupire dans l’attente de sa libération (Rm 8,18-23). Ici, l’idée que la création est faite pour glorifier Dieu est la base non de son instrumentalisation, mais de sa participation, avec l’humanité, au salut. En affirmant cela, il faut également souligner l’importance qu’il s’agit d’un imaginaire qui refuse (tout comme dans le cas des martyrs) toute complaisance face à la violence ainsi que toute glorification de la destruction.
Qu’en dirait Barth ? Barth soutient que la rédemption des humains est la seule chose qui puisse être affirmée avec certitude47. Mais il dit aussi que la relation entre le Créateur et la création s’ouvre à une infinité de possibilités. Nous pouvons, dit-il, laisser libre cours à l’imagination dans ce domaine, pourvu qu’on ne prétende pas à une connaissance universelle et définitive48. Il nous est donc possible d’utiliser notre imagination dans le registre eschatologique. Et si Barth dénonce constamment la tentation de déduire par analogie quelque chose sur Dieu à partir de la réalité du monde, il appelle à penser analogiquement la réalité du monde à partir de celle de Dieu49.
On trouve un exemple de cette pensée analogique, qui relie la création à l’eschatologie, lorsqu’il discute de l’abattage des animaux. Malgré son anthropocentrisme, Barth n’est pas insensible aux demandes éthiques du monde non-humain50. L’abattage des animaux devrait être, selon lui, à la fois un appel à la pénitence, à la reconnaissance et à la louange, ce qui n’est possible qu’en faisant appel à la grâce réconciliatrice de Dieu. C’est même, écrit-il, un acte sacerdotal de nature eschatologique. Il ne peut être accompli en bonne conscience qu’en jetant le regard en arrière sur la création, et en avant sur la rédemption51. L’animal et l’humain participent ainsi analogiquement au sacrifice du Christ52.
Admettons qu’il est difficile de trouver quelque chose de cet acte sacerdotal sous les néons des supermarchés, lorsque nous oublions que la viande a été celle d’un vivant qui a souffert et dont nous avons pris la vie53. George Grinnell l’a pourtant bien perçu dans le récit qu’il fait de sa désastreuse expédition en canoë, dans son livre Death on the Barrens : en 1955, six voyageurs sont partis sur une rivière isolée de la région subarctique du grand Nord canadien, la première expédition sur cette rivière sans guide indigène. Ils étaient guidés par un homme que Grinnell décrit comme un sage, et qui voulait se réconcilier avec le monde sauvage (la wilderness). À mesure qu’ils s’éloignaient de la civilisation, toutefois, les compagnons ressentaient de plus en plus leur vulnérabilité, et à un moment donné ils s’aperçurent qu’ils n’avaient plus assez de nourriture pour tenir jusqu’au bout de l’expédition. Le voyage pouvait donc se terminer par la mort. Quand ils rencontrèrent enfin un troupeau de caribou, ils en tuèrent. Lorsque Grinnell découpa la bête, bien qu’il avait renoncé à sa foi chrétienne, il ne put que redire ces mots qu’il avait entendus si souvent dans la liturgie de la Cène : « Voici mon corps, voici mon sang, donnés pour vous : mangez, buvez, en mémoire de moi »54.
J’entends dans ce passage l’écho de cet acte sacerdotal au caractère eschatologique décrit par Barth. Dans ce passage de Barth, l’analogie de la grâce relie la souffrance du Christ à la souffrance de l’animal. Ne pourrait-on pas alors extrapoler ce que Barth nous dit ici à l’ensemble de la création ? Ne pourrait-on pas imaginer que la création participera analogiquement à la vie complète du Christ ? Ne pourrait-on pas, enfin, s’inspirant d’Augustin et de Barth, se projeter dans l’eschatologie et discerner un lien analogique entre les plaies des martyrs et celles de la création ? Or cette image, si nous la faisons nôtre, ne nous laissera pas indifférents dans notre manière d’agir aujourd’hui contre la nature. En effet, elle nous confronte à la violence de notre action et à notre négligence. Elle atteste d’une réprimande profonde par rapport à notre manière d’habiter le monde. Mais à l’autre bout de la réprimande, trouverons-nous la grâce qui nous incitera à agir de manière responsable dans le monde ?
À la lumière de l’eschatologie, la création a une portée sacramentelle qui nous impose une responsabilité actuelle et urgente, à l’ère de l’anthropocène. Mais en même temps, cet imaginaire eschatologique devrait nous dépouiller de toute naïveté et de toute confiance égoïste. Cette image eschatologique ne nous donne pas l’espoir d’échapper à la destruction écologique dont nous sommes responsables. Cette image ne nous invite pas à trouver des solutions seulement techniques et matérielles, tout en continuant d’exploiter la nature en toute bonne conscience, en la ménageant quelque peu. Elle appelle à un changement profond de nos comportements, tout en gardant bien les « pieds sur terre ». Nous sommes appelés à agir de manière radicale, mais radicale surtout en humilité.
Ni Barth ni a fortiori Augustin ne pouvaient deviner les défis que l’écologie nous pose aujourd’hui. Mais en prenant les choses par la fin, du point de vue de l’eschatologie, ils nous donnent des pistes pour repenser notre responsabilité actuelle. Bien entendu il s’agit d’imagination, et certains diront de spéculation. Mais l’imagination est sans doute l’une des ressources les plus fécondes pour faire face à un défi qui nous dépasse, afin de repenser nos actions dans le monde, par-delà l’intérêt, la fermeture sur soi ou l’égoïsme.
Ce n’est qu’un exemple de la manière dont l’éthique théologique, à travers l’imaginaire eschatologique, peut articuler une réflexion esthétique sur les valeurs qui forment notre mode de vie. Il ne s’agit pas de se désengager, de fuir le réel, d’oublier les conséquences de nos actions. Il ne s’agit pas non plus d’abandonner un monde perdu pour en chercher un autre. Au contraire, il s’agit de soigner la fièvre de la terre en soignant la nôtre, et en faisant cela, d’empêcher tant que possible de lui infliger encore davantage de plaies irréversibles, dont nous souffrirons autant qu’elle.
L’imaginaire eschatologique n’a de sens que s’il nous remet les pieds sur terre, dans la conscience que le fantasme de la prospérité et du bonheur par la consommation est trompeur. Dans une perspective augustinienne, il s’agit donc de s’orienter vers la beauté véritable, le Verbe unificateur qui porte ses plaies transfigurées et par là nous sort du rêve de la domination. Intégrant la perspective barthienne, il s’agit d’agir dans le monde, conscient de notre rôle sacerdotal, un rôle conféré par la grâce divine, dont le sens se rapporte toujours analogiquement au Christ.
Dans un monde bouleversé, l’imaginaire eschatologique est l’une des voies possibles pour décentrer nos sensibilités esthétiques et ouvrir de nouveaux chemins éthiques vers un avenir inconnu.
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Plato, The Republic, trad. Allan Bloom, Basic Books, 1968, 19912.
Stout, Jeffrey, Democracy and Tradition, Princeton, Princeton University Press, 2004.
White, Lynn, « The Historical Roots of Our Ecological Crisis », Science 155 (1967), p. 1203-1207.
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1Ce texte reprend, en la modifiant, la leçon inaugurale prononcée par Sarah Stewart-Kroeker le 9 novembre 2016 à l’Université de Genève.
2La commission, « Anthropocene Working Group » (AWG) a été convoquée par Jan Zalasiewicz de l’Université de Leicester. Pour le terme « anthropocène », cf. Paul Crutzen et Eugene Stoermer, « The “Anthropocene” », Global Change Newsletter 41 (2000), p. 17-18. La proposition est néanmoins controversée. Pour un résumé du débat, cf. par exemple Richard Monastersky, « The Human Age », Nature 519 (12 mars 2015), p. 144-147.
3Bruno Latour, Face à Gaïa, Paris, La Découverte, 2015, p. 16.
4Latour l’exprime bien au début de ce livre, ibid., p. 15-19.
5Alexander Nehamas, Only a Promise of Happiness. The Place of Beauty in a World of Art, Princeton, Princeton University Press, 2007, p. 2-3.
6Platon, La République II.369a-372d.
7Ibid., II.372d.
8Ibid., II.372d-374e.
9Ibid., II.358e-361d.
10Ibid., II.372e.
11Ibid., II.376d-III.403c.
12Lynn White, « The Historical Roots of Our Ecological Crisis », Science 155 (1967), p. 1203-1207.
13Willis Jenkins, « Assessing Metaphors of Agency. Intervention, Perfection, and Care as Models of Environmental Practice », Environmental Ethics 27/2 (2005), p. 135-154.
14Allen Thompson and Jeremy Bendik-Keymer, Ethical Adaptation to Climate Change. Human Virtues for the Future, Cambridge (USA), MIT Press, 2012 ; Michael Doan, « Climate Change and Complacency », Hypatia 29/3 (2014), p. 634-650 ; Stephen Gardiner, A Perfect Moral Storm: The Ethical Tragedy of Climate Change, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Mike Hulme, « Climate Change and Virtue: An Apologetic », Humanities 3 (2014), p. 299-312 ; Dale Jamieson, Reason in a Dark Time, Oxford, Oxford University Press, 2014 ; Marcello Di Paolo, « Virtue for the Anthropocene », Environmental Values 24/2 (2015), p. 183-207 ; Ronald L. Sandler, Character and Environment. A Virtue-Oriented Approach to Environmental Ethics, New York, Columbia University Press, 2007 ; Stefan Skrimshire, Politics of Fear, Practices of Hope, Londres, Continuum, 2008.
15Willis Jenkins, « The Turn to Virtue in Climate Ethics. Wickedness and Goodness in the Anthropocene », Environmental Ethics 38/1 (2016), p. 77-96.
16Cf. par exemple De trin. 8,9 (CCL 50, p. 279-284). Augustin est partagé sur l’imagination. Il souligne le rôle fondamental que joue l’imagination dans la psychologie humaine, tout en étant conscient non seulement des ressources mais aussi des dangers qu’elle présente. Pour un bon résumé de sa pensée sur ce point, cf. Marianne Djuth, « Veiled and Unveiled Beauty. The Role of the Imagination in Augustine’s Esthetics », Theological Studies 68 (2007), p. 77-91.
17La discussion sur le rapport entre l’éthique et l’esthétique est vive en modernité. Un débat se poursuit toujours dans la littérature anglophone concernant l’interprétation de ce rapport chez le penseur moderne incontournable sur cette question : Emmanuel Kant. Dans les dernières décennies, ce débat a été relancé notamment par Paul Guyer, auteur de Kant and the Claims of Taste, Cambridge, Harvard University Press, 1979, de Kant and the Experience of Freedom, Cambridge, Cambridge Univerity Press, 1993, et l’éditeur avec Ted Cohen de Essays in Kant’s Aesthetics, Chicago, University of Chicago Press, 1982. Cf. aussi Henry E. Allison, Kant’s Theory of Taste, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Ted Cohen, « Beauty, Freedom, and Morality. Why Beauty is a Symbol of Morality », Essays in Kant’s Aesthetics (1982) ; Hannah Ginsborg, The Role of Taste in Kant's Theory of Cognition, Londres, Routledge, 1990 ; Brent Kalar, The Demands of Taste in Kant’s Aesthetics, New York, Continuum, 2006 ; Richard Moran, « Kant, Proust, and the Appeal of Beauty », Critical Inquiry, 38/2 (2012), p. 298-329 ; Kenneth F. Rogerson, « The Meaning of Universal Validity in Kant’s Aesthetics », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, 40/3 (1982), p. 301-308.
18Mavis Biss, « Radical Moral Imagination. Courage, Hope, and Articulation », Hypatia 28/4 (2013), p. 938-954.
19Biss, art. cit., p. 938-941.
20Biss répond de manière critique aux explications de l’imagination morale avancées par Susan Babbitt, Impossible Dreams. Rationality, Integrity and Moral Imagination, Oxford, Westview Press, 1996, et par Miranda Fricker, Epistemic Injustice. Power and the Ethics of Knowing, Oxford, Oxford University Press, 2007. En revanche, Biss et Jenkins (« Turn to Virtue ») s’appuient de façon significative sur l’œuvre de Jonathan Lear, Radical Hope. Ethics in the Face of Cultural Devastation, Cambridge, Harvard University Press, 2006. Lear présente en détail le cas de Chief Plenty Coups, un chef de la tribu amérindienne Crow au XIXe siècle pendant l’effondrement de la vie traditionnelle de son peuple – un effondrement d’un mode de vie qui implique également l’écroulement des concepts selon lesquels la vie éthique a été comprise par le peuple Crow (Lear, op. cit., p. 92). À partir des actions du chef face à cet effondrement, Lear cherche à montrer comment l’imagination morale radicale suscite la création de nouvelles valeurs éthiques. Jeffrey Stout fait appel à une conception assez similaire du rôle de l’imagination dans l’innovation morale dans son ouvrage Democracy and Tradition, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 79, 198, 217-224.
21Biss, art. cit., p. 948.
22Nehamas, op. cit., 76, 105, 120.
23Ibid., p. 62-64, 75-76, 105.
24Ibid., p. 84, 86, 88-89, 91.
25Ibid., p. 88-89.
26Ibid., p. 87.
27Christopher B. Field et Vicente R. Barros (éds), Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) Fifth Assessment Report, Climate Change 2014. Impacts, Adaptation, and Vulnerability, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
28Elizabeth Kolbert, « Greenland is Melting » The New Yorker (24 octobre 2016), http://www.newyorker.com.
29Latour, op. cit., p. 264. Je ne poursuivrai pas dans cet article la discussion de cette thèse de Latour dans ses détails. L’argument est mené de manière particulière et contestable, mais sa proposition d’un lien entre l’eschatologie et l’écologie qui remettrait les « pieds sur terre » croise directement l’intérêt de mon argument et donc vaut la peine d’être évoquée.
30Latour, op. cit., p. 283.
31« L’espérance chrétienne ne nous éloigne pas de la vie, elle est bien plutôt la révélation de la vérité dans laquelle Dieu voit notre vie. Elle est une victoire sur la mort, non une fuite dans l’au-delà, parce que la réalité de notre vie est en jeu. Une eschatologie bien comprise est précisément ce qu’on peut imaginer de plus pratique [...]. » Karl Barth, Esquisse d’une dogmatique, trad. Fernand Ryser et Édouard Mauris, Paris-Genève, Cerf-Labor et Fides, 1984, p. 251-252.
32L’œuvre de Barth a d’ailleurs été traduite en français entre autres par Jacques de Senarclens, dont le nom a été donné à la chaire qui est inaugurée aujourd’hui [cf. supra, note 1 ; NdlR].
33Hannah Arendt, Le concept d’amour chez Augustin, trad. Anne-Sophie Astrup, Paris, Rivages, 1996, p. 21.
34Catherine Keller, The Face of the Deep. A Theology of Becoming, Londres-New York, Routledge, 2005, p. 84-86.
35Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, trad. Jean-Daniel Benoit, Paris, Vrin, 1957, I.5.5.
36Sallie McFague, The Body of God. An Ecological Theology, Minneapolis, Augsburg Fortress, 1993.
37K. Barth, Dogmatique. Vol. 1 : La doctrine de la Parole de Dieu, trad. F. Ryser, t. 2, Genève, Labor et Fides, 1954, p. 39-51.
38Augustin, De trin. 1,7 (CCL 50 : 35-36).
39Augustin, De trin. 4,3-4 (CCL 50 : 162-165).
40Scott A. Dunham, Trinity and Creation in Augustine. An Ecological Analysis, Albany, State of New York Press, 2008, p. 85-86.
41Sans l’activité providentielle et sotériologique, la création cesserait tout à fait d’exister. Augustin, De Gen. at litteram 4,12,23 (CSEL 28,1 : 108-110), 5,20,40-5,22,43 (CSEL 28,1 : 163-167). Dunham, op. cit., p. 82-83.
42Augustin, De civ. Dei 22,19 (CCL 48 : 839).
43Augustin, Enarr. in Psalmos 127.8 (CCL 40 : 1872).
44Augustin, Sermones 27,6 (CCL 41 : 365).
45Augustin, Enarr. in Psalmos 127,8 (CCL 40 : 1872).
46Jb 12,7-10 ; Ps 19,1-4 ; 66,4 ; 96,11-12 ; 148,1-10 ; Es 24,4-6 ; 43,20 ; 55,12 ; Jr 4,23-28 ; Ap 4,11 ; 5,13.
47K. Barth, Dogmatique. Vol. 3 : La doctrine de la création, trad. F. Ryser, t. 16, Genève, Labor et Fides, 1965, p. 10-11. Un théologien barthien vient de suggérer que la pensée de Barth se prête à de telles élaborations constructives. David L. Clough, On Animals, Londres-New York, Bloomsbury, 2014.
48Barth, Dogmatique. Vol. 3, op. cit., t. 16, p. 11.
49Ibid., p. 31-32. Cf. Gerald McKenny, The Analogy of Grace, Oxford, Oxford University Press, 2010.
50Barth, Dogmatique. Vol. 3, op. cit., p. 32-37.
51Ibid., p. 36.
52Dans le cas du Christ, il est à la fois prêtre et victime. Chez Augustin, cf. par exemple De civ. Dei 10,20 (CCL 47 : 294), 10,22 (CCL 47 : 296), 10,31 (CCL 47 : 308-309); Enarr. Psalmos 64,6 (CCL 39 : 827-829). Chez K. Barth, Dogmatique. Vol. 4 : La doctrine de la réconciliation, trad. F. Ryser, t. 17, 1966, p. 289-296.
53Admettons donc que ce passage ne nous offre pas une éthique alimentaire de manière directe ou évidente – l’exemple de Grinnell représente en effet un cas assez exceptionnel. Ce que je souhaite souligner surtout ici, c’est le fait que l’on perçoit l’intégration de la création à l’imaginaire eschatologique barthien.
54George Grinnell, Death on the Barrens, Berkeley, North Atlantic Books, 1996, p. 110-111.