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Clio, l’argent et les chiffres : le cas de Voltaire

Dieter GEMBICKI

Genève

Au siècle des Lumières, le champ historique est caractérisé par deux particularités. D’une part, les publications historiques, soit sous forme de roman, soit l’érudition, bénéficient auprès du public d’une faveur qui ne se démentira pas même à l’approche de la Révolution française. Il est vrai que le produit de l’historien constitue un énorme marché. Nul ne s’étonnera qu’en France, un débat politique, par exemple sur des « légitimations sociales », viendra se greffer sur les études historiques.

D’autre part, le même historien sollicité par le public se voit confronté à une contrainte structurale. Sous l’impulsion de l’humanisme, le champ « histoire » continue à être considéré comme un exercice littéraire. De ce fait, l’ouvrage historique sera jugé à la fois sur le plan scientifique et sur le plan esthétique. Clio, la muse, en incarne les valeurs : un ouvrage manquant d’inspiration, d’imagination, de style paraît condamné d’avance. En France, au XIXe siècle encore la qualité littéraire d’une étude historique décide de son sort auprès du grand public. Outre-Rhin, ce critère est déjà abandonné au XVIIIe siècle lorsque, au sein des nouvelles universités allemandes, l’érudition s’est émancipée de Clio.

Quel fut le cheminement de Voltaire historien ? Poète, littérateur, polémiste : ce n’est pas l’homme à se confiner à un seul genre. Son contact avec le domaine historique révèle une certaine logique. Ayant reçu une excellente formation historique auprès des Jésuites, Voltaire, grand lecteur durant toute sa vie, toujours la plume à la main, homme à mille curiosités, entre très tôt en commerce avec les grands de ce monde. D’abord il prend goût aux « grands hommes » : Henri IV et la Henriade, puis Charles XII et enfin Louis XIV, le Siècle de Louis XIV coïncidant avec l’apogée de la civilisation. Pratiquement en parallèle, il ébauche à partir de 1736 une histoire universelle qui paraîtra, vingt ans plus tard, sous le titre d’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. Le cheminement personnel de Voltaire historien1 passe donc par la biographie classique pour se convertir à un genre nouveau, l’histoire de la civilisation. C’est avec l’Essai que Voltaire crée un genre nouveau.

Le tour d’horizon proposé par ce colloque serait incomplet sans un regard sur Voltaire historien. Dans le Siècle et dans l’Essai Voltaire est tellement préoccupé de questions financières et monétaires qu’il s’est senti amené à faire des considérations générales à ce sujet.

Mon exposé se compose de deux volets :

Premier volet : un petit fait constaté à propos de l’Essai, précisément lié à la référence monétaire, nous permettra de décrire l’originalité de l’historien, à la lumière de l’historiographie de son temps. Ce détail peut éclairer sa méthode historique.

Deuxième volet : l’analyse du cas précis d’une hypothèse exprimée dans l’Essai nous permettra de suivre le développement complet d’une idée, de la lecture (et de l’inspiration) jusqu’à l’épreuve de son expression. Bref, autour d’un seul problème historique on verra l’imagination historique de Voltaire en action !

Le premier volet concerne la référence monétaire et la méthode de travail de Voltaire.

En parcourant les chapitres consacrés au haut moyen âge et au moyen âge tardif, on constate que le tissu historique est régulièrement émaillé de références monétaires, 28 en tout. Voltaire ne s’arrête pas là, il prend souvent la peine de donner l’équivalent de la somme citée en monnaie de son temps. Voici une recherche de précision qui équivaut à une obsession. L’édition critique du texte de l’Essai confirme cette première impression. Pendant quinze ans, le manuscrit est en veilleuse et de 1756 à 1778 l’auteur ne cessera d’apporter des précisions à la référence monétaire. Vu la constance du procédé, le hasard est exclu. Prenons un exemple, le trésor de Charles V. Celui-ci est évalué à la somme de « dix-sept millions de livres de son temps ». Suit une première précision : « La livre monnaie d’argent, équivalait alors à environ 8 livres actuelles en 4 / 5 ; et la livre, monnaie d’or, à 12 livres et 1 / 2. » Alors qu’il continue à juger l’information incomplète, le patriarche fait une deuxième précision en 1778 : « Voyez ci-dessus. En général nous entendons toujours par livre numéraire monnaie d’argent. »2

Ce passage révèle une préoccupation personnelle. Le phénomène abordé ici est une question de détail qui a l’avantage d’éclairer sa méthode de travail. C’est en tant que prise de conscience que ce petit fait mérite notre attention. En partie, notre champ a été labouré. La théorie monétaire de Voltaire a été récemment étudiée par Madeleine Laurent-Hubert. Sa contribution est intitulée « L’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : une histoire de la monnaie ? »3 Mon propos n’est pas la théorie économique. En revanche, toujours en rapport à la référence monétaire, mon but est de cerner l’originalité de Voltaire historien, son apport personnel dans le domaine de l’historiographie.

Disons-le d’emblée. Le romancier dispose d’une grande liberté de création et d’imagination. L’historien, par contre, est prisonnier des faits historiques. Cette inévitable dépendance des sources nous permet de jeter un coup d’œil sur sa manière d’utiliser l’information. Et par la même démarche, la technique de travail de Voltaire se révèle.

Il me paraît judicieux de restreindre le champ à une partie de l’Essai. En nous limitant au seul moyen âge, à savoir 78 chapitres ou grosso modo le premier volume de l’édition Pomeau, la documentation gagne en unité. On peut exclure les récits de témoins oculaires dont Voltaire était particulièrement friand4 et qui font si cruellement défaut dans les Annales de l’Empire et dans l’Histoire de Pierre le Grand. Car sur l’ampleur et le sérieux, la variété et la richesse de sa documentation, aucun doute n’est permis. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le catalogue de la bibliothèque de Voltaire5 et, en cours d’édition, les notes marginales, publiées dans le Corpus des notes marginales de Voltaire6.

Quiconque veut évaluer la technique de la référence monétaire dans l’Essai doit confronter au préalable Voltaire historien au contexte général de l’historiographie aux XVIIe et XVIIIe siècles. Voltaire a réuni dans sa bibliothèque pratiquement toutes les histoires universelles alors disponibles, y compris le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet. Paradoxalement, il les utilise avec parcimonie, à l’exception près – et elle est de taille –, de l’Universal History7 Cette grande entreprise de l’édition anglaise est une des rares histoires universelles à satisfaire la curiosité des érudits. En général, Voltaire n’a que de sarcasme à l’égard de ses confrères et prédécesseurs. Pourtant il puise l’essentiel de son information dans l’Abrégé chronologique de l’histoire de France du frondeur Eudes de Mézeray, dans l’Histoire de France du père Gabriel Daniel, dans la volumineuse Histoire ecclésiastique de l’abbé Claude Fleury, dans l’Histoire d’Angleterre de Rapin-Thoyras8. Il a certainement mis à profit le classique espagnol du père Juan de Mariana, intitulé Histoire d’Espagne9.

Mise à part l’Universal History, il y a un trait qui caractérise toutes les histoires nationales que nous venons d’énumérer : leur vision du monde, leur « Weltanschauung » coule de la même source, le providentialisme. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre un ouvrage typique de la production historique du temps. Le père Daniel, historien des institutions militaires, affirme dans son Histoire de la milice françoise à propos de Charles VII : « La Providence lui sauva son Etat par des coups extraordinaires. »10 Le providentialisme, loin d’être réservé à l’historiographie, est alors un moule de la pensée. L’impact exercé par l’explication téléologique du monde justifie, pour une bonne part, l’acharnement du disciple de Bayle à rendre l’histoire « raisonnable », à critiquer ce « Discours sur une partie de l’Histoire universelle »11. Ce refus de l’interprétation providentialiste distingue Voltaire historien de l’historiographie de son temps, mais le chemin qu’il emprunte avait déjà été frayé par les auteurs de l’Universal History.

Si l’auteur de l’Essai s’éloigne de ses confrères quant à l’interprétation du monde, il se rapproche d’eux sur le plan de la technique historique, notamment la référence monétaire. C’est un domaine dans lequel Voltaire est tributaire du progrès des recherches historiques de son temps. Pour se documenter dans l’Essai, Voltaire n’hésite pas à exploiter le corpus des histoires nationales. Friand d’une documentation chiffrée, doté d’un sens critique à l’égard de chaque fait historique, l’auteur de l’Essai doit s’assurer de la véracité de chaque fait historique avant de l’incorporer dans son récit. Cette recherche de l’authentique, toujours dans un corpus de textes fort réduit, est loin d’être innocente. C’est un fait que le rapport entre l’historien et ses sources change de nature. Car en contrôlant chaque fait historique et en le sélectionnant, la source d’information se trouve investie d’une « autorité ». En fait, en sélectionnant tel ou tel aspect rapporté par ses prédécesseurs Voltaire atteste indirectement du sérieux de leur travail. Seulement, devant son public, Voltaire fera tout pour cacher cette dépendance.

Un quiproquo servira à illustrer l’attitude de Voltaire historien. En 1204, les croisés ont exigé une rançon pour libérer la ville de Constantinople. Fleury en donne le montant et cite comme source « Nicétas ». Il s’agit d’une erreur, reprise telle quelle par Voltaire12. Une preuve que l’auteur de l’Essai se targue de l’érudition d’autrui. Pourtant, il s’agit d’autre chose que d’une infidélité, l’historien s’avise d’un stratagème ludique propre à dérouter les non-initiés. Néanmoins il est vrai que ce déguisement avait sa raison d’être. Pour se prémunir contre les journalistes, contre la censure, le recours à l’anonymat s’impose même s’il s’agissait souvent d’un secret de polichinelle. L’auteur officiel du Siècle de Louis XIV est M. Francheville, celui de la Philosophie de l’histoire est M. l’abbé Bazin, des supercheries qui ne trompèrent personne. Voltaire baigne dans une ambiance rococo qu’il sait exploiter à l’occasion.

Pour juger l’originalité de la technique appliquée par Voltaire, il faut d’abord situer la référence monétaire par rapport à l’historiographie de son temps.

Le chercheur curieux qui compulse chroniques, mémoires et autres documents du moyen âge découvre des références monétaires. Dans une deuxième étape, il doit en établir l’authenticité et la portée. Finalement, le fait bien établi a droit de figurer dans le récit historique et, le cas échéant, l’historien peut encore fournir l’équivalence, ce qui est encore plus rare. On le voit, chaque historien fait une nouvelle pondération, la référence monétaire étant une question de bon vouloir. Par contre, elle s’impose au moment fatidique où le sort de la nation dépend d’une somme d’argent. L’événement type est la rançon de Louis IX. Il s’agit même d’un fait investi d’émotions comme le remarque l’abbé Leblanc, le garant de Voltaire : « la rançon de saint Louis qui a tant excité nos historiens se réfère à la vingtième dissertation de du Cange sur Joinville. »13 Bref au XVIIIe siècle l’historien est libre de saupoudrer son récit de ces références. Le plus souvent, leur fonction est d’illustrer ou de rehausser le récit historique. Quelle est l’attitude de Voltaire par rapport à la référence monétaire ? En premier lieu, on constate sa réceptivité à l’égard du fait économique et monétaire. On dirait que l’historien de la civilisation n’est cohérent que vis-à-vis de son propre idéal. Cette conscience économique sous-tend le Siècle et l’Essai mais elle se fait déjà jour à partir de la genèse de l’Essai. Car comment expliquer autrement le fait remarquable que, dès les premiers dépouillements, son objectif ne varie plus. L’historien de la civilisation sera toujours à la chasse du début authentique chiffré.

Rappelons-le, l’histoire universelle s’oppose à l’esprit d’érudition, la recherche de nouveaux documents, le travail archivistique étant réservés aux spécialistes. La conception de Voltaire est différente. Voltaire se contente de réunir les faits et chiffres mis à sa disposition par ses confrères. Telle une carrière, le corpus des histoires nationales est exploité par Voltaire. De même que son récit apporte un changement d’orientation, la référence monétaire change de fonction. Par le recours assez régulier à cette référence, il lui confère une sorte de nécessité. Et surtout, Voltaire actualise l’information en transposant la monnaie. Dans ce domaine, l’abbé Leblanc est un guide sûr. Ce qui frappe aussi, c’est que sa documentation est essentiellement française, et accessoirement il se tourne vers l’Angleterre et l’Italie14.

A l’étude d’un champ limité au Moyen Age, les contraintes subies par Voltaire ressortent donc clairement. Lorsqu’il utilise la référence monétaire, Voltaire n’invente rien ; au contraire, il met beaucoup de méthode à l’exploiter. Grâce à son emploi régulier, sa fonction change insensiblement. D’illustration et d’ornement elle se transforme quasiment en une nécessité.

Après avoir constaté que Voltaire avait recours à la référence monétaire, nous devons nous interroger sur ses raisons et ses motivations. Voilà un problème qui est inséparable de son champ épistémique. Selon la formule de Reinhart Koselleck, nous devons nous interroger sur son « Erkenntnisinteresse »15. Contrairement à Jean-Jacques Rousseau qui aime à se confier, Voltaire, parangon de la « clarté française », préfère se cacher comme auteur.

Regardons les quelques influences qui l’ont marqué dans les années 30 et 40 du XVIIIe siècle. Rentré d’Angleterre, Voltaire mène une vie de nomade, entrecoupée par de plus ou moins longs séjours à Cirey, Paris, Bruxelles. Lecteur vorace et infatigable, Voltaire se met au diapason de son temps. On se frottant au monde, il fréquente les élites. Souvent son enthousiasme est communicatif. Après avoir lu Newton, il propage le newtonianisme16. Quant aux écrits des physiocrates, il réagit par la vulgarisation. Ce travail de journaliste nous renseigne sur deux aspects : les goûts du public à former et les intérêts du lecteur-journaliste.

Regardons les influences subies par Voltaire. Il dévore les écrits des Physiocrates. En lisant l’Essai politique sur le commerce de Jean-François Melon17, Voltaire a saisi quelque chose de fondamental : « Jamais les belles-lettres n’ont été si liées avec la finance, et c’est encore un des mérites de notre siècle. » Qualifié de « philosophe » et « qui vivait en philosophie », tancé pour « quelques inadvertances » ou « mécomptes », Melon, apologète du luxe, trouve grâce devant le journaliste. Qui, d’ailleurs, contredisant La Bruyère, affirme : « L’argent est fait pour circuler, pour éclore tous les arts, pour acheter l’industrie des hommes. »18

En dépit du titre rébarbatif, Voltaire lit attentivement les Réflexions politiques de Dutot. Des raisonnements techniques ne le rebutent pas, il fait sienne la thèse de Dutot que la lente dévaluation de la monnaie, notamment en France, aurait favorisé les débiteurs en raison des « changements des valeurs numéraires dans les monnaies »19. Tout laisse supposer qu’avec Melon et Dutot nous sommes à la source de l’information pour la réflexion monétaire de Voltaire et, a posteriori, pour la référence monétaire dans l’Essai. Toujours est-il que Melon a donné corps aux idées physiocratiques alors fort en vogue20. Mais s’agit-il, pour autant, dans les deux cas d’une source d’inspiration pour l’Essai !

Malgré les apparences, tout porte à croire que la réponse est négative. S’il y a inspiration ou emprunt dans un ouvrage de Voltaire c’est en général qu’il transpose un fait précis. Dans le cas de la référence monétaire, il s’agit plutôt d’une catégorie. En ce qui concerne l’Essai, les nouvelles idées économiques ont plutôt confirmé Voltaire dans son opinion personnelle. Voilà comment se manifeste l’esprit de Voltaire dans l’Essai : « […] car les mutations de monnaies ruinent le commerce, et les traitants oppriment le peuple ; et les impôts bien répartis soulagent l’Etat. […]. »21 Quant à l’article de Voltaire sur Melon et Dutot, un spécialiste est catégorique : « il n’y fait preuve d’aucune espèce d’originalité. »22 Cela étant vrai, il n’en est pas moins remarquable que les lectures de type économique constituent grosso modo un dixième de sa bibliothèque. Il est certain que les écrits physiocratiques ont directement inspiré quelques écrits romanesques ; et, au delà « des données nécessaires », ils ont fourni une impulsion initiale à la genèse de L’Homme aux quarante écus23 et également du Mondain24. Le transfert auquel nous assistons ici est celui d’une lecture à la création d’un texte, fictif ou non-fictif. Esprit primesautier, l’historien a dû apprendre à maîtriser son tempérament, bref à faire un travail à la fois rapide et patient. Voilà une discipline imposée par le métier d’historien qui s’exerce dans la longue durée.

Contrairement à Montesquieu, Voltaire aime le concret sans viser la théorie. Néanmoins, de temps à autre, en ouvrant des perspectives, il hasarde une généralisation. Un exemple doit suffire : « Cet état mitoyen qui fait la richesse d’un pays. »25 De toute évidence, Voltaire historien rechigne à faire la théorie, supplantée souvent par un pragmatisme subtil. Il parvient à trouver l’équilibre grâce à un scepticisme baylien qui se méfie des extrêmes et qui jette le ridicule sur des bizarreries historiques. A partir des années trente, le phénomène monétaire l’a hanté au point que la référence monétaire finira par ressembler à une catégorie. Nul doute, les écrits des Physiocrates ont déclenché une prise de conscience. Alors que dans les grandes lignes les idées économiques et financières de Voltaire se décantent, la lecture de Melon et Dutot est un appoint qui le confirme dans son orientation.

Jusqu’ici, j’ai fait allusion uniquement à des sources livresques utilisées par l’historien. Mais le vécu a encore plus de poids. En France, toute une génération vit sous le choc de ce qu’on a appelé le système de Law : banqueroute de la banque nationale, désordre dans les finances de l’Etat, pertes subies par les actionnaires. Il s’agit là d’un traumatisme auquel Voltaire a réagi à sa façon. Les conséquences sont une grande curiosité à l’égard des affaires financières ainsi qu’une gestion saine et fort heureuse de ses propres deniers26, assurant son indépendance en tant qu’écrivain, un moyen de l’ascension sociale du futur seigneur de Ferney et Tournay.

Pour terminer ce premier volet de mon exposé, il convient de rapprocher le détail et l’ensemble, bref de confronter microcosme et macrocosme. Quant au dernier, il s’agit d’un monde laïcisé, un ciel dépourvu d’amarres d’ici-bas. Quand Bossuet s’aperçoit de « la main de Dieu » dans le cours de l’histoire, l’auteur de l’Essai se résigne à renvoyer à un Dieu-géomètre. Le monde historique, ainsi libéré de toute tutelle métaphysique, n’a-t-il pas besoin, pour le microcosme, d’amarres extrêmement solides ? C’est une réflexion que Voltaire n’a jamais faite. Peut-être a-t-il ressenti, d’une façon subconsciente, le besoin de donner plus de consistance au monde flou des faits historiques. De toute façon Voltaire s’est aventuré dans ce domaine économique suite à un glissement. Le fait de se frotter aux sources historiques lui confère une lucidité qui le pousse à étoffer son récit. En ceci réside le moteur de la référence monétaire et non en une quelconque théorie.

N’oublions pas non plus que l’historien de la civilisation est un novateur, capable d’intégrer des faits aussi hétérogènes que les « mœurs » dans un récit historique cohérent. C’est lui qui présente la première synthèse réussie. Le besoin, l’abbé Dubos l’avait déjà ressenti, mais il n’avait pu que se résigner à signaler les « mœurs » par un relevé systématique… dans les « tables »27 mais son exploit tient à sa synthèse.

Quant au deuxième volet de mon exposé, il me permettra de formuler une hypothèse. Jusqu’ici l’historien au travail ressemble à un mécanicien de précision. Mais à certains moments, il n’hésite pas à donner libre cours à son tempérament et à lancer une hypothèse de travail. Un cas se présente d’ailleurs dans les chapitres consacrés aux Croisades ; cette partie relève de la première rédaction de l’Essai, qu’il faut situer dans les années quarante28.

Chez Voltaire, homme des Lumières, on s’attendrait en vain à une apologie des Croisades. Son principal garant, l’abbé Claude Fleury, ne les avait-il pas condamnées en théologien et sans restrictions ! L’abandon des pénitences, le manque d’esprit religieux, la conviction qu’il fallait envoyer une mission auprès des infidèles au lieu de leur apporter la foi par le glaive… Subsidiairement, il ajoute l’argument économique : l’enrichissement de deux villes maritimes, Gênes et Venise, serait le fait des Croisades29. Voltaire s’est abreuvé à la source. Son aversion est corroborée par le préjugé de Fleury. Et Voltaire procède à un changement de perspective, lourd de conséquences. En dépouillant les Croisades de leur caractère religieux – et par un glissement dans l’investigation, les Croisades deviennent un phénomène essentiellement socio-économique.

C’est le moment où la référence monétaire réapparaît… Par le biais d’un raisonnement économique Voltaire introduit une vision physiocratique dans l’histoire médiévale. A l’instar de Fleury, Voltaire évoque « la disette d’argent », mais aussi les dépenses entraînées par les Croisades dont l’effet pervers est de drainer le numéraire hors du cœur de l’Europe. Les arguments énumérés ici font un ensemble présenté à un moment hautement significatif, lors de la rançon de Louis IX. A ce point Voltaire enchaîne par une réflexion générale :

Si des deux millions d’hommes qui moururent dans le Levant, chacun emporta seulement cent francs, c’est-à-dire un peu plus de cent sous du temps, c’est encore deux cent millions de livres qu’il en coûta. Les Génois, les Pisans, et surtout les Vénitiens, s’y enrichirent ; mais la France, l’Angleterre, l’Allemagne furent épuisées.

Voltaire a aussi une idée claire de ceux qui furent les bénéficiaires de « ces émigrations des chrétiens ». Point du tout le domaine du roi, mais les communes :

Le seul bien que ces entreprises procurèrent, ce fut la liberté que plusieurs bourgades achetèrent de leurs seigneurs. Le gouvernement municipal s’accrut un peu des ruines des possesseurs des fiefs. Peu à peu, ces communautés, pouvant travailler et commencer pour leur propre avantage, exercèrent les arts et le commerce, que l’esclavage éteignait30.

En relevant le phénomène de l’affranchissement des communes, Voltaire participe à une prise de conscience assez caractéristique au siècle des Lumières. Vu la couche sociale qui porte cet élan – il s’agit avant tout d’hommes de loi, lecteurs professionnels de chartes – Voltaire s’identifie ici à une strate socio-culturelle particulière31. La bonne compagnie dans laquelle il se trouve alors ne l’empêche pas de faire de la disette d’argent une sorte de refrain : c’est toujours à propos de Louis IX qu’il fait le développement suivant :

… ce roi malheureusement venait d’épuiser la France par sa croisade et par sa rançon en Egypte, et il dépensait le peu qui lui restait à rebâtir en Palestine les murailles de quelques villes sur la côte, villes bientôt perdues pour les chrétiens32.

Il est intéressant qu’à un moment donné, l’auteur, conscient de la nouveauté et de la hardiesse de son procédé, s’interrompe subitement pour s’expliquer. Et c’est le même son de cloche dans le chapitre intitulé « Tailles et monnaies », où on lit :

J’ai déjà remarqué que l’or d’une partie de l’Europe, et surtout de la France, avait été englouti en Asie et en Afrique par les infortunes des croisades. Il fallut donc, dans les besoins toujours renaissants, augmenter la valeur numéraire des monnaies. […]. Dans cette disette générale d’argent qu’on éprouvait en France après les croisades, le roi Philippe le Bel avait non seulement haussé le prix fictif et idéal des espèces ; il en fit fabriquer de bas aloi, il y fit mêler trop d’alliage : en un mot, c’était de la fausse monnaie, et les séditions qu’excita cette manœuvre ne rendirent pas la nation plus heureuse33.

Son opinion se trouve corroborée grâce à un fait semblable rapporté en Ecosse :

Un seul trait suffira pour faire connaître la disette d’argent en Ecosse, et même en Angleterre, aussi bien que la rusticité de ces temps-là, appelée simplicité. On lit dans les actes publics que quand les rois d’Ecosse venaient à Londres, la cour d’Angleterre leur assignait trente schellings par jour, douze pains, douze gâteaux, et trente bouteilles de vin34.

Le chapitre sur les « Tailles et monnaies » constitue un défi qui, selon Voltaire, mérite réflexion :

Je considère donc ici en général le sort des hommes plutôt que les révolutions du trône. C’est au genre humain qu’il eût fallu faire attention dans l’histoire : c’est là que chaque écrivain eût dû dire : homo sum ; mais la plupart des historiens ont décrit des batailles35.

Voltaire se justifie ici en faisant une révérence à la tradition humaniste. Au XVIIIe siècle, Térence est un auteur populaire, surtout grâce à la citation homo sum36 mais l’interprétation que Voltaire en donne est marquée au coin par un esprit nouveau : à une histoire globale une anthropologie nouvelle. L’Encyclopédie aura pour effet d’amplifier la vision voltairienne des Croisades. Fait piquant, le rédacteur de l’article « Croisade » nomme deux autorités : Fleury et Voltaire37. Fleury, exploité par l’auteur de l’Essai, se trouve rétabli en son droit. Nul doute, l’Essai et l’Encyclopédie se sont conjugué à imposer une certaine idée des Croisades et à marquer la dernière génération avant la Révolution38.

Il est vrai, le siècle des Lumières est un siècle de la critique. Malheureusement, celui qui étudie la réception des ouvrages historiques de Voltaire doit se rendre à l’évidence : l’Essai sur les mœurs pris au prisme de la critique nous renseigne plus sur les humeurs des « antiphilosophes » que sur la qualité et les enjeux de l’ouvrage. Le censeur espagnol Benito-Jéronimo Feijὸo se distingue par sa grandeur d’âme, le style au moins est décrit par un admirateur39. L’abbé Claude-François Nonnotte, par contre, y découvre aucune grâce. Il fait le procès des Erreurs de Voltaire, traquées sans pitié ni humour. Au chapitre intitulé « Croisades » on voit, digne de Chateaubriand, le merveilleux rétabli ainsi que la thèse de Fleury défigurée et édulcorée. Et l’antiphilosophe, agacé par la démonstration de Voltaire, s’en prend aux chiffres fournis dans l’Essai :

Il calcule ensuite en philosophe profond les pertes immenses d’hommes et d’argent que causèrent les Croisades à l’occident. Après tous ces calculs mille fois répétés, il trouve que la perte des hommes alla à près de deux millions : il est vrai que c’est là à peu près le nombre des personnes qui firent le voyage de la Palestine ; mais il faut observer : 1. Que M. de Voltaire ne dit mot de ceux qui revinrent, et qu’il suppose mal à propos que tous y périrent. Il ne faut donc pas estimer la perte des hommes par le nombre de ceux qui firent le voyage. 2. Cette perte qui paraît si frappante, cessera de l’être, si l’on fait attention au temps que durèrent les croisades, et à la multitude des nations qui prirent part à ces expéditions. La mode des croisades dura près de deux cents ans. Tout l’Occident y contribuait ; l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Hongrie. La perte d’hommes, pour cette étendue de pays n’allait pas à dix mille par an ; ce qui peut être compté pour rien. 3. Dans la guerre qui se fit au commencement de ce siècle pour la succession d’Espagne et qui ne dura que douze ans, il périt bien autant de monde, et néanmoins on ne s’en apercevait pas vingt ans après. On devait donc s’apercevoir encore bien moins des pertes que causaient les croisades. Les exagérations, les lamentations, les réflexions de M. de Voltaire sont donc bien mal fondées40.

En isolant l’argumentation de son contexte, en faisant fi du réseau de « preuves » tissé par Voltaire, « l’antiphilosophe » se rend la tâche facile car il se contente de démonter une démonstration par un truisme. En résumé, c’est un débat de sourds. Une étude plus approfondie de la réception de la vision voltairienne des Croisades dépasserait le cadre de cet exposé. De nos jours, les historiens-économistes ne discutent plus la thèse de Voltaire. Ce qu’ils tiennent pour indiscutable c’est l’enrichissement de villes telles que Gênes et Venise, mais le corollaire, une perte générale du numéraire, n’est plus évoqué41.

Loin de moi toute prétention à faire de Voltaire un « précurseur ». En revanche, son cas fournit une occasion assez rare de jeter un coup d’œil sur le travail d’historien, de le retracer in statu nascendi. La limitation de notre champ a facilité l’analyse qui porte sur la genèse d’une idée-maîtresse, constituant un des piliers de son raisonnement historique. Vu le nombre de données fort réduites, on pourrait présenter l’imagination historique de Voltaire comme un modèle fonctionnant en trois étapes :

Première étape : fin lecteur et doté d’une mémoire prodigieuse, il est constamment en train d’élargir ses connaissances. C’est en confrontant le savoir nouveau à un stock « ancien », qu’un tri s’opère continuellement, ordonné par la raison. Après un premier heurt dû au choc entre notions acquises de longue date et notions récentes, le tout s’assemble pour générer un nouvel équilibre.

Deuxième étape : Si Voltaire, lecteur aussi fébrile que rapide, amorce une synopsis, c’est qu’il prend conscience de tout un pan de l’histoire. Cet acte peut se traduire ou par une image, ou par une vision d’ensemble, ou par une visualisation (« Anschauung »), comparables à des jalons qui marquent le territoire de l’historien.

Troisième étape : c’est le moment décisif où Voltaire cible son intervention. Se méfiant de son propre tempérament, l’imagination historique est tamisée avant qu’une hypothèse ou une idée maîtresse ne soit lancée. L’imagination historique, devant le risque de vagabonder, est constamment soumise à un contrôle rigoureux. Nous l’avons vu, l’historien, hanté par le pyrrhonisme historique42, réagit comme Pierre Bayle. Pour Voltaire, l’intuition historique, pour être probante, doit être rattachée à un ensemble de sources authentiques et concordantes. Mieux encore, le jeu de la falsification peut également fournir une preuve a contrario à étayer la consistance d’un raisonnement historique et la cohérence d’une interprétation. Il s’agit d’un processus psychologique où la création se protège en érigeant une barrière. René Pomeau l’a montré pour la poésie, les élans poétiques sont comme brimés43, de même son imagination historique est un cosmos tenu en branle.

Le fait d’être, de temps à autre, espiègle, ne l’empêche pas de tenir le métier d’historien pour sérieux, de considérer Clio comme une muse exigeante. De même, une idée maîtresse « échappée » dans l’Essai, même si elle ressemble à une boutade, ne peut être tenue pour gratuite ou incontrôlée. Bien sûr, Voltaire historien n’est pas à l’abri d’erreurs. Tout au contraire. Mais la légèreté du style, l’allure de l’historien dissimulent aussi une discipline intellectuelle qui reflète sa déontologie d’historien.

Cette retenue sur le plan intellectuel n’a pas échappé au journaliste Frédéric-Melchior Grimm44, un des rares contemporains à comprendre les aspirations de Voltaire historien. En passant de l’apologie au blâme, le journaliste lui reproche une sorte d’auto-censure, il découvre dans l’Essai « sagesse » et « prudence » pour continuer comme suit : « Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il faudrait qu’il commençât par se défaire de cette sagesse qu’il affecte dans son troisième volume, et qui ne lui est point naturelle. »45 Grimm met aussi en épingle une phrase qui concerne notre contexte : « L’auteur appelle les finances le pouls de l’Etat, comparaison belle et juste. »46 Il s’agit là d’un témoignage « philosophique », où la référence monétaire n’est pas passée inaperçue.

Un premier volet de mon exposé était consacré à la référence monétaire. Le deuxième volet fait ressortir celle-ci comme une idée-maîtresse de Voltaire. Il n’y eut à partir de là qu’un pas à franchir pour construire un modèle à partir de l’imagination. La boucle vient de se boucler. Ceci est aussi vrai pour l’Essai en tant qu’ouvrage historique. La gestation de l’Essai a pris quelques quarante années : c’est le travail d’une vie. Ce que l’auteur de l’Essai a d’abord ressenti comme un défi est devenu, une génération plus tard, une évidence. Lorsque William Robertson, auteur d’une Histoire de Charles Quint, envisage de lancer le pendant sous le titre de Histoire d’Amérique, en 1776, un questionnaire (« query »)47 est envoyé aux ambassadeurs britanniques. Pour un disciple de Clio, c’est alors devenu une question de bon sens que de recourir à la référence monétaire…

En guise de conclusion, il convient d’évoquer un paradoxe propre au XVIIIe siècle. A certains égards, l’imagination historique de Voltaire correspond à un jardin à la française : avec des arbres bien taillés méthode constamment affinée, une conscience en éveil, en résumé le « progrès »48 au travail. Voilà une apparence trompeuse qui cache un paradoxe. Une comparaison du marché du livre en France et en Angleterre nous apprend que leur fonctionnement est alors diamétralement opposé. Outre-Manche, éditeurs, sociétés de lecture et public constituent le marché le plus formidable qui soit. Là-bas, la demande crée de grands talents tels que Hume, Ferguson, Robertson et Gibbon. Un contrat avec un éditeur assure réputation et fortune. En France, c’est exactement l’inverse. L’historien doit avoir charge, fonction ou titre pour compter sur un revenu nécessaire et indispensable en vue de faire des recherches historiques. A l’instar de la société d’ordres, c’est le juge d’armes d’Hozier qui touche les appointements les plus élevés49. En règle générale, c’est la fortune personnelle qui est un préalable à la recherche historique. Ce n’est donc pas le moindre paradoxe de constater qu’en France, l’indépendance financière est une condition nécessaire au disciple de Clio, tandis qu’Outre-Manche, il faut solliciter le baiser de la muse pour aspirer à la fortune.

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1 Pour la lente genèse de Voltaire historien, F. Diaz, Voltaire storico, Turin 1958, chap. I, 11-49 et R. Pomeau, Voltaire et son temps, t. I intitulé D’Arouet à Voltaire, Oxford 1985, 173-181, 267-274.

2 Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, éd. R. Pomeau, Paris, Garnier, 1963, 2 vol., I, 737, note (désormais Essai) ; voir aussi la rançon exigée pour libérer Richard-Cœur-de-Lion, assortie d’équivalence, id., I, 580.

3 M. Laurent-Hubert, « L’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : une histoire de la monnaie ? », in : Le Siècle de Voltaire. Hommage à René Pomeau, éd. C. Mervaud, S. Menant, Oxford, 1987, 2 vol., II, 577-591.

4 M.-S. Rivière, « Voltaire’s use of eyewitnesses’ reports in Le Siècle de Louis XIV with special reference to the Mémoires de Torcy », in : New Zealand Journal of French Studies, 9, n° 2 (1988), 5-26. Voir aussi R. Pomeau, (note 1), 271 sv.

5 G.R. Havens, N.L. Torrey, « Voltaire’s catalogue of his library at Ferney », Studies on Voltaire and the eighteenth century, 9 (1959) (désormais SVEC). Bibliothèque de Voltaire : catalogue des livres, Moscou-Léningrad 1961.

6 Corpus des notes marginales de Voltaire, 5 vol. parus, Berlin 1979-1994.

7 D 2559 ; 29.10.1741. D 5009 ; 6.9.52. L’histoire universelle de Psalmanazar, Salmon, Sale, An universal history from the earliest account of time, Londres 1736-1765, 23 vol. fut un bestseller aussitôt traduit en hollandais, allemand et deux fois en français (46 vol., Amsterdam, Leipzig, Paris 1742-1802) et (126 vol., Paris 1780-1791). Voir les deux études de G. Ricuparati et G. Abbatista consacrées à l’Universal History, in : Studi settecenteschi, 2 (1981).

8 E. de Mézeray, Abrégé chronologique de l’histoire de France, Amsterdam 1673-1674, 6 vol. (BV 2443) (1 1667-68) et « nouv. éd. », Amsterdam 1701. 6 vol. (BV 2444) ; G. Daniel, Histoire de France, nouv. éd. Paris 1729, 9 vol. (BV 938 (11713) ; Cl. Fleury, Histoire ecclésiastique, Paris 1720-1736, t. 2-36 (BV 1350) (1 1691) ; Rapin de Thoyras, Histoire d’Angleterre, nouv. éd., La Haye 1749, 16 vol. (BV 2871) (1 1724-1727) (éd. angl., 1729-1732).

9 Sans doute, Voltaire a connu l’Histoire générale d’Espagne, soit l’édition de l’abbé Morvau de Bellegarde, Paris 1723, 9 vol. soit celle de J.N. Charenton, Paris 1725, 6 vol. Une question qui reste en suspens c’est à savoir s’il a lu une édition française, espagnole, p. ex. Historia general de Espana, Lausanne 1737-1739, 16 vol. ou l’originale, Historia de rebus Hispaniae libri triginta, 1re éd. Tolède, 1592. De toute façon, ni le catalogue de Ferney, ni la bibliothèque de Voltaire (note 5) ne portent de trace de cet ouvrage, ni du précédent. Sans se référer à une édition précise M. Komorowski (Das Spanienbild Voltaires, Bern 1976, 32, 71n., 77) conclut à l’emploi du classique espagnol par Voltaire comme source d’information importante.

10 G. Daniel, Histoire de la milice françoise, 2 vol., Amsterdam, 1724, I, 152.

11 « Avant-propos » de l’Essai, I, 196. Fait significatif, ce blâme adressé à Bossuet s’autorise de la « philosophie » de Madame du Châtelet à qui cet ouvrage est dédié. Sur le débat autour du providentialisme en histoire, voir W. Kägi, « Voltaire und der Zerfall des christlichen Weltbildes », Corona, 8, 1938, 76-101 ; K. Löwith, Weltgeschichte und Heilsdenken, Stuttgart, 1961, 99-108 (lre éd. angl. 1949) ; L. Ferenczi, « Le Discours de Bossuet et l’Essai de Voltaire », Les Lumières en Hongrie, en Europe centrale et en Europe orientale, Colloque de Matrafüred 1981, Budapest, Paris, 1984,187-191. W. Frick, Providenz und Kontingenz, Untersuchungen zur Schicksalssemantik im deutschen und europäischen Raum des 17. und 18. Jahrhunderts, 2 vol., Tübingen, 1988, I, 82-86. U. Muhlack, Geschichtswissenschaft im Humanismus und in der Aufklärung. Die Vorgeschichte des Historismus, München, 1991, 118-122, 189-190.

12 Essai, I, 584, note de Kehl. Fleury, éd. 1691-1734, 34 vol., XII, 122 (I. 75, ch. 52) cite en marge : « Nicétas, 352 ». L’éditeur de l’Essai avait déjà relevé cette erreur mais comme imputable à Voltaire.

13 F. Leblanc, Traité historique des monnoyes de France, Amsterdam 1692, 176 (BV 1963 ; Corpus, V, n° 905).

14 Quant à l’exemple anglais cité dans l’Essai, il s’inspire de Rapin-Thoyras, II, 282 (l’exemplaire de Voltaire a un signet d’après R. Pomeau, Essai, I, 760, note) mais comme référence sont données « les actes publics », à savoir les Foedera, éditées par Th. Rymer, Londres, 1704-1713, 15 vol. Est également mentionnée la Chronique de Villani (Essai, I, 673, citée ici plutôt d’après Fleury, (note 12), XVIII, 17 (1. 95, ch. 5) qu’à la suite de l’édition assurée par Muratori, Rerum italicarum scriptores, XIII, 765. Sur l’apport de Muratori dans l’Essai voir L. Gatto, Medievo Voltairiano, Rome 1972, 237-244.

15 R. Koselleck, Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Francfort, 1979.

16 Voltaire, Les éléments de la philosophie de Newton, Amsterdam, 1739. Sur le vulgarisateur de Newton : A. Kleinert, Die Allgemeinverständlichen Physikbücher der französischen Aufklärung, Aarau, 1974, 87-106.

17 J.-Fr. Melon, Essai politique sur le commerce, s.l. 1734 (BV 2386, éd. 1736) Corpus, V, n° 1101.

18 C’est sous forme d’un compte rendu, intitulé « Lettre à M. Thierot sur le livre de M. Dutot et sur celui de M. Melon » que Voltaire fait, en 1738, une refonte de deux articles antérieurs, Μ. XXII, 359-379, ici 367.

19 [Dutot], Réflexions politiques sur les finances…, La Haye, 1738, 2 vol. (BV 1195 ; Corpus, III, n° 557).

20 J.A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, I, Paris, 1983 (1 1957), 249 sv.

21 Il s’agit de la fin de l’article, publié dans la Bibliothèque Françoise, t. XXIV, Μ. XXII, 367 en note.

22 P. Harsin, Les doctrines monétaires et financières en France au XVIIIe siècle, Paris, F. Alcan, 1928, 238, note 3. La même constatation pour les idées fiscales de Voltaire : M. Goubard, Voltaire et l’Impôt. Les Idées Fiscales de Voltaire, thèse Paris, 1931, 174 sv.

23 L.L. Albina, « Les sources du conte antiphysiocratique L’Homme aux quarante écus d’après les données nouvelles provenant de la bibliothèque personnelle de Voltaire », SVEC, 242 (1986) 159-168, ici 160.

24 A. Morize, L’apologie du luxe au XVIIIe  siècle et « Le Mondain » de Voltaire. Etude critique sur « Le Mondain » et ses sources, Paris, 1909, 111-123.

25 Essai, I, 760 sv. L’aspect sociologique du phénomène monnaie est mis en relief dans l’article de Laurent-Hubert (note 3). Sans être étrangers à Voltaire historien, les concepts sociologiques restent pour lui un objet de méfiance. Son approche est donc opposée à celle de Montesquieu dans De l’esprit des lois.

26 Dans le domaine de la gestion de fortune de Voltaire, malgré les travaux de Besterman et la nouvelle biographie consacrée à Voltaire et dirigée par R. Pomeau une étude exhaustive fait toujours défaut.

27 G. Daniel (note 8), éd. 1713, p. ex. L’index et groupé selon les règnes des rois de France, la dernière partie étant consacrée aux « coutumes ». La lente genèse de l’idée de civilisation a été retracée par J. Dagen, L’histoire de l’esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet, Paris, 1977, 203-256. Une influence sur Voltaire n’est jamais exercée de façon monocausale, la tentative d’Ira O. Wade de faire d’Espiard, Essai sur le génie et le caractère des nations, Bruxelles, 1743, la source principale pour le concept de civilisation constitue une réduction de la pensée de Voltaire, voir Ira O. Wade, The Intellectual Development of Voltaire, Princeton, 1969, 497-509.

28 Pour l’hypothèse d’une rédaction de l’Essai dans les années 40, voir H. Duranton, « La genèse de l’Essai sur les mœurs ; Voltaire, Frédéric II et quelques autres », in : Voltaire und Deutschland. Quellen und Untersuchungen zur Rezeption der französischen Aufklärung, éds. Brockmeier, Desné, Voss, Stuttgart 1979, 257-268.

29 Vu le succès rencontré par les Discours sur l’histoire de France, Fleury en a fait une publication à part, Paris, 1720, « Sixième Discours », 234-274.

30 Essai, I, 599. Comme corollaire, il faut comparer le dernier passage avec le chapitre des « affranchissements » ; « Les seigneurs eux-mêmes vendirent à leurs petites villes la liberté, pour avoir de quoi soutenir en Palestine l’honneur de la liberté », Essai, I, 776.

31 D. Gembicki, « Le renouveau des études sur les communes médiévales au XVIIIe siècle », in ; Centre aixois d’études et de recherches sur le XVIIIe siècle, La Ville au XVIIIe siècle, Colloque d’Aix-en-Provence (29 avril-1er mai 1973), Aix-en-Provence [1975], 205-211.

32 Essai, I, 620.

33 Essai, I, 781 sv. – L’idée que la disette générale d’argent était due aux Croisades se trouve dans le corpus d’histoires nationales ainsi que chez Leblanc (note 13).

34 Essai, I, 760. Son garant est Rapin-Thoyras (note 8).

35 Ibid., I, 781.

36 Térence, Heautontimorumenos. Quant à l’écho au siècle des Lumières, voir M. Delon, « ‘Homo sum…’ un vers de Térence comme devise des Lumières », Dix-huitième Siècle, 16 (1984) 279-96.

37 Encyclopédie, IV, Paris 1764, 502-505. Par rapport a l’Essai ce résumé se distingue par son militantisme. L’article « Croisade » est de Diderot (communication de F. Kafker).

38 L. Trénard, « L’historiographie française d’après les manuels scolaires, de Bossuet à Voltaire », SVEC, 155 (1976), 2083-2111 ; et du même « De l’Essai sur les mœurs à un manuel condamné », in : Pour une histoire qualitative : études offertes à Sven Stelling-Michaud, Genève, 1975, 161-178.

39 F. Lafarga, « Voltaire en Espagne 1734-1835 », SVEC, 261 (1989), cite en appendice, 185-191, un texte de Feijόo, intitulé « Idea de la obras de Voltaire », le point 6 concerne le style de Voltaire.

40 Cl.-Fr. Nonnotte, Les erreurs de Voltaire, Paris-Avignon, 1762, 2 vol. (BV 2579, éd. Amsterdam [Paris], 1766), texte cité d’après l’éd. de Besançon 1818, en 3 vol., I, 126-136, ici 131 sv.

41 A. Atiya, Crusades, Commerce and Culture, Bloomington, 1962.

42 « Le Pyrrhonisme de l’histoire par un bachelier en théologie » (1769), Μ. XXVII, 235-299. Voici une manifestation tardive d’un courant de la pensée très répandu au XVIIe siècle. Fait caractéristique, Voltaire s’y réfère en tant qu’historien et non comme philosophe. Sur ce problème, voir les suggestions faites par B. Binoche, Les trois sources des philosophies de l’histoire (1764-1798), Paris, PUF, 1994, 38, n. 1.

43 R. Pomeau, Voltaire, Paris, Seuil, 1989 (1 1955), 38, 47, 51.

44 Une esquisse biographique sur Grimm par J. Schlobach, in : J. Sgard, éd., Dictionnaire des Journalistes (1600-1789), Grenoble, 1976, 183-185.

45 Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc., éd. M. Tourneux, Paris, 1877-1882,16 vol. Voici la suite chronologique : Histoire des croisades, I, 85 ; Abrégé, II, 308 ; Essai, II, 177, 394 ; III, 348, 362, 372, 376 ; V, 289 ; ici III, 395.

46 Il s’agit d’une justification qui figure dans l’Essai, chap. 51, I, 540 où on lit : « J’insiste souvent sur ce prix des monnaies ; c’est, ce me semble, le pouls d’un Etat, et une manière assez sûre de reconnaître ses forces. »

47 M. Schlenke, William Robertson als Geschichtsschreiber des europäischen Staatensystems, Untersuchungen zur Einheitlichkeit seines Gesamtwerkes (unter Benutzung des handschriftlichen Nachlasses in den Archiven zu London und Edinburgh), Diss. dact., Marburg, 1953, 190-191. Voir aussi, du même : « Anfänge einer wissenschaftlichen Geschichtsschreibung in Grossbritannien im 18. Jahrhundert », in : Historische Forschung im 18. Jahrhundert. Organisation, Zielsetzung, Ergebnisse, Bonn, 1976, 314-333 (Pariser Historische Studien 13).

48 D. Gembicki, R. Reichhardt, « Progrès » in : Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich 1680-1720, Heft 14, München, 1993, 101-153.

49 Françoise Pathié (Bercé), Les généalogistes des ordres du roi au XVIIIe siècle, Paris, s.d., (Ecole des Chartes, thèse dact.). Pareille manne n’exclut point les déboires financières de Louis-Pierre et d’Antoine-Marie d’Hozier ; voir A. de Grolée-Virville, Les d’Hozier : juges d’armes de France, Paris, Ed. Cardinales, 1978, 69, 89.