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Les recherches françaises à Thespies et au Val des Muses

Christel MÜLLER

Ecole française d’archéologie Athènes

Le présent article est consacré à la relation des travaux et des recherches effectués sur le territoire de la cité de Thespies par les membres de l’Ecole française d’archéologie depuis le milieu du XIXe siècle. Il permettra de rouvrir un dossier qui, à l’instar de quelques autres (dont le Ptoion pour ne citer qu’un cas béotien), a été abandonné par l’auteur des fouilles et publié de façon tardive et partielle. Il s’agit donc d’établir un bilan de ces travaux que l’on replacera dans le contexte des recherches françaises en Grèce, mais aussi de faire quelques propositions nouvelles sur la base de documents d’archives inédits. On sait que le fouilleur français du Val des Muses, Paul Jamot, a également effectué deux campagnes dans la ville même de Thespies ; ce double intérêt, en grande partie fruit du hasard, a permis des découvertes que l’on peut s’efforcer d’interpréter aujourd’hui en termes de rapports entre un centre civique et un sanctuaire de confins extra-urbain, dominé par ce centre. Le déroulement des fouilles ainsi que cette problématique nouvelle justifient, en tout cas, « l’extension géographique » de mon propos qui ne se limitera pas au seul sanctuaire des Muses.

Le val des muses

L’emplacement exact du Mouseion de Thespies fut identifié pour la première fois avec certitude par les Français Louis Petit de Julleville et Paul Decharme en 18651, lors d’une exploration de l’Hélicon : ils infirmaient ainsi l’hypothèse de W. Leake2 selon qui l’hieron devait se situer sous les ruines du monastère abandonné d’Haghios Nicolaos, dans un vallon secondaire. Ils fondaient leur opinion sur la présence, dans l’une des trois petites églises byzantines ruinées qu’ils venaient de découvrir, d’une dédicace thespienne aux Muses et du grand nombre d’inscriptions utilisées comme remplois. P. Decharme retourna seul sur le site en 1866 et fit procéder à des « fouilles » dans les ruines des églises d’Haghia Trias et d’Haghia Catherina : plusieurs consécrations et catalogues agonistiques furent ainsi exhumés. L’auteur manifeste certes, dans son rapport, un goût immodéré pour la quête épigraphique, seul objet de ses fouilles qui doivent indiquer « à ceux qui viendront une source presque certaine d’inscriptions nouvelles » ; mais il y fait aussi la preuve d’une qualité exceptionnelle en matière de raisonnement topographique, lorsqu’il s’agit par exemple de localiser correctement la fontaine Hippocrène à la suite des égarements de ses prédécesseurs. Il est également le premier à conclure, d’après Pausanias3, à l’absence de temple des Muses dans le Val lui-même, intuition que ses successeurs n’ont pas suivie dans leur identification des vestiges. Comme d’ordinaire en effet, les indications du périégète sont ici d’interprétation difficile : aucun bâtiment n’est mentionné, ni autel, ni portique, ni théâtre. Si Pausanias a vraiment visité le sanctuaire, ce désintérêt inhabituel pour des constructions sacrées est suspect ; plutôt que d’imaginer un oubli de sa part, il faut alors supposer que dans ce Mouseion toute son attention se focalise sur le rassemblement d’œuvres d’art comme en témoigne la longue liste de statues qu’il fournit à son lecteur. Mais on peut aussi penser, sans pour autant tomber dans les exagérations de ses détracteurs allemands du XIXe siècle4, que Pausanias n’est tout simplement pas allé au Val des Muses et se fonde sur des sources anciennes incomplètes sur le plan de l’architecture, mais impressionnées par les dédicaces. Les indications topographiques, qui permettent d’établir le parcours suivi5, ne sont pas en elles-mêmes la preuve que l’auteur s’est rendu sur les lieux et sont éventuellement attribuables à une source périégétique antérieure. On a ainsi admis jadis6 qu’il a pu s’inspirer de Polémon de Troie, auteur périégétique de la fin du IIIe s. ou du IIe s. a. C7.

Après un passage éclair de Jules Martha, qui ne fit « qu’effleurer le filon d’Haghia Triada » selon la jolie expression de Georges Radet8, les travaux de Decharme furent repris à partir de 1888 par Paul Jamot, membre de l’Ecole. Deux campagnes de fouilles eurent lieu, en octobre-novembre 1888 et de mai à août 1889, qui avaient « pour objectif principal la recherche de monuments relatifs au culte des Muses Héliconiennes » selon les termes mêmes du mémoire inédit9 présenté par le fouilleur à l’Académie en 1890. Outre les inscriptions, les monuments figurés et les petits objets, les fouilles mirent au jour les trois bâtiments déjà évoqués (le portique, le théâtre et le « temple »), sans compter les traces d’un second portique au nord de l’autel, sur la rive gauche du Permessos. Les méthodes archéologiques de P. Jamot furent celles de son temps et ce serait lui faire un mauvais procès que de lui reprocher d’avoir entièrement détruit les trois chapelles du site sans prendre de relevé ou d’avoir, en creusant le long des murs — comme en témoignent l’aspect actuel du terrain et les photographies d’époque —, perdu à jamais les tranchées de fondation de l’autel ou du portique et donc la possibilité de vérifier les indices chronologiques fournis par l’architecture. Plus difficile à comprendre, pour une époque aussi « philologique », est le peu d’attention que le fouilleur prêta aux auteurs anciens : Jamot considère en effet que le bâtiment dégagé dans la partie orientale du sanctuaire est un temple des Muses ; or, au-delà des difficultés architecturales que cela pose (taille et orientation au nord du monument, absence de pronaos et d’opisthodome, emmarchement insolite à l’ouest), les textes ne permettent pas de confirmer une telle interprétation. Si l’on hésite à tirer parti du témoignage de Pausanias pour les raisons que l’on a vues, un rapide examen des autres sources montre qu’il n’est jamais question de naos dans le sanctuaire de l’Hélicon, qualifié par Strabon10 de ἱερόν, par Philostrate11 de simple Μουσεῖον et par Callistrate12 de τέμενος.

La fouille fut suivie de la publication, dans le Bulletin de Correspondance Hellénique pour l’essentiel, de quelques inscriptions et monuments figurés13, mais l’auteur des travaux ne donna jamais de synthèse — pourtant annoncée — sur le site, ni même d’article sur les bâtiments dégagés, faute d’architecte compétent semble-t-il14. Jamot prenait lui-même ses cotes et traçait à la plume ses propres croquis, comme en témoignent les archives. Ce fait est moins difficile à comprendre, si l’on replace les travaux du Val des Muses dans le contexte de la politique archéologique de l’Ecole à la fin du XIXe siècle. La Béotie bénéficiait d’un intérêt sans faille de la part des membres depuis les années 1850. Les principaux sites avaient tous fait l’objet de voyages et certains même de rapides sondages : la mission de Decharme précédemment évoquée en est le meilleur exemple. Cette attention culmina à la fin du siècle avec l’ouverture de véritables chantiers : celui de Jamot au Val des Muses et à Thespies, celui de Maurice Holleaux au Ptoion et, dans une moindre mesure, ceux d’André De Ridder à Gla et Orchomène15. Malgré le passage au Ptoion de l’ingénieur Henri Convert, les travaux du premier comme du second restèrent inédits, victimes sans doute des changements de stratégie qui favorisèrent, aux dépens des fouilles de moyenne importance, les grands chantiers de Delphes puis de Délos : ceux-ci accaparèrent les architectes, les topographes et bien sûr les membres. Il paraît évident surtout que l’octroi en 1891 d’un permis de fouilles de dix ans au sanctuaire d’Apollon pythien est à l’origine du désintérêt soudain pour les cités béotiennes.

De Ridder, collaborateur de Jamot à Thespies en 1891, reprit le dossier et avait déjà rédigé un gros article lorsqu’il mourut en 1921 ; Georges Daux et André Plassart furent alors chargés de vérifier l’exactitude des descriptions de De Ridder et la publication de l’ensemble des « monuments figurés » vit le jour en 192216. Le chapitre consacré à l’architecture fut laissé de côté « jusqu’à une révision des ruines subsistantes et à l’exécution de levés complémentaires »17. Celles-ci n’eurent jamais lieu naturellement et les bâtiments du Mouseion sombraient déjà dans l’oubli et la décrépitude, lorsque Georges Roux, en 1954, les tira de l’obscurité et en sauva ce qui pouvait l’être, non par de nouvelles fouilles mais par ses observations personnelles et surtout une étude minutieuse des documents d’archives. Il publia ainsi un article où il démontra que le temple était en fait un autel monumental orienté à l’est, doté d’une plate-forme de prothysis à l’ouest et il data, sur des indices architecturaux, l’ensemble des monuments (autel, stoa et théâtre) du IIIe siècle. Cette publication peut, à mon sens et malgré les réserves de l’auteur18, être considérée comme définitive ; en effet, une reprise des fouilles rencontrerait plusieurs objections rédhibitoires : Jamot, par ses sondages systématiques, a probablement découvert tous les monuments importants19 ; ensuite, et c’est bien plus déterminant, toute chance de préciser la chronologie de l’occupation et des bâtiments a définitivement été réduite à néant par le premier fouilleur dont la pratique archéologique a bouleversé totalement les données stratigraphiques sur une surface aussi considérable que mal identifiée. Si l’on se contente d’un simple nettoyage de surface, des levés nouveaux pourront être effectués, mais le bénéfice serait en soi très mince après l’analyse détaillée de G. Roux. Le cas est exactement similaire à celui du Ptoion, et, si ces dossiers anciens méritent que l’on y investisse du temps et des moyens, c’est au prix d’un renouvellement complet de la problématique scientifique dans laquelle on les intègre. Ces sanctuaires ne peuvent plus être étudiés à part, sans que l’on prête attention à leurs rapports avec la cité dont ils dépendent. Cette idée, loin d’être neuve pour l’histoire grecque, ne trouve pas toujours un écho concret dans les stratégies archéologiques où la politique du monument est encore souvent à l’honneur. La cité de Thespies constitue heureusement une exception notable depuis les travaux de prospection intensive menés par John Bintliff et Anthony Snodgrass en plusieurs points du territoire, notamment au cœur même de la ville dont il va être question maintenant.

Les fouilles de Thespies

A partir de 1890, Jamot cessa ses travaux au Val des Muses pour s’intéresser à la ville même de Thespies et à ses abords proches. Outre les nombreuses visites qu’il rendit aux différents villages et églises souvent ruinées de la chôra pour repérer des fondations, des blocs et surtout des inscriptions, il entreprit des fouilles sur trois sites spécifiques : le polyandreion et la voie antique à l’est, le temple d’Apollon du lieu-dit Toumboutzi au sud-ouest et la zone du kastro byzantin où il mit au jour les restes d’un temple qu’il identifia avec le temple des Muses mentionné par Pausanias. Le matériel découvert lors des campagnes de 1890 et 1891 a été publié avec les autres monuments figurés en 192220, mais les vestiges architecturaux restent à décrire pour l’essentiel.

A environ 800 m à l’est du kastro, Jamot reprit la fouille que l’éphore Stamatakis21 avait entreprise en 1882 sur le site du polyandreion, marqué à l’époque par la présence d’un lion de pierre et d’une enceinte quadrangulaire où étaient réunies autour du lion neuf stèles funéraires, érigées à la mémoire des soldats thespiens tombés sans doute à la bataille de Délion. Jamot n’eut pas la « chance » de Stamatakis que « le hasard avait conduit au seul endroit intéressant de la route »22 ; il dégagea cependant la voie antique sur une longueur de 15 m vers l’est et de 25 m vers l’ouest et découvrit des tombeaux « vulgaires et sans décoration extérieure », dont deux seulement n’avaient pas été violés par des paysans. Un cratère à figures rouges et blanches23 découvert dans l’un d’eux offre un terminus post quem au IVe siècle. Cette nécropole paraît marquer, en tout cas, la limite orientale de l’extension de la ville proprement dite à l’époque classique.

A deux km de l’enceinte au sud-ouest cette fois, au lieu-dit Toumboutzi, Jamot mit au jour en 1890 les vestiges d’un temple — en grande partie détruit par la proximité d’un cours d’eau — qu’il identifia comme temple d’Apollon, d’après une inscription figurant sur un talon de lance24 trouvé à proximité25. La date de cette inscription (lère moitié du Ve siècle a. C.) est sans doute à l’origine de la datation du temple lui-même, que l’on suppose d’époque classique26. Rien ne s’oppose, en tout cas, à cette identification et, si Pausanias ne dit rien à ce sujet, un téménos d’Apollon apparaît dans une inscription sur des baux sacrés, comme le rappelle à juste titre A. Schachter27. Le temple a fait l’objet d’une brève mention dans le BCH28 et surtout dans le Deltion29, mais à ma connaissance aucune description détaillée n’en a été donnée jusqu’à ce jour30.

De ce temple, seul l’angle sud-ouest a été dégagé en 1890. Il y subsistait, disposées en une double colonnade, cinq colonnes lisses, à peine dégrossies, dont seuls les premiers tambours, d’un diamètre de 0,80 m, étaient conservés sur une hauteur de 1,30 m31. L’entrecolonnement est de 1,05 m. Subsistaient également la partie méridionale de l’opisthodome et le départ du mur sud de la cella, construit de blocs de tuf (env. 1,20 m x 0,40 m x 0,45 m). Les dalles du stylobate mesuraient env. 1,20 m sur 0,85 m et semblent s’être trouvées à un niveau inférieur de 0,38 m par rapport au dallage de l’opisthodome32. La fouille n’a probablement pas dégagé les fondations, sans doute en conglomérat33. On en déduira, avec prudence, l’existence d’un temple diptère, d’ordre dorique34.

Le dernier endroit où Jamot mena une campagne de fouilles fut le kastro byzantin de Thespies, situé à quelque 700 m au sud du Thespios antique. Il commença par démanteler entièrement celui-ci en 1890 et 1891, à cause des blocs antiques qui y étaient remployés, mais ne procéda là encore à aucun relevé. Son exploration du kastro lui fit découvrir plusieurs murs en place, que De Ridder décrit ainsi dans ses notes : « à l’intérieur du kastro, en partant de l’est on rencontre quelques restes d’une mosaïque antique, puis à 162 mètres environ de l’extrémité orientale, un mur en tuf à trois assises qui va du sud au nord et qui borde une butte médiane, en légère élévation sur le plan général » ; comme l’indique l’auteur, il s’agit d’une « plate-forme surélevée » ou mieux d’une terrasse au nord de laquelle, « Jamot a pu dégager le plan très net d’un temple ». Aucun relevé n’en a été publié et si j’ai pu identifier dans les archives de l’EFA le cliché du relevé d’origine (cf. p. 180) où figurent toutes les cotes, l’original semble aujourd’hui perdu35.

D’après le plan, l’édifice est orienté à l’est et ses dimensions générales sont de 35,60 m sur 16,80 m. Il s’agit d’un temple péristyle, clairement dépourvu d’opisthodome. S’il faut en croire le plan, le pronaos aurait seulement 1,90 m de profondeur et serait barré par un mur long de 2,60 m et parallèle au petit côté ; la cella proprement dite, selon les notes de De Ridder, mesurerait « 27 m de long et 10 m de large ». L’assise qui court le long de la cella à 80 cm des murs nord et sud ne peut guère être comprise que comme la base d’une colonnade intérieure, quoiqu’elle se prolonge jusqu’à la paroi occidentale et, au sud, jusqu’à son extrémité orientale. Le relevé en lui-même n’est pas très aisé à interpréter : il ressemble curieusement à un relevé de fondations, ce qui concorderait avec l’absence de traces de colonnes sur le « stylobate », notée par les fouilleurs. Mais une telle suggestion est évidemment en contradiction avec le fait que plusieurs bases en tuf s’appuient sur le côté oriental du temple : elles ne peuvent avoir elles-mêmes des fondations aussi profondes. La présence de conglomérat, matériau utilisé pour les assises, laisse penser qu’il s’agit des substructions intérieures de la krépis et que le stylobate a été détruit. Les assises situées sous le stylobate ont de 2,40 m de large (2e assise) à 2,20 m (3e assise) ; les assises de la cella ont 2,15 m d’épaisseur à l’est et 1,70 m sur les côtés sud et nord (1re assise) : la 4e assise, conservée vers l’angle sud-ouest n’a plus que 1,30 m de large.

En l’absence de colonnes et de traces de colonnes, il est impossible de restituer l’édifice en élévation. Comme le note De Ridder, « tout ce qu’on peut affirmer avec quelque vraisemblance est que c’était un temple dorique », à cause d’un chapiteau dorique trouvé non loin de là. Ses dimensions « peuvent à la rigueur convenir à notre temple », sans que nous ayons la certitude qu’il en provienne. Il s’agit d’un chapiteau en tuf, à l’échine large et de type archaïque que l’on pourrait dater du milieu du VIe siècle36. Une telle datation trouve confirmation dans la forme allongée de la cella. Le temple ne paraît donc pas postérieur au VIe siècle.

Ce temple a été identifié par Jamot comme le temple des Muses dont parle Pausanias37 à propos de la ville même de Thespies. L’auteur fonde son identification sur la présence d’une stèle, qui porte le texte d’un catalogue de vainqueurs aux Mouseia38, trouvée adossée à la partie orientale du stylobate. Les temples des Muses sont assez rares, comme l’a montré G. Roux39, mais en l’occurrence il n’y a pas lieu de s’étonner de l’existence à Thespies même d’un tel temple. L’anomalie dont parle ce dernier disparaît, si l’on considère qu’il s’agit tout simplement de ce que Madeleine Jost40 appelle un « doublet » civique à propos de certains sanctuaires d’Arcadie : ainsi, au sanctuaire fédéral de Zeus Lykaios fait écho le temenos du même dieu dans la cité de Mégalopolis. En revanche, l’identification précise du naos découvert par Jamot avec le temple mentionné par Pausanias pose davantage de problèmes. Selon le périégète, en effet, « τῆς ἀγορᾶς οὐ πόρρω ναὸς Μουσῶν ἐστιν οὐ μέγας ». Les dimensions de l’édifice, tout d’abord, ne semblent guère convenir : les fondations découvertes par Jamot ne sont pas celles d’un petit temple, mais plutôt celles d’un temple moyen. Par ailleurs, la question est de savoir à quel emplacement de la cité ancienne correspond l’enceinte byzantine et si l’on est près ou loin de l’agora. Quoiqu’il en soit de la localisation d’hypothétiques remparts classiques sur la ligne même du kastro41, la présence de tombes archaïques et hellénistiques dans la partie orientale de celui-ci semble exclure que l’on soit au cœur même de la ville, donc à proximité de l’agora, et cela est confirmé, semble-t-il, par les résultats de la prospection42 au moins pour la période classique et la haute période hellénistique. Ainsi, rien ne permet d’affirmer que le temple découvert par Jamot était bien le temple des Muses.

Telles sont les quelques conclusions auxquelles permet d’aboutir une consultation exhaustive des archives françaises sur Thespies et le Val des Muses. Comme on le voit, leur caractère lacunaire n’autorise que des propositions prudentes sur des monuments aujourd’hui disparus. Si plans et photographies constituent un utile complément au dossier, il faut reporter tous nos espoirs sur la prospection actuellement en cours ou sur d’éventuelles nouvelles fouilles à Thespies, pour mieux percevoir les rapports entre la cité et son territoire et, de la sorte, offrir au Val des Muses une part du contexte civique qui a dû être aussi le sien.

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1 P. Decharme, « Notice sur les ruines de l’hiéron des Muses dans l’Hélicon », Archives des Missions, 2e série, t. IV, pp. 169 à 181. Cf. le croquis topographique de la région du Val des Muses donné p. 181.

2 W.M. Leake, Travels in northern Greece, Londres, 1835, II, p. 492.

3 Paus., IX, 28-31, 3.

4 Ch. Habicht, Pausanias’ guide to ancient Greece, Berkeley, 1985, pp. 165-175, « Pausanias and his critics ».

5 L’auteur de la description part de Thespies et se dirige vers le Val en passant à Askra ou au pied d’Askra, puis en laissant à sa gauche la fontaine Aganippé située de l’avis général au monastère ruiné d’Haghios Nicolaos.

6 Habicht, op. cit., p. 165.

7 Cette solution ne rend pas compte cependant d’une remarque accessoire au présent de l’indicatif, peu susceptible de provenir d’une source éventuelle, remarque selon laquelle « des hommes aussi habitent l’alsos » (IX, 31-33). Rien ne permet donc de trancher définitivement en faveur du caractère autopsique du document, qui demanderait une discussion plus longue peu pertinente ici.

8 G. Radet, L’histoire et l’œuvre de l’Ecole française d’Athènes, Paris, 1901, p. 297.

9 Ce mémoire est partiellement conservé dans les archives de l’Ecole française.

10 Strab., 9, 2, 25.

11 Philostr., Vita Apoll. IV, 24.

12 Callistr., Descript. 7.

13 Cf. BCH 14 (1890), pp. 546-551 « Stèle votive trouvée dans l’hiéron des Muses » ; 15 (1891), pp. 381-403 « Fouilles à Thespies et à l’hiéron des Muses. Fragment d’une statue en bronze » ; 18 (1894), pp. 201-215 « Fragments d’un sarcophage représentant les travaux d’Hercule » ; 19 (1895), pp. 311-385 « Les jeux en l’honneur des Muses » puis « les jeux en l’honneur d’Eros » ; 26 (1902), pp. 129-160, « Le monument des Muses dans le bois de l’Hélicon et le poète Honestus », et pp. 291-321 « Deux familles thespiennes pendant un siècle » ; REG 15 (1902), pp. 353-356 « Sur la date de la réorganisation des Mouseia » ; Mélanges Perrot, Paris 1903, pp. 195-201 « Deux petits monuments relatifs au culte de Déméter en Béotie ».

14 G. Roux, BCH 78 (1954), p. 23.

15 Les fouilles de Gla sont publiées dans le BCH 18 (1894), pp. 271-310 et celles d’Orchomène dans le BCH 19 (1895), pp. 137-224.

16 BCH 45 (1922), pp. 217-306 « Fouilles de Thespies et de l’hiéron des Muses de l’Hélicon. Monuments figurés ».

17 Ibid., note 1.

18 G. Roux, loc. cit., p. 24 : « Cette mise au point permettra d’attendre le jour où les recherches de l’Ecole s’orienteront de nouveau vers le sanctuaire oublié. »

19 La remarque a été faite par G. Roux lui-même, ibid., p. 38.

20 Cf. note 16.

21 La fouille a été publiée dans les Praktika 1883, pp. 67 à 74. Elle a été reprise en 1911 par A. Kéramopoullos qui publia ses résultats dans les Praktika 1911, pp. 153 à 163.

22 Jamot, mémoire inédit, feuillet 3.

23 Ce cratère est publié dans le BCH 46 (1922), p. 289, sous le n° 150.

24 Ibid., p. 292, n° 173.

25 L’auteur des fouilles évoque cette découverte dans son ouvrage intitulé En Grèce avec Charalambos Eugénidis, Paris, 1914, pp. 185-186 : « Enfin, dans un endroit où nos prédécesseurs n’ont jamais rien soupçonné, nos tranchées découvrent les substructions d’un temple ; une pointe de lance en bronze, portant une dédicace du Ve siècle, nous apprend que cet édifice était un sanctuaire d’Apollon. »

26 Les éléments d’architecture présentés ci-dessous sont trop maigres pour servir d’indices de datation, vu surtout le manque d’indications sur les matériaux employés et sur les formes des scellements.

27 A. Schachter, Cuits of Boiotia, BICS suppl. 38-1 (1981), p. 89. Pour l’inscription, cf. M. Feyel, BCH 61 (1937), « Etudes d’épigraphie béotienne », p. 219 (l. 38) et pp. 225-226.

28 BCH 15 (1891), p. 659.

29 AD 1890, p. 113, n° 3.

30 Seule une photographie, tirée des archives, a été publiée sans commentaire par H. v. Effenterre, Les Béotiens aux frontières de l’Athènes antique, Paris, 1989, p. 24. Pour la clarté de l’exposé, nous la reproduisons ici, p. 177.

31 Ces tambours présentaient à leur sommet un dispositif assez curieux. En effet, on peut lire dans les notes du fouilleur : « les tambours conservés ont à la partie supérieure une dépression haute de 6 cm et en retrait de 3 cm. » Il en déduisait « qu’un anneau de fer réunissait les deux tambours superposés, dont le second devait avoir à sa base une dépression analogue à celle que le premier présentait à son sommet ». Il semble s’agir d’un hapax architectural qui intrigue d’autant plus qu’aucun trou de scellement n’a été repéré sur le lit d’attente des tambours conservés. Devrait-on faire l’hypothèse de fûts en bois posés sur ces tambours de pierre ? L’imprécision de la documentation à notre disposition rend le commentaire pour le moins fragile.

32 Si, du moins, il s’agit bien d’un dallage, car l’archéologue note que ce dernier est constitué de « pierres irrégulières ». Il note également que « le pavé de la cella était à 40 cm au-dessus de celui de l’opisthodome. Les mêmes pavés horizontaux qui servent de soubassement aux murs verticaux de la cella servent d’amorce au pavé de la cella dont le centre est, comme pour l’opisthodome, occupé par des pierres irrégulières ».

33 Les commentaires de De Ridder sont, sur ce point, quelque peu contradictoires. Selon ses notes, « il reste les fondations de l’opisthodome et d’une partie de la cella ». Mais, par ailleurs, il déclare : « toutes les constructions sont sans fondations ». Il faut admettre ici que l’archéologue utilise sans distinction le terme « fondation » non seulement pour les fondations proprement dites mais aussi pour les substructions. On imagine avec difficulté qu’un tel édifice ait pu être construit à cru, voire sur un simple radier.

34 C’est la conclusion que l’on est tenté de tirer de l’absence de base pour les colonnes, même si certains ordres doriques, il est vrai, la réclament.

35 C’est en se fondant sur cet original qu’un architecte — probablement P. Bonnard qui refit tous les plans du Val des Muses — a produit un second dessin « modernisé » où les cotes sont remplacées par l’indication de l’échelle (EFA archives, n° d’inventaire VIII A 1326).

36 Les archives de De Ridder livrent le dessin de ce chapiteau qui peut trouver d’éventuels parallèles au temple d’Artémis à Corfou (vers 580) et au temple d’Apollon à Corinthe (milieu du VIe siècle ?).

37 Paus., IX, 27, 5.

38 Cf. BCH 15 (1891), p. 659 et surtout BCH 19 (1895), p. 337, n° 12 et p. 356, où Jamot mentionne l’emplacement de la stèle et fait tout un développement sur l’identification du temple à partir de celle-ci.

39 Cf. la deuxième partie de son article du BCH 78 (1954).

40 M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, Paris, 1985, pp. 221-222.

41 La première hypothèse qui vienne à l’esprit est que le kastro byzantin a été édifié sur le rempart antique. Selon les auteurs de la prospection menée à Thespies depuis 1979, ce ne pouvait être le cas — en 1986 tout au moins (cf. le rapport de J. Bintliff et A. Snodgrass dans AD 1986, Chr., pp. 51-55) — pour deux raisons : la superficie en est trop réduite et une fouille inédite menée par A. Andrioménou en 1981 y a mis au jour des sépultures d’époques archaïque et hellénistique. Depuis 1988 (cf. les mêmes dans Antiquity 62 (1988), p. 67), la situation s’est modifiée : un alignement de trois larges blocs pouvant appartenir au mur septentrional d’une construction défensive d’époque classique a été découvert au sud du Thespios et au nord du lieu-dit Magoula qui se trouve seulement à 200 m du ruisseau, donc pas très loin du kastro. La topographie des lieux pourtant, qui forment une déclivité en pente douce, ne répond pas à l’idée que Ton se fait d’une acropole fortifiée que Ton situerait plus volontiers sur Tune des deux collines d’Erimokastro ou de Kaskavéli.

42 Cf. AD 1986, Chr., pp. 52 et 53, où sont présentées des cartes de densité d’occupation.