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La peur des rats dans les récits d’emprisonnement, de Cyrano de Bergerac à Casanova

Jacques BERCHTOLD

Université de Genève

Nombreux sont les témoignages de prisonniers confrontés à des rats. Cette confrontation peut d’abord, de manière surprenante, se résoudre pacifiquement et aboutir à un rapport de complicité : Arsène Houssaye raconte dans sa Galerie du XVIIIe siècle1 une anecdote sur la première nuit de Crébillon fils au donjon de Vincennes (où celui-ci fut retenu du 8 au 13 décembre 1734) : un rat, domestiqué par le précédent occupant des lieux, vint rejoindre dans sa couche le scandaleux auteur de L’Ecumoire. Mais ce ne fut qu’au jour suivant, lors du repas, qu’il constata avec horreur que son hôte nocturne n’était pas le chat auquel il croyait avoir affaire :

… l’animal fait un mouvement qui met en évidence une queue, à laquelle Crébillon juge que ce qu’il avait pris pour un chat, n’était autre chose qu’un rat des mieux nourris. A cette vue, l’extrême antipathie qu’il avait toujours eue pour cet animal lui fit pousser un cri si perçant, en renversant brusquement la table, qu’un guichetier (…) arriv[a] tout à coup et [vit] avec surprise le prisonnier pâle et tremblant (…) ; Crébillon le vit partir d’un long éclat de rire.

L’association entre le chat et le plaisir avait conduit Crébillon à rapporter trop hâtivement une forme approximative (un corps velu et calorifique de petite taille) à cet animal familier. Cette erreur est suivie par sa correction, laquelle oblige Crébillon à reconnaître un autre animal instinctivement abhorré2 ; de la confusion reconnue naît un sentiment de peur, que suscite rétroactivement la représentation d’un sommeil passé dans la proximité de cet animal, pris pour un autre3. Heureusement l’épisode connaît une résolution par le rire. Ce rat particulier se révèle ne pas correspondre aux images négatives et effrayantes qui lui sont traditionnellement associées4. Après la peur brutale et intense peut en définitive succéder un soulagement total, lorsque ce rat énorme mais paisible dément les rats fantasmatiques et que Crébillon l’adopte désormais comme compagnon, en oubliant sa première réaction instinctive5. Au XVIIIe siècle, cette amitié paradoxale entre le prisonnier et le rat est un véritable topos que nous ferions pour notre part remonter à la Relation de l’Inquisition de Goa de Claude Dellon (1709)6.

La répugnance particulière inspirée par les rats est universellement partagée : elle est irrationnelle et dépend, comme nous l’enseigne Pascal, de la force de l’imagination, dont l’emprise despotique sur nos réactions et sur nos comportements est une réalité d’autant plus indiscutable qu’elle n’est pas fiable, étant tantôt bonne conseillère, tantôt maîtresse d’erreur, sans qu’il soit possible d’établir de loi :

Imagination : C’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible de mensonge. (…) Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages ; et c’est parmi eux que l’imagination a le grand droit de persuader les hommes. (…) Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l’écrasement d’un charbon, etc., emporte la raison hors de ses gonds ?7.

Ce n’est donc à chaque fois qu’après une première révulsion surmontée que les prisonniers du XVIIIe siècle (Crébillon, et plus tard Latude et le baron de Trenck) pourront établir avec des rats paisibles un rapport de fraternité propre à l’espace particulier de la prison. Pierre Bayle se servait de la croyance selon laquelle une femme peut engendrer un rat pour démontrer la nature de l’affection paternelle : il nous apprend qu’un rat est toujours susceptible d’être notre frère étrange, le lot perdant de la loterie du coït, un doublet abject que nous aurions très bien pu être nous-mêmes, voué du seul fait de son aspect à la privation de l’affection parentale. La révulsion et l’effroi d’un père au moment où son épouse accouche d’un rat prouve que l’affection paternelle n’existe que lorsque le géniteur engendre une forme identique à lui-même :

Il est clair que si la raison tirée de ce que les enfans sont formez de la substance de leur Pere contribuoit quelque chose à les faire aimer, tout ce qui seroit formé de la semence d’un homme aurait quelque part à son affection et ainsi un rat qui en serait engendré lui devrait estre plus cher qu’un rat ordinaire. (Je me sers de cet exemple, parce qu’on dit qu’il y a des femmes qui ont quelquefois mis au monde de cette espece d’animaux.) Je conviens qu’il devrait estre moins aimé qu’un enfant, parce que selon cette hypothese, l’amitié d’un Pere pour son enfant se fonde sur deux raisons, dont il n’y en a qu’une qui se rapporte à ce rat, mais aprés tout il devrait estre plus aimé qu’un autre rat, pour qu’aucune des deux raisons ne convient à cet autre rat, et qu’il y en a au moins une qui appartient à lui. Or tant s’en faut qu’un homme ait plus d’amitié pour un rat monstrueusement formé dans le sein de sa femme que pour un autre, qu’au contraire il en a plus de dégoût, et plus d’aversion8.

L’exemple illustre ici un principe : un père ne saurait aimer ses enfans que s’ils ne sont pas immondes comme des rats, mais faits à son image.

La peur est au centre de l’imaginaire qui associe les rats à l’espace carcéral9. Des peurs particulières associées aux représentations de ce lieu, certaines catégories de pauvres avaient su tirer profit très tôt. A partir de mises en garde descriptives abondamment diffusées aux XVIe et XVIIe siècles, Bronislaw Geremek10 a reconstitué le portrait de ces vagabonds-escrocs qui parcouraient les espaces publics pour se donner à voir munis des emblèmes et des attributs de leur (prétendue) condition passée : à Bâle, les Valkentreiger exhibent des poignets et des chevilles qui auraient été rongés par les chaînes de la prison ; des faux aliénés mentaux s’attachent à une chaîne ; les Lossner affirment avoir passé six ou sept ans en prison et exhibent chaînes et (faux) certificats d’incarcération ; en France, le planteur fournit à ses compagnons miséreux de fausses chaînes pour contrefaire les prisonniers et les fous ; en Italie les acatosi traînent de lourdes chaînes et les dabellolmi portent un carcan autour du cou, témoignant d’une longue captivité dans une cave obscure ; en Angleterre, les abraham-men, simulent la folie des pensionnés de Bedlam et portent souvent un carcan autour du cou. Les “reliques” usurpées revêtent ici une fonction bien définie : tous ces miséreux typés et répertoriés connaissent très bien l’effroi et la pitié que suscitera l’exhibition de signes donnant à imaginer les souffrances de l’emprisonnement et espèrent obtenir grâce à elles des témoignages de charité. Or Edgar, dans Le Roi Lear de Shakespeare, emprunte une telle identité – la plus dégradante qu’il puisse trouver – celle du vagabond le plus pitoyable de Londres, le “pauvre Tom”11. Lorsqu’il paraît ainsi déguisé devant Lear et Gloucester (Acte III, sc. IV), Edgar expose l’ordinaire alimentaire de ce “mendiant de Bedlam” :

Edgar. [Je suis] Pauvre Tom ; qui (…) dévore la bouse de vache comme salade, gobe vieux rats ou chiens crevés, et bois le vert manteau de la mare stagnante ; on vous le fouette de paroisse en paroisse, on vous le met aux ceps ou en prison (…) ; [chanson :] De rats, de souris et autres bestioles, Tom s’est nourri sept années durant.

En épousant le rôle de ce mendiant traditionnel (pensionnaire à Londres de l’hospice des fous de Sainte-Marie-de-Bethléem), Edgar vise à provoquer un effet de répulsion, aussi bien par son aspect extérieur que par le récit de ce qu’il absorbe habituellement en fait d’aliments immondes : le personnage se caractérise à deux reprises comme un mangeur de rats12. L’absence de répugnance du “pauvre Tom” devant la nourriture immonde que sa misère lui impose d’ingurgiter est de nature à faire naître la peur (ou la charité) chez les autres. La peur est ici suscitée chez les bien-mangeants par la confrontation avec celui qui, gavé de rats qu’il a dévorés, prétend s’être endurci à ce régime et revendique cette distinction qui sert d’emblème à sa malédiction13. Mais, alors que l’exhibition des chaînes arborées par d’autres miséreux établit un simple rapport synecdochique avec la prison, la revendication d’une familiarité avec le rat apparaît autrement effrayante. Selon son propre aveu, partout poor Tom est chassé au fouet ou mis en prison. Le séjour en prison (ou à l’hospice) apparaît comme la condition naturelle de cette créature repoussante : le “pauvre Tom” apparaît hors de prison comme un porte-enseigne de ces lieux immondes (prisons-cloaques ou hospices insalubres) où les autres voudraient bien le savoir confiné, pour l’y oublier14.

La peur d’une promiscuité imposée avec les rats engendre des réactions de défense qui tendent à refouler la représentation de ces animaux dans les limites d’un espace séparé, et de la circonscrire dans un cadre spécifiquement carcéral. Au XVIIe siècle, les chasseurs de sorcières (refoulant, là encore, des peurs obscures aujourd’hui bien étudiées) enferment et brûlent les femmes sur lesquelles ils projettent un imaginaire démoniaque. L’existence de rats menaçant et tourmentant la “sorcière” incarcérée ne saurait modifier des comportements légitimés par des préjugés profondément enracinés : aux yeux des désorceleurs, c’est là encore le groupe diabolique – considéré comme cohérent et homogène – composé par la sorcière et ses rats15 qu’il s’agit de réduire, de circonscrire et de soustraire ensemble au registre visible de la communauté.

En France, un cas célèbre est à cet égard celui de Madeleine Bavent16. Accusée par ses sœurs du monastère Saint-Louis de Louviers, Madeleine est reconnue sorcière et condamnée, le 22 mars 1643, par un juge ecclésiastique (le pénitencier Pierre de Langle) à la perte de sa qualité de religieuse et à la prison perpétuelle17. Le témoignage des religieuses de Louviers avait déjà suscité la réaction très sceptique de Gabriel Naudé en 164918. Une Confession de Madeleine Bavent rédigée par un oratorien, Charles Desmarets19, paraît en 1652, un an avant le décès de Madeleine (en 1653) à l’Hôpital général de Rouen, parmi les aliénés. Ce texte est un véritable précurseur des “romans noirs”, qui, au XVIIIe siècle, s’inspireront des pamphlets anti-monastiques. Michelet eut le grand mérite de le redécouvrir20 et s’est montré particulièrement sensible au triste sort de la malheureuse, dans le cachot où elle endura les assauts des rats :

Sous une galerie souterraine plongeait une cave, sous la cave une basse-fosse où la créature humaine fut mise dans les ténèbres humides. (…) Elle [y] souffrait et de douleur et de malpropreté, couchée dans son ordure. La nuit perpétuelle était troublée d’un va-et-vient inquiétant de rats voraces, redoutés aux prisons, sujets à manger des nez, des oreilles. Mais l’horreur de tout cela n’égalait pas encore celle que lui donnait son tyran, le pénitencier. Il venait chaque jour dans la cave au-dessus, parler au trou de l’in pace, menacer, commander, et la confesser malgré elle (…). Un ange la secourut, dit-elle. Elle se défendit et des hommes et des rats21.

Obligée de supporter trop de cruautés, Madeleine choisit en désespoir de cause d’épouser le rôle de cette créature maléfique à laquelle on lui demandait de s’identifier afin d’en mieux purger la communauté ; elle tente de mettre fin à ses jours en absorbant la “mort-aux-rats” confiée par les geôliers pour dératiser son cachot de douleur :

Elle fut prise au cœur d’un violent désir de la mort. Elle avalait des araignées, vomissait seulement, n’en mourait pas. (…) Un geôlier lui avait donné une drogue pour détruire les rats du cachot. Elle allait l’avaler, un ange l’arrêta…22

Du point de vue du désorceleur superstitieux affrontant la “sorcière”, la pitié (qui suppose une identification) n’est bien évidemment pas de mise. Le comportement du pénitencier d’Evreux traduit bien plutôt la dimension de sa propre peur devant l’altérité, lorsque, niant toute possibilité à sa victime de lui être semblable, il la réunit à des créatures qu’il a lui-même en abomination. La peur que l’on peut bien légitimement supposer chez Madeleine en reflète donc une autre, celle du bourreau qui s’est illusionné dans le rôle (imaginaire) de “désorceleur” (abrité lui-même de la “cave aux rats” et y jetant les autres) : les présupposés idéologiques “obscurantistes” qui légitimèrent un tel comportement, Michelet les analyse et les dénonce, en mettant à nu les motivations sadiques de celui à qui l’activité de “désorceleur” sert d’alibi et de masque monstrueux, mais aussi de symptôme singulièrement révélateur. A travers son récit, Michelet porte sa critique bien plus loin que Naudé et demande à son lecteur de s’identifier au rôle de la victime, en lui communiquant la terreur de la condition d’emmurée vivante dans l’“épouvantable mécanique d’écrasement” de l’in pace23. Instaurant les valeurs à rebours, le rationaliste-idéaliste présente au XIXe siècle le martyre de la “sorcière” sous le jour nouveau d’une légende hagiographique24.

A l’instar de Gabriel Naudé, Cyrano de Bergerac participe au XVIIe siècle à cette analyse lucide et précoce de la peur populaire conduisant à dénoncer un marginal comme “sorcier” et à le jeter sans aucun remords dans la “cave aux rats”. Il porte lui aussi un regard critique sur les procès de sorcellerie. Dans son roman, le héros, Dyrcona, de retour de la Lune, rédige les aventures extraordinaires de son voyage. Ses ennuis commencent lorsque “beaucoup d’ignorants” toulousains lisent cet ouvrage avec ahurissement, et font courir les rameurs les plus déraisonnables. La crainte du diable se répand si bien dans la population qu’elle interdit à Dyrcona toute possibilité de se justifier. Cette peur incisive des consciences peu instruites et agitées par les propos alarmistes de prêtres habiles à les manipuler aura pour effet de condamner Dyrcona à d’autres dents autrement concrètes, celles des rats du cachot d’un bourg proche de Toulouse que lui vaudra l’accusation de sorcellerie. La figure sordide du “cachot aux bêtes immondes” de Dyrcona ne fait qu’emblématiser la réalité de sa condition de marginal et de proscrit au sein d’une communauté humaine superstitieuse et hostile, qui – “rongée de peur” – le pointait d’un doigt menaçant pour exprimer sa propre terreur irrationnelle et bestiale :

Je demeurai tout seul, et fort mélancolique, le corps arrondi sur un botteau de paille en poudre : elle n’était pas pourtant si menue, que plus de cinquante rats ne la broyassent encore. La voûte, les murailles et le plancher étaient composés de six pierres de tombe, afin qu’ayant la mort dessus, dessous et à l’entour de moi, je ne pusse douter de mon enterrement. La froide bave des limas, et le gluant venin des crapauds me coulaient sur le visage ; les poux y avaient les dents plus longues que le corps. (…) enfin je pense que pour être Job, il ne me manquait plus qu’une femme et un pot cassé.25

Si la description du lieu inspire de l’effroi au lecteur, la promiscuité avec les rats et les autres bêtes immondes ne fait cependant l’objet d’aucune analyse psychologique particulière. C’est seulement un peu plus tard dans le texte, lorsque Dyrcona, évadé de sa prison mais vite repris, est jeté dans un cachot noir peuplé de serpents, que le narrateur fait part de façon explicite d’un sentiment de crainte si intensément éprouvé qu’il demeure toujours irrésolu : le narrateur autobiographe doit s’interrompre et avouer la résistance qu’il continue à offrir à la rédaction de cet épisode, malgré le temps écoulé, du fait de la trop grande horreur éprouvée jadis :

D’exprimer le reste, je ne puis : il surpasse toute créance ; et puis je n’ose tâcher de m’en ressouvenir, tant je crains que la certitude où je pense être d’avoir franchi ma prison ne soit un songe duquel je vais me réveiller. (p. 378)

La peur dont il est question ici n’est pas celle du personnage inscrit dans le temps passé, mais bel et bien celle d’un autobiographe pourtant sorti sain et sauf de la prison depuis bien longtemps, qui envisage lui-même le risque de se situer dans l’illusion, au moment où il écrit et où il cherche à remémorer par un récit un épisode carcéral particulièrement traumatisant. Le narrateur avoue qu’il doit recourir à une ellipse, et contourner la menace d’un soudain réveil qui le ramènerait cruellement en arrière dans les conditions carcérales évoquées, parmi les rats, les crapauds et les serpents, menace que ferait planer l’imprudence d’une description trop étendue de l’épreuve de la prison26. La peur illustrée et dénoncée par Cyrano est une peur chevillée à la superstition populaire qui, pour être imbécile et primitive, n’en est pas moins redoutable, par les conséquences qu’elle entraîne pour les destins des esprits forts qui en sont les victimes. Entretenue et manipulée par des idéologues chrétiens démagogues, cette peur devient celle d’un cachot où les rats participent à la figuration d’un environnement hyperboliquement resserré et oppressant dans lequel le voyageur redescendu de la Lune est provisoirement contraint de régresser, avant de s’évader à nouveau pour retrouver le chemin du Soleil et les “lumières” de l’illustre prédécesseur Campanella. Et si la terrible incarcération dont fut victime l’auteur de la Cité du Soleil est une référence importante pour le texte de Cyrano, les persécutions de Théophile de Viau (incarcéré en 1623) en sont une autre : ce “maître à penser” de tous les libres penseurs du XVIIe siècle avait exprimé lui-même, dans sa Première journée – texte postulé autobiographique par ses détracteurs et cité à témoin lors de l’accusation d’athéisme et de sodomie – sa profonde répulsion pour les rats27.

Nous retrouvons au XVIIIe siècle de nombreux témoignages d’une peur inspirée par la compagnie des rats dans le séjour en prison28. L’envers paisible de l’épisode, la famille de rats éduquée par Latude à la Bastille29, la souris apprivoisée du baron de Trenck30, font ici figure d’exceptions. Un espace carcéral tout autant “habité” que celui de Dyrcona, la même offense d’une oppression injuste, le même environnement de rats, se retrouvent dans l’autobiographie (présentée comme authentique) de Constantin de Renneville, huguenot incarcéré à la Bastille pour “espionnage” et pour des poèmes satiriques offensants. Dans son Inquisition française, vaste témoignage d’un long séjour à la Bastille, Renneville rapporte sa propre expérience de la confrontation avec les rats, à l’occasion d’un séjour punitif de trois semaines dans un cachot de la Tour du Puits (septembre-octobre 1703) :

Après m’être couché dans mon grabat, où j’eus bien de la peine à réchauffer mes pieds, qui se ressentiront, tant que je vivrai, de la cruauté qu’on avoit euë, de les laisser trois jours enfoncez nuds dans le limon du cachot, j’attendis vainement que [le geôlier] Ru aportât mon soupé. (…) Je fus assailli par les rats, qui me firent une guerre cruelle : ils se jettoient sur mon lit avec impétuosité, et venoient m’attaquer par troupes. Je crus que le cachot en étoit rempli. J’en blessoi plusieurs avec mes pantoufles, seules armes défensives dont je pouvois me servir dans mon fort. Cette guerre dura jusqu’à ce que le jour se fût glissé dans mon antre, qui, en dissipant la nuit, écarta ces importants ennemis. Ru vint de grand matin aporter à son ordinaire le pain et le vin dans la Tour aux autres prisonniers, mais il n’entra pas dans mon cachot. Il laissa mon pain et mon vin sur le pavé couvert d’ordure, à la discrétion des rats. (…) on me donna de la chandelle et mon Nouveau Testament, que je mettois soigneusement dans mon sein, crainte qu’il ne fût mangé des rats. (…) Ce qui me fatiguoit davantage, c’étoit la guerre que j’étois contraint de faire aux rats. Toutes les nuits il n’y avoit point de tréve avec ces affamez : j’avois beau en tüer ; ils revenoient toujours à la charge, et me rongeoient mes pantoufles, ma couverture, jusques à mon bonnet sur ma tête.31

Renneville, toujours attentif à décrire de la façon la plus noire les traitements infligés aux prisonniers embastillés – il est à cet égard l’incontestable précurseur de ce qui allait devenir un véritable genre littéraire32 – se réclame encore de la tradition des martyrs chrétiens et établit une antithèse saisissante entre le livre saint (symboliquement en péril) et les rats qui menacent de le dévorer. Dans cette guerre recommencée nuit après nuit dans une quasi-obscurité, les rats sont ici caractérisés par leur très grand nombre (disparition de tout contour individuel identifiable au profit de la horde mobile et indistincte), par leur agressivité et leur indestructibilité (l’avantage de sa taille ne profitant que peu à la proie virtuelle en regard du renouvellement incessant des assaillants qui semblent disposer de réserves de “troupes” inépuisables). Renneville ne met pourtant aucun accent particulier sur l’analyse psychologique de l’effroi, dans le récit de cette expérience intimement vécue des batailles nocturnes avec les rats.

Parmi les témoignages personnels, il faut encore citer celui du marquis de Sade, à l’occasion de son incarcération à Vincennes où il resta de 1778 à 1784. Ses geôliers refusèrent d’obtempérer à son désir d’introduire un chat dans la proximité de sa chambre, afin d’être secouru contre les rats et les souris qui, à l’en croire, ne cessaient de le tourmenter. Il s’en plaint avec colère dans une lettre adressée à sa femme le 4 octobre 177833. Cette condition prométhéenne de “dévoré permanent” que Sade esquisse ici de manière incidente ne donne pourtant pas lieu à des développements plus élaborés concernant son éventuelle “phobie des rats”34.

La permanence d’un attribut quasi obligé de l’imaginaire de l’emprisonnement se laisse ici observer indépendamment des spécificités des divers codes idéologiques et confessionnels sous-tendant les différents martyres carcéraux. L’abondante production de textes que composèrent les jansénistes pour célébrer les comportements exemplaires de leurs compagnons incarcérés ne font pas exception : le pamphlet des Etrennes jansénistes, qui invite à supporter avec vaillance l’épreuve de la Bastille et de ses cachots, rend compte de la fermeté remarquable de Meignan, qui, pour éviter la morsure des rats, fut contraint de partager avec eux sa maigre ration de pain35.

Chez Mirabeau, l’horreur suscitée par une dévoration de rats est à nouveau inscrite dans l’argumentation d’un écrit qui constitue d’abord un acte militant. Dans un texte résolument engagé à dénoncer les pratiques carcérales en France, Mirabeau évoque l’emprisonnement fatal de Dubourg à la prison d’Etat du Mont-Saint-Michel. Ce satiriste politique français avait été arrêté à Francfort pour avoir publié Le Mandarin chinois, chronique scandaleuse des monarques d’Europe. Il fut incarcéré le 22 août 1745 et demeura dans la “cage”36 du Mont-Saint-Michel durant un an, avant de se laisser mourir de faim, le 26 août 1746. Mirabeau se révolte contre le raisonnement abusif et mensonger qui se limite à penser qu’un grand nombre de fous incarcérés sont utilement soustraits à la société. Il importerait, selon lui, de se décider à inverser le lien de cause à effet et de s’apercevoir que c’est souvent l’épreuve de l’emprisonnement dans des conditions déplorables qui conduit ses malheureuses victimes à la folie37.

Sans plus se référer au code chrétien, Mirabeau cite le tableau affreux que les Anglais se font des maisons de force continentales surpeuplées ; mais il condamne également la cruauté des détentions solitaires et les traitements atroces que “les geôliers des maisons de force font endurer à leurs victimes”. Une note expose ici le cas du martyre de Dubourg : pour Mirabeau, une séquestration inhumaine dans une cage environnée de rats explique à elle seule le comportement suicidaire de cette victime de la censure, entré en détention avec l’esprit le plus sain :

J’ai vu la cage du Mont-Saint-Michel ; c’est une séparation faite avec de simples barreaux de bois dans une voûte de cave (…). Ce qui faisoit le plus souffrir le gazetier d’Hollande, à ce que me dit le prieur, c’etoient les rats qui lui mangeoient ses pieds goutteux qu’il ne pouvoit remuer. Ce malheureux étoit dans l’impossibilité d’y apporter remede… O barbarie humaine !38

Rédigé plus de soixante ans après celui de Renneville, le texte de Mirabeau consacré à Dubourg vise ici à inspirer la même révolte chez son lecteur vis-à-vis d’un traitement particulièrement barbare infligé par des geôliers du roi de France à leur victime39. L’épisode ne développe cependant aucune analyse spécifique de la peur qui s’empare du prisonnier, dans ces circonstances où l’impuissance à conjurer l’horreur paraît si favorable à l’aliénation mentale. C’est avant tout chez le lecteur qu’est devinée une peur des rats susceptible d’être exploitée pour servir à la cause d’un texte violemment polémique.

Parlant des effrayants donjons de la Bastille de Paris, le grand hygiéniste et réformateur des prisons anglais John Howard fait crédit à un pamphlet de 1774 de Joseph Marie Brossays du Perray (qu’il cite), pour déclarer la Bastille infestée de rats40. L’année de la Révolution, Brossays du Perray rédige ses Remarques historiques sur la Bastille et – portant à la généralisation des témoignages comme ceux de Renneville ou de Mirabeau sur l’horreur des cachots – présente le visage odieux de l’appareil punitif qui vient d’être renversé, symbole d’un despotisme justement aboli :

Les cachots construits sous les tours, et beaucoup plus bas que le rez-de-chaussée, sont remplis d’un limon qui exhale l’odeur la plus infecte. Il est impossible d’imaginer comment des hommes, qui n’ont pas d’injures personnelles à venger, peuvent se résoudre à renfermer d’autres hommes dans ces trous obscurs qui révoltent à la fois tous les sens. (…) Ces cachots sont des repaires de crapauds, de rats et d’araignées, dont la grosseur effraye. La puante humidité qui y regne affecte dans peu tous les organes ; les vaisseaux s’engorgent, le sang circule avec peine, et les maladies les plus affreuses sont les suites inévitables du séjour dans ces cavernes.41

L’iconographie suscitée par l’événement du 14 juillet 1789, s’attachant à glorifier le moment héroïque où les “vainqueurs de la Bastille” pénétrèrent dans les entrailles réputées obscures, redoutables, et jusqu’alors secrètes de la forteresse, fait bien sûr un usage dramatisé du bestiaire immonde approprié. Tel “dessin fait sur les lieux” représente ainsi les libérateurs apportant au fond des cachots la lumière de leurs flambeaux et découvrant les captifs terrorisés qui s’élancent avec allégresse, en tirant sur leurs chaînes, vers ces sauveurs inespérés, tandis que les rats et les serpents, anciens maîtres des lieux, sont mis en fuite par la soudaine illumination42. Et les descriptions dramatiques des conditions de vie endurées par les prisonniers dans les cachots des geôles parisiennes sous la Terreur ne manquent pas de produire à leur tour l’épisode désormais stéréotypé du séjour parmi les rats dévorateurs : l’un de ces récits est redevable à un détenu anonyme (peut-être Bailleul), enfermé à la Conciergerie, et qui parut dans l’Almanach des Prisons de l’an III :

Un citoyen nommé Beauregard, homme aussi honnête qu’aimable, acquitté par le Tribunal révolutionnaire, fut mis à son arrivée dans ce cachot [de la Conciergerie] ; les rats lui mangèrent à différents endroits sa culotte, sans respect pour son derrière. Nombre de prisonniers ont vu les trous ; et il fut obligé de se couvrir toute la nuit la figure de ses mains pour sauver son nez, ses oreilles, etc.43

Le topos de la peur des rats dans les prisons de l’Ancien Régime connaîtra une grande fortune littéraire, tout particulièrement dans le roman historique du XIXe siècle44. Au contraire, aucun indice de peur ne caractérise le séjour au cachot de Jacques le Fataliste qui conclut (ou paraît provisoirement conclure) le roman de Diderot. Dans un lieu où le problème de la liberté ou de la non-liberté cesse manifestement de se poser, Jacques trouve argument à vérifier un système philosophique qui lui avait fait envisager, dès le début, “le trou où je dois m’aller casser le cou”. L’erreur de diagnostic qui avait failli lui coûter sa jambe (verdict arbitraire des chirurgiens) trouve un pendant, à la fin du roman, dans l’erreur judiciaire (verdict arbitraire des magistrats) qui envoie Jacques (innocent) en prison. Dans le premier cas le bistouri menaçant prolongeait directement et concrètement le diagnostic du mauvais chirurgien ; dans le second cas la dent du rat rencontrée au cachot apparaît comme une conséquence non moins menaçante de l’erreur judiciaire45.

Si un auteur ne partage pas ce credo fataliste, mais clame au contraire haut et fort sa foi dans son libre-arbitre, c’est bien un autre Giacomo emprisonné : Casanova. C’est peut-être chez ce séducteur que l’on trouve la meilleure analyse au XVIIIe siècle d’une peur des rats intensément vécue en prison. Casanova ne s’associe toutefois pas du tout à la cause militante des auteurs de pamphlets anti-bastillaires. Il traite Mirabeau d’“écrivain infâme” qu’il “regrette de ne pas pouvoir tuer de sa main”. Lui-même a violemment défendu l’institution de la prison des Plombs et témoigné des bons traitements prodigués aux prisonniers46.

L’Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu’on appelle les Plombs fut écrite en 1787 au château de Dux, en Bohème (où Casanova venait de mettre fin à ses errances et avait accepté, depuis deux ans, la charge de bibliothécaire du comte de Waldstein), et publiée à Leipzig en 1788. Casanova raconte qu’il fut arrêté à Venise le 26 juillet 175547 et emprisonné dans la prison des Plombs. A peine arrivé, il constate qu’il partage son nouvel habitat avec les rats, seulement séparés de sa chambre par le grillage de sa fenêtre :

… la nature m’a porté au seul lieu où je pouvais me reposer sur mes coudes ; je ne pouvais pas voir la lucarne, mais je voyais la lumière qui éclairait le galetas et des rats gros comme des lapins qui se promenaient. Ces hideux animaux dont j’abhorrais la vue venaient jusque sous ma grille sans nulle marque de frayeur. J’ai vite enfermé le trou de la porte avec un volet intérieur ; leur visite m’aurait glacé le sang. Je suis tombé dans la rêverie la plus profonde, mes bras toujours croisés sur la hauteur d’appui, où j’ai passé huit heures immobile, dans le silence, et sans jamais bouger.48

Cette première mention des rats est directement précédée par l’inventaire du seul mobilier du cachot : une cuvette à excréments49. Le début du séjour carcéral est marqué par l’obsession de cette fenêtre, par laquelle une rare lumière peut pénétrer, mais dont il doit néanmoins se protéger : “enveloppé de ténèbres, j’ai fermé la grille, craignant que les rats ne sautassent dans le cachot” (p. 35). La double peur de Casanova, d’une part de la solitude, d’autre part des rats, l’amène (au moment de la rédaction rétrospective) à formuler deux énoncés dont le caractère contradictoire lui échappe : il affirme d’une part que n’importe quelle compagnie vaut mieux que l’état de solitude50 ; d’autre part, que rien n’est plus horrible que la menace de promiscuité avec les rats. Lorsqu’il évoque sa terreur à l’idée de voir son cachot envahi par les rats, l’émotion ressuscitée ne prend plus le détour de l’ellipse (détour qui s’était imposé chez Cyrano). Tout se passe au contraire comme si le travail remémoratif de l’écriture opérait ici de façon cathartique.

L’idée de l’intrusion possible des rats à travers cette lucarne lumineuse, dont l’ouverture obsède Casanova et l’empêche de dormir51, met en jeu un registre animal concrètement menaçant qui se présente comme une sorte d’envers ténébreux et cauchemardesque au registre des épisodes de “visitations angéliques” et de fécondations immatérielles dont est saturé au même moment son esprit jusqu’au dégoût et jusqu’au délire, par la lecture enfiévrée d’un ouvrage distribué en prison (la Cité mystique de sœur Marie de Jésus), témoignage d’une vierge espagnole visionnaire sur la vérité de l’immaculée Conception et sur la vie de la Vierge (pp. 41-43). Nulle surprise donc si Casanova évoque une constipation totale de quinze jours et l’apparition d’hémorroïdes très douloureuses (pp. 44, 46). La peur de l’envahissement des rats (coïncidant avec un état délirant empreint de visions mystiques) est ici suffisamment obsédante pour se traduire par des symptômes somatiques. A la menace d’une irruption des bêtes à l’intérieur du cachot surchauffé, le corps réagit et son traumatisme se manifeste sur le plan physiologique par une fermeture hermétique52. Le médecin de la prison, qui ne peut que constater la gravité de son état, offre malencontreusement à Casanova d’y remédier en échangeant sa cellule malsaine contre le galetas plus frais situé directement à l’étage supérieur53. Seul un refus obstiné permet à Casanova d’éviter d’être transféré précisément dans ce grenier où – il le sait – l’attendent les rats. La disparition soudaine de l’obsession des rats et la guérison de Casanova coïncident avec la fin des lectures mystiques ; celles-ci sont remplacées par la Consolation de Boèce (pp. 46-47), allégorie d’une visite de Philosophie dans le cachot de l’auteur. Dans le cas de Casanova, la visiteuse consolatrice sera remplacée par la résolution ferme de préparer matériellement son évasion.

Le séjour de Casanova dans les Plombs de Venise connaît ainsi deux moments successifs, qui se définissent par l’inversion de la relation du prisonnier au périmètre carcéral qui le circonscrit : une première période se caractérise par une peur, et correspond à un mouvement centripète à la périphérie du cachot insuffisamment protecteur, période où prévaut le fantasme d’étanchéité (et la posture défensive du prisonnier qui doit lui-même interdire l’accès de son territoire aux animaux menaçant de s’introduire depuis l’extérieur) ; dans une seconde période prédominent au contraire le rôle actif du prisonnier et un travail positif orienté vers l’extérieur, entièrement dictés par un fantasme opposé d’évasion (le mouvement centrifuge visant à faire pièce, cette fois, à un sentiment de claustrophobie). La prison casanovienne présente un périmètre dont l’imperméabilité ne cesse d’être questionnée : dans quelque sens que s’oriente le mouvement (entrée terrifiante des rats ou sortie libératrice du moi), la transgression de la clôture du territoire carcéral reste au centre des obsessions du prisonnier.

Nous évoquerons en guise de conclusion à ce parcours un épisode singulier de la vie conjugale de Catherine de Russie, la future impératrice Catherine II. Son époux, le grand-duc Pierre, vivait reclus dans ses appartements. L’impératrice régnante Elisabeth veillait au respect de la “sorte de prison”54 que constituaient les deux appartements conjugaux séparés du couple, mais lui reprochait en même temps de ne pas avoir d’enfant. En 1753, peu après une fausse couche suspecte, Catherine se permit une intrusion exceptionnelle dans la chambre où son mari passait la nuit à jouer aux soldats de plomb :

Un jour que j’entrais (…) dans l’appartement de Son Altesse Impériale, ma vue fut frappée par un gros rat qu’il avait fait pendre, avec tout l’appareil d’un supplice, au milieu d’un cabinet qu’il s’était fait faire à l’aide d’une cloison. Je demandai ce que cela voulait dire ; il me dit alors que ce rat avait fait une action criminelle et digne du dernier supplice selon les lois militaires, qu’il avait grimpé par-dessus les remparts d’une forteresse de carton (…), et avait mangé deux sentinelles en faction, faites d’amidon, sur un des bastions, et qu’il avait fait juger le criminel par les lois de la guerre ; que son chien couchant avait attrapé le rat et que tout de suite il avait été pendu comme je le voyais, et qu’il resterait là exposé aux yeux du public pendant trois jours, pour l’exemple. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire de l’extrême folie de la chose…55

Quelle peur secrète le grand-duc exorcisait-il, ou quelle culpabilité secrète expiait-il, en pratiquant une exécution dérisoire avec une telle solennité ? Jouait-il à débarrasser le château de ses rats, comme un nouvel Hamlet purgeant une nouvelle Elseneur, pour satisfaire l’Impératrice, dont il connaissait par ailleurs la phobie extrême à l’égard des souris56 ? Ou manifestait-il devant sa femme une parodie sinistre visant à signifier la conscience douloureuse de ses propres carences sexuelles57 ? Le rire moqueur de Catherine semble présenter un écho déformé, à vingt années de distance, au rire rassurant que faisait retentir le geôlier dans le cachot de Crébillon, au moment où il s’aperçut de l’effroi infondé de celui-ci. Mais le rapport angoissant entre l’homme enfermé et son rat s’est ici déplacé dans l’alcôve stérile d’une chambre à coucher, où Pierre – le futur (éphémère) empereur Pierre III – paraît chercher désespérément à formuler la tragédie privée de son emprisonnement métaphorique à travers les signes de jeux puérils et dérisoires.

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1 Paris, Hachette, 1858 (6e éd.), Première série (Les Hommes d’esprit), pp. 150-151. [Je mets les italiques des citations].

2 Dans Ah ! Quel conte ! de Crébillon, le roi-autruche fait part au sultan de l’émotion de s’être retrouvé enfermé dans une prison s’avérant être une grande ratière (Livre II, VIe partie, ch. 35 ; Londres, 1777, pp. 112-113).

3 Dans leur version romantique du même épisode, A. ARNOULD et A. MAQUET insistent sur le sentiment de peur : “A cet aspect, il recule effrayé, tant il avait une horreur invincible pour cet animal… ” (Le Donjon de Vincennes, vol. VIII de l’Histoire de la Bastille, Paris, 1844, p. 106).

4 Il convient de se référer ici aux effrayantes “caves aux rats” dans lesquelles l’empereur Héliogabale faisait jeter les martyrs chrétiens. La légende de l’évêque Hatto de Mayence dévoré par les rats au Xe s. (cf. J. H. DIELHELM, Denkwürdiger und nützlicher Rheinischer Antiquarius, Francfort-sur-le-Main, 1744, pp. 588-593) sera surtout connue en France à l’âge romantique.

5 “A partir de ce moment, ajoutait Crébillon en racontant cette aventure, l’extrême aversion que j’avais toujours eue pour les rats a tellement pris fin, que Monsieur Raton devint bientôt mon commensal, à l’article du lit près.” (HOUSSAYE, Op. cit., p. 151.)

6 Voir le récit reproduit par Frédéric MAX, Prisonniers de l’Inquisition, Paris, Seuil, 1989, p. 155. Il s’agit des ajouts romanesques à l’édition de 1709 ; l’épisode est absent de l’édition consultée de Paris, D. Hothemels, 1688.

7 PASCAL, “Misère de l’homme : les puissances trompeuses”, in Pensées ; Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier, Paris, NRF-Gallimard (coll. Pléiade), 1954, pp. 1116-1117. SENEQUE s’était attaché de son côté à prémunir le sage devant le pouvoir des représentations d’objets et d’animaux associés à l’emprisonnement et au supplice, et à démystifier leur caractère terrifiant (Lettres à Lucilius, 14,5).

8 Pierre BAYLE, Nouvelles lettres de l’Auteur de la critique générale de l’Histoire du calvinisme de Mr de Maimbourg, Ville-Franche, P. Le Blanc, 1685, 2 vol. ; II, Lettre XVI, chap. 7 (sur l’affection paternelle), pp. 521-522.

9 On se reportera à une gravure de Crispijn De Passe De Oude (d’après Maarten de Voss) illustrant la sixième des Sept Œuvres de Miséricorde, “Rendre visite aux prisonniers” (1581) (cf. Vincenzo PACELLI, Caravaggio. Le Sette Opere di Misericordia, Salerne, 10/17, 1984, fig. 22). L’encadrement autour de l’illustration centrale offre les attributs allégoriques de la prison. Seul parmi tous les objets inanimés, dans le coin de droite, en bas, un rat se trouve au croisement de deux logiques relationnelles : horizontalement, il fait pièce aux jeux de backgammon et de cartes du coin gauche (offrant un avertissement pédagogique au débauché des tavernes que l’on effraie en lui donnant à voir à l’avance la seule compagnie qui lui restera bientôt en prison) ; verticalement, ce rat est à la base d’une colonne d’“Instruments de la Passion” sanctifiés (sur le côté droit), où dominent les ceps, les menottes, les chaînes et les anneaux de fer terrifiants.

10 Les Fils de Caïn, Paris, Flammarion, 1988, pp. 81, 87, 91-93, 109, 118, 160.

11 « … je me suis mis en tête d’assumer la forme la plus vile et la plus pauvre par quoi la pénurie, dans son mépris de l’homme, l’ait jamais approché de la bête. (…). La contrée m’offre en exemple et précédent ces mendiants de Bedlam qui, avec des hurlements, fichent dans la chair nue de leurs bras gourds et mortifiés épingles, échardes, clous, brindilles de romarin, et, sous cet aspect horrible, (…) tantôt par des imprécations forcenées, tantôt par des prières, forcent la chanté.” Acte II, sc. III ; trad. de P. Leyris et E. Holland, SHAKESPEARE, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard (coll. Pléiade), 1959.

12 L’interdit de “toucher un rat mort” s’ajoute aux interdits alimentaires qu’impose Moïse au peuple juif (Lévitique, 11, 29-38). La mort est promise par l’Eternel en châtiment à ceux qui mangeront “des mets abominables, et même des souris” (Esaïe, 66, 17).

13 Le propos du R.P. jésuite Jérémie DREXEL (1632) est autre : il veut terrifier les esprits en laissant imaginer les peines des réprouvés en Enfer. Dans ce dessein le sort effroyable des prisonniers lui sert de comparant mineur offrant des approximations : il évoque ainsi un état de famine tel que celle endurée par les prisonniers paraît, en comparaison, désirable : “Hélas ! quelle doit être cette région assez infortunée où les hommes se voient contraints de désirer inutilement de calmer la faim qui les dévore, (…) en mangeant des rats, des serpents et des animaux encore plus dégoûtants, en désirant la nourriture rebutante de la fiente des oiseaux, et qui ne peuvent l’obtenir (…) : la faim éternelle des réprouvés est inconcevable.” (Infernus damnatorum carcer et rogus, ch. IV, “La Faim” ; trad. R.P. Colomme, Paris, Walzer, 1903, pp. 78-80).

14 Selon A.D.J. MACFARLANE (Witchcraft in Tudor and Stuart England, Londres, 1970, pp. 205 et 246-249), la chasse aux sorciers s’est précisément développée dans les régions rurales en Angleterre, au début du XVIIe siècle, au moment où s’accroissait le nombre de pauvres tendant à devenir sédentaires. Au moment où les manquements au devoir de charité se cherchaient de nouvelles légitimations, les pauvres “mangeurs de rats” toujours plus nombreux, impossibles à circonscrire dans un “grand enfermement” pourtant rêvé, menaçant l’équilibre des communautés, favorisèrent l’essor des accusations de sorcellerie.

15 L’association entre les sorcières et les rats est attestée en Angleterre par le cas des “sœurs Flower aux rats” (1618) (cf. Barbara ROSEN, Witchcraft, Londres, E. Arnold, 1969, pp. 369-384) et par les dissertations de George GIFFARD, A Dialogue concerning witches and witchcraftes (1593), éd. B. White, Oxford UP, 1931, fol. B r. et Biv v. Voir aussi Nicole JACQUES-CHAQUIN, “Représentations du corps sorcier à l’âge classique”, in La Folie et le corps, éd. Jean Céard et al., Paris, Presses de l’Ecole normale supérieure, 1985, pp. 201-222.

16 Cf. Robert MANDROU, Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle, Paris, Plon, 1968, pp. 219-227 ; et Daniel VIDAL, Critique de la raison mystique. Benoît de Canfield : Possession et dépossession au XVIIe siècle, Paris, J. Millon, 1990, pp. 324-336.

17 Elle subit encore plusieurs interrogatoires en août 1643, puis en juin et juillet 1644. Cf. VIDAL, Op. cit., pp. 185-186.

18 Jugement de tout ce qui a esté imprimé contre le cardinal Mazarin, Paris, s.n., 1649. Naudé parle de la nullité de la possession de Louviers (p. 310) et se moque des peurs de ses contemporains : “quand une belle et grosse jeune fille (…) se plaint d’avoir quelque homme qui la suit, de voir des Diables, d’entendre du bruit à la maison, d’estre entourée de phantosmes, on dit en se mocquant d’elle que son pucelage l’étouffe ; (…) et pourquoy donc brasier une pauvre femme, qui par maladie, par sottise, par force ou autrement, confessera d’avoir esté portée en moins de rien sur une fourche, ou sur un balet, à des assemblées (…) où elles auront fait extravagances puériles, ridicules, impossibles, et qui mériteroient mieux qu’on les fit penser ou enfermer aux Petites Maisons, que non pas de les exterminer comme l’on fait par le feu et la corde ? ” (p. 317).

19 Histoire de Magdelaine Bavent, religieuse du monastère de St-Louis de Louviers, avec sa confession générale et testamentaire, où elle déclare les abominations, impiétés et sacrilèges qu’elle a pratiqué et veu pratiquer, tant dans ledit monastère qu’au sabat, Paris, Jacques Le Gentil, 1652 ; “Je ne connais aucun livre plus important, plus terrible, plus digne d’être imprimé” écrit MICHELET en 1862 (La Sorcière, ici éd. L. Refort, Paris, Didier, 1952, vol. II, p. 91).

20 Il le résume au chap. VIII de La Sorcière ; éd. citée, vol. II, pp. 99-100.

21 Ibid., loc. cit. Ce texte sera repris dans Y Histoire de France de MICHELET, Paris, Flammarion, 1893-1897, t. XII (Louis XIV et la Révocation de l’Edit de Nantes), pp. 420-421. Il était reconnu aux sorcières de pouvoir faire naître autour d’elles, par le pouvoir de Satan et ex pulvere, toutes sortes d’animaux immondes (cf. Jean DELUMEAU, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, PUF, 1971, p. 254).

22 MICHELET, La Sorcière, éd. citée, loc. cit.

23 Voir l’“Introduction” à La Sorcière ; éd. citée, vol. I, pp. 8-9.

24 Cf. l’hagiographie de sainte Marguerite, qui fut visitée en prison par le dragon, et fut victorieuse dans l’épreuve.

25 CYRANO DE BERGERAC, Les Etats et Empires du Soleil (parus d’abord expurgés dans l’éd. posthume de 1662) ; Voyages aux pays de nulle part, éd. F. Lacassin, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 371.

26 Dyrcona se souvient sans doute ici du malheureux Sigismond de CALDERON (1636) se réveillant à nouveau dans sa prison, après en avoir été retiré et s’être cru roi pour un temps très éphémère : “l’expérience m’apprend que l’homme qui vit, songe ce qu’il est, jusqu’à son réveil. (…) et dans ce monde, en conclusion, tous songent ce qu’ils sont, mais nul ne s’en rend compte. Moi je songe que je suis ici, chargé de ces fers, et j’ai songé m’être trouvé en un autre état plus flatteur. (…) toute la vie n’est qu’un songe, et les songes ne sont rien d’autre que des songes.” (La Vie est un songe, éd. B. Sesé, Paris, Aubier-Flammarion, 1976, vv. 2154-57 ; 2175-81 ; 2186-87). Ce constat d’un “moi” improbable, radicalement opposé à celui du cogito de Descartes, Sigismond l’énonce dans un milieu carcéral où règnent araignées et souris (“arañas y ratones”, v. 2202).

27 “Clitiphon [=l’ami du narrateur] faillit à pasmer de l’odeur des roses (…) l’ayant vu pasle et presque defaillant, je cogneus que c’estoit une tache en son naturel ; comme il se treuve en des choses semblables quelques ames ombrageuses en beaucoup d’objects : il y en a qui sont malades à voir des cerises, d’autres pour regarder du vin. Je n’ay, Dieu mercy, aucune de ces mignardises en mon appètit, comme aussi je me treuve tousjours avec antipathie et horreur [face] aux serpens, aux rats, aux vers et à toute sorte de saleté et de pourriture.” (Théophile de VIAU, Première journée ; in Œuvres complètes, éd. M. Alleaume, Paris, P. Jannet, 1855, t. II, p. 18.) Dans le récit de ses captivités à Saint-Quentin et à la Conciergerie, Théophile fait état de sa “peur” (142), de sa “frayeur” (147) et de ses combats permanents contre “des vers et autres animaux” (146) dans son cachot (Apologie au Roi, in : Théophile en prison, éd. R. Casanova, Paris, J.-J. Pauvert, 1967, pp. 125-164).

28 On sait qu’au théâtre, l’évocation de “mort-aux-rats” (rats-bane) par le personnage de Lucy dans la prison londonienne de Newgate, dans le Beggar’s Opera de John GAY (III, vii), fit sensation en 1728, en parodiant les scènes d’“empoisonnements en prison” (relevant du registre noble) que l’on trouve à la même époque dans les opéras de Haendel.

29 Voir l’autobiographie romancée que LATUDE et BEAUPOIL DE SAINT-AULAIRE rédigèrent entre 1787 et 1792 (Mémoires de Linguet et de Latude, éd. F. Barrière, Paris, Firmin-Didot, 1884, pp. 275-281). L’image emblématique et touchante de Latude entouré en prison par ses rats est encore rappelée par le critique Ch. RABOU, dans son compte rendu du mélodrame historique de Pixérécourt, Latude ou trente-cinq ans de captivité (Journal de Paris du 20 novembre 1834).

30 Le baron de TRENCK relate sa longue incarcération dans une cellule destinée à lui servir de tombeau ; il y apprivoise une souris extraordinairement intelligente et fidèle, qui lui est arrachée par le cruel major à plusieurs reprises et qui se laisse mourir de chagrin après une ultime séparation (Le Destin extraordinaire du baron de Trenck. Mémoires d’un officier de Frédéric le Grand, 1726-1794, éd. R. Bolster, Paris, Pygmalion-G. Watelet, 1986, pp. 224 et 300-302). Chez Latude et chez Trenck, le message est le même : les hommes sont bien plus effrayants encore que les rats, qui revêtent une fonction de consolateurs.

31 L’Inquisition française ou l’Histoire de la Bastille, Amsterdam, B. Lakeman et Leyde, J. et H. Verdeek, 1724, t. II, pp. 1ss.

32 Cf. Hans-Jürgen LUSEBRINK et Rolf REICHARDT, “La Bastille dans l’imaginaire social de la France à la fin du XVIIIe siècle (1774-1799)”, Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 30, 1983, pp. 196-234.

33… je suis dévoré des rats et des souris qui ne me laissent pas reposer un seul instant de la nuit. En voilà six blanches tout de suite que je passe, et quand je demande en grâce qu’on mette un chat dans la salle voisine pour les détruire, on me répond que les animaux sont défendus. A cela je réponds : “Mais bêtes que vous êtes, si les animaux sont défendus, les rats et les souris doivent l’être aussi.” On me répond : “C’est différent”. Vous voyez ce que sont les règles de cet exécrable taudis, qui toutes tendent à rendre bien malheureux le prisonnier, sans qu’aucune ait pour but son soulagement.” (“A Madame de Sade”, 4 octobre 1778 ; Lettres écrites de Vincennes et de la Bastille, t.  I, Paris, J.-J. Pauvert, 1966, pp. 69-70). Soixante ans plus tôt, tout au contraire, dans la même “intention de [s]e délivrer des souris dont [elle] étai[t] persécutée”, Madame de STAAL (mise à la Bastille en décembre 1718 lors de la disgrâce de la duchesse du Maine) avait facilement obtenu la compagnie d’une chatte-garde du corps (Mémoires de Madame de Staal Delaunay, éd. G. Doscot, Paris, Mercure de France, 1970, p. 145).

34 La confusion de Crébillon sur laquelle nous ouvrions cette étude, qui prit en prison un rat pour un chat, est logiquement prolongée par l’exigence de prisonniers de disposer d’un chat pare-souris (Sade, Madame de Staal), pour faire pièce à l’angoisse ratophobe. Au XVIIe s., Carlos GARCIA, un Espagnol exilé à Paris, dans le premier chapitre d’un pamphlet rédigé contre le régime inquisitorial, comparait de façon systématique les maux calamiteux du prisonnier aux peines de l’Enfer. Dans sa conclusion, García énumérait tous les maîtres-chanteurs qui ruinent le prisonnier avant de le laisser sortir, si par extraordinaire était signé un ordre de libération ; parmi ceux-ci, “le chat [demande qu’il luy paye] le travail qu’il a eu à luy nettoyer la chambre des souris”. (L’Antiquité des larrons, adapt. par Vital D’Audiguier, Paris, Toussainct du Bray, 1621, p. 40).

35 Cf. Monique COTTRET, La Bastille à prendre, Paris, PUF, 1986, p.107.

36 Voir une gravure de cette fameuse “cage” installée par Louis XI in Jean-Paul BRIGHELLI, Entre ciel et mer, le Mont-Saint-Michel, Paris, Gallimard, 1987, p. 67.

37 “Quant aux fols en petit nombre, qui se rencontrent dans quelques prisons, il est trop vrai qu’il faut cacher à la société ceux qui ont perdu l’usage de la raison : mais j’observerai que la plupart des insensés, que renferment les Maisons d’Etat, le sont devenus ceux-là par l’excès des mauvais traitemens, ceux-ci par l’horreur de la solitude, où ils rencontrent à chaque instant les prestiges d’une imagination aiguisée par la douleur. » (Des Lettres de cachet et des prisons d’Etat, s.n.a., Hambourg, 1782, t. I, chap. XI, p. 267.)

38 Ibid., note 12, pp. 280-281.

39 L’anecdote aura une fortune certaine au XIXe siècle : une lithographie évoque “Dubourg dévoré vivant par les rats” (Les Epouvantes du Mont Saint-Michel, Paris, Bibl. nat.) ; cf. BRIGHELLI, Op. cit., p. 72 et Claude QUETEL, Le Mont-Saint-Michel, Paris, Bordas, 1991, pp. 132-134. De nos jours, une figure de cire de Dubourg dans sa cage de fer, entouré de rats dévorateurs, suscite l’épouvante et la compassion des visiteurs du Musée du Mont-Saint-Michel.

40 “The dungeons at the bottom of the towers exhale the most offensive scents, and are the receptacles of toads, rats, and other kinds of vermin.” John HOWARD, Prisons and lazarettos, vol. I, (…) An Account of some foreign prisons and hospitals (1777 ; ici 4e éd. de 1792), reprint Montclair (N. J.), Patterson-Smith, 1973, p. 175.

41 Remarques historiques sur la Bastille, s.n.a., Londres, 1789, pp. 32-33. Le pamphlet débute ainsi : “De tous les supplices imaginés par les hommes pour tourmenter leurs semblables, la prison, surtout quand elle est prolongée, est peut-être le plus rigoureux et le plus insupportable. La perte de la liberté, l’incertitude de son sort, la vue continuelle d’objets hideux, et les mauvais traitements multipliés d’êtres féroces qui se font un jeu barbare d’aggraver les peines des malheureux, sont des tourments beaucoup plus sensibles qu’on ne le peut croire, et dont l’expérience seule peut donner une idée vraie.” (p.9).

42 “Les cachots de la Bastille” (Paris, B.N., coll. Hennin), dessin reproduit in Albert SAVINE, La Vie à la Bastille, Paris, Louis-Michaud, 1908, p. 169.

43 Texte cité par Albert SAVINE, Les cachots de Paris sous la Terreur, Paris, Louis-Michaud, 1911, p. 176 ; André de MARICOURT, Prisonniers et prisons de Paris pendant la Terreur, Paris, Lemerre, 1924, p.10 ; Henri D’ALMERAS, L’Amour sous les verrous. Les prisons révolutionnaires, Paris, Albin-Michel, 1936, p.75.

44 C’est par la frayeur sucitée par un rat monstrueux que Louis XIV réalise qu’il vient d’être enfermé à la Bastille dans Le Vicomte de Bragelonne d’Alexandre DUMAS (1848-1850), t. V, chap. 10.

45 “Le troisième paragraphe nous montre Jacques, notre pauvre Fataliste, les fers aux pieds et aux mains, étendu sur la paille au fond d’un cachot obscur, se rappelant tout ce qu’il avait retenu des principes de la philosophie de son Capitaine, et n’étant pas éloigné de croire qu’il regretterait peut-être un jour cette demeure humide, infecte, ténébreuse où il était nourri de pain noir et d’eau, et où il avait ses pieds et ses mains à défendre contre les attaques des souris et des rats.” (DIDEROT, Jacques le Fataliste et son maître, éd. S. Lecointre et J. Le Galliot, Genève, Droz, 1977, p. 377).

46 Dans sa Confutazione della Histoire du gouvernement de Venise d’Amelot de la Houssaye, Lugano, 1769, rédigée, il est vrai, dans le but d’obtenir la clémence des Inquisiteurs qui lui interdisaient de revenir à Venise.

47 Conséquence d’une vengeance amoureuse, d’une vie dissolue, et pour avoir été en possession d’ouvrages érotiques et cabalistiques.

48 Histoire de ma fuite…, Paris, J.-C. Godefroy, 1985, pp. 34-35.

49 “Le public [de mes lecteurs] n’est pas une jolie femme que je veuille ménager ; mon but est de l’instruire” dira CASANOVA dans le chapitre correspondant de ses Mémoires pour justifier l’intérêt des détails concernant ses fréquences excrémentielles.

50 “La compagnie d’un assassin, d’un fou, d’un malade puant, d’un ours, d’un tigre est préférable à une solitude de cette espèce : elle désespère.” (p. 40).

51 Les mouvements des rats perturbent le silence nocturne et occasionnent une angoisse qui empêche le sommeil (“J’ai passé la nuit sans dormir au bruit que les rats bondissants faisaient dans le galetas” (ibid.)). GOETHE insistera bientôt sur une connivence secrète entre les enfants et les rats, pareillement doués pour découvrir “toutes les fentes, tous les trous par où parvenir aux gourmandises interdites” (Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister (1794-1796), trad. J. Ancelet-Hustache, Paris, Aubier-Montaigne, 1983, p. 50).

52 Le lien entre la peur de l’invasion des rats (potentiels envahisseurs de l’anus) et la maladie des hémorroïdes se trouve déjà explicité dans le Premier Livre de Samuel, lors de la calamité qui frappe les Philistins d’Ashdod : les prêtres conseillent d’apaiser la colère de Dieu en formant “cinq imitations d’hémorroïdes sculptées en or et cinq statues d’or de rats” (V, 6 et VI, 4-5).

53 “[Le médecin] me dit qu’il avait obtenu la permission de faire transporter mon lit dans le galetas, où la chaleur était moindre ; grâce qui positivement m’épouvanta, à cause des rats que j’abhorrais plus que la mort. » (p. 46).

54 L’expression est de CATHERINE dans ses Mémoires (année 1747) ; éd. D. Maroger, Paris, Hachette, 1953, p. 130.

55 Ibid., p. 199.

56 Sur les apoplexies d’Elisabeth, impératrice régnante, devant les souris, voir CATHERINE, Op. cit., p. 158. Pierre avait confié à son épouse l’effroi où l’avait jeté en 1749 la proposition du lieutenant Batourine d’assassiner l’impératrice pour le faire accéder au trône (ibid., pp. 161-163). La cérémonie de la dératisation, par son caractère synecdochique, pourrait dès lors se rapporter à une esquisse de traduction symbolique de cette culpabilité.

57 L’impératrice exprimait sans ménagement son inquiétude au sujet de l’inactivité nocturne et de la stérilité du couple de Pierre et de Catherine. Selon un mémoire de Champeaux rédigé en 1758, le grand-duc souffrait de l’infirmité d’un anneau de prépuce trop étroit (phimosis), mais se refusait à subir la circoncision (cf. K. WALISZEWSKI, Le Roman d’une impératrice. Catherine II de Russie, Paris, Plon, 1893, p. 59). La valeur phallique du rat est largement attestée aux XVIIe et XVIIIe s. : l’expression “faire un rat” désignait l’échec d’un coït [cf. Yves CITTON (ici-même p. 126, à propos de Rousseau)] ; voir l’énigme grivoise sur la Ratière des Facétieuses nuits (10) de STRAPAROLE (trad. de Larivey, rééd. 1725 et 1726) ; la gravure très leste “La Souricière” d’après Poussin : M. PREAUD, Graveurs du XVIIe s., no 275 (Inventaire du fonds français, Paris, B.N., 1988, t. 17 ; je dois cette référence à Max Engammare) ; “Les deux rats”, poème obscène d’Alexis PIRON (Foutaizes de Jericho, 1740) ; enfin la lettre LXXI de Valmont dans Les Liaisons dangereuses de LACLOS.