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Continuité ou rupture avec l’Ancien Régime ?

Une grande peur dans les montagnes : la Suisse et le choléra morbus (1831-1832)

Joëlle DROUX

Université de Genève

Prélude : ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

Lorsque le chef d’état-major H. von Moltke écrit au mois de novembre 1848 à son frère Adolphe pour lui relater les derniers événements politiques qui continuent d’agiter les états allemands lors du printemps des peuples, il conclut comme à l’ordinaire sa missive par un bulletin de santé familial1 : évoquant alors les récents ravages de l’épidémie de choléra qui se déchaîne depuis plusieurs semaines à Magdebourg, Moltke considère avec une scrupuleuse attention les effets délétères de cette insidieuse menace sur sa santé :

Au demeurant, nous nous portons bien. Nous sommes au moins débarassés d’un de nos ennemis, du choléra ; je l’avais en horreur, car, tant qu’il régnait, j’étais continuellement malade2.

Au-delà d’une expression passagère portant témoignage de la présence effrayante d’une maladie chargée de fantasmes, les mots du militaire chevronné qu’est Moltke permettent de mesurer l’impact de la peur engendrée par cette terrible affection sur les mentalités et l’imaginaire social : à chaque récurrence du fléau depuis son apparition en Europe au cours des années 1830, les populations ressentent avec angoisse sa réapparition dans l’enceinte des psychoses collectives ; et si tous n’en meurent pas, tous en restent frappés : alors que les uns tombent victimes du fléau, d’autres sont en proie à la torturante peur du mal. Il n’en fut pas autrement lorsque, pour la première fois en 1830, le choléra fit brutalement irruption dans l’univers mental et médical de la Restauration, bouleversant la configuration d’un horizon sanitaire jusqu’alors relativement serein, depuis l’extinction des grandes pestes d’Ancien Régime3. Alors que l’Europe jetait dès 1817 de discrets et distraits regards sur la progression exclusivement orientale d’un mal justement dénommé “choléra morbus asiatique”, elle se trouve brusquement plongée dans l’angoisse lorsque, à l’orée des années 1830, l’épidémie gagne les proches contrées russes, polonaises, autrichiennes et allemandes, puis bientôt anglaises et françaises4. Face à un tableau pathologique dont on connaît d’autant plus mal les caractéristiques que sa fulgurance n’a guère laissé aux médecins le temps d’en disséquer les composants5, la seule certitude qui surnage, après le total naufrage des doctrines médicales révélé par les gazettes, est celle de l’incroyable morbidité du choléra. Spectacle bien peu fait pour rassurer des esprits affolés par la perspective du retour aux effroyables contagions d’Ancien Régime.

Pour autant, cette image du retour vers le passé n’est qu’un leurre, et Chateaubriand, témoin oculaire des hallucinants ravages de l’épidémie à Paris au printemps 1832 ne s’illusionne guère, qui constate : “Si ce fléau fût tombé au milieu de nous dans un siècle religieux, qu’il se fût élargi dans la poésie des cœur et des croyances populaires, il eût laissé un tableau frappant.”

Or, en lieu et place des grandes manifestations mystiques auxquelles on aurait pu s’attendre en de telles circonstances, l’auteur du Génie du Christianisme n’assiste, mi-soulagé, mi-amer, qu’au déploiement des forces toutes laïques de l’administration :

Rien de tout cela : le choléra nous est arrivé dans un siècle de philanthropie, d’incrédulité, de journaux, d’administration matérielle. Ce fléau sans imagination n’a rencontré ni vieux cloîtres, ni religieux, ni caveaux, ni tombes gothiques ; comme la terreur en 1793, il s’est promené d’un air moqueur à la clarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, qui racontait les remèdes qu’on avait employé contre lui, le nombre de victimes qu’il avait faites, où il en était, l’espoir qu’on avait de le voir encore finir, les précautions qu’on devait prendre pour se mettre à l’abri, ce qu’il fallait manger, comment il était bon de se vêtir.6

Dépouillé de ces attributs tourmentés qui en auraient fait une maladie “romantique” par excellence, le choléra dépeint par Chateaubriand n’est pas considéré autrement qu’il aurait pu l’être au siècle précédent, sous les feux conjugués des Lumières médicales, philosophiques et administratives : dûment inspecté, disséqué, quantifié, étiqueté, à défaut d’être déjà contrôlé.

Avec l’homme de lettres genevois Rodolphe Toeppfer, c’est un pas de plus dans le processus de démystification de la maladie que l’on voit s’accomplir : aux antipodes du recours aux magistrales célébrations religieuses à vertu propitiatoire, il dépeint un citoyen du XIXe siècle qui, confronté à la menace cholérique, investit ses espoirs et ses croyances dans les vertus des symboliques et toutes matérielles amulettes recommandées par le corps médical. C’est alors le dérisoire règne de la flanelle qui musèle momentanément les peurs ataviques suscitées par le péril miasmatique :

Quand le choléra approcha de nos murs, que la peur nous galopait tous, moi comme d’autres, quel préservatif plus efficace que la ceinture de flanelle nous fut-il recommandé par nos docteurs ? Ah certes ! Cette ceinture-là causa plus de bruit alors que celle de Vénus n’en fit jamais : elle dissipa la terreur et les maux de ventre, qui nous occupaient bien davantage que les grâces et les attraits de la mère de l’Amour. Le péril est passé sans doute, mais il peut revenir, et j’ai gardé, moi, dans mon armoire, avec ma ceinture, la reconnaissance que je lui dois7.

A travers ces trois visions de la maladie que restituent la correspondance de Moltke, les Mémoires de Chateaubriand et les épigrammes de Toepffer, c’est toute l’ambiguité du choléra qui se donne à voir : affection perçue comme un effrayant retour vers un passé qu’on avait cru définitivement enterré, et à ce titre qui exhume de l’oubli des réactions-réflexes de peur dignes d’un autre âge ; mais également maladie dont la valence magique ou mystique fut désamorcée par les interventions massives d’autorités civiles résolues à organiser l’attente, à canaliser les énergies, à endiguer les peurs. S’interroger sur le rôle et le sens de la peur devant la maladie à l’époque de la première pandémie cholérique qui touche l’Europe à l’orée des années 1830, c’est, avant tout, se pencher sur les représentations de la peur. Dans cette optique, le contexte helvétique, et plus précisément genevois, va nous servir de terrain privilégié d’analyse de ces représentations : terrain ambigu, certes, puisque le choléra a relativement épargné le territoire national lors de son premier assaut. Mais terrain privilégié, dans la mesure où, cernée qu’elle est dès 1832 par un glacis cholérique regroupant les pays de l’est, de l’ouest et du centre de l’Europe, la Confédération vit ces quelques mois (1831-1832) sur le qui-vive, dans une atmosphère d’attente angoissée propice à l’affleurement des peurs les plus tenaces. De l’automne 1831 à l’été 1832, l’ombre obsédante du choléra plane sur les “monts indépendants”, donnant naissance à un véritable branle-bas de combat administratif et “médiatique” : à Genève, par exemple, les progrès inquiétants du fléau riverain sont répercutés par toutes sortes de relais institutionnels et sociaux auprès d’une population avide d’informations sur la maladie : la presse offre régulièrement à ses lecteurs la liste des contrées infectées, n’hésitant pas même à retranscrire jour après jour les éprouvantes étapes de l’agonie du malheureux Casimir Périer, mort du choléra en 1832 ; la Feuille d’Avis du canton ouvre pour sa part ses colonnes à un déferlement publicitaire de grande envergure, relatant les dernières conquêtes de la pharmacologie et du charlatanisme en matière de préservatif anti-cholérique ; le Conseil d’Etat n’est pas en reste, lui qui diffuse à cadences répétées “Arrêtés” et “Instructions” à l’intention du public anxieux de se sentir protégé ; le Conseil de Santé, quant à lui, met sur pied une vaste campagne de visites sanitaires, destinées à propulser auprès des foyers genevois un nouveau modèle de fonctionnaire détecteur de miasmes ; enfin, les revues scientifiques, telle la très illustre Bibliothèque Universelle, se chargent de collecter les études en provenance des pays contaminés, et de les offrir en pâture à une opinion publique inégalement avertie, dont l’avidité en la matière ne manque pas de susciter les scrupules du corps médical local. Aussi est-ce avec circonspection, non sans avoir pesé le pour et le contre de la divulgation de tels récits, qu’un de ses membres se résigne à ajouter sa contribution au déjà lourd dossier du “prévenu” asiatique :

J’ai longtemps hésité avant de vous proposer la publication de ce mémoire sur le choléra-morbus dans la Bibliothèque Universelle parce que personne plus que moi, n’est convaincu du peu de convenance d’entretenir de médecine le public non médical. Indépendamment des raisons générales pour s’abstenir de ce genre de publications, il y a dans ce cas, celle de ne pas propager ou augmenter les craintes qu’inspire ce fléau ; il y a celle de ne pas donner des idées fausses ou erronées sur l’emploi des remèdes, à des personnes qui n’ont que trop de dispositions à appliquer les médicaments dont elles ont quelques notions, de la manière la moins judicieuse. Mais d’un autre côté, dans ce moment, l’idée dominante est celle du choléra ; elle occupe toutes les têtes, non seulement en Europe, mais dans le monde entier ; dans toutes les classes de la société, depuis le palais des rois jusques dans la chaumière du laboureur, on est à l’affût de tout ce qui se dit, de tout ce qui se publie sur cette maladie ; il n’y a presque personne qui n’ait dans sa tête son petit système de traitement, soit préventif, soit curatif. Je crois donc que donner au public quelques idées de plus ou de moins sur la maladie dont tout le monde est menacé, n’a plus d’inconvénient8.

L’attachement du public potentiel de ces articles à une certaine transparence de l’information scientifique, seule capable de faire craquer les articulations de la carapace corporatiste médicale, illustre à sa manière l’actualité brûlante du sujet en ces quelques mois. L’homme de lettres genevois John Petit-Senn reflète à sa façon cette obsession du choléra, en publiant dès l’automne 1831 un long poème intitulé, avec un à-propos médiatique désarmant, “Le choléra-morbus” :

L’air chargé de vapeurs que la mort accompagne

Assiège au même instant la plaine et la montagne

D’un réseau destructeur on se sent entouré

En arrière, en avant, partout la mort réside

Dans cette atmosphère homicide

Les humains n’osent respirer (…).9

Si donc le choléra a épargné la Suisse, celle-ci n’en a pas moins été échaudée par de torturantes peurs, bien réelles celles-là, et non moins lancinantes que celles éprouvées par les contrées harcelées par la maladie. Cependant, ce qui transparaît à travers cette déferlante discursive de grande envergure, ce n’est pas tant la peur ressentie par les confédérés eux-mêmes que le regard porté par ces derniers sur la peur des autres, de ceux qui, au-delà des Alpes, ont vécu le choléra au quotidien. C’est justement ce regard sur la peur des autres qui me semble être le principal levier à partir duquel allait s’élaborer le dispositif de prévention “psychologique” que la Confédération opposa au choléra. On voit ainsi s’opérer, au fil des documents et des discours officiels diffusés auprès du public suisse durant cette période de “guet”, une sorte de mise en scène de la peur éprouvée par les autres, par ces malheureux voisins victimes du fléau. A l’origine de cette mise en scène, il est possible de distinguer une stratégie délibérée de mise en perspective de ces peurs obscures issues de l’étranger dans le dessein de désamorcer, par un court-circuit symbolique, l’apparition de peurs dévastatrices similaires dans la population helvétique.

Parallèlement, cette mise à distance des peurs d’autrui se renforce en s’articulant sur une distinction névralgique entre diverses catégories de peurs ; on présentera d’une part les peurs nées d’ailleurs, fruit amer d’un instinct de conservation subitement réactivé par la maladie : peurs inhibitrices, paralysantes, désocialisantes, peurs barbares. Sans aucun doute des peurs nuisibles à la société qui les génère sans les maîtriser. On dépeindra, d’autre part, les peurs émanant du corps helvétique, couronnement opportun de l’empire de la raison sur les sens : peurs créatrices, résultat d’une prévention intelligente, reflet d’une organisation sociale avancée. En tous points, des peurs utiles à la communauté qui les sait habilement susciter10.

Premier mouvement : le choléra des autres, ou comment mourir de peur.

Dès l’annonce des fulgurants progrès du choléra en Europe orientale et centrale, entre l’été et l’automne 1831, le gouvernement fédéral décide de dépêcher sur place ses propres experts : la commission sanitaire fédérale est invitée à mandater quatre médecins helvétiques, qui sillonneront durant plusieurs mois les pays contaminés, avec mission de collecter les informations les plus fiables sur ce mal mystérieux. Tâche délicate aussi bien que périlleuse, accomplie notamment par un médecin genevois, le Dr Louis-André Gosse11, lequel naviguera à vue entre les eaux troubles de la contagion et de la rumeur :

Il s’agissait d’étudier une maladie grave et nouvelle dans toutes ses phases, avec toutes ses variétés, de suivre des traitements divers, quelquefois opposés, et de juger impartialement de leur valeur ; il s’agissait surtout de distinguer le vrai du faux dans les rapports journaliers officiels ou autres, et pour cela il fallait réexaminer soi-même les faits et les peser mûrement12.

Au terme d’un périple qui devait les amener à parcourir la Bavière, la Saxe, la Prusse, la Silésie, la Bohème, l’Autriche et le Tyrol, les 4 commissaires sanitaires fédéraux engrangèrent une moisson considérable de données. Celles-ci furent partiellement publiées dans les gazettes locales, dans la presse scientifique, dans les bulletins fédéraux publiés tout exprès, ou encore sous forme de brochures. Ces témoins privilégiés et sourcilleux, ainsi que les experts étrangers convoqués par la Bibliothèque Universelle pour donner leur avis éclairé sur la maladie, reconstituent, au fil de leurs récits, un tableau véritablement apocalyptique des sociétés ravagées par les effets déstructurants de terreurs d’un autre âge, autant, sinon plus, que par les seuls coups de l’épidémie. Le choléra, en effet, y est largement défini par les manifestations d’effroi qu’il suscite ; cette mise en scène de la peur des autres, pimentée de force détails, s’accompagne d’une mise en garde systématique : la peur de la maladie, et en premier lieu de la contagion, y est présentée non seulement comme socialement nuisible, mais aussi comme médicalement dangereuse. La dissociation du corps social occasionnée par les effets dissolvants de la peur, reproduit en miroir la dégénérescence physiologique de ceux qui l’éprouvent. La conclusion s’impose alors d’elle-même à ces observateurs avides de saisir la “clé” d’explicitation et donc de prévention de la maladie : la peur tend doublement à détruire la société comme entité collective, parce qu’elle élimine physiquement les individus qui la composent et qu’elle isole irrémédiablement les uns des autres ceux qui lui survivent. L’espace-temps du choléra se caractérise donc par le fait que, au sens premier du terme, on y meurt de peur.

Au premier rang des terreurs ataviques ressenties par les populations oppressées par la contagion, on retrouve sans surprise la peur du complot des “gros” contre les “petits”. En 1832 comme sous l’Ancien Régime, les plus défavorisés sont prompts à soupçonner leurs gouvernants de se réjouir de la mortalité épidémique, voire même de l’orchestrer13. La presse genevoise se fait l’écho, pour mieux en souligner l’inanité, des sinistres rumeurs qui circulent çà et là dans les pays infectés, comme à Paris :

Cette capitale a été souillée par des meurtres affreux dont nous répugnons à donner des détails. Le peuple, persuadé que des individus empoisonnaient le vin, l’eau, le lait, etc., a cru se faire justice lui-même, et a commis d’épouvantables excès ; plusieurs personnes ont été massacrées, victimes innocentes de la stupide fureur des masses cruellement égarées. Les attestations des gens de l’art et les renseignements certains sont venus, mais trop tard, ouvrir les yeux du peuple et lui montrer les fatales conséquences de son erreur, propagée sans doute par les ennemis du gouvernement actuel qui cherchaient dans des suppositions atroces et dans le désordre qu’ils avaient fait naître un moyen de le renverser14.

Les élites genevoises déplorent et condamnent avec hauteur l’apparition de telles réactions populaires enfantées par l’angoisse et l’ignorance, mais dont l’origine et les implications politiques n’échappent à personne ; et ce d’autant que le peuple, affolé par l’invisible présence de la contagion, croit déceler partout les signes de ce complot fomenté par les “gros” contre les “petits” ; ne réinterprète-t-il pas à l’aune de cette grande peur toutes les mesures mises en place pour parer à l’épidémie ? La construction de lazarets, l’établissement de quarantaines, le transport obligatoire des malades dans les hôpitaux, se fondent à ses yeux en autant d’indices précurseurs de l’élimination concertée de l’indigent par le nanti. A ce titre, tous les agents ou collaborateurs des autorités civiles et sanitaires, au premier rang desquels les médecins, font l’objet de rumeurs les désignant comme autant d’empoisonneurs patentés :

Dans tous les pays où le fléau asiatique a porté ses ravages, des bruits alarmants ont précédé la maladie et se sont renforcés lorsqu’elle a fait explosion (…). Des malheureux, injustement soupçonnés d’être des empoisonneurs, ont été cruellement massacrés. A Pétersbourg, Vienne, Berlin, Paris, le sang a coulé dans les rues ; des infortunés, pour prix de leur zèle à porter des secours, ont été lapidés, noyés ou assommés par une populace égarée et furieuse.15

Ailleurs, cette peur du médecin se greffe sur la systématisation de la pratique des autopsies, de telle sorte qu’ils sont volontiers suspectés de propager tout exprès la maladie à seule fin de donner libre cours à leur soif d’expérimentations :

A Berlin [constate le Dr Gosse], les grands hôpitaux ne sont aux yeux du peuple qu’un moyen pour les médecins de satisfaire leur curiosité, d’étudier les maladies, de faire des expériences ‘in anima vili’ et des autopsies.16

Ce que dépeignent donc les témoins suisses, c’est une véritable inversion des valeurs de la civilisation moderne sous les coups de boutoir de la peur. Celle-ci provoque une véritable déstructuration des liens sociaux, laquelle s’articule sur la dissolution brutale des hiérarchies traditionnelles de savoir et de pouvoir : si ceux qui tout à la fois représentent et gouvernent la nation paraissent comploter contre leurs administrés, ceux qui d’ordinaire se destinent à les secourir et à les soigner semblent de leur côté travailler à leur perte. L’inversion spectaculaire des valeurs et le renversement symbolique des rôles prennent alors une ampleur telle que la lecture des rapports sociaux par ceux qui baignent dans cette “atmosphère homicide” en est profondément altérée. A tel point que la seule vue du médecin génère chez des êtres jusqu’alors “normaux” l’apparition irrationnelle de symptômes alarmants :

Un ouvrier de la fabrique royale de Kupferhammer (…) vivait sobrement et ne commettait aucune imprudence. Cet homme, qui n’avait visité aucun cholérique et qui se portait fort bien en apparence, étant occupé dans une des cours de la fabrique, vit tout à coup paraître à une certaine distance le médecin (le Dr Donop de Neustadt) qui était venu visiter des cholériques dans le voisinage, et qui, suivant les règlements sanitaires d’alors était revêtu d’un manteau noir de toile cirée. Il en fut effrayé au point qu’une demi-heure après il se trouva incommodé, rentra chez lui, prit le choléra et mourut dans la même nuit17.

Dans cette ambiance oppressante de déchaînement cholérique, la sémantique sociale subit le contrecoup d’une accumulation de topoï hérités du passé18 : ici, c’est le médecin détenteur des sciences de la vie qui revêt les insignes de la mort. Ailleurs, ce sont les institutions de soin qui deviennent (ou redeviennent) des lieux synonymes d’épouvante, et considérés par conséquent avec un surcroît de méfiance, voire de répugnance, par les populations aux abois. C’est le cas notamment à Riga où, rapporte un médecin genevois en 1831, “telle était la répugnance des habitants à entrer dans cet hôpital pour soigner les malades, que l’on fut obligé d’avoir recours à la force pour y placer des infirmiers, et même plus tard cette fonction fut confiée à des malfaiteurs.”19

Dans un univers cauchemardesque où la silhouette du médecin provoque les affres de l’agonie, faut-il encore s’étonner que le personnel infirmier se recrute chez les criminels, et que le geste soignant réputé empreint de douceur maternelle, se métamorphose subitement sous l’influence de la peur du choléra en aggression caractérisée ? Le Dr Gosse ne cite-t-il pas “le cas d’un cholérique à l’hôpital du Dr Romberg, qui, étant en pleine convalescence, et ayant reçu d’un garde-malade un soufflet qui le vexa profondément, eut subitement une rechute et mourut promptement”20.

Au registre des terreurs emblématiques du régime spécifiquement épidémique de la peur, il faut en outre citer la réception décalée des mesures sanitaires prescrites par les autorités des pays infectés, et que dénonce, là encore, l’infatigable Dr Gosse :

Voici encore un exemple de l’effet moral puissant qu’exerçaient les séquestrations sur la mortalité des personnes qui y étaient soumises, ou qui redoutaient de l’être. A Elbing, sur 30 personnes chez lesquelles, d’après le jugement des hommes de l’art, la séquestration avait déterminé un état d’angoisse et d’inquiétude, 22 moururent, c’est-à-dire 7 sur 10, tandis que sur la somme totale des malades de la ville, il n’en est mort que 6 sur 10 (233 sur 349).21

Enfin, ultime étape dans cette escalade de la panique que mettent en scène les experts helvétiques, s’illustre la peur du malade. L’inversion des valeurs est ici consommée, puisque non seulement ceux qui protègent, qui soignent, qui consolent, sont soupçonnés des pires intentions, mais encore le malade lui-même, intégralement réduit à sa maladie et, à travers elle, à la toute-puissance du germe invisible, est abandonné de tous par crainte de la contagion. Face à de telles réactions instinctives de préservation individuelle (chacun pour soi), les médecins suisses mettent en garde leurs compatriotes :

Si nous répétons encore notre opinion ou plutôt notre conviction intime sur la non-contagion de la maladie, c’est uniquement dans le but de travailler à prévenir de tout notre pouvoir, dans notre patrie, les scènes déplorables qui ont eu lieu en Hongrie. La misère y était si grande, que le fils abandonnait son père malade, que les parents chassaient leurs enfants de la maison et les laissaient mourir de faim dans les champs ; tous les liens de famille étaient rompus par la seule crainte de la contagion22.

Il n’est pas jusqu’à la mort et à ses rites qui inspirent dans ces circonstances une terreur si irrépressible, que dans certains cas, relate le Dr Gosse, le spectacle même d’un ensevelissement a pu déclencher la maladie :

Le Dr Haydn, de Berlin, raconte qu’une personne qui demeurait à un second étage, étant morte de phtisie, devait être enterrée le lendemain. On apporta le cercueil, mais comme l’escalier était trop étroit, on ne put le monter jusqu’au premier étage, et on le déposa sur le palier. Une femme qui rentrait dans la maison, et qui ignorait la mort de ce malade, est effrayée en rencontrant ce cercueil à la porte, elle s’imagine que quelqu’un est mort du choléra, est attaquée de cette maladie le même soir et meurt le lendemain23.

Il n’est pas nécessaire sans doute d’aller plus loin dans cette galerie de peintures où les purs fantasmes voisinent avec les réalités les plus morbides, pour restituer la conclusion qu’entendent en tirer les praticiens : en temps de choléra, on peut mourir de peur.

Au demeurant, le rôle “morbifère” de la peur lors des épidémies de choléra n’est alors pas considérée par le corps médical avec légèreté, ironie ou mauvaise foi, mais bien avec toute la froideur et la conscience professionnelle requise par l’observation scientifique des causes potentielles de contagion. On ne saurait, sans commettre une grave erreur d’interprétation, mettre en doute la sincérité de ces praticiens qui, tels le Dr Gosse, élaborent avec les outils nosographiques dont ils disposent, les hypothèses thérapeutiques permettant de rendre compte avec pertinence de la véracité des faits enregistrés :

On conçoit cette influence prédisposante de la tristesse ou de la peur, qu’on admette ou non l’action d’un principe contagieux miasmatique. En effet, dans la première hypothèse, par suite du mouvement de concentration que détermine à l’intérieur l’affaissement moral, l’absorption cutanée ou pulmonaire est fort activée et par conséquent l’introduction dans le corps, d’agents nuisibles externes, en est favorisée ; dans la seconde, il est évident qu’une faiblesse nerveuse est la conséquence des causes morales déprimantes et que par cela même l’individu est soumis davantage à l’influence de l’épidémie, des variations de température, de l’humidité ou du froid24.

Jetant ainsi un pont entre contagionnistes et infectionnistes, la peur, en tant qu’actrice à part entière du chaotique trajet cholérique, si elle figure au cœur de cette mise en scène évoquée plus haut, n’en est pas pour autant objet de manipulation consciente et frauduleuse du discours médical à des fins idéologiques. Bien au contraire, il me semble que la croyance en un caractère activement meurtrier de la peur qui sous-tend cette argumentation s’articule sur un éventail de “bonnes raisons”, au sens où l’entend R. Boudon25. Les quelques récits retranscrits ici suffisent à déchiffrer la clé de cette démonstration : la peur est non seulement socialement nuisible, mais de plus individuellement meurtrière, car la peur, déclament sans ambages les experts helvétiques, c’est l’antichambre de la mort. Les témoignages de l’étranger sont convoqués pour mieux marteler cette convaincante leçon : en temps de choléra, il faut avoir peur de la peur.

On conçoit bien que ce tableau apocalyptique des peurs d’autrui ait pu ébranler les consciences et chavirer le sang-froid du public suisse. Et pourtant, là n’est sans doute pas la destination de ces récits : ces peintures des peurs d’autrui visent bien plutôt à exorciser en Suisse la peur de la maladie, en exploitant les leçons délivrées bien malgré elles par les contrées infectées par la contagion. En décrivant ce retour déshumanisant à un “état de nature” dans lequel sont retombés les pays victimes du choléra, ces textes tirent en quelque sorte un signal d’alarme à l’attention de la population confédérée.

Deuxième mouvement : sans peur et sans reproche

On peut penser que cette mise en scène a pour fonction médiate, d’une part, d’opérer un tri significatif destiné à révéler l’existence de ces peurs nuisibles, paralysantes, déstructurantes, barbares, qui sont le fait des pays touchés par l’épidémie. Et, d’autre part, d’ériger en modèle de comportement des peurs utiles, constructrices, créatrices, qui sont quant à elles le signe distinctif de la prévoyante confédération helvétique. Cette ingénieuse dialectique de la peur efficace opposée à la peur nocive permet alors, non pas de bannir l’angoisse devant la maladie, lucidement conçue comme inévitable, mais de contrôler et de canaliser celle-ci sur des objets et des activités utiles à la collectivité. Dans une telle optique, cet éventail des peurs “barbares” donné en spectacle par les documents publiés en Suisse, prend toute son importance, en agissant en faveur d’une différenciation par la peur ; par un double processus de valorisation et de réinvestissement “utilitaire” des tensions psychologiques affleurant avec la proximité du fléau, ainsi que par l’affirmation du caractère civique de ses émotions, les autorités semblent chercher à afficher la différence de la Suisse par rapport à ses voisins. C’est ce qu’affirme avec aplomb un membre du Conseil représentatif genevois en septembre 1831 :

Lorsqu’on est menacé d’un danger, il est permis de s’en effrayer d’avance, à condition de n’en avoir plus peur quand il est là. Quand je dis qu’il faut pousser la prévoyance jusqu’à s’en effrayer, j’ajoute qu’il ne faut pourtant pas trop s’épouvanter26.

Autrement dit, une distinction s’impose entre la “bonne” peur, celle qui motive la réaction, et la “mauvaise” peur, qui la paralyse. Bien plus encore, une peur raisonnable et raisonnée de la maladie est même présentée par certains responsables sanitaires comme moteur de progrès par rapport à une situation antérieure, règne d’une trompeuse quiétude confinant à l’imprévoyance. Loin d’ancrer les mentalités dans une contemplation morbide d’un présent fatalement égoïste, cette peur utile contraindrait au contraire les Suisses à projeter dans l’avenir leur désir de survie collective. C’est ce que leur prêche le Dr Gosse dans ses articles du Journal de Genève :

La crainte de faire naître mal à propos des inquiétudes au sein de notre population nous avait de prime abord inspiré des doutes sur la convenance de retracer ici quelques précautions hygiéniques. Néanmoins en y réfléchissant plus mûrement, nous avons reconnu que le présent ne devait pas nous faire perdre de vue l’avenir, et qu’il importait avant tout d’éloigner à temps des causes prédisposantes fâcheuses. C’est donc uniquement dans le but de maintenir ou d’améliorer notre position sanitaire actuelle que nous rappellerons à nos concitoyens les résultats de l’expérience à ce sujet, et que nous chercherons à la tenir en garde contre des imprudences qu’on est trop souvent tenté de commettre27.

Au bout du compte, et la démonstration ne tarde pas à en être faite par un médecin vaudois, une peur judicieuse et rationnelle sera largement rentabilisée par l’avenir, quelle que soit l’issue de la propagation du fléau à la Confédération :

On peut d’ailleurs prédire qu’on sera redevable au choléra des institutions les plus utiles, et que, sous ce rapport, l’épouvante qu’il inspire, et les maux qu’il a produits, ne seront pas sans d’heureuses compensations28.

Et qui sait d’ailleurs si cette peur, censée réunir en une égalitaire angoisse nantis et indigents, ne se prête pas très opportunément à un mouvement d’unification nationale autour d’un objectif de lutte transcendant les clivages socio-politiques ? A cet égard, le Dr Gosse avait clairement mis en garde les élites qui pouvaient éprouver une secrète satisfaction à se croire à l’abri d’un mal décrit par certains comme un glaive moissonnant avec une préférence marquée les “classes laborieuses”. Il n’en est rien, réaffirme le praticien genevois, et là encore les leçons tirées de l’étranger seront mûrement méditées :

Si la contagion, les refroidissements, les fatigues, ont exercé spécialement une action fâcheuse sur les classes pauvres ou laborieuses, les causes morales, par une espèce de compensation, ont joué le rôle principal chez les classes aisées de la société. Véritable cauchemar de la richesse, le choléra n’en a point épargné les rangs ; le pauvre, qui au début de l’épidémie se voyait seul atteint par le fléau, et qui, pour s’expliquer cette funeste prédilection, enfantait des conspirations et des empoisonnements, fut désabusé plus tard lorsqu’il s’aperçut que la fortune n’était point un préservatif inviolable. La peur avait joint son influence à celle du miasme épidémique répandu dans tous les quartiers, et dès lors les riches oisifs au centre des capitales, dans le sein des cités populeuses, avaient cessé d’être à l’abri du fléau29.

Eu égard à ce pouvoir niveleur de la peur, une prévention raisonnée devrait s’harmoniser naturellement avec la relance d’une conception de charité sociale bien ordonnée, et surtout bien entendue, dont les lointains enjeux enjambent allègrement le pur espace-temps de la menace cholérique :

Que chacun fasse quelque sacrifice, et l’influence du fléau sera presque entièrement neutralisée d’avance ; car il ne s’attaque guère qu’aux malheureux épuisés par les privations. Que si Genève a le bonheur d’échapper à ses atteintes, l’acte de bienfaisance n’en aura pas moins soulagé des misères ; de pareils résultats ne laissent jamais de regrets30.

Socialement et politiquement rémunératrice, cette peur du choléra, affranchie de toutes ses scories propagatrices de chaos, peut même s’avérer accoucheuse d’une solidarité politique revivifiée. Ainsi à Genève, le zélé fonctionnaire chargé de contrôler la mise en place dans les quartiers de la ville des mesures de salubrité prônées par les autorités, signale-t-il :

On nous a parlé de réconciliations, et de mises en règle d’affaires dès longtemps négligées ; chacun était sérieux, mais serein. Le lien positif ressort ainsi à l’avance d’un mal qu’il est très possible encore que nous ne voyions que sur les gazettes31.

Quant au Dr Gosse, il atteint dans la même veine des sommets pathétiques, en tentant de promouvoir la création de “sociétés de secours mutuels” réunissant dans chaque maison genevoise propriétaires et locataires, en vue d’assurer la mise en place de structures d’assistances ponctuelles, permanentes et “conviviales” :

Ils redouteraient moins l’atteinte du mal, en songeant que dans quelque moment qu’ils en soient frappés, ils seraient entourés sur-le-champ de tous les moyens curatifs et de bons voisins et voisines pour les mettre en œuvre. (…) Et dans le cas très possible où le choléra ne viendrait pas, eh bien, elle aurait fourni à d’honnêtes citoyens l’occasion de se connaître un peu mieux et de resserrer les liens de bon voisinage. En vérité, je ne vois que du bien à cette alliance de familles32.

Pour que l’exorcisme soit complet, il faut encore que cette “bonne” peur, cette peur constructive et unificatrice devienne pour chacun, non seulement une nécessité vitale, mais surtout un devoir civique. A cet égard, les nombreuses réflexions qui mettent en garde les citoyens contre une excessive et fallacieuse insouciance sont légion ; pour le bien de tous, il convient de bannir de concert peur irraisonnée et excès de confiance :

Que dans le premier cas, on ne prenne pas de fausses mesures et on ne s’alarme pas trop, et que, dans le second, au contraire, on ne reste pas dans une funeste sécurité33.

Faisant chorus avec son collègue vaudois, le conseil de santé genevois martèle que, “en vue du fléau dont la Providence a daigné jusqu’ici nous préserver, mais qui peut nous menacer encore (…), il serait dangereux de se livrer à une sécurité qui retarderait les travaux que nous avons encore à achever”34.

A quoi s’ajoute cette touche célébrant un patriotisme sanitaire emblématique d’une conviction hautement revendiquée de la singularité et de la supériorité nationale :

Sans donc traiter avec légèreté une calamité grave, ne la voyons pas venir avec trop d’épouvante, cherchons à nous en distraire, à nous occuper utilement et rassemblons nos forces pour l’affronter. Mais ce qui est de la plus haute importance, c’est la soumission aux mesures nécessaires, c’est le dévouement, c’est le patriotisme. Il est probable que l’on sera privé d’une partie de ses jouissances, de ses habitudes et de bien des choses dont on s’est fait un besoin. Il faut s’y soumettre ; ce sera le moment de montrer que la religion, que la patrie, que les Lumières ne sont pas des mots, et que plus avancés dans nos cœur et plus éclairés que les populations orientales, nous savons profiter de nos avantages dans le péril (…). Les sacrifices ne seront pas de longue durée, et quelque grands qu’ils soient, s’ils ont été utiles, ils n’auront pas trop coûté35.

Ainsi mobilisée, doublement mise en garde contre une quiétude trompeuse et une frayeur assassine, la population helvétique devrait être prête à affronter lucidement les rigueurs de cette attente vigilante du mal, alors même que la proximité de celui-ci est censée dissiper les dernières velléités de crainte :

Il vous arrivera très probablement ce qui s’est vu dans beaucoup d’endroits où le choléra a même fait des ravages, et ce qui se voit aussi en temps de guerre ; c’est que vous en aurez peut-être une frayeur épouvantable, avant son apparition, et qu’insensiblement cette terreur diminuera à mesure que vous verrez le mal de plus près.36

Voilà donc une population martialement préparée à subir les assauts de l’ennemi, et ce d’autant mieux qu’elle aura pu “décharger son adrénaline” sur des objets concrets et constructifs : c’est le régime de la “bonne peur” qui s’instaure, destiné avant tout à fonder la confiance de la population en ses propres œuvres.

Troisième mouvement : la peur, une bonne conseillère ?

On comprend mieux en effet qu’il ne suffit pas d’avoir rassemblé le public autour d’une “éthique” de la peur, reposant sur la mise à nu des peurs nocives et dissolvantes des autres ; encore faut-il que cette convaincante mise en scène ne se cantonne pas à une succession stérile de manifestations rhétoriques, mais permette de constituer une nébuleuse d’activités sur lesquelles ces “bonnes” peurs pourront, au grand bénéfice de la collectivité, s’extérioriser et s’investir positivement. Au premier rang de ces peurs “saines” dont la valorisation permettra, espère-t-on, de reléguer aux oubliettes du sens commun la floraison d’angoisses incontrôlées et incontrôlables, les textes publiés par les autorités sanitaires et politiques suisses érigent la peur de l’inaction : les médecins, notamment, s’emploient à dénoncer la passivité, mère de l’anxiété, comme une cause prédisposant à la contagion. Alors que le Dr Mayor fulmine contre “ce venin qui tue les oisifs et les poltrons”37, le Dr Gosse avise, de son côté, les lecteurs du Journal de Genève des méfaits de cette oisiveté malsaine, dont il convient de se défier plus encore que de la maladie elle-même :

L’activité modérée du corps et de l’âme est favorable au maintien de la santé pendant l’épidémie. Que la crainte de respirer un air vicié n’engage donc pas les habitants des villes à rester cloîtrés et oisifs dans leur maison, qu’ils prennent au contraire un exercice régulier et, s’il est possible, en dehors de la ville ; que leur esprit, pendant l’épidémie, soit constamment porté vers un but utile ; la charité et le patriotisme leur fourniront à cet égard une carrière à la fois vaste et noble.38

On retrouve en filigrane cette volonté de canaliser la peur vers des œuvres utiles à soi-même comme à la collectivité, conjuguée opportunément à une grammaire sociale à l’usage des plus fortunés, soucieuse de désamorcer toute rumeur de désertion. Au terme de cette réinterprétation, craindre l’oisiveté et le découragement qu’elle enfante, ce n’est plus seulement une preuve d’esprit civique, mais aussi une mesure de prévoyance individuelle bien comprise, comme l’affirme le Dr Mayor : “Le travail est un excellent préservatif. Voyez les médecins, ils n’ont pas le temps d’être malades”39.

Sur quoi renchérit tel praticien genevois, en opposant les pleutres qui, à l’approche du fléau, cherchent à tout prix à “s’en garantir, s’isoler, se renfermer entièrement dans leur demeure, se refuser à toute communication”, mais qui bientôt tombent “victimes de leur frayeur exagérée”. Et, d’autre part, ceux qui, au contact permanent des malades, ne doivent leur miraculeuse survie qu’à cette circonstance même :

On a remarqué que les médecins, les gardes-malades, tous ceux en un mot qui sont appelés à voir de près les ravages de l’épidémie, et qui y paraissent le plus exposés, en sont rarement atteints, ce qu’on attribue au calme moral que leur donnent le mépris et l’habitude du danger40.

Le message est clair : que chacun redoute l’inaction, la passivité, le détachement, ferments d’un individualisme égoïste susceptible d’entamer insidieusement la belle unité du corps social. La plaie que les autorités civiles tentent ici de juguler, c’est bien justement celle qui, croit-on, a vidé de leur substance les pays contaminés : l’ignorance de l’autre, le renfermement de chacun sur lui-même, la négation de la collectivité civile. Contre cette terrible hantise du retour à l’état de nature, la Nation, et plus singulièrement la part la mieux pourvue par la fortune, est invitée à se mobiliser vigoureusement :

Pendant qu’il est temps encore, et que vous pouvez y réfléchir de sang-froid et avec maturité, voyez déjà quels arrangements vous voudrez ou pourrez prendre si, contre toute attente, la maladie pénétrait chez nous (…). Quels seront vos moyens de venir au secours de vos domestiques, de vos amis, de vos voisins, et des pauvres que vous avez en quelque sorte adoptés ?41

On saisit mieux le sens de la mise en perspective élaborée ici de ces peurs barbares qui, ailleurs, détruisaient irrémédiablement tout lien de parenté ou de voisinage, avec les peurs “saines” qui, ici, sont destinées à rassembler les citoyens en une seule et idéale famille, sous la patriarcale houlette de leurs traditionnelles élites42. Sans compter que cette méritoire cohésion pétrie de courage, de lucidité et d’abnégation pourrait bien s’avérer le meilleur préservatif contre la contagion :

Il est bon de faire connaitre [précise le Conseil de santé genevois] que, si la maladie est apportée dans un pays ou une maison par contagion, on a observé qu’elle était peu contagieuse dans l’intérieur même de la famille, et que les soins que l’on donne au malade, l’intérêt qu’on lui porte, la préoccupation et l’activité dans lesquelles on vit, diminuent considérablement le danger de contagion43.

Une fois l’individualisme forcené et l’oisiveté pernicieuse mis hors la loi, il s’agit de dénoncer d’autres types de comportements répréhensibles, et à propos desquels les temps qui courent sont bien faits pour inspirer une judicieuse crainte. Car s’il est louable de redouter l’oisiveté, il ne l’est pas moins de proscrire sévèrement les désordres des cœur. Le Dr Gosse adopte volontiers un ton froidement médical pour clouer au pilori les comportements “déréglés” comme causes prédisposantes au choléra, exemples à l’appui :

A Berlin, la communauté catholique a le plus souffert proportionnellement ; elle est la plus misérable, la plus négligente, la plus ignorante ; vient ensuite la communauté luthérienne ; puis celle des protestants presbytériens français, qui sont riches et mènent une vie plus régulière ; enfin, celle des moraves, dont la vie est un modèle de régularité.44

Au banc des accusés, le défaut de sobriété est non seulement une des attitudes les plus répréhensibles, mais aussi les plus “suicidaires” :

L’expérience a prouvé, et prouve de plus en plus tous les jours, que l’intempérance et la saleté sont les causes qui prédisposent le plus au choléra. [Le Conseil de santé] invite donc ceux qui s’occupent de bienfaisance, les chefs d’ateliers, et tous ceux qui ont des rapports avec la classe pauvre, à répandre autant que possible ces préceptes.45

L’arrière-pensée moralisatrice que voile à peine le discours philanthropique de circonstance rappelle que, derrière ces peurs explicites dont le public est largement entretenu, celles, implicites, attisées par la coexistence parfois difficile des indigents et des nantis, restent bien vivaces.

On ne sera pas étonné que la peur des écarts de conduite revivifie en outre l’antique et séculaire angoisse masculine devant les “excès de femmes”, qu’évoque le Dr Gosse, sans en omettre les dangers :

Un jeune médecin ayant souvent visité les hôpitaux de cholériques à Berlin, sans en être incommodé, se croyait invulnérable, lorsqu’il commit l’imprudence de passer la nuit avec une femme et de se rendre le matin suivant dans un des hôpitaux pour y recueillir des observations. Assis au pied d’un malade très grave, il dit sentir tout à coup une odeur particulière et désagréable qui s’élevait du lit, et éprouva un vertige, une lypothimie, des nausées, un tremblement de mains, des tiraillements dans les mollets ; transporté hors des salles et couché, il transpira abondamment, fut guéri, mais conserva de la faiblesse pendant quelques jours.46

Moins scientifique, mais tout aussi évocateur, cet avertissement du Conseil d’Etat valaisan qui, lors de l’épidémie de 1836 au Tessin, retrouvera des accents missionnaires pour appeler ses concitoyens à de grandes manifestations de contrition :

Nous y ferons l’humble aveu de nos offenses ; nous nous y réconcilierons avec le Créateur et avec la Créature. Nous enchaînerons nos passions et nos vices. Nous promettrons de travailler en commun à la gloire de notre sainte religion, au règne des bonnes mœurs, au triomphe de la vertu ; nous coopérerons de nos efforts réunis à la prospérité publique, au bien-être général d’un pays qui ne s’est pas encore totalement dépouillé de l’avantage de savoir apprécier les grands biens hérités de ses pères.47

Autre peur, dont la fonction cette fois directe fut de relier plus étroitement les individus les uns aux autres en un réseau serré d’interdépendance et de surveillance mutuelle : la peur de la saleté. On sait que celle-ci est alors dépeinte comme une des causes fondamentalement prédisposantes de la maladie, et concentre à ce titre maints efforts de planification administrative, avant de se transfigurer bientôt, tout du moins au niveau discursif, en une vaste entreprise de salut national. Aussi un député genevois en appelle-t-il à ses concitoyens pour qu’ils collaborent au grand œuvre de la salubrité publique :

Je désire que toutes les mesures que l’administration croira devoir prendre reçoivent la plus grande publicité, et qu’elles soient présentées sous une forme simple, et avec assez de précision pour qu’il soit facile de les connaître et de les retenir. Ainsi chaque citoyen pourra venir au secours de l’administration et se faire gendarme, en quelque sorte, pour l’éxécution de ses arrêtés.48

Le Dr Gosse franchit un pas de plus dans cette direction, en prônant dans les colonnes du Journal de Genève la délation systématique et civique de l’effrayante hydre de la saleté :

Le public a vu avec le plus grand plaisir la création d’une commission sanitaire, mais il est bien de l’aider dans ses travaux : aussi nous invitons nos concitoyens à lui signaler toutes les choses qui pourraient nuire à la salubrité de la Ville.49

Quant au conseil de santé genevois, il espère instiller cette salutaire crainte de la crasse au cœur de chaque foyer genevois :

Les chefs de famille devront avoir l’œil sur leur intérieur, veiller à la propreté des cuisines, des latrines, des chambres, des resserres et des lavoirs, et à ce que les débris de nourriture et autres soient régulièrement emportés. Il serait de plus fort utile qu’il s’établît une espèce de police réciproque, et que, pour le bien de tous, chacun surveillât son voisin.50

Décidément, cette mobilisation des “bonnes peurs” dans un but apparent d’amélioration des conditions sanitaires, et donc de préservation anti-cholérique, fournit aux autorités le prétexte de tester la cohésion de ce corps politique “éclairé” nourri de civisme ; exercice de style périlleux s’il en est, mais qui à sa conclusion renvoie à la Nation une image largement apologétique d’elle-même et de son mode de gouvernement, sur fond de crises politiques européennes :

Le Conseil d’Etat se repose avec confiance sur l’empressement de tous les citoyens à entrer dans ses vues ; c’est de leur concours unanime qu’il attend le succès de mesures, qui destinées à prévenir ou à affaiblir le danger, tendent en même temps à inspirer cette sécurité qui est l’un des plus puissants préservatifs. Quel est celui d’entre les membres d’une communauté, où les points de contact et d’affection sont si multipliés, qui pourrait se résoudre à prendre la responsabilité des conséquences de sa lenteur ou de son insouciance ? (…) Si l’exécution des mesures commandées par une sage prévoyance, entraîne quelques sacrifices, ces sacrifices ont pour objet un intérêt si pressant et si général qu’ils prennent un caractère de dévouement à la chose publique. C’est à ce titre plus encore qu’à aucun autre, que le Conseil d’Etat les réclame de ses concitoyens et qu’il a la certitude de les obtenir.51

On entrevoit bien ce qui s’esquisse derrière cette grande croisade contre l’insalubrité, bouc émissaire des temps de choléra : ce qui se joue ici, c’est bien la volonté de canaliser dans un sens utile à la communauté ces peurs rampantes, ces angoisses ataviques qu’éprouve chaque citoyen devant les progrès obsédants du fléau. Alexandre Dumas, témoin des déchaînements de violence populaire engendrés par le choléra, ne s’y trompait pas, lui qui, commentant la frénésie de vengeance escortant l’épidémie, notait :

Le peuple ne demandait qu’à ne pas croire à la présence de cette peste : cet ennemi invisible qui frappait au sein des nuées l’irritait par son invisibilité. Il se refusait à croire que l’on mourût d’un empoisonnement aérien, par un ciel si pur, avec un soleil si radieux. Une cause matérielle, visible, palpable, faisait bien mieux son affaire ; sur cette cause, au moins, il pouvait se venger.52

En mettant en œuvre une stratégie “homéopathique” de prévention qui combat la peur par la peur, les autorités responsables, habilement secondées par leurs experts médicaux, accédaient indirectement à cette “demande” de réaction en la désamorçant de ses composants les plus “explosifs” pour la collectivité ; se faisant, ne marchaient-elles pas sur les traces de ces lointains précurseurs de la pensée libérale, aux yeux desquels l’ordre politique est alchimie du mal, suppression, jamais complète, de la peur par la peur”, célébrant à leur tour “l’action qui fait, judicieusement, peur”53?

On ne peut prétendre avoir épuisé ici le sujet de la peur devant la maladie ; il est en effet bien d’autres torturantes angoisses générées par l’épidémie, et qui n’ont pas été évoquées : la peur de la rumeur, la peur des étrangers, la peur de la souffrance, la peur de la mort, enfin, transparaissent successivement au gré des discours, chacune de ces peurs méritant à elle seule une analyse approfondie qui s’engagerait dans les friches des mentalités du XIXe siècle. Autre pan d’études négligé dans ce cadre, celui des peurs effectivement ressenties par le public, et pour lesquelles il eût fallu retrouver des témoignages écrits n’émanant pas strictement des milieux les mieux pourvus.

Ce qu’il m’importait de privilégier, c’est en priorité les usages et représentations de la peur que j’ai pu déceler au fil des sources : ou comment la perception par une société de la peur vécue par les autres, au travers du regard analytique mais déformant de ses experts médicaux, provoque, par paliers, une remise en question, une épuration, une rentabilisation, voire même une sacralisation de ses propres peurs.

En mettant en scène le caractère dissolvant de la peur épidermique et épidémique qui, chez leurs voisins, sape les assises du corps social, les autorités sanitaires et politiques helvétiques exposent à leurs concitoyens les cruelles séquelles de la désertion du citoyen devant ses responsabilités civiles et familiales. Le spectacle mûrement médité de ces tragiques dérives d’un individualisme dicté par la panique pousse les gouvernants à renforcer, et ce même au détriment des classes privilégiées tentées d’esquiver les charges philantropiques que leur confère leur rang, la solidarité qui associe idéalement le salut particulier de chacun à la sauvegarde commune. A ce titre, de par la nature nécessairement collective de la réaction qu’il implique, le flux cholérique qui ravage l’ensemble des contrées européennes durant ces années n’est jamais décrit par les sources helvétiques comme un événement “romantique” : pour les témoins qui sont confrontés à sa réalité tragique, cette pathologie n’est pas associée à un ou plusieurs destins individuels ; tout au contraire, la notion de solidarité qu’elle réactive rappelle celle d’un “contrat social” cher aux Lumières, et la soumission de chacun à une “volonté générale” forcément protectrice des intérêts du collectif.

Dans le cadre d’une telle entreprise de “ravalement de façade” de la solidarité nationale, bien éprouvée par les remous des “Trois Glorieuses”, la peur n’est admissible qu’à la stricte condition de ne pas rallumer la mèche de l’implosion sociale. En conséquence, l’élaboration de cette dialectique de la peur (utile/nuisible, saine/malsaine), à laquelle seront confrontés les riches comme les pauvres, s’imposait comme une stratégie audacieuse, mais payante : en concevant devant la menace cholérique ce palliatif des peurs utiles (de l’oisiveté, de l’égoïsme, du désordre, de la saleté), en focalisant sur elles l’attention, les efforts et les émotions de chacun, la Confédération, guidée par ses élites, se forgeait pour mission idéologique d’épargner son corps et de sauver son âme.

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1 Le présent article doit être considéré comme le complément d’un précédent travail rédigé sur ce même thème du choiera (J. DROUX, “Un rivage de Syrtes : Genève face au choiera (1831-1832)”, Equinoxe, 8, 1992, pp. 97-120).

2 H. von MOLTKE, Lettres à sa mère et à ses frères, 1892, p. 182 (17 nov. 1848). Helmuth von Moltke (1800-1891), d’origine danoise, officier prussien dès 1822, est depuis 1832 rattaché à l’Etat-Major du 4e corps d’armée à Magdebourg.

3 D’autres épidémies meurtrières n’en continuaient pas moins à se déclencher régulièrement (typhus, fièvre typhoïde, variole, etc.) ; mais aucune d’entre elles ne semble avoir joué un rôle aussi actif et caractérisé dans “l’imagerie” de la santé que la peste d’Ancien Régime ou le choiera du XIXe siècle. Sur ce point, voir Y. LEQUIN, “Prométhée en question ? De la bourrasque épidémique à l’infection microbienne”, in J. DELUMEAU et Y. LEQUIN (dir.), Les malheurs du temps ; histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, Larousse, 1987, pp. 411 sqq.

4 Sur la progression du choiera durant ces années, voir P. BOURDELAIS et J.-Y. RAULOT, Une peur bleue ; histoire du choiera en France 1832-1854, Paris, Payot, 1987 ; voir aussi F. DELAPORTE, Le savoir de la maladie ; essai sur le choiera de 1832 à Paris, Paris, PUF, 1990, qui s’intéresse plus particulièrement aux modalités de la perception et de l’interprétation du mal.

5 Alexandre DUMAS relata dans ses Mémoires le dénuement de la science face à ce phénomène morbide : “Mais si bien qu’on fermât portes et fenêtres, le terrible démon de l’Asie se glissait par les gerçures des contrevents, par les serrures des portes. Alors, on essaya de lutter contre lui. La science s’avança et essaya de le prendre à bras-le-corps. Il la toucha du bout du doigt, et la science fut terrassée. Elle se releva étourdie, mais non vaincue ; elle commença à étudier la maladie.” (A. DUMAS, Mes Mémoires, 1830-1833, Paris, R. Laffont, 1989, p. 710).

6 CHATEAUBRIAND, Mémoires d’Outre-Tombe, Paris, Libr. gén. franç., 1973, vol. 3, pp. 311-312 (souligné par moi).

7 R. TOEPPFER, “Eloge de la flanelle”, Le fantasque, 1er novembre 1834, p. 278.

8 Lettre datée d’aout 1831, adressée à la rédaction par le Dr ‘J.P.M.’, Bibliothèque Universelle, Al, 1831, pp. 390-391.

9 J. PETIT-SENN, Le cholera-morbus, Genève, 1831, p. 5. La série littéraire de la Bibliothèque Universelle saluera cette parution par d’élogieuses remarques, louant notamment l’auteur d’avoir “prouvé qu’on pouvait faire de bons vers sur un sujet qui jusqu’à présent n’a guère inspiré que la peur” (Bibliothèque Universelle : Littérature, 48, 1831, p. 97).

10 J’ai signalé ailleurs comment les autorités helvétiques avaient parié sur la réactivation de certains mythes emblématiques de la “Nation” suisse pour mobiliser et unifier la prévention sanitaire et sociale (cf. J. DROUX, art. cit.).

11 Le Dr GOSSE (1791-1873), un des médecins les plus réputés du canton de Genève, issu d’une famille “spécialisée” dans les professions médicales, s’engagea très tôt dans la vie politique cantonale et municipale.

12 Dr GOSSE, Rapport sur l’épidémie de choiera en Prusse, en Russie et en Pologne, Genève, 1833, p. 2.

13 Consulter à ce sujet les exemples fournis dans l’ouvrage dirigé par L. CHEVALIER, Le choiera ; la première pandémie du XIXe siècle, La-Roche-sur-Yon, 1958 ; ainsi que par R.J. EVANS, “Epidémies and revolutions : choiera in 19th century Europe”, Past and Present, 120, août 1988, pp. 123-146.

14 Journal de Genève, 11 avril 1832.

15 Journal de Genève, 9 mai 1832.

16 Bulletin de la Commission sanitaire fédérale, no 9, 20 février 1832, p. 136.

17 GOSSE, Op. cit., p. 136.

18 Y. LEQUIN insiste sur cet aspect de “l’héritage” rhétorique dont bénéficia le choléra en ces années 1830 : “Le récit contemporain se nourrit à la fois des traditions littéraires et des topoï de la peste, et du goût nouveau du sensationnel journalistique” (Op. cit., p. 425).

19 Bibliothèque Universelle, 48, 1831, p. 394.

20 GOSSE, Op. cit., p. 150.

21 Ibid., p. 175.

22 Bulletin de la Commission sanitaire fédérale, no 4, décembre 1831, p. 63.

23 GOSSE, op. cit., p. 149.

24 Ibid., p. 131.

25 En adoptant la typologie proposée par cet auteur (L’art de se persuader des idées douteuses, fragiles ou fausses, Paris, Seuil, 1992, pp. 29-31), on dira que cette croyance attestée en un caractère objectivement meurtrier de la peur s’explique par des “raisons” plutôt que par des “causes”, et que par conséquent nos auteurs avaient de “bonnes raisons” d’adhérer très sincèrement à cette représentation de la peur, qui apparaît à nos yeux non fondée.

26 Mémorial des séances du Conseil Représentatif, 1831-32, p. 487.

27 Journal de Genève, 14 juillet 1831.

28 M. MAYOR, Guide contre le choiera ou moyens simples mis à la portée de tout le monde de prévenir et traiter cette maladie avec succès, Lausanne, novembre 1831, p. 2. Mathias MAYOR (1775-1847) fut chirurgien de l’hôpital cantonal (VD) de 1803 à 1847, et président de la société vaudoise des sciences médicales de 1836 à 1840.

29 GOSSE, Op. cit., p. 154.

30 Journal de Genève, 11 avril 1832.

31 Avis des délégués de la commission subsidiaire, 30 avril 1832. Peut-on savoir si ce fonctionnaire relate un épisode “vécu” de cette ambiance de peur réunificatrice, ou s’il fut victime de son “enthousiasme” civique, réinterprétant des événements étrangers à cette campagne de mobilisation. Son témoignage, publié et répandu dans le public, ne pouvait que conforter un mouvement d’opinion favorable à de telles inférences “positives”.

32 Journal de Genève, 18 avril 1832.

33 MAYOR, Op. cit., p. 23.

34 PUERARI, Rapport sur les objets qui ont occupé le conseil de santé pendant l’année 1831 et une partie de la précédente, Genève, 1832, p. 38.

35 Instruction relative au cholera-morbus de l’Inde adressée par le conseil de santé aux habitants de la ville et au canton de Genève, Genève, 1831, pp. 16-17 (souligné par moi).

36 MAYOR, Op. cit., p. 22. Pour établir un rapprochement significatif entre mobilisation de la cité contre l’épidémie et préparation des troupes avant le combat, voir F. GAMBIEZ, “Etude historique des phénomènes de panique”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1973, pp. 153-166.

37 MAYOR, Op. cit., p. 21.

38 Journal de Genève, 25 avril 1832.

39 MAYOR, Op. cit., p. 21.

40 Bibliothèque Universelle, 48, 1831, p. 100.

41 MAYOR, Op. cit., p. 21.

42 En adressant à leurs compatriotes les plus fortunés de tels appels du pied, les autorités avaient à l’esprit les exemples de ces bourgeois des grandes villes de France (et d’ailleurs en Europe) qui, dès l’annonce de l’apparition du fléau, abandonnaient la cité dans une tentative déséspérée de “prévention par l’exode” (Y. LEQUIN, Op. cit., p. 424).

43 Instruction relative au cliolera-morbus, p. 14.

44 GOSSE, Op. cit., p. 124.

45 Seconde instruction relative au choiera de l’Inde adressée par le conseil de santé aux habitants de la ville et du canton de Genève, Genève, 1832, p. 6.

46 GOSSE, Op. cit., p. 132.

47 Archives d’Etat du Valais, ABS, tiroir 60, no 24, proclamation du 2 septembre 1836.

48 Mémorial des séances du Conseil Représentatif, 1831-32, p. 480.

49 Journal de Genève, 28 juillet 1831.

50 Seconde instruction relative au choiera de l’Inde, p. 6.

51 Proclamation du Conseil d’Etat et des syndics du 5 octobre 1831, publiée par voie d’affiche.

52 A. DUMAS, Op. cit., pp. 712-713.

53 P. MANENT, Histoire intellectuelle du libéralisme ; dix leçons, Paris, Calmann-Levy, 1987, pp. 50-51.