Book Title

De la peur à la crainte

Un jeu subtil dans le premier recueil d’images bibliques composé à l’usage de jeunes enfants (1774-1779)

Max Engammare

Institut d’Histoire de la Réformation, Genève

En 1774, Johann Rudolf Schellenberg publie à Winterthour 60 Biblische Geschichte des alten Testamentes. L’édition française qui paraît la même année annonce déjà une suite néo-testamentaire. Cinq ans plus tard paraissent effectivement 60 Biblische Geschichte des neüen Testamentes, accompagnées du tome second des Histoires sacrées1. Ces quatre volumes forment, à ma connaissance, le premier programme iconographique biblique spécialement composé pour de jeunes enfants2, ce qu’illustrent d’emblée les deux pages de titre et leur gravure : une mère montre à ses bambins une image d’Adam et Eve dans le tome de 1774 ; une autre, un tableau de la Crucifixion dans celui de 1779 (ill. 1 et 2)3. La préface ne laisse planer aucun doute : cette série a été conçue et réalisée à l’usage des enfants. Le graveur déclare encore s’être évertué à supprimer les invraisemblances, les contradictions historiques et le mauvais goût4.

Les jésuites bien sûr, comme les pères Nadal ou Richeome5, s’étaient intéressés aux images bibliques depuis la fin du XVIe et au XVIIe siècle. Leurs écrits illustrés n’avaient cependant pas été conçus pour de jeunes enfants, plutôt pour un « vaste public peu ou moyennement cultivé », selon Marc Fumaroli6, assez argenté en tous cas pour s’offrir des livres de grand format7. Ces ouvrages entremêlent images et mots pour conduire l’adulte à la dévotion. L’image participe à l’instruction morale et pieuse du lecteur-spectateur, elle est moyen didactique pour mieux se pénétrer de la doctrine catholique, mais il ne s’agit pas encore de livres d’images pour les enfants. La fonction que l’on peut déceler dans les images est confirmée par les textes les accompagnant et par les nombreuses préfaces et les dédicaces. Ainsi, quand le père Antoine Girard publie Les peintures sacrées sur la Bible, il les dédie à la dévote Anne d’Autriche8. Dédier à des femmes ces figures et autres peintures fut d’ailleurs une pratique répandue jusqu’au XVIIIe siècle9.

Qui plus est, les nombreuses collections d’illustrations bibliques, allemandes et néerlandaises, catholiques ou luthériennes, nées au XVIe siècle, développées et embellies au cours des siècles suivants, ne furent pas davantage conçues pour des enfants10. Aussi les Histoires sacrées de Schellenberg marquent-elles une innovation d’importance11. Le milieu dont elles sont issues, protestant suisse, mérite d’être signalé12.

Le graveur a tout à la fois évité certaines images violentes et cependant dessiné la mort. Un jeu subtil entre une peur évitée et une peur suscitée marque les illustrations, vétéro-testamentaires surtout. Après avoir pénétré ce jeu, j’essaierai de comprendre comment cette série a pu naître en milieu protestant, nourri de catéchisme et de lecture familiale de la Bible.

1. La disparition d’Abel. De la peur punitive

Une précision : le parent francophone ne dispose d’aucun commentaire de l’image, autre que son titre. On ne peut déceler aucune raison délibérée à cette absence ; il semblerait simplement que Schellenberg ne connaissait pas suffisamment le français pour traduire ses textes13. En revanche l’éducateur germanophone, en sus du projet global livré dans l’introduction, pouvait lire un texte imprimé sous chaque gravure. Les trajets de la représentation à la signification sont simples – description de l’image et paraphrase du texte biblique coïncidant – mais aboutissent à une intéressante morale de l’image.

Après « Adam et Eve dans le Paradis » et « Adam et Eve devant Dieu », la troisième gravure est intitulée « Caïn » (ill. 3). Au centre de l’image, les bras écartés, l’œil hagard, sa pelisse captive du vent, Caïn est arrêté, atterré. L’effroi de Caïn ne semble pas venir du corps fraternel – sur la gauche de l’image les jambes pliées d’Abel, que l’on devine gisant – davantage du ciel orageux et d’une trouée claire qui envisage la présence divine. La massue, traditionnellement l’arme du crime, est abandonnée, presque oubliée dans le coin inférieur gauche, échappée de la main de Caïn. Le geste du meurtre n’est pas montré, lui qui fut continuellement représenté avec force et violence (ill. 4)14.

L’exil de la violence extérieure au profit d’une violence intérieure, celle de la conscience tourmentée – que l’image parvient à rendre – marque la grande originalité de cette représentation de Caïn. Ce n’est pas tant le geste de tuer qui fait peur que sa lancinante poursuite dans la conscience. Le commentaire allemand abonde dans ce sens15. Le passage biblique (Genèse 4, 8s) ne mentionne pourtant aucune peur de Caïn. Au contraire la réplique faite à Dieu – « suis-je le gardien de mon frère ? » – dégage plus d’arrogance que de repentir. Schellenberg a cependant représenté, puis décrit un Caïn paralysé par l’effroi. L’enseignement final – « sa conscience le poursuit et il ne peut retirer son méfait par aucune larme » – dégage une morale visant directement l’enfant. Les larmes n’effacent rien. Tout méfait demeure. On ne fait pas peur à l’enfant avec la violence du premier meurtre, plutôt avec le travail d’une conscience tourmentée, travail qu’ignorait le texte scripturaire.

Le programme iconographique de Schellenberg, qui abandonne la représentation traditionnelle et terrible du meurtre d’Abel, délaisse encore tous les événements vétéro-testamentaires tmculents et scabreux. L’ivresse de Noé (Genèse 9), l’inceste de Loth (Genèse 19), la tentative de séduction de Joseph par la femme de Potiphar (Genèse 39), David et Bethsabée (2 Samuel 11 et 12), sans parler de Suzanne (l’ajout de Daniel 13) ou de Judith16, autant d’épisodes ignorés. Le graveur zurichois, une nouvelle fois, n’est pas le premier à réaliser une série dans laquelle pudeur et retenue sont de rigueur – Hans Holbein le Jeune, Pierre Vase ou Bernard Salomon avaient depuis longtemps inauguré cette voie17 – mais il se montre attentif au petit enfant, comme personne avant lui. Schellenberg fait-il néanmoins exception pour « Simson und Delila », scène indécente s’il en est ? Samson rasé, sous les traits d’un vieillard, est emmené par trois soldats de la couche d’une jeune femme. Le commentateur s’adresse directement à l’enfant : « Da siehst du, liebes Kind, den starken sonst unüberwindlichen Simson in den Händen der Philister, seiner Todfeinde18. » Avoir prêté l’oreille aux flatteries de Dalilah explique la chute du héros, non l’attrait charnel. L’image fixe les conséquences de l’oubli de Dieu – l’homme invincible est emmené lié – et l’enseignement moral met en garde contre toute flatterie. La seule image qui pouvait être interprétée comme scabreuse est en fait récupérée pour insister sur les conséquences de l’abandon. La regardant et entendant son commentaire, l’enfant ne peut développer que la peur de la répression.

D’autres images enfin, et leur commentaire, nient à dessein tout sentiment de peur et d’insécurité. Ainsi, sur la gravure du sacrifice d’Abraham (Genèse 22), Isaac n’est ni ligoté, ni couché sur le bûcher, et son père parle tranquillement avec lui (fig. 10). Pas d’ange qui arrête le bras levé d’Abraham, le couteau et le feu reposent encore sur le sol. Si la représentation de Caïn allait au-delà du texte biblique, celle d’Isaac s’en trouve bien en-deçà (Genèse 22, 9s) : Le père et le fils attendent tranquillement l’intervention divine, et le jeune spectateur n’est pas effrayé par l’image d’un infanticide en préparation. De même les relations tumultueuses entre Esaü et Jacob, en raison des tromperies du second (Genèse 25 et 27), ne sont pas illustrées. Schellenberg a préféré graver la scène de la réconciliation (Genèse 33 ; fig. 13). Une volonté se fait jour tout au long du programme iconographique : adoucir, voire annihiler la violence gestuelle qui traverse tout l’Ancien Testament. En revanche les commentaires à l’usage des parents ne taisent pas toujours les meurtres, les tromperies et la violence omniprésente, mais ils en tirent un enseignement moral.

2. Des morts sur le vif. De la peur salutaire

Quelques images figent cependant l’instant de la mort. Goliath tombe ainsi sous le jet de pierre de David (1 Samuel 17). Sans violence apparente, sans effusion de sang, il s’affaisse face contre terre (fig. 36 et ill. 5). Le commentaire souligne que le géant Philistin, blasphémateur (« Lästerer Gottes »), s’était moqué des Israëliens, alors que David avait agi « im Namen und mit anrufung Gottes ». La fin de l’histoire, la décollation de Goliath, s’était imposée dans les collections d’images bibliques du XVIIe siècle. En cette seconde moitié du XVIIIe siècle, on grave dans ces recueils une autre image de David et Goliath. Fondée sur 1 Samuel 17, 54 – « Et David prit la tête du Philistin, qu’il porta depuis à Jérusalem, et il mit ses armes dans sa tente19 » – la gravure présente David exhibant la tête du géant au bout d’une pique (ill 6)20. Schellenberg n’a pas gravé ce funeste triomphe, mais n’a pas tu la décollation21. Il a néanmoins préféré développer la fin morale, rappelant que, quelle que soit la force et la puissance d’un homme, même roi, seul Dieu est notre aide et notre bouclier22.

Du sang en revanche jaillit du flanc percé de Saül (fig. 39). Battus par les Philistins, le premier roi d’Israël et son écuyer retournent sur eux leur épée (1 Samuel 31, 4). Cette illustration, bien connue et souvent recopiée depuis le XVIe siècle, paraît peu appropriée au programme édulcoré du recueil. Le texte-guide commente pourtant ce double geste de désespoir, conséquence de l’abandon de Dieu23. Schellenberg tire bien évidemment de ce suicide, non condamné, un enseignement moral :

Un homme, qui abandonne Dieu, abaisse son destin.

Qui s’écarte de la vertu, s’écarte de son bonheur.

Un tel geste exemplifie les conséquences de l’abandon de Dieu. L’enfant en est conduit à une vie vertueuse, où repose son bonheur.

Une question surgit toutefois. Comment expliquer la représentation de la mort de Saül et de Goliath, non celle d’Abel ? Comme la mort de Saül, celle d’Absalon (2 Samuel 18), fils de David infidèle à Dieu, et transpercé par Joab (fig. 42), ou celle d’un prophète désobéissant (1 Rois 13), dévoré par un lion (fig. 50), occupent une page du recueil. Toutes ces morts violentes ont en commun d’avoir frappé un contempteur de Dieu ou un homme qui avait transgressé un ordre divin. On expose ainsi aux yeux de jeunes enfants la mort de l’injuste, non celle du juste. La mort de Saül est d’ailleurs d’autant plus représentable que la gravure précédente (fig. 38) illustrait le geste noble de David épargnant le roi (1 Samuel 24)24. Obéissants et fidèles, les enfants n’ont rien à craindre. Aux impertinents, la Bible rappelle les sanctions ; et Schellenberg de montrer combien Dieu est inventif pour punir.

Un exemple terrible en est donné avec la figure 48, intitulée « Elisé et les enfans dévorés par les ours » (ill. 7). Le prophète, quasi au centre de l’image, entre la ville de Béthel et la forêt, pointe l’index droit vers le ciel. A gauche, un ours s’est dressé sur les épaules d’un enfant qui tente en vain d’échapper : les crocs de l’animal se sont déjà accrochés aux boucles blondes. Un second ours, aux pieds d’Elisée, s’apprête à dévorer un marmot jeté sur le sol. Ces enfants, ayant oublié la Loi, qui affirme que le chauve est juste25, s’étaient moqués du prophète, l’apostrophant : « Monte chauve, monte chauve » (2 Rois 2, 23). Elisée les maudit au nom du Seigneur (le doigt vers les nues), et deux ourses sortent des bois pour déchiqueter quarante-deux de ces enfants.

Une telle image ne pouvait que frapper l’imaginaire enfantin, dans un pays où les ours n’avaient pas encore dispam. Dieu, par l’intermédiaire d’un prophète, pouvait faire mourir des enfants moqueurs. Schellengerger ne manque pas d’exploiter l’épisode26. Il paraphrase le texte biblique, accentuant même la rigueur de la punition : « Nicht Eines blieb verschont. » La morale finale actualise le danger pour quiconque injurie les « amis de Dieu », en clair ses serviteurs et ses pasteurs : le Seigneur ne punit aucun vice plus fort que la médisance et la moquerie (« Lästerung und Spott »)27. Une nouvelle fois, comme dans le cas des autres images arrêtées sur des morts violentes, une punition terrible attend les contempteurs de Dieu. Il n’est plus de distance entre l’image moralisée et la réalité de l’enfant. La gravure et son avertissement lui sont spécialement destinés.

Au travail obsédant d’une conscience effrayée d’avoir commis une mauvaise action le graveur zurichois ajoute la crainte d’une punition divine en cas de blasphème, voire de simple moquerie. Pour corriger un quelconque dénigrement des valeurs sacrées, Dieu peut faire surgir de toute forêt des bêtes féroces.

3. Peur d’approcher de Jésus ? De la peur sacrée

Cinq ans plus tard, dans le contexte néo-testamentaire, Schellenberg a banni, davantage encore que dans la série sur l’Ancien Testament, tout geste violent qui fût superflu ou inutile à la morale28. Si la violence est moins présente dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien, l’artiste reste attentif à toujours arrêter l’image sur les gestes des tortionnaires avant même qu’ils ne marquent le Christ de la flagellation ou le martyr de la lapidation. L’horreur censurée, rien ne semble devoir déclencher la peur chez l’enfant. Rien sinon, en une occasion : approcher de Jésus.

Les gravures 22 et 23 des Histoires sacrées du Nouveau Testament mettent en scène des enfants. La première, « Un Enfant embleme du vrai disciple de Jesus-Christ », illustre la question des disciples : Quel sera le plus grand dans le royaume des deux29 ? On voit Jésus poser la main sur l’épaule d’un enfant, debout à ses côtés. Le texte se contente de paraphraser l’évangile. La seconde, « Jesus-Christ donnant sa benediction aux enfants », se réfère aux enfants amenés à Jésus30. Plus originale et plus intéressante pour notre sujet, cette gravure rassemble autour de Jésus une douzaine d’enfants (ill. 8). Celui-ci, assis, pose les mains sur la tête de l’un d’eux. A sa droite trois enfants, dont un prie agenouillé. Derrière l’enfant béni, trois autres attendent leur tour. Les deux derniers, plus jeunes, sont tenus – poussés ? – par leur mère. La jeune femme tout à droite, à genoux elle aussi, encourage des mains son bambin qui semble pleurer, la tête penchée, les menottes sur les yeux. Le parent francophone put être embarrassé pour expliquer l’attitude méfiante de cet enfant. Le germanophone en revanche disposait du texte de Schellenberg. Une nouvelle fois, la première partie paraphrase l’évangile, à l’exception de deux précisions absentes du texte biblique : ce sont les mères qui amènent leurs enfants à Jésus ; le maître les invite à être de bons enfants. Les dernières lignes s’intéressent au pleurard :

Warum weint wol jenes Kind ? Worum muß es die Mutter nöthigen, zu Ihm zu gehen ? Ist’s etwas blöde ? Oder hats etwa just zu vor einen Fehler begangen ? Ach ! Es darf dennoch zu Ihm, wenns ihm herzlich leid ist !

Comme explication l’artiste-moraliste suppose que l’enfant vient de commettre une faute. De quelle nature ? Il ne se prononce pas. Il ajoute pourtant que si cet enfant est vraiment contri, il peut s’approcher de Jésus. Le message est clairement destiné aux jeunes auditeurs-spectateurs. Qu’aucune mauvaise action, qu’aucun scrupule de conscience ne les empêche de demander pardon, s’ils se repentent sincèrement. La peur de s’approcher du Seigneur doit être jugulée par l’assurance de sa miséricorde.

Le message qui accompagnait la gravure de Caïn insinuait que les larmes n’effacent aucune mauvaise action. Un enfant, ayant enregistré la leçon, pouvait appréhender de s’approcher, par la prière, de Jésus. Il reçoit maintenant, plus vieux de cinq années – ou son jeune frère – un autre message.

4. Peur de la violence et du blasphème, poids de la conscience

Dans ce premier programme iconographique composé et commenté pour de jeunes enfants, l’auteur a cherché à éviter aux spectateurs-auditeurs la vue d’images trop violentes. Il s’agissait de les préserver de toute horreur injustifiable. Quand la mort est marquée par quelque geste terrible – l’épée de Saül, la gueule d’une ourse – elle frappe toujours un inique ayant grièvement méprisé Dieu et ses commandements. Le meurtre d’Abel en revanche n’est pas gravé, et la flagellation de Jésus ou la lapidation d’Etienne attendent leur exécution. C’est de la dérision de Dieu, voire de son abandon, que l’enfant doit développer la crainte, non de la violence humaine. C’est sur ce point que s’appesantissent les commentaires des images. Que tout chrétien doive être habité de la crainte de Dieu n’est évidemment pas une invention de Schellenberg, et les catéchismes, entre autres, n’avaient pas manqué de l’enseigner.

Ce qui semble nouveau, c’est la relégation de la violence hors de la vue des enfants. Pourtant, ils étaient confrontés régulièrement à cette violence, tant dans leur vie quotidienne que dans la Bible. Pour ne prendre que des exemples tirés de Bilder Bibel, composées au XVIIIe siècle pour des adultes, regardons à nouveau un enfant jouer des cymbales devant David exhibant le chef de Saül (ill. 6). Deux marmots occupent ailleurs les premiers postes pour admirer Judith, qui arbore la tête d’Holophemes (Judith 13, 19 ; ill. 9)31, alors que d’autres, à peine plus âgés, cherchent à s’élever sur un mur ou dans les bras d’une mère pour assister à la pendaison d’Haman (Esther 7, 10 ; ill. 10)32. Ces enfants, témoins de la violence sociale, ne sont certainement pas les destinataires que prévoyait Schellenberg à son ouvrage. C’est singulièrement protégés par leurs parents qu’il voulait les imaginer.

L’on sait que le sentiment moderne vis-à-vis de l’enfance naît et s’affirme aux XVIe et XVIIe siècles. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un homme comme le général de Martange se préoccupe de tout ce qui concerne la vie de ses enfants33. Le recueil zurichois relève d’une semblable attention portée aux petits enfants, cherchant, tout en les éduquant, à les préserver de la violence.

Les parents, qui constituent la clientèle-cible de telles éditions, participent directement à l’éducation religieuse de leurs enfants. Si le culte familial protestant se structure au XVIIe siècle, il se consolide au XVIIIe, tant par nécessité dans les Eglises du Désert, que par idéal dans des régions libres d’oppressions religieuses. Les pasteurs comme les prêtres, surchargés ou non, sont conscients de l’importance du rôle de la famille dans l’éducation religieuse et réclament la participation des parents34. Du XVIe à la première moitié du XVIIIe siècle pourtant, d’abord dans les pays protestants, puis dans les contrées catholiques, on a privilégié les mots du catéchisme et de la Bible à leurs images. Les enfants devant mémoriser leur catéchisme, les mères et les femmes en étaient souvent les répétitrices35. Est-il besoin de rappeler que l’apprentissage du catéchisme était solidaire de la lecture de la Bible en famille ?

A la fin du XVIIe siècle une volonté d’adapter l’éducation religieuse aux plus jeunes transparaît dans certains catéchismes : on les complète d’abrégés destinés aux petits enfants36. On reste cependant en droit de se demander si ces abrégés étaient bien adaptés aux bambins de moins de dix ans, population qu’ils cherchaient à atteindre37.

En revanche les Histoires sacrées du Vieux et du Nouveau Testament, tant par leurs images que par les textes qui les commentent, réunissent les conditions pour toucher les jeunes enfants. Elles cherchent, à travers un choix d’exemples bibliques, à former la conscience chrétienne de l’enfant. En raison de ces exemples illustrés qui expulsent la violence et de leur constant accent moral, on pourrait presque dire que l’ouvrage de Schellenberg fait écho aux idées de Rousseau38. Lequel en effet critique sévèrement les catéchismes par questions et réponses dans l’Emile39 et prône l’exemple : « L’exemple ! L’exemple ! Sans cela jamais on ne réussit à rien auprès des enfants »40. L’enseignement religieux qu’il préconise se circonscrit en outre à la formation morale des enfants41.

L’exemple parental ne fut pas au centre des catéchismes issus de la Réforme protestante. Ces catéchismes – en particulier celui de Heidelberg, utilisé à Zurich42 – restent en usage au XVIIIe siècle43, malgré la critique et l’incessant renouvellement de la production catéchétique en français. La foi des enfants en est bien évidemment la préoccupation principale, mais elle ne passe pas par l’exemple des parents. Dans le Grand Catéchisme de Luther (1529), le commandement relatif aux parents est le quatrième44. Il dit :

On doit inculquer aux jeunes qu’ils doivent regarder leurs parents comme étant à la place de Dieu et penser que, même s’ils sont débiles, pauvres, infirmes et singuliers, ils n’en sont pas moins le père et la mère que Dieu a donnés. Leur conduite et leurs défauts ne les privent pas de ces honneurs. C’est pourquoi il ne faut pas considérer les personnes telles qu’elles sont, mais la volonté de Dieu qui a créé et ordonné cela ainsi45.

Il n’est dès lors pas étonnant que ce commandement puisse être illustré par une gravure de l’ivresse de Noé, et l’interdiction d’adultère par celle des amours illégitimes de David et Bethsabée ! Le Catéchisme de l’Eglise de Genève (1545) tout comme le Catéchisme de Heidelberg (1563) ne mettent pas plus en exergue l’exemple parental. Bien au contraire l’enfant doit supporter les défauts de ses géniteurs46 ; ce à quoi il est toujours astreint dans le catéchisme de Charles Drelincourt père, au milieu du XVIIe siècle47.

C’est précisément au XVIIIe siècle que les critiques s’avivent et que l’exemple parental devient décisif d’un enseignement moral, déjà chez un Jaques Saurin, dans la première moitié du siècle48, puis chez Rousseau ou Louis de Bons, dans la seconde moitié49. Schellenberg évite les mauvais exemples parentaux dans sa « Bible en images » conçue pour de jeunes enfants. La violence expulsée n’est pas seulement biblique, elle concerne également le modèle parental. Le texte scripturaire, exploité en-deçà de ses mots (le sacrifice d’Isaac) ou audelà (le meurtre de Caïn) par Schellenberg, est mis au service d’un nouvel imaginaire enfantin de la peur interdisant toute dérision de Dieu.

Ce type de bible adaptée aux enfants, née en milieu protestant suisse, se développera à la fin du siècle et au XIXe. Le jeune Stendhal regardant les images de l’une d’elles écrira : « rien n’est mieux pour les enfants »50. La violence que les Histoires sacrées de Schellenberg exilent, la peur qu’elles inhibent, la conscience qu’elles exaltent, autant d’éléments pour amorcer l’enquête sur la peur religieuse en pays protestant que Jean Delumeau appelait de ses vœux51.

Fig. 1 – Histoires Sacrées du Vieux et du Nouveau Testament… Tome I, Le Vieux Testament, Winterthur, H. Steiner, 1774. Page de titre.

Fig. 2 – 60 Biblische Geschichten des neüen Testaments, Winterthur, H. Steiner, 1779. Page de titre.

Fig. 3 – 60 Biblische Geschichte des alten Testamentes, Winterthur, H. Steiner, 1779. f° [6]r°.

Fig. 4 – Byblische Figuren deß Alten Testaments, Frankfurt, J. Wolff, 1565 gravure de Virgil Solis.

Fig. 5 – 60 Biblische Geschichte des alten Testamentes, Winterthur, H. Steiner, 1779. f° [39]r°.

Fig. 6 – Picturæ chalcographicœ, Augsburg, P. Kilian, 1758

Fig. 7 – 60 Biblische Geschichte des alten Testamentes, Winterthur, H. Steiner, 1779. f° [51]r°.

Fig. 8 – Histoires Sacrées du Vieux et du Nouveau Testament… Tome Second. Le Nouveau Testament, Winterthur, H. Steiner, 1779, f° 23r°.

Fig. 9Vetus Æterni Dei… XCI œri incisis imaginibus, Wien, J. Adam, s. d. (fin XVIIIe siècle), fig. 71.

Fig. 10 – Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, Amsterdam, P. Mortier, 1700.

____________

1 60 Biblische Geschichte des alten Testamentes in Kupfer geäzt, in Verlag Heinrich Steiners und Compagnie in Winterthur, 1774, petit in-folio. Histoires Sacrées du Vieux et du Nouveau Testament, gravées en taille douce. Tome I. Le Vieux Testament, chez Henry Steiner et Compagnie à Vinterthour, 1774, in-quarto. 60 Biblische Geschichte des neüen Testamentes in Kupfer geäzt, in Verlag Heinrich Steiners und Compagnie in Winterthur, 1779, petit in-folio. Histoires Sacrées du Vieux et du Nouveau Testament, gravées en taille douce. Tome second : Le Nouveau Testament, chez Henri Steiner et Compagnie, libraires à Vinterthour, 1779, in-quarto. Schellenberg est à la fois le graveur et l’auteur de ces recueils. J’ai consulté les éditions allemandes à la Biblioteca nazionale de Florence (cote : 10. 3. 4. 24), les françaises à la Biblioteca Vaticana (cote : Cicognara V. 2105). Je remercie le Dr. Urs Leu de la Zentralbibliothek de Zurich de m’avoir fourni des photocopies de quelques pages des éditions en allemand (cote : KK 513).

2 Cette affirmation se fonde sur l’étude de plus de 300 éditions différentes, du XVIe au XVIIIe siècle, de ce que les Allemands appellent des Bilder Bibel, recueils d’images bibliques accompagnées de textes plus ou moins longs, en vers ou en prose, compositions qui ne sont pas sans rapports avec l’emblème. Les Anglais furent les premiers à éditer de telles séries pour les enfants (J. Newberry en 1760 ou E. Ryland en 1765), mais ces livres ne visaient pas directement un aussi jeune public que celui de Schellenberg. J’ai présenté l’évolution du genre dans une contribution au colloque Jean Boisset de Montpellier 1993 : « Fonctions pédagogiques des Figures de la Bible du XVIe siècle au XVIIIe siècle. Le temps de découvrir le regard de jeunes enfants », à paraître en 1995. Cf. aussi les études de Ruth B. BOTTIGHEIMER, en part. la dernière en date « Bible reading, Bibles and the Bible for children in Early Modem Germany », Past & Present 139, 1993, p. 66-89, et l’énorme travail dirigé par Theodor BRÜGGEMANN en collaboration d’abord avec Hans-Heino EWERS (vol. 3), puis Otto BRUNKEN (vol. 1 & 2), Handbuch zur Kinder – und Jugendliteratur, 3 vol., Stuttgart, 1982-1991.

3 J’ai pris les photographies de l’édition allemande, ainsi que des autres gravures données infra, à la Biblioteca nazionale de Florence ; je publie celles de l’édition française, prises par les services de la Biblioteca Vaticana, avec l’autorisation de son préfet, le père Leonard Boyle.

4 « … In dieser Absicht ward ich von den Verfassern der vortreflichen Biblischen Erzählungen, die vor ein paar Jahren in Zürich herausgekommen sind, aufgemuntert, ein für die Jugend brauchbares Bibelwerkgen zu liefern, das bestmöglichst von allen unwahrscheinlichen, der Geschichte zuwiderlaufenden und abgeschmackten Vorstellungen gereinigt wäre… Die Hauptsache wird indessen freylich immer darauf ankommen, daß weise Väter, Mütter und Lehrer, wenn sie den Kindern diese Bilder vorweisen, Geist und Leben darein bringen, und das vergüten und nachhohlen, was der Zeichner entweder nicht leisten konnte, oder nicht leistete. » 60 Biblische Geschichte, 1774, f° [2]v°. L’édition française paraît sans préface.

5 Marc FUMAROLI, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et ‘res literaria’ de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz (Hautes études médiévales et modernes, 43), 1980, pp. 257-263, et pl. 7 et 8 pour les Adnotationes et meditationes in Evangelia du père Nadal.

6 Ibid., p. 259.

7 Souvent de grands in-folios comme les ouvrages des pères Nadal et Girard.

8 A Paris, en 1665, chez la veuve d’Antoine de Sommaville. Un extrait de la préface (f [* iiii]r°) ne laisse planer aucun doute sur les lecteurs potentiels de l’ouvrage : « J’espere, Madame, que la lecture de ces Peintures sacrées sur la Bible, que je prends la hardiesse d’offrir à V. M. et qui ne pouvoient estre davantage dans leur bien-seance qu’entre les mains de la plus devote Reyne du monde, contribuera en quelque maniere à l’entretien de cette divine vertu, dont vous donnez de si visibles témoignages dans la profession publique que vous avez coûtume d’en faire. » Une seconde préface, aux lecteurs, confirme que les destinataires de l’ouvrage sont des adultes. Une didactique de l’image est bien présente dans ce recueil, comme dans d’autres du même type, mais il s’agit d’une didactique pour adultes, non pour enfants.

9 Notons entre autres les Quadrins historiques de la Bible, Lyon, 1553, dédiés à Jeanne de la Rochefoucaud ; les Figures du Nouveau Testament, Lyon, 1558, à Marguerite de France, duchesse du Berry ; les Figures de la Bible illustrées de huictains françoys, Lyon, 1565, à Catherine de Médicis ; les Imagines Veteris ac Novi Testamenti, de Giovanni Jacopo de Rossi, Rome, 1675, à Christine de Suède ; L’Istoria del Testamento Vecchio et Nuovo, de Giambatista Albrizzi, Venise, 1760, à Elisabetta Cornaro Foscarini ; etc. La dédicace à des femmes est une pratique surtout française et italienne. Les Allemands préfèrent dédicacer leur ouvrage à de grands seigneurs.

10 Là encore le grand format, les programmes iconographiques, les textes joints, l’ekphrasis sont autant d’indices qui permettent d’affirmer que les destinataires étaient des adultes. Une exception, mais à partir d’un programme non conçu pour des enfants, le traducteur anglais des Quadrins historiques de la Bible indique que des pères peuvent enseigner leurs enfants avec les gravures de Bernard Salomon et les vers explicatifs traduits en anglais. « For what a meane more shirt, sure, and with no little pleasure, easi might ani man finde, to teach his childerne, and suche as are not sen in the Bible withall, then to shewe them, the stories well drawen and lyvely pourt[r]eated nothing laking therto, but all thinges therin sette out entierlie, afterward declaring them hollie that, wiche thei represente ? » The true and lyvely historyke purtreatures of the vvoll Bible, Lyon, Jean de Tournes, 1553, f° A3 r°.

11 Plusieurs contributions du dernier livre dirigé par Jean DELUMEAU – La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992, – rappellent avec force que la transmission de la foi aux enfants passait durant le Moyen Age par les images. On pouvait même laisser aux mains des tout-petits un livre d’heures ou un psautier illustré, comme plusieurs tableaux en témoignent. Pourtant il ne s’agissait pas encore d’une didactique biblique de la foi adaptée aux enfants. Cf., en particulier, Dominique RIGAUX, « Dire la foi avec des images, une affaire de femmes ? », pp. 71-90 ; Danièle ALEXANDRE-BIDON, « Des femmes de bonne foi. La religion des mères au Moyen Age », pp. 91-122.

12 Schellenberg s’est inspiré des Biblische Erzàhlungen für die Jugend publiées en 1772 par la Société ascétique de Zurich, sous la direction de Johann Jakob HESS et Johann Caspar LAVATER, chez ORELL, GESSNER et FÜESSLI. Sur cette série, cf. Otto BRUNKEN, « Biblische Erzählungen für die Jugend », Handbuch zur Kinderund Jugendliteratur vol. 3, col. 723-732, et n° 93 du catalogue bibliographique, col. 1285.

13 J’en veux pour preuve quelques erreurs : fig. 32 : « Josué et Israël passants le Jourdain » ; fig. 47 : « Elie élévé au Ciel » ; fig. 57 : « Nebucadnezar et les troïs Israëlits ». Coquilles ou ignorance ?

14 Même par Hans Holbein ou Bernard Salomon qui, au XVIe s., offrirent les programmes iconographiques bibliques les plus prudes et retenus. Le meurtre d’Abel représenté ici est l’œuvre de Virgil Solis, publié pour la première fois en 1560, et repris en plusieurs occasions au XVIIe siècle.

15 « Da steht in erschrokener, zurückb[l]ebender Stellung der Brudermörder ! Vor Jehova, dessen Gegenwart dieser Lichtglanz aus dunkeln Wolken verkündigt ! Noch viel zu schwach ist Reu, Gewissensschrecken und Verzweiflung in seinem Angesichte ausgedrückt ! Wir sehen nur einen Theil von der traurigen Leiche Abels – und die Keule, die der Unsinnige gleich nach dem Mordschlage aus den Händen sinken ließ. – Nun weiß der Unglückliche vor Angst nicht mehr wohin. Sein Gewissen verfolgt ihn, und seine Missethat kann er mit keinen Thränen zurücknehmen. »

16 Il ne s’agit pas d’ignorer les textes apocryphes, puisque l’histoire de Tobie conclut la série : on voit l’enfant appliquer la lotion sur les yeux de son père.

17 Un exemple parmi d’autres au XVIIIe siècle, les Historiœ celebriores Veteris Testamenti iconibus reprœsentatœ de Christoph WEIGEL, Augsburg, 1708, présente un programme iconographique très prude, mais il s’agit d’un ouvrage pour adultes.

18 Le texte se poursuit ainsi : « Warum vergaß er seines Amtes, und tändelte mit einer leichtsinnigen Weibsperson, die ihm im Schlafe seine Haare abschnitt, und ihm dadurch seine Stärke benahm ! Noch spottet sie seiner, nachdem sie ihn ihren Landesleuten verrathen und überliefert hatte. So gehts. Erst schmeicheln uns die lasterhaften Menschen – Dann spotten sie unser, wenn wir ihren Schmeicheleyen Gehör geben. » (Fig. 34). Il est rare que Schellenberg s’adresse ainsi directement à l’enfant. Il préfère la distance du récit, avant l’envoi moral.

19 Version d’Ostervald de 1744. Les autres versions protestantes du XVIIIe siècle, celle de David Martin et la révision de la traduction des Pasteurs et Professeurs de Genève, ne présentent aucune variante majeure. Je donnerai les autres extraits bibliques dans la version du théologien neuchâtelois.

20 Picturae chalcographicae, Historiam Veteris Testamenti a Mose ad Prophetas celeberrimorum artificum manu delineantes, aere expressae, et venum expositae, Augsbourg, Philip Kilian, 1758.

21 « David eilte herzu, hieb dem Riesen mit seinem eignen Schwert den Kopf ab. »

22 « Einem König hilft nicht seine grosse Macht, und ein Riese wird durch seine grosse Stärke nicht errettet. Darum harre unsre Seele auf den Herrn ! Der ist unsre Hülfe und unser Schild. »

23 « Der sterbende Saul. So stirbt Saul, der erste König Israels – Erst wird er in der Schlacht von den Pfeilen der Philister verwundert ; dann stürzt er sich aus Verzweifelung in sein eigenes Schwert. Sein Blut spritzt – und nicht fern von ihm stürzte sich auch sein Waffentrager in sein Schwert. Der Unglückliche, der Gott verließ, und darum nun auch von Gott verlassen schien. Ein Mensch, der Gott verläßt, erniedrigt sein Geschicke. Wer von der Tugend weicht, der weicht von seinem Glücke. »

24 La fin du commentaire : « Saul erstaunt und beschämt über diese Probe von Davids Großmuth, gesteht ihm, daß er gerechter und besser als er sey. »

25 Cf. Lévitique 13, 40 : « Et si l’homme a la tête pelée, il est chauve, et néanmoins il est net. »

26 « Elisa und die zerrißne Kinder. Der fromme Prophet Elisa hatte einen kahlen Scheitel. Ein Trupp muthwilliger Knaben spotteten seiner. Umsonst war seine Wamung ! ‘Gewiß werd’ es ihnen nicht gut gehen’, nef er ihnen, aus göttlichem Antrieb, zu. Kaum hatt’ ers gesagt, so liefen zween grosse wütende Bären aus dem nahe gelegnen Wald her, und zerrissen eine Menge dieser unbändigen Kinder auf der Stelle. Umsonst wollten sie fliehn, sich verbergen – oder retten – Nicht Eines blieb verschont… »

27 « Wer Gottes Freunde schmäht, verschmähet ihren Gott ! Kein Laster straft der Herr, wie Lästerung und Spott. »

28 Pas de représentation de la décollation de Jean-Baptiste. Fig. 13 : « Les Vendeurs chassés du Temple. » Jésus à la main levée, mais pas de fouet. Une table à droite est renversée, un chien s’en va au premier plan. Fig. 41 : « Flagellation de Jesus-Christ. » Deux hommes, de part et d’autre de Jésus, ont levé leur fouet, mais ne l’ont pas encore frappé ; le dos de Jésus est indemne. Fig. 45 : « Jesus sur la Croix. » De loin, à gauche, les trois croix. Au premier plan, une mère tient sa fille par la main. Fig. 55 : « Etienne est lapidé. » Il est représenté, sur la gauche, à genoux, les mains jointes, en prière. Des hommes à droite s’apprêtent seulement à jeter leurs pierres. Les deux dernières gravures montrent Paul prêchant à Athènes (Actes 17), puis devant Agrippa, Bérénice et Festus (Actes 26). La série s’achève sans référence à l’Apocalypse.

29 Matthieu 18, 1-5 ; et le passage parallèle Luc 9, 46-48. La plupart des Bilder Bibel offrent une telle gravure.

30 Cf. Matthieu 19, 13-15 ; Marc 10, 13-16 ; Luc 18, 15-17.

31 Dans le Veus Aeterni Dei Creatoris nostri Testamentum XCI aeri incisis imaginibus repraesentatum, éd. par Jacob Adam, à Wien, à la fin du XVIIIe siècle, fig. 71. Arnold Westerhout avait gravé la même image à Rome quelques années auparavant.

32 Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, Enrichie de plus de quatre cens figures en taille-douce, Mortier, Amsterdam, 1700. Cette gravure fut reprise plusieurs fois au cours du XVIIIe siècle. Ainsi par Folkema dans l’édition illustrée de la bible dite de Royaumont, à Paris, chez Pierre le Petit, en 1712, p. 299 ; etc.

33 « Tout ce qui touche aux enfants et à la famille est devenu également sérieux et digne d’attention », écrit à ce propos Philippe ARIES, in L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil (Points histoire, 20), 1973, p. 186.

34 Un exemple, parmi d’autres, donné par Annik et Louis CHATELLIER, « Les premiers catéchistes des temps modernes. Confrères et consœurs de la Doctrine chrétienne aux XVIe-XVIIIe siècles », in La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, dir. par Jean Delumeau, Paris, Cerf, 1992, p. 296. Les préfaces de nombreux catéchismes du XVIIIe siècle engagent activement la participation des parents. Ainsi Daniel de SUPERVILLE, à l’aube des Lumières, dans Les veritez et les devoirs de la religion chretienne, ou catechisme pour l’instruction de la jeunesse, indique qu’il a composé un ouvrage « qui put être lû dans les familles », éd. de Lausanne, 1760, f° † 3 r°. Il en est de même dans la préface du Catéchisme sur les principales vérités et les devoirs capitaux de la religion… par un ministre du Désert… édité en Bas-Languedoc en 1772, pp. III-VII.

35 Des exemples donnés par Patrice VEIT, « Les “nouvelles” Sara, Marthe et Marie. La femme et sa religion à travers les Leichenpredigten protestants », in La religion de ma mère… Op. cit. [note 11], pp. 193-208. D’autres par Marcel BERNOS, « La catéchèse des filles par les femmes au XVIIe et XVIIIe siècle », ibid., pp. 269-285, en part. pp. 270s ; etc.

36 Ainsi « l’abrégé du catéchisme pour les petis enfans » qui suit le Catechisme ou instruction familiere sur les principaux points de la religion chrétienne, fait par Monsieur Drelincourt en faveur de sa famille, de Charles DRELINCOURT père, 14e éd., Genève, 1679, pp. 116-136. Daniel de SUPERVILLE fera de même, adjoignant aux Veritez et les devoirs de la religion chretienne un Abrégé à l’usage des plus petits enfans.

37 On reste dubitatif devant la critique, puis le changement proposé par Jaques SAURIN, dans son Abrégé de la théologie et de la morale chrétienne en forme de catechisme, Amsterdam, 1722, quand il écrit que, dans les anciens catéchismes, « on n’observait pas la portée de l’esprit des catechumènes et le progrès de leurs connaissances. Je veux dire qu’on imposait à un enfant de sept ans la nécessité de croire des véritez dont les preuves ne pouvoient lui être connues qu’à l’âge de dix. On exigeait d’un enfant de dix ans la necessité de croire certaines véritez, dont les preuves ne pouvoient lui être connues qu’à l’âge de quinze, et ainsi de suite. » (pp. XIII-XIV.) Il continue en critiquant un catéchisme ancien qui « commençait par la question la plus abstruse de la théologie chrétienne, je veux dire le dogme de la Trinité. Le catéchiste demandait : ‘En qui crois-tu ? ‘ L’enfant répondait : ‘En Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit. » (p. XIV.) Comment s’ouvre l’Abrégé de Saurin ? « Demande du catéchiste. Quelle est l’étude la plus importante à laquelle puisse s’attacher une créature raisonnable ? Réponse du catéchumène : C’est celle qui regarde l’Auteur de nôtre être, le culte qui doit lui être rendu, les moyens d’avoir part à sa bienveillance. » (pp. 1-2.) On se demande si l’enfant a gagné au change ! Relevons que les trois âges avancés – sept, dix et quinze ans – marquent bien, ici et ailleurs, des étapes précises d’une conception de l’enfance.

38 Si Schellenberg pouvait avoir des difficultés à écrire en français, il n’est pas exclu de penser qu’il était capable de le lire.

39 « Toutes les réponses du catéchisme sont à contresens, c’est l’écolier qui instruit le maître. Elles sont même des mensonges dans la bouche des enfants, puisqu’ils expliquent ce qu’ils n’entendent point, et qu’ils affirment ce qu’ils sont hors d’état de croire. » Jean-Jacques ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation [1762], Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 493. Pour mémoire les différents catéchismes de la Réforme protestante, comme ceux des XVIIe et XVIIIe siècle, fonctionnaient par questions-réponses. Daniel de Superville, Jean-Frédéric Ostervald, Jaques Saurin ou Louis de Bons, après Calvin, Bèze, Fauquembergue ou Drelincourt avaient usé de la forme dialoguée.

40 Ibid.

41 Emile… Op. cit., p. 500.

42 Gottfried W. LOCHER, Die Zwinglische Reformation im Rahmen der europäischen Kirchengeschichte, Gôttingen et Zurich, 1979, pp. 643 et 672s.

43 Le catéchisme de Heidelberg est d’ailleurs régulièrement réédité en français par les Bernois, pour les Eglises vaudoises : 4e éd. en 1733, 5e en 1753, etc. Les éditions allemandes sont encore plus nombreuses, tant à Berne qu’à Zurich.

44 Martin Luther Œuvres, t.  7, Genève, 1962, pp. 49-60 (traduction des Martin Luthers Werke, t.  30/1, pp. 147-157). Ce commandement est le quatrième, car Luther a abandonné l’interdiction des images.

45 Ibid., p. 50.

46 Dans le Catechisme de l’Eglise de Geneve (1545), le 28e dimanche explique le cinquième commandement. On y aborde la punition des enfants désobéissants : « Et de ceux qui seront rebelles à père et mère ? Non seulement Dieu les punira au jour du jugement, mais il en fera aussi la vengeance sur leurs corps, soit en les faisant mourir devant leurs jours, ou ignominieusement, ou en quelque autre sorte. » In Confessions et catéchismes de la foi réformée, éd. par Olivier Fatio, Genève, 1986, pp. 25-110, ici p. 66. La question 104 du catéchisme de Heidelberg, relative au cinquième commandement, précise son objet : « Que je rende à mon père et ma mère, et à tous mes supérieurs, honneur, amour et fidélité, et que je me soumette avec due obéissance à toutes leurs bonnes instructions et corrections, supportant aussi patiemment leurs défauts, puisque Dieu veut nous gouverner par leur main. » In Confessions et catéchismes…, pp. 135-178, ici pp. 169s. Prêchant le texte de l’ivresse de Noé (Genèse 9, 20-23) Calvin, en accord avec la tradition qui le précède, indique que le père ne doit pas donner le mauvais exemple (sermon 46 de janvier 1560, f° 304r°-v° du codex 740 de la Bodleian Library d’Oxford). Pourtant l’incident est minimisé (davantage dans le sermon), et Noé reste « le meilleur père de tous ». Sem et Japhet sont loués d’avoir détourné les yeux, alors que Cham est condamné sans rémission (Commentaire sur la Genèse, Genève, 1955, pp. 167s). A la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, si le père ne mérite pas le respect, l’enfant peut le lui retirer (cf. note 48).

47 « Du cinquiéme commandement » qui précise que l’honneur aux parents et aux supérieurs est dû « non seulement aus bons et aus équitables, mais aussi aus facheus. 1 Pierre 2. »In Catéchisme ou instruction familiere… Op. cit. [note 36], pp. 73s.

48 Jaques SAURIN, en 1722, introduit les devoirs réciproques entre parents et enfants au sein de la soixante-quatrième section de son catéchisme. Parents ou enfants peuvent néanmoins manquer à leur devoir, remarque le « demandeur ». La réponse n’élude pas le problème : « Il y a des cas où la rebellion d’un enfant dispense son père de ce qu’il lui devoit ; comme il y a aussi des cas où l’injustice d’un Père dispense son enfant de ce qu’il lui devoit… [en outre] Les pères doivent pratiquer toutes les vertus religieuses, civiles et domestiques. » Abrégé de la théologie et de la morale chrétienne… Op. cit. [note 37], pp. 279s.

49 Cours de religion à l’usage des jeunes gens, par demandes et réponses, t. 2, de Louis de Bons, 5e éd., Lausanne, 1799 (lre éd. en 1766), p. 302 : « D. Quels sont les vertus qu’il faut surtout inspirer aux enfans après la piété ? R. L’obéissance, la justice, la charité, le respect pour la vérité, la modestie, la pureté, la frugalité et l’amour du travail. D. Quels moyens les peres et les meres doivent-ils employer pour former leurs enfans à ces vertus ? R. L’instruction, le bon exemple et la correction. »

50 Dans sa « pseudo autobiographie fictive », Vie de Henry Brulard, éd. par Béatrice Didier, Paris, 1973, p. 99. Cette remarque, inscrite dans un contexte très critique, n’est peut-être pas exempte d’ironie. Je remercie mon ami Jacques Berchtold de m’avoir signalé ce texte.

51 Jean DELUMEAU, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1983, p. 553.