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Eros initiatique et la cosmogonie orphique

Claude CALAME

D’Alcman à Sophocle, de Sappho à Anacréon ou Euripide, Eros c’est, dans toute la poésie archaïque et classique, cet enfant libertin qui volète sur les fleurs, mais c’est aussi cette force qui s’abat sur l’homme comme le vent sur les chênes de la montagne ; par sa douceur, il réchauffe le cœur, mais il frappe aussi comme le maillet du bronzier pour ensuite plonger sa victime dans une eau glaciale. Distillant le désir par le regard, il insuffle dans l’âme un plaisir suave, mais ce charme rapidement se transforme dans le délire de la possession, entraînant malheur et ruine. Régnant sur les campagnes comme sur les flots, il domine les animaux terrestres et marins, les hommes éphémères et les immortels1. Ce tyran doux-amer, inséparable d’Aphrodite, est donc aussi ambivalent qu’il est implacable, invincible et universel.

1. Éros entre littérature et cosmogonie

Dans cette représentation du désir amoureux, sinon de la pulsion sexuelle, les poètes sont-ils à l’origine d’une tradition divergeant de celle qui attribue à Eros un rôle déterminant dans la construction du cosmos ? L’éros des littérateurs est-il aussi éloigné qu’on l’a pensé de cet éros force primordiale, à l’œuvre dans différentes cosmogonies archaïques ? Sans doute tenter de se lancer sur la voie ouverte récemment à ce propos par le dédicataire de ce volume collectif, c’est au moins lui rendre un premier hommage. Dans un bref essai, J. Rudhardt situe précisément dans une même ligne de développement l’Eros cosmogonique d’Hésiode et les aspects cosmiques de la procréation favorisée chez les Tragiques par Aphrodite : d’un bout à l’autre de la tradition hellène, l’amour est participation à « la vie divine du cosmos »2. Mais, il est une tradition qui dans ce parcours se trouve, volontairement, écartée ; c’est celle qui, semblant à nos yeux prendre naissance chez Hésiode, trouve un achèvement dans les cosmo-théogonies orphiques. Que dire donc de l’Eros des Orphiques ? Pourquoi assume-t-il dans ces différentes représentations mystiques de la naissance de l’univers une position et une fonction aussi déterminantes que singulières ? La relative abondance de nos documents invite à une définition par les moyens de l’analyse contrastive ; que l’on peut conduire dans ses deux dimensions : verticale ou syntagmatique, s’il est vrai que le rôle d’Eros dans la théogonie orphique ne peut se définir qu’en relation avec les fonctions des entités qui le précèdent et qui lui succèdent dans la constitution du cosmos ; puis horizontale ou paradigmatique puisque d’autres systèmes cosmogoniques, mis en parallèle, permettront de saisir la spécificité de l’Eros orphique. Le paradoxe du rapport établi ici entre verticalité et dimension syntagmatique n’est que l’effet de la singularité du récit de type cosmo-/théogonique : celui-ci utilise le récit généalogique, qui vise à construire et à justifier un ordre social à travers la linéarité du déroulement narratif, pour rendre compte de la formation d’un cosmos orienté dans l’espace ; or, avec son haut et son bas, l’univers s’organise principalement dans la dimension verticale3. Après cette exploration en deux dimensions, on pourra revenir à la littérature, mais aussi aux pratiques sociales de l’amour en Grèce.

2. Constructions cosmogoniques orphiques

Les publications partielles du papyrus de Derveni, condamnées à être pirates, ont sans aucun doute donné à la recherche sur l’orphisme une impulsion nouvelle ; la nature même du texte commenté dans ce texte papyrologique a dirigé ce regain d’intérêt sur la cosmothéogonie élaborée dans ce mouvement mystique.

Ce document et, par conséquent, le poème auquel il se réfère, par leur date relativement haute, se sont montrés tentants. N’offrent-ils pas un accès privilégié à l’une des formes originales de la représentation orphique de l’univers par l’intermédiaire de la généalogie ? Ces récits cosmothéogoniques, nous ne les connaissions jusqu’ici que par quelques pastiches poétiques, par les allusions floues de Platon ou d’Aristote, et par les résumés tardifs des commentateurs néoplatoniciens. Mieux, le Papyrus de Derveni ne fournit-il pas l’occasion d’une reconstruction de la cosmothéogonie orphique dans sa forme première ? C’est la séduction à laquelle a cédé West qui reconstruit la théogonie « de Derveni » après avoir restitué sous nos yeux, par le procédé habituel de la superposition synchronique des documents, la théogonie des rhapsodes, elle-même une œuvre de compilation ; et, au-delà de sa double reconstruction, le philologue anglais, comme les grammairiens comparatistes du siècle dernier, croit être en mesure de reconnaître la « Urform » de la théogonie orphique qui reçoit dès lors l’intitulé emblématique de « Protogonos Theogony » ! La « théogonie de Protogonos », du nom parlant de l’entité qui y joue un rôle déterminant, mais aussi, par retour étymologique, la « théogonie première née »4

Le profane préférera la lecture des documents, dans leur ordre chronologique, même si les plus anciens parmi ceux-ci le confrontent aux apories des effets du détournement de texte. Renoncer à la reconstruction pour prendre Aristophane ou Damascius au pied de la lettre, en particulier quand il s’agit de tradition orphique, reviendrait à tomber de Charybde en Scylla.

2.1. L’œuf primordial d’Aristophane

Le point de départ obligé, ce sont donc encore et toujours les Oiseaux d’Aristophane qui le donnent. Dans la mesure où la comédie fait de l’allusion orphique l’objet de sa parabase, elle lui confère un relief particulier. Du poème théogonique, l’auteur comique pousse le pastiche si loin qu’il n’hésite pas à l’introduire par un double prélude : un premier proème à proprement parler, le commation en rythme choriambique où le rossignol est invité à préluder de sa voix flûtée ; puis le prélude récité en anapestes par le coryphée, exhortation adressée aux mortels éphémères, semblables à des ombres et des songes, à prêter oreille aux oiseaux immortels, détenteurs du savoir « droit » sur la genèse de toutes choses5. Du genre théogonique on ne parodie donc pas uniquement le contenu, mais aussi les formes.

On commence par poser, probablement sans ordre hiérarchique, Abîme, Nuit, Erèbe le noir et le large Tartare ; ceci pour décrire un état premier où n’existent ni la terre, ni l’air, ni le ciel. Première entité marquée à apparaître au sein de ces éléments tous caractérisés par l’absence de lumière et par l’absence de limite : un œuf, mais l’un de ces œufs « portés par le vent », produits sans fécondation ; en surgit Eros plein de désir6. Eros lui, le premier, est marqué de traits précis : il porte des ailes étincelantes d’or et, sorti de l’œuf aérien, il est lui-même comparable aux tourbillons soulevés par le vent7. Naissance ovipare, nature ailée, affinité avec le vent, Aristophane à n’en point douter reprend les traits d’une génération première par parthénogénèse pour légitimer habilement l’inattendu : de la première union duelle (homosexuelle, sinon asexuée) d’Eros avec Abîme devenu ailé naît non pas la race des dieux bienheureux, mais celle des volatiles. Pourrait-il en être autrement dans une théogonie prononcée par le porte-parole des oiseaux qui s’emparent du pouvoir pour bouleverser l’ordre des hommes garanti par les dieux olympiens ?

Au-delà du détournement ornithologique, la cosmothéogonie artistophanesque montre une cohérence remarquable. Des quatre éléments premiers, chacun trouve un rôle déterminé à jouer dans l’apparition d’Eros : elle aussi ailée, la Nuit enfante l’œuf primordial dans le sein illimité d’Erèbe et de manière analogue le vaste Tartare sert de réceptacle à l’union nocturne d’Eros avec Abîme. Le passage de la parthénogénèse à la génération d’un génos par l’intermédiaire de l’union d’un élément marqué et d’un élément non marqué est donc assuré par la collaboration des quatre composants de l’obscurité indifférenciée des débuts. Et c’est encore sous l’effet d’Eros qu’auront lieu les unions duelles et sexuées (ξυμμειγνυμένων ἑτέρων ἑτέροις) donnant naissance aux éléments du cosmos — ciel, océan et terre — ainsi qu’au génos indestructible des dieux immortels. La qualité des ἅπαντα qu’Eros unit les uns aux autres est laissée à l’appréciation de l’auditeur ; ou plus exactement, la préséance assurée aux oiseaux sur les dieux relègue dans un flou artistique le passage de l’union asexuée à l’union sexuée entre deux entités marquées !

C’est que le coryphée est aussi très pressé d’en revenir à l’affinité que les oiseaux partagent avec Eros : par leur appartenance à la gent ailée et par leur proximité avec les érastes. Rapidement, la satire sociale reprend le dessus !

Il a fallu la science philologique comparative du XIXe siècle pour assigner à la construction cosmogonique parodique d’Aristophane un modèle orphique. Par scholie interposée, les commentateurs anciens nous font simplement part de leurs hésitations à mettre en relation la mention d’Abîme et de Nuit avec la construction hésiodique ou celle d’un autre « généalogiste »8.

2.2. Le commentateur de Derveni et le pénis premier-né

Attendons donc que des documents plus tardifs rendent le retour comparatif possible en mentionnant deux esquisses théogoniques classiques qui toutes deux, pour des raisons tout à fait différentes, sont susceptibles de relever du mouvement orphique.

Parmi les lambeaux de l’Hypsipyle d’Euripide, un papyrus d’Oxyrhynque nous a en particulier transmis les fragments d’un chant choral où apparaissent, au milieu d’un contexte dionysiaque, des termes dans lesquels les exégètes de ce texte tragique ont perçu des résonnances orphiques. La pièce maîtresse de ce puzzle philologique c’est l’incontestable emploi du terme πρωτογονο[ autour duquel on peut restituer un abîme indistinct ou, par antonymie, une obscure lumière (]άος ἄσϰοπον) ; mais aussi Air ou Ether (]έρι), probablement Nuit (νυ̣[) et Eros (Ἔ̣ρως). Les rares marques syntaxiques portées par ces énoncés fragmentaires permettent d’établir plusieurs relations généalogiques ; celles-ci sont en tout cas dominées par une « Maîtresse des Dieux », invoquée au début de ce développement. S’agit-il de Terre, ou de Déméter ? L’état lacunaire de texte interdit toute conclusion assurée9.

Dans un document d’ordre tout à fait différent, le commentateur de Derveni semble prendre comme point de départ le stade successif de développement théogonique que représente le règne de Zeus ; de là il remonte la double ligne de succession royale et d’ascendance généalogique pour rendre compte de l’état correspondant à la prise du pouvoir par le roi des dieux du panthéon. Il n’y a pas de raison de nier que le commentateur ne suive en cela le mouvement proposé par le poème dont il fait l’exégèse10. De Zeus on remonte ainsi à Cronos, engendré — selon le commentateur — par Soleil et par Terre ; mais Cronos a eu un prédécesseur en la personne d’Ouranos le fils de Nuit, le premier à assumer le pouvoir royal11. Si l’on suit bien le commentaire, c’est à Cronos que sont assignées la mise en mouvement contradictoire du cosmos, la distinction de toutes les choses et leur division en deux domaines, ceci grâce notamment à l’action de Soleil. Mais le Soleil lui-même était, semble-t-il, identifié avec des parties génitales, pénis ou testicule ; ce pénis, il fut l’attribut de celui qui le premier bondit dans l’éther, de celui qui dès lors mérite la qualification de « souverain premier-né » (πρωτόγονος βασιλεύς) ; ce pénis ne saurait donc être autre que celui de Soleil12. C’est en tout cas ce pénis que Zeus semble devoir ingurgiter avant que de lui ne jaillisse la création : les dieux et les déesses, les fleurs et les sources, en un mot tout ce qui a été l’objet d’une naissance.

2.3. Théogonies rhapsodiques : Phanès le polymorphe

Sans doute, le commentaire parfois énigmatique transmis par le Papyrus de Derveni peut-il recevoir un éclairage suggestif de systèmes théogoniques orphiques plus tardifs.

De la théogonie qu’a connue Eudème encore au IVe siècle, on sait tout juste qu’elle posait Nuit au début de toute chose13. Il faut ensuite sauter par-dessus les siècles pour retrouver un système généalogique développé ; c’est alors la rencontre avec Damascius et avec la « théologie » dont il nous transmet un résumé sous les noms énigmatiques d’Hiéronymus et d’Hellanicus. A l’origine donc, dans ce processus de création qui subit une forte influence néoplatonicienne, l’eau et la terre (ou plus exactement, en termes philosophiques, la matière dont la terre est issue) ; ensemble ils produisent un serpent ailé pourvu d’une tête de lion, d’une tête de taureau et du visage d’une divinité. Ce Chronos sans âge, probablement uni à Nécessité, devient le père d’Ether, d’Abîme et d’Erèbe, mais aussi d’un œuf qui, dans l’interprétation néoplatonicienne proposée par Damascius, représente une triade : celle-ci est composée de la dyade formée par le principe masculin et le principe féminin qu’il contient avec l’ensemble des semences, et d’un dieu au double corps à nouveau caractérisé par des ailes et des têtes de taureau dominées par celle d’un reptile : c’est Protogonos appelé aussi Zeus ou Pan ou encore, selon une autre source, Phanès. Par la lumière qui émane de lui, il est l’ordonnateur de toute chose et par conséquent le créateur du cosmos14.

Pour enfin retrouver Eros dans une théogonie d’ampleur analogue, il suffit d’opérer un léger retour en arrière et de suivre les phases de développement du système recomposé par les « rhapsodes » des Hieroì Lógoi. On retrouve dans sa fonction primordiale Chronos, suivi d’Ether et d’Abîme, eux-mêmes accompagnés probablement de Nuit. Dans l’Ether, Chronos crée un œuf, éclatant de blancheur, qui est également donné comme le rejeton d’Ether et d’Abîme. De l’œuf enceint jaillit alors Phanès que la théogonie rhapsodique identifie notamment avec Protogonos et avec Eros le gracieux, sinon avec Métis15. Comme chez Aristophane, le Phanès-Eros rhapsodique est porté de-ci de-là par des ailes d’or ; il est pourvu des têtes de multiples animaux parmi lesquels le lion et le taureau ; à la fois masculin et féminin, cet être premier possède une double paire d’yeux ; il semble en être privé au moment où il engendre, en partie par parthénogénèse, en partie avec la participation de Nuit (à la fois son antécédente et sa fille !), les différents éléments constitutifs du cosmos16.

2.4. Eros le généré, géniteur cosmique

Identification entre Protogonos et Phanès, naissance ovipare, nature ailée, lumineuse et double, origine de la genèse des bienheureux comme des hommes mortels, l’Hymne orphique adressé au Premier-Né apporte une première confirmation, tardive, aux convergences qui se dessinent quant à l’essence et aux fonctions de cet être qui réfléchit la lumière tout en promenant son regard circulaire17. Et plus tard encore, l’auteur des Argonautiques orphiques met dans la bouche d’Orphée lui-même un sommaire de la théogonie : à l’origine, à nouveau, Abîme, puis Temps qui, reptile, engendre Ether ainsi qu’Eros. Les traits de ce Phanès, ainsi nommé puisqu’il apparut le premier (πρῶτος ἐφάνθη), désormais nous les connaissons : nature double, regard circulaire, père de Nuit. Et le poète précise un peu plus loin, dans une reprise du chant théogonique, ces qualités : Eros est le plus ancien des êtres ; on lui attribue donc perfection (αὐτοτελής), intelligence technique (πολύμητις) et production de toutes choses18.

Le doute n’est désormais plus possible sur les traits ornithomorphes qui ont pu séduire Aristophane et le conduire à faire de la cosmogonie orphique la théogonie de la Cité des Oiseaux ; à d’autant plus forte raison que, dans leurs affinités réciproques, l’utopie ornithologique se substitue aisément à la voie mystique. Certes, au cours des siècles les entités parties prenantes dans les premières phases de la constitution du cosmos et les relations hiérarchiques, sinon généalogiques qui les mettent en rapport ont subi de larges modifications, comme se transforment aussi constamment avec le temps et les impératifs de l’histoire les récits généalogiques des cités hellènes. A partir de la parodie par Aristophane se dessine cependant une sorte de « noyau dur », constitué d’entités incontournables et de relations fondamentales. Il en va ainsi de la succession entre Abîme ou Béance, être incréé accompagné de cas en cas d’autres éléments indistincts, de l’œuf qui le premier advient narrativement et dont l’apparition marquée est peut-être exprimée dans l’insertion successive de Temps/Chronos19, et enfin de Phanès-Eros, le premier être objet d’une naissance, mais aussi la première entité à être susceptible d’engender (γένεσις).

Dès lors, pénis ou testicule, la « couille primordiale » du commentateur, sinon du poète de Derveni, risque bien de constituer la forme synthétique, dans cette version de la cosmogonie orphique, de l’œuf et de Phanès-Eros. Et dans son développement, le système cosmogonique « de Derveni » semble combiner des éléments propres à la théogonie orphique dont Aristophane s’est sans doute inspiré avec le fameux mythe de succession hésiodique : un premier pouvoir — celui de l’état indistinct incarné dans Ouranos fils de Nuit — céderait donc la place à celui de Cronos, fils de Soleil, pénis de lumière jailli dans l’éther, avant que n’intervienne Zeus que l’ingurgitation de la verge rend maître — en une troisième étape — des forces démiurgiques détenues par le premier-né. La superposition du schéma hésiodique de succession permettrait donc, en quelque sorte, de « généalogiser », d’inscrire dans une intrigue narrative généalogique notamment l’opposition entre Nuit et Soleil20. Si l’on retire cet élément de narrativisation, on retrouve le schéma de la cosmogonie d’Aristophane : un état indifférencié (Nuit, Tartare, Erèbe, Abîme/Nuit), le jaillissement de la distinction par la lumière (l’œuf/Soleil) et la sexualité (Eros/le pénis), le retour à l’unité avec Zeus.

Quoi qu’il en soit, Eros est maintenant bien caractérisé. Sa situation à l’articulation entre l’ingénéré et le généré justifie son androgynie. Seul un être né de l’un mérite de porter en lui les semences qui vont engendrer la multiplicité du distinct et du diversifié. Loin de nous avoir donné accès à une quelconque « Urform » de la théogonie orphique, la comparaison interne nous en a livré les éléments distinctifs parmi lesquels Eros occupe donc la place de choix. Rien ne s’oppose plus dès lors à la comparaison externe puisque les généalogies du cosmos attribuées à Orphée ne sont pas les seules à mettre en scène Eros.

3. Une sexualité cosmique et initiatique

3.1. Hésiode et ses successeurs : Eros le médiateur

Paraphrasons encore une fois le début de la théogonie hésiodique qui, contrairement aux formes orphiques de la création du cosmos, insère Abîme, l’état premier du monde, dans un processus de génération. Car non seulement Chaos « naît » (γένετο), suivi de Terre, peut-être du Tartare, et en tout cas d’Eros ; mais il est également susceptible d’engendrer puisque de lui naissent Erèbe et Nuit. Rappelons que les éléments premiers du cosmos sont désormais les produits de deux types de γενέσεις : la génération sexuée unissant d’amour Nuit à Erèbe pour produire Ether et Jour ; et la parthénogénèse, permettant à Terre de faire sortir de son sein — sans la φιλότης qui agit quant à elle par le désir — les montagnes et le flot marin, mais surtout Ciel, pareil à elle-même. Avec Ouranos, Gaia rejoint alors la génération sexuée pour engendrer toute une série d’entités, en partie anthropomorphes21. A relever : en lui attribuant beauté et force « qui brise les membres » (λυσιμελής), la théogonie hésiodique rapproche singulièrement Eros puissance cosmogonique de l’Eros puissance de l’amour humain que la poésie lyrique nous a rendu familier. Comme l’Amour de Sappho ou d’Ibycos, l’Eros de la Théogonie subjugue, en leur poitrine, le discernement et la sage volonté de tous les dieux et de tous les hommes. C’est ainsi qu’apparu au premier stade de la création, Eros devient tout de même le compagnon d’Aphrodite, née beaucoup plus tard que lui ; c’est ainsi que se définit probablement son rôle théogonique, assuré dans la stimulation de l’union sexuée qui fait appel au lien amoureux et fiduciaire désigné par le terme de φιλότης, et ceci dès les unions génératrices des êtres primordiaux22.

La construction hésiodique n’est évidemment pas l’unique cosmothéogonie non orphique à assigner à Eros un rôle efficace dès les premières étapes de la naissance du monde. Que ce soit chez Phérécyde de Syros ou chez Acousilaos d’Argos et dans la mesure de la fiabilité des résumés tardifs par lesquels ces systèmes cosmogoniques nous sont connus, Eros intervient à la jonction entre entités obscures et êtres marqués. Le premier le présente comme issu de la métamorphose de Zas-Zeus au moment où celui-ci, apparu avec Chronos et Chthonié qui devient Terre, s’apprête à créer le monde ; le second en fait, avec Ether et Métis, un fils né de l’union d’Erèbe (ou d’Ether) et de Nuit, venus à l’existence à la suite d’Abîme. Tout en tenant compte de l’écran néo-platonicien qu’il place devant la théogonie de Phérécyde, les raisons alléguées par le commentaire de Proclus à la transformation démiurgique de Zeus en Amour méritent d’être mentionnées : le recours à Eros serait motivé par la nécessité d’introduire concorde et amour (φιλία) dans un monde rempli d’éléments contraires, et d’implanter identité et unité en toute chose23.

Sans doute, le dessin théogonique attribué à Epiménide et le profil d’Epiménide lui-même sont-ils trop évanescents pour situer exactement par rapport à la tradition orphique l’œuf que le Crétois fait intervenir à la troisième étape du processus de création : origine de toute génération successive, il est lui-même le produit de l’union de deux énigmatiques êtres titanesques. Par contre, on sait par ces témoins sans doute dignes de foi que sont Platon et Aristote que, probablement « imaginé » (μητίσατο) par Génération elle-même, Eros est considéré par Parménide comme le premier de tous les dieux24. En faut-il davantage pour définir le rôle essentiel qu’Eros continue à assumer dans la représentation du monde même quand celle-ci, subordonnée à la question plus fondamentale de l’être, de cosmogonique devient cosmologique ? Faut-il rappeler que c’est encore grâce à Philia et à Néicos, conçus comme principes éternels, qu’Empédocle résoud le problème du double passage du multiple à l’un et de l’un au multiple impliqué par un changement qui ne suit plus une orientation linéaire temporelle et cumulative25 ? Que le cosmos soit le résultat d’un processus de création conçu comme une structure pyramidale de distinction progressive ou qu’il soit l’objet du mélange perpétuellement changeant d’éléments simples, Amour intervient régulièrement au moment où, paradoxalement, l’apparition d’une entité nouvelle requiert l’union de deux êtres, où la multiplicité contradictoirement naît de l’union. Cet aspect cosmique, Eros le gardera pratiquement jusqu’au terme de la tradition hellène puisqu’on en trouve encore l’écho dans Daphnis et Chloé, en résonance avec ses traits plus littéraires d’enfant espiègle26.

3.2. Platon et le retour amoureux à l’unité

Posé par la réalité physiologique de la génération, le problème de la transformation du duel en un pour engendrer le multiple sous-tend en définitive toutes les conceptions de l’essence d’Eros développées autour de la table symposiaque que Platon dresse, par médiations énonciatives interposées, dans le Banquet. A tout seigneur tout honneur, c’est à Phèdre que revient le privilège d’ouvrir le débat ; pour défendre l’unicité d’Eros, que Phèdre fonde en se réclamant des conceptions hésiodique et présocratiques : être ingénéré, c’est le plus ancien de tous les dieux, mais aussi la source unique des biens les plus élevés. L’Eros cosmogonique est donc devenu également principe moral. Ce double aspect, cosmique et éthique, d’Amour va en définitive déterminer les différentes conceptions énoncées à tour de rôle autour de la table du banquet. Du double amour de Pausanias, attaché soit au corps soit à l’âme à partir du double culte rendu à Aphrodite, à la puissance universelle réconciliatrice des contraires prônée par Eryximaque, de la fable auto-parodique narrée par Aristophane à l’Eros jeune, coryphée des dieux ou des hommes et principe d’harmonie chanté par Agathon, il s’agit toujours de fonder le passage de l’un au multiple et de définir l’attitude morale à adopter pour que deviennent complémentaires et accordés les termes que la différenciation oppose.

Car la confrontation dialoguée de ces différentes opinions quant à la nature plurielle ou unique d’Eros n’a qu’un seul but, celui de préparer l’intervention de Diotime, la divinatrice de Mantinée, dont Socrate se fait le porte-parole dans un symposium duquel les femmes ont été d’emblée exclues ! Eros cède momentanément le pas à la question de la voie privilégiée qui permet d’accéder à la Beauté — à l’idée de Beau, donc à l’unité parfaite, serait-on tenté de dire s’il ne fallait pas se garder de plaquer les conceptions de la République sur le cheminement du Banquet. Or cette voie, non seulement elle un caractère pédagogique marqué puisqu’elle conduit par le μάθημα (par la connaissance dans l’apprentissage) à la science du Beau, mais ses étapes dépendent entièrement de la relation du multiple et de l’un. Il suffit de relire le passage si souvent allégué :

Car c’est là justement le droit chemin pour accéder aux choses de l’amour, ou pour y être conduit par un autre, de partir des beautés de ce monde et, avec cette beauté-là comme but, de s’élever continuellement, en usant, dirais-je, d’échelons, passant d’un seul beau corps à deux, et de deux à tous, puis des beaux corps aux belles occupations, ensuite des occupations aux belles sciences, jusqu’à ce que, parlant des sciences, on arrive pour finir à cette science que j’ai dite, science qui n’a pas d’autre objet que, en elle-même, la beauté dont je parle et jusqu’à ce qu’on connaisse à la fin ce qui est beau par soi seul.

(trad. L. Robin)

Donc de l’un au deux, du deux au multiple, mais du multiple s’élever vers un unique, désincarné. Ce que propose Διοτίμη, « La Vénérée de Zeus », c’est donc un retour à l’unité, mais à une unité absolue (αὐτὸ ϰαθ’ αὑτὸ μεθ’ αὑτοῦ μονοειδὲς ἀεὶ ὄν)27. Et la conduite sur cet itinéraire difficile est assurée par un guide : c’est Eros, le double, l’intermédiaire, le fils de Pauvreté et d’Expédient. Cet Eros, il est sale, va-nu-pieds et sans logis connu ; il couche par terre, sans couverture, aussi insidieux qu’il est persistant ; c’est un charmeur redoutable, un ensorblement celeur, en un mot, un sophiste. Cet Eros ne ressemble-t-il pas terriblement à Socrate lui-même ? Il est en tous cas le guide initiatique sur la voie proposée par Diotime.

3.3. Eros pédagogue, Eros guide initiatique

Par l’entremise de l’entretien et de l’échange symposiaque, Platon a désormais placé Eros au début, mais aussi au terme de toutes choses en inscrivant son pouvoir dans un parcours dynamique. La fonction primordiale de la puissance de l’amour, elle est symbolisée par le rôle cosmogonique qui lui est attribué quand elle n’est pas inscrite dans la généalogie d’Eros divinisé. On se souvient que la théogonie hésiodique conciliait dans sa représentation d’Eros deux images qu’on a trop souvent jugées incompatibles : celle d’une entité aussi première et élémentaire qu’Abîme ou Terre, celle du pouvoir très concret par lequel l’amour s’insinue dans le cœur des dieux et des hommes. Or la poésie lyrique, que l’on crédite volontiers de l’exclusivité de cette seconde image, donne d’Eros une représentation relevant en définitive de la même ambivalence ; cette parenté avec l’image hésiodique d’Amour est en particulier sensible dans les effets conceptuels issus de l’imaginaire généalogique. En le faisant descendre de Terre et de Ciel, Sappho nous propose d’Eros l’image de la puissance primordiale alors que Simonide, en assignant sa naissance à Aphrodite et à Arès, le situe dans la génération des dieux olympiens28.

Mais peut-on se contenter, si riches soient-elles, de ces spéculations littéraires sur le sentiment d’amour incarné dans Eros ? En dépit de son caractère pour nous assez insaisissable, la pratique sociale archaïque et classique réserve en effet à Eros, en plus des institutions où, comme dans le mariage, il trouve une place toute naturelle, un domaine d’intervention bien circonscrit : c’est celui de l’éducation, en particulier quand ses formes sont encore en partie attachées à cette institution abstraite que les anthropologues dénomment « initiation tribale ». Poèmes lyriques, mais aussi inscriptions pédérastiques près des gymnases ou images de la céramique nous ont depuis longtemps révélé ces relations qui, au moment de l’adolescence, se tissent entre un adulte et un jeune homme quasi imberbe29. Placés sous le signe d’Eros, ces rapports homosexuels se distinguent autant par leur asymétrie que par leur caractère passager. A travers eux, comme par l’intermédiaire de l’exercice musical et de l’éducation gymnique, le plus âgé transmet au plus jeune le savoir et les valeurs qui permettront au second de quitter le statut de l’enfant et d’accéder à celui de l’adulte. Du point de vue institutionnel, Eros prend la figure d’un véritable guide initiatique, attaché non seulement à la reproduction physique de la communauté des citoyens, mais aussi à sa perpétuation culturelle et sociale.

4. Eros orphique : le retour mystique à l’unité

Entre le rôle institutionnel joué par l’amour en Grèce classique et l’usage philosophique qu’en propose Platon, deux lignes convergent désormais pointant vers la nature du détournement opéré par l’orphisme à l’égard de la cosmothéogonie de type hésiodique. Eros-Protogonos, dont le caractère parfait et primordial est marqué par son redoublement dans la figure de l’œuf, est davantage qu’un simple agent démiurgique ; il est aussi maître initiatique. Certes, dans la cosmogonie traditionnelle déjà, il est le dieu de passage, lui qui permet la transition du duel au multiple. Mais à la perspective initiatique la secte orphique a ajouté l’orientation mystique, qu’elle a profondément inscrite dans son système cosmogonique. Car, aussi bien dans la cosmogonie de Derveni que dans le système construit dans les Rhapsodies, Zeus n’est plus le souverain garantissant l’ordre différencié et multiple auquel a conduit le processus théogonique, notamment par l’effet d’Eros. Dans la mesure où il avale Phanès-Eros et toute la création qui en dépend, d’un coup toutes les créatures retrouvent leur unité première dans la panse du roi des dieux ; et le processus se répète à la sixième et ultime génération avec Dionysos ! C’est ce Zeus unique, identique à l’univers qu’il s’emploie à réordonner, que chante l’Hymne transmis par Eusèbe : Zeus maître des dieux, Zeus tout-puissant, Zeus assise de la terre et du ciel, Zeus qui engendre toute chose, surtout Zeus aussi bien masculin que féminin, à la fois époux et épouse, Zeus-Eros aux mille charmes30.

Si les Orphiques ont bien repris à la théogonie de type hésiodique l’image généalogique de la multiplicité se développant à partir d’éléments simples, ils ont prolongé le processus en prévoyant le retour à l’unité sous l’égide de Zeus, et plus tard, de Dionysos. Par l’intermédiaire de Diotime-Socrate, Platon propose dans le Banquet un cheminement eschatologique du même type. Plus exactement, l’Eros de la cosmogonie traditionnelle est le médiateur entre le duel et le pluriel alors que dans la pensée orphique, il devient la cause directe, dans l’éclatement de l’œuf et dans la lumière qui en émane, de la différenciation à partir d’un état premier de stabilité, d’unicité, mais aussi d’obscurité et d’indistinction31. Cet effacement des dualités premières invitant à l’accouplement ainsi que l’attribution du rôle de la génération à l’unique Phanès-Eros permettent, sur la lancée mystique, d’envisager une possibilité de résorption des distinctions qu’il génère ; ils invitent au retour à l’unité fondamentale qu’incarne Eros, une fois qu’il est installé dans la panse de Zeus. On le constate, la pensée orphique a imprimé à sa cosmogonie le mouvement même qui est celui de son anthropogonie aussi bien que celui de sa pratique mystique : s’il est vrai que les hommes sont dans la légende nés des restes des Titans qui venaient d’avaler le corps de Dionysos soigneusement dépecé, ils sont appelés pratiquement — en particulier en évitant le régime carné, répétition de l’acte impie des Titans abattus par Zeus — à retrouver l’unité première ; le mystique orphique est ainsi invité, dans sa cosmogonie, dans son anthropogonie et dans sa pratique de vie, à rejoindre un état primordial, cet état de l’âge d’or qui a précédé les différentes distinctions issues de l’éclatement de l’œuf originel, cet âge premier qui est dominé par Eros dans son unicité cosmique32.

La pensée mystique grecque, en réunissant en Eros les caractères du masculin et du féminin pour le transformer en un véritable Hermaphrodite doué du pouvoir de génération, a rendu possible l’espoir d’une fusion eschatologique dans l’unité retrouvée. Mais si cette tentative orphique de surmonter les contradictions engendrées par la multiplicité et la diversité de la création prend figure érotique, c’est qu’en Grèce, Eros incarne dès le début la possibilité de la fusion tout en assumant le rôle du passage. Comme il y a détournement du rôle cosmique démiurgique d’Eros, il y a chez les Orphiques réorientation de sa fonction initiatique. Eros agit non plus seulement pour assurer la transition d’un état ancien à un état nouveau, mais encore pour permettre, dans un second passage, de retrouver l’état premier. L’institution initiatique est à son tour contestée et reformulée de l’intérieur33.

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1 Les traits constitutifs de cette image littéraire d’Eros sont tirés d’Alcm. frr. 58 et 59 (a) Page, Sapph. fr. 47 Voigt, Anacr. fr. 413 Page, Soph. Ant. 781 ss., Eur. Hipp. 525 ss.

2 Rudhardt (1986) passim.

3 Pour une tentative de définition de la spécificité du récit généalogique, voir Calame (1987) 76-79.

4 West (1983) 68-113, avec le schéma présenté p. 264. Brisson (1985) 396-413 et Casadio (1986) 298-300 ont tour à tour dénoncé les abus des anastyloses périlleuses proposées par West ; on ne peut que souhaiter que leur attrait ne les constitue pas en une norme qui se substituerait à l’accès direct aux textes…

5 Aristoph. Av. 676 ss = Orph. fr. 1 Kern. Kirk, Raven & Schofield (1983) 26-29 relèvent la forte composante hésiodique de la reconstruction par Aristophane.

6 Dans un contexte où il fait peut-être allusion à l’œuf engendré par Léda, Aristophane lui-même, dans son Dédale (frr. 193 et 194 Kassel-Austin ; cf. sch. Av. 695, p. 133 s. White) mentionne ces œufs que les poules produisent ὑπηνέμια, c’est-à-dire « poussés par le vent » ; autrement dit, des œufs produits sans qu’il y ait eu fécondation comme le précise Aristote, HA 559b 24 ss ; en GA 749a 35 ss, le même Aristote attribue à ces œufs conçus spontanément (αὐτόματα) l’appellation de ζεφύρια en ajoutant qu’ils sont produits par des oiseaux qui ne volent pas, mais qui sont particulièrement féconds ! Les lexicographes, reprenant le texte de la scholie citée, soulignent le fait que les œufs ὑπηνέμια sont produits sans qu’il y ait eu ni union, ni accouplement : cf. par exemple Suda s. vv. ὑπηνέμια (Y 424 et 425 Adler). Nos lexiques modernes ont donc tort de proposer pour ce terme la traduction « plein de vent » ; ils ont peut-être été induits en erreur par Ath. 2, 52e qui donne ce terme comme synonyme de ἀνεμιαῖος, « venteux » ; Plat. Theaet. 151e et 160e oppose en effet métaphoriquement une thèse γόνιμον, « fructueuse », à un argument ἀνεμιαῖον, « vain ». — L’œuf de Léda fut quant à lui pour le moins productif ! Harrison (1922) 648-649 rappelle que selon Paus. 3, 16, 1, l’œuf dont naquirent Hélène et les Dioscures était suspendu dans le temple Spartiate d’Hilaéira et de Phœbé.

7 Dans l’iconographie, et ceci dès l’époque archaïque, Eros, en général pourvu d’ailes, est volontiers représenté en train de voler : cf. Hermary (1986) 934-937.

8 Sch. Av. 693 (p. 133 White). Les exégèses modernes de ces vers sont citées dans l’apparat de Orph. fr. 1 Kern ; voir en dernier lieu à ce propos Schwabl (1962) 1472-1473 et Aiderink (1981) 37 et 103, n. 17.

9 Eur. Hyps. fr. 57, 20 ss + 81 Cockle. Les différentes hypothèses et reconstructions généalogiques suscitées par ces vers fragmentaires sont résumées par Bond (1963) 121-122 ; pour Cockle (1987) 170-171, qui indique que l’intégration du fr. 81 a permis de restituer avec certitude le terme ’Έρως, Phanès et Nuit seraient dans cette généalogie enfants d’Ether. La comparaison avec les cosmothéogonies présocratiques a été conduite par Lasserre (1946) 136-138. Les éléments de cosmogonie transmis par le fr. 484 Nauck2 de la Mélanippe d’Euripide sont peut-être eux aussi d’inspiration orphique : cf. Alderink (1981) 36 et 103.

10 Le texte du P. Derv. ne nous est toujours connu que par l’édition officieuse parue dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 47, 1982, 1-12 (après 300) ; description du papyrus, indications sur sa date et bibliographie chez Brisson (1985) 397-398. Ce texte pourrait d’ailleurs être issu d’un traité sur les mystères plutôt que d’un commentaire présentant exclusivement l’exégèse d’un poème orphique : cf. Burkert (1986) 1-5. Schwabl (1978) 1327-1330 relève le caractère allégorique de cette exégèse, tandis que Henry (1986) en souligne les procédures cratyliennes : cf. 149, n. 2 où sont mentionnées les recherches sur le lexique, d’origine présocratique, utilisé par le commentateur.

11 La filiation de Nuit attribuée à Ciel est déduite de la qualification d’Eὐφρονίδης qu’Ouranos reçoit dans le lemme cité col. X, 6 ; cf. ici même Tortorelli Ghidini, 249-261, à partir de la lecture d’Héracl. fr. 22 B 57 Diels-Kranz.

12 La comparaison avec le mythe de succession hésiodique a conduit les interprètes des lemmes utilisés ici (P. Derv. coll. IX, 4 et XII, 3 ss) à identifier avec Ouranos castré ce « souverain premier-né » ; le pénis avalé par Zeus serait donc celui de Ciel : cf. Alderink (1981) 52-53 et Kirk, Raven & Schofield (1983) 32-33. Mais dans la mesure même où Cronos est dit par le commentateur fils de Soleil (col. X, 3) et non pas d’Ouranos, la comparaison avec Hésiode perd sa pertinence. De plus, non seulement le commentateur semble établir une équivalence entre Ouranos, Cronos et Zeus (cf. Rusten [1986] 134-135), mais surtout la forme grammaticale du fr. cité col. XII, 3 (πρωτογόνου βασιλέως αἰδοίου) assimile le souverain, le premier-né et le pénis. La correspondance de cette expression avec un côlon métrique a toutes les chances de nous renvoyer à la procédure de description d’une divinité par juxtaposition de dénominations telle que la pratiquent les Hymnes orphiques et telle que l’analyse ici même Rudhardt, 263-289 (pour le poème commenté lui-même, voir encore col. XIII, 12 et col. XV, 10) ; tous ces termes sont donc à prendre comme des substantifs : le commentateur n’éprouve quant à lui aucune hésitation à cet égard ! Mais le terme αἰδοῖον est interprété comme un adjectif, avec son sens propre de « vénérable », par West (1983) 85-86 et par Rusten (1986) 125. — Si le pénis ingurgité par Zeus est bien celui de Soleil et que le poème procède à l’assimilation entre partie et tout que semble sous-entendre l’expression de col. XII, 3, Soleil et son pénis auraient alors dans la cosmogonie « de Derveni » la même place que l’œuf et Eros (Phanès-Eros) dans d’autres versions de la même cosmogonie. Il ne faut pas oublier que dans les Rhapsodies (frr. 62 et 172 Kern), Apollon est non seulement identifié au Soleil, mais que, comme Phanès-Eros, celui-ci est pourvu d’ailes d’or : on suivra les pistes indiquées à ce propos par Detienne (1989) 127-130 et ici même par Rudhardt, 263-289, qui renvoie notamment à HOrph. 8, 14 et 34. — Se retrouvant dans le fr. 60 Kern pour désigner le jaillissement de Phanès, mais aussi dans le texte des lamelles de Pélinna (Tsantsanoglos & Parassoglos [1987] 10) ou dans l’Hymne aux Courètes 48 et 57 ss, l’expression ἔχθορε utilisée col. IX, 4 pour désigner l’apparition de celui « qui le premier jaillit dans l’éther » est à considérer comme un terme technique mystique.

13 Orph. fr. 28 Kern = Eudem. fr. 150 Wehrli. Ce renseignement est confirmé par Aristot. Met. 1071b 26 s. (cf. aussi 1091b 5) = Orph. fr. 24 Kern. Voir à ce sujet West (1983) 116-117.

14 Orph. fr. 54 Kern ; cf. également frr. 55-59 Kern. West (1983) 176-178 reprend tout le problème (insoluble…) de l’identité d’Hiéronymus et d’Hellanicus ; on verra à ce propos les remarques critiques de Brisson (1985) 407-408 et 411-412, ainsi qu’ici même, 157-204. Les influences combinées qui marquent le résumé de Damascius sont énumérées par Brisson (1985) 394-395 ; cf. aussi ici même, 204-209.

15 Renseignements tirés successivement des Orph. frr. 60, 65, 70, 79, 73, 74, 82 et 83 Kern. Reconstruction chez Brisson (1985) 392-394 qui se fonde malheureusement sur le schéma discutable élaboré par Ramnoux (1986) 205. Brisson (ici) 157-204 montre que la présence dans la théogonie d’Hiéronymus et d’Hellanicus d’une instance supérieure à Chronos et plus ancienne que lui est l’objet d’un ajout ; il en tire argument pour affirmer le caractère plus tardif de cette version par rapport au système réélaboré dans les Rhapsodies. Voir aussi Brisson (1987) 54-69 avec une reconstitution de la séquence des six règnes se succédant après l’apparition de Chronos et de l’œuf primordial : règnes de Phanès, de Nuit, d’Ouranos, de Cronos, de Zeus et finalement de Dionysos.

16 Cf. Orph. frr. 78, 79, 81, 76, 82 et 98 Kern. Alderink (1982) 40-42 a mis en lumière le rôle sexuel joué par Eros dans ces différentes cosmogonies.

17 HOrph. 6. La collection de ces Hymnes orphiques ne saurait remonter au-delà du IIe siècle ap. J.-C. : cf. Quandt (1955) 44*. Les qualités de πτερόεις, de διφυής et de maîtrise de la création se retrouvent dans l’HOrph. 58, adressé à un Eros compagnon des mystes et par conséquent plus proche des humains. Quandt (1955) 6-7 indique les parallèles existant entre la figure hymnique de Protogonos et les traits apparaissant dans d’autres fragments orphiques.

18 Arg. Orph. 12 ss et 421 ss. Selon Vian (1987) 45-46, les Argonautiques orphiques ne devraient pas remonter au-delà du Ve siècle ap. J.-C.

19 Classé parmi les « fragmenta veteriora » par Kern (1922) 112, le vers cité et attribué à Orphée par les sch. Ap. Rhod. 3, 26 (p. 216, 17 ss Wendel) pourrait conférer à la relation de filiation entre Chronos et Eros un caractère tout de même relativement ancien ; le scholiaste compare en effet cette ascendance généalogique avec celles données par Ibycus (fr. 324 Page) et par Hésiode (Theog. 120). C’est en revanche une erreur de citer sous cette même rubrique le passage correspondant (v. 13 ss) des Argonautiques orphiques.

20 Des couples de contraires analogues font l’objet du jeu avec les lamelles d’Olbia décrit ici par Vinogradov, 77-86.

21 Hes. Theog. 116 ss ; n’étant cités ni par Plat. Symp. 178b, ni par Aristot. Met. 984a 27, les vers mentionnant Tartare pourraient être interpolés : cf. West (1966) 193-195 et Ballabriga (1986) 282-283.

22 Hes. Theog. 120 ss, 201, 125, 132 et 206. Sur les qualifications d’Eros, voir West (1966) 196-197. Bonnafé (1985) 9-23 et 30-35 a montré la complémentarité qu’établit la Théogonie entre Eros et une φιλότης comprise comme entente réciproque ; sur le sens de ce terme, voir Calame (1984) XXXI-II. Bonnafé a de plus mis en lumière le rôle d’intermédiaire assumé par Philotès (qui, active dès le début, n’apparaît néanmoins généalogiquement qu’en fin de lignée !) dans la lutte qui oppose Eros à Eris. Si, comme le relèvent d’un côté Bonnafé (1985) 25-28 et de l’autre Rudhardt (1986) 13 et 28, suivi par Vernant (1989) 153-155, la φιλότης n’assume un effet positif qu’avec l’apparition et l’intervention d’Aphrodite, il n’en reste pas moins qu’elle est représentée dès les premières unions (v. 125 : union primordiale de Nuit et d’Erèbe) ; de même en va-t-il d’Eros qui incite moins à la parthénogénèse qu’à la génération à partir de la dualité impliquée dans l’union sexuée. Une même conception d’Eros est représentée chez Eschyle, fr. 44 Radt.

23 Pherec. frr. 7 B 1, la et 3 Diels-Kranz ; Acus. frr. 9 B 1 et 3 Diels-Kranz. Pour une tentative de reconstruction de la cosmogonie de Phérécyde, cf. Ramnoux (1986) 192-202 que l’on assortira des remarques plus prudentes de Schwabl (1962) 1459-1564. On relèvera que, selon Plat. Symp. 178b = Acus. fr. 9 B 2 Diels-Kranz, chez Hésiode comme chez Acousilaos, Eros serait apparu sans être l’objet d’un processus de génération ; les interprètes sont très divisés à ce propos : cf. Schwabl (1962) 1464-1465 et Ballabriga (1986) 277.

24 Epim. fr. 3 B 5 Diels-Kranz ; cf. Schwabl (1962) 1458-1459. Parm. fr. 28 B 13 Diels-Kranz, cité par Plat. Symp. 178b et par Aristot. Met. 984b 23. L’identité de l’entité qui a créé Eros est discutée par Coxon (1986) 242-244 ; voir aussi Casertano (1988) 17-20.

25 Voir par exemple Emped. frr. 31 B 16, 17, 22 et 71 Diels-Kranz ; interprétations proposées par Bollack (1965) 97-119.

26 Long. 2, 5, 2 où Philétas présente Eros, dans un jeu de mot sur Chronos, comme « plus vieux que Cronos ». Dans son interprétation initiatique de ce roman érotique, Chalk (1960) 34-35 a relevé les échos orphiques suscités par le rôle central que ce texte assigne à Eros.

27 Plat. Symp. 211bc. A cet égard, les interprétations arithmétiques proposées par Vernant (1989) 161-165, en superposant les conceptions spéculaires de l’Alcibiade 132e ss et du Phèdre 255d avec l’anthropogonie du Timée 44cd et 73c, risquent d’induire le lecteur en erreur.

28 Sapph. fr. 198 Voigt, Simon, fr. 575 Page ; frr. cités tous deux par la sch. Ap. Rhod. 3, 26 (p. 216, 11 ss. Wendel) déjà mentionnée (supra n. 19). Cette scholie énumère encore d’autres généalogies lyriques que l’on trouvera commentées chez Lasserre (1946) 130-147. Pausanias, 9, 27, 3, ajoute que Sappho s’est elle-même fait l’écho à propos d’Eros de plusieurs généalogies contradictoires ; dans un texte qu’on a d’ailleurs tenté de corriger, la sch. Theocr. 13, l/2c (p. 258, 13 s. Wendel) indique en effet que Sappho faisait aussi d’Eros le fils d’Ouranos et d’Aphrodite ! Peut-être trouve-t-on un reflet du caractère mixte de la généalogie attribuée à Eros dans sa qualité de δαίμων ; parcours rapide à ce sujet chez Pirenne-Delforge (1989) qui oublie Orph. fr. 83 Kern. En revanche l’iconographie archaïque et classique me semble connaître d’Eros que les interventions humanisées dans le monde des hommes et des dieux olympiens : cf. Hermary (1986) 934-937.

29 Le dossier à peu près exhaustif de ces documents a été constitué par Dover (1978) 60-109, qui n’en donne malheureusement qu’une analyse insuffisante.

30 Orph. frr. 129 et 167 Kern ; fr. 168 Kern cité par Eusèbe, Praep. ev. 3, 9, 1 s., qui l’a lu chez Porphyre, Cult, simul. fr. 3 Bidez. Voir déjà l’Hymne cité par Ps. Aristot. Mund. 401a 25 (=fr. 21a Kern ; un vers en est cité par le P. Derv. col. XIII, 12) et auquel fait peut-être allusion Plat. Leg. 715c (= fr. 21 Kern), avec les parallèles mentionnées par Schwabl (1978) 1328.

31 On trouvera chez Harrison (1922) 625-629 la mention de quelques textes indiquant les valeurs d’unicité et de perfection attribuées à l’œuf dans le domaine philosophique ; Plut. Quaest. conv. 635ef signale par exemple l’interdit alimentaire qui chez Orphiques et Pythagoriciens frappait l’œuf, considéré comme principe de création (γένεσις). On notera que par leur système de juxtaposition et d’articulation incantatoire de qualifications, les Hymnes orphiques tentent à leur manière de surmonter la contradiction existant entre l’un et le multiple ; voir ici même Rudhardt, 263-289.

32 Les homologies existant entre anthropogonie orphique et βίος ὀρφιϰός ont été tracées par Detienne (1977) 163-217 et (1989) 119-122 ; cf. aussi West (1983) 140-175, et la voie mystique indiquée dans les lamelles publiées par Tsantsanoglos & Parassoglos (1987) 10, avec le commentaire proposé ici même par Graf, 87-102. La nostalgie d’un état primordial où tout était confondu en un ensemble unique (μιὰ μορφή) est sensible dans la cosmothéogonie qu’Apollonius de Rhodes, 1, 496 ss, met dans la bouche d’Orphée ; étant donné que cette version maintient Zeus dans son rôle « normal », hésiodique, de maître de l’ordre différencié, cet état, rejeté par les Orphiques, est vu comme le résultat de l’action non plus d’amour, mais de νεῖϰος, la discorde ! Sur l’influence exercée par la cosmogonie traditionnelle sur cette reconstruction d’Apollonius de Rhodes, cf. Schwabl (1962) 1470-1471 ainsi que Kirk, Raven & Schofield (1983) 42-43 qui en excluent l’ascendance orphique.

33 Le concept anthropologique de l’initiation tribale doit être dans cette mesure utilisé avec la plus grande circonspection en ce qui concerne l’initiation, ou plutôt le rite de passage mystique ; voir ici-même les contributions de Redfield, 103-117 et de Bremmer, 16-30.