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Damascius et l’Orphisme1

Luc BRISSON

Dans cette contribution, je poursuis le travail que j’ai commencé dans « Proclus et l’Orphisme »2 : dépouiller de leur gangue théorique les témoignages des Néo-platoniciens sur l’Orphisme, en repérant où se trouvent ces témoignages dans le système philosophique qui leur sert de contexte ; je fais donc pour l’Orphisme ce qu’on fait pour les « Pré-socratiques ». Puisqu’il ne reste aucun texte d’une certaine ampleur expressément reconnu comme orphique, les témoignages sur l’Orphisme se réduisent à des fragments. Aussi, pour comprendre ces témoignages, faut-il déterminer au préalable si le contexte philosophique, et même religieux, dans lequel est cité chaque fragment est de nature à en modifier le sens et la signification et si oui, jusqu’à quel point. Une recherche sur l’Orphisme ne peut se dispenser de ce travail préliminaire, sous peine de sombrer rapidement dans l’anachronisme.

1. Damascius

Chez Damascius, on trouve beaucoup moins de témoignages sur l’Orphisme que chez Proclus (cf. l’Annexe 1 pour des chiffres), ces témoignages étant par ailleurs plus difficiles à interpréter, dans la mesure où très souvent les Discours sacrés en 24 rhapsodies sont associés aux Oracles Chaldaïques3. Toutefois, alors que Proclus se concentre sur une théogonie, celles des Rhapsodies, Damascius mentionne deux autres théogonies orphiques, celle d’Eudème et celle de Hiéronymos et d’Hellanikos. Or, l’analyse des différences entre ces trois versions permet de tirer un certain nombre de conclusions et de faire un certain nombre d’hypothèses.

1.1 Sa vie4

Comme son nom le laisse supposer, Damascius était originaire de Damas (Vie d’Isidore, pp. 274. 8-9, Zintzen = Photius, Bibliothèque, cod. 242, par. 200, 348a).

On situe maintenant la date de sa naissance aux alentours de 462 apr. J.-C. Vers 479-480, Damascius étudia la rhétorique à Alexandrie sous un certain Théon, et cela pendant trois ans. Il fréquenta aussi le cercle des Platoniciens d’Alexandrie qui comptait notamment Aidésia, la veuve d’Hermias, ses deux fils, Ammonius et Héliodore, Asclépiodote et sa famille, et surtout Isidore qui exerça une forte influence sur lui. Ces relations lui permirent de devenir un témoin indirect, mais privilégié, des dernières années de Proclus et surtout des péripéties auxquelles donna lieu sa succession, qu’assuma Marinus.

Vers 482-483, à l’âge de 20 ou 21 ans, Damascius partit pour Athènes, où il alla enseigner la rhétorique. Tout porte à croire que, dès son arrivée à Athènes, Damascius prit contact avec l’Ecole platonicienne. A l’approche de la trentaine, vers 491-492, il abandonna la carrière de professeur de rhétorique, et, sous la direction de Marinus, qui avait succédé à Proclus en 485, il se mit à l’étude de la géométrie, de l’arithmétique et des autres sciences qui devaient servir de propédeutique à la vraie philosophie. En philosophie, il suivit les cours de Zénodote, « l’élève chéri » de Proclus.

L’état de santé de Marinus, qui n’était pas bon, périclita, si bien que Damascius se vit confier la mission de se rendre à Alexandrie auprès d’Isidore pour le ramener à Athènes en vue de lui faire accepter la succession de l’Ecole qu’il avait une première fois refusée au profit de Marinus. Isidore finit par accepter et fut élu diadoque. Mais, peut-être déçu par l’état de décadence dans lequel était tombée l’Ecole d’Athènes, il ne tarda pas à regagner Alexandrie. Zénodote devint alors diadoque, et Damascius repartit pour Alexandrie, où il suivit les cours d’Ammonius et d’Héliodore. Après un laps de temps impossible à évaluer, Damascius revint à Athènes pour succéder à Zénodote.

Damascius, qui s’employa à pérenniser l’école de Platon et à immortaliser la mémoire d’Isidore, rénova l’Ecole d’Athènes et produisit une œuvre importante. L’ampleur de la tâche laisse supposer que Damascius resta assez longtemps diadoque. Et, comme sa carrière prit fin en 529 sous l’effet des mesures de Justinien qui interdisaient tout enseignement aux hérétiques, aux juifs et à ceux qui étaient « malades de la folie des hellènes impies » (Codex Justinianus I, 5, 18, par. 4, éd. Krüger, p. 57), on ne peut guère repousser sa nomination au-delà de 515.

Les décrets de Justinien ne faisaient que rendre officielle une situation d’exclusion dont étaient victimes depuis longtemps déjà les philosophes païens. Mis dans l’impossibilité d’enseigner la philosophie à Athènes, Damascius s’exila en Perse, avec d’autre Néoplatoniciens. Mais, déçus par les mœurs du pays et par Chosroès, dont la réputation de roi-philosophe leur parut surfaite, les philosophes demandèrent et obtinrent de rentrer à la fin de 532. Chosroès exigea de Justinien leur sauvegarde à leur retour et le droit de passer le reste de leurs jours en toute liberté de pensée, mais sans se livrer à une activité d’enseignement, semble-t-il.

Peut-être Damascius regagna-t-il son pays d’origine5 : on ne sait ni où ni quand il mourut6.

1.2. Son œuvre7

Simplicius (In phys., CAG IX, pp. 624.37-625.3 Diels) dépeint la personnalité de son maître, en soulignant sa passion de la recherche, son acharnement au travail, son indépendance de jugement qui, avec son penchant pour la pensée de Jamblique, l’amena à reconsidérer nombre d’opinions de Proclus.

On peut répartir les œuvres de Damascius en trois groupes.

a) Le premier groupe comprend les œuvres que nous ne connaissons que par des références ou des allusions, faites par Damascius lui-même dans ses autres œuvres. Il n’en sera pas question ici.

b) Le deuxième groupe comprend des œuvres que nous connaissons à partir d’autres auteurs par des extraits plus ou moins longs ou par de simples indices. De ce groupe, seule est pertinente pour notre propos La Vie d’Isidore8, qui ne nous est connue que par des notices de Photius (Bibliothèque, cod. 181, cod. 242) et des extraits conservés dans la Souda. Cet ouvrage, qui aurait été écrit après 517 et avant 5269 et qui est dédié à Théodora, disciple de Damascius et d’Isidore, se présente moins comme une biographie intellectuelle que comme une histoire de l’Ecole néo-platonicienne d’Athènes, depuis la fin du IVe siècle.

c) Le troisième groupe comprend les œuvres connues dans leur quasi-totalité, les unes à travers la rédaction de quelques disciples, les autres dans la rédaction de Damascius lui-même.

— Le Commentaire sur le Phédon10

Le Commentaire sur le Phédon se compose en fait de deux relevés de cours donnés par Damascius sur ce dialogue de Platon. Les deux séries de notes sont dues à des étudiants différents et rapportent des cours donnés à des époques différentes, mais sans doute à partir d’un même cours de base. La deuxième version est deux fois et demie moins longue que la première qui contient une Monographie de Damascius sur l’argument des contraires dans la démonstration de l’immortalité de l’âme. Par ailleurs, Olympiodore, rédigea son propre Commentaire sur le Phédon11 en ayant sous les yeux une troisième version du commentaire de Damascius, différente des deux autres ; voilà pourquoi on ne peut établir une distinction nette entre le commentaire d’Olympiodore et ceux de Damascius sur le Phédon.

— Le Commentaire sur le Philèbe12

Les notes qui rapportent les leçons de Damascius sur le Philèbe sont dues à l’auditeur qui a consigné par écrit la deuxième version du commentaire sur le Phédon.

— Le Traité des Premiers principes13

Le Traité des Premiers principes et le Commentaire sur le Parménide sont les deux œuvres les plus importantes de Damascius. En raison de leur présentation matérielle — dans les manuscrits, les deux œuvres se trouvent l’une à la suite de l’autre — et en raison de leur contenu, la question se pose de savoir si ces deux œuvres sont réellement distinctes.

Le Traité des premiers principes n’est pas un commentaire, mais un travail de pure spéculation et de libre recherche, dont la démarche ne suit pas l’ordre imposé au préalable par un texte commenté. Mais cette distinction réelle, qui se fonde sur la nature et sur la méthode de l’ouvrage, ne peut cacher la profonde cohérence de l’ensemble du projet en général. Le Traité des premiers principes compense l’absence d’un commentaire de la première hypothèse dans le Commentaire sur le Parménide. Tout porte donc à croire que Damascius a estimé qu’il avait suffisamment examiné cette première hypothèse, en traitant de l’ineffable et de l’un dans le Traité des premiers principes.

De façon très générale, on peut dire que le Traité des premiers principes a pour objet la recherche des fondements de toute procession, puisqu’il s’interroge sur la possibilité de dire ces fondements, et donc de découvrir le fondement de tout fondement. Cette entreprise suit un ordre dégressif. 1) Elle commence par aborder la question des principes les plus élevés : l’ineffable et l’un (De princ., par. 1-42, Ruelle I, pp. 1.1-86.2 = Combès-Westerink I). 2) Puis l’interrogation se prolonge en un examen des principes qui modalisent l’un : l’un limitant, la pluralité illimitée, l’unifié. (De princ., par. 43-89, Ruelle I, pp. 86.3-220.22 = Combès-Westerink II). 3) Le traité aborde ensuite les problèmes que pose la procession de l’unifié identifié à l’intelligible, et la question des rapports entre les différentes théologies et la philosophie (De princ., par. 90-125, Ruelle I, pp. 220.23-324.15) avant de se clore sur une discussion consacrée à la participation (De princ. par. 126, Ruelle II, pp. 1.1-4.8 = Combès-Westerink III).

— Le Commentaire sur le Parménide

Le Commentaire sur le Parménide vient s’inscrire dans la problématique définie dans le Traité des premiers principes, qui poursuit la discussion sur la participation (In Parm., par. 127-138, Ruelle II, pp. 5.1-17.20).

— La deuxième hypothèse s’ouvre en effet sur la première triade intelligible qui, selon Proclus, se compose de l’un, de la puissance et de l’être et à laquelle correspond, selon Damascius, la triade de l’unifié : un, non-un, unifié. Puis, des ordres intelligibles, intelligibles-intellectifs, intellectifs, on descend aux ordres hypercosmiques, hypercosmiques-encosmiques, encosmiques jusqu’aux âmes universelles, démons et héros (In Parm., par. 139-396, Ruelle II, pp. 17.21-245.30).

— L’objet de la troisième hypothèse, c’est, selon Damascius, l’âme humaine (In Parm., par. 397-415, Ruelle II, pp. 246.1-273.11).

— La quatrième hypothèse décrit, elle, les formes matérielles que l’âme peut projeter dans le devenir. Non encore mélangées à la matière, ce qui permet de les distinguer des formes sensibles, les formes matérielles attendent d’être reçues en elle (In Parm., par. 416-423, Ruelle II, pp. 273.12-280.27).

— L’objet de la cinquième hypothèse est la matière, en tant que principe qui se retire en deçà de toute forme et de toute détermination (In Parm., par. 424-431, Ruelle II, pp. 280.28-289.4).

— La sixième hypothèse traite de l’un-non-être relatif du phénomène qui se compose de la matière et des formes matérielles (In Parm., par. 432-440, Ruelle II, pp. 289.5-309.29).

— L’objet de la septième hypothèse est le principe de l’impossible de l’un, sur le mode purement imaginaire de son annulation absolue (In Parm., par. 441-447, Ruelle II, pp. 310.1-314.5).

— La huitième hypothèse porte sur les « autres » de l’un-non-être qu’est le phénomène (In Parm., par. 448-454, Ruelle II, pp. 314.6-318.26).

— Enfin, l’objet de la neuvième hypothèse est le principe de l’impossible des « autres » de l’un, sur le mode purement imaginaire de leur annulation absolue (In Parm., par. 455-460, Ruelle II, pp. 318.27-322.11).

1.3. Sa doctrine14

Damascius reprend, dans ses très grandes lignes, le système métaphysique élaboré par Syrianus dans le cadre de l’Ecole d’Athènes, et auquel Proclus donna sa forme la plus achevée.

Mais Damascius ne répète pas Proclus. Son esprit hypercritique, qui multiplie à l’extrême apories et solutions, en donnant souvent l’impression de ne multiplier les difficultés que pour mieux les vaincre, l’amène à reconsidérer nombre d’opinions de Proclus.

S’inspirant sur ce point de Jamblique notamment, Damascius fait preuve d’originalité essentiellement lorsqu’il donne en quelque sorte à l’un un principe, l’ineffable, lequel est totalement enseveli dans un abîme de silence. Bien que sorti de l’ineffable, l’un demeure au plus près de lui. Mais, en se retirant de toute distinction, l’un se projette en-deçà de lui en trois principes hénadiques : l’un-tout, le tout-un et l’unifié. Par ailleurs, Damascius est le seul Néo-platonicien à prolonger la procession à travers les hypothèses négatives du Parménide : elles constituent la structure du sensible.

A partir de là, Damascius reste fidèle, sur ses points essentiels, au système de Proclus. Voici donc un exposé schématique du système métaphysique de Damascius :

l’ineffable

l’un

les principes hénadiques : un-tout, tout-un, unifié

l’intelligible = l’unifié lui-même dans ses trois ordres :

— l’être intelligible,

— la vie intelligible,

— l’intellect intelligible

l’intelligible-intellectif

l’intellectif

l’hypercosmique

l’hypercosmique-encosmique

l’encosmique

les âmes universelles

les âmes intellectives : démons, anges, héros

les âmes partielles : hommes, bêtes

les formes matérielles

les formes sensibles

les images ou simulacres des formes sensibles

la matière

Voilà donc le cadre dans lequel Damascius va, tout comme Proclus d’ailleurs, chercher à distribuer les divinités orphiques.

2. Le système philosophique de Damasciuset la théologie orphique

Alors que, pour le moyen Platonisme, le Timée était le texte de référence, c’est au Parménide et plus spécialement à sa seconde partie que revint cet honneur dans le Néo-platonisme15. Cela dit, les Néoplatoniciens considéraient la seconde partie du Parménide comme un véritable traité de théologie, en interprétant l’œuvre de Platon plus généralement comme une « écriture sainte » qui devait dire la même chose que toutes les autres « écritures saintes », celle d’Orphée et celle des Chaldéens notamment.

2.1. Le contexte théorique et scolaire

Etant donné ces présupposés théoriques, le philosophe avait pour tâche de montrer comment le système philosophique qu’il avait élaboré correspondait, jusque dans ses moindres détails, aux différentes théologies. Cet axiome, Damascius le formule de façon tout à fait explicite lorsque, dans son Traité des premiers principes, il aborde le niveau de l’intelligible : « Mais, puisque nous avons enfin, non sans peine, mené à terme les questions précédentes (= celles sur l’intelligible), examinons maintenant les positions des anciens théologiens, et voyons comment elles peuvent correspondre aux doctrines philosophiques qui viennent d’être expliquées… » (De princ., Ruelle I, par. 111, pp. 284.22-285.1, Combès-Westerink III, pp. 108.16-19).

Plus concrètement, dans le milieu néo-platonicien d’Alexandrie, où Damascius fut initié à la philosophie, la religion sous toutes ses formes tenait une place très importante ; ce qui était aussi le cas dans l’Ecole d’Athènes16.

Isidore, qui avait été le disciple de Proclus et le maître de Damascius, et qui devint diadoque de l’Ecole d’Athènes après la mort de Marinus, se trouvait en relation avec deux frères, philosophes profondément religieux, Héraïscus et Asclépiade. Après avoir raconté plusieurs prodiges concernant Héraïscus, Damascius, dans sa Vie d’Isidore, conclut : « Proclus reconnaissait, dit-on, que Héraïscus lui était supérieur, car ce qu’il savait lui-même, Héraïscus le savait aussi, mais ce que l’autre savait, Proclus l’ignorait. » (Vie d’Isidore, par. 107, p. 148.7-8, Zintzen = Photius, Bibliothèque, cod. 242, par. 107, 343a, trad. R. Henry). Quant à Asclépiade, toujours selon Damascius, il fut l’auteur d’ouvrages sur l’histoire et la religion ; et notamment « il entreprit d’écrire sur l’accord général entre toutes les théologies » (Souda, sv. Ἡραΐσϰος, t. II, p. 580.5-6, Adler).

Parmi les amis alexandrins d’Isidore, il faut aussi compter Sarapion et Asclépiodote. Sarapion, un ascète peu attiré par les subtilités de la philosophie, ne possédait et ne lisait que très peu de livres, parmi lesquels se trouvaient les poèmes d’Orphée ; sur les questions orphiques, c’est Isidore qu’il consultait en raison de la compétence de ce dernier en la matière (Souda, s.v. Σαραπίων, t. IV, p. 324.17-28 Adler). Pour sa part, Asclépiodote, qui fut le disciple de Proclus et qui aurait servi de pédagogue à Isidore, faisait passer la philosophie après l’étude de la nature et surtout après l’observance religieuse. D’où ce jugement peu flatteur de Damascius : « Asclépiodote n’était pas, sous le rapport des dons naturels, un homme accompli ; ainsi en ont jugé la plupart des gens ; en revanche, il était prompt à objecter, mais non très vif pour comprendre et il manquait de suite dans les idées, notamment en ce qui concerne les notions relatives au domaine divin qui sont invisibles et intelligibles et qui sont les données par excellence de la pensée de Platon. Et vis-à-vis de la sagesse sublime de l’orphisme et du chaldaïsme qui dépasse le niveau de la philosophie ordinaire, sa faiblesse était encore plus accusée » (Vie d’Isidore, par. 126, p. 170.1-6, Zintzen = Photius, Bibliothèque, codex 242, 344a-b, trad. R. Henry). La suite de cette notice est moins négative, cependant.

Enfin, il est à noter qu’Ammonius, le fils d’Hermias, que Damascius connut aussi à Alexandrie, devait partager sur ce point au moins les idées de son père qui avait voulu démontrer que la doctrine de Platon s’accordait avec celle d’Orphée ; la chose est d’autant plus naturelle que ses disciples, Simplicius, Philopon et Olympiodore, adoptèrent une attitude similaire.

2.2. L’accord entre la théologie de Platon et les théologies orphiques

Comme Proclus et Syrianus l’avaient fait avant lui, Damascius va mettre en parallèle la théologie orphique et la « théologie » platonicienne. En ce domaine, le témoignage de Damascius présente un double intérêt. 1) Damascius est le seul Néo-platonicien à faire mention de trois versions différentes de la théogonie orphique : celle des Discours sacrés en 24 rhapsodies bien sûr, car il s’agit là de la version courante, mais aussi celle d’Eudème antérieure à celle-là et celle de Hiéronymos et d’Hellanikos, postérieure. 2) Et en ce qui concerne les Rhapsodies, le témoignage de Damascius permet une comparaison avec celui de Proclus et celui d’Olympiodore.

2.2.1. Les discours sacrés en 24 rhapsodies (OF 60-235)

La plupart des citations faites par Damascius viennent de la version courante (De princ., Ruelle I, par. 123, p. 317.13-14 = Combès-Westerink III, pp. 160.16), celle des Discours sacrés en 24 rhapsodies. Damascius est beaucoup plus allusif que Proclus (cf. Annexe I), probablement parce qu’il s’adresse à un auditoire averti, plusieurs décennies de familiarité avec les Rhapsodies ayant rendu possible une compréhension à demi-mot dans l’Ecole néo-platonicienne ; et surtout un témoignage sur l’Orphisme est la plupart du temps associé à un témoignage sur les Oracles chaldaïques. Or, Damascius insiste plus sur les Oracles chaldaïques que sur les Rhapsodies : peut-être exprime-t-il là une préférence, qui était déjà celle de Proclus (Marinus, Vie de Proclus, chap. 27) ? Les caractères que présente le témoignage de Damascius sur les Rhapsodies sont précisément ceux que devait présenter l’ouvrage de Syrianus intitulé : L’accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles chaldaïques, dont, on peut le penser, les marges devaient être remplies par les commentaires de Proclus17. Tout cela pourrait bien trahir la source de Damascius.

Dans cette version, le principe primordial est Chronos (= le Temps) (OF 66, 70).

De Chronos, naissent Ether et Chasma (= Chaos) (OF 66). Puis, dans l’Ether, Chronos fabrique un œuf d’une blancheur éclatante (OF 70), dont sort un être extraordinaire aux multiples noms. Il s’agit d’un être double. Doté de deux paires d’yeux (OF 76), cet être est pourvu des deux sexes (OF 81, 98) placés en haut des fesses (OF 80). Et, en plus d’avoir des ailes sur le dos (OF 78), il est affublé de têtes de plusieurs animaux (OF 79), et notamment des quatre suivants : le lion, le bélier, le taureau et le serpent (OF 81). Comme son apparence, son nom est multiple. On l’appelle tout d’abord Phanès (= celui qui apparaît, celui qui fait apparaître), parce que, radieux, il fait apparaître toutes choses en apparaissant. On l’appelle aussi Eros. Parfois uni à Phanès en tant qu’épithète, parfois indépendant, on trouve Protogonos (= le Premier né), comme autre nom de Phanès. On l’appelle encore Métis (= l’intelligence pratique). Car, en tant que générateur de toutes choses, Phanès doit être Providence et, par suite, faire preuve, dans le gouvernement de l’univers, d’intelligence pratique. Bien plus, puisqu’il sera avalé par Zeus, Phanès s’apparente à cette Métis que, dans la Théogonie d’Hésiode, Zeus avale, permettant ainsi l’engendrement et la naissance d’Athéna. Enfin, on l’appelle Eriképaios, nom dont il est impossible de déterminer l’étymologie.

Avec cet être à l’apparence et au nom multiples, la Nuit entretient des rapports complexes : en effet, elle est à la fois sa mère (OF 106), son épouse et sa fille (OF 98). Ce triplement de la figure féminine primordiale peut s’expliquer ainsi. Etant toutes choses et possédant les deux sexes, c’est avec la partie féminine de lui-même que Phanès se trouve en relation de toutes les façons possibles. Or, c’est à la Nuit, sa fille-épouse, qui est aussi sa mère, que Phanès transmet le sceptre (OF 101) pour le second règne.

Le troisième appartient à Ouranos couplé avec Gaia, qu’enfante la Nuit (OF 109).

Puis vient l’histoire de Kronos, couplé avec Rhéa, et qui châtre son père Ouranos, pour les mêmes raisons et de la même façon que dans la Théogonie d’Hésiode (OF 127).

Mais, avec Zeus, la théogonie orphique s’écarte de celle d’Hésiode et prend un nouveau départ ; elle se prolonge en une cosmogonie. En effet, Zeus avale Phanès. Ainsi devenu principe primordial, il reconstitue les dieux et constitue le monde (OF 167, 168). Et, puisque maintenant il s’identifie à Phanès, cet être bisexué (OF 168) entretient avec Déméter (= Mère de Zeus), les mêmes rapports que Phanès avec la Nuit. Comme mère de Zeus, Déméter s’appelle Rhéa et comme son épouse-fille, elle s’appelle Koré. C’est en effet à Koré que s’unit Zeus pour engendrer Dionysos, à qui, alors qu’il n’est encore qu’un enfant, il transmet la souveraineté (OF 207, 208).

Jaloux, les Titans, avec des jouets, attirent Dionysos dans un guetapens. Ils le tuent, le découpent en morceaux et, après avoir mis en œuvre une cuisine qui inverse celle du sacrifice traditionnel en Grèce ancienne, le mangent. Ayant appris la chose, Zeus, en colère, les frappe de sa foudre.

Et, de la suie que déposent les vapeurs qui s’étaient élevées des Titans, comme le raconte Olympiodore et comme le laissent entendre Damascius et Proclus, naissent les hommes dont la constitution est double : une part de leur être vient de Dionysos, et une autre des Titans qui l’ont ingurgité (OF 210).

Par ailleurs, Zeus confie ce qui reste des membres de Dionysos à Apollon qui va les enterrer sur le mont Parnasse (OF 209, OF 211). Mais Athéna a réussi à sauver le cœur, toujours palpitant ; elle l’a mis dans un coffre et l’a apporté à Zeus, qui a redonné vie à Dionysos (OF 210). Aussi Dionysos continue-t-il de partager, comme avant, le pouvoir avec Zeus.

Et, comme Dionysos est aussi appelé Zeus, Eriképaios, Métis, Protogonos, Eros et Phanès, tout peut recommencer (OF 170).

Un certain nombre d’indices permettent de supposer que les Rhapsodies furent composées, à partir de versions antérieures, vers la fin du Ier ou au début du IIe siècle apr. J.-C. L’argument majeur en faveur de cette datation réside dans cette constatation : aucun témoignage sur Chronos, la figure mythique qui, précédant la Nuit, permet de distinguer la version ancienne de la théogonie orphique de celle des Rhapsodies (et tout naturellement de celle de Hiéronymos et d’Hellanikos), ne remonte plus haut que la seconde moitié du IIe siècle apr. J.-C.18. Or, l’introduction de cette figure résulterait d’une influence sur l’Orphisme du Mithriacisme, qui, si on en croit les spécialistes19, fut introduit dans l’Empire romain au début de l’ère chrétienne.

Une telle datation permet d’expliquer pourquoi, dans les Rhapsodies, on décèle des traces d’allégories stoïciennes, et pourquoi on y sent une influence néopythagoricienne (importance accordée au nombre, cf. 2.2.1.3.3.), et même médio-platonicienne (double création20, triades divines). On comprend dès lors que les Néoplatoniciens n’aient pas eu trop de mal à y retrouver une préfiguration de leur système.

Or, lorsqu’il évoque cette version, pour la mettre en rapport avec les textes de Platon, Damascius adopte une position qui correspond tout à fait à ce qu’on trouve chez Proclus.

2.2.1.1. L’un

Comme Proclus, Damascius assimile Chronos à l’un (De princ., par 50, Ruelle I, p. 100.19-20 = Combès-Westerink II, p. 24.7-9 = OF 66)

2.2.1.2. Les hénades

L’un-tout, qui correspond au limitant chez Proclus, est analogue à l’Ether (De princ., par. 50, Ruelle I, p. 100.19-20 = Combès-Westerink II, p. 24.7-9 = OF 66 ; In Parm., par. 189, Ruelle II, p. 65.14-19 = OF 84) ; le tout-un, qui correspond à l’illimité chez Proclus, est analogue au Chaos (De princ., par. 50, Ruelle I, p. 100.20 = Combès-Westernik II, p. 24.7-9 = OF 66) ; l’unifié, qui correspond au mixte ou à l’être chez Proclus, est analogue à l’Œuf (De princ., par. 55, Ruelle I, pp. 111.7-112.3 = Combès-Westerink II, p. 40.15-16 = OF 70). Il en est donc comme chez Proclus. Mais, tandis que, pour Proclus, l’être ou l’intelligible n’est pas une hénade et qu’il n’est divin que par participation aux hénades du limitant et de l’illimité, pour Damascius, l’unifié est une hénade, et, de ce fait, l’intelligible est unitaire ou divin par essence : c’est le troisième dieu. Il se produit comme tel par constitution à partir de l’un-tout et du tout-un, qui peuvent donc être considérés comme antérieurs à lui, mais qui lui sont aussi intérieurs, comme ses principes constitutifs, principes qui, par lui et à travers lui, sont aussi constitutifs de toutes choses (De princ., par. 48, Ruelle I, pp. 95.17-96.25 = Combès-Westerink II, pp. 17.3-18.25).

2.2.1.3. L’intelligible, l’intelligible-intellectif, l’intellectif (Damascius, De princ., par. 112, Ruelle I, p. 289.18 = Combès-Westerink III, p. 115.14 — In Parm., par. 319, Ruelle II, p. 186.2)

En prenant bien soin de ne pas redoubler l’unifié par l’intelligible, ni l’intelligible par l’unifié, puisque, pour Damascius, l’intelligible et l’unifié sont identiques, nous pouvons, pour la commodité de l’exposé, reprendre le schéma proclien des dieux « transcendants » : intelligibles, intelligibles-intellectifs et intellectifs, schéma que Damascius a lui-même adopté.

2.2.1.3.1. Les dieux intelligibles (Damascius, De princ., par. 123, Ruelle I, p. 316.10 = Combès-Westerink III, p. 159.6 — In Parm., par. 138, Ruelle II, p. 17.20)

Pour nous en convaincre, relisons la notice que Damascius consacre aux premiers dieux de la théogonie, qu’on trouve dans Les discours sacrés en 24 rhapsodies, ces dieux qu’il met en rapport avec les triades de l’intelligible :

Ainsi donc, dans ces Rhapsodies, rapportées comme orphiques, la théologie qui concerne l’inteliigible est à peu près telle que voici, dans l’interprétation qu’en donnent aussi les philosophes (= Syrianus et Proclus)21.

Ils mettent Chronos à la place de l’unique principe du tout ; ils mettent l’Ether et le Chaos à la place des deux principes ; ils conjecturent que l’Œuf est à la place de l’être pur, et, en guise de triade, ils considèrent celle-ci comme première.

Dans la deuxième triade, ils mettent comme dernier terme ou bien l’Œuf conçu et l’Œuf concevant le dieu22, ou bien la Tunique blanche, ou bien la Nuée, en ce que d’eux s’élance Phanès (car au sujet du terme moyen ils philosophent tantôt d’une façon tantôt d’une autre). C’est cela, sans doute, (Œuf, Tunique, ou Nuée), peu importe lequel, qu’ils conçoivent comme l’intellect, mais, en guise de père ou de puissance, ils inventent certaines autres choses qui n’ont rien à voir avec Orphée.

Quant à la troisième triade, ils la constituent de Métis comme intellect, d’Eriképaios comme puissance, de Phanès lui-même comme père. Et peut-être doit-on poser aussi la triade moyenne selon le dieu trimorphe qui est encore en formation dans l’Œuf ; en effet, le moyen est toujours représenté avec les deux extrêmes ensemble, de sorte aussi qu’il est à la fois l’Œuf et le dieu trimorphe. Et tu vois que l’Œuf et l’unifié, que le dieu trimorphe et, en réalité, polymorphe est le distingué de l’intelligible, que l’intermédiaire, en tant qu’il est l’Œuf, est encore unifié, et, en tant qu’il est le dieu, est déjà distingué, mais que, dans sa totalité, pour parler ainsi, il est en train de se distinguer. Telle est sous sa forme courante la théologie orphique. (De princ., par. 123, Ruelle I, pp. 316.18-317.14 = Combès-Westerink III, pp. 159.17-160.16).

Voici comment on pourrait se représenter ce que Damascius veut dire.

— Les dieux intelligibles se distribuent en trois triades.

(père)(puissance)intellect
1. [Esther][Chaos]Œuf= être
2. 1 ? ?Œuf conçu et
œuf concevant,
[Tunique blanche]= vie
[Nuée]
3. PhanèsEriképaiosMétis= intellect

Comme on peut le constater, la situation et la signification des deux premières triades restent très problématiques. Seule la triade verticale semble avoir été fixée, exception faite du terme médian. Le problème résulte du fait que le système néo-platonicien suppose l’existence d’une triade, alors que les Rhapsodies racontent que Phanès sort directement de l’Œuf. Cela dit, on pourrait expliquer ainsi pourquoi le terme médian est appelé « Nuée » : dans la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos (cf. 2.2.2.), Ether et Chaos forment une triade avec Erèbe qualifié de « nébuleux ». On aurait donc pu faire de cette réalité nébuleuse, dans laquelle Chronos dépose l’Œuf et dont va jaillir Phanès, le terme médian de la première triade intelligible (cf. la n. 22). Mais tout cela n’est qu’hypothèse.

On trouve très peu de choses ailleurs sur chacun des dieux mentionnés. Métis est présentée comme le « premier dieu » et surtout comme « celui qui porte la semence des dieux » (De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.13-20 = Combès-Westerink II, p. 34.8-21 = OF 85 ; par. 89, Ruelle I, p. 217.26-27 = Combès-Westerink II, p. 210.10 = OF 85). En tant que « celui qui porte la semence des dieux », Mètis est associée au glorieux Eriképaios (De princ., par. 98, Ruelle I, pp. 251.18-252.3 = Combès-Westerink III, p. 55.15 = OF 85). Et, en tant que « premier », elle est associée à Protogonos, le « Premier né » (De princ., par. 111, Ruelle I, p. 286.15-20 = Combès-Westerink III, p. 111.1-9 = OF 85). Le changement de genre, ne doit pas surprendre, car toutes ces divinités sont bisexuées et peuvent donc être dites « père » et « mère » de tout ce qui suit (In Parm., par. 202, Ruelle II, pp. 84.28-85.2 ; par. 209, Ruelle II, p. 92.22-27 ; par. 244, Ruelle II, pp. 115.24-116.6 = OF 98). Enfin, étant donné sa position, Phanès, dieu lumineux, qui projette les rayons les plus éblouissants (In Parm., par. 133, Ruelle II, p. 12.9-14 = OF 86), est la première divinité que contemplent les dieux intellectifs (De princ., par. 113, Ruelle I, p. 291.18-22 = Combès-Westerink III, pp. 118-21-119.3 ; In Parm., par. 133, Ruelle II, p. 12.9-14 = OF 86), sur lesquels il fait tomber cette « pluie » qu’est l’intelligible (In Parm., par. 189, Ruelle II, p. 65.14-19 = OF 84).

2.2.1.3.2. Les dieux intelligibles et intellectifs (Damascius, In Parm., par. 191, Ruelle II, p. 67.11 — par. 263, Ruelle II, p. 130.2)

Damascius est beaucoup plus discret sur les dieux intelligibles et intellectifs, qui devraient eux aussi comprendre trois triades.

La première triade est constituée par les trois Nuits (In Parm., par. 190, Ruelle II, p. 67.8-10 = OF 108 ; In Parm., par. 192, Ruelle II, p. 69.20-33 = OF 99 ; In Parm., par. 213, Ruelle II, p. 95.6-9 = OF 100). Les trois Nuits correspondent au « lieu supracéleste » du Phèdre (246e4-248c2) et au « nombre en soi » du Parménide (143a4-145b5).

Le caractère féminin du « lieu supracéleste » est déduit du fait que, comme « lieu », cette réalité s’apparente à la matière, réceptrice des causes et « lieu » des formes, qui est aussi qualifiée de « mère » et de « nourrice » (Proclus, Théol. plat. IV 10, pp. 33.17-34.23). On notera que Damascius reconnaît le caractère exceptionnel de ce règne féminin, mais pour en atténuer aussitôt la portée :

En outre, Orphée accouple la Nuit à Phanès comme mâle. En outre, les Oracles appellent les ἴυγγες « puissances paternelles ». Les dieux aussi nous enseignent qu’elles possèdent aussi le caractère paternel, comme le fait également Orphée, s’il est vrai que la Nuit, seule des divinités féminines, règne, et elle ne régnerait pas si elle ne possédait pas aussi par elle-même quelque chose de masculin, et si, par là, elle n’était pas co-ordonnée aux rois mâles. Car nulle part le féminin, en tant que féminin, ne commande. (In Parm., par. 209, Ruelle II, p. 92.22-27, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

En fait, Phanès est uni à la Nuit ou plutôt aux trois Nuits, comme à la part féminine de lui-même (In Parm., par. 244, Ruelle II, p. 116.2-6).

Par ailleurs, ce lieu supracéleste, Damascius le décrit à la fois négativement et positivement à la façon de ses prédécesseurs, notamment Proclus. Le « sans couleur », le « sans figure » et le « sans contact » constituent les attributs négatifs de cette réalité. Mais il existe une théologie positive du « lieu supracéleste », qui comprend une triade de divinités respectivement appelées : Science, Sagesse, Justice. De plus, à la suite de Syrianus, Proclus mettait en rapport cette triade avec celle du « nombre en soi », dont il s’employait à démontrer le caractère féminin (Théol. plat. IV, 30, 89.10-12). Or, il semble bien que Damascius fasse allusion à cette exégèse dans un long passage particulièrement obscur (In Parm., par. 213, Ruelle II, pp. 94.18-95.18), dont une partie a été évoquée plus haut.

Damascius n’évoque la seconde triade, celle du Ciel (= Ouranos), que de façon très allusive, en citant le fragment d’un vers des Rhapsodies qui, jouant sur l’étymologie, associe le nom propre Ouranos au nom commun οὖρος (inspecteur) :

De même l’Ouranos d’Orphée veut être « l’Inspecteur (οὖρος) et le gardien de tout »

(In Parm., par. 257, Ruelle II, p. 125.24 = OF 113)

Sur la troisième triade, celle des Cent-mains (= les Hécatonchires), on ne trouve rien que Damascius rapporte expressément aux Rhapsodies. Toutefois, ce qu’il dit de la triade des « télétarques » des Oracles Chaldaïques peut être appliqué mutatis mutandis à la triade des Hécatonchires (In Parm. II, par. 252-263, Ruelle II, pp. 122.3-130.2).

2.2.1.3.3. Les dieux intellectifs (Damascius, In Parm., par. 264, Ruelle II, p. 130.3 — par. 319, Ruelle II, 186.2)23

Pour Proclus, que suit Damascius, l’intellectif, c’est-à-dire le plan de l’intellect, se compose de deux triades et d’une monade :

Néanmoins, une fois cet enseignement reçu des dieux, il n’y a rien d’absurde à concevoir quelque chose qui soit davantage de l’ordre humain, dès lors que l’on fait parfaitement confiance aux enseignements des dieux et des hommes divins (= les théurges).

Plaçons-nous d’abord au point de vue du nombre : la procession ayant procédé d’une monade vers une triade, puis s’étant convertie vers une monade, devient alors une hebdomade ; et effet, l’intellect ayant procédé à partir de l’intelligible et s’étant converti vers lui, devient alors un intellect uni à l’intelligible, ce qui fait : une monade, une dyade, une triade ; ensuite, redevenu monade, l’intellect fait venir à l’existence l’hebdomade.

Plaçons-nous ensuite au point de vue des réalités : il aurait sans doute fallu que les dieux intellectifs aussi procédassent d’une manière triadique pour que leur procession divisée en commencement, milieu et fin, fût aussi parfaite, étant donné que cette propriété a déjà été révélée (Parm. 145a4-b5) ; mais, parce que ce degré d’être allait arriver à proximité de la matière, se sont interposés les dieux « implacables » qui fournissent aux dieux intellectifs une puissance d’inflexibilité par rapport aux êtres inférieurs (et ces dieux aussi sont au nombre de trois, puisque les dieux intellectifs sont au nombre de trois). En effet, tous les dieux ne se révèlent pas partout, mais seulement, peut-on dire, là où l’on a besoin d’eux, c’est-à-dire là où une séparation ménage à leur existence une place appropriée, en distendant la cohésion (du monde divin). Or, s’il y a une séparation dans ces dieux, il faut que soit révélée aussi la cause qui opère cette séparation et que les dieux, pour cette raison même, ont appelée un diaphragme :

Comme un diaphragme, une sorte de membrane intellective séparée (Or. Chald., fr. 6.1).

Ce diaphragme détache les dieux intellectifs des dieux qui leur sont supérieurs et les détache les uns des autres comme s’il rompait leur unité, tandis que les dieux « implacables » les retiennent à l’écart de la matière et de tous les dieux inférieurs. Or, si ces dieux « implacables » sont au nombre de trois, le diaphragme, lui, est unique, étant précisément ce qui sépare, chose vraiment étonnante, mais il faut bien savoir que le diaphragme est aussi une monade triadique. Voilà pour Proclus (In Parm., par. 265, Ruelle II, pp. 131.13-132.5, trad. Saffrey-Westerink, Introduction à Proclus, Théologie platonicienne, livre V, pp. XIV-XV).

Bref, la classe des dieux intellectifs comprend :

— la triade de l’être, celle des « parents » : l’intellect pur — la vie intellective — l’intellect démiurgique ;

— la triade de la puissance, celle des « dieux immaculés » qui maintient la précédente dans la transcendance ;

— et une monade, qui maintient séparée cette classe de dieux, celle des dieux transcendants, de la classe inférieure, celle des dieux du monde.

Le passage de la triade, comme modèle, à l’hebdomade, qui toutefois peut ici être considérée comme une triade, dont les deux premiers termes sont des triades, alors que le troisième est une monade, pourrait s’expliquer, selon Saffrey et Westerink24, par la proximité du plan intellectif avec celui de l’âme, où intervient le nombre sept.

2.2.1.3.3.1 La triade « des parents » (Damascius, In Parm., par. 264, Ruelle II, p. 130.3 — par. 277, Ruelle II, p. 149.19)

La première triade, celle des « parents » comporte ces trois divinités : Kronos, Rhéa et Zeus, que Damascius va, tout comme Proclus, qu’il ne ménage pas dans ses critiques pourtant, interpréter à la lumière des cinq grands genres du Sophiste :

Pourquoi donc Platon n’enseigne-t-il pas (dans le Parménide) l’hebdomade tout entière, alors qu’il trouve chez Orphée l’hebdomade intellective ? C’est parce qu’Orphée, lui aussi, considère ces trois monades comme primordiales ; en elles, il embrasse la multiplicité propre à chacune, en Kronos, les Titans, en Rhéa, les Titanides, en Zeus, les Kronides. De plus, les dieux, eux aussi, disent que les dieux « implacables » sont dans les pères sous une forme pour ainsi dire ramassée. C’est donc à bon droit que le Parménide, parce qu’il poursuit l’universel, a partagé toute la classe intellective en ces trois degrés. Peut-être n’enseigne-t-il pas absolument que cette classe comporte trois pères ou trois dieux implacables, mais de même qu’il a divisé la classe intelligible en trois degrés, et la classe intelligible-intellective aussi en trois, de la même façon, il découpe la classe intellective en trois, et la première forme d’intellectif, il l’appelle « en lui-même », « en un autre », la deuxième, « en mouvement », « immobile », la troisième « identique », « différent ». En effet, le Parménide se propose de faire procéder les classes divines dans leur totalité, et si c’est par ce qui domine dans ces classes que nous connaissons les symboles qui leur sont communs, cela ne sera pas au détriment de la vérité commune à toutes (In Parm., par. 267, Ruelle II, pp. 134.24-135.9, trad. Saffrey-Westerink, Introduction à Proclus, Théologie platonicienne, livre V, pp. XXXI-XXXII).

Damascius fait aussi appel à la symbolique des nombres.

Kronos, assimilé à l’intellect pur, qui pour les Néo-platoniciens est indissociable de « l’être », se trouve associé au nombre 7. Rhéa, qui représente le couple « repos-mouvement », est associée au nombre 8. Et Zeus, qui représente « le même et l’autre », se voit associé au nombre 9 :

Mais peut-être, pour en venir maintenant au deuxième problème, l’hebdomade correspond-elle à Kronos absolument et à titre premier (c’est aussi l’avis des Phéniciens, et déjà celui des dieux eux-mêmes que l’Au-delà simple produit en premier l’hebdomade), et aux autres dieux intellectifs, à partir de lui et par participation :

A partir de lui, en effet, jaillissent les foudres implacables, les seins qui reçoivent les orages de l’éclat resplendissant d’Hécate née du Père, la fleur du feu, qui diaphragme, et le souffle puissant qui est au delà des pôles du feu (Or. Chald., frag. 35 des Places)

tandis qu’à Rhéa correspond l’ogdoade, et à Zeus l’ennéade ; l’ennéade à Zeus, en tant que tout dernier intellect et « avalant » (OF 167) le premier qui est, comme on le sait, une triade, et l’ogdoade à Rhéa en tant que totalement mue selon des divisions, et néanmoins établie immuablement à la manière d’un cube ; et à Kronos correspond l’hebdomade, en tant qu’elle vient à l’existence par elle-même et se complaît dans la forme de la monade et en tant que, de naissance, ni elle ne dépend de ce qui lui est supérieur, ni elle ne rattache à elle-même ce qui lui est inférieur, au contraire elle les contient à l’intérieur d’elle-même, au point qu’elle paraît sans fécondité et se donner à elle-même l’existence. De plus, le caractère de l’hebdomade qui est d’avoir la forme de la monade et de procéder de la seule monade, comment ce caractère ne correspondrait-il pas au dieu célébré comme l’Au-delà simple ? En outre, le caractère immaculé de l’hebdomade convient certainement à l’intellect immatériel, et enfin son indivisibilité, au dieu qui a une essence non morcelée (In Parm., par. 266, Ruelle II, pp. 132.28-133.16, trad. Saffrey-Westerink, Introduction à Proclus, Théologie platonicienne, livre V, pp. XX-XXI).

Ces spéculations sur les nombres, qu’explicite Damascius un peu plus haut (In Parm., par. 266, Ruelle II, p. 132.12-27) en établissant systématiquement des correspondances entre les nombres et la hiérarchie des dieux, doivent provenir de l’Hymne aux nombres attribué à Orphée (O. Kern, n° 32, OF 309-317, cf. OF 313 = In Parm., par. 265, Ruelle II, p. 131.15-19).

Par ailleurs, le nom même de Kronos, interprété à partir du Cratyle (396b) comme ϰαθαρὸς νοῦς, c’est-à-dire comme « intellect pur » (In Parm., par. 267, Ruelle II, p. 134.19-22 = OF 146), dévoile la véritable nature du dieu. En tant qu’intellect, Kronos est indissociable de l’intelligible. C’est conformément à ce point de doctrine, essentiel pour un Néo-platonicien, que Damascius explique le vers des Rhapsodies qui décrit les soins que prodigue la Nuit à Kronos qu’elle a choisi pour châtrer le Ciel (= Ouranos), lequel, en restant vautré sur Gaia, empêche toute création :

Il semble qu’Orphée, lui aussi, en reconnaissant Kronos comme intellect (ainsi que le font voir tout le mythe qui le concerne, et l’expression « à la métis retorse (ἀγϰυλομήτης) », a représenté la Nuit (en tant qu’elle est la première substance et, pour cette raison, proclamée la nourrice de tout) comme nourrissant surtout Kronos lui-même, en ce qu’elle est l’objet intelligible de l’intellect, puisque, selon l’Oracle, « ce qui est objet d’intellection est une nourriture pour qui ce qui est sujet d’intellection » (cf. frag. 17 des Places). Le théologien dit en effet :

Entre tous, c’était Kronos que la Nuit nourrissait et élevait.

Car, même si Zeus avale l’intellect qui est avant elle (= Phanès, cf. OF 129), cependant, à travers elle, il avale aussi l’intellect qui est chez elle ; et il est probable également que le degré inférieur de l’unifié porte dans son sein quelque intelligible. Mais en voilà assez là-dessus (Damascius, De princ., par. 67, Ruelle I, p. 146.12-20 = Combès-Westerink II, p. 92.5-15 = OF 129 et 131, trad. J. Combès).

Et c’est, semble-t-il, parce qu’il représente l’être qui englobe tout ce qui « est » que Kronos est dit « absorber » ses propres rejetons (In Parm., par. 267, Ruelle II, p. 134.17-19 = OF 146). Voilà d’ailleurs aussi probablement pourquoi, même après l’avoir châtré et l’avoir précipité dans le Tartare (In Parm., par. 205, Ruelle II, pp. 88.11-12 = OF 122 ; In Parm., par. 400, p. 254.25-27 = OF 122), où coulent l’Océan, l’Achéron, le Cocyte et le Pyriphlégéthon associés au quatre éléments : l’eau, l’air, la terre et le feu respectivement (Damascius, In Phaed. I, par. 497 et 541 = OF 123 ; II, par. 145 = OF 125) Zeus, continuera d’implorer son aide (In Parm., par. 270, Ruelle II, pp. 136.27-137.3 = OF 155).

Alors que Kronos est assimilé à l’être, Rhéa, comme l’indique une analyse étymologique de son nom (Rhéa = ῥοή, c’est-à-dire écoulement, cf. le Cratyle 402b ; In Parm., par. 283, Ruelle II, pp. 156.17-20 = OF 161), se voit, en tant que « vie » intellective (In Parm., par. 284, Ruelle II, pp. 157.12-14 = OF 133), considérée comme la source de tout « mouvement », et, par suite, de tout « repos » (In Parm., par. 422, Ruelle II, p. 277.5-9 = OF 132). Car, en tant que « mouvement », Rhéa se voit associée à Hestia qui représente le « repos » :

En outre, d’après Orphée, elle (= cette divinité qu’est Kronos) projette deux divinités Zoogones, l’une plutôt selon la mobilité, l’autre plutôt selon la faculté de rester en repos : je veux dire Héra et Hestia, celle-ci établissant dans un fondement stable tous les dieux qui procèdent vers cet univers-ci, celle-là les invitant tous à la procession. De là, il résulte évidemment que, puisqu’elle est à la fois les deux et d’une manière indivisible, elle est quelque chose qui se meut vers ce monde-ci, et qui, néanmoins, placé au-dessus de la démiurgie, est en repos. De sorte que si la vie purement vie est appelée ailleurs mouvement et repos, il faudra entendre ces mots non pas comme ayant un rapport à la matière, ni comme étant au-dessus de la matière, mais en ce sens que c’est la vie qui la première est sortie, pour se distinguer, de l’union intelligible de l’être, tout en restant en même temps unie (Damascius, In Parm., par. 283, Ruelle II, p. 156.17-25, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

En tant que divinité zoogone, Rhéa règne sur la nature, du moins sur ce qu’il y a d’animé dans la nature, les réalités inanimées tombant sous la dépendance de la Gorgone, dont le regard a le pouvoir de changer toutes choses en pierres :

Car Orphée semble mettre surtout la nature, qui descend jusqu’aux plantes et aux autres productions végétables, dans la dépendance et sous les lois de Rhéa ; à moins que nous n’entendions la Gorgone, qui étend sa propre zoogonie aux pierres mêmes (Damascius, In Parm., par. 284, Ruelle II, p. 157.12-14, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

Bref, Damascius donne de Rhéa une description particulièrement riche.

Vient enfin Zeus, le fils que Rhéa a donné à Kronos et qui va châtrer et détrôner son père. Considéré comme la source de toute « identité » et de toute « altérité », il apparaît comme le démiurge de toutes choses dans le monde sensible (Damascius, In Phaed. I, par. 331 = OF 165). Ayant avalé Phanès, c’est-à-dire s’étant incorporé tout ce qui le précède (De princ., par. 67, Ruelle I, p. 146.18-19 = Combès-Westerink II, p. 92.13-14 = OF 129), Zeus devient toutes choses. Et, à chaque partie de son corps, correspond une partie du monde sensible comme l’explique le magnifique Hymne à Zeus, dont Damascius ne cite que quelques vers :

Maintenant qu’allons-nous répondre à la dixième question ?

Nous répondrons comme Orphée, dans ces vers où il dit que Zeus est le même par rapport à lui-même :

Zeus est né le premier, Zeus, au brillant éclair est le dernier (v. 1)

Zeus est né mâle, Zeus est une jeune vierge immortelle (v. 3).

Zeus est donc le même que tout ce qui est et il est le tout-un. Zeus est différent de lui-même selon le tout, car il est aussi les autres. Etant donné qu’il est les autres et les autres, Zeus est le symbole de l’altérité et étant donné qu’il est dit le même en tous, il est le symbole de l’identité. Il est le même par rapport aux autres, parce qu’il est dit que lui-même est ces autres :

Zeus est le support de la Terre et du Ciel étoilé (v. 4) ;

De lui, les yeux sont le Soleil et la Lune qui lui fait face (v. 16).

Il est différent des autres choses, parce qu’il se distingue de toutes : en effet, il est dit immédiatement après25 :

Il est né seul souverain, seul daimon, puissant monarque de l’Univers (v. 6).

Et ces propriétés, le théologien ne les donne à aucun des autres dieux ; aussi, selon la science que lui ont révélée les dieux, en fait-il le symbole de la double nature de Zeus, et de celle qui est relative aux mêmes individuels et de celle qui est relative aux autres, l’une qui consiste, à contenir dans son intellect les intelligibles, l’autre à communiquer la sensation aux mondes. (Damascius, In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.9-23 ; cf. In Phaed. I, par. 540 = OF 168, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

Suivant le rapport établi entre la première triade intellective et les cinq genres du Sophiste, Zeus est assimilé au « même et à l’autre ». Zeus est le même, en tant qu’il possède une identité qui permet de le nommer. Mais, parce qu’il a avalé Phanès pour fabriquer le monde sensible, dont chaque partie correspond à une partie de son corps, il est toutes les autres choses. Voilà pourquoi il peut être considéré comme le démiurge par excellence.

Or, cet art démiurgique a aussi été attribué aux Cyclopes : « Orphée ne nous parle que de la seconde (la fonction démiurgique) :

A Zeus ils ont donné le tonnerre et lui ont fabriqué la foudre

et ils ont enseigné les arts à Athéna et à Héphaistos. » (In Parm., par. 256, II 125.4-6 = OF 179). Par ailleurs, Damascius nous apprend que, pour les Rhapsodies, tout comme pour Hésiode, Zeus s’est uni à Mnémosyne (In Phil., par. 159 = OF 203, cf. Proclus, In Tim. I, p. 27.2-5 ; In Crat., p. 101.25 ; p. 105.15) probablement pour engendrer les Muses comme chez Hésiode.

2.2.1.3.3.2. La triade des « dieux implacables » (In Parm., par. 278, Ruelle II, p. 149.20 — par. 300, Ruelle II, p. 169.4)

Pour Proclus, la seconde triade, celle des « dieux immaculés (ἀϰράντοι) », qui maintient la précédente dans la transcendance, a pour appellation générale « la triade des Kourètes » (cf. Proclus, Théol. plat. V 33-35), même si seul son troisième membre correspond effectivement aux Kourètes (cf. In Parm., par. 265, Ruelle II, pp. 131.22-132.5). Damascius reprend la même idée, mais il préfère utiliser l’expression « dieux implacables », qu’emploient les Oracles chaldaïques.

Au premier membre de cette triade, correspond Athéna, qui jaillit de la tête de Zeus. Elle est associée à la fonction démiurgique de son père, en tant qu’experte dans l’art du tissage (In Parm., par. 256, Ruelle II, p. 125.3-7 = OF 179).

Au second membre de cette même triade, correspond Koré, qu’on peut associer à Athéna par l’intermédiaire de l’art du tissage. En effet, Koré est en train de tisser un péplos, lorsqu’elle est enlevée par Pluton (OF 196). Ce péplos, Damascius l’interprète bien évidemment dans un sens philosophique, comme nous le verrons plus loin (cf. 2.2.I.3.4.).

Le troisième membre de cette triade est celui des Kourètes associés aux dieux « implacables (ἀμειλίϰτοι) » des Oracles chaldaïques26. Se fondant sur la proximité phonétique du nom « Kourète » avec l’adjectif ϰόρος, que Socrate, dans le Cratyle (396b6-7), interprète comme « le pur et le sans mélange », Proclus avait fait de Koré la cause de leur puissance immaculée. Par ailleurs, cette qualification rappelle la nature de leur fonction : maintenir la triade précédente, c’est-à-dire celle que constituent Kronos, Rhéa et Zeus dans la transcendance. Voilà ce que semble vouloir rappeler ici Damascius qui cherche à relier la triade des Kourètes à celle des « parents » :

Quatorzièmement, nous rechercherons, en soi et par soi, pourquoi le premier père (= Kronos) et le troisième (= Zeus) ne produisent pas l’ordre des Kourètes chez les Grecs, et pourquoi seule Rhéa enfante les Kourètes, que nous identifions aux « implacables ». En un mot, pourquoi disons-nous que trois Kourètes sont coordonnés à cette déesse, tandis que, selon la révélation divine, il n’y a auprès d’elle qu’un seul « implacable » (= Kronos) (In Parm., par. 278, Ruelle II, p. 150.22-26 = OF 150, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

A cette question Damascius apporte une réponse très subtile, où les Kourètes, reliés en priorité à Rhéa, ne sont pas sans entretenir des rapports avec chacun des membres de la triade des parents :

Disons en réponse à la quatorzième question que Kronos, par une union extrême, n’a séparé de lui-même ni ce qu’il a d’« implacable » en lui-même, ni sa propriété « kourétique ». Cependant, il a rempli (engrossé) Rhéa, parce qu’il est ϰορόνους selon la substance, c’est-à-dire « intellect pur », comme le rappelle Socrate dans le Cratyle (396b 6-7). Rhéa, dont l’hypostase réside dans la division des choses unifiées en Kronos, a séparé d’elle-même un second ordre, l’ordre kourétique, comme le fait Zeus. Et elle se sert des êtres qu’elle a engendrés et qui se trouvent en elle et avec elle. Car il ne faut pas dire que les dieux sont engendrés là où ils se trouvent, mais là où ils se sont pour la première fois manifestés. C’est pourquoi les Kourètes sont, selon la cause, dans Kronos ; selon la subsistance, aux côtés de Rhéa ; et selon la participation, avec Zeus. C’est pourquoi les trois sont en elle-même selon une seule et même hypostase qui les contient tous trois en même temps ; l’un procède d’elle, l’autre qui est avant elle a été projeté en elle-même d’une manière manifeste, et non pas d’une façon cachée comme dans Kronos (In Parm., par. 292, Ruelle II, p. 164.7-17, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

Damascius reprend ici, en l’exprimant en d’autres termes, une exégèse qu’on trouve déjà chez Proclus.

2.2.1.3.3.3. La monade séparative (Damascius, In Parm., par. 301, Ruelle II, p. 169.5 — par. 319, Ruelle II, p. 186.2)

La septième divinité hypercosmique, qui, selon Proclus correspond, dans les Rhapsodies, à la mutilation de Kronos par Zeus, laquelle réédite celle d’Ouranos par Kronos, Damascius n’y fait allusion (In. Parm., par. 265, Ruelle II, pp. 131.24-132.3) que par l’intermédiaire de cet être divin que les Oracles Chaldaïques27 qualifient de « celui qui ceinture par dessous (ὑπεζωϰώς) » (cf. aussi Proclus, In Remp. II, pp. 225.3). La fonction de 1’ὑπεζωϰώς est de séparer les dieux intellectifs des dieux qui leur sont supérieurs, et de séparer chaque dieu intellectif des autres.

2.2.1.3.4. Les dieux hypercosmiques (Damascius, In Parm., par. 338, Ruelle II, pp. 199.13 — par. 350, Ruelle II, pp. 212.23)

Les dieux hypercosmiques, « chefs et assimilateurs » (= ἀφομοιωτιϰοί), c’est-à-dire « ceux qui rendent semblables » interviennent au niveau de l’« âme imparticipée », le niveau de l’« âme du monde » transcendante, qui correspond en fait à la puissance de l’« intellect imparticipé », c’est-à-dire Zeus. Cette classe est une dodécade, qui se décompose en quatre triades.

La première (cf. Théol. Plat. VI 12, pp. 376.21-29), la triade « paternelle » ou « démiurgique », est constituée de trois « dieux jeunes » (Damascius, In Phaed. I, par. 11 = OF 232 et 14 = OF 172), qui sont en fait les aides du démiurge dans le Timée (41 a 6, 42 d 6, e 6, etc.) : Zeus2, Poseidon et Pluton qui se sont notamment partagé le monde sensible.

Damascius dit peu de choses sur la seconde triade : celle qui « vivifie » : Artémis, Perséphone (= Koré) et Athéna. Il se borne à évoquer l’interprétation donnée du péplos que tisse Koré, lorsqu’elle est enlevée par Pluton : « mais maintenant les théologiens récents l’(= ce diacosme) ont appelé « assimilateur », en s’appuyant peut-être sur la fabrication du voile hypercosmique de Koré, qu’on trouve chez Orphée, car, dans le tissu de ce voile, étaient retracées les images des formes intelligibles… » (In Parm., par. 339, Ruelle II, pp. 200.19-22 = OF 192). Il s’agit peut-être là de cette broderie à laquelle ressemble le ciel constellé d’astres28.

Sur la triade « qui convertit » : Apollon considéré sous trois points de vue, on trouve encore moins de choses. Dans un seul passage, d’ailleurs très allusif, (In Parm., par. 342, Ruelle II, pp. 204.23-205.17). Damascius évoque Apollon, qu’il met en relation avec Aphrodite, Arès et Dikè.

Malheureusement, Damascius ne parle pas de cette triade, celle des « dieux immaculés », c’est-à-dire celle des Korybantes, dont la fonction est analogue à celle des Kourètes. On notera cependant que, dans son discours Sur la mère des dieux (VIII [V], 8), l’empereur Julien déclare : « la mère des dieux lui (à Attis) a donné pour escorte les Corybantes. » (168 b). Et, dans la prière à Musée qui ouvre les Hymnes orphiques, on trouve ces deux vers :

J’invoque la mère des immortels, Attis et Ména (= Lune), (v. 40)

La déesse céleste, en même temps que l’immortel et le pur Adonis (41).

Or, Damascius associe Attis et Adonis à la classe immédiatement inférieure, celle des dieux « détachés du monde ».

2.2.1.3.5. Les dieux hypercosmiques-encosmiques (Damascius, In Parm., par. 351, Ruelle II, p. 212.24 — par. 377, Ruelle II, p. 282.2)

On ne trouve, chez Damascius, que peu de choses sur cette classe de dieux. Ce sont les dieux-chefs (ἡγεμονιϰοί), « détachés du monde (ἀπόλυτοι) » (cf. Proclus, Théol. Plat. IV 9, p. 27.11-12), ceux qui régnent sur la « nature imparticipée » (Proclus, Théol. Plat. VI 14), et ceux qui correspondent aux 12 grands dieux du Phèdre (246 e-247 a), aux daimones « bergers » du Politique et aux dieux encosmiques de Jamblique (Saloustios VI 2-3). Ce sont les gardiens de la transcendance des dieux hypercosmiques. Ils ont aussi une action de providence sur les dieux encosmiques et sur le cosmos.

Pour répondre à la première question, nous posons immédiatement que, même chez les théologiens, les dieux sont établis dans l’ordre supérieur suivant la place qui leur est échue en partage et qu’ils président selon la propriété du diacosme qui vient immédiatement après eux. Attis par exemple, établi dans la région de la lune qui lui est échue en partage, fabrique l’engendré. Il en va de même pour Adonis, comme nous le découvrons dans les doctrines secrètes ; il en va de même aussi pour beaucoup de dieux chez Orphée et les théurges. C’est donc ainsi qu’il faut comprendre aussi que les dieux « détachés du monde » sont les derniers dieux des hypercosmiques, et qu’ils exercent une action de providence sur notre monde. Est-ce donc ainsi que ce genre de dieux occupent dès lors le sommet des encosmiques et qu’ils sont comptés selon leur propriété parmi les encosmiques ? Tandis que les dieux « détachés du monde » révèlent une nature non seulement encosmique, mais aussi hypercosmique. Ainsi faudra-t-il concevoir leur statut médian selon son espèce propre. Nous affirmons qu’ils sont « détachés au monde », dans la mesure où, même s’ils exercent une action de providence sur le tout, ils ne sont pas enchaînés à la nature du tout, et ne viennent pas le compléter. Voilà pourquoi ils sont appelés « sans ceinture (ἄζωνοι) »29 par les dieux eux-mêmes, parce qu’ils ne disposent pas le monde autour d’eux comme une ceinture et qu’ils ne sont pas non plus liés par ses parties, comme par des ceintures.

Et Platon, dans le Politique (dans le mythe, plus précisément) connaît ce genre de providence, puisqu’il introduit dans le cycle de Kronos ces démons qui ont reçu le monde en partage, et qui tantôt s’occupent de tout, tantôt s’en désintéressent. Aussi est-il clair que l’un et l’autre sont indissociables, et c’est ce en quoi consiste le fait d’être « détaché ». Et nous savons avec certitude d’abord que ceux-ci ressortissent à la spécifité de Kronos, et qu’ils sont en rapport avec lui. En effet, Kronos est pour ainsi dire un démiurge « détaché du monde », puisque, selon l’Oracle, c’est lui qui organise la matière « non dans ses œuvres, mais en pensée » (non répertorié par E. des Places, mais on retrouve cette expression dans le frag. 5 des Places). Voilà pourquoi l’Etranger accorde au démiurge universel et à tous les autres dieux ce pouvoir de se retirer. Eh bien, ceux qui sont dits « détachés du monde », c’est en fonction de cette nature qu’ils sont établis. Nous savons aussi avec certitude par ailleurs qu’il les a appelés « pasteurs » et « démons », eux qui sont d’un autre genre pour d’une autre façon exercer leur providence et recevoir en partage les parties du cosmos. Et en effet les démons qui nous ont reçus en partage ont une fonction « détachée du monde » par rapport à nous ; les pasteurs par rapport aux troupeaux, et globalement ils sont d’un autre genre. Car les dieux hypercosmiques président à autre chose que l’encosmique (In Parm., par. 352, Ruelle II, pp. 214.4-30 = OF 201, trad. A.-E. Chaignet modifiée).

La classe des dieux hypercosmiques-encosmiques comprend douze dieux qui se répartissent en quatres triades :

— dieux démiurgiques : Zeus3 — Poseidon2 — Héphaistos

— dieux gardiens : Hestia — Athéna2 — Arès

— dieux qui vivifient : Déméter2 — Héra2 — Artémis2

— dieux qui élèvent : Hermès — Aphrodite2 — Apollo2

Et, sous les dieux hypercosmiques-encosmiques, viennent les dieux encosmiques.

2.2.1.3.6. Les dieux encosmiques (Damascius, In Parm., par. 378, Ruelle II, p. 229.3 — par. 396, Ruelle II, p. 245.30)

Le monde sensible, c’est-à-dire le cosmos, est l’image du Vivant-en-soi, c’est-à-dire de Phanès avalé par Zeus. C’est un dieu constitué d’un corps formé à partir des quatre éléments : feu, air, eau, terre, et d’une âme dont, à l’instar de Proclus, Damascius va parler en évoquant le drame dont Dionysos est le protagoniste.

Les Titans (les sept fils d’Ouranos et de Gaia, dont Kronos), qui sont jaloux de Dionysos que Zeus vient de faire roi, même s’il n’a pas encore atteint l’âge adulte, attirent l’enfant dans un guet-apens, en l’entraînant avec divers objets, dont un miroir (cf. In Phaed. I 129 = OF 209) et surtout le thyrse.

(Phédon 69 c 8 — d 1) Le thyrse (νάρθηξ) est le symbole de la démiurgie qui s’exerce dans la matière et dans ce qui est divisé, parce qu’il s’agit d’une chose qui induit en erreur : c’est « un arbre » et « pas un arbre »30.

Mais voici une meilleure explication : c’est le fait que sa continuité est particulièrement morcelée qui explique que la plante est un attribut des Titans. En effet, les Titans offrent le thyrse à Dionysos à la place du sceptre paternel, et de cette manière ils l’attirent dans la division ; et tout naturellement les Titans sont représentés comme portant le thyrse ; et c’est dans un thyrse que Prométhée vole le feu, ce qui signifie soit qu’il a forcé la lumière du ciel à descendre dans la génération, soit qu’il a amené l’âme à s’incarner, soit qu’il a attiré vers la génération toute l’illumination divine qui en elle-même est inengendrée. Voilà bien pourquoi en fait Socrate aussi qualifie le grand nombre des hommes de « porteurs de thyrse » en se servant d’une expression orphique, parce qu’ils mènent une vie Titanique (Damascius, In Phaed., I, par. 170 = OF 210).

Puis les Titans tuent Dionysos et le découpent en sept morceaux, un pour chacun d’eux. Zeus est informé du meurtre probablement par Artémis. Il confie à Apollon ce qui reste des membres de Dionysos — car suivant certains témoignages les Titans ont mangé les chairs de Dionysos —, et Apollon va enterrer la dépouille sur le mont Parnasse. Mais Athéna a réussi à sauver le cœur, toujours palpitant ; elle l’a mis dans un coffre et l’a apporté à Zeus qui a redonné vie à Dionysos. Ainsi Dionysos continue-t-il de partager, comme avant, le pouvoir de Zeus, qui, pour les punir, a foudroyé les Titans.

En fait, Dionysos devient le roi de ces « jeunes dieux », c’est-à-dire dans le contexte de la première triade des dieux hypercosmiques (cf. 2.2.1.3.4.) : Zeus2, Poseidon, Hadès), à qui, dans le Timée, le démiurge (= Zeus dans les Rhapsodies) assigne cette tâche :

Après cet ensemencement (celui des âmes humaines sur les différentes planètes), il (= le démiurge) confia aux jeunes dieux la tâche de façonner des corps mortels ; et pour ce reste, cette partie de l’âme humaine dont l’adjonction encore était requise, cela et tout ce qui s’ensuivait, ils furent chargés de le réaliser, puis de prendre le commandement, de faire leur possible pour gouverner, en tout bien tout honneur, le vivant mortel, à moins qu’il ne devînt la cause de tous ses maux (Timée 42 d-e, trad. J. Moreau modifiée).

Voici d’ailleurs en quels termes se trouve évoquée la royauté de Dionysos au tout début du Commentaire sur le Phédon :

La création étant de deux sortes, indivisible et divisée, la seconde, dit Damascius, est sous le contrôle de Dionysos, voilà pourquoi elle est divisée ; la première, en revanche, est sous le contrôle de Zeus. Et les deux ont sous leurs ordres une multitude (de dieux) ; Zeus, celle des dieux Olympiens et Dionysos, celle des Titans ; et, dans l’un et l’autre cas, on a une monade et une triade de démiurges31 (In Phaed., I, par. 3).

Suit alors un passage particulièrement mal conservé, que, dans une longue note, L.-G. Westerink, tente de reconstituer32. Puis on peut lire ceci :

… (Zeus) leur (= aux « jeunes dieux » (cf. Tim., 42 d 6) donne pour roi le Soleil (= Hélios, Rép., VI 509 d 2-3) qui, selon Orphée, entretient des relations étroites avec Dionysos par l’intermédiaire d’Apollon.

Il vaudrait mieux faire du Soleil le roi des dieux, en tant qu’il est Zeus, alors que, en tant qu’il est Dionysos, il se trouve divisé de par le cosmos et que, en tant qu’Apollon qui rassemble la division de Dionysos et qui se tient aux côtés de Zeus, il se trouve dans une position médiane (In Phaed., I, par. 14).

Damascius semble reprendre là une idée développée dans la Théologie platonicienne (VI 12, p. 376.21-29) par Proclus, qui fait alors référence à Lois XI 945 e.

2.2.1.3.7. Les âmes

Sous les dieux, on trouve les âmes, qui, comme on l’a vu plus haut, se répartissent dans trois classes :

— les âmes universelles : l’âme du monde notamment ;

— les âmes intellectives : démons, anges, héros ;

— les âmes partielles : hommes, bêtes.

Or, le drame dont Dionysos est le protagoniste, Damascius va l’utiliser pour illustrer et justifier la constitution de l’âme du monde et pour décrire la destinée de l’âme humaine.

2.2.1.3.7.1. L’âme du monde

Pour un Néo-platonicien comme Damascius donc, Zeus, en instituant Dionysos, bien qu’il soit encore un enfant, roi des dieux encosmiques, et, en lui transmettant le sceptre, lui a ainsi assigné pour fonction de parfaire la démiurgie (In Parm., par. 160, Ruelle II, p. 44.3-6 ; par. 246, Ruelle II, p. 177.2-6 = OF 218).

On ne trouve chez Damascius rien de précis sur le mode d’action de Dionysos. Proclus, en revanche, est assez explicite sur ce point, qui établit un parallèle entre d’une part les membres épars de Dionysos et la substance divisible de l’âme du monde étendue à travers le monde sensible33, et d’autre part le cœur du jeune dieu sauvé par Athéna et la substance indivise de l’Intellect (In Tim., II, pp. 145.18-146.22 = OF 210). Proclus va même jusqu’à mettre en relation les sept divisions qui affectent le cercle de l’Autre en l’âme du monde avec les sept morceaux qui résultèrent du partage du corps de Dionysos par les Titans, chacun ayant revendiqué une part pour lui-même (In Tint, II, p. 197.24-30 = OF 210) ; d’où l’assimilation implicite du cœur de Dionysos au cercle du Même. Plusieurs autres passages de cet auteur reflètent, sans faire une référence explicite au Timée, la même interprétation du mythe, puisqu’ils assimilent le démembrement de Dionysos au monde sensible (In Alc., pp.43.18-44.4 = OF 210 ; In Crat., pp. 108.13-20, 109.9-19 = OF 216 ; In Parm., pp. 808.25-809.1 = OF 210 ; In Tim., I, p. 173.1-8 = OF 215). Une telle interprétation se retrouve sous une forme plus sommaire bien avant Proclus34.

On ne découvre chez Damascius qu’une seule allusion à cette interprétation du récit du démembrement de Dionysos. A la question : « Pourquoi l’hebdomade correspond-elle à l’intellect ? », Damascius répond « (parce qu’) elle est célébrée par les Pythagoriciens comme la lumière de l’intellect » (In Parm., par. 164, Ruelle II, p. 130.7-8). L’autorité des Pythagoriciens sur ce point est évoquée par Proclus dans le livre II de son Commentaire sur le Timée : « l’heptade est la lumière de l’intellect » (In Tim., II, p. 95.2) ; « le cercle de l’Autre est la lumière de l’intellect, tout de même que l’heptade, selon les Pythagoriciens » (In Tim., II, p. 271.18-19) ; « la doctrine des Pythagoriciens veut que l’heptade soit en analogie avec l’être doué d’intellect. » (In Tim., II, p. 270.5-9). Et cela dans un contexte où le rapport avec le récit orphique du démembrement de Dionysos ne fait absolument aucun doute :

Le nombre sept vient à l’âme des causes plus élevées…, le nombre sept venant des intellectifs, et il lui vient aussi de ces deux dieux (Dionysos et Apollon), pour que d’une part la division en sept parties soit en elle une marque de la chaîne dionysiaque et du légendaire « déchirement » (de Dionysos)…, et pour que, d’autre part, l’harmonie inhérente aux parties soit en elle un symbole de la chaîne apolloniaque. Car, dans les poèmes d’Orphée, c’est ce dieu qui, selon le vouloir du Père, rassemble et réunit les membres divisés de Dionysos (Proclus, In Tim., II, p. 198.2-14 = OF 211).

Voilà le genre de rapprochements qu’on devait trouver dans l’Accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles chaldaïques (cf. supra, pp. 167-168 et n. 17).

2.2.1.3.7.2. L’âme humaine

En tant que roi des « dieux jeunes », Dionysos est responsable de la fabrication des hommes et donc des bêtes, dont l’existence ne prend sens que dans le contexte d’une doctrine de la réincarnation.

Or, l’essentiel de ce que dit Damascius sur les rapports qu’entretient Dionysos avec les hommes se trouve dans le passage de son Commentaire sur le Phédon relatif à la condamnation du suicide par Socrate en 61 c 9-62 c 9. Suivant Damascius, cette condamnation comporte et un argument ésotérique, qui se fonde sur le récit des Rhapsodies, et un argument exotérique qui, sans passer totalement sous silence Dionysos et les Titans, s’appuie sur la dialectique de l’un et du multiple et sur des arguments essentiellement philosophiques.

2.2.1.3.7.2.1. L’argument ésotérique contre le suicide

Le commentaire de Damascius, qui est très explicite sur le second point, reste très allusif sur le premier. Pourtant, on peut remédier à cette difficulté en relisant ce que dit sur le sujet Olympiodore, qui, il faut le rappeler, rédigea son Commentaire sur le Phédon en ayant sous les yeux une version du commentaire de Damascius :

Puis à Zeus succéda Dionysos. C’est, dit-on, au terme d’un complot ourdi par Héra, que les Titans qui l’entouraient mirent en pièces Dionysos et mangèrent ses chairs. En colère contre eux, Zeus les frappa de sa foudre et de la suie déposée par les vapeurs qui s’élevaient d’eux vient la matière dont sont faits les hommes. Oui il est interdit de se suicider, non pas pour cette raison que, comme semble le dire le texte, nous sommes enchaînés dans notre corps (car cela est clair, et Socrate ne dirait pas qu’il s’agit là d’une doctrine ésotérique) ; mais il est interdit de se suicider parce que notre corps participe de Dionysos. Nous sommes composés de la suie déposée par les vapeurs dégagées par les Titans gorgés des chairs de Dionysos (Olympiodore, In Phaed, par. 3.6-14).

Selon le témoignage d’Olympiodore, le corps de l’homme vient non pas, comme on a l’habitude de le dire et de l’écrire, des cendres des Titans, mais de la suie déposée par les vapeurs qui s’étaient élevées des Titans frappés par la foudre de Zeus. Une telle version des faits est particulièrement ingénieuse, car elle prend en considération tout ce que l’on sait sur les Titans. Puisque les Titans sont des dieux, ils sont immortels et ne peuvent pas disparaître. Par ailleurs, la tradition fait subir aux Titans trois châtiments qui sont d’ailleurs évoqués par Damascius lui-même dans son Commentaire sur le Phédon (In Phaed., I, par. 7) : foudroiement, enchaînement et exil dans le Tartare ; or, s’ils étaient réduits en cendres, les Titans ne pourraient pas subir les deux derniers châtiments35.

Cela dit, il semble bien que Damascius, qui cependant n’invoque pas cet argument difficile à admettre dans un contexte strictement néoplatonicien : se suicider, c’est porter atteinte à notre corps qui participe de Dionysos36, fasse allusion à cette anthropogonie, lorsqu’il essaie de répondre à cette question :

De quelle manière les hommes viennent-ils des débris des Titans ? Ils viennent des débris des Titans, parce que les hommes ont éloigné leur vie à la limite extrême de la différenciation ; des Titans, parce que le Titans sont les démiurges les plus inférieurs et qu’ils se trouvent en contact étroit avec leur création. Alors, en effet, que Zeus est « le père des hommes et des dieux » (Iliade, I, 544), les Titans sont pères des hommes seulement et non des dieux ; ce ne sont même pas des pères, car ils sont eux-mêmes devenus hommes ; bien plus, ce ne sont pas eux dans leur intégrité qui sont devenus hommes, mais leurs dépouilles ; et même pas leurs dépouilles, mais les débris de leurs dépouilles. Dès lors, la condition fragmentaire de notre existence remonte à ceux qui en sont la cause (In Phaed, I, par. 8).

Mais on peut remonter plus haut, car Proclus semble bien faire allusion à cette anthropogonie, lorsqu’il déclare : « D’autant que tout cela, la Théologie orphique nous l’enseigne. Ou n’est-il pas vrai qu’Orphée livre clairement ces doctrines, quand, après le châtiment mythique de Titans, il expose la manière dont les vivants d’ici-bas sont issus des Titans ? » (Proclus, In Remp., II, 338.10-14 = OF 224). Puis il enchaîne, en parlant de la métensomatose.

Lorsqu’elle est incarnée, l’âme humaine peut en effet mener une existence « Titanique » ou « Dionysiaque » :

Le mode de vie « Titanique » est le mode de vie irrationnel, celui par lequel est mise en pièces la vie selon la raison.

Il vaut mieux reconnaître l’existence de ce mode de vie partout, car il a tout de même pour principe des dieux, les Titans. Or donc, cette apparente libération à laquelle aspire la vie selon la raison en souhaitant dépendre de soi-même et non de réalités supérieures ou inférieures, voilà aussi ce qui s’explique par l’influence sur nous des Titans ; voilà ce qui nous fait mettre en pièces le Dionysos qui est en nous, ce qui brise notre communauté de nature et, pour ainsi dire, notre participation avec l’inférieur et le supérieur. En nous conduisant ainsi, nous sommes des Titans. Mais, quand nous retrouvons cette unité et cette participation, nous redevenons des Dionysos (cf. In Phaed., I, par. 171, 166.8, 11 et 12), de vrais initiés (In Phaed., I, par. 9).

Cette condamnation du suicide présente un grand intérêt, dans la mesure où elle interprète le suicide comme une rupture avec l’inférieur, c’est-à-dire avec le corps, rupture à laquelle les Titans incitent la partie rationnelle de l’âme, comme ils l’incitent par ailleurs à se couper du supérieur, en ne reconnaissant plus ainsi l’autorité des dieux.

La partie rationnelle de l’âme humaine ne doit donc pas prendre l’initiative d’une séparation d’avec le corps où elle est emprisonnée. Mais elle peut œuvrer à sa libération, à sa sortie du cycle des réincarnations par la pratique de rites auxquels préside Dionysos par une vie consacrée à la philosophie.

Dionysos est cause de délivrance. C’est la raison pour laquelle Dionysos est appelé « Libérateur » et qu’Orphée dit :

Les hommes offriront des hécatombes de bœufs

sans taches chaque année au moment voulu

et ils pratiqueront tes rites, en cherchant à se libérer

de leurs fautes antérieures. Et toi qui es

leur maître, ce sont ceux que tu auras choisis

que tu délivreras de dures épreuves et d’un tourment infini

La puissance « gardienne », c’est de façon générale Zeus ; plus immédiatement ce sont les dieux jeunes (cf. 2.2.1.3.4.) ; plus directement encore les dieux qui président à la génération, eux qui ont aussi le pouvoir de détruire.

(Phédon 62 b 4-5) Ce sont les dieux qui déterminent le terme de cet emprisonnement qui doit durer aussi longtemps que c’est une bonne chose pour les âmes de rester dans un corps, les dieux qui ont en vue le but final, la délivrance par Dionysos. La longueur de cette expiation, nous ne la connaissons pas ; voilà donc pourquoi, si nous nous suicidons, ce suicide n’est pas une délivrance, c’est une évasion (In Phaed, I, par. 11-12 = OF 232).

La fin de ce passage nous amène du côté de l’argument exotérique.

2.2.1.3.7.2.2. L’argument exotérique contre le suicide

L’argument exotérique se situe non plus dans une perspective anthropogonique comme l’argument ésotérique qui, selon Damascius, n’en est que le prolongement, mais dans une perspective cosmogonique, où le thème du corps-tombeau trouve tout naturellement sa place :

Les « dieux jeunes » (Tint., 42 d 6) emprisonnent les âmes dans les corps, chaque fois qu’ils tissent des organismes susceptibles de recevoir une âme, « en empruntant des morceaux » d’éléments (Tim., 42 e 6-43 e 6) ; et quand, rendant ce qu’ils ont emprunté, ils décomposent les organismes, alors ils libèrent les âmes de leurs liens (In Phaed., I, par. 16).

Cette allusion à l’incarnation doit être replacée dans un cadre plus vaste, celui du double mouvement de descente des âmes dans un corps et de leur remontée au ciel, mouvement qui ne dépend pas de l’homme, mais des dieux.

Ces pérégrinations sont mises en rapport avec le drame dont Dionysos est le protagoniste :

Le mythe décrit les mêmes événements comme ayant eu lieu dans le prototype37 de l’âme humaine. Dionysos, quand il a projeté son image dans le miroir, l’a suivie et s’est trouvé de ce fait dispersé dans le Tout. Mais Apollon rassemble le corps démembré et le ramène sur l’Olympe, car Apollon est un dieu « qui purifie » et le véritable sauveur de Dionysos ; voilà pourquoi il est célébré comme « celui qui donne Dionysos ».

C’est à la façon de Koré que l’âme descend dans la génération ; à la façon de Dionysos qu’elle est divisée par la génération ; à la façon de Prométhée et des Titans qu’elle est enchaînée au corps. Elle se libère en acquérant la force d’Héraclès ; elle se rassemble grâce à Apollon et à « Athéna-Salvatrice »38, c’est-à-dire grâce à la philosophie qui purifie vraiment ; et elle s’élève vers les causes qui lui sont propres avec Déméter (In Phaed., I, par. 129-130 = OF 209).

La destinée de l’âme comprend trois phases de chute : descente, emprisonnement et division, et trois phases de rédemption : rassemblement, libération, retour à soi. Ces trois phases sont donc réinterprétées à partir de figures mythologiques, dont la plupart ressortissent à l’Orphisme : descente et retour (Koré/Déméter), enchaînement et libération (Prométhé, les Titans/Héraclès), division et rassemblement (Dionysos/Apollon et Athéna). La dernière phase est explicitement orphique. Pour ce qui est de la seconde, on trouve chez Proclus (In Remp., II, 53.3-12, cf. In Hes. Op. et Dies 52, 33.20-24) un texte très intéressant où le vol du feu que Prométhée emporte dans un morceau de thyrse est assimilé à la descente de l’âme de l’homme dans le monde de la génération. Koré et Déméter enfin peuvent être interprétées dans une perspective orphique.

Mais il faut replacer tout cela dans un cadre plus vaste, celui d’un cycle de réincarnations, dont on trouve une description dans le Phèdre de Platon, et auquel ne peuvent échapper que le philosophe et celui qui pratique des initiations :

L’objectif des rites d’initiation est de ramener les âmes au but final, qui est le point à partir duquel elles ont amorcé leur première descente, ce point où, installé sur le trône de son père (OF 208 = Proclus, In Crat., 55.5-11), c’est-à-dire sur toute la vie qui relève de Zeus, Dionysos a donné aux âmes leur existence. Il s’ensuit nécessairement que l’initié « réside avec les dieux », en accord avec le dessein des dieux qui président aux initiations. Les initiations sont de deux sortes : celles d’ici-bas, qui sont en quelque sorte préparatoires et celles de là-haut. Ces dernières sont aussi de deux sortes : celles qui concernent la « tunique » pneumatique, comme celles d’ici-bas concernant le « corps-huître », et celles qui concernent le corps lumineux39. En effet, il y a trois degrés dans la remontée que permet la philosophie. En effet, cela prend trois mille ans aux philosophes pour remonter, comme il est dit dans le Phèdre (249 a 3-5) ; car mille ans représentent une période de vie complète. Par suite, le « non-initié », parce qu’il reste très éloigné du but approprié « se vautre dans la boue » en ce monde, et surtout en l’autre, où il se trouve dans la « lie de la génération »40, dans le Tartare lui-même (In Phaed., I, par. 168).

Même s’il y fait référence, l’argument exotérique contre le suicide est donc beaucoup plus indépendant du récit orphique que l’argument ésotérique. A la limite, il pourrait être étayé exclusivement par des textes platoniciens.

2.2.2. La théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos (OF 54-59)

Cela dit, Damascius est le seul Néo-platonicien à faire état d’une théogonie qu’il attribue, non sans quelque hésitation, à deux personnages énigmatiques.

La théologie rapportée d’après Hiéronymos et Hellanikos, si toutefois il ne s’agit pas du même personnage, est la suivante.

Au commencement, dit le texte, étaient l’eau et la matière, de laquelle de Terre a été formée par coagulation ; en fait de principes, ce sont ces deux qu’il suppose comme premiers, l’eau et la terre, celle-ci en tant que, par nature, elle peut être dispersée, celle-là en tant qu’elle peut agglutiner celle-ci et la rassembler. Il laisse de côté comme indicible le principe unique antérieur aux deux, car le fait même de n’en rien dire montre sa nature ineffable. Quant au troisième principe, qui, après les deux, a été engendré de ceux-ci, je veux dire de l’eau et de la terre, c’est un serpent qui a les têtes accolées d’un taureau et d’un lion, et, au milieu, un visage de dieu ; il est aussi pourvu d’ailes sur les épaules, et il a reçu à la fois le nom de Chronos « qui ne veillit pas » et celui d’Héraclès ; à lui est unie la Nécessité, qui est à la fois Nature et Adrastée41 ; ayant un double corps, elle étend les bras sur le monde entier et touche à ses limites. Par là, je pense, est énoncé le troisième principe qui s’est établi selon la substance, sauf que cette tradition l’a fait subsister mâle et femelle à la fois pour suggérer la cause génératrice de tout (De princ., par. 123 bis, Ruelle I, pp. 317.15-318.6 = Combès-Westerink III, pp. 160.17-161.13 = OF 54).

Damascius interrompt alors son récit pour expliquer comment cette théogonie justifie la position qui est la sienne, lorsqu’il pose avant l’un, l’ineffable :

Et je crois que la théologie des Rhapsodies, ayant laissé de côté les deux premiers principes avec l’unique qui, antérieur aux deux, a été transmis par le silence, a commencé par ce troisième qui vient après les deux, en tant qu’il est le premier à avoir quelque chose d’exprimable et de proportionné aux oreilles humaines. C’est ce principe, en effet, que représentait, dans cette théologie-là, le très honoré Chronos, « qui ne vieillit pas » et qui est le père d’Ether et de Chaos (De princ., par. 123 bis, Ruelle I, p. 318.6-10 = Combès-Westerink III, p. 161.14-20).

Puis, après avoir montré comment la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos corrobore son système métaphysique, Damascius poursuit son récit.

Sans doute aussi (comme pour celle des Rhapsodies), selon cette théologie-ci, Chronos est ce serpent qui engendre la triple progéniture (que voici) : l’Ether dit humide, le Chaos illimité, et le troisième à leur suite, l’Erèbe nébuleux.

Cette théologie (nous) transmet cette deuxième triade comme analogue à la première, car elle est potentielle, de même que la première est paternelle ; c’est pourquoi aussi le troisième terme de cette triade est l’Erèbe, nébuleux ; le terme paternel et supérieur est l’Ether, non pas sans qualification, mais humide ; et l’intermédiaire, cela va de soi, est le Chaos illimité. Mais ensuite, dans ces dieux, Chronos a engendré l’Œuf, comme le dit cette tradition, qui, elle aussi, fait de l’Œuf un rejeton de Chronos, et un rejeton enfanté dans ces dieux, parce que c’est d’eux que procède la troisième triade intelligible.

Quelle est donc celle-ci ? C’est l’Œuf ; [puis], la dyade des natures qui sont en lui, mâle et femelle avec, au milieu, la pluralité des semences de toute espèce ; et, après ces entités-là, en troisième lieu, le dieu au double corps, qui a sur les épaules des ailes d’or, aux flancs, comme on l’a vu, des têtes de taureaux accolées, sur la tête un serpent énorme ressemblant aux formes les plus variées des bêtes sauvages. On doit donc concevoir ce dieu comme l’intellect de la triade, puis les genres intermédiaires que sont les plusieurs et la dyade, comme la puissance, enfin l’Œuf lui-même comme le principe paternel de la troisième triade. Et le troisième dieu de cette troisième triade, cette théologie aussi le proclame Protogonos (= Premier-né) et l’apelle Zeus ordonnateur de tout et du monde entier, c’est pourquoi il est aussi appelé Pan (= Tout). Ce sont là autant de choses que cette généalogie établit au sujet des principes intelligibles (In princ., par. 123 bis, Ruelle I, pp. 318.10-319.7 = Combès-Westerink III, pp. 161-20-162.17 = OF 54, trad. J. Combès).

A partir de Chronos donc, la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos dit à peu près la même chose que celle des Rhapsodies.

Mais quelle hypothèse pourrait-on faire sur la signification et donc sur la situation historique de cette théogonie ?

La phrase d’introduction est particulièrement énigmatique. L’hésitation de Damascius qui ne sait s’il faut parler de deux auteurs ou d’un seul rend d’entrée de jeu très hasardeuse toute tentative pour identifier cet (ou ces) auteur(s).42

Faire l’impasse sur l’identité de cet (ou ces) auteur(s) rend la tâche particulièrement difficile à qui entreprend de dater cette version. Des auteurs, on est renvoyé aux témoins. Or, on ne trouve des témoignages sur cette version que chez un apologiste chrétien de la fin du IIe siècle de notre ère, Athénagore (Supplique au sujet des chrétiens, 18.3-6 = OF 57 ; 20 = OF 58 ; 32.1 = OF 59), et dans des romans, les Homélies (VI, 3-13 = OF 55 et 56) et les Reconnaissances (X, 17-19 = OF 56 ; X, 30 = OF 55), attribués à Clément I de Rome, mais qui sont des apocryphes, dont une partie au moins, celle qui nous intéresse, reproduit un ouvrage apologétique juif qui remonterait, lui, au milieu du IIe siècle apr. J.-C.43.

Le premier stade de cette théogonie, où interviennent l’eau et la matière dont vient la terre, pourrait bien n’être qu’une adaptation de l’exégèse allégorique de Zénon de Cition : « Zénon aussi dit que, chez Hésiode, le Chaos, c’est l’eau, dont, par condensation, naît le limon (ἰλὺν), duquel, par solidification (ἦς πηγνυμένης), se forme la terre ferme » (Schol. Apoll. Rhod. I, 498 = SVF I, n° 104, p. 29.17-19 von Arnim). En plaçant l’eau à l’origine, cette théogonie met d’accord « Orphée » avec Homère (cf. Aristote, Mét., N 4, 1091 b 4 sq.). Et, en interprétant le Chaos comme eau, elle réconcilie « Orphée » et Homère avec Hésiode. Une interprétation de ce genre ne va cependant pas sans poser un problème. En effet, Damascius raconte que Chronos engendre Ether, Chaos et Erèbe, en qui il dépose l’œuf dont sort Protogonos. Dans cette perspective, le Chaos se trouverait à la fois avant et après Chronos. La difficulté pourrait être levée de plusieurs façons. Ou bien on rectifie le témoignage de Damascius en le comparant à ceux d’Athénagore et du pseudo-Clément, où le Chaos n’intervient pas après Chronos. Ou bien on distingue entre un chaos primordial dépourvu de tout attribut et un Chaos postérieur au Temps, spatialement qualifié — même sous un mode négatif — d’« illimité ».

Cette théogonie semble être de peu postérieure à celle des Rhapsodies, dont j’ai placé la composition vers la fin du Ier ou au début du IIe siècle apr. J.-C. La théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos se borne en effet à interpréter la théogonie des Rhapsodies de façon à la rendre compatible avec les théogonies qu’on trouve chez Homère et chez Hésiode, et même avec la cosmologie stoïcienne. Cette hypothèse qui résulte d’une analyse interne se voit corroborée par le fait que les témoignages relatifs à la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos ne remontent jamais plus haut que le milieu du second siècle apr. J.-C.

Cela dit, essayons d’analyser cette version qui commence avec l’Eau. Avant l’Eau primordiale, Damascius pose un principe suprême, que n’auraient pas mentionné Hiéronymos et Hellanikos, parce qu’il s’agit de l’« Ineffable ». Cette astuce, qui permet à Damascius de retrouver à bon compte son premier principe dans cette théogonie orphique et donc de corroborer sa position dans le cadre du courant Néo-platonicien, nous permet de conclure que cette version commençait bien par l’Eau.

A partir de l’Eau, une réalité nouvelle apparaît. Athénagoras parle de « limon » (ἰλύς), ce qui suggère l’idée d’un dépôt, d’une sédimentation. Pour sa part, Damascius utilise un verbe qui signifie « geler », se « solidifier » (ἐπάγη). L’une et l’autre façon de s’exprimer décrivent un processus à la suite duquel la terre se différencie de l’eau primordiale. Un tel processus, comme le fait remarquer Jean Rudhardt44, se déroule hors des cadres du Temps, et de l’Espace, d’un Espace défini par le haut et par le bas en tout cas ; sexe, vie et personnalité n’y ont point place. Malgré tout, quelque chose se passe. Pour la première fois, la réalité revêt une forme. Un serpent apparaît.

Ce serpent a un nom, Chronos, c’est-à-dire le Temps, et une apparence fort complexe. Tout se passe d’ailleurs comme si, dans cette version, Chronos se voyait exclu de la première place qui est la sienne dans les Rhapsodies. La perte de cette prééminence s’accompagne, pour Chronos, d’une identification avec Phanès, dont il revêt l’apparence et les attributs. Mais, avant d’évoquer ce point, j’essaie de répondre à la question : pourquoi, dans cette version, Chronos, est-il appelé « Héraclès » ?

Dans un fragment de l’ouvrage de Porphyre : Sur la représentation des dieux (frag. 8, pp. 13*.3 sq., Bidez), on trouve un texte curieux, où, par suite d’un jeu de mots, le soleil est appelé Héraclès. Ce qui permet de relier les douze travaux du héros aux douze signes du zodiaque et d’expliquer que si Héraclès est revêtu d’une peau de lion, c’est que, dans le signe du lion, le soleil atteint son exaltation45. On est même allé, comme le fait remarquer Ovide (Métamorphoses, II, 78-83), jusqu’à assimiler les signes du zodiaque à des bêtes sauvages menaçantes que doit affronter le soleil au cours de son périple. De façon beaucoup plus générale, le nom d’Héraclès s’apparente à celui d’Héra, qui, lui-même, est issu du vieux nom indo-européen de l’« année » représenté par l’anglais year, et l’allemand Jahr notamment46. Dans ce contexte, devenait naturelle l’assimilation des douze travaux d’Héraclès à la « conquête » des douze mois de l’année. Voilà donc par quelle association d’idées on a pu appeler le Soleil « Héraclès ».

Il faut maintenant essayer de comprendre comment le Temps lui-même (= Chronos) a pu être appelé « Héraclès ». Chronos n’est jamais identifié au soleil qui, en une année, complète sa course dans le zodiaque. Toutefois, Platon, dans le Timée (38 c-39 d) considère comme unités de mesure du temps, non seulement la course de la lune et celle du soleil, mais aussi celle des autres planètes. S’inspirant de cette idée, les anciens Stoïciens ont élaboré leur doctrine de la « grande année » à la fin de laquelle l’univers est totalement détruit par le feu. Or, après avoir exposé la thèse stoïcienne suivant laquelle Dieu doit être identifié à la Nature et au Destin (Des bienfaits, IV, 7), thèse explicitement reprise par Damascius dans ce passage, où il est dit d’Héraclès « qu’il est uni à la Nécessité, qui est à la fois Nature et Adrastée »47, Sénèque poursuit en expliquant que ce Dieu peut aussi être appelé « Hercule », « parce que sa force, disent-ils (= les Stoïciens), est invincible et vouée, lorsqu’elle aura été épuisée par les œuvres sorties d’elle, à retourner au feu primitif » (Des bienfaits, IV 8, 1 trad. François Préchac, Paris [Les Belles Lettres], 1926). Cette exégèse allégorique permet donc d’établir un rapport entre la destruction de l’Univers par le feu à la fin de la « grande année » et le bûcher sur le sommet de l’Oeta où se consume Héraclès, après avoir accompli ses travaux. Dans un tel contexte, on comprend pourquoi Chronos peut être appelé « Héraclès ».

Par ailleurs, si Chronos est pourvu d’ailes, c’est qu’il s’identifie à Phanès, qui, lui, sort d’un œuf : le mélange Eau et Terre prend chez Athénagore la forme d’un œuf énorme. De plus, dans la tradition orphique, le soleil est ailé (OF 62). En outre, si Chronos est présenté comme un serpent, ce peut être pour trois raisons. 1) Pour signifier le cours du soleil dans les signes du zodiaque ; les têtes de taureau, de lion (et peut-être celle du dieu) évoquant certains signes du zodiaque. 2) Pour instaurer une opposition avec les ailes qui représentent les choses d’en haut, le serpent étant le représentant des choses d’en bas. 3) Ou enfin, pour illustrer l’épithète ἀγήραος, adjectif formé à partir du terme γῆρας, qui, en grec ancien, signifie tout à la fois « vieille peau » et « vieillesse » (Elien, ΝΑ, VI, 51).

Tout ce qui vient d’être dit sur l’assimilation de Chronos à la course du soleil dans le zodiaque explique son nom d’Héraclès, les représentations animales qui interviennent dans la description de son apparence physique, et même son union avec la Nécessité, « qui est à la fois Nature et Adrastée ». A cet égard, il faut rappeler que, dans la seconde version où elle occupe par rapport à Phanès un rang correspondant, la Nuit est appelée Anagké, Adrastée et Heirmarméné (= la Destinée). Mais les noms d’Anagké et d’Adrastée présentent plus d’affinité avec le Temps qu’avec la Nuit. Car c’est dans le Temps, mesuré par la course du soleil dans le Zodiaque que s’inscrit la Nécessité sous la forme d’un Destin, auquel nul ne se peut soustraire. D’où l’idée d’une Providence évoquée par cet autre nom de Phanès dans les Rhapsodies, et dont le gouvernement est à la fois universel et inéluctable.

Il semble que, au niveau de Chronos, une première distinction sexuelle soit opérée. Voilà pourquoi, par la suite, on parle d’engendrement. Engendrement d’une triade : Ether, Chaos et Erèbe. Cette triade est dite analogue à la première : Eau, Terre et Chronos. Sur ce point, on notera que l’Ether est qualifié d’« humide », le Chaos d’« illimité » et l’Erèbe de « nébuleux ».

Puis, dans cette seconde triade, Chronos engendre l’Œuf primordial. La suite est un peu plus confuse, non pas du point de vue de la théogonie, mais du point de vue de l’interprétation qu’en propose Damascius qui parle d’une troisième triade : Œuf, dyade des natures et pluralité des semences, Protogonos. D’où ce schéma :

ineffable
eaumatière (→ terre)Chronos (= Adrastée)
EtherChaosErèbe
Œufdyade des naturesProtogonos
pluralité des semences
père[puissance][intellect]

Le fait que le dieu qui sort de l’Œuf est appelé Protogonos n’a pas de quoi surprendre. Il en va de même pour le nom Pan (= Tout), car ce dieu est toutes choses. Et, comme il sera ingurgité par Zeus, on peut déjà lui donner ce nom.

2.2.3. La théogonie rapportée par Eudème (OF 28, cf. OF 1-46)

Après avoir cité la théogonie des Rhapsodies, Damascius cite la théologie mentionnée par Eudème48.

La théologie décrite chez le péripatéticien Eudème comme étant d’Orphée a passé sous silence tout l’intelligible, parce qu’il est complètement indicible et inconnaissable par le procédé discursif et narratif ; cette théologie a fait de la Nuit le commencement, comme Homère aussi l’a fixé à partir d’elle, quoiqu’il n’ait pas constitué une généalogie continue. On ne doit pas, en effet, approuver Eudème quand il dit qu’Homère fait (tout) commencer à partir d’Okéanos et de Téthys ; car Homère paraît avoir su également que la Nuit est la divinité la plus grande, tellement que Zeus la vénère

car il craignait de faire des actes qui déplairaient à la Nuit rapide (Iliade, XIV, 261).

Mais admettons qu’Homère, lui aussi, fait tout commencer par la Nuit. » (Damascius, In princ., par. 124, Ruelle I, pp. 319.8-16 = Combès-Westerink III, pp. 162.18-163.6 = OF 28).

Même si Damascius justifie de façon tout à fait artificielle le fait que cette théogonie commence par la Nuit, son témoignage présente le plus grand intérêt. Car, en citant Eudème, il établit que, peu de temps après Platon, le premier terme de la théogonie orphique était la Nuit, corroborant ainsi le témoignage d’Aristophane (Aristophane, Oiseaux 690 sq.). Or, puisque Platon semble prendre pour acquis que la théogonie orphique s’étend sur six générations (Philèbe, 66 c), on peut supposer que, à son époque, la théogonie orphique commençait par la Nuit et se terminait par Dionysos. Mais on ne peut savoir ni ce que cette version racontait sur Dionysos et sur ses rapports avec les Titans ni si ce récit était déjà lié à un rite.

Le papyrus de Derveni49 reste lui aussi muet et sur ce qui précède la Nuit et sur ce qui advient de Dionysos.

Que conclure du témoignage de Damascius ? Quatre choses :

1) A l’époque de Damascius, la version la plus courante de la doctrine orphique était celle des Discours sacrés en 24 rhapsodies, qui comprenait une théogonie et une cosmogonie, qui justifiait une éthique propre et qui fondait des rites.

2) Pour interpréter les Rhapsodies, Damascius devait avoir sous les yeux l’ouvrage de Syrianus intitulé : Accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles chaldaïques, et dont Proclus avait rempli les marges de ses commentaires (cf. la note 17). Le fait que, la plupart du temps, Damascius parle des Rhapsodies dans un contexte chaldaïque et qu’il associe très souvent Orphisme et Pythagorisme trahissent sa source.

3) Pour justifier l’adjonction de l’ineffable dans son système, Damascius cite par aileurs une théogonie attribuée à Hiéronymos et à Hellanikos, qui fait sortir Chronos d’un mélange de terre et d’eau. Cette version semble être une adaptation de celle des Rhapsodies interprétée à la lumière du Stoïcisme et du Mithriacisme notamment. La chose n’est pas sans importance pour qui s’interroge sur la succession historique de ces théogonies.

4) Enfin, on peut, à partir de la citation que Damascius fait de la théogonie d’Eudème, supposer que, à l’époque de Platon, la théogonie commençait par la Nuit et se terminait avec Dionysos, sans cependant savoir quels épisodes comprenaient alors le drame final.

Cette mise en perspective historique des témoignages sur les différentes versions de la théogonie orphique devrait inciter à la plus grande prudence tous ceux qui utilisent ces témoignages.

Ces dernières années, les études sur l’Orphisme ont connu un nouvel essor dû notamment à l’examen de documents nouveaux et à l’exploitation sur des bases originales de documents connus depuis longtemps. Mais toute recherche sur les plaquettes d’or d’Olbia, sur les lamelles d’or d’Italie du Sud, sur le papyrus de Derveni, sur des documents figurés de toute nature, sur des œuvres littéraires comme les Argonautiques d’Apollonius de Rhodes et les Argonautiques attribués à Orphée, et sur une œuvre religieuse comme les Hymnes orphiques, implique une référence constante à des fragments de l’une ou l’autre des versions de la théogonie orphique. D’où la nécessité d’apporter une réponse aussi précise que possible à ces deux questions : à quelle version de la théogonie orphique ressortit cette référence ? dans quel contexte est cité le fragment visé ? Seul un examen critique de chaque témoignage permet de répondre à ce genre de questions.

Le vrai mystère de l’Orphisme, comme celui de beaucoup d’autres doctrines philosophiques et religieuses, tient essentiellement dans la destruction des textes et des documents qui en gardaient les traces. Reconstituer au mieux ces textes et ces documents, pièce par pièce, avec beaucoup de prudence, voilà la tâche qui incombe à celui qui entreprend une recherche sérieuse sur l’Orphisme.

Annexe

A : Les témoignages de Damascius sur l’Orphisme

Version ancienne

OF 14

De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.23 = Combès-Westerink II, p. 34.22-24

In Parm., par. 199, Ruelle II, p. 80.15 ; par. 253, Ruelle II, p. 123.5 ; par. 278, Ruelle II, p. 150.6 ; par. 381, Ruelle II, p. 231.26

In Phil., par. 251 (1 v., p. 119.8)

Version d’Eudème

OF 28

De princ., par. 124, Ruelle I, p. 319.8-16 = Combès-Westerink III, pp. 162.18-163.6

Version de Hiéronymos et d’Hellanikos

OF 54

De princ., par. 123 bis, Ruelle I, pp. 317.15-319.7 = Combès-Westerink III, pp. 161.20-162.17

Version des Rhapsodies

Quelques données chiffrées. Sur les 176 fragments que O. Kern range sous la rubrique Discours sacrés en 24 rhapsodies, 123 dépendent en tout ou en partie du témoignage de Proclus soit 69,89 %, alors que seulement 38, soit 21,55 % dépendent du témoignage de Damascius. Alors qu’on trouve sur cette version de la théogonie orphique 248 témoignages chez Proclus, on n’en trouve que 56 chez Damascius.

OF 60

De princ., par. 98, Ruelle I, p. 253.12-13 = Combès-Westerink III, p. 57.8-11 ; par. 123, Ruelle I, p. 316.18-317.14 = Combès-Westerink III, pp. 159-17-160.16

In Phil., par. 106 ; par. 243

OF 64

De princ., par. 111, Ruelle I, p. 285.7-14 = Combès-Westerink III, p. 109.7-14

OF 66

De princ., par. 50, Ruelle I, p. 100.19-20 = Combès-Westerink II, p. 24.8-9

OF 70

De princ., par. 55, Ruelle I, pp. 111.17-112.3 = Combès-Westerink II, p. 40.14-19

OF 84

In Parm., par. 189, Ruelle II, p. 65.14-19

OF 85

De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.13-20 = Combès-Westerink II, p. 34.8-17 ; par. 89, Ruelle I, p. 217.26-27 = Combès-Westerink II, p. 210.10 ; par. 98, Ruelle I, pp. 251.18-252.3 = Combès-Westerink III, p. 55.1-5 ; par. 111, Ruelle I, p. 286.15-20 = Combès-Westerink III, p. 111.1-9

OF 86

De princ., par. 113, Ruelle I, p. 291.18-22 = Combès-Westerink III, pp. 118.21-119.3

In Parm., par. 133, Ruelle II, p. 12.9-14

OF 98

In Parm., par. 202, Ruelle II, pp. 84.28-85.2 ; par. 209, Ruelle II, pp. 92.22-27 ; par. 244, Ruelle II, pp. 115.24-116.6

OF 99

In Parm., par. 192, Ruelle II, p. 69.20-33

OF 100

In Parm., par. 213, Ruelle II, p. 95.6-9

OF 108

In Parm., par. 190, Ruelle II, p. 67.8-10

OF 113

In Parm., par. 257, Ruelle II, pp. 125.24-126.2

OF 114

In Parm., par. 265, Ruelle II, p. 131.11-13 ; par. 267, Ruelle II, p. 134.24-29

OF 122

In Parm., par. 205, Ruelle II, p. 88.11-12 ; par. 400, Ruelle II, p. 254.10-12 et 25-29

OF 123

In Phaed., I, par. 497 ; par. 541

OF 125

In Phaed., II, par. 145

OF 131

De princ., par. 67, Ruelle I, p. 146.12-19 = Combès-Westerink II, p. 92.5-15

OF 132

In Parm., par. 422, Ruelle II, p. 277.5-9

OF 133

In Parm., par. 284, Ruelle II, p. 157.12-14

OF 146

De princ., par. 267, Ruelle II, p. 134.17-19

OF 150

In Parm., par. 278, Ruelle II, p. 150.22-26

OF 155

In Parm., par. 270, Ruelle II, pp. 136.27-137.3

OF 161

In Parm., par. 283, Ruelle II, pp. 156.17-20

OF 165

In Phaed., I, par. 331 (v. 1, par. 331.8)

OF 166

In Parm., par. 205, Ruelle II, p. 87.2-3

OF 168

In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.9-20

In Phaed., I, par. 127 ; par. 540

OF 172, cf. 212

In Phaed., I, par. 14

OF 179

In Parm., par. 256, Ruelle II, p. 125.4-8

OF 192

In Parm., par. 339, Ruelle II, p. 200.14-22

OF 201

In Parm., par. 352, Ruelle II, p. 214.4-30

OF 203

In Phil., par. 159

OF 208

In Phaed., I, par. 4 ; par. 168

OF 209

In Phaed., I, par. 129 ; par. 130

OF 210

De princ., par. 94, Ruelle I, p. 236.1-8 = Combès-Westerink III, p. 28.3-12

OF 212, cf. 172

In Phaed., I, 44

OF 215

In Phaed., I, par. 7 ; par. 9

OF 218

In Parm., par. 160, Ruelle II, p. 44.3-6 ; par. 245, Ruelle II, pp. 117.2-6

OF 232

In Phaed., I, par. 11

OF 235

In Phaed, I, par. 170

Hymne aux nombres

OF 313

In Parm., par. 265, Ruelle II, p. 131.15-19

[OF 355

In Parm., par. 158, Ruelle II, p. 79.8-10]. Pour ma part, je rattacherais ce témoignage à OF 108

B : Les témoignages de Damascius sur l’Orphisme, où des vers sont cités : les vers affectés d’un * ne sont pas complets.

OF 14

v. 1* : In Parm., par. 199, Ruelle II, p. 80.15 ; par. 253, Ruelle II, p. 123.5 ; par. 381, Ruelle II, p. 231.26.

OF 70

vv. 1-2* : De princ., par. 55, Ruelle I, p. 111.18-19 — Combès-Westerink II, p. 40.15-16.

OF 84

v. 1* : In Parm., par. 189, Ruelle II, p. 65.18

OF 85

v. 2* : De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.14 = Combès-Westerink II, p. 34.9 ; par. 89, Ruelle I, p. 217.27 = Combès-Westerink II, p. 210.10 ; par. 98, Ruelle I, p. 251.20 = Combès-Westerink III, p. 55.3 OF 86

v. 4 : In Parm., par. 153, Ruelle II, p. 12.13

OF 98

v. 1 : In Parm., par. 244, Ruelle II, p. 116.4

OF 129

v. 1 : De princ., par. 131, Ruelle I, p. 146.17

OF 155

V. 1 : In Parm., par. 270, Ruelle II, p. 136.29

OF 165

V. 1 : In Phaed, I, par. 331.8

OF 168

v. 1 : In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.10 ; v. 3 : In Parm., Ruelle II, p. 177.11 ; v. 4 : In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.16 ; v. 6 : In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.19 ; v. 16, In Parm., par. 311, Ruelle II, p. 177.17.

OF 179

v. 1 : In Parm., par. 256, Ruelle II, p. 125

OF 218

v. 1* : In Parm., par. 245, Ruelle II, p. 177.2

OF 232

vv. l*-5 : In Phaed I, par. 11.3-7

____________

1 Ce travail n’aurait pas été possible sans l’aide chaleureuse que m’a apportée Joseph Combès qui doit traduire pour Les Belles Lettres le Traité des premiers principes et le Commentaire sur le Parménide sur un texte établi par L.-G. Westerink. Seuls les premiers tomes de cet ouvrage qui en comprendra six ont été publiés (pour une description, cf. la note 13). Toutes les citations aux fragments orphiques sont faites à partir des Orphicorum fragmenta, collegit O. Kern, (1922), Dublin/Zürich (Weidmann), 1972 (reprint). Le nom des traducteurs est indiqué ; aussi, lorsqu’une traduction n’est pas signée, est-elle de moi. Je tiens à remercier le père Saffrey, qui a lu le manuscrit de cet article, et qui m’a fait d’utiles remarques. Je remercie Alain Segonds pour les mêmes raisons ; je tiens aussi à signaler qu’Alain Segonds a mis à ma disposition le dernier jeu d’épreuves de Damascius, Traité des premiers principes II et III. La traduction que je donnerai ici représente un état antérieur de celle qu’on trouve imprimée dans le t. III ; voilà pourquoi, sur certains points, elle en diffère légèrement. Je remercie enfin Sylvain Matton, qui m’a aidé à corriger les épreuves.

2 Luc Brisson, « Proclus et l’Orphisme », dans Proclus. Lecteur et interprète des anciens. Actes du Colloque international du CNRS, Paris (2-4 octobre 1985), publiés par Jean Pépin et H.-D. Saffrey, Paris (éd. du CNRS), 1987, pp. 43-104.

3 Oracles Chaldaïques avec un choix de commentaires anciens, texte établi et traduit par Edouard des Places, Paris (Les Belles Lettres), 1971, 19892 (avec quelques corrections) ; Hans Lewy, Chaldaean oracles and theurgy (1956), nouvelle édition par Μ. Tardieu, Paris (Les Etudes Augustiennes), 1978.

4 Sur la vie, l’œuvre et la doctrine de Damascius, on lira l’Introduction donnée par Joseph Combès au premier tome de l’ouvrage décrit dans la note 13 (pp. IX-LXXII).

5 En 1925, on a découvert à Homs (= Emèse), en Syrie, une stèle qui portait la date de 538 apr. J.-C. et sur laquelle se trouvait une épigramme funéraire, identique à une épigramme attribuée au philosophe Damascius dans l’Anthologie palatine. Sur le sujet, cf. J. Combès, Introduction à Damascius, Traité des premiers principes I, Paris (Les Belles Lettres), 1986, pp. XXIII-XXIV, n. 1 et 2.

6 Michel Tardieu (« Ṣābiens coraniques et ’Ṣābiens’ de Ḥarrān », Journal Asiatique, 274, 1986, pp. 1-44) estime avoir identifié le lieu où s’installèrent les philosophes néo-platoniciens à leur retour de Perse. Il s’agirait de la ville de Ḥarrān (l’ancienne Carrhae), qui se trouvait alors dans l’Empire byzantin, non loin d’Εdesse, près de la frontière Perse. Là auraient été composés les commentaires de Simplicius et peut-être même aussi le Traité des premiers principes et le Commentaire sur le Parménide. Cette thèse est reprise et étayée dans un autre article : « Les calendriers en usage à Ḥarrān d’après les sources arabes et le Commentaire de Simplicius à la Physique d’Aristote », Simplicius, sa vie, son œuvre, sa survie, Actes du Colloque International de Paris (28 sept.-1 oct. 1985) organisé par le Centre de recherche sur les œuvres et la pensée de Simplicius (RCP, 739 — CNRS) éd. par I. Hadot, Peripatoi Band 15, Berlin/New York (de Gruyter), 1987, pp. 40-57. Je reste sceptique sur les conclusions de ces excellents articles qui apportent beaucoup de neuf. Ne pourrait-on pas croire en effet que si Simplicius utilise des calendriers en usage hors de l’empire byzantin, c’est non pas parce qu’il se trouve effectivement à l’extérieur de l’empire, mais tout simplement parce qu’il pense à d’éventuels lecteurs étrangers ? De plus, on peut se poser la question de savoir de quelle bibliothèque aurait disposé Simplicius à Ḥarrān.

7 Cf. la note 4.

8 Damascii, Vitae Isidori reliquiae, edidit adnotationibusque instruxit Clemens Zintzen, Hildesheim (George Olms), 1967. On trouvera le texte grec et une traduction française des Notices de Photius dans Photius, Bibliothèque, texte établi et traduit par René Henry, tome II (Codices 184-185), Paris (Les Belles Lettres), 1960 ; tome VI (Codices 242-245), Paris (Les Belles Lettres), 1971. Traduction allemande par R. Asmus, Das Leben des Philosophen Isidoros von Damaskios aus Damaskos, Philosophische Bibliothek, Band 125, Leipzig (Meiner), 1911. Cf. aussi Jacques Schamp, Photios. Historien des lettres. La Bibliothèque et ses notices bibliographiques, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et des Lettres de l’Université de Liège, fasc. CCXLVIII, Paris (Les Belles Lettres), 1987, pp. 129-152 ; S.-L. Karren, Near eastern culture and hellenic paideia in Damascius’ Life of Isidore, Diss. Univ. of Wisconsin at Madison, 1978, 190 p. (microfilm). Cf. summary in DA, XXXIX, 1978, p. 3077 A.

9 Sur les difficultés que pose la datation de cet ouvrage, cf. J. Combès, Introduction à Damascius, Traité des premiers principes I, Paris (Les Belles Lettres), 1986, pp. XXXV-XXXVI.

10 The greek commentaries on Plato’s Phaedo, Vol. II : Damascius, text and english translation by L.-G. Westerink, Verhandelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, Nieuwe Reeks, deel 93, Amsterdam/Oxford/New York (North-Holland Publishing Comp.), 1977.

11 The greek commentaries on Plato’s Phaedo, Vol. I : Olympiodorus, text and english translation by L.-G. Westerink, Verhandelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, Nieuwe Reeks, deel 92, Amsterdam/Oxford/New York (North-Holland Publishing Comp.), 1976. — Né entre 495 et 505 apr. J.-C., Olympiodore serait mort peu après 565. Disciple d’Ammonius à Alexandrie, il aurait accédé à la chaire de philosophie vers 541. Il semble ne pas avoir quitté Alexandrie ; et beaucoup d’indices laissent supposer qu’il ne s’est jamais converti au christianisme. Sur ce personnage, cf. l’Introduction aux Prolégomènes à la philosophie de Platon, texte établi par L.G. Westerink et traduit par J. Trouillard avec la collaboration de A.Ph. Segonds, Paris (Les Belles Lettres), 1990, pp. XVII-XXXI. La section II de cette introduction (pp. X-XLII) constitue une mise au point essentielle sur l’histoire de l’Ecole d’Alexandrie après Hermias.

12 Damascius, Lectures on the Philebus, wrongly attributed to Olympiodorus, text, translation, notes and indices by L.-G. Westerink, Amsterdam (North-Holland Publishing Comp.), 1959, reprint (avec quelques suppléments), 1983. Sur les arguments qui ont amené L.-G. Westerink à attribuer ce commentaire à Damascius plutôt qu’à Olympiodore, cf. l’Introduction, pp. XV-XXII.

13 La seule édition complète de cet ouvrage est celle établie par C.-E. Ruelle, Damascii successoris, Dubitationes et Solutiones de primis principiis, In Platonis Parmeniden, partim secundis curis recensuit, partim nunc primum edidit, Car. Aem. Ruelle, Pars prior ; Pars altera, Paris (Klincksieck), 1889 (édition très discutable). La seule traduction française complète de l’ouvrage est celle de A.-Ed. Chaignet, Damascius le Diadoque, Problèmes et Solutions touchant les Premiers Principes avec le tableau sommaire des doctrines des Chaldéens de Michel Psellus, traduits pour la première fois (…) par A.-Ed. Chaignet, Paris, 1898 : (reprint à Bruxelles) (Culture et Civilisations), 3 tomes, 1964). Récemment a été publiée une traduction française de la première partie de l’ouvrage de Damascius Des premiers principes. Apories et solutions, Introduction, notes et traduction du grec par Marie-Claire Galpérine, Paris (Verdier), 1987. Madame Galpérine a travaillé sur le texte de Ruelle, dont elle s’éloigne de temps à autre ; ces divergences sont indiquées en note. Mais le travail destiné à modifier radicalement et pour longtemps la situation est celui qu’ont entrepris Les Belles Lettres : Damascius, Traité des Premiers principes, vol. I, De l’ineffable et de L’Un, texte établi par Leendert Gerrit Westerink et traduit par Joseph Combès, Paris (Les Belles Lettres), 1986 ; vol. II : De la triade et de l’unifié, texte établi par Leendert Gerrit Westerink et traduit par Joseph Combès, Paris (Les Belles Lettres), 1989 ; vol. III : De la procession, 1991.

14 Cf. la note 4.

15 Jean Trouillard, « Le Parménide de Platon et son interprétation néoplatonicienne », Etudes néoplatoniciennes, Neuchâtel (La Baconnière), 1973, p. 9 ; H.-D. Saffrey, « La Théologie platonicienne de Proclus, fruit de l’exégèse du Parménide », Revue de Théologie et de Philosophie, 116, 1984, pp. 1-12 ; et « La Théologie platonicienne de Proclus et l’histoire du Néoplatonisme », Proclus et son influence. Actes du Colloque de Neuchâtel (juin 1985), éd. par G. Boss et G. Seel, Zürich (éd. du Grand Midi), 1987, pp. 29-44, repris dans Recherches sur le Néoplatonisme après Plotin, Paris (Vrin), 1990, pp. 173-184 ; 185-200 respectivement.

16 Garth Fowden, « The pagan holy man in late antique society », Journal of Hellenic Studies, 102, 1982, pp. 35-59, surtout pp. 43-48.

17 Cf. sur le sujet, mon article : « Proclus et l’Orphisme », dans Proclus. Lecteur et interprète des anciens (description dans la n. 2), Paris, 1987, pp. 47-51.

18 OF 54 (Damascius), OF 57 (Athénagore), OF 60 (Damascius), OF 64 (Damascius), OF 65 (Souda, Georgius Cedrenus, Jean Malalas), OF 66a (Proclus, Syrianus), OF 68 (Proclus, Syrianus), OF 70 (Damascius). Par ailleurs, comme le fait justement remarquer M.-L. West (The orphie poems, p. 200, n. 78), il n’y a aucune raison valable de croire que la source de la scholie à Apollonius de Rhodes (III 26 = OF 37) soit le Sur les dieux d’Apollodore d’Athènes. Bien plus, Χρόνος est une correction proposée par Zoega pour Κρόνος.

19 Pour une présentation d’ensemble, cf. Robert-Alain Turcan, Mithra et le mithriacisme, Que sais-je ? n° 1929, Paris (PUF), 1981 ; Mithras platonicus. Recherches sur l’hellénisation philosophique de Mithra, EPRO 47, Leiden (Brill), 1975 ; Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris (Les Belles Lettres), 1989, surtout le chapitre IV. Cf. mon article : « La figure de Chronos dans la théogonie orphique et ses antécédents iraniens », Mythes et représentations du temps, Paris (éd. du CNRS) 1985, pp. 37-55.

20 Les Rhapsodies (OF 91-97) attribuent à Phanès une première « création » intelligible, qui servira de modèle à la « création » sensible mise en œuvre par Zeus. Or, le promoteur de cette idée semble avoir été Philon d’Alexandrie (De opificio mundi, par. 69 sq.) pour rendre compte du fait que, dans la Genèse (I, 27 et II, 7-22), on trouve deux versions de la création de l’homme. Sur le sujet, cf. Charles Kannengiesser, « Philon et les Pères sur la double création de l’homme », Philon d’Alexandrie, Colloques Nationaux du CNRS (Lyon, 11-15 septembre 1966), Paris (éd. du CNRS), 1967, pp. 277-296 ; La « doppia creazione » dell’uomo negli Alessandrini, nei Cappadoci e nella Gnosi, a cura di Ugo Bianchi, Roma (ed. dell’Ateneo e Bizarri), 1978.

21 Probablement dans L’accord entre Orphée, Pythagore, Platon et les Oracles chaldaïques, cf. supra p. 168 et n. 17.

22 Ce passage est extrêment difficile à comprendre en raison de son caractère énigmatique que viennent accuser des difficultés textuelles. Comment construire et interpréter ce membre de phrase τὸ ϰυούμενον καὶ τὸ ϰύον ᾠὸν τὸν θεόν ? Pour répondre à cette question, il faut évoquer un passage parallèle qui précède celui-ci : « C’est pourquoi encore le théologien chante Métis comme le ’premier’ et ’celui qui porte la semence des dieux’ (cf. infra, p. 174), lui que les dieux eux-mêmes appellent aussi source de tous les diacosmes-sources ;… Or si Métis est tel, tel est bien davantage le Métis qui est en formation, ou peut-être pour parler de façon plus juste, la médiation intelligible qui porte Métis dans son sein (= Eriképaios) (Eἰ δὲ ὀ Μῆτις τοιοῦτος, πολλῷ μᾶλλον ὀ ϰυόμενος Μῆτις, ἴσως δὲ ϰάλλιον εἰπεῖν, ἡ ϰύουσα τὸν Μῆτιν νοητὴ μεσότης) ; et, avant celle-ci précisément, est l’être en soi, le diacosme réellement caché (ὁ ϰρύφιος τῷ ὄντι διάϰοσμος) » (= c’est-à-dire l’Œuf, qui correspond à l’être, cf. supra, p. 171) (Damascius, De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.13-20 = Combès-Westerink II, p. 34.14-17). Dans cette perspective, on pourrait comprendre que le dernier terme de la seconde triade se trouve être Métis en formation, c’est-à-dire ce qu’il y a à l’intérieur de l’Œuf. L’hypothèse se voit étayée par les mots suivants : ἢ τὸν ἀργῆτα χιτώνα. Chez Aristote en effet (Histoire des animaux, V, 32, 515a14), χιτών désigne cette membrane qui entoure le blanc de l’œuf et qui est elle-même blanche. Enfin, l’expression ἤ τὴν νεφέλην pourrait s’expliquer ainsi. Dans la citation précédente et plus précisément en De princ., par. 53, Ruelle I, p. 107.19-20 = Combès-Westerink II, p. 34.16-17, Damascius qualifie l’Œuf de ϰρύφιος διάϰοσμος. Or, un peu plus loin, lorsqu’il évoque la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos (cf. 2.2.2.), Damascius précise que Chronos dépose l’Œuf dans l’Erèbe qualifié de « nébuleux ».

23 Pour la classe des dieux intellectifs, on se reportera à la comparaison qu’établissent entre la position de Damascius et celle de Proclus H.-D. Saffrey et L.-G. Westerink dans leur Introduction à Proclus, Théologie platonicienne, livre V, pp. IX-XXXVII.

24 Cf. la note précédente pour la référence.

25 Il pourrait être intéressant de remarquer que l’ordre dans lequel Damascius cite les vers de L’Hymne à Zeus ne correspond ni à celui qu’on trouve chez Eusèbe, qui cite Porphyre, ni à celui qu’on trouve chez Proclus (cf. OF 168).

26 Frag. 35 et 36 des Places.

27 Frag. 6 des Places. L’ὑπεζωϰώς des Oracles chaldaïques, c’est Hécate (cf. aussi Proclus, In Remp. II, p. 225.3 et Damascius, In Parm., par. 198, Ruelle II, p. 79.9-10). On notera que, chez Aristote, ὑπόζωμα est souvent employé dans le sens de « diaphragme ».

28 Peut-être une allusion à ce passage du Timée (55 c), où l’arrangement des corps célestes est présenté comme un dessin, une peinture. Cf. Luc Brisson, Le même et l’autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Paris (Klincksieck), 1974, p. 47.

29 Sur l’épithète ἄζωνος, cf. Proclus, In Tim., III, 43.13 ; In. Parm. 647.7 ; et Damascius, De princ., par. 96, Ruelle I, 241.19.

30 Allusion à une énigme connue (scholie à Rép. V 479 c = Anthologia lyrica graeca, fasc. 3, p. 76 Diehl (1954, reprint de 19523), cf. David, Prolegomena Philosophiae, CAG XVIII 2, p. 42.11 Busse ; pseudo-Elias (pseudo-David) On Porphyry’s Isagoge, ed. Westerink, Amsterdam, 1967, p. 16.6-10.

31 Sur cette allusion à la monade et à la triade des deux classes de démiurges, on lira la note de L.-G. Westerink à sa traduction. La solution que propose L.-G. Westerink me semble être la meilleure en l’état actuel des choses. Mais elle reste une conjecture.

32 L.-G. Westerink reconnaît lui-même le caractère conjectural de cette reconstruction. Les rapprochements faits par L.G. Westerink, qui suggèrent que ce développement remonte à Jamblique, sont tout à fait éclairants.

33 Voici ce qu’on peut lire dans le Timée : « Une fois que, au gré de son auteur (= le démiurge), toute la composition de l’âme fut réalisée, après cela, c’est tout le monde corporel qu’à l’intérieur de l’âme il se mit à construire ; les faisant coïncider par leur milieu, l’un à l’autre il les ajusta ; et l’âme, du milieu jusqu’aux extrémités du ciel, en tous sens étendit ses rets, en cercle du dehors l’enveloppa… » (Timée 36 d-e, trad. J. Moreau).

34 Sur ce thème, on lira l’article de Jean Pépin, « Plotin et le miroir de Dionysos » (Enn. IV 3 [37], p. 12.1-2), Revue intern, de Philosophie 24, 1970, pp. 304-320.

35 Ces remarques avaient déjà été faites par Ivan Μ. Linforth, The arts of Orpheus, Berkeley and Los Angeles (Univ. of California Press), 1941, pp. 328-329.

36 Comme l’avait déjà remarqué Ivan Μ. Linforth (The arts of Orpheus, Berkeley and Los Angeles, 1941, p. 330) un Néo-platonicien orthodoxe aurait eu beaucoup de mal à accepter l’idée qu’il y ait en l’homme quelque chose de divin qui ne ressortisse pas à l’âme.

37 Comme le fait remarquer dans une note à sa traduction L.-G. Westerink, Damascius considère Dionysos comme le prototype (τὸ παράδειγμα) de l’âme humaine (In Phil., par. 228.7-8). Sur Dionysos et le miroir, cf. Plotin (Enn., IV 3, 12.1-2) et Proclus (In Remp., 1, 94.5-8, 125.20-22 ; In Tim., I, 142.24-141.1, 336.29-337.3, II, 80.19-24).

38 Probablement le fragment d’un vers des Rhapsodies, cité en entier par Proclus, dans son In Alc., 44.3. Tout le passage de l’In Alc. (43.23-44.4) est parallèle à ce paragraphe du In Phaed.

39 Sur ces trois sortes de corps, cf. E.-R. Dodds, Proclus, The elements of theology (1933), Oxford (Clarendon Press), 19633, prop. 207-211, commentaire, pp. 306-309 et l’Appendix II, « The astral body in Neoplatonism », pp. 313-314 (+ 347-348).

40 Sur cette expression, cf. la longue note de L.-G. Westerink à sa traduction de ce passage. L-G. Westerink conclut en déclarant que l’assimilation du Tartare à la lie ne se retrouve nulle part. Je crois, au contraire, que la théogonie de Hiéronymos et d’Hellanikos à tout le moins y faisait allusion (cf. pseudo-Clément, Homélies, VI, 6).

41 Ce membre de phrase συνεῖναι δὲ αὐτῷ τὴν ’Ανάγϰην, Φύσιν οὖσαν τὴν αὐτην ϰαὶ Άδράστειαν est très difficile à comprendre. Premièrement συνεῖναι δὲ αὐτῷ peut vouloir dire soit « il y avait avec lui », soit « s’unissait (sexuellement) à lui » ; j’ai opté pour la première solution, parce que plus générale, mais non sans réserve. J’ai lu δισώματος, comme chez Athénagore (Supplique au sujet des chrétiens, XVII, 5) et non ἀσώματος ; l’explication proposée par Jean Rudhardt, Le thème de l’eau primordiale dans la mythologie grecque, Travaux publiés sous les auspices de la Société Suisse des Sciences humaines 12, Berne (Francke), 1971, n. 3, pp. 14-15, me semble tout à fait vraisemblable.

42 Sur les relations entre ces témoignages, cf. l’article intéressant, mais discutable de J. van Amersfoort, « Traces of an Alexandrian orphie theogony in the pseudoClementines », Studies in Gnosticism and hellenistic religions presentend to Gilles Quispel on the occasion of his 65th birthday, ed. by R. van den Broek and Μ.-J. Vermaseren, EPRO 91, 1981, pp. 13-30.

43 La dernière tentative en ce domaine reste celle de M.-L. West, The orphie poems, Oxford (Clarendon Press), 1983, pp. 176-178 ; et maintenant L. Brisson, « Orphée et l’Orphisme à l’époque impériale. Témoignages et interprétations philosophiques, de Plutarque à Jamblique », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II, 36.4, pp. 2897-2914.

44 Cf. Jean Rudhardt, Le thème de l’eau primordiale dans la mythologie grecque, pp. 15-16.

45 Il faut signaler que ὕψωμα est un terme astrologique.

46 Jean Haudry, La religion cosmique des Indo-européens, Milano (Archè), Paris (Les Belles Lettres), 1987, chap. 5.

47 Sur les difficultés que pose le texte de Damascius à cet endroit, cf. la note 41.

48 Eudème appartient à la première génération des disciples d’Aristote. Sur sa vie et son œuvre, cf. (RE, supp. XI (1968), s.v. Eudemos 11), 652-658 (F. Wehrli). Les fragments qui subsistent de son œuvre ont été réunis dans Die Schule des Aristoteles. Texte und Kommentar, hrsg, von Fritz Wehrli, Heft VIII : Eudemos von Rhodos, Basel/Stuttgart, 1969 (zweite, ergängzte und verbesserte Auflage). On ne sait pas à quelle œuvre d’Eudème peut appartenir le fragment 150, que cite Damascius.

49 On trouve une édition officieuse et, semble-t-il incomplète, de ce document dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 47, 1982, après la page 300, 12 p. Pour un commentaire, cf. Walter Burkert, « Orpheus und die Vorsokratiker. Bemerkungen zum Derveni-Papyrus und zur pythagoreischen Zahlenlehre », Antike und Abendland, 14, 168, pp. 93-144 ; « La genèse des choses et des mots. Le papyrus de Derveni entre Anaxagore et Cratyle », Etudes philosophiques, 1970, pp. 443-455. Cf. aussi J.-S. Rusten, « Interim notes on the papyrus from Derveni », Harvard Studies in Philosophy, 89, 1985, pp. 121-140 ; K. Tsantsanoglou et G.-M. Parassoglou, « Heraclitus in the Derveni papyrus », Aristoxenica, Menandrea, Fragmenta philosophica, Accademia Toscana di Scienze e Lettera « La Colombaria », Studi XCI, Firenze (Olschki), 1988, pp. 125-133. Cf. aussi M.-L. West, The orphic poems, Oxford (Clarendon Press), 1983, chap. III surtout ; et Luc Brisson, « Les théogonies orphiques et le papyrus de Derveni. Notes critiques (sur le livre de M.-L. West) », Revue de l’Histoire des Religions, 202, 1985, pp. 399-420 (pp. 415-420, texte de la théogonie commentée reconstituée par M.-L. West et traduit en français par Luc Brisson).

Dans le papyrus de Derveni, on ne trouve aucune allusion au Temps (= Chronos) comme divinité primordiale. Et si le commentateur parle du temps (col. VIII de l’édition ZPE), c’est dans le cadre d’une interprétation qui ne fait en aucune façon référence à cette divinité :…  : le vers suivant se présente comme suit : « de façon à régner sur le beau séjour (des dieux) qu’est l’Olympe enneigé » (vers ainsi reconstitué par M.-L. West). L’Olympe et le temps c’est la même chose. Aussi ceux qui estiment que l’Olympe et le ciel c’est la même chose se trompent-ils, car ils ne se rendent pas compte qu’il n’est pas possible que le ciel soit plus « élevé » (μαϰρότερον) ou « plus étendu » (εὐρυτερον). En revanche, si on qualifiait le temps de « long » (μαϰρόν), on ne se tromperait pas. Or, si quelqu’un souhaitait parler du ciel, il lui donnerait pour épithète « large » (εὐρύν), alors que, si, au contraire, il souhaitait parler de l’Olympe, il ne lui donnerait jamais pour épithète « large » (εὐρύν) ; il lui donnerait plutôt pour épithète « élevé » (μάϰρον)… après avoir dit qu’il est enneigé… — L’argumentation semble être la suivante. On peut identifier l’Olympe au temps, parce que l’épithète μαϰρός convient à l’un et à l’autre. En revanche, on ne peut identifier l’Olympe au ciel, car l’épithète μακρός, qui convient à l’Olympe (nombreuses occurrences dans l’Iliade), ne convient pas au ciel.