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Archives et création

Jalons pour une histoire récente

Vincent DEBAENE

Université de Genève

Éléonore DEVEVEY

Université de Genève

Nathalie PIEGAY

Université de Genève

Le présent volume, issu de l’école d’été qui s’est tenue à l’Université de Genève en juin 2019, se propose d’esquisser à la fois une généalogie et un bilan des liens, intenses et protéiformes, entre archives et création. Depuis plusieurs décennies, les archives ont envahi non seulement les débats publics et les pratiques ordinaires, mais aussi les œuvres des plasticien·n·es, des écrivain·e·s et des cinéastes. Loin d’être circonscrits, ces phénomènes de réinvestissement sont corrélés à d’importants changements historiques : s’en tenir à la seule sphère de la création, pour en saisir les logiques et les effets, n’en donnerait qu’une vue partielle. Pour les comprendre, trois aspects de notre rapport présent aux archives et à l’archive doivent être ressaisis : le premier, d’ordre technologique et sociologique, est la prolifération des archives ; le deuxième, symbolique et culturel, peut être interprété comme un besoin d’archives ; le troisième, épistémologique et politique, place les archives au cœur d’interrogations concernant les sciences et leur rapport au pouvoir. À l’horizon de ces trois inflexions, et conditionnées par elles, les appropriations artistiques des archives nouent ensemble mémoire, connaissance et création. Si la formule de Georges Perec « Penser / classer » a pu apparaître rétrospectivement comme la devise des années 1970 et 1980, alors la formule « Archiver / créer » cristallise peut-être quelque chose de notre présent et de notre passé récent.

La prolifération des archives

Les archives sont partout : dans les lieux conçus pour leur conservation, mais aussi dans les musées, sur les sites internet, dans nos disques durs… On pourrait croire que c’est là un effet de leur numérisation, de plus en plus fréquente et systématique : elles sont désormais consultables en dehors des lieux de leur conservation, à chaque instant. Mais cette évolution est d’abord notionnelle avant d’être technique : comme le note Yann Potin, « jamais le terme n’a connu un usage aussi varié et disséminé : tout est archive, ou potentiellement destiné à l’être, quels que soient le support, la provenance et la forme, au point que le mot, mis au singulier, est devenu le strict synonyme de celui de “document”, de “témoignage” »1. Le sentiment de prolifération est donc d’abord la prolongation d’un phénomène ancien de dilatation de la notion qui commence au xixe siècle. En France, la naissance des archives nationales date de la Révolution ; dotées d’une dimension probatoire, elles sont alors centralisées, deviennent libres d’accès, et sont censées servir l’élaboration de la mémoire nationale2. Cette liberté d’accès est un droit civique : qu’un citoyen puisse consulter les archives pour établir ses droits apparaît comme une conquête de la liberté individuelle, en contraste direct et explicite avec la pratique antérieure du secret d’État.

Ainsi, le terme archives ne s’applique-t-il initialement qu’aux actes officiels et authentifiés et, pendant longtemps, on ne l’emploie que pour désigner les archives publiques ; ce n’est que progressivement, au cours du xixe siècle, que l’on commence à parler d’archives privées, des archives d’une famille puis d’un individu. Peu à peu, le mot en vient à couvrir l’ensemble de la documentation écrite. Au terme de cette évolution, « la catégorie [d’archives] accueille […] avec allégresse, et au prix de l’adjonction d’une épithète adaptée – audiovisuelles, sonores, orales, électroniques –, toutes formes d’inscriptions matérielles de l’information : images, fixes ou animées, sons enregistrés, données encodées, fichiers numériques, etc. »3. Par conséquent, ce que l’on perçoit aujourd’hui comme une prolifération des archives combine en réalité trois dynamiques. D’abord, la multiplication effective des archives en raison de bouleversements technologiques. Ensuite, la révolution de l’accessibilité des archives entraînée par leur dématérialisation, autrement dit la démocratisation des archives – dont on peut estimer qu’elle renoue avec l’esprit initial des Révolutionnaires, que l’accaparement des archives par le pouvoir politique et / ou l’institution savante avait éclipsé. Enfin et surtout, la dilatation de l’acception du terme, aujourd’hui quasi-synonyme de témoignage.

Un besoin d’archive

Cette prolifération et cette dilatation, sinon ce galvaudage, peuvent, plus profondément, être lues comme le signe d’une inquiétude, voire d’une nostalgie fondamentale. Les spécialistes distinguent d’ordinaire trois usages ou trois types d’usage des archives : administratif, historique, patrimonial, ou encore : probatoire, savant, mémoriel. Ces trois usages ont toujours coexisté et coexistent encore, mais historiquement, un déplacement du premier au deuxième usage peut être observé, avant que ne prédomine aujourd’hui très largement le troisième d’entre eux. Les archives, longtemps, ont été rares, précieuses, protégées par le pouvoir qui les produisait et les conservait ; elles sont ensuite devenues le privilège de l’historien – doté d’une autorité quasi-sacrée ; à présent, elles sont susceptibles d’être réclamées et appropriées par tous au nom d’un droit à l’histoire individuelle.

En France, la période qui va de 1870 à 1959, au cours de laquelle les Archives nationales relèvent de la tutelle de l’Instruction publique puis de l’Éducation nationale, correspond assez bien au règne de l’usage savant : les archives, devenues « véritable laboratoire de l’historien », selon la formule de Gabriel Monod, permettent d’établir non plus seulement « ce qui a été juste sur un plan juridique », mais aussi « ce qui peut être vrai sur un plan historique »4. À partir de la fin du xxe siècle, l’usage mémoriel tend à prendre le pas sur l’usage savant, en même temps que l’on passe « d’une conscience nationale unitaire à une conscience de soi de type patrimonial »5. Cette évolution est aussi solidaire d’un nouveau tour mémoriel du rapport au passé, observable depuis les années 1980, dont deux autres symptômes majeurs, relevés par Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire, sont les pratiques de commémoration et la passion de la généalogie. Par suite, les archives ne sont plus seulement un objet de savoir, mais deviennent un lieu ou un support de la mémoire.

L’hypothèse d’une « nouveau régime d’historicité », le présentisme, formulée par François Hartog, vient mettre cette évolution en perspective6. À le suivre, si les archives deviennent un support ou un lieu de la mémoire, c’est qu’elles relèvent d’une « crise du temps » et sont, au même titre que l’omniprésence contemporaine des notions de mémoire, de patrimoine et de témoignage, le signe d’une conscience inquiète de l’évanescence du présent. La trace se trouve ainsi valorisée, le présent, systématiquement archivé, voire patrimonialisé.

Les archives, lieu de contestation de l’ordre du savoir

Parallèlement, le statut de source et l’autorité des archives ont été radicalement remis en question, et cet ébranlement répond à des logiques d’ordres épistémologique et politique.

Cette fragilisation des archives tient d’abord au développement de l’épistémologie historique et à la généralisation des approches constructiviste et rhétorique dans les sciences humaines. En même temps que la science était envisagée non plus comme description et comme norme, mais comme discours, résultat d’une construction historique et sociale, les archives ont perdu de leur évidence et de leur stabilité. En l’espace de quelques années, la notion canonique de « document », qui fondait jusqu’alors la scientificité des savoirs sur l’homme et légitimait leur place dans la cité, s’est trouvée profondément remise en cause. Vincent Debaene retrace ici (chap. V) les ressorts de ce basculement par lequel le document cède la place à la notion d’« archive », le singulier permettant précisément de souligner, en une combinaison paradoxale, le caractère à la fois construit et poignant de ce que le discours savant avait institué comme ses « sources », en les consacrant autant qu’en les mettant à distance – à la faveur de ce basculement, c’est aussi le partage entre littérature et savoirs qui se trouve redessiné. Dans le sillage de ces réflexions épistémologiques, s’est développée une approche matérialiste et processuelle de la science qui, loin de considérer la pensée et l’activité scientifiques comme des phénomènes abstraits, les envisage comme des pratiques inscrites dans la matérialité, déterminées par les gestes concrets et les supports qui les font exister. L’analyse des cartes à jouer de Georges-Louis Le Sage, physicien et mathématicien genevois (1724-1803), que propose ici Jean-François Bert (chap. VI), permet ainsi de montrer la diversité de ce qui peut « faire archive », mais aussi de penser une nouvelle manière d’écrire l’histoire des savoirs, qui les comprend à partir des opérations effectives qu’ils mettent en œuvre.

Cette contestation de l’autorité des archives est aussi d’ordre politique. Jacques Derrida faisait remarquer que, étymologiquement (arkhè signifie à la fois commencement et commandement) et historiquement, il existe un lien essentiel entre les archives et la puissance publique7 : en organisant et en conservant les archives, l’État assoit son efficacité et sa souveraineté. Dans une conférence de 1957, Charles Braibant, alors directeur des Archives nationales de France, rappelait aux élèves archivistes que les archives sont « l’arsenal de l’Administration » avant d’être « le grenier de l’histoire » : elles sont vouées à passer de l’un à l’autre8. Mais le rapport entre le pouvoir, qui requiert et constitue les archives, et le savoir, qui s’en empare et les mobilise au service d’un discours disciplinaire, n’est pas seulement de l’ordre de la succession, l’usage savant prenant la suite de l’usage administratif. Plus profondément, l’archive est le point même où savoir et pouvoir s’articulent : c’est à la fois le lieu où le discours savant est ressaisi par le politique et celui depuis lequel il peut être contesté. Cette intrication du savant et du politique dans les archives se manifeste d’abord dans la question de leur accessibilité. Cette dernière est fortement régulée par l’État, qui contrôle ainsi l’écriture de l’histoire. Une date, de ce point de vue, est la parution en 1994 des Archives interdites. L’histoire confisquée, ouvrage de Sonia Combe, consacré à l’inaccessibilité de certaines archives de l’histoire contemporaine : la série W aux Archives nationales (1940-44) et les archives de la guerre d’Algérie au Service historique de l’armée de terre. Ce travail a permis de poser la question du « syndrome de Vichy » sur le plan matériel, en s’attachant, notamment, à la dissimulation du fichier des Juifs établi par Vichy9. À partir d’une enquête ethnographique portant notamment sur les face-à-face entre archivistes et historien·ne·s, Sonia Combe s’interroge sur les ressorts de la confrontation entre ces deux acteurs sociaux à l’identité professionnelle de « corps » très affirmée. Dans la perspective d’une anthropologie du secret qu’elle avait déjà mobilisée à propos des archives soviétiques et de la Stasi, l’historienne retrace les effets de l’obligation de réserve qu’impose tacitement la consultation d’archives par dérogation exceptionnelle et montre comment ces échanges font plus qu’influencer l’activité de recherche : ils la structurent en profondeur.

Mais la dimension politique des archives concerne aussi leur production. À partir des années 1960, différentes réflexions épistémologiques font valoir que les archives (ou l’archive) sont un lieu où le savoir n’est pas seulement récolté, mais construit au sein de dispositifs de pouvoir. C’est là une question particulièrement aiguë dans un contexte de concurrence des mémoires et des récits – tout particulièrement dans la relecture du passé colonial. Dans sa folle ambition, la colonisation européenne des xixe et xxe siècles a engendré une masse archivistique colossale, chaque facette de la domination (territoriale, administrative, économique, linguistique…) donnant lieu à une production documentaire spécifique : lois et règlements administratifs, recensements et statistiques, plans cadastraux et relevés topographiques, projections fiscales et bilans comptables, etc. Le rapport de l’historiographie coloniale à ces archives surabondantes a connu différentes phases depuis les indépendances et il a, au cours des dernières années, opéré une véritable mutation à la suite, notamment, des travaux d’Ann Laura Stoler. Contre l’idée, qui dominait jusqu’alors, selon laquelle il faudrait lire les archives coloniales against the grain (i.e. les contourner par « l’invention » d’autres sources, à la recherche des voix des colonisé·e·s), Stoler propose, dans Along the Archival Grain (2009), de s’y plonger et de les appréhender comme les traces d’un projet de domination en cours d’élaboration10. Il ne s’agit donc pas d’opposer dos-à-dos les archives des colonisés·e·s, si elles existent, et celles des colonisateurs, ni de considérer ces dernières comme des « sources » neutres, mais de les lire comme des documents susceptibles de nous renseigner sur leur contexte de production, sur les catégories sociales et administratives en gestation, comme sur les incertitudes et les angoisses des colonisateurs. Dans une perspective analogue, d’autres travaux se sont intéressés au droit colonial non pas seulement pour en dénoncer les contradictions ou le racisme sous-jacent, mais aussi pour faire valoir la performativité des catégories qu’il mobilisait, catégories dont l’héritage infuse le droit contemporain, en particulier les définitions actuelles de l’appartenance nationale11. L’archive n’est plus alors seulement la trace d’une domination politique passée, mais bien une ressource pour une histoire politique du présent.

Ce renouveau du regard porté sur les archives coloniales, les artistes aussi en prennent acte et le prolongent, à l’exemple du photographe et plasticien Sammy Baloji, dont le travail porte sur le patrimoine de sa région d’origine, le Katanga (Congo), région minière particulièrement exploitée par les colons belges. Analysée ici par Julien Bondaz (chap. IV), cette œuvre invite à penser les rémanences visuelles ou discursives de l’histoire coloniale dans notre présent. Dotée, dans les installations et montages photographiques de Baloji, d’une fonction parasite, l’archive convoque aussi un imaginaire de l’extraction, du terrain et des fouilles, si bien qu’il est possible de considérer ce travail « comme une figuration en acte du projet archéologique foucaldien ».

Mais cette contestation politique des archives provient aussi d’historien ne s et de militant e s qui mobilisent le genre comme catégorie d’analyse historique, ou le placent au cœur de leurs préoccupations. La prise de conscience de la dimension sexuée des événements historiques et des faits sociaux a permis de révéler les silences des archives. La contribution de Carolina Topini, « Les archives du genre. Déjouer l’effacement » (chap. VII), met en évidence les mécanismes qui conduisent à cette éclipse et propose quelques outils pour en contrer les effets : la catégorie de genre engage ainsi à une redéfinition (une extension) de ce qui fait archive, et à une valorisation consciente des archives de l’espace domestique et de l’intime, des archives orales et musicales.

Archives et création

Ces usages artistiques des archives peuvent être saisis au carrefour de trois tendances, à la fois très générales et très profondes, de la création depuis les années 1980. D’abord, ils participent du rejet d’une conception de la création comme opération ex nihilo – rejet qui se manifeste par la promotion de notions comme celles de collecte, collage, montage, bricolage12. Ils s’inscrivent, ensuite, du côté de la littérature surtout, dans tout une production construite sur un rejet de la fiction et sur une valorisation de l’enquête13. Enfin, plus généralement encore, ils révèlent et alimentent une méfiance à l’égard de l’achevé, qui conduit à priser les esquisses, les brouillons, les traces de la création, elle-même conçue comme processus plutôt que comme achèvement14. L’archive devient, quoi qu’il en soit, une façon d’introduire dans l’œuvre de la profondeur temporelle – celle de la temporalité historique comme celle de sa propre conception.

Un premier diagnostic, pour ce qui concerne les artistes plasticien·ne·s, a d’abord été formulé par Hal Foster, dans « An archival impulse » / « Une pulsion d’archive », texte initialement paru en 2004 dans la revue October, ici traduit en français pour la première fois (en appendice du volume). Comme Foster l’a lui-même souligné15, ce titre est une allusion à un article célèbre de Craig Owens, de 1980, intitulé « The Allegorical Impulse : Notes towards a Theory of Postmodernism » – autrement dit, selon Foster, l’art de l’archive (« archival art ») constitue un nouveau moment de l’histoire de l’art contemporain, moins ironique, plus constructif que le post-modernisme. Constitué de trois brèves monographies, consacrées aux œuvres du Suisse Thomas Hirschhorn, de l’Américain Sam Durant, et de l’Anglaise Tacita Dean, cet article éclaire un très large pan de la création au tournant du siècle16.

Pour ce qui est de la création littéraire, un point de bascule, dans le paysage français, est l’œuvre de Georges Perec, à laquelle s’attache Éléonore Devevey (chap. I). Si l’œuvre de Perec est clairement associée à la formule « penser / classer », elle actualise également le programme « archiver / créer », deux formules qui, dans son œuvre, se corrèlent plus qu’elles ne se succèdent historiquement. Ce chapitre propose un parcours dans sa production des années 1970, en prêtant attention autant à ses usages des archives qu’aux procédés d’invention d’archives qu’il a mis au point (notamment avec « L’Herbier des villes » et « Lieux »). Dans ce sillage, la littérature contemporaine cultive à l’égard des archives une véritable fascination, qu’éclaire ici Nathalie Piégay, en dégageant leurs différents usages et les effets esthétiques qui en résultent (chap. II). Contre l’usage historien des archives, la littérature développe des usages tantôt romantiques (ressusciter une existence, restituer une émotion), tantôt mémoriels (témoigner de la présence du passé dans le présent), tantôt hystériques (perturber la limite entre fait et fiction). Les archives apparaissent ainsi comme un poste d’observation du statut de la littérature et de l’image qu’elle donne d’elle-même, en particulier dans ses relations tendues à l’histoire, l’une et l’autre concourant à la fabrique des mémoires et des identités.

Au cinéma aussi, les archives sont un matériau de première importance, réinvesti dans les formes filmiques, et interrogeant le rapport au temps de ce médium. La contribution de Raphaël Jaudon propose ici un parcours dans les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard (chap. III). Si, contrairement à ce qu’indique leur titre, cette série de films réalisés entre 1988 et 1998 parle d’abord de leur époque (marquée par un retour critique sur la modernité cinématographique, par le souci de mémoire qui suit la mort d’Henri Langlois, et par la croyance dans une « mort du cinéma » prétendument imminente), elle est aussi d’une actualité paradoxale. Celle-ci tient au rapport inquiet de Godard à l’histoire, qu’il manifeste en exploitant la dimension spectrale de l’archive.

Un dernier nœud des rapports entre archives et création, enfin, mérite attention : non plus le moment où l’archive devient œuvre, mais celui où l’œuvre rejoint le fonds d’archive – basculement par lequel l’art est à son tour archivé, tout particulièrement sous forme numérique. C’est ce passage dont rend compte le chapitre de Jérôme David et de Radu Suciu, à partir de l’exemple du Bodmer Lab, projet scientifique de l’Université de Genève mené en partenariat avec la Fondation Martin Bodmer depuis 2014 (chap. VIII). Il explicite les interrogations épistémologiques qui sous-tendent les opérations d’archivage et de numérisation d’archives, leurs effets vertueux comme leurs effets pervers, et les usages scientifiques, artistiques ou ludiques qui peuvent en être faits.

En changeant historiquement de sens, de lieux et de formes – des vieux papiers au numérique, du pouvoir aux contre-pouvoirs –, en (re)fleurissant diversement dans les arts, les archives, loin d’être réductibles à l’imaginaire de la grisaille qui les entoure parfois, se révèlent des matériaux instables, mobiles et plastiques, et constituent un puissant baromètre de notre rapport au temps : telle est la conviction qui a porté la conception de ce volume.

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1 Yann Potin, « L’historien en “ses” archives », dans À quoi pensent les historiens ? Faire de l’histoire au xxie siècle, éd. Christophe Granger, Paris, Autrement, 2013, p. 101-117, p. 101.

2 Voir à ce sujet Sophie Cœuré, Vincent Duclert, Les Archives, Paris, La Découverte, 2011 (Repères), p. 14.

3 Yann Potin, art. cit., p. 101-102.

4 Ibid., p. 105-106.

5 Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, t. III. Les France, Paris, Gallimard, 1992 (Bibliothèque illustrée des histoires), p. 992 (cité par Odile Krakovitch, « Les archives d’après les Lieux de mémoire : passage obligé de l’Histoire à la Mémoire », La Gazette des archives 164 (1994), p. 12).

6 François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003 (Bibliothèque du xxie siècle).

7 Jacques Derrida, Mal d’archive. Une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995, p. 11-12.

8 Charles Braibant, Le « Grenier de l’histoire » et l’arsenal de l’administration. Introduction aux cours des stages d’archives de l’Hôtel de Rohan, Paris, Imprimerie nationale, 1957.

9 Robert O. Paxton (La France de Vichy 1940-1944, trad. Claude Bertrand, Paris, Seuil, 1973) avait travaillé sur des fonds d’archives allemand et américain largement ouverts.

10 Ann Laura Stoler, Au cœur de l’archive coloniale. Questions de méthode [2009], traduit de l’anglais par Christophe Jaquet et Joséphine Gross, préface d’Arlette Farge, Paris, Éditions de l’EHESS, 2019 (En temps et lieux). Autre signal de ce renouvellement, la journée d’études « (Dé) construire les “archives coloniales” : enjeux, pratiques et débats contemporains », qui a eu lieu les 27-28 juin 2019, aux Archives nationales d’Outre-mer (Aix-en-Provence).

11 Voir Emmanuelle Saada, Les Enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007, et Emmanuelle Saada, « Nationalité et citoyenneté en situation coloniale et post-coloniale », Pouvoirs 160 (2017), p. 113-124.

12 Voir notamment, sous la direction de Muriel Pic, le numéro spécial de la revue Critique, « Faire collecte. Archives & Création », 879-880 (2020).

13 Voir notamment Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête, Paris, Corti, 2019 (Les Essais).

14 Voir à ce sujet Daniel Fabre, « Introduction : comprendre la création, entendre la fiction », Gradhiva 20 (2014), p. 4-21.

15 Dans l’article même, et a posteriori : voir Gabriel Ferreira Zacarias, « Entretien avec Hal Foster », trad. Nicolas Heimendinger, Marges 25 (2017) [en ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/marges.1329

16 Un autre moment important fut l’exposition Archive fever : Uses of the Document in Contemporary Art, dirigée par Okwui Enwezor, et qui s’est tenue au International Center of Photography (New York) en 2008.