Book Title

Les phénomènes de réitérations dans les interactions logopédiste-adolescent

Audrey SUBLON

Geneviève DE WECK1

1. Introduction

Dans une perspective socio-interactionniste, l’acquisition du langage est définie comme la capacité progressive de l’enfant à réaliser différentes conduites langagières (de Weck 2000). Cette capacité se construit essentiellement dans l’interaction avec l’adulte (Vygotski 1934 / 1985). Le rôle de l’étayage linguistique proposé par ce dernier à l’enfant est donc central dans cette acquisition. De nombreux procédés interactionnels rendant possible cet étayage ont été étudiés, dont les reprises qui incluent les répétitions et les reformulations. Elles sont entendues comme des reproductions totales ou partielles, avec ou sans modification, d’une forme déjà produite et cela sans en altérer la visée communicative (de Weck 2000). Traditionnellement les études des reprises dans le champ de l’acquisition et de la pathologie du langage adoptent la perspective du locuteur adulte, notamment celle des parents : ce sont les reprises par l’adulte des propos des enfants qui sont analysées afin de comprendre leur impact sur l’acquisition langagière. Pour servir cet objectif, la nature des modifications, souvent entendues comme des corrections (phonologique, lexicale, morpho-syntaxique), présentes dans les reformulations des adultes est examinée (Clark & Chouinard 2000, de Weck 2000, Fey, Krulik, Loeb & Proctor-Williams 1999, Saxton 2005). Certaines études rendent compte des réactions des enfants à la suite de ces propositions de modifications formelles (Chouinard & Clark 2003, Rezzonico, de Weck, Salazar Orvig, da Silva-Genest & Rahmati 2014, Strapp & Federico 2000). D’autres travaux ont permis de dégager les fonctions discursives et pragmatiques des reprises dans la dynamique interactionnelle (Bernicot, Salazar Orvig & Veneziano 2006, Clark 2006, Clark & Bernicot 2008, Demetras, Post & Snow 1986, Veneziano 2000, Salazar Orvig 2000), attestant par exemple qu’elles facilitent l’élaboration et la co-construction discursive (Salazar Orvig 2000) et qu’elles constituent des ressources pour maintenir l’intercompréhension dans le dialogue (Clark & Bernicot 2008), notamment sous la forme d’accusés de réception (Bernicot et al. 2006).

Un autre pan des recherches est consacré aux effets du langage adressé à l’enfant sur son acquisition du langage. Plusieurs études démontrent que l’imitation langagière chez l’enfant constitue un processus central rendant possible cette acquisition (Bloom, Hood & Lightbown 1974, Poulin-Dubois & Forbes 2002, Snow 1983, Tomasello & Barton 1994). Plus récemment, les phénomènes d’amorçages lexical et syntaxique (réinvestissement par l’enfant de lexèmes ou de structures syntaxiques, donnés en modèle) ont fait l’objet de plusieurs travaux, dans différents contextes de production, afin de déterminer la capacité de l’enfant à délimiter et extraire des unités linguistiques et des structures de la chaîne orale du langage à partir du langage qui lui est adressé (Huttenlocher, Vasilyeva & Shimpi 2004, Leonard, Miller, Deevy, Rauf, Gerber & Charest 2002, Miller & Deevy 2006, Rowland, Chang, Ambridge, Pine & Lieven 2012, Savage, Lieven, Theakston & Tomasello 2003).

Ces phénomènes d’amorçage peuvent être mis en parallèle avec ceux de persistance de formes qui peuvent s’observer dans les interactions entre adultes comme l’ont montré des études psycholinguistiques (Bock 1986, Branigan, Pickering, Stewart & McLean 2000, Pickering & Garrod 2004). Ainsi, par rapport à la thématique de la réitération2, les travaux concernant les conversations entre adultes montrent que les phénomènes d’influence mutuelle, ou de coopération réciproque au service de la coproduction discursive sont nombreux. Nous pouvons citer par exemple les études sur les réparations ou les répétitions dans le champ de l’analyse conversationnelle (Norick 1987, Schegloff 1987, Tannen 1987, 1989). D’autres encore concernent l’élaboration même du message du locuteur adulte, et montre que les auto-reprises sont fréquentes pouvant attester ses choix des différentes unités linguistiques, ses piétinements liés à une recherche lexicale, ses corrections voire ses lapsus, ou ses troubles langagiers (bégaiement).

Ainsi les phénomènes de réitération ont fortement été étudiés dans les interactions entre adultes, ou dans des interactions asymétriques impliquant des enfants. En revanche, elles sont encore peu envisagées dans les interactions incluant des adolescents (Sublon & de Weck 2017). Par contre, de nombreux travaux s’intéressent au développement du langage chez des adolescents présentant des troubles du développement du langage. Ces travaux concernent entre autres le développement de la complexité syntaxique de leurs énoncés (Nippold, Mansfield & Billow 2008, Prigent, Parisse, Leclercq & Maillart 2005) et révèlent des difficultés discursives et pragmatiques persistantes chez des adolescents ayant présenté des troubles du développement du langage durant l’enfance (Reed, Patchell, Coggins & Hand 2007, Wetherell, Botting & Conti-Ramsden 2007), troubles ayant des répercussions négatives sur leurs compétences langagières orales (Stothard, Snowling, Bishop, Chipchase & Kaplan 1998) et écrites (Bishop & Clarkson 2003, Franc & Gerard 2003, Conti-Ramsden & Durkin 2010). Par conséquent, ces troubles entravent leurs apprentissages scolaires. Dans ces cas, un traitement logopédique adapté peut contribuer efficacement à les aider à surmonter leurs difficultés linguistiques et communicationnelles (Duinmeijer 2013, Nippold 2010, Palikara, Lindsay & Dockrell 2009). Du reste, les adolescents expriment l’envie et le besoin d’être aidés, et leur satisfaction lorsqu’ils bénéficient d’un suivi logopédique (Simkin & Conti-Ramsden 2009).

L’objectif traditionnellement reconnu des traitements logopédiques est de faire accéder les patients à davantage d’autonomie communicationnelle, en s’appuyant sur leurs ressources. Pour ce faire, les reformulations des énoncés des enfants par les logopédistes apparaissent d’une grande efficacité. Par exemple, des études ont montré que de telles reformulations favorisent l’acquisition de formes grammaticales plus efficacement que la répétition ou que la correction explicite (Nelson, Camarata, Welsh, Butkovsky & Camarata 1996, Rodi 2014) et que les logopédistes les intègrent dans des énoncés à la forme interrogative afin d’amener les enfants à produire des auto-corrections (da Silva-Genest 2014). Lors des traitements logopédiques impliquant des adolescents, une de nos précédentes études atteste une production importante de reformulations lors de la coproduction de récits d’expériences personnelles chez les deux participants à l’interaction (Sublon & de Weck 2017). Toutefois, cette étude révèle des utilisations différenciées selon le statut du locuteur, qu’il s’agisse d’hétéro-reformulations ou d’auto-reformulations. Les logopédistes utilisent les hétéro-reformulations en grande partie dans les questions qu’elles posent aux adolescents et ces derniers les investissent en majorité pour construire leurs réponses. En ce qui concerne les auto-reformulations, celles des logopédistes sont davantage utilisées lorsqu’elles évoquent des expériences qui sont communes à la dyade, ce qui leur permet de mettre en avant certains aspects de contenu de l’expérience partagée, alors que celles des adolescents sont plus fréquemment utilisées lorsqu’ils évoquent des expériences qui les concernent exclusivement, leurs auto-reformulations constituant alors pour eux une ressource discursive leur permettant d’élaborer leurs récits.

Les travaux présentés dans cette introduction ont fortement contribué à comprendre le rôle central des réitérations dans l’acquisition du langage chez l’enfant. Nous faisons trois constats à la suite de ces études. Premièrement, la perspective adoptée dans ces travaux est soit celle de l’adulte, le plus souvent un parent, soit celle de l’enfant : la reprise est considérée d’une part comme une stratégie étayante dont peut disposer l’adulte et d’autre part comme un outil d’intégration des aspects langagiers pour l’enfant (de Weck 2006, Martinot 2000). Deuxièmement, la plupart des travaux sont centrés sur un seul phénomène de réitération à la fois (les amorces ou les reprises ; la répétition ou la reformulation). Troisièmement, ces études concernent de jeunes enfants (âgés de 4 à 7 ans et allant jusqu’à 10 ou 11 ans pour ceux rencontrant des troubles du développement du langage). Notre objectif dans cet article est alors de prolonger les travaux sur le fonctionnement et le rôle des réitérations dans l’acquisition langagière avec des participants plus âgés, en l’occurrence des adolescents, et notamment de cibler leurs utilisations dans un setting de thérapie logopédique. Nous proposons d’envisager l’ensemble des types de réitérations traditionnellement étudiés dans le champ de l’acquisition et de la pathologie du langage (répétition, reformulation, persistance de forme) tout en les envisageant dans la perspective des deux participants à la fois (adolescent et logopédiste).

Ce faisant, nous devons garder à l’esprit que les dyades logopédiste-adolescent présentent de nombreuses différences avec les dyades parent-enfant. Tout d’abord les adolescents sont dans une étape avancée de leur acquisition langagière, les aspects structuraux de la langue étant pour la plupart bien maîtrisés. Ainsi, leurs compétences langagières sont fortement plus développées que celles des jeunes enfants, tout en ne correspondant pas encore complètement à celles des adultes (Nippold 2007). Aussi, le fait que les énoncés des adolescents soient potentiellement plus longs et plus complexes syntaxiquement que ceux des jeunes enfants peut avoir une répercussion dans le processus même de leurs reprises par les logopédistes. De plus, la situation intermédiaire des adolescents, entre les enfants et les adultes, impose de ne pas seulement considérer le rôle de la réitération dans la seule perspective de l’acquisition langagière mais aussi en tant que processus interactionnel contribuant à la dynamique (coproduction) discursive comme elle peut, nous l’avons vu, se déployer dans les interactions entre adultes. Une autre différence majeure avec les dyades parent-enfant consiste dans le lieu social même de l’interaction. Au sein des traitements logopédiques les participants ont de facto des rôles asymétriques : les logopédistes transmettent leur expertise linguistique aux adolescents qui sont en demande de cette expertise. Lors des séances, il est alors possible d’observer une utilisation métalinguistique du langage, ce qui pourrait influencer l’usage des réitérations par les participants, comme on peut le constater au sein de l’institution scolaire dans les productions des enseignants et des élèves (Carroll & Swain 1993, Lyster 1998, Panova & Lyster 2002, Sheen 2004, Tomasello & Herron 1988).

Ces différences justifient le fait de considérer les réitérations (auto-vs hétéro-réitérations, réitérations explicites vs implicites) dans leur dynamique interactionnelle en envisageant la perspective des deux participants, notre objectif étant d’observer si les logopédistes et / ou les adolescents en font des usages spécifiques. Dans ce qui suit, nous présentons la méthodologie adoptée, puis les résultats des analyses pour enfin les discuter en considérant leurs potentiels apports dans le champ de l’acquisition et de la pathologie du langage.

2. Méthodologie

Nous présentons d’abord notre corpus avant d’exposer notre méthodologie d’analyse.

2.1. Corpus et participants

À partir des enregistrements audio-vidéo de pratiques interactionnelles issues de séances de traitements logopédiques impliquant des adolescents, récoltés dans le cadre d’un projet FNS3, nous avons sélectionné trois séances de trois dyades logopédiste-adolescent4, soit neuf séances au total. Ces séances durent de 30 à 40 minutes. Nous avons donné des noms d’emprunt aux adolescents à savoir, Barbara, Marine et Mathieu, qui sont âgés, au moment des enregistrements, respectivement de 13 ; 8 ans, 12 ; 8 ans et 16 ; 2 ans. Ces adolescents ont tous présenté, durant leur enfance, des difficultés langagières orales, lesquelles se répercutent sur leurs compétences langagières écrites. Les interactions ont été transcrites en tours de parole.

2.2. Analyses

Dans ce qui suit, nous exposons les critères d’identification des réitérations (§ 2.2.1), puis les catégories d’analyse les concernant (§ 2.2.2) et enfin les quantifications effectuées (§ 2.2.3).

2.2.1. Identification des réitérations

Afin d’identifier les différents phénomènes de réitération dans l’interaction, les tours de parole ont été découpés en énoncés, lesquels sont indexés par des lettres (a, b, c). Nous définissons l’énoncé comme une ou plusieurs proposition(s) ayant une seule et même valeur illocutoire (Searle 1969). La réitération est définie comme un énoncé qui se présente complètement ou partiellement de la même façon qu’un énoncé précédent (appelé énoncé réitéré), le modifiant ou non. Les analyses concernent aussi bien les réitérations produites lors de l’élaboration du message, c’est-à-dire les réitérations immédiates dans le cadre du même énoncé ou d’énoncés successifs, ainsi que celles qui résultent de la dynamique interactionnelle, c’est-à-dire les réitérations différées. Afin de nous assurer que ces dernières résultent effectivement de la dynamique interactionnelle, nous posons une limite d’empan de trois tours de parole avec leurs sources pour les identifier, en référence aux travaux disponibles sur la durée de la persistance des structures syntaxiques entre des participants aux interactions verbales (Levelt & Kelter 1982, Branigan et al. 2000). Ainsi, dans le cadre de trois tours de parole au maximum, nous relevons tous les cas de réitérations produites par les logopédistes et par les adolescents. Notre étude intègre par conséquent aussi bien les auto-réitérations que les hétéro-réitérations (exemple 1). Les correspondances de formes sont indiquées en gras dans les exemples.

Barbara (BAR) lit des instructions devant sa logopédiste (LOG)5.

BAR 197achoisi : r
LOG 206aCHOISI : -réitération de BAR 197
bpas choisirréitération de BAR 197
cchoisi→ réitération de LOG 206a
BAR 198achoisis le mode.→ réitération de LOG 206c

2.2.2. Analyses des réitérations

Les réitérations sont analysées selon quatre aspects. Le premier concerne la définition des différents types identifiés (§ 2.2.2.1) et les trois autres leurs caractéristiques (§ 2.2.2.2).

2.2.2.1. Types de réitération

Nous analysons la relation formelle qu’entretient chacune des réitérations identifiées avec sa source, ce qui nous permet de définir les quatre types suivants de réitérations :

– la répétition : reprise à l’identique d’une forme linguistique précédemment introduite dans le discours. Il peut s’agir de la reprise d’un mot6, d’une partie d’un énoncé ou de son intégralité (exemple 2).

(2) Les participants sont sur le point de commencer un jeu.

BAR 350et on triche pas hein ?
LOG 359on triche pas.

– la reformulation : reprise avec modification(s) formelle(s) d’un fragment ou de la totalité d’un énoncé antérieur, mais ni de son contenu et ni de son intention communicationnelle (exemple 3). La modification formelle est indiquée en italiques.

Mathieu (MAT) explique à sa logopédiste les raisons qui lui ont fait choisir le jeu qu’ils vont faire plus tard dans la séance.

MAT 308c’est des jeux on peut parler.
LOG 285c’est un jeu on peut parler.

– la réitération de structure : reproduction d’une construction, c’est-à-dire d’une structure syntaxique qui comprend des éléments figés lexicalement et d’autres plus abstraits qui peuvent être modulables (Tomasello 2003, Goldberg 2006), attestant la persistance de formes dans le langage oral (exemple 4). Contrairement aux reformulations, les réitérations de structure ont une signification différente de celle de leur source. Les éléments modulables sont en italiques.

(4) Marine (MAR) est en train de décrire des piercings.

MAR 70aon peut avoir des plus gros boucles
bon peut avoir des plus petites

– la compilation : reprises d’éléments formels, avec ou sans modification(s), ou de structures produits dans plusieurs énoncés (exemple 5). Les compilations résultent ainsi de la combinaison de plusieurs répétitions, reformulations et / ou réitérations de structures, au sein d’un seul énoncé. Ainsi, contrairement aux types de réitérations précitées qui ne réfèrent qu’à un seul énoncé source, la compilation possède plusieurs énoncés sources.

Barbara vient d’achever une dictée proposée par un programme informatique.

LOG 264

t’as fait les dix.

alors main (te) nant tu descends voir les statistiques¡

tu r(e) gardes ton résultat¡

et puis / combien t’en as d(e) justes ?

BAR 255cinq ((en riant)) et cinq fois cinq.
LOG 265cinq sur dix de justes.

2.2.2.2. Caractéristiques des réitérations

La première caractéristique présentée concerne un aspect de la relation formelle entre l’énoncé source et l’énoncé comportant la réitération (ajout ou non d’une marque métalinguistique), les deux suivantes concernent la construction du discours (réitération intra-tour vs intertours ; auto-vs hétéro-réitération).

– Réitérations explicites vs réitérations implicites

Le locuteur peut marquer explicitement qu’il produit une réitération à l’aide d’éléments linguistiques, d’une prosodie accentuée ou de gestes significatifs. Ces marqueurs permettent soit de proposer un retour métalinguistique sur l’élément source comme son évaluation (exemple 6), soit d’introduire des demandes visant la clarification / confirmation de son interprétation (LOG 8 de l’exemple 7). Aussi, ces marqueurs ne sont actualisables que dans les réitérations ne modifiant pas le contenu premier des énoncés, c’est-à-dire dans les répétitions, reformulations et compilations et non dans les réitérations de structure. Les marqueurs linguistiques sont indiqués en italiques dans les exemples. Les réitérations accompagnées de tels marqueurs sont considérées comme des réitérations explicites, les autres comme des réitérations implicites (exemples 2 et 3).

(6) Barbara lit les consignes données par un ordinateur. Le mot ciblé est l’onglet.

LOG198 alors qu’est-ce qu’il te dit ?
BAR190 dans l’angle.
LOG 199non.
BAR 191option.
LOG 200non pas l’angle.

(7) Barbara vient d’expliquer que son professeur d’histoire intègre des bandes dessinées dans ses leçons.

BAR 5en fait euh c’est un truc sur Astérix et Obéli[s] Obélix
LOG 8quand tu dis « un TRUC sur Astérix et Obélix » sur la bande dessinée ?

– Réitérations intra-tour vs réitérations inter-tours de parole

Certaines réitérations contribuent à l’élaboration du discours par le locuteur lui-même et sont liées à la planification du message à transmettre, alors que d’autres sont au service de la construction du discours dans sa dynamique interactionnelle et sont liées à la coproduction discursive. Les premières s’actualisent dans le même tour de parole que leur source : il peut s’agir de réitérations intra-énoncés portant sur des éléments de l’énoncé en construction (exemple 8) ou de réitérations interénoncés attestant une centration sur le message à transmettre (exemple 4). Nous les appelons réitérations intra-tour. Les réitérations inter-tours s’actualisant dans un tour de parole différent de leur(s) source(s), tour de parole dont l’élaboration est considérée comme achevée, contribuent à la construction du discours (voir notamment l’exemple 2).

(8) Mathieu justifie son retard.

MAT 70

mais après à cause du-j’ai-à cause du bu-du bus

je suis-

je suis arrivé en retard.

– Auto-réitérations vs hétéro-réitérations vs réitérations co-construites Si la réitération et le segment source ont été produits par le même locuteur, il s’agit d’une auto-réitération, sinon d’une hétéro-réitération. Pour les compilations, les différents énoncés sources peuvent avoir été produits par deux locuteurs différents. Dans ces cas, nous considérons que la compilation est co-construite (exemple 5). Les réitérations intratour sont par définition auto-réitérées. L’exemple 9 présente une auto-réitération inter-tours.

(9) Marine est en train de faire un exercice de conjugaison.

LOG 248donc t’enlèves le « c »¡
MAR 245déc(e) vons.
LOG 249

attends¡

tu dois enlever le « c »¡

2.2.3. Axes d’analyses et statistiques

Afin de répondre à nos objectifs, les réitérations ont été étudiées selon trois axes :

1. la densité des réitérations : il s’agit de la proportion de réitérations par rapport au nombre d’énoncés produits ; cette densité est calculée pour chaque locuteur de la dyade et pour les deux locuteurs ensemble ;

2. la distribution en pourcentages des quatre types de réitérations selon la catégorisation établie (cf. § 2.2.2.1) pour chaque locuteur et pour les deux locuteurs ensemble ;

3. les caractéristiques des types de réitérations : la part des réitérations implicites vs explicites (hormis pour les réitérations de structure), intra-tour vs inter-tours,auto-vs hétéro-réitérations vs réitérations co-construites pour les réitérations inter-tours ; les pourcentages sont calculés pour chaque locuteur et pour les deux ensemble d’une part, et pour chaque type de réitérations et pour l’ensemble de celles-ci d’autre part.

Pour évaluer le degré de significativité des différences, le test du Chi-carré est utilisé. Pour les catégories intra-vs inter-tour et auto-vs hétéro-réitérations, nous utilisons en plus le test binomial afin de savoir si l’une des deux modalités est favorisée par les logopédistes puis par les adolescents.

3. Résultats

3.1. Densité des réitérations

Les interactions des trois dyades totalisent 2085 tours de parole, comprenant 3666 énoncés. Parmi ceux-ci, 1465 contiennent au moins une réitération (Tableau 1).

Tableau 1. Distribution en pourcentages des énoncés selon qu’ils renferment ou non au moins une réitération chez les adolescents, les logopédistes et pour les deux locuteurs confondus.

Statut du locuteurÉnoncés sans réitérationÉnoncés avec reiteration(s)Total (N = 100 %)
Adolescents65.6134.391518
Logopédistes55.1043.902148
Général60.0439.963666

Chez chacun des participants, les réitérations sont présentes dans plus d’un tiers de leurs énoncés. Toutefois, les logopédistes en produisent plus fréquemment que les adolescents (χ2=33.1601, df=1, p‹0.0001).

3.2. Types de réitérations

En identifiant toutes les réitérations présentes dans les énoncés, leur nombre total s’élève à 1623 occurrences. Parmi celles-ci, les répétitions sont majoritaires (50.73 % de l’ensemble des réitérations) et les compilations sont les moins nombreuses (7.02 %). En positions intermédiaires, les reformulations et les réitérations de structure représentent chacune environ 20 % des réitérations. Comme le montre la Figure 1, cette distribution d’ensemble se retrouve chez les logopédistes et les adolescents, qui ont recours à chacun des types de réitérations dans des proportions comparables (χ2=4.0014, df=3, p›0.5). Aucun des locuteurs n’utilise donc de façon spécifique les différents types de réitérations étudiés.

Figure 1. Distribution en pourcentages des quatre types de réitérations chez les adolescents et chez les logopédistes.

3.3. Les caractéristiques des réitérations

3.3.1. Réitérations implicites vs explicites

Pour rappel, seules les répétitions, reformulations et compilations peuvent constituer des réitérations explicites. Parmi ces trois types de réitérations (1313 au total), 8.37 % contiennent un marqueur explicite. Les réitérations explicites sont ainsi peu présentes dans nos données. La part des réitérations explicites des adolescents sur l’ensemble de leurs répétitions, reformulations ou compilations équivaut à 4.38 % et celle des logopédistes à 10.67 %. Les logopédistes produisent ainsi significativement plus de réitérations explicites que les adolescents (χ2=14.8606, df=1, p‹0.001). Elles leur soumettent donc davantage de retours par rapport à leur utilisation du langage oral que les adolescents ne leur en adressent. Cette différence est vraisemblablement liée à l’asymétrie des rôles de chacun des participants durant les traitements : les logopédistes proposent aux adolescents l’expertise linguistique qu’elles possèdent et que les adolescents attendent probablement.

La répartition des réitérations explicites et des réitérations implicites pour chacun des types de réitérations est donnée dans le Tableau 2.

Tableau 2. Distribution en pourcentages des réitérations explicites et implicites des compilations, reformulations et répétitions et pour l’ensemble de ces trois types de réitération.

Type de réitérationRéitérations explicitesRéitérations implicites

Total (N = 100 %)

Compilations8.7791.23114
Reformulations11.6288.38327
Répétitions7.1192.89872
Général8.3891.621313

Lorsque nous comparons la distribution des reformulations à celle des deux autres types, nous constatons que la reformulation est plus souvent accompagnée d’un marqueur métalinguistique que les compilations et répétitions prises ensemble (χ2=5.417, df=1, p‹0.05). Cette différence ne s’observe ni pour les compilations par rapport aux deux autres types de réitérations prises ensemble (χ2=1.8926-29, df=1, p›0.05), ni pour les répétitions (χ2=4.9547, df=1, p›0.05). Ces résultats attestent que les réitérations explicites sont plus fréquentes lorsque la réitération concerne une modification de la forme linguistique, c’est-à-dire une reformulation. Traditionnellement dans le champ de l’acquisition et de la pathologie du langage, cette modification est considérée comme une correction de la source (élément réitéré), les marqueurs métalinguistiques présents dans les reformulations (voir par exemple l’accentuation prosodique dans l’exemple 10) mettant explicitement l’accent sur le fait qu’une correction est proposée. Relevons cependant que les corrections proposées au travers des reformulations sont le plus souvent implicites.

(10) Barbara lit les consignes données par un ordinateur

BAR 221appuyez le mode§§
LOG 230CHOISISSEZ le mode d’interrogation que vous désirez.

3.3.2. Réitérations intra-tour vs réitérations inter-tours

La majorité des réitérations sont produites dans un tour de parole différent de celui de leur(s) source(s) (Tableau 3).

Tableau 3. Distribution en pourcentages des réitérations intra-tour et inter-tours de paroles selon le type de réitérations et pour l’ensemble des réitérations, chez les adolescents et les logopédistes.

Type de réitérationStatut du locuteurInter-toursIntra-tourTotal (N = 100 %)
CompilationsAdolescents84.3815.6232
Logopédistes91.468.5482
ReformulationsAdolescents50.4049.60125
Logopédistes52.4847.52202
RépétitionsAdolescents50,0050,00322
Logopédistes62.1837.82550
Réitérations de structureAdolescents67.8632.14112
Logopédistes65.1534.85198
GénéralAdolescents55.3344.67591
Logopédistes63.1836.821032

Indépendamment des types de réitérations, les réitérations inter-tours sont plus utilisées par les deux locuteurs que les réitérations intra-tours (adolescents : p‹0.05 ; logopédistes : p‹0.0001). Leurs utilisations respectives de la réitération est donc davantage centrée sur la co-production du discours que sur l’élaboration même de leur message. Toutefois, les logopédistes recourent plus fréquemment aux réitérations inter-tours que les adolescents (χ2=9.3459, df=1, p‹0.01), et inversément les adolescents davantage aux réitérations intra-tours que les logopédistes. Les utilisations que ces dernières en font montrent qu’elles s’inscrivent davantage que les adolescents dans la dynamique interactionnelle, servant la co-construction discursive. Les adolescents quant à eux investissent davantage que les logopédistes les réitérations pour construire le message qu’ils souhaitent transmettre.

Considérons maintenant les différents types de réitérations séparément. La différence entre les participants est principalement due aux répétitions. En effet, alors que celles des logopédistes sont plus fréquemment produites en inter-tours (p‹0.0001), celles des adolescents le sont autant en inter-tours qu’en intra-tour. Cela signifie que les logopédistes sollicitent les répétitions pour co-construire le discours alors que les adolescents peuvent tout autant les utiliser pour construire individuellement leurs messages. En ce qui concerne les trois autres types de réitérations, les participants présentent les mêmes préférences pour un type donné, mais cette préférence peut varier selon le type. Ils utilisent préférentiellement l’inter-tours lorsqu’ils produisent des compilations et des réitérations de structure (ensemble des compilations : p‹0.0001, ensemble des réitérations de structure : p‹0.0001) et ne favorisent ni l’inter-tours ni l’intra-tour lorsqu’ils effectuent des reformulations (p>0.5).

3.3.3. Auto-réitérations vs hétéro-réitérations vs réitérations co-construites

Cette section ne concernant que les réitérations inter-tours, les auto-réitérations intra-tour ne sont pas prises en considération. Sur l’ensemble des réitérations inter-tours, les hétéro-réitérations sont les plus nombreuses (494 occurrences, 50.46 %), et les auto-réitérations y tiennent une place conséquente (422 occurrences, 43.11 %). Les réitérations co-construites sont quant à elles minoritaires (63 occurrences, 6.44 %), ce qui était nécessairement attendu puisqu’elles ne caractérisent qu’un des quatre types de réitérations, à savoir les compilations. En revanche, pour ces dernières, la réitération co-construite est majoritaire (63 occurrences sur 102), et ce dans les productions des deux participants. Cela révèle que la compilation constitue avant tout un processus résultant d’une collaboration discursive : non seulement les sources sont plurielles, mais elles sont de plus produites par différents locuteurs.

La répartition des trois autres types de réitérations en auto-et hétéro-réitérations est présentée dans le Tableau 4 ci-dessous.

Le recours à l’auto-réitération ou à l’hétéro-réitération varie selon le statut du locuteur (χ2=13.0837, df=1, p‹0.001). Les adolescents produisent plus d’hétéro-réitérations (p‹0.0001), alors que les logopédistes les produisent dans des proportions comparables (p>0.05). Si les adolescents conservent la même tendance à favoriser les hétéro-réitérations pour chacun des trois types de réitérations (reformulation : p‹0.05 ; répétition : p‹0.05 ; réitération de structure : p‹0.0001), les logopédistes présentent des comportements différents selon ces types. Leurs reformulations ont plutôt tendance à être héréro-réitérées (p‹0.0001), au même titre que celles des adolescents, leurs répétitions sont produites dans des proportions comparables entre auto-et hétéro-réitérations (p>0.05), et leurs réitérations de structure sont plutôt auto-réitérées (p‹0.0001), contrairement à celles des adolescents.

Tableau 4. Distribution en pourcentages des auto-réitérations et des hétéro-réitérations inter-tours de parole pour les reformulations, répétitions et réitérations de structure, et pour l’ensemble de ces trois types, chez les adolescents et les logopédistes.

Type de réitérationStatut du locuteurAuto-réitérationsHétéro-réitérationsTotal (N= 100 %)
ReformulationsAdolescents36.5163.4963
Logopédistes26.4273.58106
RépétitionsAdolescents41.6158.39161
Logopédistes49.1250.88342
Réitérations de structureAdolescents25.0075.0076
Logopédistes68.9931.01129
GénéralAdolescents36.3363.67300
Logopédistes49.3950.61577

L’utilisation que font les participants de la réitération suggère un positionnement ancré dans leurs rôles respectifs au sein du traitement, puisqu’ils activent ces rôles au travers de leur tendance à favoriser l’auto-réitération ou l’hétéro-réitération. Les adolescents semblent considérer les logopédistes comme des points de repères, des modèles qu’ils peuvent suivre et imiter. Cela pourrait expliquer, au moins partiellement, la raison pour laquelle ils réitèrent préférentiellement les productions de leur thérapeute, quel que soit le type de réitération considéré, que leurs propres énoncés. En revanche, les logopédistes manifestent une utilisation spécialisée de chacun des types de réitération, utilisation que nous pouvons lier aux fonctions respectives de ces types.

– D’une part, les reformulations sont utilisées pour proposer des modifications / corrections sur des formes, produites par les adolescents, susceptibles d’être problématiques pour l’intercompréhension. Elles permettent ainsi d’instaurer des bases de compréhension commune, avant de pouvoir poursuivre l’interaction. En tant que participantes expertes du langage, elles utilisent alors les hétéro-reformulations pour mettre en avant les formulations les plus conventionnelles et adéquates à leurs contextes discursifs.

– D’autre part, les réitérations de structure résultant de processus de persistance syntaxique sont reconnues comme des mécanismes automatiques permettant de simplifier le traitement du langage en interaction : le locuteur développe et réinvestit des structures routinières qui se sont avérées précédemment efficaces dans l’interaction (Bock 1986, Branigan et al. 2000, Pickering & Garrod 2004). De plus, en raison de l’asymétrie des compétences langagières entre les participants, les logopédistes ont peut-être tendance à s’appuyer plutôt sur leurs propres structures que sur celles des adolescents pour poursuivre l’interaction, ce qui expliquerait l’importance quantitative des auto-réitérations de structure.

– Enfin, les répétitions des logopédistes sont autant auto-réitérées qu’hétéro-réitérées. Leurs auto-répétitions peuvent résulter de persistances lexicales (au même titre que les persistances syntaxiques) ou traduire la volonté d’offrir deux fois le même message à des adolescents, d’autant plus que ces adolescents sont susceptibles de rencontrer des difficultés langagières (pragmatico-discursives) aussi sur le plan de la compréhension. Leurs hétéro-répétitions peuvent contribuer à assurer l’intercompréhension entre les participants en vérifiant qu’une forme a bien été entendue ou interprétée, mais aussi constituer un moyen permettant de propulser plus en avant l’interaction lorsque la forme répétée est accompagnée d’ajouts.

4. Discussion

Nous avons présenté une étude de différents phénomènes de réitération, dont leurs caractéristiques interactionnelles, observées lors d’interactions logopédiste-adolescent en situation de traitement logopédique. Cet article s’inscrit en continuité des travaux envisageant la reprise (répétition, reformulation) dans une approche socio-interactionniste de l’acquisition du langage et des troubles qui lui sont associés chez les jeunes enfants tout en élargissant l’approche méthodologique qui y est traditionnellement adoptée, afin de l’adapter à des interactions asymétriques impliquant des adolescents. L’approche traditionnelle, dont nous reconnaissons tout l’apport dans la compréhension du développement langagier, a permis de dégager les fonctions générales des reprises dans les relations asymétriques concernant de jeunes enfants : elles constituent des stratégies d’étayage du langage de l’enfant pour l’adulte et des ressources centrales d’appropriation d’aspects langagiers pour l’enfant. Au vu de la période d’acquisition ciblée, il ne nous semblait pas utile de traiter séparément les reprises des deux interlocuteurs des dyades, comme c’est souvent le cas dans les travaux chez les enfants. Aussi, nous avons considéré à la fois les reprises des logopédistes et celles des adolescents, ce qui a l’avantage d’inscrire les reprises dans leur dynamique interactionnelle, et de permettre de mieux comprendre leur rôle dans le développement langagier à l’adolescence. Par ailleurs, comme les adolescents présentent un développement du langage plus avancé que les jeunes enfants sans pour autant correspondre en tous points à celui des adultes, nous avons intégré des phénomènes de réitération qui s’observent dans les interactions entre adultes (persistances de formes, auto-réitérations).

En définissant la relation formelle de la réitération à sa source, quatre types de réitération ont été retenus : la reprise de forme à l’identique correspond à la répétition, celle apportant une modification formelle équivaut à la reformulation, celle qui reproduit une construction syntaxique constitue une réitération de structure et enfin celle qui combine dans un seul énoncé plusieurs répétitions, reformulations et / ou réitérations de structure a été nommée compilation.

Les résultats ont montré plusieurs similitudes entre les adolescents et les logopédistes. Les deux locuteurs produisent dans des proportions importantes des réitérations dans leurs énoncés et les utilisent tous deux pour co-construire l’interaction. De plus, les distributions des différents types de réitérations des deux participants sont comparables. Néanmoins, de nombreuses différences selon le statut du locuteur énonçant la réitération ont été observées. En effet, les logopédistes en produisent davantage que les adolescents et elles les accompagnent plus fréquemment de marqueurs métalinguistiques que ne le font ces derniers. En outre, elles produisent davantage de réitérations inter-tours que les adolescents, lesquels produisent plus qu’elles des réitérations intra-tour. Les utilisations que font les logopédistes des réitérations traduisent ainsi une centration sur la co-production du discours alors que les adolescents ont plus fréquemment qu’elles tendance à les investir pour construire leurs propres messages. L’analyse des réitérations inter-tours, selon qu’elles sont auto-réitérées ou hétéro-réitérées, a montré que les logopédistes modulent leurs utilisations en fonction du type de réitération alors que les adolescents ont préférentiellement produit des hétéro-réitérations, indépendamment du type de réitération concerné.

Ces différences d’utilisations des réitérations entre les participants montrent que leurs conduites sont influencées par l’asymétrie générale de l’interaction et par leurs rôles respectifs dans celle-ci. Par conséquent, à l’adolescence, du moins en situation de traitement logopédique, le rôle de la réitération dans l’acquisition langagière reste important, comme il peut l’être pour de jeunes enfants. D’une part, les logopédistes l’utilisent encore pour prodiguer un étayage linguistique et de la tâche langagière (de Weck & Salazar Orvig 2019), et d’autre part l’imitation reste un processus de développement langagier fortement sollicité par les adolescents. En effet, pour les logopédistes, la réitération constitue un moyen de soutenir l’interlocuteur dans ses projets discursifs. Elles assurent ainsi la bonne poursuite de l’interaction tout en l’aidant à développer ses compétences linguistiques et communicationnelles (Bernicot et al. 2006, Chouinard & Clark 2003, Saxton 2005). Cette interprétation est d’autant plus marquée avec les reformulations, qui permettent aux logopédistes de signifier aux adolescents que les formes qu’ils ont utilisées ne sont pas correctes formellement ou adéquates par rapport au contexte tout en en proposant une plus appropriée (Carroll & Swain 1993). À l’inverse, les utilisations importantes des réitérations intra-tours des adolescents attestent qu’ils considèrent la réitération plus comme une ressource leur permettant de s’exprimer que comme un processus de collaboration mutuelle. Ils les investissent dans des visées communicationnelles individuelles, à savoir l’élaboration de leurs propres tours de parole. Aussi le travail d’élaboration du message apparaît plus coûteux chez les adolescents que chez les logopédistes. De plus la tendance des adolescents à préférentiellement hétéro-réitérer des tours de parole que de les autoréitérer, peut signifier qu’ils considèrent les formulations des logopédistes comme plus adéquates que les leurs, et que le réinvestissement de tels modèles est un gage pour eux d’une communication réussie.

Ainsi, nous constatons que dans les relations asymétriques logo-pédiste-adolescent, les participants différencient leurs rôles durant le traitement plutôt dans la façon dont ils articulent leurs réitérations dans l’interaction (inter-vs intra-tour ; auto-vs hétéro-réitération) que dans le choix du type de réitération qu’ils actualisent. Par conséquent les caractéristiques interactionnelles des réitérations sont plus à même de nous renseigner sur leurs fonctions durant le développement langagier à l’adolescence que leurs caractéristiques formelles de relation à la source. Étudier la nature dynamique et interactionnelle de chacun des types de réitérations permet de spécifier les utilisations générales de ces types chez chacun des participants. Les compilations représentent un processus de collaboration discursive entre les deux participants, les réitérations de structure leur permettent de coproduire le discours, les logopédistes en s’appuyant sur leurs propres productions et les adolescents en réinvestissant celles de ces dernières. Chez les deux participants, les reformulations servent autant l’élaboration de leurs propres messages que la co-construction du discours en reprenant les productions de l’interlocuteur. Enfin, les répétitions sont utilisées chez l’adolescent autant pour élaborer leurs messages que pour co-construire l’interaction en s’appuyant sur les productions des logopédistes et chez ces dernières, elles sont utilisées pour co-construire le discours, qu’elles réinvestissent leurs productions ou celles des adolescents.

Pour conclure, deux utilisations générales ont ainsi pu être dégagées chez chacun des participants : des réitérations au service de l’élaboration du message, et d’autres qui soutiennent la coproduction du discours. Ce soutien passe principalement par l’imitation chez les adolescents et chez les logopédistes par l’apport de modèles qu’elles ont déjà utilisés précédemment dans l’interaction (auto-réitérations) ou visant une correction (hétéro-réitérations), qu’elle soit explicite ou non. Nous relevons chez ces dernières également une fonction d’intensification du message à transmettre (inter-tours auto-réitérés) ainsi qu’une fonction de maintien de l’intercompréhension (répétitions inter-tours hétéro-réitérées). Intégrer les caractéristiques interactionnelles des réitérations lors de l’étude de dyades présentant une asymétrie des compétences langagières, et observer ces caractéristiques de la même façon chez les deux participants, permet ainsi de mieux comprendre le rôle de ces réitérations dans l’acquisition du langage.

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1 Université de Neuchâtel, Institut des Sciences logopédiques, Faculté des lettres et sciences humaines.

2 Nous utilisons le terme de réitération pour englober l’ensemble des phénomènes de reproduction de formes. Celui de reprise ne s’applique qu’aux répétitions et reformulations.

3 Dans le cadre du projet intitulé Interactional Competences in Institutional Practices : Young People between School and the Workplace (IC-You) (n° CRSII1_136291 / 1), l’équipe dirigée par Geneviève de Weck a mené un sous projet intitulé Interactional competences : Social representations and interactional practices in speech and language therapy.

4 Nous tenons à remercier vivement les adolescents et leurs parents ainsi que les logopédistes d’avoir accepté de participer à cette recherche.

5 Les conventions de transcription utilisent les signes de ponctuation conventionnels. Nous présentons les autres symboles que nous retrouvons dans les exemples   : ¡ ordre  ; → ébauche orale  ; –  interruption de mots ;   : allongement, # l’interlocuteur a produit un continuateur. Les lettres capitales indiquent une accentuation, les parenthèses une élision, les crochets retranscrivent la prononciation phonétiquement, et les doubles parenthèses concernent des informations sur le non-verbal ou un aspect particulier du vocal ((en riant)).

6 Les mots grammaticaux utilisés plusieurs fois ne sont pas considérés comme des répétitions, tout comme les pronoms anaphoriques.