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Encore sur la notion de reformulation

Olga INKOVA1

1. Introduction

Dans le domaine de la linguistique, la notion de reformulation est étudiée depuis une quarantaine d’années. Au début des années 1980 la notion apparaît dans les travaux des linguistes de différents pays : en Allemagne dans ceux d’E. Gülich et T. Kotschi sur le français (Gülich & Kotschi 1983, 1987) ; en France dans ceux de C. Fuchs (Fuchs 1982, mais surtout le volume monographique Fuchs 1994) où la notion de reformulation voisine avec celle de paraphrase, en Suisse chez E. Roulet (Roulet 1987) dans le cadre des études sur les interactions verbales et dans les travaux de J.-M. Adam et F. Revaz (notamment Adam & Revaz 1989), aux États-Unis chez D. Schiffrin (Schiffrin 1982), etc. Cette notion continue à susciter l’intérêt des linguistes et à alimenter les discussions. En témoignent de nombreux colloques et journées d’études organisés autour de cette notion2, ainsi que les ouvrages (cf. parmi tant d’autres Rossari 1997, Le Bot et al. 2008, Schuwer et al. 2009, Kara 2007, Kanaan 2011, Martinot et al. 2018) et les numéros thématiques de revues (cf. notamment le récent numéro de la revue Langages, n° 212, 2018) qui lui sont consacrés.

Cet intérêt est dû probablement au fait que la reformulation, considérée par Z. Harris (Harris 1976) comme une activité naturelle « innée » mettant en œuvre notre compétence linguistique, mais aussi comme une propriété des langues qui permet d’établir des relations d’équivalence entre les phrases, joue un rôle important dans la structuration et la dynamique du discours. Elle permet en effet de remédier à un certain nombre de problèmes de communication : la progression du discours, sa compréhension et sa cohérence, la prise en compte de l’interlocuteur, notamment, les menaces potentielles pour les faces des interlocuteurs, l’acquisition de la langue ou d’une langue, etc.

Cependant, malgré ce caractère « universel » de la reformulation, les définitions qui en sont données, ainsi que les termes utilisés (à côté de reformulation et paraphrase, on trouve reprise, répétition, restitution, retour sur le dit, glose, correction, etc.) varient considérablement d’une approche et d’un domaine d’études à l’autre et font surgir toute une série de questionnements. Il paraît donc utile de faire un état des lieux de différentes définitions proposées avant d’essayer de cerner la notion. L’objectif de cet état des lieux n’est pas de donner un panorama des études sur la reformulation, chose presque impossible vu le nombre de travaux qui lui sont consacrés et la variété des domaines où cette notion est utilisée, mais plutôt de montrer où se cachent les difficultés quand on veut définir cette notion de manière rigoureuse pour qu’elle ne perde pas, comme cela semble arriver aujourd’hui, sa valeur épistémique.

2. États des lieux

2.1. Quelques définitions

La notion linguistique de reformulation est, comme on l’a vu, récente. Les mots reformuler et reformulation le sont également. Ils sont en effet absents dans le Littré. Le Grand Robert (GR) signale pour le verbe reformuler comme date de sa première attestation 1954, pour le nom reformulation (donné avec mention Didact.) le milieu du xxe siècle. Le Trésor de la langue française (TLFi) fournit la même date pour le verbe et 1968 pour le substantif avec un exemple d’un traité sociologique. Le Grand Larousse (GL) donne pour les deux mots la date 1968. Quant à leurs acceptions, le TLFi définit le verbe reformuler comme « formuler, exprimer de nouveau, autrement » et le nom reformulation comme « nouvelle formulation qui reproduit autrement ce qui a déjà été exprimé ». Le GR parle simplement d’une « nouvelle formulation (d’un même contenu) » sans insister sur le fait que cette nouvelle formulation est différente. Le GL est le plus explicite et définit la reformulation comme « Comportement verbal par lequel, dans une langue donnée, un locuteur prétend reproduire sous une autre forme exactement ce qui a été exprimé par un autre locuteur dans la même langue ». Cette définition est intéressante de plusieurs points de vue. Tout d’abord, la reformulation devient un phénomène dialogique (le locuteur reformule ce qui est dit par « un autre locuteur »). Ensuite, cette définition met en avant la différence de forme du dit et du re-dit et l’identité de leur contenu, le fait que la reformulation doit se faire dans la même langue, ainsi que le caractère intentionnel de ce « comportement verbal ». L’objectif du locuteur qui recourt à la reformulation devient clair de la définition du verbe reformuler : « formuler de nouveau et d’une manière plus correcte », ce qui présuppose que la première formulation a quelque chose de « défectueux » et doit être rectifiée.

Pour que ces définitions courantes – déjà très différentes – puissent se transformer en définitions terminologiques il faut répondre à plusieurs questions. Tout d’abord, quelles sont les limites de cette différence entre ce qui est dit et ce qui est re-dit et quel est le degré de leur similitude pour qu’on puisse parler d’une « nouvelle formulation » ? Gülich & Kotschi (1983), qui analysent ce phénomène dans le discours oral, admettent que le degré de similitude est tributaire de l’intuition linguistique des interlocuteurs : « Deux énoncés sont produits et enchaînés de telle manière qu’ils doivent et peuvent être compris comme “identiques” » (307-308) ; l’interlocuteur doit percevoir « […] l’existence d’une relation paraphrastique entre deux énoncés liés par une certaine équivalence sémantique » (315), mais c’est le locuteur qui établit une relation paraphrastique pour réaliser une stratégie communicative (307). En (1) cette relation paraphrastique entre « la tabia, variante de la même matière » et « une terre grasse foulée et mélangée avec de la paille hachée et de petites pierres » est facile à reconstruire, notamment grâce à c’est-à-dire :

(1) Dans le Maroc méridional, la matière de construction est la tabia, variante de la même matière, c’est-à-dire une terre grasse foulée et mélangée avec de la paille hachée et de petites pierres. (Frantext : VIDAL DE LA BLACHE Paul – Principes de géographie humaine, 1921)

Le degré de cette équivalence est toutefois variable : il peut être « relativement faible » ou aller jusqu’à « la répétition structurelle complète » de deux énoncés ne différant que par l’intonation, « ce qui leur confère le statut de cas limite » (Ibid. : 325), attestée par (2) tiré d’une conversation spontanée.

(2) M : oui, ce sont des bonzaïs

A : oui ce sont des bonzaïs, voilà (exemple de Gülich & Kotschi 1983 : 318)

Les termes utilisés pour définir la similitude entre le formulé et le reformulé que l’on trouve dans d’autres études sont nombreux : il peut s’agir des relations d’identité, d’équivalence, de synonymie, de définition, de traduction, d’hypéronymie, de proximité de sens, d’invariant sémantique, etc. – les termes qui, de toute évidence, ne couvrent pas la même réalité. Ainsi, Gülich & Kotschi (1983) considèrent comme marqueur de reformulation par exemple qui réalise le passage du général au cas particulier (un exemple), ce qui n’autorise pas de parler d’équivalence sémantique stricto sensu entre les fragments de texte qu’il lie ; cf. (3) :

(3) Bien des causes sembleraient devoir agir dans le sens de la grande propriété. Il est naturel, par exemple, que les capitalistes urbains soient tentés de consolider en terres une petite partie de leur fortune grandissante. (Frantext : JAURÈS Jean – Études socialistes, 1901)

On peut observer le même flou dans la délimitation du différentiel entre le formulé et le reformulé, qui, lui aussi, peut être compris d’une manière plus ou moins large. Ainsi, pour Gülich & Kotschi (1983) dans l’échange (4) seraient liées de relation paraphrastique de « variation » les énoncés « les bonzaïs y a une sorte d’éthique à respecter » et « qui sont aussi l’expression d’un art de vivre d’une philosophie » :

(4) A : alors vous savez que les bonzaïs’ y a une sorte de de d’éthique. à respecter’ on n’aime pas tellement y mettre dessus des produits chimiques, […] les produits chimiques du commerce’. d’abord on n’aime pas très bien… les les les mettre sur des. des arbres qui sont quand même assez fragiles’

M : oui et qui sont aussi le l’expression de d’un art de vivre d’une philosophie’ et je vous comprends parfaitement, hein’ (exemple de Gülich & Kotschi 1983 : 329)

Pour M. Murât et B. Cartier-Bresson (1987 : 6) « dans toute réalisation de la formule (A, c’est-à-dire / that is / das heisst / id es B) le terme B doit pouvoir être en quelque manière pris comme une interprétation du terme A », de même que pour Rossari (1997), qui va encore plus loin : pour elle, il s’agit toujours d’une reformulation quand le deuxième fragment de texte « réinterprète rétroactivement » le premier, par exemple, en opposant l’ordre du réel à l’ordre des apparences ; cf. (5), où sont considérés comme formulé et reformulé les fragments de texte liés par en réalité :

(5) Quelque chose s’était brisé entre nous, mais, après réflexion, je crois en réalité qu’elle avait senti mon aversion pour lui depuis le début. Et je pense aussi qu’elle m’a soupçonné directement après son agression. En réalité, je crois qu’elle savait, oui, elle savait ce que j’avais été capable de faire, pour elle … ou à cause d’elle. (Ruiz Martin, Le syndrome du morveux, exemple de Rossari et al. 2018 : 52)

On voit donc que les limites de la similitude et de la différence entre le dit et le re-dit se situent sur une échelle qui comprend deux pôles opposés, une sorte de continuum qui va de la répétition complète (2) jusqu’à la différence totale (4)-(5).

Une autre question qui se pose quand on veut définir la notion de reformulation concerne la nature de la ressemblance et de la différence du formulé et du reformulé. Pour C. Fuchs (1982 : 24-25), il est important de distinguer ce qui est identique dans la langue et ce qui l’est dans le discours. Elle oppose ainsi la paraphrase en tant que relation sémantique valable au niveau du système de la langue (inscrite en langue, donc stable, universelle à l’intérieur d’une communauté linguistique) à la paraphrase comme relation sémantique au niveau du discours et en tant que telle variable, « conjoncturelle ». Par exemple, la phase Il y a du courant d’air peut être synonyme, dans une situation donnée, de Fermez la fenêtre, mais cette relation n’est pas prédictible a priori, contrairement à celle qui unit Jean a vendu une maison à Paul à Paul acheté une maison à Jean (Martin 1976). Il s’ensuit qu’il faut admettre que des mots, expressions et propositions littéralement différents peuvent, à l’intérieur d’une formation discursive donnée, avoir le même sens, ou, pour être plus précis, sont présentés – le plus souvent grâce à un marqueur spécifique – comme ayant le même sens. Dans la paraphrase discursive l’accent est ainsi mis sur l’activité du locuteur : « Paraphraser X par Y, c’est faire comme si l’on identifiait le sémantisme de Y à celui de X, c’est dire que l’on opère cette identification » (Fuchs 1982 : 32). Autrement dit, le locuteur gomme les différences sémantiques entre X et Y qui peuvent exister dans le système de la langue. C’est un point qui nous paraît particulièrement important dans la mesure où il permet d’opposer les cas comme (1) où l’objectif du locuteur est de présenter les deux fragments comme deux formulations possibles et les cas comme (5) où, au contraire, le locuteur oppose deux présentations de la réalité comme étant différentes.

D’autre part, pour C. Fuchs (1982), E. Gülich et T. Kotschi (1983), même là où la similitude entre le formulé et le reformulé présente un degré maximum, « il ne peut y avoir de véritable répétition, de simple tautologie. Il se produira donc toujours, même dans le cas d’une répétition structurelle complète, une augmentation de sens » (Gülich & Kotschi 1983 : 327). Ainsi, en (2), si la réplique A reproduit fidèlement – à un mot près – la réplique M, ce n’est pas une répétition en écho de ce qui vient d’être dit. La réplique A apporte une information de plus par rapport à B : l’acquiescement de l’interlocuteur. Avec la reformulation il y a donc toujours une progression discursive, argumentative, jamais un simple calque de la forme ou du sens. On peut toutefois se demander si cela vaut également pour un texte monologique ou la répétition à l’identique dans un texte monologique aurait une fonction différente ? Cf. (6) avec la répétition de « à peu près bien » dans l’oral spontané, mais la question se pose également pour un texte monologique écrit :

(6) à peu près bien j’étais de nouveau à peu près bien | _ | et donc je c’est-à-dire j’étais vraiment cassé (OFROM)

Signalons enfin un grand absent dans la discussion sur la reformulation : la variation stylistique. Que l’on pense au roman de R. Queneau Zazie dans le métro. Il s’agit bien de nouvelles formulations, et de formulations (bien) différentes, entre lesquelles le lecteur perçoit bien l’existence d’une relation paraphrastique. Les conditions sémantiques pour que la variation stylistique puisse être traitée de reformulation sont ainsi réunies. Néanmoins l’objectif du locuteur n’est ni de s’exprimer « d’une manière plus correcte » ni de « gommer les différences » entre le formulé et le(s) reformulé(s). Une réflexion ultérieure devrait donc être menée pour définir la place de la variation stylistique au sein des procédés linguistiques qui permettent un retour sur le dit.

2.2. Les conception étroite et large de la reformulation

Il semble évident que, selon la façon dont sont déterminées les limites de variation entre le formulé et le reformulé, on aboutit à des conceptions large ou étroite de la reformulation. La conception étroite (cf. Gardin 1987, Manzotti 1999, Teston-Bonnard 2008, 2015, Inkova & Guryev 2018, les travaux d’H. Vassiliadou) limite le champ de la reformulation par la relation d’équivalence sémantique qui doit relier le segment formulé et le segment reformulé. Cette équivalence est définie en termes d’identité de l’intension (ensemble de traits sémantiques qui définissent un concept) et / ou de l’extension (ensemble des référents auxquels renvoie l’intension). Autrement dit, les deux segments renvoient soit à la même notion (identité d’intension), soit ou au même référent (identité d’intension et / ou d’extension).

(7) La déhiscence, c’est-à-dire le mode d’ouverture des fruits, peut se faire de différentes manières […] (A. Richard, Nouveaux éléments de botanique, Paris, F. Savi éditeur, 1870, p. 271)

(8) Que les architectes, que les entrepreneurs de constructions se rassurent donc, si nous savons fonder un véritable gouvernement républicain, c’est-à-dire un gouvernement qui ne mette pas d’entraves au développement des valeurs intellectuelles. (Frantext : VIOLLET-LE-DUC Eugène – Entretiens sur l’architecture : t. 2, 1872)

(9) L’art du cultivateur a consisté à réaliser, dans un milieu nouveau, les meilleures conditions de croissance : par le drainage, les amendements, le sarclage, la taille pratiquée au moment propice, c’est-à-dire un peu avant l’arrivée des pluies et l’élan de la sève, il a su transformer et affiner la sauvagerie du produit naturel. (Frantext : VIDAL DE LA BLACHE Paul – Principes de géographie humaine, 1921)

En (7) c’est-à-dire explique le sens du mot déhiscence en donnant sa définition, l’intension et l’extension des termes liés par ce marqueur sont les mêmes. En (8) le segment introduit par c’est-à-dire interprète le sens de la notion « véritable gouvernement républicain », en expliquant comment elle doit être comprise. Même si l’intension des termes liés par c’est-à-dire n’est pas la même dans la langue, le locuteur les présente comme identiques. Enfin, en (9), l’intension du premier segment « le moment propice » et celle du deuxième segment « un peu avant l’arrivée des pluies et l’élan de la sève » ne sont pas de nouveau les mêmes : le « moment propice », terme plus général, est ensuite précisé par le terme introduit par c’est-à-dire. Les deux termes renvoient néanmoins au même référent (le même moment de l’année), ce qui permet de parler d’identité de l’extension des deux segments.

Notons que la reformulation peut lier les segments de différente nature syntaxique : syntagmes nominaux, comme dans les exemples cités, ou des propositions, comme en (10) :

(10) Si Philippe est venu lui en toucher deux mots auparavant, c’est qu’il doit y avoir une pression maximale venue de chez Madone ; ça sent la partie de chaises musicales, cette histoire. En d’autres termes : ce soir, il y a du licenciement dans l’air sénégalais, et malheureusement, Octave a l’intuition qu’il ne s’agit même pas du sien. (Frédéric Beigbeder. 99 francs, 1997-2000)

Les propriétés syntaxiques des segments ont un impact sur le choix des marqueurs de reformulation, ainsi que sur les fonctions que la reformulation peut avoir dans le texte. Nous n’approfondirons ces questions ici, en renvoyant à notre travail précédent (Inkova & Guryev 2018).

La contrainte sémantique imposée par la reformulation sur le contenu des segments qu’elle lie – identité de l’intension et / ou de l’extension – combinée avec la prise en compte de l’objectif que poursuit le locuteur en recourant à une reformulation, à savoir clarifier le sens du message précédent, permet d’exclure de la reformulation les cas de répétition, comme dans l’exemple (2) ci-dessus, qui ont un autre objectif communicatif. « Quand on reformule, ce ne sont pas les mots, mais des idées, des pensées : c’est plutôt redire mais en changeant la forme » (Noailly 2008 : 199).

La conception large de la reformulation inclut dans son champ non seulement les relations fondées sur l’équivalence sémantique, appelée dans cette approche « reformulation paraphrastique », mais aussi la reformulation « non paraphrastique ». L’opposition entre ces deux types de reformulation est introduite par E. Roulet (Roulet 1987) et développée ensuite par C. Rossari (Rossari 1997). Elle est néanmoins déjà présente, sans pour autant être définie, chez Gülich & Kotschi (1983 : 316) dans la liste des marqueurs traités de « marqueurs de reformulation paraphrastique ». Pour C. Rossari, qui cherche à définir les deux types de la reformulation par le biais de leurs marqueurs, « tout connecteur reformulatif permet au locuteur de procéder à une subordination du mouvement discursif antécédent suite à une rétrointerprétation de ce dernier » et « [s]era donc considéré comme un connecteur reformulatif tout marqueur susceptible de présenter le point de vue3 qu’il introduit comme une reconsidération du point de vue auquel il renvoie. À ce titre, le terme de reformulation doit être compris comme un processus de réinterprétation » (Rossari 1997 : 9).

Toutefois cette définition semble ne s’appliquer qu’à la reformulation non paraphrastique. En effet, l’auteure propose de considérer comme marqueurs de reformulation paraphrastique « tout marqueur susceptible d’indiquer que l’état de choses évoqué dans le point de vue qu’il introduit doit être considéré comme équivalent à celui évoqué dans le point de vue auquel il renvoie, et ce même si les deux états de choses ne contiennent aucun indice d’équivalence » (Rossari 1997 : 14). Et elle poursuit : « Que le locuteur utilise cette opération pour revenir sur un point de vue, afin de le compléter, de le clarifier ou même de le rectifier, il présente le point de vue qu’il introduit comme équivalent à celui auquel il renvoie » (Ibid. : 17). Cette précision fait rentrer dans le champ de la reformulation paraphrastique les emplois correctifs de c’est-à-dire4 :

(11) ARTHUR, la prenant. Une lettre ! à toi !. NOGENT. A moi… c’est-à-dire non… au chevalier de Grignon, qui me l’a montrée !. (Chevalier de Grignon, comédie-vaudeville en deux actes, par MM Mélesville et Bayard, Paris, 1844, p. 8)

En (11) les segments liés par c’est-à-dire n’ont ni la même intension ni ne renvoient à la même situation. En plus, le segment introduit par c’est-à-dire remplace le premier segment comme erroné (la fonction de non), alors que la reformulation présuppose que le formulé et le reformulé restent les deux valides. Donc, dans cette approche déjà la notion de reformulation paraphrastique, dont les marqueurs sont c’est-à-dire, à savoir, autrement dit et en d’autres termes, est plus large que dans la notion de reformulation tout court dans la conception étroite.

Pour ce qui est de la reformulation non paraphrastique, ses marqueurs permettraient « d’opérer une rétrointerprétation du point de vue auquel il renvoie selon une nouvelle perspective énonciative » (Ibid. : 17), alors qu’on a vu que selon l’auteure, tout marqueur reformulatif est apte à le faire. Ce changement de perspective énonciative, notion qui nous semble, du reste, assez vague, « donne lieu à une prise de distance plus au moins forte de la part du locuteur par rapport au point de vue auquel il renvoie, selon le connecteur utilisé ». En effet, les connecteurs susceptibles d’établir la reformulation non paraphrastique sont divisés en deux classes (Ibid. : 17, 22) :

– le locuteur condense sa première formulation : les marqueurs en somme, en un mot, bref signalent donc une « récapitulation » ;

– le locuteur la remet en question :

• marqueur de réexamen (tout bien considéré, tout compte fait, somme toute, après tout, en définitive)

• marqueurs de distanciation (en tout cas, de toute manière ; en fait, en réalité)

• marqueurs de « rénonciation » (enfin), avec la distance maximum avec le premier point de vue.

Dans cette conception la reformulation inclut donc également les marqueurs qui permettent au locuteur de renoncer à son dit précédent. Dans une conception encore plus large la reformulation inclut en plus les reformulations dites « réparatrices », par substitution (Passot 2008 : 82), typiques de l’oral. Cf. :

(12) I really like to – I mean, hate to – get up in the morning (exemple de Passot 2008 : 82).

Si en justifiant l’inclusion des emplois correctifs de c’est-à-dire Rossari considère que le locuteur « tâche de concilier la rectification ou la clarification qu’il veut apporter […] avec le maintien d’un lien étroit entre les états de choses évoqués » (Rossari 1997 : 17), dans cette approche il s’agit bel et bien de remplacer un terme par un autre, souvent au sémantisme radicalement opposé.

Il devient donc nécessaire de définir le sens respectif des termes tels que rectification et (auto-) correction, d’un côté, et reformulation, de l’autre, ce qui ne semble pas une tâche facile. Comme on peut lire dans la « Présentation générale » du collectif La rectification à l’oral et à l’écrit (Candea & Mir-Samri 2010), on trouve la rectification « chaque fois que celui qui parle pense qu’il existe sur ce qu’il vient de dire ou sur ce que l’autre vient de dire une formulation ou un contenu de pensée plus adéquat, plus juste, plus vrai… et qu’il souhaite y conformer son propos […] ou y ramener la pensée de l’autre […]. La rectification permet donc de réduire l’écart à la norme ou de prévenir les malentendus et les incompréhensions ». Les objectifs du locuteur, quand il recourt à la rectification ou à la reformulation, s’avèrent ainsi en partie les mêmes : améliorer la compréhension de son message, ce qui justifie leur rapprochement (cf. également le terme « reformulation corrective » chez Magri 2018).

Cela dit, le résultat de la reformulation, d’un côté, et de la rectification / correction, de l’autre, sont différents. Dans le cas de la rectification et (auto-) correction, le contenu du premier terme X est invalidé comme faux, incorrect, inexact et remplacé par le contenu du deuxième terme Y. En effet, le sens courant des verbes corriger (« Rectifier ce qui est fautif, inexact, déficient ») et de rectifier (« Corriger, effacer ce qui est erroné ») tel qu’il est défini par le TLFi, renvoie à l’idée de faute, de mal-dit ou mal-fait. Cf. également les termes d’effacement (Candea & Mir-Samri 2010 : 132) ou d’annulation (Ibid. : 159) du dit précédent employés pour caractériser la rectification.

Dans le cas de la reformulation le premier terme X n’est pas invalidé, n’étant ni faux ni incorrect. La reformulation postule la conservation de l’équivalence du sens et n’impose pas de hiérarchie entre les termes, qui sont placés sur le même plan comme deux formulations également possibles. C’est pourquoi l’ordre des segments – le formulé et le reformulé – peut être inverti sans affecter l’acceptabilité de l’énoncé ou son sens (Tamba 1987), ce qui n’est pas en revanche possible avec la correction ; cf. (13) et sa modification (14), à la différence de (15) et sa transformation (16) qui ne peut pas servir de réponse à la question « As-tu appelé le médecin ? »

(13) Enfin, il était bon que chacun, désormais, au fort d’Hercule, fût préparé à tout, autrement dit, ne fût surpris par rien ! (Frantext : LEROUX Gaston – Le Parfum de la dame en noir, 1908)

(14) Enfin, il était bon que chacun, désormais, au fort d’Hercule, ne fût surpris par rien, autrement dit, fût préparé à tout !

(15) – Daniel, as-tu appelé le médecin ?

– Non, elle est soûle, elle n’a pas besoin d’un médecin, mais d’une douche froide. (R. Defores, exemple d’Inkova-Manzotti 2001 : 397)

(16) – Daniel, as-tu appelé le médecin ?

– Non, elle est soûle, elle n’a pas besoin d’une douche froide, mais d’un médecin.

Le reformulé est juste meilleur du point de vue communicatif, autrement dit l’ordre dans lequel apparaissent les deux termes équivalents est dicté par la progression du discours. En revanche, le corrigé c’est ce que le locuteur retient comme ne correspondant pas à la vérité.

Enfin, la conception que l’on pourrait appeler « extra-large » veut rendre compte de « tous les types de reformulation », comme le veut C. Martinot (2015 : 3) dans le domaine de l’acquisition et de l’enseignement de la langue : « Tout processus de reprise d’un énoncé antérieur qui maintient, dans l’énoncé reformulé, une partie invariante à laquelle s’articule le reste de l’énoncé, partie variante par rapport à l’énoncé source, est une reformulation. Cette définition permet de rendre compte d’une part des reformulations paraphrastiques, non paraphrastiques et répétitives. D’autre part, de situer le niveau linguistique de l’invariant (niveau lexical, syntaxique ou sémantique) concerné par la reformulation entre l’énoncé source et l’énoncé reformulé, de même que le niveau linguistique de la partie modifiée introduite dans l’énoncé reformulé. Ainsi par exemple, un énoncé reformulé peut garder le même lexique et la même construction mais pas le même sens : (6)(es) le garçon regarde la fille > (ER) la fille regarde le garçon. » (Ibid. : 3)

La notion de reformulation ainsi appréhendée perd inévitablement son opérativité et toute sa valeur explicative.

2.3. Fonctions de la reformulation (comme construction de sens)

Pour définir la notion de reformulation on pourrait suivre la piste de ses fonctions dans la construction du sens et dans la communication. Dans les travaux sur la question et quelle que soit l’approche adoptée il est, en effet, souvent souligné que la reformulation signale non seulement un dire différent, mais un mieux-dire : « Les locuteurs n’utilisent pas seulement les reformulations “parce qu’ils se sont trompés” mais parce qu’ils recherchent continuellement la meilleure façon de dire et le meilleur angle d’attaque » (Benveniste 2010 : 87). On peut alors se demander dans quel but on cherche la meilleure façon de dire – ou même une simple « modification » – et pourquoi elle serait meilleure ?

Pour Gülich & Kotschi (1983 : 341), « [u]ne paraphrase sert à résoudre simultanément plusieurs types de problèmes : problèmes d’organisation, problèmes de compréhension et de “figuration” ». La fonction de la reformulation est donc de « diriger le processus de l’interprétation que doit effectuer l’interlocuteur » (Ibid. : 327). Pour Murât & Cartier-Bresson (1987 : 6) la reformulation n’a sens que si elle rend le formulé « plus clair, plus compréhensible ». Pour ce faire, le locuteur corrige, modifie, explique, reconsidère, organise mieux, module, etc., autant d’opérations qui risquent de faire éclater la notion de reformulation et niveler les différences avec d’autres opérations de retour sur le dit. Ainsi, avec la fonction d’expliquer la reformulation s’approche de la glose : « [g]loser, c’est d’abord expliquer […] Plus précisément, gloser à l’intérieur d’un discours, c’est expliquer par une autre la parole lâchée » (Douay & Steuckardt 2005 : 5). Le marqueur prototypique de la glose serait, selon Douay & Steuckardt (2005), c’est-à-dire que d’autres, comme on l’a vu, traitent de marqueur prototypique de la reformulation paraphrastique. De façon générale, si l’on veut définir une opération sémantique par ses marqueurs, la tâche s’avère des plus difficiles5, car les classifications des marqueurs prêtent à confusion. Par exemple, dans la typologie de Molinier & Lévrier (2000), c’est-à-dire est classé, avec à savoir et par exemple, dans les adverbes conjonctifs appositifs, et non pas parmi les reformulatifs, qui se répartissent en trois classes :

i) bref, en bref, en résumé, en conclusion ;

ii) en fait, de fait, en réalité ;

iii) au fond, en somme, somme toute, tout bien considéré, finalement, en définitive, en fin de compte, tout compte fait.

Ces classes ne coïncident pas en plus avec celles de Rossari (1997), qui sont quatre pour les reformulatifs non paraphrastiques, et bref et en somme se trouvent dans la même classe, ce qui n’est pas le cas chez Molinier & Lévrier (2000). Soulignons également que les marqueurs autrement dit et en d’autres termes ne figurent chez ces deux auteurs ni parmi les reformulatifs, ni nulle part ailleurs. Quant à c’est-à-dire, à savoir, par exemple, ils sont classés comme « appositifs ». S’agirait-il du sens que donne au terme épexégèse (ἐπεξήγησις, εως (ἠ) exposition ou explication détaillée, selon A. Bailly) la tradition grammaticale française ?

Enfin, il faudrait comprendre si les fonctions de la reformulation sont différentes à l’oral et à l’écrit. Comme le note B. Pennec (2008), à l’écrit les formulations sont directes (le formulé et le reformulé se suivent immédiatement), et leur fonction est de « mieux dire ». À l’oral, les formulations sont souvent différées et jouent le rôle de hiérarchisation de l’information (une meilleure structuration du discours) ; elles permettent notamment de revenir au thème directeur après une digression. Cette question mérite d’être approfondie pour mieux définir la notion qui nous intéresse.

2.4. La reformulation : qu’est-ce que c’est ?

Pour situer la reformulation au sein des notions linguistiques, il faut également comprendre à quelle classe de phénomènes sémantiques et textuels elle appartient. Toute une série de termes est en effet utilisée comme son hypéronyme : concept ; acte illocutoire ; opération (voire, des opérations) transformatrice(s), sémantique(s) ou discursive(s) ; fonction ; processus de reprise ; activité ; stratégie énonciative ; relation logico-sémantique ou textuelle ; mouvement textuel… ou plusieurs choses à la fois. Ainsi, Rossari (1997) écrit d’abord que c’est une (des) opération(s) sémantiques mais elle analyse ces opérations dans le cadre du module « relationnel », celui qui vise à déterminer les relations entre des énoncés. Elle parle ensuite de la fonction de reformulation (p. 6) et (p. 7) de la « relation interactive de reformulation ».

En outre, il faut comprendre si le terme reformulation est, à son tour, un hypéronyme utilisé pour nommer différentes opérations, activités, etc. textuelles ou c’est un hyponyme. La conception large de la reformulation semble considérer le terme comme hypéronyme qui inclut la rectification et la correction (cf. Candea & Mir-Samri 2010 : 144, 152, 223) ou, dans un sens encore plus large, qui couvre « une multitude d’actions disponibles dans et par le discours comme expliquer, paraphraser, exemplifier, nommer, définir, résumer, récapituler, ajuster ou corriger, toutes sortes d’actions étant opérées sur une première formulation et portant sur le même état de choses » (Kanaan 2011 : 102). Dans la conception étroite de la reformulation elle est l’une des relations textuelles, discursives, rhétoriques, logico-sémantiques (le choix du terme dépend de la typologie adoptée), donc un hyponyme.

3. La place de la reformulation en tant que relation logico-sémantique dans les classifications

Dans les classifications existantes, que ce soient les classifications empiriques ou cognitives, la reformulation trouvent sa place parmi les relations d’elaboration. Mais le sens donné à ce terme dans ces classifications n’est pas le même.

Dans les classifications empiriques une relation est définie à partir de la sémantique de son marqueur prototypique (v. plus en détail Inkova 2017). Or, si dans la classification de Halliday (1985), le marqueur prototypique de l’elaboration est angl. id est, pour Fraser (2006, 2009) c’est and. De plus, la liste des marqueurs de cette relation n’inclut même pas id est ; cf. : « Elaborative Markers, where an EDM signals an elaboration in S2 to the information contained in S1 : and, above all, after all, also, alternatively, analogously, besides, by the same token, correspondingly, equally, for example, for instance, further (more), in addition, in other words, in particular, likewise, more accurately, more importantly, more precisely, more to the point, moreover, on that basis, on top of it all, or, otherwise, rather, similarly, that is to say) » (Fraser 2009 : 8-9). D’ailleurs, la définition même d’elaboration est beaucoup trop vaste, d’où l’extrême hétérogénéité sémantique des marqueurs susceptibles de l’exprimer.

La classification élaborée par les linguistes allemands (Breindl et al. 2014) a l’avantage d’être plus détaillée et de prendre en considération le niveau fonctionnel sur laquelle une relation peut être établie en distinguant deux groupes de connecteurs :

– ceux qui établissent une relation entre les contenus propositionnels : temporels, additifs, alternatifs, conditionnels ;

– ceux, dits métacommunicatifs, qui assurent le bon fonctionnement de la communication.

Ces derniers sont divisés à leur tour en deux classes (Ibid. : 1140) :

• reformulatifs dans le sens large du terme (« Formulier-ungsbezogene metakommunikative Konnektoren ») qui portent sur la forme du message en introduisant une formulation alternative :

• reformulatifs stricto sensu : anders gesagt, auf gut Deutsch gesagt

• identifiants : das heißt, id est

• spécifiants : besser gesagt, genau genommen

• « résumants » (« resumptive Konnektoren ») : kurz gesagt, kürzer, mit einem Wort (gesagt)

• généralisants : allgemeiner gesagt

• liés au (bon) fonctionnement discursif (« Diskursfunktionsbezogene metakommunikative Konnektoren ») :

• de pertinence : übrigens, überhaupt

• de précision : nämlich

• d’exemplification : zum Beispiel

Sans entrer dans le détail de la classification et le bien-fondé de la répartition des marqueurs dans ces classes (v. à ce sujet Inkova 2019), il faut admettre l’importance de reconnaître à la reformulation son caractère métalinguistique, de réflexion sur le code de la langue, de retour sur la forme du dit pour en choisir une autre.

Dans les classifications d’inspiration cognitive, élaborées en premier lieu pour annoter les relations entre les énoncés dans des corpus de textes en vue de leur reconnaissance automatique, ces relations – dites de cohérence – sont considérées comme des mécanismes cognitifs que le locuteur utilise pour lier entre eux des blocs textuels et que l’interlocuteur utilise pour interpréter l’information communiquée. Dans les trois classifications les plus connues – Rhetorical Structure Theory de W. Mann et S. Thompson (RST ; Mann & Thompson 1986, 1987, 1988), Segmented Discourse Representation Theory (SDRT ; Asher 1993, Asher & Lascarides 2003) et Penn Discourse Treebank (PDTB Research Group 2008) – nous rencontrons le même problème terminologique que nous avons vu dans les études descriptives.

Selon la SDRT, la reformulation fait partie du groupe de relations réunies sous l’étiquette Elaboration. Ces relations peuvent relier aussi bien des états des choses que des descriptions d’un même état de choses, le terme utilisé dans ce dernier cas est Restatement6 (Reese et al. 2007). Toutefois, l’exemple donné pour ce type de la relation d’Elaboration montre bien à quel point la conception de la reformulation dans cette approche est loin de celles dont il est question dans les paragraphes précédents. Cf. (17), où, selon le commentaire fourni, les segments b. et c. reformulent l’état de choses décrit en a. :

(17) a. Albright addressed this perceptual problem at the December meeting,

b. telling her European colleagues

c. that “too often, the United States takes the heat for dealing with difficult issues”

Dans la RST la reformulation (Restatement) est une relation à part entière, de même que celle d’Elaboration (http: /  / www.sfu.ca / rst / 01intro / definitions.html). Cette dernière fait partie des relations « thématiques » (subject Matter Relations), c’est-à-dire des relations passant par les contenus propositionnels des segments dont un est plus important (appelé noyau) du point de vue communicatif que l’autre (satellite). À l’intérieur de la relation d’élaboration sont ensuite distinguées les relations : ensemble – élément de cet ensemble, tout – partie, procès – étape, abstraction – concrétisation, objet – attribut, généralisation – détail. Dans tous les cas le satellite ajoute un détail à propos du noyau.

La relation de reformulation est mentionnée deux fois dans la classification. Une fois parmi les relations de « présentation » (Presentationnal Relations) : celles qui servent à augmenter, grâce à l’information donnée dans le satellite, les croyances de l’interlocuteur et le degré de son adhésion à ce qui lui est communiqué dans le noyau. Nous reportons l’exemple qui est donné pour la reformulation sous (18), où, à notre avis, il s’agit plutôt d’une justification du bien-fondé de ce qui est affirmé dans le contexte précédent (le titre).

(18) [Title : ] A WELL GROOMED CAR REFLECTS ITS OWNER (N) The car you drive says a lot about you.(s)

Aucun marqueur de reformulation n’est d’ailleurs possible entre les deux énoncés, à la différence des marqueurs dits de validation, comme en effet, effectivement.

La reformulation figure également parmi les relations multi-nucléaires, où les deux segments ont la même importance communicative et est illustrée cette fois-ci par l’exemple (19), où par la relation de reformulation seraient liés les segments que nous avons pris entre crochets.

(19) Harold Grace of Alberta has been blind for 15 years, … (Background information) But [Grace also said he was able to see the contestants’ true beauty] (N1). Grace is confident in his selections in the Miss Alberta and Miss Teen Alberta pageants by basing his judgment on the contestants’ answers, [how they projected their voices and their confidence through emphasis and firmness of their vocal deliveries]. (N2)

Si le deuxième segment (N2) sert à expliquer ou clarifier le premier (N1), ce qui constitue l’une des fonctions de la reformulation, la relation sémantique entre eux ne peut être décrite ni en termes d’identité d’intension ou d’extension ni même en termes de réinterprétation. En effet, selon les définitions données pour les deux types de reformulation, il faut juste que l’interlocuteur reconnaisse le deuxième segment comme une reformulation du premier, sans toutefois que soit expliqué ce qu’il faut entendre par ce terme.

Dans la troisième classification, élaborée dans le cadre du projet d’annotation Penn Discourse Treebank, la reformulation fait partie du groupe de relations – assez hétérogènes du point de vue sémantique – réunies sous l’étiquette Expansion7 (v. le schéma 1). En outre, le terme Restatement est utilisé comme un hypéronyme pour trois relations : specification (le deuxième segment, introduit par specifically, indeed ou in fact, apporte une précision à ce qui est dit dans le premier), equivalence (qui correspondrait à notre reformulation dans le sens strict du terme) et generalization (passage d’un cas particulier à une généralité). En revanche, la relation symétrique à la généralisation – la particularisation, ou passage du général au cas particulier – porte le nom d’Instatiation (ses marqueurs sont for example, for instance) et ne fait pas partie du groupe Restatement.

Schéma 1. Le groupe de relations Expansion dans la classification du PDTB(PDTB Research Group 2008).

Cet imbroglio terminologique est résumé dans le tableau 1.

Tableau 1. La reformulation dans les classifications RST, SDRT, PDTB.

Ce tableau montre que la même relation ne porte pas le même nom dans les trois classifications (restatement – elaboration – equivalence) et que même quand le terme identique est utilisé, le sens qui lui est attribué est différent (restatement est hyponyme dans la RST et hypéronyme dans le PDTB). En plus, la particularité de la reformulation, à savoir son caractère métalinguistique, n’est mis en évidence dans aucune des trois classifications. Le problème nous semble toutefois plus profond, car on a une sorte de cercle vicieux. D’un côté, les classifications s’appuient sur des recherches empiriques où, comme on a pu le constater la relation de reformulation est très mal définie. De l’autre côté, les classifications ne proposent pas de critères clairs et explicites qui permettraient d’isoler et de définir une relation et la distinguer d’une autre.

Pour remédier à cette situation, nous avons élaboré une classification des relations logico-sémantiques qui donne, nous semble-t-il, des réponses à une bonne partie des questions que nous avons soulevées dans les paragraphes précédents.

4. Une proposition de classification

La classification que nous proposons se fonde sur les principes suivants.

i) Tout d’abord, sont séparés deux aspects de l’analyse des relations logico-sémantiques : la sémantique d’une relation et les moyens qu’une langue peut utiliser pour l’exprimer, car il n’y pas de rapport univoque entre les deux. Les marqueurs sont en effet souvent polyfonctionnels et polysémiques. Nous avons vu, par exemple, que c’est-à-dire en français, mais également ses équivalents dans d’autres langues, connaît plusieurs emplois dont un seulement relève de la reformulation telle que nous la définissons. En outre, si on lie directement la définition de la reformulation à la sémantique de ses marqueurs, il est difficile de parler de marqueurs « spécifiques » et « non spécifiques » de la reformulation. Enfin, reste le problème du choix du marqueur « prototypique ». Le marqueur c’est-à-dire et ses équivalents dans d’autres langues viennent à l’esprit comme étant prototypique de la reformulation, mais il n’est pas classé parmi les reformulatifs, par exemple, chez Molinier & Lévrier (2000), ni, pour l’allemand, par Breindl et al. (2014).

D’autre part, une relation peut ne pas être exprimée par un connecteur (c’est souvent le cas des relations causales qui peuvent être déduites à partir des contenus sémantiques des énoncés ; cf. Pierre n’est pas là. Il est tombé malade) ou exprimée d’autres moyens. Pour la reformulation, ce sont l’intonation, le parallélisme de la structure syntaxique des énoncés mis en relation et la synonymie de leurs prédicats (Gülich & Kotschi 1983, entre autres).

ii) Les relations sont définies sur la base de l’opération sémantique sous-jacente. Ce principe théorique n’est pas nouveau en soi, mais dans les classifications qui le choisissent, du reste, peu nombreuses, les opérations retenues pour définir les relations ne sont pas suffisantes pour couvrir toute la variété des relations et elles sont souvent trop abstraites pour servir de critère fiable. Ainsi, dans la Cognitive approach to Coherence Relations (CCR ; cf. pour les derniers développements Sanders et al. 2018) ces opérations sont deux : causale et additive. D’autres travaux (cf. par exemple Charolles 1995) exploitent trois opérations, empruntées au traité de D. Hume An Essay Concerning Human Understanding (1748) : « il y a seulement trois principes de connexion entre les idées, à savoir ressemblance, contiguïté dans le temps et dans l’espace et la relation de cause à effet »8. Toutefois, comme le fait entendre Hume lui-même, ces trois principes n’épuisent pas toutes les relations que peuvent entretenir les idées qui nous viennent à l’esprit. En effet, au moins une quatrième opération doit être prise en considération, celle de l’insertion d’un élément dans un ensemble. Cette dernière opération est d’autant plus importante qu’elle permet de définir la différence entre la reformulation et les relations comme addition, généralisation ou particularisation auxquelles elle est souvent associée.

Nous retenons donc pour notre classification quatre opérations sémantiques :

1. l’ordonnancement sur l’axe de temps

2. l’implication

3. la comparaison, qui peut aboutir à l’établissement d’une ressemblance des « idées » ou situations ou de leur différence

4. l’insertion d’un élément dans un ensemble

Ces quatre opérations sémantiques nous donnent les groupes de relations suivants :

1. l’ordonnancement sur l’axe de temps est à la base des relations chronologiques (simultanéité, antériorité, etc.) ;

2. l’opération de l’implication donne les relations de cause, de conséquence, de but, de condition, de concession, etc.

3. l’opération de comparaison donne deux groupes de relations :

a) celles qui sont fondées sur la similitude des situations dont fait partie la reformulation avec l’analogie, la concomitance, etc.

b) celles qui sont fondées sur la différence (contraste, alternative, substitution, correction, etc.)

4. l’insertion d’un élément dans un ensemble est à l’origine des relations que nous appelons méréologiques : relations d’addition, de généralisation ou de spécification, ou encore de l’exception quand un élément est au contraire exclu de l’ensemble.

iii) La classification part du principe que les relations logico-sémantiques peuvent être établies à trois niveaux fonctionnels :

– propositionnel,

– énonciatif,

– métalinguistique.

La relation est au niveau propositionnel, quand elle est établie entre deux états de choses décrits par ces énoncés.

(20) Si l’Angleterre, par de fortes économies, remboursait graduellement sa dette, si elle supprimait, graduellement aussi, la dîme et la taxe des pauvres, laissant à chaque culte le soin de payer ses prêtres, elle n’aurait pas besoin de repousser par des prohibitions le grain étranger. (Frantext : SAY Jean-Baptiste – Traité d’économie politique, 1832)

Les conjonctions si introduisent les conditions pour la réalisation de la situation décrite dans la principale (« elle n’aurait pas besoin de repousser par des prohibitions le grain étranger »).

La relation est au niveau énonciatif quand pour son interprétation il faut prendre en considération les propriétés communicatives des fragments de textes mis en relation, telles que le but communicatif du locuteur et les principes généraux de la communication. Parmi les objectifs communicatifs il est d’usage de distinguer :

– les relations à caractère épistémique (Sweetser 1990) : le premier fragment de texte contient une hypothèse dont la vérité n’est pas évidente à l’interlocuteur et doit être prouvée, et c’est le deuxième fragment qui apporte cette preuve ; cf. (21) :

(21) Il paraît, ma bonne et chère amie, qu’il s’est perdu quelqu’une de mes lettres. Autrement tu ne me reprocherais pas d’écrire rarement. (J. Michelet, exemple d’Inkova-Manzotti 2002 : 132)

– les relations à caractère illocutoire : le deuxième fragment justifie l’acte illocutif accompli dans le premier fragment ; cf. (22), toujours avec autrement qui introduit le fragment de texte qui justifie les requêtes formulées dans le contexte précédent « Tu devrais prévenir » et « On ne doit pas me parler de ça sans prévenir » :

(22) Tu devrais prévenir, fait-il, livide. On ne doit pas me parler de ça sans prévenir. Autrement, je ne peux pas m’empêcher de ressauter, c’est les nerfs. (G. Bernanos, exemple d’Inkova-Manzotti 2002 : 131)

– les relations de commentaire : le deuxième fragment apporte une information supplémentaire (évaluation, argument supplémentaire, etc.) au premier fragment ; cf. la fonction du deuxième énoncé en (23) :

(23) Bien sûr, cette stratégie suppose de casser les prix, pour faire profiter le chaland des économies réalisées grâce au numérique. Ce que les majors se refusent à faire, même sur Internet. (exemple de Combettes 2007)

Enfin, la relation est établie au niveau métalinguistique quand elle concerne :

– le code (choix de la forme de l’énoncé, explication du sens d’un mot, etc.) ; cf. (24) :

(24) Au fond de la salle, sur un biclinium ou lit à deux places, était accoudée Arria Marcella dans une pose voluptueuse et sereine qui rappelait la femme couchée de Phidias sur le fronton du Panthéon. (Th. Gautier, exemple d’Inkova-Manzotti 2001 : 286)

– la façon dont est présentée la réalité ; comme en (25) où plus généralement signale que le locuteur passe d’un cas particulier à une généralité qui l’englobe :

(25) Visiblement Lerner avait un don spécifique, celui du bien-être matériel. Plus généralement, je suis convaincu que misère et richesse sont des qualités innées. (S. Dovlatov – L’Étrangère, trad. par J. Michaut-Paternò, 2001)

– la place du fragment de texte dans la structure globale du texte (cf. les marqueurs comme en premier lieu… en deuxième lieu…, enfin, d’une part … d’autre part, etc.).

Théoriquement, toute relation peut être établie à tous les trois niveaux. C’est vrai, par exemple, pour la relation de correction ; cf. Il n’est pas venu en voiture mais à vélo (contenus propositionnels) ; Il est très intelligent… enfin il en a l’air (remise en question de la vérité du contenu de l’acte illocutif d’informer) ; Elle n’est pas grosse, elle est plutôt rondelette (niveau métalinguistique, recherche d’un mot juste). Mais en réalité certaines relations ne peuvent être établies qu’à un seul niveau (c’est le cas de l’analogie, par exemple) ou à deux des trois niveaux (la généralisation, par exemple, ne peut être établie qu’au niveau propositionnel et métalinguistique).

Dans cette classification la reformulation que nous proposons de définir comme la relation logico-sémantique qui, dans la structure X RRef Y, signale que l’extension et / ou l’intension de Y est identique à celle(s) de X, trouvera sa place dans la classe des relations basées sur l’opération de comparaison qui aboutit à l’établissement de la similitude entre deux termes ou situations. Elle est établie uniquement au niveau métalinguistique.

5. En guise de conclusion

Pour donner une définition rigoureuse d’une notion et éviter que les contenus des termes qui renvoient à des phénomènes voisins se recoupent, il faut élaborer des critères clairs qui rendent compte, tout d’abord, des particularités de la notion étudiée plutôt que de ses affinités avec des phénomènes similaires. Ce rapprochement peut être fait en deuxième temps, une fois la notion étudiée définie. Ainsi, les critères appliqués dans notre classification, notamment l’opération sémantique sous-jacente, permettent de séparer la reformulation de l’opposition, y compris l’opposition du réel et des apparences (cf. l’exemple (5) ci-dessus), de la correction, les deux dernières relations exploitant la différence entre les situations ou les descriptions de la même situation, et la correction présuppose en plus la suppression d’une des situations / descriptions en faveur de l’autre. Ces critères permettent également de rendre compte de la différence conceptuelle entre la reformulation et la généralisation ou la particularisation, qui font partie du groupe des relations méréologiques (Inkova & Manzotti 2017, 2018).

Mais la reformulation a, en effet, des affinités, par exemple, avec la relation d’alternative quand elle est établie au niveau métalinguistique, comme en (24) ci-dessus, sans pour autant se confondre conceptuellement avec elle, car les deux relations, tout en s’appuyant sur la même opération sémantique de comparaison, aboutissent à des résultats différents : la ressemblance des descriptions comparées pour la reformulation et, pour l’alternative, leur différence, ce qui amène à faire un choix entre elles.

Ainsi, notre classification possède une valeur heuristique propre : elle ne liste pas simplement les relations, mais fournit des critères pour leur description.

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1 Université de Genève, Faculté des Lettres. Cette étude s’inscrit dans le projet de recherche Suisse-Russie soutenu par le FNS (n° 164059) et le RFBR (n° 16-24-41002).

2 Signalons parmi les plus récents celui qui s’est tenu en juin 2017 à l’Université d’Uppsala « La reformulation : à la recherche d’une frontière », la journée d’études « Autour de la reformulation » en mars 2018 à l’Université de Genève, et le colloque « Reformuler, une question de genres ? » qui s’est tenu en juin 2019 à l’Université de Porto.

3 Dans la conception de C. Rossari les « points de vue » sont des « états de la mémoire discursive » qui « représentent les différentes manières, les différents angles selon lesquels un état de la réalité peut être envisagé » (Rossari 1997 : 11).

4 Hypothèse contestée, entre autres, par Magri (2018) et par Vassiliadou ici-même.

5 V. pour la discussion le chapitre d’H. Vassiliadou ici-même.

6 « Elaboration (α, β) holds when β provides further information about the eventuality introduced in α ; […] Elaboration can hold in cases of event restatement – i.e., when the elaborating clause re-describes the event in the elaborated clause » (Reese et al. 2007 : 9-10).

7 Nous préférons garder les termes anglais, car déjà en cette langue le sens qui leur est attribué varie d’une approche à l’autre et la traduction ne ferait qu’embrouiller davantage la compréhention.

8 Cité d’après la traduction française Enquête sur l’entendement humain, Paris, Flammarion, 1983, p. 72.