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Bref

Alain BERRENDONNER1

1. Introduction

Dans les années 1980-90 ont été publiés divers travaux portant sur le fonctionnement sémantico-pragmatique du morphème bref. De ces études, fondées sur des exemples écrits et souvent forgés, il ressort globalement deux idées :

(i) Quant à la syntaxe, bref est classé parmi les adverbes d’énonciation (AdvE), qui sont une sous-espèce particulière des adverbes de phrase (= ayant la fonction d’adjoints à une phrase entière) ;

(ii) Au plan sémantico-pragmatique, bref est décrit comme un adverbe connecteur, qui présuppose un ou des énoncés antérieurs, et qui exprime entre eux et la phrase à laquelle il s’adjoint une relation de type récapitulation (= le contenu de cette phrase est une reformulation plus brève de ce qui précède) :

« Les adverbiaux d’énonciation se sous-catégorisent en adverbiaux illocutoires […], adverbiaux d’interlocuteurs […], adverbiaux de présentation, qui portent sur la présentation de l’énonciation (bref, en d’autres termes…), et adverbiaux de pertinence […] » (Nølke 1993 : 82).

« Les opérations […] de “récapitulation” sont introduites par des connecteurs tels que en somme, bref, en un mot, dont le sémantisme indique que le locuteur procède à une récapitulation de la première formulation. En d’autres termes, l’usage d’un de ces connecteurs permet au locuteur de revenir sur sa première formulation afin d’en tirer l’essentiel. […] [Il] se contente d’en donner une expression plus condensée » (Rossari 1994 : 18).

« C’est simplement le sens lexical de l’adjectif bref, qui est fréquemment utilisé dans une fonction de circonstant “énonciatif” pour annoncer que ce qui suit sera une reformulation “brève” de ce qui précède » (Waltereit 2007 : 107).

Mon propos se limitera ici à constater que bref n’est ni un adverbe de phrase, ni fondamentalement un marqueur de récapitulation.

2. Adverbe de phrase ?

2.1. Prosodie

Les occurrences de bref constituent des groupes accentuels distincts, qui présentent deux types de contours :

2.1.1. Le plus souvent, ils sont porteurs d’un intonème progrédient (montée de la F0 au registre haut), et groupés prosodiquement avec la proposition suivante, qui est bornée par une proéminence hiérarchiquement dominante2 :

(1) j’ai toujours de la peine à rentrer dans les autoroutes euh françaises quand tu sors euh | _ | de l’autoroute c’est facile | _ | en Suisse tu te dis donc | _ | la le reprendre l’autoroute c’est juste à côté | _ | ça va être indiqué et là non | _ |on a l’impression qu’y a une sortie mais y a pas d’entrée | _ | ou alors elle est à quinze kilomètres l’entrée c’est je sais pas c’est c’est bizarre | _ | bon bref on a fini par euh | _ | par repartir | _ | on a fini Strasbourg (etc., ofrom)

Diagramme 1.

C’est ce que transcrivent les ponctuations graphiques usuelles (Bref en tête de phrase, séparé du reste par une virgule)3, et c’est vraisemblablement ce qui a conduit à analyser bref comme un adverbe de phrase. Mais en fait, ce groupage prosodique n’implique pas qu’il y ait dépendance syntaxique entre ses membres, ceux-ci pouvant fort bien être des constructions verbales indépendantes (cf. Rien ne sert de courirS, il faut partir à pointF). Si le bornage par un intonème progrédient laisse attendre une suite, il ne préjuge en rien de son statut grammatical.

2.1.2. D’autre part, il arrive aussi que bref soit précédé d’un intonème conclusif, et porte lui-même un intonème conclusif (descente de la F0 à l’infra-bas, suivie ou non de pause) :

(2) il m’a dit justement mais prévois tes répétitions à l’avance | prévois l’ordre des morceaux prévois les passages que tu veux faire etcetera | _ | parce qu’on on m’a dit on perd un temps pis nous on est là on attend alors du coup forcément quand on attend on discute | _ | enfin voilà bref c’est tout des choses que j’ai dû apprendre (etc., ofrom)

Diagramme 2.

Ce sont là les démarcations ordinaires d’un énoncé isolé. Plus exactement, elles montrent que le morphème bref constitue alors à lui seul une clause, dont l’énonciation constitue à elle seule une période prosodique4.

2.2. Syntaxe

2.2.1. Il ressort de (2) que pour constituer un énoncé, bref n’implique pas forcément la cooccurrence d’une phrase ou proposition à laquelle il devrait s’adjoindre (voir aussi les exemples (17) infra). En outre, lorsqu’il est suivi d’une phrase, bref n’exerce pas de restrictions sélectives envers celle-ci, qui peut être de forme et de modalité quelconques (assertive, interrogative, impérative, averbale…) :

(3) (a) Est-il nécessaire de s’inscrire dans une tradition culturelle, ethnique ? Bref, faut-il être enraciné ? (web)

(b) bœuf, agneau, porc, volaille, nature ou marinée, saucisses (aux saveurs ahurissantes : pomme-caramel, chèvre-lardons, bœuf bourguignon ou camembert), merguez… Bref, faites votre chois et préparez vous-même votre brochette. (sic, web)

(c) fin bon bref : zut au nutella, vive la confiture !!! (web)

(d) La formation continue des enseignants, c’est sur France culture, et pas dans les couloirs des rectorats… Bref, MERCI et longue vie aux nouveaux chemins de la philosophie ! (web)

Rien ne justifie donc l’idée que dans les suites textuelles du type bref P, il existe une relation de dépendance syntaxique entre bref et P. Les faits incitent au contraire à conclure que ce sont là deux unités adjacentes grammaticalement autonomes, et à analyser le segment bref comme formant à lui seul un énoncé distinct.

2.2.2. La même conclusion vaut pour les AdvE en général, qui ont les mêmes propriétés. Mais il y a néanmoins entre eux et bref une différence importante. Les AdvE prototypiques (sincèrement, franchement…) peuvent fonctionner par ailleurs en tant que modifieurs de verbe (adverbes « de manière », ou « intra-prédicatifs »), adjoints le plus souvent à un verbum dicendi :

(4) Celui qui parle comme il pense parle sincèrement. (web)

et leurs occurrences méta-énonciatives commutent régulièrement avec des clauses verbales complètes du type [je V ← Adv]. Cela permet de les décrire comme des clauses elliptiques de ce genre, dans lesquelles l’adverbe est adjoint à un verbum dicendi non actualisé, à reconstituer implicitement. Cf. (5) :

(5) (a) Je sais que tu t’en fous de moi maintenant mais sincèrement tu me manques. (web)

(b) Mais là aujourd’hui, je te le dis sincèrement tu me manques. (web)

Soit5 :

(b) Є (je te le dis ← sincèrement) Є (tu me manques)

(a) Є (ØV ← sincèrement)              Є (tu me manques)

Mais cette analyse ne convient pas dans le cas de bref, car celui-ci ne fonctionne que rarement comme modifieur de verbe. Le seul verbum dicendi auquel il soit adjoint aujourd’hui est parler (14 occurrences seulement dans tout Frantext, ex. (6a)), et les clauses du type (6b) sont inusitées :

(6) (a) Il parle bref et précis, comme pour un rapport. (Gracq, Frantext)

(b) *Je vous le dis bref, *Je te le demande bref, *Je le déclare bref…

Par ailleurs, si *Je parle bref était attesté, cet énoncé ne serait pas une paraphrase du bref reformulatif, mais signifierait plutôt, au vu de (6a), quelque chose comme Je parle en style lapidaire. Contrairement aux AdvE du type sincèrement, les occurrences méta-énonciatives de bref ne peuvent donc pas être ramenées à des clauses verbales elliptiques. Ce sont bien des clauses autonomes, mais celles-ci apparaissent constituées en tout et pour tout d’un seul morphème. Bref appartient ainsi, avec les interjections (hélas !), certaines formules illocutoires (salut, merci) et les proformes phrastiques (oui, non, si), à une catégorie de morphèmes syntaxiquement inertes, aptes à constituer à eux seuls une clause énonçable : ce que Tesnière (1969 : 95) appelle des mots-phrases ou phrasillons, et à quoi je réserverai le nom de clausules.

2.2.3. Il est à noter que en bref, contrairement à bref, se comporte comme un adverbe d’énonciation ordinaire, alternant avec des clauses verbales complètes :

(7) Alors je vous le dis en bref et sans enjolivures : mon Carpe Diem à moi c’est de croquer dedans à belle dents. (web)

D’autre part, jusqu’au xve siècle, bref (brief) avait aussi des emplois en tant que modifieur de verbe :

(8) Se savoir vuelz pour quel raison

Je fui bannie de sa court,

Je le te dirai brief et court. (G. de Machaut (1364), Frantext)

Il semble donc que ce morphème ait subi au cours du temps une réanalyse le faisant passer du statut syntaxique d’adverbe à celui de clausule. Je laisse cet aspect diachronique de côté.

3. Connecteur de reformulation ?

3.1. Quant au sens, certaines occurrences de bref peuvent effectivement être décrites comme des marqueurs de reformulation / récapitulation. Elles apparaissent à la suite d’une configuration discursive sérielle (liste micro-syntaxique au sens du GARS6 ou enfilade d’énonciations), et sont suivies d’un énoncé qui s’interprète comme un résumé ou une synthèse de celle-ci :

(9) (a) Nous vous préparons pour la rentrée de très belles surprises notamment une belle conférence avec des stars de la protection de la biodiversité (mais chuuut, c’est un secret !), des émissions radios avec des acteurs inspirants, des projections films animés, des cafés débats intense en réflexions, des formations en média training et médiation scientifique… Enfin, bref, notre année 2018 sera belle, riche et inspirante. (web)

(b) Il n’aura plus ni vin, ni eau-de-vie, mais du café plusieurs fois par jour (en campagne) et du tabac tant qu’il en voudra ; nous lui en fournirons. Du reste il ira à cheval comme nous, sera armé de pied en cap et aura du gibier à tuer de toute nature, depuis des perdrix rouges jusqu’à des lions et des crocodiles. Ce sera même en route sa principale occupation. Quand il aura besoin de quelque chose, nous le lui donnerons et subviendrons à tous ses besoins. Bref, il partagera complétement notre genre de vie. (Flaubert (1850), Frantext)

Mais que veut dire au juste « récapituler » ? Dans ce type d’emploi, la relation de discours construite entre ce qui précède et ce qui suit la clausule bref peut être caractérisée comme la converse de la relation d’élaboration définie en SDRT. Celle-ci, rappelons-le, est fondée sur un rapport de partie à tout entre états de choses dénotés, et orientée du tout vers les parties : son premier terme dénote un fait saisi globalement, et son second terme en décrit un ou plusieurs détails :

« Lorsque la relation d’élaboration est vérifiée (on a Elaboration (α, β)) les éventualités principales (respectivement eα et eβ) décrites par les segments attachés (respectivement α et β) entretiennent une relation de partie à tout (PartieDe (eβ, eα)). […] Une des conséquences de cette sémantique est que eβ est incluse spatio-temporellement dans eα. […] De plus la relation de partie à tout impose l’homogénéité entre les entités qu’elle concerne, les éventualités eα et eβ doivent donc être soit deux événements, soit deux états » (Prévot, Vieu & Asher 2009).

Ce qui s’établit de part et d’autre de bref en (9), c’est une relation converse, orientée des parties vers le tout, et que l’on peut, en étendant l’usage d’un vieux terme de logique, qualifier de subsomption. Elle a pour terme gauche une série d’énoncés qui détaillent des faits, et pour terme droit une phrase nommant un « hyper-fait » qui les inclut. Il est à noter que ces deux termes peuvent être émis par des locuteurs différents :

(10) – Votre humeur est bien acerbe.

– C’est que vous ne cessez de me malmener ! Vous me laissez seule au Louvre, vous me surprenez dans cette gare…

– Bref : je ne fais que vous déplaire. Vous avez beaucoup à me reprocher, n’est-ce pas ? (Garat, Frantext)

3.2. Il arrive cependant, contre toute attente, que la version qui suit bref soit plus longue et plus détaillée que celle qui précède, si bien qu’on ne peut l’interpréter comme une récapitulation. La relation de discours construite ressemble alors plutôt à une élaboration, et peut même être commentée comme telle (pour préciser un peu) :

(11) C’est moi le coloc laché par Francky […]. Et je lui cherche donc un remplaçant. Bref, pour préciser un peu : je suis promu à l’IRA de Metz cette année, et je cherche un colocataire pour partager un appart génial, 70 m² pour 225 euros chacuns, charges comprises (sauf chauffage au gaz et électricité). (sic, web ; suivent dix lignes de description de l’appartement)

3.3. Il arrive aussi que bref soit accompagné d’un marqueur de conséquence, comme c’est pourquoi ou par conséquent. La série qui précède est alors composée d’arguments co-orientés, et l’énonciation qui suit exprime la conclusion commune que l’on peut en déduire. La relation de discours qui s’en infère n’est pas une subsomption (parties-tout), mais une simple démonstration (arguments-conclusion) :

(12) Dans un vrai stage, le stagiaire coute de l’argent à l’entreprise, au moins dans les premiers mois. Par définition un stagiaire n’est pas productif, et il occupe un poste que pourrait occuper un employé opérationnel. En plus, il faut qu’un maitre de stage le prenne en charge et corrige ses erreurs pour que le stage soit bénéfique, sinon c’est inutile. On ne peut pas non plus confier de fichiers de prod à un stagiaire seulement, car il risque de « gaffer ». Bref, c’est pourquoi un stagiaire est un poids pour l’entreprise. (sic, web)

3.4. Au demeurant, il existe beaucoup d’occurrences de bref qui ne servent aucunement à spécifier une relation de discours entre les contenus propositionnels énoncés de part et d’autre, mais simplement à signaler l’interruption du développement qui précède. La clausule commente alors explicitement une séquence discursive comme terminée de manière abrupte, et elle est souvent accompagnée dans cet emploi d’autres marqueurs exprimant une clôture, voire une clôture par abandon : clausules (enfin, bon, voilà, quoi) ou clauses verbales métadiscursives (passons, je t’en dis pas plus, je te raconte pas, j’ai un peu perdu le fil, je sais plus…) :

(13) (a) je testerai pour toi quelques applis mobiles que certains zoos et aquariums ont développé, je te donnerai mon avis sur chacune de ces applis et je te dirai bien sûr si je trouve que les applis pour les zoos, c’est vraiment utile, ou pas. Bref, je t’en dis pas plus, je te souhaite une bonne semaine, et à bientôt ! (web)

(b) Ma mère, je ne te dis pas toute les excentricités dont elle m’a fait cadeau, des écharpes tricotées à la main toutes couleurs mélangées, des sacs à n’en plus finir (toujours du bazard), enfin bref, … je ne te raconte pas… (fin de message, web)

La configuration interrompue peut être de dimensions diverses. Tantôt c’est un simple énoncé, qui reste inachevé par euphémisme :

(14) (a) Le temps a décidé de faire des siennes aujourd’hui, un coup grand rayon de soleil, un coup c’est le déluge, il pleut comme vache qui … (enfin, bref voilà quoi). Je suis sortie tout en me disant « ah, c’est génial il fait beau, j’y vais ! », je sors et deux secondes après je me fais bien pourrir… (web)

(b) C’est drôle, un avion qui bombarde, on dirait un oiseau qui… enfin bref… en agrandissement. (Bood, Frantext)

(c) Florent Dorin, qui avant même d’être maquillé a déjà la gueule fracassée, m’explique qu’il n’a dormi que trois heures parce qu’il était chez sa copine, et que donc forcément, euh… enfin bref, voilà quoi ! (web)

Tantôt, c’est une digression ou une parenthèse, c’est-à-dire un épisode de discours subalterne intercalé dans une narration ou qui la fait « dériver » ; cf. les séquences en italiques de (15)-(16). Bref met fin à cet excursus, et il est alors suivi du retour à la narration principale, parfois signalé par un donc dit « particule », paraphrasable par « j’avais commencé de raconter, donc je continue… » (Kallen-Tatarova 2013 : 126) :

(15) il s’est retrouvé sans boulot à | _ | en Suisse donc là il a | _ | il pouvait plus retourner vu que c’était la guerre au Maroc | _ | donc il a fait des petits boulots à gauche à droite | _ | et il a fini à la Chaux-de-Fonds à travailler dans les tourbières | _ | % | je sais pas vraiment où | _ | donc ils ramassent la tourbe ils font tout ça et puis euh c’est là qu’il a connu ma mère | _ | et évidemment euh scandale dans la famille parce que treize ans de plus que ma mère | _ | pas de métier euh | _ | enfin bref donc euh ils se sont mariés et ils se sont exilés à Genève | _ | en quelque sorte euh (ofrom)

(16) (a) Voici maintenant une petite idée pour dire de changer de l’éternelle soupe (moi perso j’aime bien la soupe il parait que ça fait grandir, la preuve avec mon mètre 77 au compteur) ; bref passons et voici ma recette de « crumble parmesan / noisettes de courges Butternut au poulet & paprika ». (web)

(b) Premièrement, éclaircissons un point : qu’est-ce qu’un faux-ami, dans le domaine des langues ? (on ne parlera pas ici de la vie privée, cela ne nous regarde pas. Mais bon, on espère que vous n’avez que de vrais amis !!!). Bref, donc un faux-ami linguistique : c’est un mot dans la langue étrangère qui ressemble beaucoup à un mot de votre langue mais qui n’a pas du tout le même sens. (web)

La digression peut notamment être une séquence méta-discursive réparatrice exprimant une difficulté à dire, et se terminant sur un renoncement :

(17) (a) ouais voyage en Angleterre + avec mon école quoi on avait pris le bateau de + à Dunkerque + je sais plus comment ça s’appelle ces petits bateaux qui t’amènent en Angleterre + je sais plus + enfin bon bref + et on a atterri dans une famille avec ma copine (crfp, pri-nar-1)

(b) on a monté une pièce qui s’appellait euh | _ | alors euh est-ce que je me souviens comment elle s’appelait | _ | mh | _ | @ | non | _ | c’est euh c’est un une pièce de Goldoni | _ | et euh | _ | et à | _ | alors | _ | que je retrouve ce nom à c’est quand même euh | _ | c’est quand même troublant | _ | c’est pas c’est enfin bref | _ | peu importe le le nom au final | _ | et on a monté cette pièce bon on s’est vraiment bien marré à à la faire (ofrom)

3.4. Que bref serve non seulement à marquer une reformulation, mais aussi à signaler la clôture d’une séquence discursive, les meilleurs auteurs des années 1990 s’en étaient déjà avisés. Pour Charolles & Coltier (1986), ainsi que pour Adam & Revaz (1989), il remplit ces deux fonctions simultanément ; pour Schnedecker (1991), il les assume alternativement, ce qui revient à y voir une unité polysémique :

« Il y a aussi une fonction de structuration, puisqu’il marque la fin d’un développement discursif (l’achèvement d’une séquence que “bref” institue comme formant un tout) » (Charolles & Coltier 1986 : 53).

« Ces exemples prouvent que bref […] souligne la structuration séquentielle. Intervenant au terme d’une série, il marque avant tout la fin d’une séquence descriptive et permet ainsi à la reformulation de se développer » (Adam & Revaz 1989 : 86).

« Dans [certains emplois], bref a une autre fonction que la fonction récapitulative, et qui consiste à mettre un terme à une séquence discursive, à abréger un développement jugé fastidieux, impossible ou inintéressant par le locuteur » (Schnedecker 1991 : 36).

En fait, le seul invariant commun à tous les exemples qui viennent d’être passés en revue, c’est bien que bref y clôt toujours une unité micro-ou macro-syntaxique dont il signale l’abandon par le locuteur. Il semble donc que ce soit là son signifié littéral. Cette indication peut coïncider ou non avec l’expression de diverses relations de discours (subsomption, élaboration, démonstration…), mais ces relations s’inféreraient des contenus propositionnels en présence même si bref n’était pas là. Elles ne sont donc que des effets de sens induits par certains contextes, et si la clausule contribue à les exprimer, c’est seulement à titre d’indice corroboratif.

4. Conclusion

4.1. Concernant le morphème bref en emploi méta-discursif, il ressort de ces brèves investigations :

(i) qu’il n’est pas un adverbe d’énonciation, ni même un adverbe, mais une clausule syntaxiquement inerte, « ankylosée », « structuralement inanalysable » (Tesnière 1969 : 95), qui fait l’objet d’une énonciation distincte de celles qui l’entourent.

(ii) qu’il n’est pas fondamentalement un connecteur de reformulation, ni même un connecteur. Son signifié propre consiste simplement à signaler une auto-interruption, paraphrasable par « je n’en dis pas plus ».

4.2. En ce qui concerne le statut des constituants « périphériques » en général, le cas de bref apparaît particulièrement instructif. En effet :

– syntaxiquement, c’est un segment autonome, indépendant des clauses avoisinantes ;

– prosodiquement, il est souvent groupé avec la clause qui suit ;

– et sémantiquement, c’est un commentaire portant sur ce qui précède.

On a donc là un bon exemple du fait qu’il n’y a aucune congruence nécessaire entre ces trois niveaux de structuration, contrairement à ce que présupposent traditionnellement la plupart des grammaires, notamment celles qui assument la division des discours en phrases.

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1 Université de Fribourg.

2 Sur la hiérarchie des proéminences prosodiques, voir Avanzi (2012). Dans les diagrammes ci-dessous, S, S + (= suite à venir) notent des intonèmes progrédients, et F (= fin) note un intonème conclusif.

3 = 1096 occurrences dans Frantext après 1950.

4 Pour une définition de ces notions, voir Groupe de Fribourg (2012).

5 E (x) figure l’opération d’énonciation de la clause x.

6 Sur la notion de liste comme développement d’un paradigme sur l’axe syntagmatique, voir notamment Blanche-Benveniste (1990) ou Blanche-Benveniste et al. (1990 : 43).