Chapitre I: Hôte Melissa (Ὥτε μέλισσα)
Sur deux poèmes du jeune Pindare (P. 10 ; O.14)1
1. Pindare béotien et panhellénique
S’il est, dans le champ des antiquités béotiennes, des problèmes spécifiques de cette aire délimitée de la Grèce, il en est d’autres qui permettent de mettre en évidence les liens qui rattachent cette partie au tout que constitue la communauté hellénique. La poésie de Pindare est certainement à classer dans cette seconde catégorie, elle qui s’affirme dès les premiers mots que nous ayons d’elle, comme un chant à valeur panhellénique. Et pourtant, elle sait aussi prendre racine dans sa terre d’origine pour célébrer les dieux, les hommes, les lieux de sa région.
Les deux poèmes dont il sera question correspondent à ces deux versants de l’art pindarique : la dixième Pythique célèbre des princes et des vainqueurs thessaliens, et ce chant venu de Thèbes veut être perçu au-delà des murs de la ville ; on y entend résonner dès la première strophe les noms de Sparte, de la Thessalie, d’Héraclès, de Pythô et de Pelinna. Tout autre est l’intention de la quatorzième Olympique, dont l’étoffe est spécifiquement orchoménienne. Selon les classifications chronologiques usuelles pour Pindare2, dix ans séparent ces deux textes, mais dans ce laps de temps ne prendraient place que deux autres textes parmi ceux qui nous ont été transmis : les premiers poèmes « siciliens », sixième et douzième Pythiques. Si nous choisissons la dixième Pythique et la quatorzième Olympique, c’est que de leur confrontation peuvent naître des observations sur la manière du jeune Pindare, et que ces observations jettent sur son œuvre un jour propice à l’analyse plus étendue de son « art poétique », dans la mesure où cette expression ne désigne pas seulement ce que le poète dit de la poésie, mais recouvre également l’examen des comportements littéraires dans leur ensemble.
On rapporte une « réponse » de Pindare, probablement inauthentique, mais qui révèle quelque chose de l’idée que ses lecteurs anciens se faisaient de lui : « Une autre fois, comme on lui demandait pourquoi il ne savait pas chanter, lui qui écrivait des chants, il répondit : “Les constructeurs de bateaux font aussi des gouvernails et ne savent pas barrer” »3. Une telle primauté accordée à la facture consciente, technique, de l’œuvre, et la comparaison elle-même du poète et d’un constructeur étaient bien entendu favorisées par le texte pindarique lui-même4. Le poète « bâtit », il assemble, il est architecte, et la tentation serait forte de voir en lui un constructeur de formes, chez qui le langage n’aurait qu’un statut d’auxiliaire, à la manière du Ménandre que nous propose une autre anecdote antique que l’on trouve chez Plutarque5. Pourtant, et malgré le caractère éminemment social du poème pindarique, malgré les servitudes que lui imposent le sujet et les circonstances d’exécution, on aurait tort de ne mettre l’accent que sur cet aspect de l’acte créateur, tant il est vrai que Pindare s’efforce d’imposer le poème à la fois comme grille d’explication du moment donné et comme interrogation générale sur les ordonnances possibles du monde6. Au travers de la forme, quelque chose s’élabore qui dépasse les contraintes de la forme ou les variables proposées par la forme. Si donc nous allons nous intéresser aux « formes » de deux odes pindariques, ce n’est pas pour isoler de la « poésie » un certain nombre de « recettes », mais pour tenter de faire apparaître la cohérence du texte au niveau de son écriture.
2. La dixième pythique
Dès les premiers mots, la dixième Pythique nous instille un schéma ternaire : Lacédémone et la Thessalie sont données comme deux éléments pourvus d’un dénominateur commun, leur relation avec Héraclès au travers des familles dont elles tirent leurs dirigeants. Au travers de la figure d’Héraclès, l’ode prend ainsi pied sur le sol thébain7 en même temps qu’elle vise un horizon plus étendu. Le héros occupe une position centrale, flanqué de deux contrées entre lesquelles il sert de trait d’union. Cela posé, le poète intervient à la première personne et justifie son entreprise8. Sa justification de l’œuvre par la commande des princes thessaliens trouve un écho évident à la fin du poème : Pindare, une nouvelle fois, se livre à une déclaration de type personnel et prononce l’éloge de ses protecteurs9. Or, il se trouve que la partie centrale de l’ode, celle que l’on peut appeler « mythique » ou « mythologique », nous présente Persée chez les Hyperboréens. La situation de Persée est doublement centrale : il est inclus dans une partie du poème flanquée de segments qui se font écho, et il sert lui aussi de trait d’union entre les deux mondes des humains et des Hyperboréens. Nous sommes ainsi renvoyés irrésistiblement à la situation centrale d’Héraclès dans les premiers mots du texte10 : un même schéma ternaire s’esquisse, que nous allons tenter d’examiner de plus près. Ce faisant, nous tenons la forme pour le support direct de la signification. On n’aurait pas de peine à justifier dans le cas de Pindare la possibilité théorique du recours à une telle attitude ; le poète lui-même livre des indices comme, dans cette ode, le rapport évident entre les quatre triades qui la composent et le « char des Muses tiré par quatre chevaux »11.
Pourtant, une remarque préliminaire s’impose. Je ne ferai que l’esquisser. Notons la parenté des deux constructions :
Cette ressemblance indique une direction et semble pointer vers un cœur du poème où le sens ne serait saisissable qu’à travers une mise en lumière d’un réseau formel. Cela nous conduira vers des considérations sur la séquence des thèmes et leur fonction, et il convient de distinguer une semblable démarche de deux voies bien connues de l’exégèse pindarique : l’étude des formes métriques et l’étude de la syntaxe. Il est clair que la forme métrique constitue un donné « musical » dont le poète lyrique est appelé à se servir : il peut en jouer de telle manière que la forme poétique à proprement parler – résultant de l’ensemble des démarches de création –, subisse fortement sa présence, reçoive même par son intermédiaire un statut privilégié12 ; mais cet aspect de la forme n’éclaire chez le poète que ce qu’il emprunte au répertoire avec plus ou moins d’imagination novatrice, et non nécessairement les comportements plus personnels dans lesquels le lecteur pourrait tenter de cerner son art. D’autre part, les recherches sur la syntaxe mènent incontestablement à des résultats, dans la mesure cependant où l’aspect métrique n’est pas oublié13 ; mais il est clair qu’examiner la syntaxe du poème (au sens strictement grammatical du mot) ne prend de sens que si cet examen fait partie d’un groupe plus étendu d’opérations tendant à élucider l’ensemble des démarches du texte.
Revenons à la dixième Pythique, et voyons si le chemin sur lequel Pindare nous invite mène à des prolongements. Si l’on considère le segment central, consacré à Persée chez les Hyperboréens, on est frappé par la manière dont ce segment est rattaché au reste du poème :
28 (οὗτος ἀνήρ…) περαίνει πρὸς ἔσχατον
29 πλόον· ναυσὶ δ᾿ οὔτε πεζὸς ἰὼν <κεν> εὕροις
30 ἐς Ὺπερβορέων ἀγῶνα θαυμαστὰν ὸδόν.
Cet homme (scil. L’homme heureux en tout)… pousse jusqu’au bout de la navigation. Mais ni sur les nefs, ni à pied tu ne saurais trouver l’étonnante route qui mène à l’assemblée des Hyperboréens.
Suit l’évocation de ce peuple et du passage de Persée auprès d’eux, que le poète conclut ainsi :
51 κώπαν σχάσον, ταχὺ δ᾿ ἄγκυραν ἔρεισον χθονὶ
52 πρώιραθε, χοιράδος ἄλκαρ πέτρας.
Retiens la rame, et plante l’ancre au sol, jette-la
De la proue, notre secours contre l’écueil.
La communauté des images maritimes donne à l’insertion du segment mythologique son aspect équilibré, sous l’apparence de l’arbitraire. Le vaisseau introduit et interrompt l’évocation du mythe, il assure le passage d’un niveau du poème (ou de ses thèmes) à l’autre.
Pourtant, ce n’est pas tout. Si l’on considère la séquence des thèmes à l’intérieur du segment mythique lui-même, il apparaît que Persée est évoqué aux extrémités du segment (31-34 ; 44-49). Le centre est réservé à l’évocation du peuple bienheureux des Hyperboréens14, reflet mythique de la cour thessalienne15 ; au milieu brillent les noms divins d’Apollon et de la Muse, la mention de festivités accompagnées de chœurs. Au sommet de la courbe, et par le détour des chœurs de jeunes filles, le chœur pindarique souligne ainsi sa propre présence (le détour mis à part, on retrouve ici le procédé attesté chez Alcman). Il n’est pas sans intérêt de relever ici la conjonction de thèmes qui fondent socialement l’activité du poète, – ce thème qui reparaît aux extrémités de l’ode. La poésie est présente chez les Hyperboréens, liée qu’elle est à la fête manifestant leur piété ; or, cette piété est solidaire de leur bonheur. Il n’est pas impossible que le poète rappelle le meurtre de la Gorgone et l’arrivée de Persée à Sériphos avant tout dans l’intention de laisser éclater sa propre piété16 : elle devient ainsi le corrélatif de celle des Hyperboréens. La présence de Pindare lui-même dans ce niveau du poème éclaire sa fonction auprès des Aleuades : c’est lui qui confère le bonheur aux Thessaliens par son poème (μάκαιρα Θεσσαλία). Il n’est pas le jeune invité fortuné des princes ; sans lui, privés de l’acte de piété que constitue la cantate, ces princes ne discerneraient pas les conditions de leur bonheur, que Pindare leur présente justement dans le miroir des Hyperboréens : piété apollinienne (nous sommes dans une ode pythique), fêtes, poésie, absence de maux.
Comme le laisse prévoir le mouvement du texte, la louange du vainqueur se trouve deux fois dans cette ode, de part et d’autre du segment central. C’est à l’une de ces charnières que le poète situe la confession dans laquelle il se compare à l’abeille :
53 ἐγκωμίων γάρ ἄωτος ὕμνων
54 ἐπ᾿ ἄλλοτ᾿ ἄλλον ὥτε μέλισσα θύνει λόγον.
Car la splendeur de l’hymne élogieux, à la manière de l’abeille, bondit çà et là d’un sujet à l’autre.
Manière habile de justifier le retour à un thème précédent, de masquer le rôle de la digression centrale (et avertissement au lecteur, on y reviendra cf. infra, 4). Le miel et la parole ne sont pas sans rapports dans les poèmes homériques déjà ; il en va de même chez Pindare17. Pour ne citer qu’un exemple, le vainqueur célébré dans la sixième Pythique est doué de « pensée douce » (γλυκεῖα φρήν, 53), ce qui a pour effet qu’il « rivalise avec le travail ajouré des abeilles » (μελισσᾶν ἀμείβεται τρητὸν πόνον, 55). Rien d’étonnant, dès lors à ce que notre poète-abeille produise lui aussi un « doux chant » (ὄπα… γλυκεῖαν… ἐμάν, 56)18. γλυκεῖα fait écho, de manière manifeste, à un mot situé bien en évidence au v.10 :
10 Ἄπολλον, γλυκὺ δ᾿ ἀνθρώπων τέλος ἀρχά
τε δαίμονος ὸρνύντος αὔξεται·
Apollon ! Douceur que le principe et la fin des actes d’hommes si le dieu les met en branle
Pourtant, si l’on excepte cet écho textuel ainsi que le rappel plus banal du chant (6~56) et des couronnes de victoire (40~58), les deux louanges du vainqueur ne reprennent pas de véritables motifs communs. Elles se présentent bien plutôt comme des versants complémentaires d’un événement dont les données gravitent autour d’Hippoclès19. En effet, le jeune homme est d’abord situé par rapport à ses entours : le dieu qui lui a accordé la victoire, la famille dont il tient ses vertus, le bonheur complet de son père, bonheur que la victoire d’Hippoclès contribue à constituer, enfin les limites du bonheur humain qui introduisent l’image de la navigation et l’évocation de Persée. Dans tout cela, il est assez peu question du vainqueur, de sa personne, de son âge20. Or, c’est là l’objet de la seconde louange. τὸν Ἱπποκλέαν, forme dans laquelle on s’est plu à reconnaître la valeur archaïque démonstrative de l’« article », souligne justement la présence de l’être loué, qui n’avait précédemment été que nommé. Peu importe donc que l’évocation de son aspect corresponde au motif amoureux traditionnel pour un jeune vainqueur21 : ce qui compte avant tout, c’est sa présence. Les pensées prudentes et réservées de Pindare sur le bonheur et l’avenir forment elles aussi le pendant des déclarations qui accompagnaient la première louange : là, nous étions spectateurs d’une réussite qui était affirmée comme le résultat de toute une carrière aboutissant au bonheur. Le bonheur du jeune homme ne saurait être proclamé en de tels termes : il ne se retourne pas sur un passé glorieux, il a devant lui les incertitudes d’un avenir à conquérir, – ce motif implique d’ailleurs un parallèle du jeune vainqueur et du jeune poète, il introduit de manière cryptée les nouvelles déclarations personnelles de Pindare22.
L’ensemble de l’ode se présente donc comme une structure ternaire ABA’ dans laquelle les segments A et A’ sont constitués par les circonstances de l’ode et l’éloge du vainqueur, B par l’épisode de Persée chez les Hyperboréens. En cela, l’ode se décompose sur le mode que laissaient attendre les trois premiers vers, avec la construction qu’ils érigent en façade : Héraclès le Thébain, flanqué de deux contrées. De surcroît, nous avons constaté que A et A’ se subdivisent à leur tour et de telle manière qu’ils donnent pour résultante une figure récurrente :
cependant que B propose également une structure récurrente :
Voilà donc mis en œuvre dans un poème lyrique, et avec une cohérence qui s’établit à plusieurs niveaux, un schème qu’on a remarqué dans le prologue de l’Iliade déjà23, et que nous appelons pour la commodité de l’exposé « figure récurrente » ou « récurrence », comme font les musiciens. On voit l’opportunité de cette forme ici. La trajectoire du texte se modèle sur la trajectoire qui mène l’auditeur chez les Hyperboréens et qui l’en ramène. Comme Persée, l’auditeur atteint au bonheur à l’intérieur des limites du poème, par la grâce d’une manière d’être qui est celle du texte et par l’événement précis de son exécution. Il y a là tout autre chose que la construction ternaire des triades qui scandent cette parole poétique, autre chose qu’un ordre de mots qui graviteraient ou non autour d’un centre (ou de plusieurs). Cependant, la tentation est forte, dès lors, de se demander si un tel schème n’aurait pas en lui quelque chose d’obligé, si le poète, obscurément ou de propos délibéré, ne construirait pas toujours le même type de séquence afin d’obtenir un effet d’unité, en d’autres termes si nous ne mettons pas le doigt sur une vulgaire recette. La manière dont la forme signifie dans cette ode le voyage chez les Hyperboréens nous incite à penser que tel n’est pas le cas, mais c’est la quatorzième Olympique qui va nous permettre de répondre par la négative. Auparavant, il nous faut encore prêter attention à trois détails.
Les seules divinités nommées deux fois dans le texte sont Apollon et les Muses. Or, leur distribution dans les segments du poème est révélatrice : Apollon et les Muses sont nommés séparément dans les segments A (10) et A’(65), ils sont réunis au centre dans les festivités des Hyperboréens (35 et 37). Cette disposition des protecteurs de la poésie constitue un réseau ténu de rappels ; on peut le situer presque sur le même plan que le couple γλυκύ~ γλυκεῖαν (supra, 21)24. Ce réseau n’en est pas moins l’indice d’une volonté consciente de structurer l’œuvre.
L’image marine qui encadre la digression mythique se trouve renforcée par le thème de l’étonnement qui suit dans un cas et qui précède dans l’autre (θαυμαστὰν ὁδὸν 30 ~ θαυμάσαι 48). Nous avons dans ce cas un exemple de motifs qui se répondent selon une syntaxe thématique et non grammaticale. En effet, le motif est rattaché la première fois à la proposition qui contient l’image du vaisseau, ce qui n’est pas le cas la seconde fois25.
Enfin, si nous avons insisté sur le caractère indicatif des premiers mots, il est temps de songer également au dernier. κυβερνάσιες (72) se réfère très évidemment à une notion répandue : celle du vaisseau de l’État26. Mais son usage, ici, a plus de portée ; dans un poème où les vaisseaux jouent le rôle de médiateurs entre les divers plans des thèmes, κυβερνάσιες opère de manière originale la synthèse des activités du poète et de celles du prince : φιλέων φιλέοντ᾿, ἄγων ἄγοντα προφρόνως… (66).
3. La quatorzième olympique
La quatorzième Olympique se donne pour un texte orchoménien de cœur, et le ton même étonne dans une épinicie27. C’est que l’on se trouve plutôt devant une sorte de prière baignée de piété civique : le vainqueur n’est que celui qui donne l’occasion d’une victoire de sa cité (cf. 19 οὕνεκ᾿ Ὀλυμπιόνικος ἁ Μινύεια « car la cité Minyenne a gagné aux jeux olympiques »), – une cité à laquelle on tentera d’agréger encore, par la grâce du chant, le père défunt du vainqueur (20-24) ; et c’est par un culte rendu aux plus authentiques divinités du cru, les Charites (Χάριτες Ἐρχομένου, 4) que la cité veut témoigner aux dieux sa reconnaissance pour cette faveur28. La sobriété du rite semble avoir inspiré la sobriété de la forme : en fait, nous avons ici un exemple privilégié dans l’œuvre de Pindare puisque la forme métrique et la séquence des thèmes s’établissent sur les mêmes fondements, à savoir une strophe et son antistrophe.
D’un segment à l’autre du poème, on note d’emblée un parallélisme : l’hymne et sa reprise sont tous deux marqués par une ouverture invocatoire (1-5)~(13-17)29 ; il y a pourtant une différence : les Charites évoquées collectivement la première fois, se trouvent la seconde fois citées nommément. Ce glissement vers une expression plus particulière annonce tout le dessin de l’ode dans son agencement binaire. En effet, si nous plaçons côte à côte les vers en question, nous voyons que non seulement les dénominations collectives (« illustres souveraines »… « gardiennes ») ont fait place aux noms particuliers des divinités, mais qu’à la seconde fois seulement le κῶμος (chœur dansant) est nommé (avec le démonstratif impliquant sa présence (τόνδε κῶμον, 16) et une description de sa manière d’évoluer30 : la cérémonie prend corps, les participants principaux se donnent dès lors en spectacle tels qu’ils sont, dans l’exercice du rituel célébré au moment même.
Un mouvement semblable régit les rapports des phrases explicatives qui font suite à ces invocations. À l’invocation collective des déesses d’Orchomène (1-5) vient s’accoler une description très générale de leur pouvoir chez les mortels (5-7) :
5 σὺν γὰρ ὔμμιν τά [τε] τερπνὰ καὶ
6 τὰ γλυκέ ᾿ ἄνεται πάντα βροτοῖς,
7 εἰ σοφός, εἰ καλός, εἴ τις ὰγλαὸς ἀνήρ.
Car c’est en vous que viennent à terme chez les mortels plaisir et douceur, par vous que l’homme est sage, beau, glorieux.
Cependant que l’invocation « incarnée » (13-17) est suivie d’une phrase qui évoque le pouvoir des Charites dans l’occasion particulière31. Nous apprenons ici qu’il y a un vainqueur, on nous dit son nom : l’expression κοῦφα βιβῶντα (« évoluant avec légèreté ») reçoit son pendant acoustique dans Λυδῶι… τρόπωι (« en mode lydien »), tour qui décrit à sa manière le chant exécuté, et dont l’exécution est solidaire de cet énoncé. Nous apprenons aussi qu’il s’agit d’une victoire aux jeux olympiques, ce que rien, ou presque, n’avait indiqué jusqu’à ce point, mais qui fait retentir à distance certains mots : θεῶν κρατίστου / παῖδες (« enfants du plus puissant des dieux », 14-15) et surtout πατρὸς Ὀλυμπίοιο τιμάν (« gloire du père olympien », 12), et l’on se trouve quasiment au centre de l’ode :
17 Λυδῶι γὰρ Ἀσώπιχον ἐν τρόπωι
18 ἐν μελέταις τ᾿ ἀείδων ἔμολον
19 οὕνεκ᾿ Ὀλυμπιόνικος ἁ Μινύεια
20 σεῦ ἕκατι.
Car je suis venu célébrer Asôpichos en mon poème, sur le mode lydien, puisque la cité minyenne a remporté une victoire grâce à toi.
Invocations et motifs de ces invocations s’établissent ainsi sur deux versants symétriques. Alors que la strophe nomme de façon collective, rattachant les faits à des qualifications générales, à des aspects assez imprécis du paysage (Καφισίων ὑδάτων, « eaux du Céphise », 1) ou de la légende (παλαιγόνων Μινυᾶν ἐπίσκοποι, « gardiennes des anciens Minyens », 4), l’antistrophe, suit un même cheminement, mais pour lui donner des racines dans le fait particulier : non plus les Charites d’Orchomène, mais chacune d’elles invoquée tour à tour ; non plus l’annonce d’un acte pieux, mais la vision – très fugitive à vrai dire –, d’un κῶμος dansant aux sons d’une musique lydienne ; non plus l’évocation d’un pouvoir, mais la proclamation de son efficacité, le nom du vainqueur, sa cité, le lieu illustre de la victoire.
Cette complémentarité se retrouve dans les deux segments qui concluent respectivement la strophe et l’antistrophe (8-12 et 20-24). Pour les vers qui évoquent le pouvoir des Charites parmi les dieux, il est évident qu’ils s’articulent d’abord sur ce qui vient d’être dit des mortels : pas plus que les hommes, les dieux ne sauraient se passer des Charites. Mais il n’est question que des dieux du ciel (ἐν οὐρανῶι 10), présentés comme un groupe sur le fond duquel viennent se détacher les noms glorieux d’Apollon pythien et de Zeus olympien.
Cette description rapide du pouvoir des Charites dans le monde céleste trouve son pendant lorsqu’à la fin de l’antistrophe Écho est envoyée en messagère dans le monde infernal. Certes, le couple Ciel-monde infernal nous offre une réalisation supplémentaire, à l’échelon divin, de la complémentarité observée entre les autres segments, mais ce modèle ne satisferait pas à lui seul un désir de cohérence avec la démarche qui nous est apparue ; ce qui marque, ici, le mouvement vers le particulier, c’est une séquence de noms propres opposés aux « dieux » groupés de la strophe, c’est une nouvelle joyeuse, bien définie dans son contenu, alors que la strophe parlait de fêtes intemporelles et permanentes32. C’est d’ailleurs la proclamation de cette nouvelle qui vient clore l’ode dont elle offre le prétexte : ainsi la strophe se termine par l’évocation de divinités qui protègent les jeux panhelléniques, l’antistrophe par celle d’une victoire ponctuelle, remportée par un athlète déterminé. Cela nous mène à une remarque.
Apollon et Zeus sont en effet nommés, à côté du groupe des dieux, dans la strophe déjà. Ne s’agit-il pas d’une exception au mouvement du texte ? On est tenté de le penser, mais c’est pour s’apercevoir alors que les dieux ainsi nommés sont mis en rapport avec des lieux terrestres : Delphes pour Apollon, l’Olympe et Olympie tout à la fois pour Zeus33. Les épithètes choisies par le poète assurent une liaison entre l’univers ouranien et le lieu sacré terrestre (situable sinon toujours situé dans le cas de l’Olympe). De même, à la fin de l’antistrophe, la mention des « glorieux vallons de Pise », contenue dans la nouvelle à porter dans l’Hadès, crée un lien entre le monde souterrain et celui des humains. Dans ce cas, une fois encore, la démarche qui mène de la strophe à l’antistrophe est marquée par un souci de donner corps à une réalité saisie d’abord de manière immatérielle : en effet, Apollon nommé pythien et Zeus olympien ne renvoient pas de façon contraignante à une réalité géographique, ils ne font que marquer une implantation possible du divin sur sol mortel ; en revanche, les vallons de Pise constituent la désignation univoque d’un lieu présent dans l’expérience de l’auditeur, en particulier si l’on songe au jeune vainqueur. Il est d’ailleurs évident que Pise renvoie à Zeus olympien. Ces deux évocations, Apollon pythien et Zeus olympien d’une part, les vallons de Pise d’autre part, convergent donc vers le lieu terrestre où la victoire célébrée dans l’ode s’est produite, et c’est dans les deux cas les Charites qui rendent la réjouissance possible (cf. σεῦ ἕκατι, « grâce à toi », 20 et 5-7).
Ainsi, le parallélisme métrique imposé par le choix du couple antistrophique se double d’un parallélisme discernable au niveau de la séquence des thèmes :
Invocation | Bonheur mortel | Bonheur dans l’autre monde | |
Strophe | 1-5 | 5-7 | 8-12 |
Antistrophe | 13-17 | 17-20 | 20-24 |
L’essentiel n’est pas ici dans un jeu de miroirs qui pourrait en définitive sembler assez vain ; il réside bien davantage dans la manière dont cet agencement formel prend corps, donc dans la démarche binaire qui passe d’un exposé intemporel et presque mythique (cf. παλαιγόνων, « anciens », 4) à la fête présente, aux faits incarnés, au sens particulier que le poète entend leur donner : célébration civique en l’honneur de divinités locales à l’occasion d’une victoire panhellénique. Dans le tracé qui conduit des thèmes de la strophe à leurs correspondants de l’antistrophe, on pourrait aller jusqu’à lire la marque d’un itinéraire qui mènerait des grands jeux en l’honneur du maître des Olympiens à cette fête d’une petite cité, d’un groupe humain qui, au travers de la victoire obtenue par l’un des siens, mesure le pouvoir de ses dieux.
La correspondance du mètre et des thèmes se trouve enfreinte en deux endroits. Les invocations n’aboutissent pas au même temps du vers (5 : 6 syllabes ~ 17 : 5 syllabes). Dans l’antistrophe, l’évocation du bonheur humain s’écarte du schème adopté pour les vers 5-7, ce qui nous donne le beau rejet σεῦ ἕκατι. Ces très légères altérations sont l’indice d’une main de maître : le poète ne s’impose pas de schémas, il les choisit et dans la complicité des formes se permet quelques violences au moment d’architecturer ses thèmes.
Que Pindare ait voulu donner à son auditeur le sentiment de se trouver devant une pièce fermement charpentée, c’est ce qui ressort de cette analyse, on peut l’espérer. Il est juste de relever que le poète nous offre ici des indications évidentes : forme antistrophique, correspondance des thèmes. Pourtant, comme dans la dixième Pythique, un réseau plus fin se dessine au niveau de la touche lexicale, et ce réseau ne recouvre exactement ni l’ensemble ni le détail de la structure qu’on a vu apparaître.
On a souvent noté le rapport qu’entretient le vers 7, construit en trois temps, avec les noms des trois Charites tels qu’ils sont énoncés dans l’antistrophe :
7 εἰ σοφός, εἰ καλός, εἴ τις ἀγλαὸς ἀνήρ.
si l’homme est sage, beau, glorieux.
Cf. 13-15 σοφός ~ Εὐφροσύνα
καλός ~ Θαλία
ἀγλαός ~ Ἀγλαΐα
À l’intérieur de ces trois couples, les rapports sont relativement transparents34, bien que l’idée même de toute-puissance des Charites dépasse le niveau d’une spécialisation de chacune d’elles35.
Μινυᾶν (14) ~ Μινύεια (19) constituent un couple dont les termes se font écho directement. Situés dans des positions métriques différentes, à l’intérieur d’éléments de la séquence qui ne se correspondent pas, ces deux mots n’en obéissent pas moins au mouvement général du texte : παλαιγόνων Μινυᾶν (« des anciens Minyens ») se situe au niveau du modèle mythique, ἁ Μινύεια (« la cité minyennes ») désigne la cité d’aujourd’hui dans sa célébration.
Les deux interventions de la première personne (εὔχομαι [« j’invoque »], 5~ἔμολον [« je suis venu »], 18) se trouvent dans le même cas que le couple précédent du point de vue de leur situation. Leur opposition sur le plan sémantique est l’indice d’une caractéristique nouvelle de la strophe et de l’antistrophe, et qui vient se placer dans l’axe des remarques déjà formulées.
Si ἔμολον comporte une idée de mouvement alors que εὔχομαι n’en comporte pas, cette opposition de l’immobilité et du mouvement ne se limite pas à ce couple de mots : il s’étend à l’ensemble du couple formé par la strophe et l’antistrophe.
En effet, même si l’on considère les « eaux du Céphise » et les « beaux poulains » de la strophe, on est bien forcé d’y percevoir des dénominations immobiles ou immobilisées pas leur contexte. Les eaux du Céphise, élément certes mouvant du paysage, sont mentionnées en relation avec la demeure des Charites, demeure qu’elles ont reçue du sort de manière définitive. Les beaux poulains sont contenus sont contenus dans un composé de type attributif (ou exocentrique) qui fige le donné dans l’illusion d’une permanence36. L’ensemble de la strophe baigne dans une atmosphère presque divine de permanence et d’immobilité, due pour une grande part à l’usage qui est fait du système verbal : l’aspect du présent confère aux propositions une fixité que leur contenu ne ferait pas toujours attendre (la fête olympienne, en particulier, lui doit son aura intemporelle).
Dans l’antistrophe, au contraire, l’action et le mouvement apparaissent dès les composés de rection37 qui qualifient Euphrosyne et Thalie. À l’immobilité de καλλίπωλον (« aux beaux poulains ») répond l’action verbale de φιλησίμολπε (« amie du chant ») et d’ἐρασίμολπε (« amoureuse du chant ») ; d’autre part, il est facile de relever dans l’antistrophe les termes qui soulignent le mouvement : κῶμον (« chœur »), κοῦφα βιβῶντα (« évoluant avec légèreté »), ἔμολον (« je suis venu »), ἴθι (« va »), et jusqu’à la victoire elle-même : en effet, alors que la cité est simplement donnée pour « victorieuse aux jeux olympiques », c’est dans le geste du vainqueur, exprimé à l’aoriste, que le poète saisit l’événement au niveau de l’individu :
24 ἐστεφάνωσε κυδίμων ἀέθλων πτεροῖσι χαίταν.
… il a couronné sa chevelure des ailes glorieuses du concours38.
Cette opposition d’une face immobile et d’une face en mouvement ne contredit pas le modèle précédemment dégagé. Elle ne fait que montrer un aspect supplémentaire de sa réalisation. Cet aspect pourrait d’ailleurs être analysé dans ses rapports avec la sculpture et la peinture de l’époque. La sculpture, en particulier, fournirait de bons exemples d’oppositions de type mouvement ~ immobilité39. Cela nous éloignerait de notre cadre. En outre, il ne faut pas oublier que l’exécution chorale de l’ode, sa chorégraphie, dont nous ne savons rien (sinon « évoluant avec légèreté »…), pouvaient singulièrement atténuer pour le spectateur ces phénomènes que l’analyse fait apparaître au niveau de l’écriture.
4. « Comme une abeille »
« Comme une abeille », en définitive, n’est donc pas un vain mot si nous considérons à présent les deux poèmes en question. Le poète parcourt un itinéraire qui le mène effectivement d’un thème à un autre sans que la séquence logique, apparemment, joue un rôle prépondérant. On trouve même, parfois, toutes les apparences du caprice. Mais d’une part on a démontré qu’il ne s’agissait souvent que d’apparences40, d’autre part le cheminement du texte obéit en dernier ressort à des impulsions provenant de ce domaine difficile à cerner qu’est l’élaboration des formes par le créateur d’une œuvre d’art. Quelquefois le lecteur a l’impression de saisir le poète sur le fait (ainsi dans les images nautiques de la dixième Pythique, ou dans les invocations de la quatorzième Olympique), ailleurs on est en droit de se demander si le poète ne se fie pas plus obscurément à un sentiment d’équilibre, s’il ne se définit pas, en face de son œuvre, au gré d’une marche qui pourrait traduire ce qu’il est convenu d’appeler l’inspiration41.
Toutefois, il apparaît clairement que si la tradition nous présente parfois un Pindare bâtisseur (supra, 16), la confrontation de ces deux poèmes de jeunesse nous montre en lui de quoi confirmer ce jugement et de quoi le nuancer tout à la fois. Qu’il y ait une charpente, personne ne le niera, mais ce qui importe, c’est qu’il n’y ait pas de système, pas de forme obligée. La double postulation de caprice et d’ordre présente dans la comparaison de l’abeille trouve une réalisation éclatante dans ces deux textes. On a vu que leurs formes diffèrent (figure récurrente pour l’un, symétrie pour l’autre). Cette possibilité de varier les formes implique la liberté du poète. En effet, la confrontation de la fête thessalienne et de la fête hyperboréenne n’a pas provoqué dans la dixième Pythique une architecture de type binaire ; de même, dans la quatorzième Olympique, la présence de trois Charites n’a provoqué ni le choix d’un schème strophique triadique, ni une séquence récurrente des thèmes. La cohérence formelle provient par conséquent d’un choix qui dès le départ est celui de Pindare : c’est la première phrase de la dixième Pythique qui nous offre comme un embryon du poème entier (supra, 2), ce sont les quatre chevaux du char des Muses qui représentent les quatres triades du chant ; dans la quatorzième Olympique, c’est la décomposition en trois aspects de l’excellence humaine au gré des trois noms des Charites, par exemple. Ces liens, on le voit, n’ont de la nécessité que l’apparence : ils entrent dans le jeu des nécessités de l’œuvre. On observera même que les relations qui s’établissent entre les segments correspondants ne sont pas toujours affectées d’un même signe. Là où la quatorzième Olympique présente un mouvement presque uniforme de la strophe à l’antistrophe, la dixième Pythique recourt à des procédés divers : tantôt une complémentarité qui fait songer un peu à la quatorzième Olympique, tantôt l’identité de thème, tantôt un simple écho lexical. Les choix du poète s’ordonnent donc selon plusieurs axes, tant sur le plan des λόγοι (« récits », qui n’appartiennent pas en tant que tels à l’art poétique) que sur le plan ou le créateur opère de manière plus ou moins consciente ses véritables choix (ὥτε μέλισσα θύνει « bondit à la manière de l’abeille »…). Dans nos deux textes, la disjonction du monde et de l’œuvre, telle que la présente la critique42, peut se deviner à de tels indices. C’est ici que le travail de l’abeille se substitue au donné, que la simple fête devient poème, langage de miel43 grâce à une médiation.
Car c’est bien d’une médiation que l’abeille est le signe. Certes, on pourrait se contenter de l’idée que la belle parole est comparable à la douceur du miel. Mais ce qu’on vient de voir invite à serrer l’image de plus près. On a pu démontrer que dans le monde grec le miel connote toute une série d’activités et leur confère, de par son statut de nourriture privilégiée, des sens précis44. Au départ, la consommation du miel marque le passage d’un genre de vie chaotique à un genre de vie cultivé, en particulier sur les plans alimentaire et social. En dernière analyse, l’abeille (ou la nymphe Melissa45) permet à l’humanité d’opérer un passage du désordre à l’ordre. On ajoutera que chez Pindare l’image de l’abeille se trouve prolongée ; la poésie est également rapprochée des rayons de cire, donc des formes dans lesquelles le miel se présente. Un fragment évoque en ces termes la parole poétique :
μελισσοτεύκτων κηρίων ἐμὰ γλυκερώτερος ὄμφα
… ma voix plus douce que les rayons de cire auxquels l’abeille donne forme… (fr.152 S.-M.)
Dans l’activité du poète, l’abeille marquerait donc – en plus d’un rapport avec la douceur – l’instauration d’un ordre de culture et de forme tout à la fois, c’est-à-dire le passage à un autre monde. Cet autre monde est celui où le donné peut être réorganisé en une forme autonome, opération qui permet au poète de faire accéder la célébration passagère à un sens permanent (dans la mesure, par exemple, où la digression sur les Hyperboréens comporte un sens solidaire de sa place dans l’ode, dans la mesure où la victoire d’Asôpichos est située dans un jeu d’oppositions et de relations avec la fête divine). Nous rejoignons ici les termes mêmes de Jean Rousset : « Ce sont des observations de ce genre (…) qui invitent à considérer l’art comme création de formes dégageant leur signification »46. Au reste Valéry n’a-t-il pas tenu l’idée de structure littéraire pour « la plus poétique des idées »47 ? Sur le mode biologique, c’est bien la direction que vise Aristote dans sa Poétique, lorsqu’il préconise pour l’œuvre littéraire « en mètres » le statut d’« être vivant, un et complet » (1459a20). C’est bien ainsi, également, que le poète thébain conçoit son art lorsqu’il se montre comme un bâtisseur – et nous revenons ainsi à l’image que la tradition a retenue – mais comme un bâtisseur de signes :
ἀρχομένου δ᾿ ἔργου πρόσωπον χρὴ θέμεν τηλαυγές
… lorsque l’œuvre est entreprise, il faut lui bâtir une façade glorieuse48
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1 Teiresias, suppl.2 (Montréal), 1979, 71-77.
2 Bowra (1964), 406-414. Pour O.14, cf. aussi Wüst (1967), 90.
3 Ἐρωτηθεὶς πάλιν ὐπό τινος διὰ τί μέλη γράφων ἄιδειν οὐκ ἐπίσταται, εἶπε· καὶ γὰρ οἱ ναυπηγοὶ πηδάλια κατασκευάζοντες κυβερνᾶν οὐκ ἐπίστανται. (Πινδάρου ἀποφθέγματα cf. Scholia uetera in Pindari carmina, rec. A.B.Drachmann, I (Leipzig 1903), 4.
4 E.g. N. 1,4-6 ; O. 6,1-3. Cf. Bowra (1964), 20-22.
5 Plut. De glor. Ath. 347e. Pour l’idée du poète-architecte, on a pu assembler un matériel qui témoigne de sa distribution dans l’ensemble du domaine indo-européen, cf. Darmesteter (1878), 319-321, Schmitt (1968), 334-336. Nünlist (1998), 98-107 (Bauwesen), rassemble sur ce thème 23 témoignages tirés de poèmes grecs d’époque archaïque, dont 12 sont empruntés à Pindare.
6 E.g. O. 1,1 ; 2,2 ; 11,1-2, etc.
7 Fehr (1936), 23.
8 Pour passer d’un poète béotien à un autre, on peut dire que cette rupture fait songer à Hésiode, Theog. 35. Cf. Schwenn (1939), 28.
9 À quoi l’on peut ajouter la touche de foi en une constitution dorienne en Thessalie (1-3 et 69-72). Cf. Köhnken (1971), 155.
10 On se trouve ici en désaccord avec l’opinion de Wilamowitz (1922) : « Er gesteht, dass dieses Bekenntnis eingentlich nicht zur Sache gehörte » (124), un jugement tributaire d’une vision du texte dans laquelle on peut isoler un sujet (« Sache »).
11 Korzeniewski (1968), 466.
12 E.g. P. 1,33 (rejet d’un mot au début de l’antistrophe). D’une manière générale, Cf. Nierhaus (1936), 19.
13 E.g. Sulzer (1961).
14 Même observation chez Burton (1962), 8 sq.
15 D’une certaine manière, on se trouve ici en désaccord avec ceux qui pensent que le jeune Pindare ne s’y entend pas encore à insérer un « mythe » dans l’ensemble des motifs de l’ode (cf. e.g. Fehr [1936], 119 sq.). Sur ce point, on consultera également Köhnken (1971) 156 sq. On ne peut qu’approuver son idée d’une homogénéité entre le bonheur des vainqueurs et celui des Hyperboréens, mais il va de soi, semble-t-il, qu’il faut l’élargir à toute la cour thessalienne (un détail : la répétition du nom d’Apollon, qu’il utilise comme argument, n’est que l’une des répétitions de théonymes dans l’ode (cf. infra, 23-24). La position de Pindare est du reste assez complexe ; d’une part, il articule très clairement le bonheur humain sur celui des Hyperboréens, se gardant de donner à croire qu’ils s’équivalent, puisqu’ils sont séparés par une limite infranchissable ; d’autre part, et les deux conceptions sont solidaires, le bonheur des Hyperboréens explique et fonde celui des Thessaliens, dont il livre une sorte de modèle (pour le détail des sacrifices d’ânes, cf. Wilamowitz [1922], 127, n. 2 et 128 : selon lui, l’origine de l’offrande d’un âne par les Ambraciotes à Delphes [Paus. 10,18,4] est à rechercher dans le culte plus que dans l’histoire) ; puisqu’on peut se fonder sur les échos lexicaux, il faut remarquer dans cette ligne μάκαιρα Θεσσαλία (2) et ἐς ἀνδρῶν μακάρων ὅμιλον (46). Cf. également Burton (1962), 8, mais le point de vue diffère. C’est dans ce sens qu’il faudrait peut-être nuancer la position de Gildersleeve (1885) 350 : « The land of the Hyperboreans is a glorified Thessaly », position reprise par Groningen (1958), 350. Köhnken (1971, 163) remarque subtilement : « … man hat den Eindruck, dass sich im Zentrum des Hyperboreer-mythos die aktuelle Siegesfeier spiegelt. » ; ce dernier mot est particulièrement heureux, mais le rapport qu’il établit entre la situation des vainqueurs et celle de Persée (1971, 181) me semble ne pas tenir compte du fait que le bonheur de Phricias est présenté comme plus permanent que celui de son fils (infra, 21-22). Enfin, il faut bien en dire un mot, on a sans doute exagéré l’importance de la scholie dépréciative au vers 46b : « Jusqu’à ce point, Pindare écrit fort bien son ode de victoire ; mais il se montre ensuite maladroit en recourant à une digression déraisonnable ». (μέχρι δὲ τούτων ὁ Πίνδαρος καλῶς τὸν ἐπίνικον γράφει· ἠστόχησε δὲ τὰ μετὰ ταῦτα ὰλόγωι παρεκβάσει χρησάμενος.). Texte facile à contredire, mais il faut se rappeler qu’il ne témoigne que très partiellement des sentiments du public ancien ; selon van Groningen (1958, 349, n. 2), le scholiaste reproduirait ici l’opinion de Didyme. Il s’agit en tout cas de « some ancient scholar » (Burton [1962], 7).
16 Köhnken (1971), 172-178, démontre de façon convaincante une autre fonction de ces vers : marquer sur le plan thématique l’intrusion de la mortalité sitôt quitté le monde bienheureux des Hyperboréens.
17 Cf. e.g. Slater (1969), s.v. μέλι (en particulier O. 10,98 ; N. 3,77) et ses composés.
18 Pour Bernard (1963), 13, c’est là l’aspect de l’image qui intègre cette dernière à la suite (alors que le fait que l’abeille se déplace la rattache à ce qui précède). Ces remarques valent sur le plan purement technique, mais l’image possède une autre portée (infra, 4).
19 L’idée de « reprise variée » (van Groningen [1958], 348) semble insuffisante.
20 Köhnken (1971), 158, voit dans ce segment lui-même une composition « en anneau » (le terme musical serait « récurrence », et il s’agit en fait d’une cantate).
21 Bowra (1964), 168 sqq.
22 Schwenn (1939), 24 sq.
23 Van Groningen (1958), 90 sq.
24 Pour d’autres rappels lexicaux et syntaxiques, cf. Schürch (1971), 74-76.
25 Cette correspondance thématique a été remarquée par Köhnken (1971), 176 sq., qui en tire des conclusions sur le sens des vers 48-50.
26 E.g. Page (1955), 188 sq.
27 Cf. Schwenn (1939), 158.
28 Pour l’articulation du culte des Charites et de l’éloge du vainqueur, cf. Lomiento (2010-2011).
29 Le fait a souvent été noté : e.g. Wilamowitz (1922), 151 ; Nierhaus (1936), 58, n. 13.
30 On retrouve ici la manière d’Alcman (supra, 20) ; εὔχομαι n’a pas le même impact visuel.
31 Le singulier est ici collectif (Wüst [1967], 92).
32 C’est l’aspect des verbes qui est ici déterminant (cf. aussi infra, 30).
33 La distinction entre Ὀλύμπιος et Ὀλυμπικός, dont le fonctionnement est clair, ne me paraît pas empêcher l’évocation d’Olympie à travers Zeus olympien (pour une tradition qui met en rapport le lieu divin et le sanctuaire péloponnésien, cf. EM, 623, 13-18). D’autre part, même Apollon pythien peut faire songer à Olympie, où il possédait deux autels.
34 Cf. e.g. Wilamowitz (1922), 152.
35 Schwenn (1940), 163 sq.
36 L’usage du composé attributif appliqué à des figures divines ou héroïques (dans l’épopée et dans les hymnes) favorise probablement cet aspect fréquent de la catégorie lexicale.
37 Ou conçus comme tels : cf. Debrunner (1917), 39.
38 Pour cette interprétation, selon laquelle Asôpichos est sujet de ἐστεφάνωσε, cf. schol. ad 28c, ainsi que (e.g.) Gildersleeve (1885), 239.
39 À Delphes, lieu dont Pindare était familier, on songe immédiatement à la frise du trésor des Siphniens, ou aux frontons archaïques du temple d’Apollon.
40 Pour la dixième Pythique, voir l’analyse de Köhnken (1971), 154-187.
41 L’hésitation du lecteur entre hasard, vouloir et nécessité peut constituer dans l’exégèse pindarique aussi bien une position de prudence à caractère provisoire qu’un credo définitif : « L’unité des odes solidement construites est donc plutôt le résultat du hasard, disons : de l’état d’âme du poète que d’une intention consciente et volontaire de sa part » (van Groningen [1958], 386).
42 Rousset (1963), IV n. 3 considère que l’exemple du Cantique de saint Jean de Mallarmé illustre l’idée d’un poète conçu comme un homme coupé en deux, tête séparée du corps (et donc univers de création séparé du « monde réel ») ; cette notion n’est pas absente de la poésie grecque : il suffit de songer à la légende de la tête d’Orphée décapité, flottant jusqu’à Lesbos (Phanoclès fr.1 dans Collectanea Alexandrina, éd. J.U. Powell, Oxford 1925, 106-108).
43 E.g. N. 3,76-79.
44 Détienne (1971).
45 Schol. Pind. 4,60 (=106a ; Drachmann 2, 112 sq.).
46 Rousset (1963), VII.
47 Valéry (1957), 1504.
48 O. 6,3-4.