Book Title

Samuel Baud-Bovy, initiateur de la maturité artistique au Collège de Genève

Inès CHENNAZ-BOISSONNAS

Samuel Baud-Bovy était mon parrain, comme il était aussi le parrain de Michelle Bouvier-Bron, mon amie de toujours. Le parrain le plus impressionnant, mais aussi le plus attentif que l’on puisse imaginer, secondé dans ce rôle par sa belle et si chère épouse Lyvia. L’histoire de la maturité artistique, réalisation d’une réforme enthousiasmante et nécessaire, représente pour moi la possibilité de témoigner ici de l’affection que je lui portais.

Mais il me faut revenir quelques siècles en arrière pour évoquer la création du Collège de Genève.

C’est le 5 juin 1558 que, par un véritable acte de foi, le Conseil (pouvoir politique de la cité) et Jean Calvin fondèrent la Schola Genevensis formée du Collège, établissement d’enseignement secondaire, et de l’Académie, devenue l’Université en 1868.

Le Collège accueillit dès lors, pendant plus de quatre siècles, tous les garçons de la République de Genève, de la sortie de l’école élémentaire à leur entrée à l’Université. L’Ecole supérieure de Jeunes Filles, elle, ne fut créée qu’en 1847.

Il faudra attendre les années soixante du XXe siècle pour que des réformes profondes modifient le statut établi par Calvin : d’une part, la création du Cycle d’orientation, qui enlevait au Collège ses classes de division inférieure et, d’autre part, la fusion du Collège de Genève et de l’Ecole supérieure de Jeunes Filles, qui généralisait la mixité des élèves.

Le terme « Collège de Genève » désigna dès lors l’ensemble des établissements secondaires supérieurs genevois, soit le collège Calvin, le collège Voltaire et le collège Rousseau qui venait de s’ouvrir dans un bâtiment neuf.

En moins de dix ans furent ouverts ensuite, aux quatre coins de l’agglomération, le collège de Candolle (1971), le collège Claparède (1974), le collège Sismondi (1975), le collège de Saussure (1978) et le collège de Staël (1980).

Mai 68 nous avait rendus optimistes et entreprenants. Une merveilleuse effervescence pédagogique, un débordement d’idées et de sentiments ont marqué cette époque. Ne sous-estimons pas cependant la somme d’efforts (du corps enseignant en particulier) qu’il a fallu pour arriver à ce que l’on peut bien appeler un miracle : les trois établissements du Collège de Genève furent prêts le 1er septembre 1969 à recevoir 2850 élèves répartis géographiquement entre Calvin, Voltaire et Rousseau, où les attendaient les mêmes programmes de cours et les mêmes horaires. Les directeurs et le chef du Département de l’instruction publique poussèrent un soupir de soulagement : ils s’apprêtaient à vivre des jours plus paisibles.

C’est à ce moment-là que Samuel Baud-Bovy demanda un rendez-vous à la directrice du collège Voltaire que j’étais alors. Je me perdis en conjectures devant la solennité de la démarche. En fait, Samuel Baud-Bovy, mon parrain tant admiré, mais parfois si intimidant, m’apportait un projet de nouvelle maturité, la maturité artistique, dont il avait eu l’idée au cours d’un voyage d’études en Hongrie.

Son projet était le suivant : pensant aux collégiens qui mènent de front la préparation d’une maturité classique latin-grec et d’une virtuosité au Conservatoire de Musique, et qui, souvent surchargés et découragés, sont prêts à abandonner le Collège ou le Conservatoire, Samuel Baud-Bovy proposait un aménagement de l’horaire et des programmes. Les matins seraient réservés au Collège, les après-midi au Conservatoire. On tiendrait compte, par ailleurs, de l’apport des disciplines théoriques musicales (lecture et composition) pour alléger quelque peu le programme des langues.

La section artistique, telle que la présentait Samuel Baud-Bovy, était initialement destinée aux élèves particulièrement doués, pourvu qu’ils aient le goût du travail artistique. Il s’agissait d’un projet de maturité classique latin-grec enrichie du programme des classes avancées du Conservatoire de Musique.

Non seulement je mesurai tout l’intérêt de cette étude aménagée, mais j’avais à cœur de réaliser le projet de mon parrain. Il faut croire que ce projet fut convaincant. Le conseil de direction du collège Voltaire, en particulier Gérald Magnin et Georges Ottino, ainsi que les maîtres intéressés, s’enthousiasmèrent et repartirent vers une nouvelle réforme, vers de nouvelles séances de coordination et tout ce qui s’ensuit.

La réalisation et le développement de ce projet se sont cependant concrétisés de manière un peu différente. Très vite, en effet, les arts visuels sont venus s’ajouter à la musique. On admit que le dessin d’observation, l’histoire de l’art, le dessin technique et l’atelier des formes pouvaient être considérés comme équivalents aux disciplines musicales.

Les professeurs de musique, eux, refusant que le collège Voltaire devienne une « annexe du Conservatoire », obtinrent de dispenser eux-mêmes les cours de musique. Seuls les cours d’instrument seraient donnés par le Conservatoire.

La section artistique division musique se voulait tournée d’abord vers le côté plus créatif de la composition et de l’écriture. Quand l’élève compose, il se rend véritablement compte des difficultés de la musique ; il écrit pour divers instruments assemblés, il doit se faire expliquer ces instruments par les musiciens eux-mêmes qui en démontreront les possibilités techniques ; il doit maîtriser l’organisation et la structure d’une pièce. Et le miracle au bout du parcours, c’est que chaque élève rend un travail personnel, même si ses moyens en composition sont modestes. Les autres domaines de l’enseignement sont la pratique (instrument et chœur) et la culture musicale, à savoir l’histoire de la musique.

Le projet prit corps rapidement : la première classe d’artistique fut ouverte le 1er septembre 1970, avec une volée de 26 élèves. Par la suite, l’effectif des classes d’art visuel fut toujours plus élevé que celui des classes de musique.

Je souligne ici le rôle très important joué par les parents qui pensent à l’enrichissement culturel et personnel que peut donner à leurs enfants un enseignement artistique.

L’évocation de Samuel Baud-Bovy que nous avons été invités à faire, Raymond Jourdan et moi, met en évidence le double aspect de sa personnalité : un maître rigoureux à l’intelligence brillante, à l’aise dans tous les domaines et ne comprenant pas que l’on puisse rencontrer des difficultés dans l’étude intellectuelle, mais aussi un visionnaire de la fin du XXe siècle qui pressentait qu’au-delà d’une culture générale souvent abstraite, il fallait se préoccuper de l’épanouissement, de la créativité imaginative et de la perception sensorielle des élèves.