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La numérisation de la notation musicale des enregistrements réalisés en Crète par Samuel Baud-Bovy

Thanassis MORAÏTIS

Cette communication a été prononcée en grec lors du colloque ; nous la publions ici traduite par Hionia Saskia Petroff.

En examinant les transcriptions des enregistrements sonores réalisés en 1954 par Samuel Baud-Bovy dans l’île de Crète, Marcos Ph. Dragoumis et moi-même avons constaté qu’il avait sous-estimé son travail. En effet, les transcriptions manuscrites déposées en 1980 aux Archives musicales de folklore de Melpo Merlier étaient accompagnées de l’indication « à ne pas publier, car je ne les ai pas terminées », alors que pour la plupart elles étaient parfaitement correctes.

Nous avons opéré parmi elles une sélection en fonction des meilleurs enregistrements – au niveau de la qualité sonore – et sur la base des différentes catégories du répertoire : berceuses, mirologues1, distiques rimés tirés d’Erotocritos, airs instrumentaux.

Nous avons ensuite étudié les transcriptions de Baud-Bovy, afin de comprendre pleinement sa conception et son point de vue personnel au sujet de la notation des chansons populaires.

Notre souci principal fut en priorité de transposer à l’ordinateur tout son travail tel qu’il figurait dans ses manuscrits, sans même modifier l’orthographe des textes (on a cherché et inventorié l’interprétation de nombreux mots inconnus, tâche qu’il n’avait pas menée à terme lui-même). On a également créé à l’ordinateur les symboles particuliers correspondant à ceux qu’il avait utilisés pour noter la structure des intervalles des chansons populaires, notamment – dans le cadre de cette recherche – pour la lyra crétoise (rebec à trois cordes, sans frettes) et la cornemuse locale (askomandoura).

Il est quasi certain que les corrections qu’il a fallu apporter auraient été effectuées par Baud-Bovy lui-même (les remarques de sa fille Françoise Sallin nous ont été d’une aide précieuse à cet égard).

Les problèmes que Baud-Bovy avait à résoudre ne concernaient pas tant les rythmes (car la tradition musicale crétoise ne présente ni polyrythmie, ni schémas rythmiques asymétriques, c’est-à-dire des rythmes « boiteux » dits scazon en grec ancien, aksak en turc : 11/8, 9/8, 13/8, etc.), que l’alternance continuelle des tempi et les syncopes – éléments constitutifs essentiels de la tradition musicale crétoise, que l’ingénieux musicologue avait parfaitement saisis et transcrits – rendus par des triolets, des quintolets et des septolets, de même que le mouvement vertigineux, le tempo rapide de la lyra et de l’askomandoura. Sa connaissance de ces deux instruments lui a permis de transcrire les plus infimes ornements et la qualité pour ainsi dire polyphonique du son émis par l’askomandoura.

Quelques points significatifs concernant ces transcriptions

– Baud-Bovy a transcrit en notes l’intégralité de chaque chanson, et non pas seulement sa première strophe ;

– il a noté jusqu’aux plus imperceptibles inflexions des instruments et de la voix ;

– il a opté pour la transcription verticale des strophes, afin de rendre visible la similitude de leur mouvement mélodique et leurs infimes variations également aux yeux des non-musiciens ;

– il a transcrit d’assez nombreuses variantes de la plupart des 50 airs recensés ;

– il s’est trouvé confronté à la structure microtonale des intervalles (quarts de ton, etc.), ainsi qu’aux problèmes causés par la décharge des batteries des magnétophones.

Il s’agit de la transcription de chansons crétoises la plus accomplie qui ait été réalisée à ce jour, et son édition aidera les générations futures de musiciens et de musicologues à avoir une vue d’ensemble claire et exhaustive de la tradition musicale de la Crète2.

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1 Lamentations funèbres pour déplorer la mort d’un proche.

2 Ajoutons que grâce au volume que Samuel Baud-Bovy a consacré en 1972 aux chansons populaires de Crète occidentale, et aux deux volumes posthumes consacrés à la Crète centrale et orientale, parus à Athènes en 2006 avec les soins attentifs de Lambros Liavas, Marcos Ph. Dragoumis et Thanassis Moraïtis, nous avons une vue d’ensemble du patrimoine musical traditionnel de la grande île, chanté et dansé.