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Chapitre 9: Notes sur le texte de La Samienne1

André HURST

Les éditions excellentes dont nous disposons désormais pour lire les nouveaux textes de Ménandre ont attiré un public nombreux. Ce regain d’intérêt permet d’espérer que quelques notes sur le texte de La Samienne seront de nature à susciter la discussion.2

1. Vers 7, pour ce vers, le papyrus Bodmer XXV (=B) donne le texte suivant :

…]νετρύφησα κτλ.

Les suggestions sont ici nombreuses. Retenons-en deux. Colin Austin (1969) propose dans son édition μὲ]ν ἐτρύφησα vel ἐ]νετρύφησα. Dans la foulée (1970), il propose οἷς μὲ]ν ἐτρύφησα. Une combinaison de ces deux solutions est envisagable : οἷς ἐ]νετρύφησα. Cf. PCG VI.2, fr.508, 8 (… γαμηλίωι λέχει <τε> μοιχὸς ὲντρυφῶν). Le sens demeure : « La douce vie que j’ai menée, vel sim… ».

2. Vers 11-12.

τὸ λεγό]μενον δὴ τοῦτο « τῶν πολλῶν τις » ὤν,

ἔπειτ]α μέντοι νὴ Δί ᾿ ἀθλιώτερος.

comme dit le proverbe, « j’étais comme tout le monde »,

Mais ensuite, par Zeus, bien plus malheureux !

Pour combler la lacune du vers 12, ἔπειτα, proposé par Austin, semble préférable à γέγονα, seul retenu par Sandbach. Moschion annonce ici la rupture de son destin, comme il l’a déjà fait aux vers 2-3. Au milieu de l’évocation d’un bonheur sans tache, il s’agit de soutenir l’attention du spectateur par l’annonce d’une péripétie malheureuse. Or, ἔπειτα peut justement marquer la rupture temporelle, le passage d’un stade à l’autre dans la séquence d’un récit (e.g. PCG VI.2 fr.119.2 ; 337.4 ; 409.14 ; Aspis, 339).

3. Vers 30-38.

Le premier feuillet du codex n’est que partiellement conservé : que lisait-on sur le bas du « recto » et sur le début du « verso » ? Il est possible de le conjecturer d’après le déroulement de la pièce3. Pourtant, les premières lignes du verso (31-34) résistent à l’interprétation4.

Si l’on s’appuie sur l’expression ἐξ ἀγροῦ δὴ καταδραμών (« revenu en hâte de la campagne ») du vers 38, on constate que δή accompagne la suite d’un récit5 et que nous reprenons le fil après une interruption de type explicatif. Au vers 35, δέ se conçoit de préférence comme un équivalent de γάρ6 qui introduit la parenthèse sur les bonnes relations qu’entretiennent Chrysis et les femmes du voisinage. L’amorce de cette explication se trouve très vraisemblablement dans les mots πρὸς τὸν γείτονα (« chez le voisin », 33) aux sujets desquels les vers 35-38 nous offrent des éclaircissements. C’est alors que Moschion peut rependre le fil du récit. De ce qui précède cette parenthèse, il nous reste quelques bribes sur lesquelles il est risqué de bâtir. On peut cependant constater ceci :

— Moschion voit (ἰδών, comme καταδραμών a pour sujet le narrateur) un homme (ou des objets ?) qui porte ou supporte (φέροντ᾿) quelque chose.

— Moschion est pris dans une activité impliquant πανταχοῦ (« partout »).

— Les sujets du verbe…]ησθε sont impliqués dans une action qui touche le voisin. Pour que cette action justifie un retour précipité de Moschion, il faut qu’il s’agisse d’un fait exceptionnel et non d’une simple visite qui serait partie d’une routine (35-38).

Si le σημεῖον est conçu comme la marque apposée sur un texte (e.g. Platon, Legg.856a ; Xénophon, H.G., 5.1.30), on peut supposer que l’homme en question apporte un message, et que le contenu du message (où il serait question du voisin7) provoque le retour de Moschion. Peut-être faut-il songer à :

34 … συνθλάσας τὸ σημεῖον, σφόδρα

35 ἥσθην· φ]ιλανθρώπως δὲ κτλ.

…(contenu du message, lu) après avoir brisé le sceau, j’en fus tout réjoui. En effet, les relations étaient bonnes etc.

4. Vers 112-117.

La distribution des répliques ne peut être maintenue telle que le texte de B la suggère. Ce qui est certain, c’est que seul Nikératos peut prononcer les mots τὰ περὶ τὸν γάμον λέγεις / τῶι μειρακίωι σου ; (« Tu veux parler du mariage de ton garçon ? » 114-115). Il s’ensuit que Déméas doit être le locuteur de la réplique précédente, qu’il y a donc une coupure à opérer dans le texte que B attribue à Nikératos (112-114). Celle que propose Austin paraît la plus vraisemblable (après εὖ λέγεις). Cependant, il n’y a pas lieu de changer ensuite la ponctuation très logique de B, qui attribue les mots πάνυ γε – θέμενοι à Déméas. C’est en effet Déméas qui prend la tête des opérations, tandis que Nikératos se limite à de brèves et timides répliques. C’est Déméas qui organise l’existence d’autrui, il insiste sur ce point (ἀλλὰ μὴν κἀμοὶ προτέρωι σου (« Mais j’y étais résolu avant toi ». 117-1188). C’est lui aussi qui fixera la date du mariage (167sqq). C’est lui qui doit prononcer les mots πάνυ γε – θέμενοι (« Tout à fait… fixons la date ». 115-117).

5. Vers 192-195.

On pourrait suggérer pour 192-193 :

πάντ᾿ ; ἐμοὶ <δ᾿ ἂν>9, Δημέα,

τίς τινα κατ]αλίπηι

Donc une phrase interrompue. Déméas ne laisse pas à Parménon le temps d’achever le vers 193 : « (Parménon :) Tout ? Eh ! bien, Déméas, si l’on veut bien me laisser quelque chose… (Déméas l’interrompt) ». On attendrait de la part de Parménon une fin de vers comme πάντ᾿ ἔγωγ᾿ ὠνήσομαι vel sim. « …j’achèterai tout ! ».

Quant au premier mot de 195 (complément de πριάμενος, 194) αὐτόν ou τινα (dans ce cas : πριάμενός/ τινα). Il s’agit encore du cuisinier ; Parménon, tout joyeux de voir ses désirs devenir des réalités, joue sur les possibilités offertes par les divers sens du mot πριάμενος (pour son application à un cuisinier, cf. Austin [1970] ad 194). Ce penchant de Parménon à jouer avec les mots apparaîtra d’ailleurs surtout dans la scène du cuisinier (283-29510). Ainsi, Parménon cherche à tirer un effet comique des deux parties que comporte l’ordre de Déméas (victuailles, cuisinier), mais sa plaisanterie sur πάντα est interrompue (le public devait voir où il voulait en venir : « si l’on veut bien me laisser quelque chose, j’achèterai tout ! »), alors que le jeu sur les usages de πριάμενος est complètement énoncé et sert de pirouette à Parménon pour disparaître à l’intérieur (on admet alors que Déméas reprend πριάμενος avec bonne humeur : « oui, achète (s.e. même un cuisinier) »11. Ces jeux sur le langage marquent d’une empreinte heureuse l’atmosphère des préparatifs, ils ôtent à la précipitation dans laquelle on se trouve tout caractère d’urgence et forment une sorte de prélude à la fête.12

6. Vers 530-532.

La ponctuation de B donne la répartition suivante des répliques de Déméas et de Moschion :

ΔΗ πῶς λέγεις ;

ΜΟ ὥσπερ πέπρακται.

ΔΗ μή με βουκολῆις ὅρα.

ΜΟ οὗ λαβεῖν ἔλεγχον ἔστι ; καὶ τί κερδανῶ πλέον ;

ΔΗ οὐθέν. Κτλ

Déméas

Comment dis-tu ?

Moschion

Comme cela s’est passé.

Déméas

N’essaie pas de me rouler.

Moschion

Alors qu’on peut vérifier ? Et qu’est-ce que j’y gagnerai ?

Déméas

Rien du tout (etc.) ».

Austin (1969) ne l’adopte pas, et se borne à la mentionner comme une possibilité (1970). Sandbach (1990), au contraire, la retient. C’est probablement la meilleure solution. Tout au plus pourrait-on préférer le traitement de ἔστιν en orthotonique13.

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1 Première publication dans la revue Živa Antika : cf.bibliographie (1976).

2 Editio princeps : Papyrus Bodmer XXV, Ménandre, La Samienne, publié par Rodolphe Kasser (…) avec la collaboration de Colin Austin. Bibliothea Bodmeriana (Cologny/Genève) 1969. Pour les éditions ultérieures, cf. infra Bibliographie.

3 Turner (1972), Hurst (1981), e.g.

4 Voir la note prudente de J.-M. Jacques dans son édition, 4-5 n. 7.

5 L-S-J s.v. II. Denniston (19542), 238-240.

6 Denniston (19542), 169.

7 Il se pourrait donc que la seconde personne –ησθε s’explique par une citation du contenu, et non par une adresse au public (GS, 549).

8 Attribuer cette réplique à Nikératos serait renverser en partie l’idéologie de la pièce ; mais surtout, cela contredirait la manière dont on vient de voir Déméas prendre les devants (112-114). Considérer comme « improbable » (GS, 557) que Déméas n’attende pas de réponse, c’est faire peu de cas de la manière dont, ailleurs, Ménandre nous le montre forçant la main à Nikératos (167-179 ; 598-605).

9 Pour δ᾿ cf. Denniston (19542), 172, II et III ; pour ἄν cf. e.g. Dysc. 483, 495 ; Sam., 389.

10 Cf. Hurst (1973), 308-309. Supra, p. 145-146.

11 Ce qui lèverait peut-être l’objection de GS, 563.

12 Pour une vue différente : Blume (1974), 73-74.

13 On peut citer Od. 4.193 (e.g. Bally [1945], 109). On rejoint ici l’édition de Jacques (702).