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La structure (per) vxinf, vx fin en italien

Laura BARANZINI

1. Introduction

La construction décrite ici permet, dans une discussion plus spécifiquement consacrée aux structures corrélatives au sens propre, de s’interroger à propos des séquences semi-rigides, sans marques corrélatives, mais qui présentent un lien d’interdépendance important au niveau morphosyntaxique et une certaine fixité lexicale qui en font des séquences bipartites avec une dynamique interne partiellement prévisible.

En italien, il existe une seule étude récente consacrée spécifiquement à ce type de constructions avec infinitif à gauche, et forme fléchie du même verbe en proposition principale (Bernini 2009). Dans les grammaires, ces constructions peuvent être citées dans les descriptions consacrées aux subordonnées limitatives comme variantes (cf. Serianni 1997) ou comme des cas particuliers comparables à la dislocation à gauche de l’infinitif, sans en présenter toutes les propriétés (par exemple dans Benincà, Salvi & Frison 1991 : 205 on parle de costruzione simile alla dislocazione a sinistra, ma non chiaramente interpretabile come tale/construction qui ressemble à la dislocation à gauche, mais non clairement interprétable comme telle).

En général, il est possible de classer les constructions sémantico-syntaxiques en prenant en compte leur degré de fixité, qui varie notamment suivant les niveaux linguistiques touchés. Il peut aller de la rigidité lexico-syntaxique et sémantique totale (par exemple dans le cas de proverbes ou autres expressions figées) aux corrélatives introduites par des locutions fixes, et qui demandent des contenus d’un certain type, jusqu’à des formes moins contraignantes mais qui se reconnaissent justement par le résultat d’une combinaison en partie régulée de ses composantes. Dans ce dernier cas, on a un pattern fixe de type informationnel et énonciatif, une structure morphosyntaxique qui présente un nombre assez limité de déclinaisons, et une liberté lexicale très ample. C’est dans ce cadre-ci que nous aimerions décrire les caractéristiques formelles et sémantico-pragmatiques de la structure (per) Vxinf, Vxfin en italien, en suggérant de la sorte une réflexion possible sur l’étendue scalaire du concept même de corrélation. Il paraît intéressant de s’interroger sur les analogies entre une corrélation dont le support repose sur une double marque lexicale partiellement grammaticalisée (pensons par exemple au cas typique tel que « plus… plus… ») et une séquence où le lien se fait sans introducteurs explicites et sans particules de jonction entre les deux parties de la construction. La « corrélation » serait soutenue par une articulation morphosyntaxique spécifique, et permettrait la création et l’émergence d’effets pragmatiques et argumentatifs clairement identifiables. En outre, la structure observée permet d’enrichir la description à partir de la comparaison de son fonctionnement avec une variante proche, mais où le lien syntaxique entre les deux parties de la construction est linguistiquement explicité par une préposition ‘subordonnante’ (per).

En choisissant comme critère de classification le type morphosyntaxique (avec la présence de l’infinitif), il est possible d’identifier plusieurs réalisations différentes d’une structure similaire ; ces réalisations peuvent être ordonnées selon le degré de lexicalisation de l’introducteur et celui de cohésion syntaxique entre les deux éléments de la structure :

(1) In quanto a dormire, dorme1

Quant à dormir, il dort2

(2) Per dormire, dorme

Pour dormir, il dort

(3) Dormire, dorme

Dormir, il dort.

Cette “progression scalaire” comporte en même temps une différence dans la nature de l’infinitif selon le type formel de réalisation ; plus précisément, le passage se fait d’une forme de l’infinitif de nature principalement verbale dans les configurations avec introducteur et cohésion syntaxique (1) à un emploi où la forme à l’infinitif se rapproche d’un substantif (3) ; un niveau intermédiaire pourrait être représenté par (2). Cette alternance des deux fonctions – verbale et substantivale – de l’infinitif est bien connue et décrite dans la littérature3, bien que le cas de l’infinitif topical en périphérie gauche de l’énoncé ne soit normalement pas mentionné comme exemple de substantivation.

La subordonnée limitative (catégorie à laquelle la structure observée peut être rapprochée sous certains aspects sémantiques, ainsi que sous l’aspect formel en ce qui concerne les variantes avec préposition) est décrite dans les grammaires comme étant introduite par une locution, et possède un statut syntaxique reconnu. Il existe en outre un syntagme limitatif non propositionnel correspondant, qui peut présenter la forme substantivée de l’infinitif, comme en (4).

(4) In quanto al mangiare, mangia

Quant à l’alimentation / au fait de manger, il mange

L’explicitation du lien syntaxique et thématique entre les deux constituants de la structure permet plus facilement – par rapport à la variante non introduite – l’écartement entre le topique de gauche et le contenu de la proposition principale (ce qui pourrait amener à un traitement unitaire d’énoncés comme Per essere direttore, lo è, ma non è in grado di prendere decisioni / Pour être le directeur, il l’est, mais il n’est pas en mesure de prendre des décisions et Per essere direttore, non mi sembra che goda di una grande libertà decisionale / Pour être le directeur, je n’ai pas l’impression qu’il dispose d’une grande liberté de décision, qui présentent à notre avis un fonctionnement sémantique distinct). Cet aspect ne sera toutefois pas abordé ici, étant donné que nous nous intéressons à décrire la structure sans préposition, et avec répétition de la même forme verbale, tout en proposant une réflexion comparative systématique avec la forme introduite par per.

La forme en (2), introduite par la préposition per, est plus difficile à classer du point de vue sémantique : elle est souvent citée – dans les grammaires ainsi que dans des travaux plus spécifiques (par exemple dans Bemini 2009, Serianni 1997 ou Skytte, Salvi & Manzini 1991) – avec la forme minimale (3) qui nous intéresse ici, qui se distingue par l’absence d’introducteur et d’intégration syntaxique. Ces ceux formes sont présentées comme un couple de variantes sémantiquement équivalentes ; en effet, les deux variantes sont presque toujours interchangeables, mais quelques cas significatifs de divergence seront examinés ci-dessous4.

2. Traits morphosyntaxiques

La construction analysée est formée de deux éléments (un élément topical et un élément prédicatif) syntaxiquement disjoints. La prédication est prise en charge par une forme verbale fléchie et est précédée, en périphérie gauche, d’une forme non finie du même verbe (prototypiquement l’infinitif du verbe employé, mais aussi un participe passé) ou par la partie prédicative d’un prédicat copulatif (ex. 5-7). Au niveau lexical, le verbe (ou l’élément prédicatif) se présente donc, apparemment, deux fois, dans deux positions syntaxiques distinctes, et sous deux formes morphologiques différentes (non finie et finie). En l’absence d’un introducteur qui signale explicitement un lien syntaxique avec la proposition, la position de gauche en début de phrase est la position obligée pour la forme non finie du verbe ; les deux premières variantes mentionnées ci-dessus, où le lien syntaxique est exprimé linguistiquement, prévoient au contraire une certaine mobilité de l’élément externe.

(5) Studiare, ha studiato ; purtroppo, non è stato sufficiente

Etudier, il a étudié ; malheureusement, cela n’a pas suffi

(6) Studiato, ha studiato ; purtroppo, non è stato sufficiente

Etudié, il a étudié ; malheureusement, cela n’a pas suffi

(7) Carina, è carina : non lo si può negare

Jolie, elle est jolie : on ne peut pas le nier

Dans les cas de prédicats copulatifs, comme dans l’exemple (7), il n’est pas nécessaire d’avoir une forme verbale (la copule ou un verbe copulatif) à gauche ; le verbe est lexicalement pauvre et n’apparaît pas à côté du matériel prédicatif dans la variante non introduite par la préposition. Cette possibilité de « synthèse » verbale apparaît aussi quand il y a un participe passé5. En l’occurrence, en (6) on pourrait imaginer, en tant qu’éventuel infinitif à gauche, l’auxiliaire avoir, tandis qu’en (7) le verbe omis serait la copule ou un verbe copulatif.

En même temps, on remarque que la présence de la forme verbale est strictement liée à l’acceptabilité de la préposition. En effet, comme on le voit dans les exemples (8)-(10), toutes les combinaisons ne sont pas possibles, et l’absence du verbe empêche la présence de la préposition, alors que la présence de la préposition semble, dans ces cas-ci, rendre nécessaire la présence morphologique de la forme verbale :

(8) *Per carina, è carina

Pour jolie, elle est jolie

(9) ?? Essere carina, è carina

Etre jolie, elle est jolie

(10) Per essere carina, è carina

Pour être jolie, elle est jolie.

Le caractère non fini de la forme verbale est évidemment fondamental, puisque d’autres formes du même type peuvent fonctionner de la même façon, comme le participe passé en (6)6.

(11) *Per studiato, ha studiato ; il problema è che non ha capito

[Pour] étudié, il a étudié ; le problème c’est qu’il n’a pas compris

(12) ? Per studiare, ha studiato ; il problema è che non ha capito

Pour étudier, il a étudié ; le problème c’est qu’il n’a pas compris

La recherche non systématique dans les données de langue prises en considération (cf note 4) permet d’identifier quelques occurrences de la variante (12), bien qu’elle soit souvent considérée comme peu acceptable hors contexte par les locuteurs. Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est de montrer la différence nette d’acceptabilité entre (11) et (12), différence qui persiste indépendamment du jugement spécifique relatif à (12). Voici un exemple authentique de cette séquence préposition + infinitif, passé composé :

(13) La prima notte in tre in tenda è da ricordare ; visto che i materassini non ci stavano tutti in tenda abbiamo tentato comunque di gonfiare il terzo in mezzo agli altri due, per starci ci è stato, purtroppo la tenda si è un po’ ovalizzata e di conseguenza si è abbassato il tetto La première nuit à trois en tente a été mémorable ; vu que tous les matelas gonflables n’entraient pas dans la tente nous avons quand même essayé de gonfler le troisième au milieu des deux autres, entrer il est entré, malheureusement la tente s’est un peu ovalisée et par conséquent le toit s’est abaissé.

En ce qui concerne les temps verbaux qu’on rencontre dans la structure, on observe une grande liberté ; il n’y a pas vraiment de contraintes à ce niveau-là, ni par rapport à l’emploi absolu d’un temps verbal, ni dans les combinaisons possibles des deux membres de la structure :

(14) Studiare studiava, nel triennio ha preso 30 a tutti gli esami

Etudier, elle étudiait, pendant son BA elle a eu 30 à tous ses examens

(15) E che dire… per piacere mi piacque, ma seppi subito che tanti guai sarebbero arrivati da lì in avanti.

Et que dire… pour plaire ça me plut, mais je sus tout de suite que beaucoup d’ennuis allaient arriver à partir de ce moment-là…

(16) Sentire ho sentito, peccato che questo non mi aiuterà

Entendre, j’ai entendu, dommage que cela ne puisse [fut.] pas m’aider.

Un élément qui nous permettra de différencier ultérieurement le comportement de la structure avec ou sans préposition – et qui, par conséquent, légitime un traitement individuel et autonome de la structure sans introducteur qui nous intéresse7 – résulte de l’interaction avec la négation. En effet, on remarque que la négation est difficilement présente dans le premier membre de la structure lorsque la préposition est absente, alors que sa présence est tout à fait possible (et souvent nécessaire) dans la structure avec introducteur prépositionnel :

(17) Studiare, non studia, ma per fortuna capisce al volo

Etudier, il n’étudie pas, mais heureusement il comprend tout de suite

(18) ?? Non studiare, non studia, ma per fortuna capisce al volo

Ne pas étudier, il n’étudie pas, mais heureusement il comprend tout de suite

(19) ?? Per parlare, non parla, ma poi fa capire tutto con gli sguardi

Pour parler, il ne parle pas, mais il laisse tout comprendre par ses regards

(20) Per non parlare, non parla, ma poi fa capire tutto con gli sguardi

Pour ne pas parler, il ne parle pas, mais il laisse tout comprendre par ses regards.

Ce comportement de la négation peut être interprété, à notre avis, comme un indice en faveur de l’idée, déjà mentionnée, selon laquelle la configuration sans préposition présente une véritable topicalisation d’un élément nominal. Ce que l’on observe typiquement dans les dislocations thématiques, c’est une migration d’un élément référentiel, qui ne comporte normalement aucune marque typique de la prédication, telle que la négation par exemple. Dans les cas où la construction est introduite par la préposition, au contraire, il semblerait qu’une véritable prédication – tout au moins au niveau formel – soit mise en avant dans le membre gauche de la structure : la présence du verbe est nécessaire, qu’il soit sémantiquement plein ou pas, et celui-ci est accompagné de marques typiques, telle la négation.

Ceci ne nous étonne d’ailleurs pas, puisque, comme on l’a rappelé ci-dessus, l’infinitif est la forme verbale la moins ‘verbalisée’ dans le continuum nom-verbe. En italien, l’emploi de l’infinitif en tant que substantif connaît sa réalisation totale dans la forme qui non seulement occupe la place d’un substantif et en assume la fonction, mais qui peut présenter aussi des marques typiques de la fonction substativale, telles qu’un déterminant (22) – même en présence d’autres indices de type ‘verbalisant’ comme l’adverbe sempre – ou un adjectif (23) :

(21) Negare sempre non ti aiuterà

Nier toujours ne t’aidera pas

(22) Il negare sempre non ti aiuterà

Le nier toujours ne t’aidera pas

(23) Il tuo continuo negare non ti aiuterà

Ton continuel nier ne t’aidera pas.

Suite à ces observations de nature formelle, il est possible d’avancer une description globale de la construction en question : la structure Vxinf Vxfin en italien se présente comme une structure articulée en deux parties distinctes, qui jouent des rôles morphosyntaxiques et sémantiques différents. Le premier élément est purement lexical (présentant, dans la forme verbale, les informations de nature sémantico-lexicale sans fournir de traits grammaticaux), tandis que le deuxième véhicule les informations verbales morphologiques (personne, temps, mode, etc.) et est doté ainsi de propriétés prédicatives. Les contraintes portant sur le statut du deuxième élément (la forme fléchie) de la répétition verbale ne sont qu’en partie syntaxiques. L’aspect informationnel paraît central : « l’anteposizione dell’infinito di verbi che non costituiscono la predicazione informativamente principale, cioè degli ausiliari e modali […] dà risultati agrammaticali8 » (Benincà, Salvi & Frison 1991 : 206). Les exemples de résultats agrammaticaux proposés (par ex. *Volere, vuole incontrarlo domani/Vouloir, il veut le rencontrer demain) sont en réalité facilement récupérables en imaginant un contexte qui permette de focaliser justement le verbe modal, ou l’auxiliaire, ou le verbe de rection, de telle sorte que l’élément syntaxiquement en arrière-plan assume au contraire la fonction prédicative et le rôle informationnel du premier plan dans l’énoncé.

A la rigueur, la forme fléchie du verbe n’aurait pas forcément besoin d’être remplie sémantiquement, on peut l’imaginer comme un simple support morphologique. La possibilité de remplacer cette deuxième forme verbale par une proforme (farlo, typiquement) offre un argument supplémentaire en faveur de cette analyse. De son côté, l’élément lexical semble pouvoir se passer de tout autre matériel normalement rattaché au verbe, par exemple des pronoms clitiques, y compris les clitiques inhérents tels que ceux qui accompagnent les verbes pronominaux. Il est possible de les avoir dans la partie gauche, mais leur présence n’est pas obligatoire dans un grand nombre de cas :

(24) Andare/andarci, non ci vado mai

Aller/y aller, je n’y vais jamais

(25) Ammalare/ammalarti, non ti ammali mai

Tomber malade, tu ne tombes jamais malade

(26) Ricevere/riceverne, non ne ricevo spesso

Recevoir/en recevoir, je n’en reçois pas souvent.

3. Un type particulier de dislocation ?

La structure est souvent classée parmi les dislocations ou dans la catégorie des hanging topics. La description offerte dans Benincà, Salvi & Frison (1991) suggère une sous-catégorisation de la construction, distinguant une antéposition de l’infinitif par dislocation et une antéposition de type thème suspendu.

(27) Vivere, ho vissuto

Vivre, j’ai vécu

(28) Mangiare, risulta che molte persone sono magre benché mangino moltissimo

Manger, il résulte que plusieurs personnes sont maigres tout en mangeant beaucoup (> Benincà, Salvi & Frison 1991 : 207-208)

(29) Per esserci, Giorgio c’è

Pour être là, Giorgio est là (> Benincà, Salvi & Frison 1991 : 207-208)

Le type (27) serait un cas d’infinitif antéposé par dislocation, alors que les énoncés en (28) et (29) correspondraient à des infinitifs antéposés par thème suspendu. Seul le deuxième type de dislocation permettrait la présence de la préposition (per, in quanto a, etc.) comme en (29) et un éloignement syntaxique et sémantique des deux occurrences verbales (28). Dans ces cas, l’infinitif est caractérisé par une intonation ascendante et par une césure prosodique qui le sépare du deuxième élément de la construction. La distinction est présentée par les auteurs mêmes comme n’étant que partiellement opérationnelle, vu que les deux catégories se superposent dans une grande partie des cas ; en outre, la difficulté d’application de tests tels que les différences prosodiques, et le flou de l’intuition rendent cette distinction peu convaincante. Une autre proposition de classification interne de ce type de structure est faite dans Goldenberg (1998 [1971]) ; une partie de cette taxinomie paraît correspondre à celle qui est proposé dans Benincà Salvi & Frison (1991).

La possibilité de traiter ces structures comme des dislocations à gauche du verbe offre l’avantage d’unifier deux structures qui présentent intuitivement beaucoup de ressemblances du point de vue informationnel et sémantico-pragmatique ; dans les deux cas on observe un premier élément topical, de nature ‘nominale’, éventuellement avec redoublement des clitiques et reprise par une proforme.

Il reste néanmoins à considérer une différence substantielle qui remet en question ce traitement unitaire des deux structures : dans le cas des dislocations canoniques ou des thèmes suspendus, l’élément disloqué à gauche peut être absent de la proposition à droite, ou peut être repris par une proforme pronominale ou par un syntagme différent mais coréférentiel. En aucun cas, toutefois, le même élément se présente systématiquement à droite, sous une autre variante morphologique. L’idée même de dislocation prévoit, dans plusieurs théories, que la structure marquée soit le résultat d’un déplacement à partir d’une structure originaire canonique : or, il serait bien évidemment impossible de ré-insérer l’infinitif de la structure qui nous intéresse dans la prédication de droite, où aucune position ne serait disponible pour l’accueillir. Il est vrai, cependant, que certains types de hanging topics présentent des configurations similaires de ce point de vue, comme le montrent les exemples (30) et (31) :

(30) Le vacanze, non so proprio cosa fare, ques t’anno

Les vacances, je ne sais vraiment pas quoi faire, cette année

(31) Giovanni, non so più come motivarlo, quel pigrone

Giovanni, je ne sais plus comment le motiver, ce flemmard.

Dans le premier cas, en (30), il n’est pas aisé d’attribuer à l’élément de gauche une éventuelle position syntaxiquement claire à l’intérieur de la proposition de droite. En (31) on a une reprise coréférentielle non pronominale de l’élément de gauche, ce qui pourrait évoquer la répétition morphologique du verbe des constructions analysées ici ; en réalité, la reprise, dans ces cas particuliers de hanging topics, se fait par dislocation à droite, ce qui induit une focalisation sur un autre constituant coréférentiel mais nécessairement différent ; le nouveau syntagme non seulement n’est pas sémantiquement vide, mais, au contraire, semble avoir pour fonction accessoire (ou par effet de la variation coréférentielle) une explicitation de traits sémantiques ultérieurs associés au référent ; la reprise purement grammaticale de l’élément lexical extraposé est prise en charge le plus souvent par le pronom clitique, comme dans le cas d’une dislocation. En outre, on peut imaginer que le degré de corrélation syntaxique dans les cas de hanging topic soit minimal, étant donné que les marques de cas manquent et qu’un syntagme nominal ne nécessite pas de spécification ultérieure, alors que la forme infinitive du verbe signale explicitement une incomplétude, qui implique un lien très étroit avec une forme de la partie droite de la construction. Une conclusion provisoire à propos des analogies potentielles entre ces constructions et les dislocations à gauche et les hanging topics nous amène donc à tenir compte, selon les cas, d’un problème de repositionnement de l’élément soi-disant disloqué, d’une absence de bipartition des informations grammaticale et lexicale de cet élément, et, dans tous les cas, d’une reprise hétéromorphe du premier élément. A cela s’ajoute le fait que, s’il s’agissait véritablement d’une dislocation à gauche d’un infinitif, il se révélerait nécessaire d’expliquer une différence importante par rapport à tout autre type de dislocation, c’est-à-dire une forme de reprise avec un poids informationnel important, et qui peut constituer le rhème de la prédication. On remarquera toutefois que la focalisation de la reprise n’est pas systématique : dans les cas où la prédication comporte des compléments qui représentent le focus principal de l’énonciation, les deux variantes, avec ou sans proforme, sont toujours possibles et grosso modo équivalentes :

(32) Studiare, lo fa spesso

Etudier, il le fait souvent

(33) Studiare, studia spesso

Etudier, il étudie souvent.

4. Fonctions sémantiques, pragmatiques et textuelles

Si on se limite à la structure analysée ici, c’est-à-dire aux cas où la répétition de la forme verbale ne comporte pas d’ajouts de constituants, la question se pose d’identifier leur spécificité sémantique pour ce qui concerne des degrés différents de richesse sémantique. En effet, il serait possible de se limiter à la description minimale du dédoublement morpho-lexical et de la topicalisation du contenu lexical du verbe, en considérant la structure comme répondant à des objectifs textuels et informationnels basiques.

Il est également possible d’ajouter à cette description une analyse sémantique un peu plus complexe, et qui aurait quelque prétention explicative à partir des traits de dédoublement et de répétition. Cette deuxième analyse se fonde sur l’activation d’un mécanisme très proche de celui de Verum-Fokus décrit par exemple par Höhle (1992). La focalisation (ici on serait plutôt dans le cas d’une répétition rhématique non forcément focalisée, mais le mécanisme paraît tout à fait similaire) concerne de façon privilégiée les constituants qui véhiculent une information nouvelle ; cette affinité n’est toutefois pas systématique, et l’élément focalisé peut concerner un contenu qui a déjà été activé précédemment dans le discours. Ce qui rend pertinente une telle répétition en focus d’un contenu actif peut être, dans ces cas-ci, la volonté de souligner un des aspects – parfois parmi les moins saillants – de la sémantique de ce contenu. Comme il a été montré par Fuchs (1984) et par Höhle (1992), la reprise rhématique d’un contenu déjà activé ne touche pas, en effet, à toutes les informations sémantiques du constituant, mais à un ou plusieurs traits qui représentent l’objet même de la prédication du rhème. Par ce procédé, il est possible de mettre en relief des traits pertinents qui justifient la nouvelle assertion d’un contenu actif ; il faut donc s’attendre à ce que les traits privilégiés soient ceux qui se trouvent en opposition potentielle par rapport à un cotexte précédent (ou à des inférences dérivées de celui-ci).

Une des déclinaisons possibles de ce mécanisme consiste en la mise en évidence d’une évaluation du locuteur à propos du contenu même de la répétition : il est possible de classer dans cette typologie la possibilité de répéter une même forme verbale pour en asserter un statut épistémique (positif ou négatif) qui aurait été mis en doute ou évoqué comme incertain (en réalité il n’est pas nécessaire que ce statut épistémique ait été présenté comme incertain, et il est possible que la deuxième assertion ait comme but celui de souligner la pertinence de cette attribution épistémique).

Le cas prototypique consiste donc en une reprise par l’élément thématique (l’infinitif) d’une information déjà activée dans le cotexte précédent (ou alors en une introduction d’une information nouvelle présentée comme cognitivement déjà activée), et en une admission assertive de cette information/prédication dans l’élément à droite. La première fonction – celle de reprise d’un topique déjà mentionné dans le cotexte – représente la première composante de la force pragmatique de cette construction selon Simone (2006), qui parle de « confirmation de l’assertion ».

L’observation d’énoncés authentiques nous oblige cependant à élargir la portée sémantico-textuelle de la structure, jusqu’à reconstruire – dans la plupart des cas – un procédé logique en trois phases : i) thématisation d’une information présentée comme déjà active, ii) assertion de cette dernière, comportant une mise en relief ou une stabilisation de la prise en charge épistémique de la part du locuteur, iii) opposition avec le cotexte droit et interruption des inférences potentiellement activables à partir de la structure Vxinf, Vxfin. Le changement d’orientation argumentative est d’ailleurs très souvent signalé linguistiquement, comme le montrent les exemples suivants :

(34) Il mio pesciolino però rimane sempre sul fondo, a volte anche immobile, senza che si muova. Mangiare mangia, ma non gira, non si alza mai dalla sua posizione sul fondo. Come mai ? Potresti aiutarmi ?

Mais mon poisson reste toujours au fond, parfois même immobile, sans bouger. Manger, il mange, mais il ne bouge pas, il ne se relève jamais de sa position au fond de l’eau. Comment se fait-il ? Pourrais-tu m’aider ?

(35) Ce l’aveva un mio amico, che dire, comodo è comodo. Ma alla fine chi ama le 2 ruote… lì torna…

Un ami à moi en avait un, quoi dire ? Pratique, il est pratique. Mais en fin de compte qui aime les deux-roues… y revient toujours…

(36) Una mia amica è stata nel settore E, perè nelle gradinate ad ovest. Ha detto che per vedersi si vede, però è tutto molto piccolo, perché sono i posti più in alto

J’ai une amie qui a été dans le secteur E. Elle a dit que pour y voit on y voit, mais tout est très petit, parce qu’il s’agit de places plus en haut

(37) – Se non si vede è colpa di imageshack. – Per vedersi si vede, solo che noi poveri miopi facciamo una fatica bestia a leggere il contenuto, una versione più grande c’è ?

Si ne le voyez pas, c’est de la faute à imageshack. – Pour le voir, on le voit, mais nous les pauvres myopes on a vraiment de la peine à lire le contenu, une version plus grande n’existe pas ?

(38) – non si può più contare su di te, che una volta eri così gentile e accondiscendente. – Gentile sono gentile… ma mi sembra che qui si confonda la gentilezza con il farmi fare la Cenerentola di casa !

On ne peut plus compter sur toi, qui étais autrefois si gentille et indulgente. – Gentille, je suis gentille… mais il me semble qu’ici l’on confonde la gentillesse avec le fait de me traiter comme la Cendrillon de la maison !

Le mouvement d’opposition qui caractérise du point de vue pragmatique ce type de construction se développe donc de façon complexe en trois moments distincts. Le figement de cette structure asymétrique et ouverte à droite se révèle ainsi non seulement au niveau morpholexical mais aussi au niveau logique et pragmatique. L’assertion de la prédication Vfin est caractérisée par un pouvoir assertif partiel, qui ne comprend pas les inférences qu’on est jusque là invité à tirer. Il est possible que dans la construction de ce mécanisme interprétatif d’autres facteurs entrent en jeu, en particulier la valeur limitative (et par conséquent potentiellement contrastive) associée à la position thématique de cadre à gauche de l’énoncé. La limitation d’un domaine de pertinence peut facilement suggérer la non-pertinence de tous les autres, jusqu’à activer une véritable exclusion oppositive. C’est d’ailleurs ce qui paraît être à la base de la description offerte par Simone (2006 : 150), qui décrit la deuxième composante de la force pragmatique de la construction comme une « limitation de l’assertion », en précisant le mouvement argumentatif qu’elle met en place dans les termes suivants : « Je donne une opinion positive sur le fait qu’il/elle chante9, mais je m’abstiens de dire quoi que ce soit sur le reste ». Une recherche de corpus plus minutieuse devrait pouvoir démontrer que ce mouvement oppositif n’est pas partagé par les variantes avec proforme ou par toute dislocation à gauche, de sorte à en faire un trait pragmatique distinctif et rigide associé à la structure.

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1 Les exemples sont en partie construits ; d’autres sont extraits de sites et forums de discussion internet.

2 On ne propose pas ici de véritables traductions en français ; il s’agit le plus souvent d’une trasposition littérale de chaque élément ou de chaque constituant pour que la construction de l’énoncé en italien soit la plus transparente possible.

3 En ce qui concerne l’italien, il suffira de citer comme exemple l’étude de Skytte (1983).

4 Sur la base de l’observation des données, il est possible de mentionner une troisième forme (à côté des deux formes standard avec préposition per ou sans préposition), marginale à cause de son emploi limité à certains registres de langue peu soutenus, c’est-à-dire la variante introduite par la préposition a : no vomito non ne ha avuto a mangiare mangia e si fa pure sentire quando ha fame (non il n’a pas eu de vomissements manger il mange et il se fait même entendre quand il a faim). Probablement encore plus marginale est la variante introduite par di. Skytte (1983 : 409) parle de la structure en général (indépendemment de l’introducteur) comme d’un emploi populaire, sur la base de la description offerte dans Cortelazzo (1972, qui cite, à son tour, Spitzer, Kriegsgefangenbriefe) ; Benincà, Salvi & Frison (1991 : 205) caractérisent la construction avec antéposition de l’infinitif sans préposition comme typique de la langue parlée ou de la langue littéraire informelle ; Serianni (1997 : 622) parle de « formule proprie del registro colloquiale » (formules propres au registre familier).

5 Ceci peut se vérifier en général dans tous les cas où la forme verbale est lexicalement pauvre, comme dans l’énoncé « Caldo, fa caldo, infatti stiamo tutto il giorno in piscina » (Chaud, il fait chaud, en effet on passe toute la journée à la piscine).

6 Une vérification ultérieure est possible en utilisant une autre forme non finie comme le gérondif ; encore une fois, l’absence de l’infinitif à gauche est acceptable uniquement s’il n’y a pas de préposition : Studiando, stava studiando vs *Per studiando, stava studiando. La variante avec infinitif ne paraît par contre pas résoudre cette inacceptabilité, résultant de ce fait difficile autant avec préposition que sans : ?? Stare studiando, stava studiando, ?? Per stare studiando, stava studiando.

7 L’observation de l’individualité des deux structures n’empêche évidemment pas de tenir compte de certaines affinités, par exemple au niveau des effets pragmatiques et argumentatifs.

8 L’antéposition de l’infinitif de verbes qui ne constituent pas la prédication informationnellement principale, c’est-à-dire des auxiliaires et des modaux […] donne des résultats agrammaticaux.

9 L’exemple proposé et analysé est le suivant : Cantare canta benissimo (Quant à sa capacité de chanter, il/elle chante magnifiquement).