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Constructions à télescopage temporel

Frédéric GACHET

1. Un ensemble de constructions

L’objet de la présente étude1 est un ensemble de constructions temporelles réputées corrélatives, dont les exemples suivants donnent un aperçu :

(1) Je n’ai pas plutôt lâché cette phrase que je la regrette (F. Dorin, Les Vendanges tardives, 1997, f2)

(2) Nous ne sommes pas encore fiancés, et déjà nous n’avons plus rien à nous dire (H. de Montherlant, Le Démon du bien, 1937, f)

(3) Or, une semaine ne s’était pas écoulée, qu’il me tendit, envoyée à la radio même, à son service, une citation à comparaître à la préfecture de police (H. Bianciotti, Le Pas si lent de l’amour, 1995, f)

(4) Ils avaient tout juste parcouru une distance de quelques toises que quatre heures sonnèrent au clocher d’une église voisine, église de style néo-classique d’ailleurs (R. Queneau, Zazie dans le métro, 1959, f)

(5) A peine un prix est-il décerné qu’aussitôt on fourbit ses armes pour le prochain combat (A. Blondin, Ma Vie entre les lignes, 1982, f)

(6) A peine on a mis la bougie sur la table le Marco téléphone pour qu’on lui garde les restes (E. Hanska, J’arrête pas de t’aimer, 1981, f)

(7) A peine était-il huit heures du soir que la Française, puis la mère, la sœur, le père invitaient Adelgunde à se retirer dans sa chambre, comme on envoie les petits enfants au lit pour qu’ils ne se fatiguent pas trop (traduction d’un conte d’E.T.A. Hoffmann)

(8) J’aime aussi à mettre les choses noir sur blanc. Mais quand j’essaie de commencer un rapport, la plume me tombe des mains. Vous essayez à peine de les saisir au juste, que les bruits prennent immédiatement une autre forme (J. Gracq, Le Rivage des Syrtes, 1951, f).

Toutes ces constructions sont au service d’un même schéma sémantique : elles expriment une transition précipitée entre deux faits successifs, une sorte de télescopage temporel3. Parmi ces différentes constructions, nous distinguons deux groupes, en fonction de la modalité de la première proposition (P1). Dans le premier groupe, celle-ci est négative (négation simple, en pas encore ou en pas plutôt /plus tôt) ; dans le second, au lieu de la négation, la première proposition contient à peine (ou tout juste), pris dans un sens temporel.

Les différentes constructions ne sont pas apparentées seulement par leur fonctionnement sémantique en synchronie, mais également par leur développement en diachronie. Il est vraisemblable qu’elles dérivent les unes des autres par différents phénomènes d’analogie. Pour le résumer de manière très lapidaire, les constructions négatives des exemples (1) à (3) doivent en partie leur apparition à des structures comparatives de l’ancien français (P pas si tôt que P2, P1 pas plus tôt que P2), dont la formulation illustrée en (1) est d’ailleurs une survivance ; quant aux constructions des exemples (5) à (7), elles ont pu apparaître en substituant à peine à la négation. Une perspective diachronique est présentée dans Gachet (2010) ; nous nous limitons ici à une approche synchronique.

2. Le schéma sémantique de télescopage temporel

2.1. Un schéma sémantique et deux groupes de constructions

Les deux groupes de constructions exploitent le même schéma sémantique, avec pour chacun d’eux une nuance de sens particulière : le mode de télescopage temporel est légèrement différent selon que la première proposition est négative ou qu’elle contient à peine (ou tout juste).

Avec les structures négatives, le fait exprimé dans la seconde proposition (P2) commence sans laisser à celui de P1 le temps de s’achever. Il s’agit d’un véritable chevauchement entre les deux faits. La proposition P1 peut être employée pour nier qu’un procès soit accompli, comme dans l’exemple (9), ou qu’un état de fait soit déjà advenu, comme dans (10) :

(9) Mon cousin a entouré son jardin de panneaux de grillage rigide de 2m de haut, il n’avait pas fini que ses chats passaient par dessus (http://www.aujardin.org/probleme-voisinage-t113918-15.html)

(10) Les élèves n’étaient pas encore dans la cour, que déjà je frappais chez l’abbé Germane (A. Daudet, Le Petit Chose, 1880, f).

Dans les structures en à peine, la première proposition n’est pas strictement négative ; ce n’est pas un fait non accompli qu’elle met en relation avec le fait précoce exprimé dans P2, mais un fait à peine accompli. L’existence de ces structures s’explique par une certaine parenté sémantique entre à peine et la négation. On sait depuis Ducrot (1972, 1980) que à peine est orienté positivement au point de vue informatif mais négativement au point de vue argumentatif. Un énoncé comme « je suis à peine en retard » informe d’un retard bien réel (quoique léger), tout en permettant les mêmes enchaînements que l’assertion négative « je ne suis pas en retard » : il peut être par exemple suivi de « il est donc inutile de me presser ». Si l’on ajoute que l’orientation argumentative de à peine est plus fortement ressentie que son apport informatif (Bassano 1991), on comprend qu’il puisse jouer le rôle d’une négation atténuée. Ainsi s’explique à la fois la ressemblance et la nuance de sens entre les deux groupes de structures considérées : au fait non accompli des structures négatives fait place, dans les structures en à peine, un fait effectivement accompli, mais d’une manière qui revient, au plan argumentatif, à un fait non accompli.

Dans ses deux versions (négative et en à peine), le schéma sémantique décrit un mode de succession qui prend le contrepied d’un topos selon lequel il faut permettre à chaque étape de se terminer complètement avant que la suivante puisse commencer. L’existence de ce topos est attestée par l’interprétation concessive qu’on peut donner à nos structures. Par exemple, l’énoncé (2) peut être paraphrasé ainsi :

(11) Bien que nous ne soyons pas encore fiancés, nous n’avons déjà plus rien à nous dire.

Par convention, nous appelons le rapport sémantique qui caractérise les deux groupes de constructions le télescopage temporel, ou simplement le télescopage.

2.2. Temps verbaux

Le schéma sémantique de télescopage favorise dans P1 l’emploi des temps composés (passé antérieur, plus-que-parfait ou passé composé) qui, indiquant l’aspect accompli, présentent le procès décrit par le verbe comme achevé. Lorsqu’un verbe conjugué à un temps composé est associé à la négation (ou à à peine), il exprime que le procès n’est pas arrivé (ou à peine arrivé) à son terme. Ainsi c’est un seuil final non franchi (ou à peine franchi) qui est mis en rapport avec l’événement décrit dans P2. L’énoncé (1), par exemple, exprime que le seuil final de l’action de lâcher une phrase n’est pas encore franchi (i.e. l’action n’est pas terminée) au moment où le locuteur accède au regret.

Si l’emploi des temps composés est majoritaire dans ces structures, il n’est toutefois pas obligatoire. Les verbes de P1 peuvent aussi, même si c’est moins fréquent, être conjugués à des temps simples. C’est le cas en particulier pour le verbe être, cf. (10). Avec la négation d’un temps simple, c’est l’accès à l’état ou à l’action dénotés par le verbe qui est nié. Autrement dit, le seuil initial d’un procès ou d’un état n’est pas franchi au moment où commence le fait décrit dans P2. Dans l’énoncé suivant, c’est bien le non-franchissement d’un seuil initial qui est mis en rapport avec le contenu de P2 :

(12) La pauvre Consuelo ne se doutait pas encore des sentiments du comte pour elle, que déjà tout Venise disait que, dégoûté de la Corilla, il faisait débuter à sa place une nouvelle maîtresse (G. Sand, Consuelo, 1843, f).

Consuelo n’a pas encore accédé au soupçon ou au pressentiment (exprimé par se douter) au moment où la rumeur commence à se répandre.

3. Les constructions en que

Apparentées par le schéma sémantique de télescopage, les structures illustrées par les exemples (1) à (8) forment une sorte de famille, comprenant donc des constructions négatives ou en à peine. Au sein de cette famille, les constructions introduisant la seconde proposition au moyen de que sont de très loin les plus nombreuses (et les plus anciennes). Nous les présentons en premier, et nous examinerons ensuite les autres à la lumière des observations faites sur ces constructions dominantes.

3.1. La structure négative (nég) P1 que P2

Nous commençons par la structure négative, que nous appelons (nég) P1 que P2. La négation dans P1 peut se présenter sous différentes formes.

3.1.1. Pas encore

La négation peut être accompagnée de encore :

(13) Léo ne m’avait pas encore touchée que j’étais considérée à Saigon comme « la pourriture de la ville » (M. Duras, Cahiers de la guerre et autres textes, 2006, f)

(14) Il lui fait un électrocardiogramme aussi sec, et le ruban avait pas encore fini de défiler qu’il appelait déjà le SAMU (M. Winckler, La maladie de Sachs, 1998, f)

Cette formulation aide à interpréter la négation dans un sens temporel, encore indiquant que l’état de fait décrit n’est pas définitif. D’après Mosegaard Hansen (2002), un des sens de encore est d’indiquer qu’à un moment donné l’état de choses p est dans une phase non-initiale, et qu’une transition ultérieure vers ~p est au moins concevable. Par exemple, l’ajout de encore à nous ne sommes pas fiancés évoque des fiançailles prévues, ou au moins envisageables, cf. l’exemple (2). La sémantique de encore s’accorde donc bien avec l’effet de transition caractérisant le schéma de télescopage.

3.1.2. Pas plutôt

La négation en plus tôt est un vestige d’une ancienne construction comparative (Gachet 2010 : 209). La graphie possible en plutôt indique qu’elle tend à se démotiver.

(15) Je ne suis pas plutôt relevé que s’amène le sultan de Mala avec une importante suite (A. Gide, Le Retour du Tchad, 1928, f)

(16) Le contact ne fut pas plus tôt rétabli qu’il partit pour l’Allemagne (L. Schwartz, Un mathématicien aux prises avec son siècle, 1997, f)

(17) Ah ! Mon Dieu. J’ai pas plus tôt mis la tête sur l’oreiller que j’ai déjà fait trois fois le tour du monde en quatre-vingts jours ! (P. Claudel, La Lune à la recherche d’elle-même, 1949, f)

3.1.3. Pas sitôt

On peut signaler encore une construction en sitôt (ou si tôt) qui rappelle également l’origine comparative de la structure (loc. cit.) Tout comme plus tôt, si tôt était majoritairement présent dans cette structure jusqu’au XVIIe siècle. Si la formule en pas plus tôt s’est perpétuée, celle en pas sitôt a presque complètement disparu de nos jours, sauf dans quelques chansons, ou dans l’imitation littéraire d’un oral « populaire » :

(18) La mer n’a pas sitôt posé une vague sur le rivage qu’elle court en chercher une autre (F. Leclerc)

(19) Mais, mon lieutenant, vous savez aussi bien qu’moi c’qui s’passe ! On l’a pas sitôt vu qu’on court à lui, qu’on s’jette dessus… Ah ! Personne n’est difficile chez nous […] (M. Genevoix, Ceux de 14, 1950, f).

3.1.4. Négation simple

On rencontre aussi dans P1 la négation simple. En l’absence de encore, le seul fait d’être intégré dans la structure déclenche l’interprétation temporelle de la négation (i.e. indiquant une situation transitoire). Dans l’exemple suivant, la présence de la que-P permet d’interpréter il n’avait pas tourné comme un fait provisoire (c’est-à-dire comme il n’avait pas encore tourné) :

(20) Puis, d’étonnement en étonnement gagné par l’enthousiasme, il n’avait pas tourné vers ses secrétaires sa face réjouie que quatre sourires étincelaient à l’unisson (H. Bianciotti, Le Pas si lent de l’amour, 1995, f).

Comme la négation simple est apparue la dernière, il est raisonnable de penser qu’en s’émancipant des formulations comparatives anciennes en pas plus tôt et pas si tôt, la structure a d’abord eu besoin de la précision donnée par encore avant de pouvoir s’en passer (Gachet 2010 : 210).

Souvent, des prédicats verbaux (avoir le temps de, finir) indiquent que le procès nié a été envisagé ou qu’il a déjà commencé, suggérant le caractère provisoire de sa négation :

(21) Elle n’a pas eu le temps de dire ouf que j’étais déjà en haut de leur plus haute armoire et que je lui soufflais dessus (R. Forlani, Gouttière, 1989, f)

(22) La vidéo n’était pas finie que le manteau Zara était déjà commandé ! (http://www.youtube.com/all_comments?v=-Tr8GsOE8cM).

3.2. La structure à peine P1 que P2

On peut considérer que la construction à peine P1 que P2 résulte de la substitution de à peine à la négation (cf. Gachet 2010). Il est remarquable que, dans les structures à télescopage, à peine n’est jamais accompagné de encore, alors que pas encore est très répandu dans les constructions négatives. Cela tient à la différence sémantique entre la négation et à peine. Un énoncé négatif comme il n’est pas sorti nie que l’acte de sortir soit achevé, sans donner davantage d’indication : l’action de sortir peut très bien être prévue, voire déjà commencée, ou même sur le point de s’accomplir, mais elle peut également n’être pas du tout envisagée. En ajoutant encore, on indique que la sortie est au moins envisageable, et cela contribue à suggérer que le seuil final du procès pourrait être franchi dans un futur plus ou moins proche. Dans le cas de à peine, les choses sont d’une certaine manière plus simples : avec il est à peine sorti, la sortie a effectivement eu lieu, mais dans des conditions telles – par exemple, depuis si peu de temps – que cela revient argumentativement à une action non accomplie. Le seuil final franchi du procès en question est suffisamment indiqué par à peine sans qu’il y ait besoin d’ajouter encore.

Pour les constructions en à peine, les diverses variantes de P1 ne tiennent pas à l’ajout de marqueurs temporels dans P1, mais plutôt à la position de à peine. Le plus souvent, celui-ci est placé en tête de la proposition ; dans ce cas, il déclenche habituellement 1 ‘inversion du sujet clitique, comme dans les exemples (5) et (7). Toutefois, 1 ‘ordre « canonique » est également possible :

(23) A peine vous êtes chez lui que son regard vous réjouit (R. Ponchon, La Muse au cabaret, 1920, f).

A peine peut aussi se trouver à l’intérieur de la proposition, comme en (8).

3.3. Marqueurs temporels dans P2

Le schéma sémantique de télescopage, exprimant qu’un fait succède prématurément à un autre, est propice à la présence de certains marqueurs temporels dans la deuxième proposition.

Parmi les marques de précocité, déjà est le plus fréquemment observé dans ces contextes ; cf. entre autres (12), (14) et (17). Pour Mosegaard Hansen (2002), cet adverbe indique qu’à un moment de référence, la transition entre un état de chose antérieur ~p et un état de chose courant p a lieu plus tôt que prévu, comme l’illustre son exemple :

(24) Benoît et Nadine se sont rencontrés il y a six mois, et ils attendent déjà un enfant (<Mosegaard Hansen).

A l’évidence, ce marqueur d’une transition prématurée est parfaitement adapté au schéma sémantique de nos structures.

On peut aussi observer dans P2 la présence de aussitôt (5), anaphorique qui indique la concomitance de deux faits. Il se met parfaitement au service d’une transition télescopée : le début du fait exprimé dans P2 a lieu en même temps qu’une phase non achevée (ou à peine achevée) du fait décrit dans P1. D’autres marqueurs, comme tout de suite ou immédiatement, manifestent une idée d’immédiateté :

(25) L’enfant n’est pas encoreque la mort est là, tout de suite, en contrepoint, comme si cette horrible rôdeuse n’attendait que cela pour se manifester de nouveau (A. Duperey, Les chats de hasard, 1999, f)

(26) Vous essayez à peine de les saisir au juste, que les bruits prennent immédiatement une autre forme (J. Gracq, Le Rivage des Syrtes, 1951, f ; = (8)).

En dehors de ces marqueurs adverbiaux, diverses expressions de la précipitation ou de la rapidité peuvent être présentes dans P2 :

(27) Henri arrive, il n’a pas encore pris place que fonce dans son dos, sortant en trombe du fond du restaurant d’où je n’avais pas perçu sa présence, Marine avec ses lunettes noires, d’immenses cheveux de poupée Barbie jusqu’au bas des reins, suivie comme son ombre par Richard, tous les deux dans un état d’agitation inouï (H. Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, 1990, f).

3.4. La question syntaxique

On peut s’interroger sur la nature du lien syntaxique entre les propositions de ces structures. De quel ordre est-il ? et quel est le rôle du que ? Pour la structure à peine P1 que P2, nous avons considéré (Gachet 2010) qu’il y a entre les deux propositions une interdépendance syntaxique, relevant donc d’une forme de rection (Berrendonner 2002a, b). Le fait que la structure puisse être enchâssée en donne un indice :

(28) Je crois que4 j’avais à peine treize ans que des « grandes femmes » me tendaient des traquenards pour me faire satisfaire je ne sais quoi que j’éveillais en elles (J. Zobel, La Rue Cases-Nègres, 1950, f)

(29) Seid répondit ingénument qu’elle n’en [=de mouchoir sur le sein] avoit point mis ce jour-là : que sa joie en fut si grande, qu’à peine le grand-maréchal avoit pris la route du cabinet de la dame, qu’il embrassoit la demoiselle avec transport (Cl. Godard d’Aucour, Mémoires turcs, 1743, f).

L’un des arguments les plus décisifs réside dans le fait que la structure « force » le rapport sémantique de télescopage entre les deux propositions. Quelles que soient les propositions en présence, le fait d’être intégrées dans la structure à peine P1 que P2 instaure entre elles le rapport sémantique de télescopage. Pour le montrer, nous en tirons deux au hasard en ouvrant deux fois un dictionnaire :

(30) Il descendait dans l’ombre du patio

(31) Je vous donne toute ma ferraille.

Si on les introduit dans la structure à peine P1 que P2, après avoir adapté les temps verbaux, on obtient :

(32) A peine il descend dans l’ombre du patio que je vous donne toute ma ferraille.

Soit cet énoncé est décrété agrammatical ou ininterprétable, soit il oblige à voir un rapport de télescopage temporel entre les propositions, et incite à calculer une situation plus ou moins extravagante qui le justifie ; il est en revanche impossible de voir un autre rapport entre les propositions. A noter que ce n’est pas le sens du morphème que qui exprime la précocité du fait de P2 : c’est bien la structure elle-même qui instaure le rapport de télescopage.

Il n’y a guère de raisons de penser que l’analyse serait différente pour la structure (nég) P1 que P2. On peut lui appliquer le même test pour vérifier qu’elle force également le télescopage. En conjuguant par exemple le verbe de P1 à un temps composé, on arrive à un énoncé qui se prête aux mêmes constatations que le précédent :

(33) Il n’est pas descendu dans l’ombre du patio que je vous donne toute ma ferraille.

Au plan syntaxique, le que présent dans ces structures ne marque pas un rapport hiérarchisé entre les propositions (de type subordination), mais indique simplement que les deux propositions sont interdépendantes syntaxiquement, qu’elles forment ensemble une seule unité syntaxique (cf Corminboeuf 2009 : 218).

4. Propositions articulées par et ou juxtaposées

Les structures dont nous traitons dans cette section sont probablement apparues en référence aux constructions en que, en articulant avec et ou en juxtaposant simplement des propositions liées par le même rapport sémantique (Gachet 2010 : 213). Elles présentent un bon nombre des caractéristiques mentionnées pour les structures en que (temps verbaux, marquage temporel dans les propositions, etc.) Nous ne revenons pas sur ces points communs et nous intéressons principalement aux différences qu’elles manifestent.

4.1. Constructions en et

Plusieurs constructions exprimant le télescopage temporel introduisent la deuxième proposition par un et :

(34) Je n’ai pas quitté Bouville et déjà je n’y suis plus (J.-P. Sartre, La Nausée, 1938, f)

(35) Cet homme a du pouvoir dans l’œil. A peine je le vois, et j’ai des incendies dans mes garrigues (H. Gougaud, Le rire de l’ange, p. 109)

(36) Ça débute à peine et on est déjà cuits (P. Rambaud, La Bataille, 1997, f)

(37) – Ah, Mouscaillot, dit le duc, nos bons rois et gentes reines sont vite oubliés par le peuple. Deux cents ans ont tout juste passé et ce tavernier ne sait plus qui fut Anne Vladimirovitch, ce qui ne l’empêche pas de servir du bortch (R. Queneau, Les fleurs bleues, 1965, f).

Ces structures, à la différence de celles en que, ne forcent pas le rapport de télescopage, et une évaluation de leur contenu est nécessaire pour identifier celui-ci. Voici un contre-exemple :

(38) Mais le conflit venait à peine de s’achever et tout le sang versé, de part et d’autre, blessait les mémoires (M. del Castillo, La Nuit du décret, 1981, f).

Bien qu’il se présente formellement comme (35) et (36), cet énoncé ne relève pas du télescopage temporel, dont il n’exprime pas non plus la nuance concessive ; l’interprétation n’est pas bien que le conflit venait à peine de s’achever, le sang versé blessait déjà les mémoires mais plutôt parce que le conflit venait à peine de s’achever, le sang versé blessait encore les mémoires.

Dans ces structures en et, le marqueur déjà apparaît bien plus fréquemment que dans les constructions en que : il y semble plus nécessaire à l’expression du schéma de télescopage, la construction n’y suffisant pas toujours par elle-même.

En outre, la structure permet de mettre en rapport des propositions chargées de forces illocutoires différentes, attestant qu’il s’agit de deux actes énonciatifs distincts :

(39) Il n’a pas encore vingt ans et qu’est-ce qu’il entrevoit dans le reflet des vitrines des magasins quand il erre sans but dans les rues ? (J.-B. Pontalis, Un homme disparaît, 1996, f)

(40) à peine dix années se sont-elles écoulées depuis ces mémorables époques, et déjà quels heureux changemens ne voyons-nous pas dans l’organisation de toutes les parties qui composent ce bel ensemble de seize états ! (M. Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’Etat de New-York, 1801, f).

Ces quelques faits laissent penser que cette construction n’est pas de nature rectionnelle ; il n’y a pas de dépendance syntaxique entre les propositions, mais une simple succession d’énonciations reliées sémantiquement par le schéma de télescopage.

On peut signaler au passage que le même rapport temporel peut aussi être présent entre des propositions articulées par un mais, qui marque explicitement le rapport concessif entre les propositions :

(41) Il n’a pas encore écrit L’Homme pressé, mais il est déjà partout à la fois et il se sert à miracle de ces instruments nouveaux, ignorés de mon grand-père mais chantés et illustrés par Valery Larbaud : les moyens de communication (J. d’Ormesson, Au Plaisir de Dieu, 1974, f).

4.2. Structures à propositions juxtaposées

4.2.1. La structure à peine P1, P2

Lorsque la première proposition contient à peine, le rapport de télescopage peut être exprimé en juxtaposant simplement une deuxième proposition, sans morphème introducteur5 :

(42) Mais à peine ont-ils une minute, ils se lavent, ils se bichonnent (R. Nimier, Le Hussard bleu, 1950, f)

(43) A peine avait-il expliqué le but de sa visite, elle s’était dressée, une furie, hurlant : « Moi, j’aime les Allemands, Monsieur ! » (B. Schreiber, Un silence d’environ une demi-heure, 1996, f)

(44) Ils eurent tout juste le temps de se lever et de s’écarter : en un instant la voiture enfonçait les panneaux de la baraque, comme si ç’avait été du papier (A. Dhôtel, Le Pays où l’on n’arrive jamais, 1955, f)

(45) Il finissait à peine le commandement, je vois disparaître la pipe (J. Cazotte, Le Diable amoureux, 1776, f).

Bien sûr, cette structure ne force pas le rapport de télescopage ; une proposition contenant à peine n’entretient pas toujours ce rapport sémantique avec celle qui suit :

(46) Le jour pointait à peine, des coups de feu partaient des rues transversales, car on se battait encore dans tout le quartier (E. Zola, La Débâcle, 1892, f).

Les faits décrits dans les deux premières propositions de ce contre-exemple ne se télescopent pas, mais semblent simplement juxtaposés comme des éléments indépendants d’une description.

4.2.2. La structure P2, à peine P1

Il faut signaler une structure particulière qui inverse 1 ‘ordre des propositions (P2, à peine P) :

(47) Après que l’empereur l’eut graciée, en novembre 1852, elle a pris le bateau pour la France, mais une pleurésie l’a emportée à peine avait-elle débarqué à Marseille (H. Tierchant, roman).

Cette construction « renversée » place toujours à peine en tête de proposition. On peut noter en outre qu’elle force le rapport de télescopage temporel, comme le montre le test déjà utilisé pour les structures en que :

(48) je vous donne toute ma ferraille à peine il descend (descend-il) dans l’ombre du patio.

Nous avons fait l’hypothèse que les constructions dans lesquelles la proposition P2 n’est pas introduite se trouvent engagées dans un processus qui les rapproche d’un fonctionnement rectionnel (cf Gachet 2010). Etant majoritairement en position initiale, à peine tend à être ressenti comme un marqueur de dépendance syntaxique entre propositions. Cela expliquerait que l’ordre des propositions puisse être inversé, au mépris de la succession chronologique des faits décrits, et que la structure soit, sous ses deux formes, considérée par les usagers comme enchâssable (à l’instar de la structure en que, et contrairement à la structure en et) :

(49) Inutile de dire qu’à peine était-il parti, elle allait en rejoindre d’autres (M. Proust, Le Temps retrouvé, 1922, f)

(50) une vive voix qui, en tant que telle, meurt à peine elle est dite, de la même façon que l’image meurt à peine le mécanisme déclenché (B. Comment, Il se fait tard, trad. de A. Tabucchi).

4.3. Structures A peine que P

Dans un registre de langue détendu (oral spontané, imitations littéraires de l’oral, forums sur internet), la tendance de à peine à devenir un marqueur de dépendance syntaxique se manifeste de manière plus prononcée par l’ajout d’un que :

(51) A peine que j’étais sorti de l’hôtel, je courais me jeter un scotch (R. Fallet, La Grande ceinture, 1956, f)

(52) Ça a passé trop vite. A peine qu’on était parti qu’on était revenu (G. Chepfer, Saynètes, paysanneries 2, 1945, f)

(53) Il faut dire que le policier à fait soufler mon mari a peine qu’il est posé le verre de demi sur le comptoir (http://www.atoute.org/dcforum/DCForumID5/13289.html).

Contrairement aux propositions en à peine, celles en à peine que ont la particularité de pouvoir être clivées :

(54) c’est à peine que j’avais touché la poignée que toute la fenetre son cadre en bois ainsi que la vitre se sont rabatus et emiétés en bas à l’exterieur de la salle (http://medville.canalblog.com/archives/2005/09/20/824172.html).

Cela les rapproche de propositions régies :

(55) c’est quand on aime encore qu’on est méchant (E. Carrère, Un roman russe, 2007, f).

Cette possibilité d’extraction en clivée atteste que ces structures sont à un stade assez avancé en direction d’une structure de rection : à peine que ressemble fort à un « subordonnant ».

Les structures négatives n’échappent pas complètement à ce phénomène ; la tendance à passer en position initiale, et à s’adjoindre un que s’observe, de manière épisodique, pour la formule pas plus tôt :

(56) Pas plus tôt elle avait dit cela qu’on entendait une pétarade de vélomoteur tout à fait saisissante dans ce désert (A. Dhôtel, Le Ciel du faubourg, 1956, f)

(57) Pas plus tôt qu’elle fut prête qu’elle y courut, qu’elle s’y trouva, au lieu que le cercueil est exposé avec le mort (L. Aragon, Œuvre, 1982, f).

Il est remarquable qu’en passant en position initiale, pas plus tôt perd le ne de négation, se rapprochant ainsi du fonctionnement de à peine.

5. Les structures en quand

Nous n’avons – intentionnellement – pas encore mentionné les structures (négatives ou en à peine) dans lesquelles la deuxième proposition est introduite par quand (ou lorsque) :

(58) Elle n’avait pas fait vingt pas quand elle rencontra Hellouin, quand elle faillit se heurter à un Hellouin en sueur qui remontait la rue des Carmes (G. Duhamel, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, f)

(59) Elle n’avait pas encore quitté l’infirmerie lorsque Simone est tombée malade à son tour, puis moi, presque en même temps (H. de Monferrand, Journal de Suzanne, 1991, f)

(60) La jeune comtesse, tout enveloppée dans ses voiles noirs, aborda « l’incomparable » dans son antichambre et commençait à peine de lui exposer son malheur quand Madame de Montespan la repoussa d’un geste vif et passa, sans lui jeter un regard (F. Chandernagor, L’Allée du Roi, 1981, f)

(61) Il vient à peine de se marier et le dernier livre qu’il a écrit est encore sous presse, lorsque brusquement il part (Cl. Simon, Les Géorgiques, 1981, f)

(62) il venait tout juste de commander un whisky quand Josette se laissa tomber à côté de lui dans un profond fauteuil (S. de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, f).

Ces structures nous paraissent devoir être traitées un peu à part des autres.

Leur origine est très ancienne. On en trouve des exemples déjà au XIIe siècle :

(63) N’orent pas une liue alee, / Quant devant an une valee / Lor vindrent cinc chevalier autres (…) (Ch. de Troyes, Erec et Enide, v. 1165, citation tirée de Tobler & Lommatzsch).

Ces constructions relèvent de ce qu’une longue tradition grammaticale nomme (assez malencontreusement) la subordination inverse6. La proposition introduite par quand, toujours placée en deuxième position, indique un fait saillant, qui survient sur un fait d’arrière-plan exprimé dans la première proposition.

Bien sûr, la première proposition de ces structures ne contient pas nécessairement une négation ou une occurrence de à peine. On peut l’observer dans l’exemple suivant. Le procès exprimé par la première proposition se développe dans la durée, témoignant d’un rapport sémantique assez différent de celui qui préside à nos exemples de télescopage :

(64) Et l’on marchait ainsi depuis longtemps quand Antonin s’arrêta sous un hêtre aussi élancé dans son large tronc que touffu dans son envergure (p, La Liberté, 1885).

Dans ces structures en quand, la deuxième proposition contient souvent des marqueurs exprimant la soudaineté (soudain, tout à coup). II l faut toutefois noter que déjà n’y est, semble-t-il, jamais présent. Au contraire, il est possible d’y rencontrer enfin, qui signale, à l’inverse de déjà, un fait plus tardif que prévu7 :

(65) Le soir tombait quand mon père rentra enfin (Goosse-Grevisse cité par Béguelin 2004).

Enfin peut être présent même lorsque P1 nie l’achèvement d’un procès :

(66) Tout cela n’avait pas beaucoup bougé depuis Théodore de Banville, quand enfin Apollinaire vint, qui suivit toutes les étapes de ses prédécesseurs, et les dépassa (L. Aragon, Œuvre poétique, 1982, f).

Ces structures en quand ne visent donc pas à exprimer la transition prématurée d’une étape à une autre, mais plus simplement le contraste entre un événement de premier plan, qui peut être soudain, et un événement d’arrière-plan. L’événement saillant décrit dans la deuxième proposition n’est pas caractérisé par la précocité typique des constructions à télescopage.

Cette spécificité sémantique de la structure en quand restreint le choix des temps verbaux possibles dans P2 : le verbe est presque toujours au passé simple (quelquefois au présent historique, ou encore au passé composé). Ce tour est essentiellement narratif, et ne semble pas pouvoir être employé dans un sens itératif, alors que c’est possible pour les structures du télescopage, cf. (8) et (42).

Les exemples où P2 est introduite par quand sont donc à traiter un peu en marge des autres constructions, du fait que leur conformité à la structure dite « en quand inverse » les met au service d’un rapport sémantique différent.

Au plan syntaxique, Béguelin (2004) et Benzitoun (2006) ont déjà montré que le quand dit « inverse » ne marque pas une relation de rection. Dans ces structures, le quand n’a « rien d’un subordonnant : il joue un rôle de simple articulateur entre deux actes énonciatifs » (Béguelin 2004). C’est le cas également lorsque la première proposition contient une négation d’accompli ou un à peine temporel.

6. Des constructions corrélatives ?

Les constructions passées en revue dans cette étude fournissent un terrain d’observation privilégié pour qui s’interroge sur la notion de corrélation. Relèvent-elles toutes de cette notion ? Si non, lesquelles d’entre elles sont concernées ? Nous posons la question de la corrélation dans les termes de Corminboeuf (dans ce volume) :

la littérature scientifique s’accorde […] généralement sur l’idée que les membres de la construction sont « interdépendants ». La question est de savoir à quel niveau de l’analyse linguistique il convient de loger cette interdépendance : au niveau syntaxique ou à un autre niveau ?

Nos constructions peuvent-elle apporter des éléments de réponse à cette question ?

Si la corrélation est une relation d’interdépendance syntaxique (i.e. rectionnelle) entre deux propositions, alors, nous l’avons vu, les constructions majoritaires en que, étudiées dans la section 3., en relèvent, et on pourrait y ajouter encore les constructions juxtaposées du § 4.2., qui paraissent s’approcher d’une syntaxe de rection.

Si l’on choisit d’intégrer dans la corrélation les cas d’interdépendance pragmatique, ce sont également les constructions articulées par quand (section 5.) et par et (§4.1.) qui sont potentiellement concernées. Dans ces constructions, les deux propositions correspondent à deux énonciations successives, et il est assez clair que leurs rapports relèvent de la pragmatique. Il est en revanche plus problématique de savoir si ces rapports ressortissent à la corrélation, au sens où celle-ci implique une dépendance mutuelle des deux membres. Dans cette optique, il serait nécessaire que les deux propositions en présence affichent des indices de leur dépendance pragmatique. Or, dans les structures en question, si la deuxième proposition, étant introduite par quand ou et, se manifeste bien comme la suite d’un programme discursif en cours, il n’est en revanche pas sûr que la première proposition projette toujours une attente de la seconde. Il faut probablement distinguer différents cas.

Une proposition dans laquelle à peine est en tête et suivi de l’inversion se présente soit comme une « préparation pour une énonciation à venir » (Corminboeuf, dans ce volume), soit comme la « continuation d’une conduite énonciative préalable » (ibid.) L’énoncé suivant permet de s’en convaincre ; il semble difficile de l’employer isolément :

(67) A peine changé-je ici et là un verbe, une épithète.

Voici le contexte d’où il est tiré :

(68) Voici des pages que je ne fais que suivre le texte des confessions, et le lecteur est prêt à protester. A peine changé-je ici et là un verbe, une épithète (J. Guéhenno, Jean-Jacques, 1950, f).

En l’occurrence, la proposition en à peine vient apporter une précision, une justification au fragment de discours précédent, dans un rapport qui n’est pas d’ordre syntaxique mais pragmatique. Dans un autre contexte, elle pourrait ouvrir une attente, qu’une autre énonciation viendrait ensuite saturer (par ex. : A peine changé-je ici et là un verbe, une épithète, et déjà tout le monde se récrie). Ainsi, il paraît légitime de penser qu’une proposition commençant par à peine se manifeste comme dépendante pragmatiquement. On peut donc considérer que, lorsqu’elle constitue le premier membre d’une structure de télescopage temporel, elle ouvre l’attente d’une continuation.

En revanche, on peut se demander si une proposition négative ou une proposition dans laquelle à peine est en position interne manifestent également cette dépendance pragmatique. Les énoncés suivants ne paraissent pas se signaler forcément comme la préparation ou la continuation d’une autre énonciation. C’est peut-être discutable pour (69), mais cela paraît clair pour (70) :

(69) Ça débute à peine

(70) Nous ne sommes pas encore fiancés.

Dans nos constructions, on ne peut donc pas soutenir que la première proposition se manifeste toujours comme projetant l’attente de la seconde, et il n’est pas certain qu’on puisse accorder à tous nos exemples en quand et en et le statut de corrélation, même en situant la notion au niveau pragmatique. Si on entend par corrélateur le marqueur d’une dépendance pragmatique, il n’est pas sûr, notamment, que la négation puisse être considérée comme tel.

Dans une acception plus large, on pourrait placer la notion de corrélation au niveau sémantique. Cela permettrait alors de regrouper sous cette notion toutes les constructions actualisant le schéma sémantique de télescopage. A ce niveau, il semble en effet possible de parler d’interdépendance : le schéma ne peut pas être réalisé sans la co-présence des deux membres de la relation (d’une part le seuil non franchi ou à peine franchi d’un événement, et d’autre part un deuxième événement télescopant le premier). Il faut toutefois signaler que dans cette acception la notion ne concernerait pas seulement les constructions qui font l’objet de cette étude, mais également diverses autres structures, parmi lesquelles notamment des cas de subordination, et des constructions absolues :

(71) Bien qu’à cette date Annabella n’eût pas encore atteint sa vingtième année, elle avait déjà eu plus d’un prétendant (Ch. Du Bos, Byron et le besoin de la fatalité, 1929, f)

(72) Pas plus tôt sortie la frangine, le toubib les affranchit, le condé et Armand (A. Simonin, Du mouron pour les petits oiseaux, 1960, f).

Entre ces hypothèses, laquelle choisir ? La corrélation est-elle une notion d’ordre syntaxique, pragmatique, sémantique ? Nous avons examiné ici la question sous l’angle particulier d’un petit groupe de constructions temporelles, mais la réponse devra naturellement tenir compte de bien d’autres structures. En attendant, si l’on se limite – provisoirement – aux constructions étudiées ici, force est de constater que, contrairement à une idée répandue concernant la corrélation, l’élément unificateur qui permet de les regrouper n’est pas la présence de marqueurs dans les deux propositions (on a vu que P2 n’en contient pas toujours), mais bien l’expression d’un schéma sémantique : le télescopage temporel.

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1 Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche consacré à l’inversion du sujet clitique en français moderne, dirigé par Alain Berrendonner et financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (n° 132019).

2 Les exemples marqués d’un f sont tirés de la base Frantext.

3 Parfois, il s’agit de la précocité d’un fait par rapport à un repère temporel, v. (7). Cette situation peut cependant se rattacher au cas général : le repère temporel exprimé dans la première proposition peut être interprété comme le fait que tel instant, telle heure (ici huit heures) advienne, et ce fait est dans un rapport de télescopage avec celui de P2.

4 On pourrait objecter que cet énoncé n’est pas un exemple d’enchâssement, en arguant que la séquence je crois est ici un recteur faible, au sens de Blanche-Benveniste (1989). Dans cette optique, elle ne régirait pas pleinement la structure à peine P1 que P2. Nous avons montré dans Gachet (2009, 2012) que la notion syntaxique de rection faible repose sur des fondements contestables ; ainsi, il nous semble raisonnable de considérer que je crois est un verbe pleinement recteur, et que notre exemple témoigne bien de l’enchâssement de la structure en à peine.

5 C’est probablement possible aussi lorsque la première proposition est négative, mais cela doit être plus rare ; nous n’en avons du moins pas trouvé d’exemple.

6 Cf. par exemple Riegel & al. (2009 : 849) et, pour une critique de la notion, Benzitoun (2006).

7 Cf. Mosegaard Hansen (2002).