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Les corrélats de l’allemand et leur rôle dans la structure informationelle de l’énoncé

Martine DALMAS

1. Introduction

La linéarisation de l’énoncé allemand jouit d’une certaine liberté, du moins théorique, car elle reste conditionnée par un besoin de délimitation et de hiérarchisation marquées. En d’autres termes, on peut dire que la structure de l’énoncé verbal est imposée et sa réalisation relativement ‘libre’. Or, on se doute que cette liberté est en réalité conditionnelle. Effectivement, l’utilisation des places syntaxiques se fait en grande partie en fonction de l’intention de communication, et notamment des phénomènes tels que la topicalisation ou, dans certains cas, le retardement d’un groupe, voire son rejet au delà de la ‘borne’ droite (cf plus loin) dépendent du statut communicatif des éléments concernés.

La notion de ‘corrélat’ est à la fois fonctionnelle et positionnelle. Les corrélats assurent simultanément la mise en relation et le marquage d’une position (correspondant à une fonction syntaxique). Dans les deux cas évoqués (topicalisation et ‘extraposition’), le rôle des ‘corrélats’ est important : leur présence dans la structure ‘attendue’ de l’énoncé joue un rôle qu’on pourrait qualifier de prévisionnel et en fait des guides pour l’interprétation.

La présente contribution se limite aux corrélats dits « phrastiques » ou « propositionnels », c’est-à-dire à ceux qui sont en relation avec un syntagme verbal (conjonctionnel ou infinitif) : les aspects positionnels ont largement été étudiés ; les aspects fonctionnels un peu moins, notamment concernant le lien entre la présence du corrélat et la structuration informationnelle de l’énoncé. Mon hypothèse de départ est qu’il existe un lien fort entre le besoin de délimitation d’une part et le besoin de détermination de l’autre, un lien qui va de pair avec la nécessité de franchir les limites, fondamentale pour la constitution du texte.

Après une brève présentation de la topologie de l’énoncé allemand, nécessaire à une bonne compréhension du rôle des corrélats, je me limiterai ici à :

1. présenter les différents types de corrélats propositionnels, c’est-à-dire ceux qui sont en relation avec des propositions subordonnées (syntagmes verbaux dépendants) ;

2. m’intéresser de plus près aux cas où le corrélat est facultatif et tenter de dégager les conditions de son emploi en donnant quelques pistes concernant son rôle dans la structure informationnelle de l’énoncé.

2. Délimitation et signalisation : topologie de l’énoncé allemand

2.1. Délimitation

L’allemand se caractérise par un besoin de marquage des limites des groupes syntaxiques, notamment du groupe verbal (en tant que ‘proposition’) et donc de l’énoncé verbal. Pour reprendre l’expression utilisée par Trubetzkoy et que nous appliquerons à la syntaxe, on peut dire que l’allemand est « épris de délimitation »1. Sans entrer ici dans les détails de la discussion autour de la manière de décrire le phénomène de délimitation de l’énoncé2, je voudrais rappeler les grands traits de la structure de l’énoncé verbal allemand, que j’illustrerai sur la base de l’énoncé assertif.

La tradition grammaticographique allemande distingue dans l’énoncé trois champs, délimités par deux ‘bornes’. Ces bornes, qui encadrent le champ intermédiaire, font office de « pince » : le terme consacré est celui de « pince verbale » (Verbalklammer)3.

Le schéma commun aux différents types d’énoncés est le suivant :

Il y a une asymétrie entre Vorfeld et Nachfeld concernant les contraintes de leur réalisation : si le Vorfeld est obligatoirement occupé dans le cas de l’énoncé assertif et de l’interrogation partielle, l’occupation du Nachfeld est en revanche le plus souvent facultative et ne dépend en tout cas pas du type d’énoncé. Quant à l’occupation du Vorfeld d’un énoncé assertif, elle peut se faire – théoriquement – par n’importe quel type de constituant, un seul en principe4.

La configuration prototypique d’un énoncé avec la présence d’un corrélat propositionnel (noté Corr.) est la suivante :

La place du corrélat dans le champ intermédiaire (Mittelfeld) dépend de sa forme et de sa fonction syntaxique. La présence d’un corrélat permet le placement de la subordonnée dans le Nachfeld en assurant, dès le Mittelfeld, une structure syntaxiquement complète.

2.2. Signalisation

On constate en effet que les compléments et circonstants propositionnels sont le plus souvent ‘rejetés’ après la borne droite, dans le champ post-dernier ; placé dans le champ intermédiaire, le corrélat signale ainsi la présence du complément ou du circonstant. La fonction est double : elle est signalétique, mais aussi syntaxique, dans la mesure où le corrélat fait office, du moins provisoirement5, de complément ou de circonstant. Les subordonnées complétives (si elles ne sont pas introduites par une préposition) ne se trouvent jamais dans le champ intermédiaire (Mittelfeld) ; si elles ne sont pas en tête (Vorfeld), elles sont obligatoirement placées dans le Nachfeld. En revanche, un corrélat n’est pas toujours présent.

(1) Er hat es begrüßt, dass fast alle Eltern von schulpflichtigen Schülern gekommen waren

Il salué le fait que presque tous les parents d’enfants en âge scolaire étaient venus

[*er hat, dass fast alle Eltern von schulpflichtigen Schülern gekommen waren, begrüßt].

Les subordonnées circonstancielles, en revanche, peuvent être intégrées dans le Mittelfeld (2a), mais elles peuvent aussi être rejetées dans le Nachfeld (2b) ; souvent c’est leur taille qui est décisive (la patience du récepteur a des limites !). Tout placement dans le Nachfeld réduit l’ampleur du Mittelfeld et l’attente du récepteur, il ‘soulage’ ainsi le processus de décodage / d’interprétation. En (2a) c’est l’attente du verbe (participe) qui est réduite par le rejet de la subordonnée.

(2) a. Er hat die Redaktion dadurch überzeugt, dass er die politischen

Ereignisse klug analysiert hat

Il a convaincu la rédaction par le fait qu’il analyse intelligemment les événements politiques

b. [er hat die Redaktion dadurch, dass er die politischen Ereignisse klug analysiert hat, überzeugt]

3. Les différents types de corrélats propositionnels

On ne s’étonnera pas de constater que, mises à part les complétives, seules les subordonnées circonstancielles liées tolèrent un corrélat. Ainsi, aucune subordonnée à fonction continuative ne peut être représentée ni même signalée par un corrélat dans le Mittelfeld, y compris celles donc le subordonnant pourrait se prêter à une telle disjonction (par ex. abgesehen davon, dass). Cette impossibilité est bien sûr liée à la fonction discursive d’ajout de telles subordonnées, fonction qui est incompatible avec une quelconque annonce.

(3) Schon im Vorhinein wurden wir dadurch enttäuscht, dass der gebuchte Raum nicht mehr existiert (obwohl er damals auf der Internet-seite noch zusehen war…) (forum internet)

Dès le début nous avons été déçus par le fait que la salle que nous avions réservée n’existe plus (bien qu’à l’époque on ait encore pu la voir sur le site internet)

(4) […] der Liegestuhl auf dem Balkon war auch noch kaputt, abgesehen davon, dass er total verdreckt war (forum internet)

[…] en plus, la chaise-longue sur le balcon était cassée, sans compter le fait qu’elle était complètement sale

[*der Liegestuhl auf dem Balkon war abgesehen davon auch noch kaputt, dass er total verdreckt war]

3.1. Formes

De manière générale, les corrélats ont une forme qui correspond à la fonction sémantico-syntaxique de la subordonnée qu’ils signalent.

• Pour les complétives, on a deux types de corrélats, selon qu’il s’agit du sujet ou du complément direct ou bien du complément prépositionnel, c’est-à-dire selon que le lien est direct ou indirect. Dans le premier cas, le corrélat est le pronom neutre es, dans le deuxième cas, le corrélat est formé de da + préposition régie par le verbe. Voici quelques exemples de corpus – limités ici volontairement aux compléments :

(5) Dabei bedauerte es Schuck, daß den liberal-konservativen Kräften in der bildungspolitischen Diskussion zu wenig Gewicht zukomme (Mannheimer Morgen, 12.06.1996)

Ce faisant, Schuck regrettait le fait que trop peu de poids soit accordé aux forces libérales-conservatrices dans la discussion sur la politique de la formation

(6) Die SPD lehnte es bisher ab, daß Asylbewerber grundsätzlich

Sachleistungen statt Geld bekommen sollen (Salzburger Nachrichten, 04.02.1993)

Le SPD [parti allemand social-démocrate] a refusé jusque-là le fait que les demandeurs d’asile bénéficient de prestation en nature en guide de rémunération

(7) Er begrüßte es, daß auch ohne Einladung fast alle Eltern von schulpflichtigen Kindern gekommen waren (Rhein-Zeitung, 11.01.1999)

Il a salué le fait que même sans invitation presque tous les parents d’enfants en âge scolaire soient venus.

Certaines complétives complément direct peuvent être introduites par un subordonnant autre que dass ; en (8), il s’agit d’une perspective processuelle après un verbe de perception6, en (9), il s’agit de garder une certaine indétermination concernant l’ancrage temporel de l’événement concerné7.

(8) Ich habe es mit eigenen Augen gesehen, wie sie gesprungen und auf den Rasen vor dem Haus aufgeschlagen sind (Salzburger Nachrichten, 06.10.1992)

Je les ai vus de mes propres yeux sauter et retomber sur le gazon devant l’immeuble

(9) Ich mag es eben, wenn der Tisch voll ist (Sankt Galler Tagblatt, 16.09.2008)

Eh oui, j’aime bien quand la table est pleine

Dans les exemples (10) à (12), où il s’agit d’un objet prépositionnel, les verbes, relativement sous-spécifiés, exigent la présence du corrélat (à l’inverse de 13) :

(10) Das hängt natürlich davon ab, ob deine Geldsorgen der einzige Grund für deine Angst bzw. Depressionen sind (Internet)

Cela dépend si tes soucis d’argent sont la seule raison de ton angoisse et de tes dépressions

(11) Die Änderungen haben damals dazu geführt, dass Musik-Dateien von RealNetworks nicht mehr auf iPods abgespielt werden konnten (Internet)

Les modifications ont alors conduit à ce que les fichiers de musique n’ont plus pu être pris en charge par RealNetworks sur les iPods

(12) « Uns ging es darum, daß die Kinder den Lebensraum Wald mit den Sinnen erfassen, mit den Händen begreifen und riechen », so eine Studentin (Kleine Zeitung, 14.05.1998)

« Nous tenions à ce que les enfants saisissent par leurs sens la forêt en tant qu’espace de vie, la comprennent par le toucher et la sentent », selon une étudiante

(13) Er habe sich besonders darüber gefreut, dass in der Band aus der Schweiz « so viele junge Leute so alte Musik machen » (St. Galler Tagblatt, 03.12.1997)

Il dit s’être surtout réjoui du fait que, dans le groupe venu de Suisse, « tant de jeunes gens jouent de la musique ancienne ».

• Pour les circonstancielles, le choix du corrélat dépend de la fonction sémantique ; il peut s’agir d’une forme issue du déictique en d (a) + préposition ou de dann (temps) ou so (manière) :

(14) Christian Ehring hat die Redaktion vor allem dadurch überzeugt, dass er die politischen Ereignisse der Woche klug analysiert, […] (Internet)

Christian Ehring a convaincu la rédaction surtout par le fait qu’il a analysé intelligemment les événements politiques

(15) Zunächst wurde ich damit überrascht, dass ich zwar mit Mastercard einzahlen konnte, dass aber die Rücküberweisung auf Mastercard nicht möglich war (Internet)

Tout d’abord je fus surpris par le fait que je puisse certes payer avec la Mastercard, mais qu’un remboursement sur la Mastercard ne soit pas possible

(16) Stellen Sie bitte nur dann Fragen, wenn Sie sich auch wirklich für das Thema und die Antwort interessieren (Internet)

Ne posez svp des questions que dans le cas où vous vous intéressez vraiment au sujet et à la réponse

(17) Ich habe alles so gemacht, wie es in der Anleitung stand (Internet)

J’ai tout fait comme il était indiqué dans les instructions.

• Le cas des circonstancielles causales est légèrement différent, car on a un corrélat en da – et un subordonnant spécifique (ce n’est pas le ‘simple’ opérateur dass, mais weil qui signifie « parce que ») :

(18) Zolas J’accuse ! wird aber auch deswegen gefeiert, weil es den Beginn einer Tradition markiert : die moderne Form der Einmischung Intellektueller in die Politik (Zürcher Tagesanzeiger, 13.01.1998)

Mais on fête également le J’accuse ! de Zola parce qu’il marque le début d’une tradition : la forme moderne de l’ingérence d’intellectuels dans la politique.

• Certains cas se situent à la limite entre complétives et circonstancielles :

(19) Ich hab die Frage so verstanden, dass er Office bereits installiert hat und jetzt den Key braucht (Internet)

J’ai compris la question de la manière suivante : il a déjà installé Office et a maintenant besoin du code.

Dans ce derniers cas, le statut de la subordonnée (complément ou circonstant de manière) dépend de la manière dont on interprète la valence des verbes concernés. Le corrélat est obligatoire dans ces deux cas : il est en effet un indice important de la fonction afin que la subordonnée en dass ne soit pas interprétée comme un objet ‘accusatif’ qui concurrencerait l’autre objet.

3.2. Statuts

Cette diversité des formes est liée à la diversité des fonctions, mais aussi à d’éventuelles différences de statut de l’élément appelé ‘corrélat’. D’une part, on constate que certains corrélats sont obligatoires et d’autres facultatifs ; d’autre part, dans les travaux existants certains auteurs8 différencient entre plusieurs statuts (au moins deux) :

– certains corrélats sont considérés comme de simples « occupants de position », sortes de « fantômes » (Platzhalter) ; ils constituent la ‘tête fonctionnelle’ (functional D-head) d’un syntagme et sont considérés comme de véritables corrélats ;

– certains sont considérés en revanche comme des pro-formes (ils ont une fonction anaphorique par rapport au contexte amont / à la situation de discours) ; ils sont alors accentuables. Et ils ne seraient donc pas des corrélats au sens strict.

En effet, quand on regarde de près le contexte d’emploi des différents éléments considérés comme des corrélats, on remarque que :

– le caractère obligatoire ou facultatif du corrélat ne dépend pas du statut syntaxique de la subordonnée : qu’il s’agisse d’une complétive ou d’une circonstancielle, on a des corrélats obligatoires ou facultatifs ;

– le caractère obligatoire du corrélat est lié au verbe / au sémantisme du verbe ;

– le caractère facultatif du corrélat est lié au sémantisme du verbe et au statut informationnel du contenu de la subordonnée (et donc au contexte situationnel).

La distinction évoquée plus haut entre deux types d’éléments débouche sur deux types de constructions :

adjonction : ‘es’ (ou la forme en da + prép. non accentuée) est un simple Platzhalter, non-accentué et réductible phonétiquement (‘s, drüber, drauf, etc.), la subordonnée peut être analysée comme adjointe au ‘corrélat’, et on a alors affaire à une adjonction. Dans le cas d’un corrélat prépositionnel, l’extraposition dans le Nachfeld est obligatoire.

(20) Die finanzielle Lage des Vereins hat es erlaubt, dass er im vergangenen Jahr an die Veranstaltung „Tour Ginkgo“eine Spende in Höhe von 1500 Euro überweisen konnte (Internet)

La situation financière de l’association a permis qu’elle verse l’an dernier un don d’un montant de 1500 euros à la manifestation « Tour Gingko »

(21) IM Kurt hat darauf gehofft, dass durch die Stasi auch der letzte Nazi- und Kriegsverbrecher dingfest gemacht wird (Internet)

L’informateur Kurt a espéré que la Stasi arrête jusqu’au dernier criminel nazi et criminel de guerre (Internet)

?IM Kurt hat darauf, dass durch die Stasi auch der letzte Nazi- und Kriegsverbrecher dingfest gemacht wird, gehofft]

apposition9 : le ‘corrélat’ a une fonction anaphorique et doit être considéré comme un véritable pronom ; il est accentuable ; on a affaire à une apposition de la subordonnée déplacée à droite (dislocation). Dans le cas d’un élément prépositionnel, l’extraposition n’est pas obligatoire :

(22) Vielen Dank für Deine Anmerkung zu meinem Bild. Ich habe mich darüber sehr gefreut, dass Dir das Bild gefallen hat (Internet)

Merci beaucoup pour ta remarque à propos de ma photo. J’étais très content que cette photo t’ait plu

[Vielen Dank für Deine Anmerkung zu meinem Bild. Ich habe mich darüber, dass Dir das Bild gefallen hat, sehr gefreut].

Si certains auteurs tentent de rapprocher les différents fonctionnements, ils reconnaissent toutefois la nécessité de prendre en compte le sémantisme du verbe de la matrice, qui donne des indications sur le statut informationnel (cognitif) de la subordonnée.

Ce sont ces aspects sémantiques et surtout des paramètres de structure informationnelle qui ont été les moins étudiés et qui semblent pourtant contenir la clé du problème (ou du moins de la question) de l’emploi d’un corrélat propositionnel. Il s’agit d’un grand chantier, à peine entamé… J’en ébaucherai ici seulement quelques aspects. 4

4. Les raisons de la facultativité

En m’appuyant sur des travaux récents, je voudrais essayer de souligner le lien entre l’emploi d’un ‘corrélat’ et le statut informationnel de la subordonnée avec laquelle il est en relation, et montrer par là la nécessité de prendre en considération la dimension cognitive pour la description de ces formes de ‘corrélation’.

4.1. Verbes et prédicats de la matrice

Le verbe a d’emblée été considéré comme la clef du problème et on a tenté d’apporter une réponse à la question de la présence d’un ‘corrélat’ en s’intéressant aux types de verbes. Dans les premiers travaux (Pütz 1975, Sonnenberg 1992, Sandberg 1998), les listes établies reposaient en grande partie sur l’introspection. En revanche, les travaux de ces dernières années ont été menés sur de larges corpus et sur des enquêtes, voire des tests auprès des locuteurs, et les résultats ont montré que les listes établies antérieurement reposaient en partie sur des idées préconçues (et fausses) sur les verbes concernés. Toutefois l’intuition de départ sur le lien entre le verbe et la présence du ‘corrélat’ reste valable.

On distingue (cf notamment Sudhoff 2011, Trompeltt et al. 2011) deux grandes classes de verbes : l’une (classe I) est représentée par des verbes tels que bedauern (regretter), ablehnen (refuser), hassen (détester) ; l’autre (classe II) est représentée par des verbes tels que beobachten (observer), sagen (dire)10 ou erlauben (permettre).

On constate que, dans le cas de verbes de la classe II, la présence d’un corrélat(es) est possible uniquement lorsque le contenu de la subordonnée a déjà été mentionné précédemment (est donc accessible à travers le co-texte amont). En revanche, dans le cas des verbes de la classe I, cette condition n’est pas nécessaire. De ce fait, les verbes de la classe I se trouvent souvent employés avec un corrélat puisqu’il n’y a pas de contraintes contextuelles, tandis que les verbes de la classe II sont moins souvent accompagnés d’un corrélat, dans la mesure où celui-ci n’est possible que lorsque la subordonnée désigne un état de choses mentionné antérieurement.

Classe I

(23) Ich wollte euch mal fragen, ob ihr ein anderes Programm kennt als iPhoto. Ich frage deshalb, weil ich es hasse, dass man bei iPhoto nur alle Bilder oder keine von einer Digitalkamera importieren kann (Internet)

Je voulais vous demander si vous connaissez un programme autre que iPhoto. Je demande parce que je ne supporte pas qu’avec iPhoto on puisse importer de son appareil numérique seulement toutes les photos ou aucune

Classe II

(24) Wann habt ihr es gesagt, dass ihr schwanger seid, Eltern, Großeltern, Freunden, Arbeitskollegen usw… und vor allem wie habt ihr es gesagt ? (Internet)

Quand avez-vous dit que vous étiez enceintes, à vos parents, vos grands-parents, vos amis, vos collègues de travail etc., et surtout comment l’avez-vous dit ?

Quant à la structure sémantique du verbe, elle reste un simple indice. On remarque que les verbes exprimant une évaluation (hassen, lieben, genießen, übelnehmen) présupposent l’existence de l’état de choses sur lequel porte cette évaluation : l’emploi du corrélat est donc plus fréquent. Cette présupposition d’existence n’est toutefois qu’un facteur : des verbes comme bewundern ou bedauern sont utilisés plus fréquemment sans corrélat, alors que, notamment pour le premier, la factualité du complément pourrait laisser conclure à son accessibilité. Des verbes exprimant une attitude propositionnelle comme behaupten, sagen, vermuten relèvent de la classe II, c’est-à-dire ne sont accompagnés d’un corrélat que si le contexte le permet (accessibilité immédiate de l’information). Il reste à faire une étude précise de la structure sémantique des verbes afin de déterminer ce qui les ‘prédestine’ à la classe d’appartenance d’une part, et, pour la classe I, à l’emploi d’un corrélat d’autre part.

4.2. Topic / focus et statut de la subordonnée

Le statut cognitif du contenu de la subordonnée conditionne donc la présence d’un ‘corrélat’ avec certains verbes (classe II). Dans ces cas, le ‘corrélat’ est, comme nous l’avons vu plus haut, un pronom, tourné vers l’amont, qui a une fonction anaphorique. Il est accentuable (es –> das). La subordonnée lui est apposée, et elle a une fonction de rappel d’une donnée cognitivement accessible : on peut considérer que la subordonnée constitue le topic et que seul le prédicat (voire le sujet également ou une donnée temporelle) constitue le focus : cf (24).

Dans les contextes où la totalité de l’énoncé constitue le focus, avec les verbes de la classe II, le ‘corrélat’ est impossible. Ainsi dans l’exemple suivant, qui constitue le début d’une intervention sur un forum internet :

(25) Mein Sport- und Biolehrer hat ø neulich behauptet, dass eine Banane nach dem Training hilft Muskelkater zu vermeiden. Weiß jemand was davon ? (Internet)

Mon professeur de sport et de biologie a affirmé récemment qu’une banane après l’entraînement peut aider à éviter les courbatures. Est-ce que quelqu’un en a entendu parler ?

Pour les verbes de la classe I, l’emploi du corrélat est plus libre ; on peut néanmoins émettre l’hypothèse que la présence du corrélat favorise la focalisation du prédicat. Ainsi, dans l’exemple suivant où l’intérêt des étudiants étrangers pour l’histoire récente de l’Allemagne est une donnée contextuelle/ situationnelle, c’est l’acte de reconnaissance du Président qui constitue le focus de l’énoncé :

(26) Im Anschluss sei es in einem abgeschirmten Pavillon zu der Diskussion zwischen Horst Köhler und den internationalen Studenten gekommen. Der Bundespräsident habe es begrüßt, dass sich junge Menschen aus dem Ausland für die jüngere deutsche Geschichte interessieren (Braunschweiger Zeitung, 09.08.2008)

Ensuite a eu lieu dans un pavillon à l’écart une discussion entre Horst Köhler et les étudiants internationaux [sic]. Le président de la République a salué le fait que des jeunes gens venus de l’étranger s’intéressent à l’histoire allemande récente.

4.3. Trois types de corrélats

Ces observations débouchent ainsi sur deux premiers types de corrélats : les ‘pseudo’-corrélats sont ceux qui ont une fonction anaphorique et ne peuvent donc être utilisés que dans des contextes où la reprise est rendue possible par le trait ‘connu’, c’est-à-dire l’accessibilité de l’information véhiculée par le corrélat et la subordonnée. Ils sont orientés vers l’amont, sont accentuables et permettent ainsi des opérations telles que la focalisation. En revanche, les ‘vrais’ corrélats sont ceux qui sont employés indépendamment du statut cognitif de la subordonnée, leur fonction est donc purement formelle, mais elle est néanmoins aussi ‘signalétique’, ils sont orientés vers l’aval et constituent ainsi une aide à l’interprétation dans la mesure où ils marquent une place, une fonction en annonçant ainsi le complément.

Un troisième type, les corrélats prépositionnels, fonctionne en partie autrement : ils sont souvent morphologiquement obligatoires pour permettre la présence de la préposition régie, mais surtout de la préposition non-régie lorsque le subordonnant n’est pas spécifique (subordonnée circonstancielles en dass). Ceci explique leur éventuelle grammaticalisation avec l’opérateur de subordination (dadurch, dass), alors que dans la majorité des cas, le complexe prépositionnel fait office de subordonnant (damit, nachdem, seitdem, indem, indessen).

Les ‘vrais’ corrélats – les plus fréquents – sont une caractéristique marquante de la syntaxe allemande : leur présence est liée d’une part au besoin de détermination de la subordonnée et d’autre part à l’existence de marques de démarcation de l’énoncé verbal. En effet, si d’un côté la linéarité de l’énoncé se fait au niveau syntactico-sémantique à l’inverse de l’ordre régressif, d’un autre côté, l’orientation vers la clôture de l’énoncé, inexorable au fur et à mesure que progresse l’Information, peut amener le locuteur à laisser dans le Mittelfeld une trace d’un constituant qu’il est obligé de placer plus loin. Si en surface le corrélat peut ressembler à une sorte d’échappatoire permettant simplement au locuteur de ‘ne rien oublier’ et l’autorisant à poursuivre, il est aussi un marqueur fondamental de la proposition subordonnée, dans la mesure où non seulement il signale son existence, mais où il assure une fonction de détermination et permet une meilleure intégration sur le plan phrastique et textuel.

5. Conclusion : la corrélation, à quelles fins ?

Sur le plan de la structure informationnelle de l’énoncé, la présence d’un corrélat permet de mieux marquer l’information constituant le focus. Je me suis limitée dans cette étude au cas de figure où le corrélat précède la subordonnée, mais, même dans ce cas, on peut constater l’impact des quatre facteurs : présence du corrélat, type de corrélat, accentuation, type de prédicat de la matrice (structure verbale d’accueil). En résumé, on peut dire que :

– L’emploi du corrélat relève de la planification de l’énoncé dans une syntaxe où la délimitation joue un rôle important.

– Certains ‘corrélats’ ont une fonction anaphorique de reprise et la subordonnée n’apporte aucune information nouvelle, mais a une simple fonction de rappel ; du point de vue de la cohésion textuelle, cette fonction est importante.

– Pour les autres corrélats, la fonction d’annonce est indépendante du co-texte immédiat ; toutefois la présence du corrélat peut permettre de :

° marquer la subordonnée comme topic et le prédicat de la structure d’accueil comme focus

° ou au contraire, par le biais de l’accentuation du corrélat (corrélats prépositionnels), de marquer la subordonnée comme focus.

– Ainsi, même dans les cas où le placement dans le Nachfeld est obligatoire, on retrouve les deux grandes fonctions du Nachfeld : le rappel d’une donnée connue ou du moins saillante, ou, au contraire, le retardement – annoncé – d’une donnée importante sur le plan informationnel.

Il reste à étudier de près tous (?) les prédicats possibles pour voir dans quelle mesure une répartition en deux classes, telle qu’elle est actuellement proposée par plusieurs auteurs, est réalisable. On a vu, en effet, que la présence des ‘faux corrélats’ (vrais ‘anaphoriques’) avec les verbes de la classe II est étroitement liée à la situation de discours, or celle-ci laisse souvent des traces dans la structure sémantique du verbe/prédicat. Ainsi, dans l’exemple suivant, les verbes wissen (savoir) et ahnen (pressentir) sont des prédicats dont l’objet porte le trait <factuel> et donc éventuellement <accessible> : que l’accès à l’information se fasse par le co-texte amont pourrait alors être vu comme un cas particulier.

(27) Manche wissen es, viele ahnen es zumindest, dass Aktienbewertung und Realität bei hunderten von Firmen nicht mehr in Sichtkontakt stehen (Der Spiegel 5/2000, cité par Cortès 2010)

Certains le savent, beaucoup en ont pour le moins le soupçon : (que) pour des centaines d’entreprises, la valeur de l’action n’est plus connectée à la réalité.

La limite avec des prédicats évaluatifs de la classe I paraît mince.

(28) Die Ratspräsidentschaft begrüßte es, dass der Bericht den gesellschaftlichen Aufstieg der Roma in den Mittelpunkt rückt, wobei die Zurückdrängung der Segregation besonders betont wird

(http://www.eu2011.hu/de/romastrategia-kidolgozasa-mellett-az-europai-parlament)

La présidence s’est félicitée de ce que le rapport traite principalement de l’ascension sociale des Roms en mettant tout particulièrement l’accent sur la lutte contre la ségrégation

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1 « Das Deutsche gehört auch zu den ‘abgrenzungsliebenden’ Sprachen » (Trubetzkoy 1939 : 261).

2 Pour une ébauche de discussion, cf. Dalmas & Vinckel (2006).

3 Une autre approche théorique oppose à cette notion de « pince », dont les deux extrémités sont prédéfinies, celle de « délimitation », permettant ainsi à divers éléments d’assumer la fonction délimitative sans l’attribuer a priori. Notamment en ce qui concerne la délimitation à droite, elle peut – en l’absence de forme verbale non-conjuguée – être assumée par un autre élément, déterminant ultime du verbe. Cf. Dalmas & Vinckel (2006).

4 Ce constituant unique peut cependant être très complexe. Par ailleurs, il existe des cas où le Vorfeld peut être occupé par plusieurs groupes, à certaines conditions, notamment d’homogénéité sémantique. Cf. Müller (2005), Müller, Bildhauer & Cook (2012).

5 C’est la raison pour laquelle on trouve, dans certaines grammaires françaises de l’allemand, le terme de « pronom relais » (cf Schanen F. & J.-R Confais 1986 : § 15.3).

6 Cette perspective processuelle est rendue en français par une construction infinitive, qui la distingue de l’emploi de la conjonction que, correspondant à une perspective factuelle où l’événement est figé. Notre traduction ne contient ainsi aucun élément lexical correspondant au corrélat et au subordonnant.

7 Cf. également Fabricius-Hansen (1980), (1981).

8 Cf. par ex. Sudhoff (2003), Trompelt et al. (2011), Holler (2011).

9 Le terme « apposition » est utilisé par certains auteurs ; son emploi s’appuie d’une part sur le fait que le ‘corrélat’ a dans ces cas une fonction référentielle, qu’il est co-référent avec la subordonnée et que, de l’autre, celle-ci sert à l’expliciter. On ne peut toutefois pas s’appuyer sur le test par und zwar en raison du statut informatif du contenu de la subordonnée.

10 Donc, entre autres, des verbes qui peuvent servir à ‘reproduire’ de la parole.