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Le liage et la corrélative en the… the…, Construction que plus on l’étudie, plus on se pose des questions

Bert CAPPELLE

1. Place de la construction en the… the… dans le paysage linguistique

Beaucoup de langues permettent à leurs locuteurs de se servir d’une construction corrélative qui exprime une correspondance entre deux différences. Typiquement, cette construction consiste en deux clauses qui chacune contient un syntagme comparatif. En anglais, la construction corrélative comparative (CC) est du type the… the…, comme l’illustre l’exemple (1) :

(1) The more I practice, the luckier I get

‘Plus je pratique, plus j’ai de la chance.’

Cette construction a récemment suscité beaucoup d’intérêt dans la littérature linguistique où l’on a abordé son analyse notamment sous l’angle des questions suivantes (cf Abeillé & Borsley 2008, Borsley 2004, Cappelle 2011, Culicover & Jackendoff 1999, 2005 : chapitre 15, Den Dikken 2005, Hoffmann 2013, Sag 2010, Smith 2010, 2011, Taylor 2006, 2009) :

(i) questions de sémantique : Est-ce que la CC exprime une relation proportionnelle ? Est-ce que la CC est une sorte de construction conditionnelle ? etc. ;

(ii) question de syntaxe : Quelle est la nature syntaxique de la relation entre les deux parties (s’il n’y en a pas plus) – Y a-t-il un lien paratactique ou hypotactique ?

(iii) question concernant son statut (a) normal, liée aux questions précédentes : Y a-t-il quelque chose d’unique à cette construction, ou est-ce que ses propriétés découlent de données et de principes grammaticaux généraux ?

La troisième question est au centre d’un débat entre ce qu’on pourrait appeler les « particularistes » et les « universalistes ». Dans le premier camp, on trouve des linguistes qui prétendent que la CC, bien qu’elle soit régulière sous certains rapports importants, « fait preuve d’un comportement à de nombreux égards différent de la ‘grammaire noyau’ plus familière »1, comme le concluent Culicover et Jackendoff à la fin de leur étude détaillée (cf aussi Borsley 2004, Culicover 1999, Fillmore 1986, Fillmore, Kay & O’Connor 1988, McCawley 1988). Dans le camp des générativistes, on a en premier lieu Den Dikken, qui réfute tout argument en faveur de l’idiosyncrasie de la CC afin de pouvoir proclamer que « la construction déploie un très haut degré de consistance translinguistique et que sa syntaxe est celle d’une corrélative qui se comporte comme telle, analysable conformément aux principes et paramètres de la Grammaire Universelle » (Den Dikken 2005 : 498 ; cf aussi Taylor 2006, 2009)2. Bref, il est juste de dire que la construction en the… the… est devenue un pion important dans une lutte linguistique idéologique.

Dans ce papier, je tenterai de contribuer à ce débat en montrant que la CC est en fait un peu plus spéciale que même les particularistes le prétendent. Dans la section suivante, j’apporterai des données d’usage qui nous donnent la preuve (i) que la CC n’est pas une construction de dépendance à longue distance (long-distance dependency construction ; filler-gap) de manière parfaite et (ii) qu’elle ne s’insère pas de manière régulière elle-même dans une autre construction de dépendance à longue distance (comme une construction relative, p.ex. This is the sort of man who the more… the more… ‘C’est le type d’homme qui plus… plus… ‘). Dans la troisième section, je présenterai une étude de corpus qui vise à déterminer quelles sont les propriétés de cette configuration syntaxique. Parmi les résultats de cette étude, que je discuterai dans la quatrième section, on remarque que les deux clauses de la CC se comportent assez différemment par rapport à « l’extraction » d’un syntagme vers la position de l’antécédent, ou d’un pronom relatif dans une construction relative. La CC est donc non seulement plus irrégulière mais elle est aussi plus asymétrique que l’on aurait pu le croire. Finalement, dans la cinquième section, je donnerai un résumé des conclusions principales.

2. Deux suppositions communes (mais fausses)

Malgré les différentes opinions concernant la CC, il y a deux suppositions qui sont acceptées aussi bien par les particularistes que par les universalistes. Une première idée communément acceptée est que « chacune des propositions [de la CC] montre une dépendance normale à longue distance » (Culicover & Jackendoff 1999 : 543)3, c’est-à-dire, « on a toujours un syntagme initial ‘extrait’ » (Abeillé & Borsley 2008 : 5). Le syntagme comparatif initial (peut-être moins le mot the) peut en effet être analysé comme étant déplacé de sa position canonique, indiquée par un gap co-indexé :

(2) [The older, they get __i], [the less cutei they are __i]

‘Plus ils grandissent, moins ils sont mignons’

(3) [The more peoplei I meet __i, [the morei I love my dog __i]

‘Plus je rencontre des gens, plus j’aime mon chien’

(4) [The saferi you assume [your car is__i]], [the fasteri you think [you can go __i]]

‘Plus on croit que sa voiture est sûre, plus on croit pouvoir rouler vite’.

Une deuxième supposition apparemment incontestée est que la CC permet l’extraction d’un élément (autre que le syntagme comparatif déjà extrait) vers une position hors de la CC. En voici quelques exemples avec extraction, respectivement, hors de la première clause (C1), hors de la deuxième clause (C2) et hors de chacune des deux clauses (C1 et C2)4 :

(5) This is the sort of problem [which. [the sooner you solve __i], [the more easily you’ll satisfy the folks up at corporate headquarters]] (Culicover & Jackendoff 1999 : 564)

‘Ceci est le type de problème quei plus vite tu lei [gap dans l’original] résous, plus facilement tu satisferas les gens au siège social’

(6) The folks up at corporate headquarters are the sort of people [whoi [the sooner you solve this problem], [the more easily you’ll satisfy __i]] (Culicover & Jackendoff 1999 : 564)

‘Les gens au siège social sont le type de gens quei plus vite tu résous ce problème, plus facilement tu lesi [gap dans l’original] satisferas’

(7) This is the problemi that [[the quicker you solve __i], [the quicker you’ll be able to tell your friends about __i]] (Culicover & Jackendoff 1999 : 564, note 11)

‘Voici le problème que plus vite tu lei [gap dans l’original] résous, plus vite tu pourras eni [gap dans l’original] parler avec tes amis’.

En fait, ces deux suppositions peu controversées sont erronées. Quant à la première (selon laquelle le comparatif est toujours extrait), notez d’abord que la négation en général n’est pas permise, ni en C1 ni en C2 (McCawley 1988)5 :

(8) *The faster we don’t drive, the later we’ll get there

(litt.) ‘Plus vite on ne roule pas, plus tard on y arrivera’

(9) *The more slowly we drive, the sooner we won’t get there

(litt.) ‘Plus lentement on roule, plus tôt on n’y arrivera pas’.

Toutefois, il y a des CCs dans lesquelles on a un verbe négatif (Beck 1997, Cappelle 2006) :

(10) But the more we don’t say what we want, the harder it is to talk6

‘Mais plus on ne dit pas ce qu’on veut, plus c’est dûr de parler’

(11) The harder I try, the more I can’t sleep7

‘Plus je m’efforce, plus je ne peux pas m’endormir’.

Je propose que la raison pour laquelle une négation est possible dans (10) et (11) est que le comparatif (the) more dans ces exemples n’est pas extrait, ce qui est clair quand nous essayons de le ‘reconstruire’ dans une des positions adverbiales dans la version de base de la clause :

(12) We {*more} don’t say {*more} what we want

(litt.) ‘On plus ne dit pas ce qu’on veut’

(13) I {*more} can’t sleep {more} (après sleep, more est possible mais génère une interprétation très différente par rapport à celle qu’on trouve pour (11))

(litt.) ‘Je plus ne peux pas m’endormir’.

D’après Inkova (2009), j’ai suggéré dans Cappelle (2011) qu’on appelle un tel comparatif « exophrastique » (cf Guimier 1988) : il inclut toute la proposition dans sa portée sans en faire partie sémantiquement. La possibilité de paraphraser avec ‘plus c’est le cas que… ‘ indique que sa valeur est presque celle d’un marqueur épistémique (‘plus c’est vrai que.’). L’importance de faire une distinction entre comparatifs « endophrastiques » et « exophrastique » deviendra claire plus tard, dans la section 5.

Pour ce qui est de la deuxième supposition (selon laquelle, rappelons-nous, on peut toujours extraire un autre élément que le comparatif hors de la CC) les exemples suivants montrent que cette proposition est fausse elle aussi (Cappelle 2004, Taylor 2006, 2009) :

(14) *It’s one of those filmsi that the older

__i gets, the more you appreciate (iti)

(litt.) ‘C’est un de ces filmsi que plus vieux__i devient, plus on (li’) apprécie’.

(15) *It’s one of those filmsi that the more you think about (iti), the better __i gets

(litt.) ‘C’est un de ces films que plus on yi réfléchit, mieux __i devient’.

Manifestement, un syntagme fonctionnant comme sujet de la clause ne peut pas être extrait. Comme je l’ai indiqué dans (14) et (15), si le syntagme extrait a une autre fonction (par exemple celle d’objet direct), il peut optionnellement être repris par un pronom résomptif. Pourtant, Huddleston, Pullum et al. (2002 : 1091, n. 25) écrivent dans The Cambridge Grammar of the English Language sur les pronoms résomptifs dans des constructions à dépendance de longue distance qu’ « en anglais, ils sont non grammaticaux ». Culicover & Jackendoff (1999 : 567-8 n. 13 ; 2005 : 525), de leur côté, se demandent, bien que ce ne soit qu’entre parenthèses et avec hésitation, si un pronom résomptif est acceptable dans ce genre de construction : « nos jugements sont indéterminées par rapport à la question de savoir si un pronom résomptif améliore [16] et [17] »8 :

[16] ??They failed to tell me which problemi I’ll beat the competition more easily, the sooner I solve __i

(litt.) ‘Ils ne m’ont pas dit quel problèmei je battrai la concurrence plus facilement, plus tôt je résous __i

[17] ??This is the problemi that you’ll beat the competition more easily, the sooner you solve __i

(litt.) ‘C’est un problèmei que tu battras la concurrence plus facilement, plus tôt tu résous __i.

La question n’est pas sans pertinence. Dans la section suivante, je présenterai une étude empirique, dont les résultats révéleront non seulement la possibilité d’utiliser un pronom résomptif dans les cas précédents [16]-[17], mais aussi des aspects importants de la nature asymétrique de la CC.

3. Etude de corpus

Quand l’extraction hors de la CC est-elle possible ? La seule méthode de répondre à cette question est l’utilisation d’un corpus des phrases authentiques, car même Culicover et Jackendoff, locuteurs natifs de l’anglais, n’arrivent pas à faire confiance à leurs jugements, comme nous l’avons vu. Cependant, la CC étant une construction assez spécifique et son insertion dans une clause relative étant par conséquence très peu fréquente, on ne peut pas utiliser un corpus « linguistique » comme le British National Corpus ou le Corpus of Contemporary American English, bien qu’ils soient parmi les corpus les plus grands de l’anglais. Afin de pouvoir recueillir un nombre suffisant de CCs dans le contexte désiré, j’ai utilisé – comme l’a fait par exemple aussi Smith (2011) – le plus vaste « corpus » non-linguistique disponible : l’internet.

3.1. Matériel

Une base de données de 224 exemples a été extraite de l’intemet (notamment, des pages en anglais apparues dans le Royaume-Uni), en utilisant les séquences dont j’ai dressé la liste dans la Table 1 comme interrogations dans le moteur de recherche Google.

“the kind of * that the more”“the sort of * that the more”“one of those * that the more”
“the kind of * the more”“the sort of * the more”“one of those * the more”
“the kind of * which the more”“the sort of * which the more”“one of those * which the more”
“the kind of * who the more”“the sort of * who the more”“one of those * who the more”
“the kind of * whom the more”“the sort of * whom the more”“one of those * whom the more”

Table 1 : Liste des séquences utilisées pour la recherche de corpus.

Une observation immédiate des exemples ainsi obtenus était que la recherche ne donnait pas seulement des cas de la CC proprement dite comme (18) mais aussi de la CC « inversée » comme (19) :

(18) … the kind of music whichi the more you hear (iti), the more you like (iti) (CC normale)

‘… le genre de musique quei plus tu (li’) entends, plus tu (li’) apprécies’

(19) … the kind of music whichi you like (*iti) more, the more you hear (iti) (CC inversée)

‘… le genre de musique que plus tu (l’i) entends, plus tu (l’i)apprécies’.

La CC inversée est en fait une construction syntaxiquement moins spéciale que la CC dite « normale », car le syntagme comparatif de ce qu’on pourrait appeler la phrase principale (celle exprimant l’apodose) y est réalisé in situ et n’est pas introduit par the. Les cas de la CC inversée n’ont pas été enlevés de la base de données, même si la recherche vise en premier lieu un aperçu des façons dont un syntagme peut être extrait hors de la CC normale. Effectivement, la comparaison entre les deux types de construction corrélative comparative peut nous fournir une image plus précise des propriétés de la CC proprement dite.

3.2. Méthode

Les paramètres suivants ont été codés pour chacune des phrases dans le recueil des phrases authentiques :

– type de relativiseur (which / who / whom / that / Ø /where / in which /

– type de CC (CC normale / CC inversée ; cf (18) vs (19))

– lien entre l’antécédent (ou le pronom relatif) et C1 (‘gap’ / pronom résomptif / pas de lien / indécis)

– lien entre l’antécédent (ou le pronom relatif) et C2 (‘gap’ / pronom résomptif / pas de lien / indécis).

Pour ce qui est des liens entre l’antécédent ou le pronom relatif et chacune des clauses de la construction, on a déjà mentionné que l’antécédent ou le ‘filler’ (la tête de la construction relative) n’est pas toujours lié à un ‘gap’ dans C1 et/ou C2, mais peut être repris par un pronom résomptif. Les exemples suivants, tirés du corpus, constituent une paire quasi-minimale qui nous sert d’illustration parfaite :

(20) He was one of those dogs whichi the more you looked at__i, the more you liked __i, a truly honest dog…

‘Il était un de ces chiensi que plus tu yi regardais, plus tu aimais __i, un chien vraiment honnête… ‘

(21) … he was one of those dogsi that the more I saw of himi, the more I liked himi

‘… il était un de ces chiensi que plus tu yi regardais, plus tu li’aimais’.

Dans l’exemple (20), le pronom relatif correspond à un gap dans chacune des deux clauses de la CC, tandis que dans l’exemple (21), l’antécédent est repris par le pronom résomptif him. En plus de ces deux types de lien, on peut aussi trouver des exemples dans lesquels l’antécédent n’est ni ‘représenté’ par un gap ni repris par un pronom résomptif (cf Radford 2010, pour des observations similaires concernant l’emploi de la construction relative9) :

(22) a. Twitter is the sort of tooli that, the more you give, the more you get

‘Twitter est le genre d’outili que plus tu donne, plus tu reçois’

b. … one of those groupsi that the more you listen the more the tracks grow on you (listen n’est pas un verbe transitif)

‘… un de ces groupesi que plus tu écoutes plus les plages commencent à te plaire’

c. Santiago is one of those metropolitan joysi where the more you look, the more you find (look n’est pas un verbe transitif)

‘Santiago est un de ces joies métropolitainesi que plus tu regardes, plus tu trouves’.

Enfin, il y a des cas dans lesquels il n’est pas possible de trancher pour savoir si le lien est réalisé par un ‘gap’ ou s’il est absent :

(23) a. … one of those gamesi that the more you play __i ?, the less chances you have of getting rid of iti

‘… un de ces jeuxi que plus tu joue __i ?, moins tu as de chances de t’en débarasser’

b. Meditation is one of those thingsi that the more you practice __i ?, the easier iti is and the greater the benefits

‘La méditation est une de ces chosesi que plus tu pratiques __ i ?, plus ci’est facile et plus grands sont les avantages’.

Dans (23a) et (23b), play et practice peuvent être employés comme des verbes transitifs (et dans ce cas-là, il y a un gap dans C1) ou comme des verbes intransitifs (et alors il n’y a pas de lien direct avec l’antécédent dans C1). Il est d’ailleurs à noter que dans C2 il y a un pronom résomptif (… rid of it ; the easier it is).

3.3. Résultats

Dans les sous-paragraphes qui suivent, je présenterai les paramètres investigués, à savoir le type de relativiseurs et la distribution de CCs normales et CCs inversées (§3.3.1.), le type de lien entre l’antécédent (ou le pronom relatif) et chacune des clauses dans une CC normale (§3.3.2.) et dans une CC inversée (§3.3.3.).

3.3.1. Type de relativiseurs et type de CC

Les éléments relatifs utilisés pour subordonner la CC dans la base de données sont surtout that et where, et assez rarement which/who, zéro ou d’autres éléments (cf. Figure 1).10 Un quart des CCs dans la base de données (55 sur 224) est constitué de CCs inversées.

Figure 1 : Relativiseurs dans la base de données

Comme la Figure 1 le montre, where n’est pas utilisé dans des CC inversées. Cette observation est corrélée avec une autre, à savoir que where n’est pas souvent employé comme relativiseur locatif (where = ‘où’ ; ‘dans lequel/laquelle/lesquels’) dans la base de données ; where a plutôt la valeur d’un marqueur quasi-épistémique (where = ‘pour lequel/ laquelle/lesquels on pourrait dire ce qui suit :…’). Ce n’est que quand where est paraphrasable par ‘in which’ qu’une CC inversée contenant un gap est possible :

(24) a. It turned into one of those areas of research where (i) the more papers you read (__i) the less you understood what was going on (__i) (where = ‘in which’)

‘Cela devenait une de ces domaines de recherche {oùi / dans laquellei} plus on lisait des papiers (__i) moins on comprenait ce qui se passait (__i)’

b. It turned into one of those areas of research where (i) you understood less what was going on {in it /__i} the more papers you read {in it/__i}

(même traduction)

(25) a. However, English Literature is one of those subjectsi where the more you put into iti, the more you enjoy iti ! (where #in which’)

‘Par contre, la Littérature anglaise est une de ces matièresi pour laquelle on pourrait dire que plus on yi investit du temps, plus on li’aime’

b. *However, English Literature is one of those subjectsi where you enjoy (__) i more the more you put into (__) i

(même traduction).

Dans (24a), where permet une paraphrase par ‘dans laquelle’ (c’est-à-dire, dans un de ces domaines de recherche) et une CC inversée est donc acceptable (cf (24b)), mais la paraphrase ‘pour laquelle on pourrait dire : … ‘est également possible. Dans ce cas, il n’y a pas de lien avec l’antécédent dans C1 ou C2 (comme c’est le cas dans (22a-c)), ce qui est indiqué par les parenthèses autour du gap. Dans (25a), where n’est clairement pas locatif, car on a déjà un complément locatif/directionnel (into it) dans C1 et car C2 ne pourrait pas être réconstruite comme *you enjoy it more in this subject (it étant déjà une anaphore). Where est donc sans doute un relativiseur non-locatif dans cet exemple et une CC inversée n’est pas possible (cf (25b)). En revanche, avec that, which ou Ø comme relativiseur, une telle CC inversée serait possible, mais comme nous le verrons dans la section suivante, un pronom résomptif dans la protase est employé plus fréquemment qu’un gap.

3.3.2. Liens avec l’antécédent ou le pronom relatif dans une CC normale

Le nombre de gaps dans C1 ou C2 d’une CC normale est étonnamment bas (cf Figure 2). Il n’y a donc pas d’extraction ordinaire d’une CC, qu’on pourrait alors appeler « une presqu’île ».

Figure 2 : Liens avec l’antécédent ou le pronom relatif dans C1 et C2 d’une CC normale.

On peut aussi constater qu’un gap est plus fréquent dans C1 que dans C2 (21 vs 4 occurrences). En plus, la différence entre C1 et C2 par rapport à la distribution d’un gap versus d’autres liens est statistiquement significative 2 = 12.48 ; p <.001). Cela veut dire que des phrases comme (26a) et (27a), avec un gap dans C1 et pas de lien dans C2, sont plus courantes que des phrases comme (26b) et (27b), sans lien dans C1 et avec un gap dans C2. En fait, la base de données ne contient qu’un seul cas comme (26b)-(27b) :

(26) a. This is the sort of problem which the sooner you solve __i, the more easily you’ll satisfy the folks up at corporate headquarters (= (5))

‘Ceci est le type de problème quei plus vite tu lei [gap dans l’original] résous, plus facilement tu satisferas les gens au siège social’

b. The folks up at corporate headquarters are the sort of people whoi the sooner you solve this problem, the more easily you’ll satisfy __i (= (6))

‘Les gens au siège social sont le type de gens quei plus vite tu résous ce problème, plus facilement tu lesi [gap dans l’original] satisferas’

(27) a. … it is one of those thingsi that the more you think about __i the more worried you get] (phrase 11 dans la base de données)

‘… c’est une de ces chosesi que plus on yi [gap dans l’original] pense, plus on s’inquiète’

b. It’s one of those thingsi that the more successful you are the more you put into __i. (phrase 24 dans la base de données)

‘C’est une de ces choses que plus on a du succès, plus on yi [gap dans l’original] investit’.

Comme l’observent Culicover & Jackendoff (1999, 2005), C1 dans la CC n’est syntaxiquement pas une clause vraiment subordonnée, car si c’était le cas, un gap ne serait pas possible. Comparez (27a) avec (28) :

b. … it is one of those thingsi that if you think about {iti / *__i}, you get very worried

(litt.) ‘… c’est une de ces choses que si on y pense, on s’inquiète beaucoup’.

Cependant, les chiffres résumés dans la Figure 2 nous montrent que C1 n’est pas une clause parfaitement isomorphique de C2 non plus : son comportement en ce qui concerne le lien avec l’antécédent est apparemment assez différent de celui du C2. Pourtant, on peut douter qu’il s’agit ici d’une différence syntaxique et non pas discursive.

3.3.3. Liens avec l’antécédent ou le pronom relatif dans une CC inversée

De manière très différente de ce qu’on a vu pour les CCs normales, il n’y a pas de gaps dans C1 tandis qu’il y a toujours un gap dans C2 dans une CC inversée (cf Figure 3) :

Figure 3 : Liens avec l’antécédent ou le pronom relatif dans C1 (l’apodose) et C2 (la protase) d’une CC inversée.

On pourrait alors déduire de ces chiffres que l’inacceptabilité de (16) et (17) dans la section 2 (il s’agissait, rappelons-le, d’exemples de Culicover & Jackendoff (1999) comme ?? This is the problemi that you’ll beat the competition more easily, the sooner you solve __i,) n’est pas liée seulement à l’occurrence d’un gap dans C1, mais aussi à la non-occurrence d’un gap dans C2. Pourtant, la Figure 3 suggère qu’un gap dans C1 et un élément résomptif dans C2 ne sont pas totalement exclus. Les exceptions apparentes sont les suivantes :

(29) Carpet underlay is one of those productsi that __i gets cheaper the more (__i) you buy (phrase 171 dans la base de données)

(litt.) ‘La thibaude est un de ces produitsi qui [gap dans l’original] devient plus bon-marchée plus (__i,) on achète’

(30) Anathema are one of those bandsi that the more you see them1 ; theyi just get better and better (phrase 216 dans la base de données)

‘Anathema est un de ces groupesi que plus on lesi voit, ilsi deviennent toujours meilleurs’.

On pourrait analyser (29) comme contenant un gap insulaire (« island gap »), si l’on reconstruit la phrase avec le syntagme nominal the more carpet underlay (plus de thibaude ; c’est-à-dire, plus grande quantité de thibaude), dans lequel more est un déterminant quantificatif. Cependant, une autre analyse est possible, dans laquelle more serait un pronom quantificatif, fonctionnant tout seul comme le COD de buy. Dans ce cas-là, il n’y a pas de gap dans C1. Pour ce qui est de l’exception apparente dans (30), il est à noter qu’on a affaire ici à une CC doublement inversée (C1 précède C2, comme dans une CC normale), et qu’un gap dans C2 est rendu difficile par l’insertion de C1.

4. Discussion : un gap dans la position du sujet

L’étude de corpus nous a montré qu’un syntagme d’une CC qui est insérée dans une clause relative n’est pas toujours extrait de manière « correcte » : il y a souvent un pronom résomptif (ce qui est considéré comme non grammatical) ou même pas de lien du tout. Il y a aussi une grande différence entre une CC normale et une CC inversée. Le contraste entre ces deux types de constructions corrélatives comparatives est le plus clair si on compare des cas dans lesquels l’antécédent ou le pronom relatif est lié avec le sujet dans C2 :

(31) CC normale :

… one of those bands whichi the more you listen to {themi /__i}, the better {theyi / * __i} get

(litt.) ‘un de ces groupes quii plus on {les / __i} écoutes, meilleurs {ilsi /__i} deviennent

(32) CC inversée :

… one of those bands which {*theyi / __i} get better, the more you listen to {themi / *__i}]

(litt.) ‘… un de ces groupes quii deviennent meilleurs, plus on {lesi / *__i} écoutes.

En fait, comme nous l’avons déjà remarqué, une CC inversée n’est syntaxiquement pas très remarquable, car le type de lien dans C1 et C2 est le même que dans le cas d’une phrase relative constituée d’une phrase principale avec une conditionnelle subordonnée :

(33) … one of those bands which {*theyi /__i} get better, if you listen to {themi / *__i} a lot

(litt.) ‘… un de ces groupes qui deviennent meilleurs, si on {lesi / *__i} écoutes beaucoup.

La C2 d’une CC inversée a toujours un gap, comme on l’a vu (§3.3.3.) et ce gap a presque toujours la fonction de sujet. Par contre, une CC normale n’a jamais un gap pour le sujet, ni dans C2, ni dans C1. La question à laquelle nous devrions trouver une réponse est donc celle-ci : pourquoi, dans une CC normale, le sujet ne peut-il pas être extrait sans pronom résomptif (cf (31), (14) et (15)) ? 11 Une explication à la possibilité d’extraire un objet mais non pas un sujet a été offerte par Taylor (2006, 2009), qui propose que the est un complémenteur. Cela semble pouvoir expliquer l’effet « that-trace » qu’on voit dans les exemples suivants, plus simples (cf. Huddleston, Pullum et al. 2002 : 953) :

(34) a. Whoi does she think [__i is the ringleader] ?

‘Qui est-ce qu’elle pense être le meneur ?’

b. *Whoi does she think [that __i is the ringleader] ? (effet that-trace) (même traduction)

(35) a. Who(m) i does she think [I punished __i] ?

‘Qui est-ce qu’elle pense avoir été puni par moi ?’ (mais notez que la subordonnée est à la voix active dans l’original)

b. Who(m) i does she think [that I punished __i] ? (pas d’effet that-trace) (même traduction).

Donc, selon Taylor (2006, 2009), on a le parallélisme suivant :

(36) a. *Which band did she say [thatcomp __ is awesome] ? (effet that-trace)

(litt.) Quel groupe disait-elle [qu’__ était fantastique] ?

b. *… a band which the more you

listen to, [[the better]comp___ gets] (id.)

(litt.) ‘… un groupe que plus tu l’écoute, [meilleur __ devient]’

(37) a. Which band did she say [thatcomp she liked __] ? (pas d’effet that-trace) (litt.) ‘Quel groupe disait-elle [qu’elle amait __] ?’ (id.)

b. … a band which the more you listen to, [[the more oftencomp you want to hear __]

(litt.) ‘Un groupe que plus tu l’écoutes, [plus souvent tu veux entendre __].

Pourtant, cette explication n’est pas satisfaisante. Pour comprendre pourquoi elle ne l’est pas, notons d’abord que le sujet d’une phrase subordonnée dans la CC peut être extrait tout de même. C’est surtout dans le deuxième constituant, probablement pour des raisons discursives, qu’on peut trouver une telle structure complexe. En voici quelques exemples authentiques tirés de l’internet :

(38) a. Neither property is more than an acre – which, the more I garden, the more I realize [__i is plenty to be getting on with]

(litt.) ‘Aucune des deux propriétés est plus grande qu’une acre – ce qui, plus je fais du jardinage, plus je me rend compte [__i est largement assez pour m’amuser]’

b. It’d be like having a continuous orgasm for weeks on end (which the more I think about __i, the more I’m realizing [__i isn’t as… orgasmic as it sounds])

(litt.) ‘Ce serait comme avoir un orgasme pendant des semaines entières, ce qui plus j’yi pense, plus je me rend compte que [__i n’est pas si… orgasmique que cela pourrait semble l’être]’

c. However, there’s just one thing… and this is somethingi that, the more I see iti, the more I think [__i is just a lame, lazy cliché] :…

(litt.) ‘Par contre, il y a une seule chose… et c’est quelque chosei qui, plus je la vois, plus je pense [__i n’est qu’un pauvre cliché facile] :…

d. All this driven by our own Lady Joan Bimson whoi, the more I see __i, the more I am convinced [__i doesn’t need rehearsing like the rest of us mortals]

(litt.) ‘Tout cela étant mené par notre propre Lady Joan Bimson quii, plus je lai vois, plus je suis convaincu [__i n’a pas besoin de répétitions comme nous, simples mortels].

L’observation qu’un sujet doit être subordonné pour pouvoir être extrait de manière « normale » remet en question la constatation récurrente qu’une structure contenant une phrase subordonnée rend l’extraction hors de cette structure plus difficile à traiter et à juger comme acceptable (cf Alexopoulou & Keller 2007, Frazier & Clifton 1989, Kluender & Kutas 1993)12. Néanmoins, la CC n’est pas la seule construction en anglais dans laquelle l’extraction d’un sujet n’est possible que dans une clause qui est subordonnée à la clause relative (cf Huddleston, Pullum et al. 2002 : 1083-1084) :

(39) a. *He’s the mani [__i attacked her]

(litt.) ‘Il est l’homme [__i l’a attaqué]’

b. He’s the man [they think [__i attacked her]]

(litt.) ‘Il est l’hommei [qu’ils pensent [__i l’a attaqué]].

On peut maintenant aussi comprendre pourquoi l’explication de Taylor (2006, 2009) ne peut pas être correcte. La différence de grammaticalité entre (39a) et (39b) n’est en tout cas pas liée à la présence ou non d’un complémenteur (comme dans le contraste entre (34a) et (34b)), car aucune des deux phrases n’en contient un. C’est donc plutôt le fait que le sujet est le sujet immédiat de la phrase relative qui l’empêche d’être extrait en laissant un gap dans (14), (15), (31) et (36b) et non pas un statut de complémenteur du syntagme comparatif.

En fait, il y a deux conditions pour l’extraction d’un sujet : non seulement le sujet doit-il être le sujet d’une phrase subordonnée dans C1 ou C2, mais le comparatif précédent doit aussi être exophrastique (cf section 2). Ces deux conditions doivent être satisfaites en même temps. L’exemple suivant contient un gap dans la position de sujet d’une phrase subordonnée mais le syntagme comparatif précédent (avec l’index ‘j’) a la fonction de complément prédicatif du sujet et n’est donc pas exophrastique :

(40) … it was one of those ideasi that the more you looked into the concept, the more multi-layeredi you realised [{iti /*__i} was __j]

‘… c’était une de ces idées que plus on examinait le concept, plus on se rendait compte que cela fonctionnait sur plusieurs niveaux’ (litt. : ‘… plus stratifiéi on se rendait compte qu’ [{ellei / *__i} était __j].’

Cet exemple illustre très bien l’importance de la distinction entre comparatif endophrastique et exophrastique. Vu son rôle extérieur à la proposition (son rôle « extra-prédicatif »), on pourrait être tenté d’expliquer un comparatif exophrastique comme le résultat d’un processus de grammaticalisation. En effet, je propose qu’un schéma constructionnel de forme the more/less/longer [proposition] est disponible aux locuteurs avec un comparatif qui cadre la proposition de façon quasi-épistémique ou temporel. Ce qui est assez surprenant, c’est qu’un tel schéma ne s’est pas formé récemment, car on le trouve déjà dans les Canterbury Tales de Chaucer :

(41) Thou liknest it also to wilde fyr ;

The moore it brenneth, the moore it hath desir

To consume every thyng that brent wole be

‘Vous le comparez aussi au feu grégeois ;

Plus cela brûle, plus cela a le désir

De consumer tout ce qui peut être brûlé’

(Geoffrey Chaucer, Canterbury Tales, The Wife of Bath’s Prologue, XIVe siècle).

D’ailleurs, l’emploi des syntagmes comparatifs exophrastiques n’est pas unique pour l’anglais. Comme l’observent Cappeau & Savelli (1995), plus/moins peut contenir une quantification (ou même une comparaison) dans sa portée :

(42) a. Plus il mange peu, plus il s’affaiblit (Cappeau & Savelli 1995 : 178)

b. Plus ton angle est moins grand, moins tu dois pagayer plus fort ! 13.

En plus, on peut trouver des CC en français dans lesquelles plus/moins n’est pas extrait d’un syntagme nominal [plus/moins de X] montrant une sorte de quantification à distance (Obenauer 1983) pareille à Combien as-tu rencontré de gens ? (cf. (43a)), mais dans lesquelles plus/moins est plausiblement analysé comme un comparatif exophratique « préinstallé » (cf. (43b)) :

(43) a. Plus il rencontre de gens nouveaux, plus il est content (Abeillé & Borsley 2008 : 1149)

b. au contraire plus il rencontre des gens, plus il est seul14.

5. Conclusion

Dans ce texte, j’ai montré, en utilisant des données d’usage authentiques, que la corrélative comparative (CC) insérée dans une clause relative est une presqu’île. Cela veut dire qu’il n’y a pas souvent un gap dans C1 (la protase) ou C2 (l’apodose). On a plus fréquemment un pronom résomptif – ce qui est un défi à la proposition selon laquelle un tel pronom est non grammatical – ou en fait pas de lien du tout :

(44) This is the sort of musici that the more you hear iti, the more you feel sad

‘C’est le genre de musiquei que plus tu li’entends, plus tu te sens triste’.

Les CCs dans des clauses relatives sont révélatrices à plusieurs égards. D’abord, les éléments relatifs ont une distribution différente qu’ailleurs : on trouve le complémenteur that le plus souvent, et plus fréquemment qu’attendu. L’élément relatif where est aussi plus fréquent qu’attendu, cet élément n’est pas employé comme un relatif locatif et on ne le trouve qu’avec la CC normale (the more… the more…). That et where soulignent le caractère insulaire de la CC, dans la mesure où ces éléments ont souvent un sens qu’on pourrait traduire par ‘tel (le(s)) que’ ou ‘dont on pourrait dire que’.

En deuxième lieu, nous avons vu qu’une CC dite ‘normale’ (par ex. (45a)) est en fait beaucoup moins normale qu’une CC inversée (par ex. (45b)), qui dans une clause relative a sans exception un gap dans C2 et typiquement un pronom résomptif dans C1, tout comme une clause relative contenant une clause conditionnelle ou temporelle (par ex. (45c)) :

(45) a. CC normale (C1 – C2)

the sort of musici that the more often you hear {__i. / iti},

the more {*__i / iti} surprises you

‘le genre de musique que plus souvent tu l’entends, plus elle te surprise’

b. CC inversée (C2 – C1)

the sort of musici that {__i / *iti} surprises you more, the more often you hear {*__i / iti}

(même traduction)

c. principale + temporelle :

the sort of musici that {__i / *iti} surprises you a lot when you hear {*__i / iti} often

‘le genre de musiquei qui tu surprise beaucoup quand tu l’entends fréquemment’.

La distribution de gaps versus d’autres liens avec l’antécédent ou le pronom relatif dans C1 versus C1 est plus équilibrée dans la CC normale que dans la CC inversée, mais même dans une CC normale, on a plus souvent un gap dans C1 que dans C2 (et (45a) est donc typique à cet égard). L’étude de corpus a relevé une asymétrie entre C1 et C2 en ce qui concerne l’emploi des liens avec l’antécédent ou le pronom relatif. Toutefois, cette asymétrie peut être considérée comme se situant au niveau discursif et non pas au niveau syntaxique. Comme Taylor (2006, 2009) l’avait déjà montré, C1 aussi bien que C2 ne permet pas un gap pour un sujet lié avec l’antécédent ou le pronom relatif ; mais nous avons rejeté son explication pour la raison suivante : le syntagme comparatif ne fonctionne pas comme un complémenteur qui déclenche l’effet « that-trace ». Nous avons plutôt indiqué l’importance d’un comparatif exophrastique, en combinaison avec une subordination plus profonde, comme facteur permettant un gap en fonction sujet :

(46) the sort of musici that the more you realise __i is just commercial rubbish, the more you are convinced __i will not pass the test of time ‘le genre de musique que plus tu te rends compte qu’elle est de la camelote commerciale, plus tu es convaincu qu’elle ne résistera à l’épreuve du temps’.

Enfin, nous avons vu deux raisons liées pour traiter la CC comme plus idiosyncrasique que même les défenseurs de cette conception ne l’ont décrite : non seulement le syntagme comparatif de C1 ou celui de C2 n’a pas toujours son « origine » dans la clause qu’il précède – on parle alors d’un comparatif exophrastique – mais 1 ‘antécédent ou le pronom relatif d’une clause relative qui est constituée d’une CC ne peut pas toujours être lié avec cette CC de manière « normale » – c’est-à-dire, au moyen d’un gap – non plus.

Pour de futures recherches, il serait intéressant de savoir si les caractéristiques de la CC en anglais par rapport au liage sont spécifiques à cette langue ou si elles peuvent être trouvées aussi dans d’autres langues. Quant au français, à en juger par les exemples authentiques suivants, on peut y observer une variation comparable dans le type de liens entre l’antécédent et C1 et C2.

(47) a. gap dans C1 et dans C2 :

… c’est le genre de chanson que plus j’entends __i, plus je vais apprécier __i15

b. gap dans C1, pas de lien dans C2 :

… le genre de rire [fou] que plus t’essaies de retenir __i, plus tu ris fort… 16

c. lien indécis dans C1, pas de lien dans C2 :

… franchement c’est le genre de truci que plus tu lis __i ? moins tu peux t’arrêter… 17

d. pronom résomptif dans C1 et dans C2 :

… le genre d’albumi que plus on li’écoute, plus on li’apprécie ! 18

e. pronom résomptif (sujet) dans C1, pas de lien dans C2 :

Price est le genre de gardien que plus ili fait des arrêts, plus l’adversaire se dit que ce sera une soirée difficile en offensive19

f. pas de lien dans C1 ni dans C2 :

C’est le genre de situationsi que plus nous questionnons les gens, plus nous devenons confus à entendre toutes les réponses divergentes20.

La question nouvelle qui se pose est de savoir comment concilier la proposition faite plus haut, à savoir que la CC en anglais est plus idiosyncrasique que l’on aurait pu le croire, avec cette observation-ci, que la CC en français manifeste une même sorte de déviation par rapport à la norme grammaticale. Tournons la question autrement : est-il possible que l’idiosyncrasie de la CC anglaise soit compatible avec la grammaire universelle, ou, en tout cas, qu’elle n’implique pas une spécificité langagière ?

____________

1 Ma traduction (B.C.) de l’original : « The CC construction has proven in numerous respects to behave unlike more familiar ‘core grammar’ » (Culicover & Jackendoff 1999 : 569).

2 Ma traduction (B.C.) de l’original : « .the construction exhibits a very high degree of crosslinguistic consistency and… its syntax is that of a well-behaved correlative, analyzable in keeping with the principles and parameters of UG » (Den Dikken 2005 : 498).

3 Ma traduction (B.C.) de l’original : « … each of its clauses displays an ordinary long-distance dependency » (Culicover & Jackendoff 1999 : 543).

4 Avec Huddleston, Pullum et al. (2002), je traite which et who (m) comme des pronoms relatifs mais that comme un complémenteur. Par conséquence, notez que dans (5) et (6), which et who font partie de la clause relative (qui contient la CC) et sont analysés comme éléments extraits d’une position de base dans la CC, tandis que dans (7) that se trouve à l’extérieur de la clause relative et (étant un complémenteur et non pas un pronom) n’a pas son origine dans la CC – c’est donc l’antécédent de la clause relative qui est co-indexé avec sa position de base ici. Dans les exemples qui suivent, je n’utiliserai plus de crochets, mais toujours des co-indices.

5 La phrase The older they get, the cuter they ain’t (‘Plus vieux ils deviennent, plus mignons ils ne sont pas’) qu’utilisent les tantes Patty et Selma dans un épisode des Simpsons peut être considérée comme une violation grammaticale intentionnelle.

6 http://www.gotitcovered.org.uk/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=6&Itemid=2, accédé le 18 décembre 2011.

7 http://www.publicspark.com/2009/03/12/10-tips-for-sleeping-well-and-overcoming-insomnia/, accédé le 18 décembre 2011.

8 Ma traduction (B.C.) de l’original : « our judgments are indeterminate with respect to whether a resumptive pronoun improves [16] and [17] » (Culicover & Jackendoff 1999 : 567 n. 13).

9 Voici les exemples que donne Radford (2010 : diapo 10) :

(i) They can produce things [that you go ‘Where did that come from ?’] (Graham Taylor, BBC R5)

‘Des fois ils produisent des trucs [que [=dont] tu dis « Où donc ont-ils trouvé ça ? »]’

(ii) This is a race [that you never know what is going to happen] (Anthony Davidson, BBC R5)

‘Ceci est une course [qu’ [=d’une sorte qu’] on ne sait jamais ce qui se passera]’

(iii) I think there’s a stat [that every game that Aquilani’s started for Liverpool, they’ve won] (Alan Green, BBC Radio 5)

‘Je pense qu’il y a une statistique [que [=telle que] chaque jeu qu’Aquilani a commencée pour Liverpool, ils ont gagné]’

(iv) We have the population [that football can be very healthy] (Sean Wheelock, BBC R5)

‘Nous avons une population [que [=telle que] le football peut être très prospère]’

(v) It’s one of those [that you just hope you miss the goalkeeper] (Andy Gray, SkyTV)

‘C’est un de ces ballons (?) [que [=dont] tu n’as qu’à espérer que tu manques le gardien]’.

Selon Radford, l’élément that dans une clause relative sans gap reçoit une interprétation générique et consécutive qui peut être paraphrasée comme ‘of such a kind that’ (‘tel (le(s)) que’).

10 Cf. Biber et al. (1999 : 610-611) pour des données quantificatives de la distribution générale des relativiseurs dans différents genres de l’anglais.

11 Les observations menant à cette question montrent que la généralisation linguistique qui aboutirait à affirmer que l’extraction d’un sujet est plus facile que l’extraction d’autres fonctions (pour un aperçu de la littérature théorique et expérimentale, cf. Kwon et al. 2010 : 1-2) n’est pas une règle absolue : on observe le contraire pour la CC.

12 Par exemple, Frazier & Clifton (1989) ont obtenu des temps de lecture différents pour des phrases comme (i) et (ii), deux phrases d’une même longueur mais d’une complexité différente : (i) mais non pas (ii) a une phrase subordonnée et c’est apparemment à cause de cela que (ii) prend plus de temps que (i) pour être lue.

Whati did Katie and Tom mail __i to New York ?

Whati did Sue think [Tom mailed __i to New York] ?

13 http://www.eauxvives.org/forum/viewtopic.php?f=8&t=4648&start=0&st=0&sk=t &sd=a&view=print, accédé le 30 décembre 2011.

14 http://www.jeuxvideo.com/forums/1-34-7731859-1-0-1-0-nabe-l-homme-qui-arreta-d-ecrire.htm, accé-dé le 30 décembre 2011.

15 http://ritualscan2.free.fr/viewtopic.php?f=18&t=1390&p=139987, accédé le 30 décembre 2011.

16 http://www.plusqueparfaite.com/2010/10/26/esprit-es-tu-la/, accédé le 30 décembre 2011.

17 http://forum.onepiecescan.com/viewtopic.php?t=2700&p=122383, accédé le 30 décembre 2011.

18 http://dev.ulb.ac.be/students/psycho/phpbb/viewtopic.php?f=1&t=1444&start=495, accédé le 30 décembre 2011.

19 http://blogues.cyberpresse.ca/gagnon/2011/11/20/new-york-new-york%E2%80%A6/, accédé le 30 décembre 2011.

20 http://www.cultureaventure.ca/?p=4109, accédé le 30 décembre 2011.