De l’anaphore à la corrélation, en passant par la subordination en hindi moderne
Les langues indo-aryennes présentent encore aujourd’hui un système corrélatif (diptyques dont les deux membres sont introduits par des morphèmes corrélés) bien vivant, mais ce système ne représente plus la seule possibilité pour marquer les relations de dépendance dans la phrase. Tel était le cas en sanskrit, langue à l’origine de tous les parlers indo-aryens : Renou (1930) et surtout Minard (1936) ont nettement suggéré qu’en sanskrit, la subordination (au sens restreint du terme : cf section 2) n’existe pas, Minard divisant même sa syntaxe en deux parties, l’une sur le diptyque corrélatif du type yah… sah ‘lequel/qui… celui-ci/ il’ et l’autre sur les formes dérivées du type yavat… tavat ‘ainsi... alors’. L’un comme l’autre mentionne le converbe dit dans la tradition française « absolutif » (V-ya/tva, invariable) et « participe conjonctif » dans la tradition anglosaxone, qui sert à coordonner deux procès ainsi qu’à construire diverses relations de dépendance, et dont l’introduction en sanskrit est fréquemment attribuée au substrat ou à l’influence du dravidien. L’indo-aryen moderne illustré ici par le hindi/ourdou, qui hérite du sanskrit les corrélatives, hérite aussi du dravidien le converbe, ainsi que peut-être son ordre rigide à tête finale SOV1, mais dispose en outre d’un système de subordination avec un inventaire de conjonctions qui fournissent le moyen de hiérarchiser diverses propositions à verbe fini. Est-ce à dire que l’héritage de la corrélation ne survit plus qu’à titre de vestige historique concurrencé par les deux systèmes d’hypotaxe ?
1. Le système corrélatif en Hindi moderne
Le hindi moderne hérite le système corrélatif du sanscrit, comme le suggère la morphologie des rélatifs (jo < yah ‘qui’, yadi ‘si’) et des corrélatifs ou résomptifs qui les anaphorisent (voir 2.3). Toutes les relations de dépendance à verbe fini procèdent de ce paradigme morphologique, qu’illustre le plus clairement la relativisation du nom, équivalent de notre proposition relative.
1. 1. Les données : la corrélative sur syntagme nominal et ses explications
Pour ce qui est des noms relativisés (proposition relative du français), la première opposition observable entre corrélative et relative simple à tête externe en hindi correspond à l’opposition entre déterminative restrictive et appositive descriptive. Avec une expression nominale au pluriel précédée du corrélatif jo et anaphorisée dans la seconde proposition par le pronom résomptif ve, la corrélative (1a) s’oppose clairement à la relative postposée à son antécédent (1b) en ce qu’elle opère une extraction sur l’ensemble des éléments de la classe à quoi renvoie le nom : (1a) renvoie à la seule fraction laborieuse des Japonais, excluant les Japonais non laborieux, alors que (1b) renvoie à l’ensemble de la classe des Japonais, supposée entièrement laborieuse :
(1) a. jo jâpânî mahnat-se kâm karte hain ve amîr hain (hote hain)
rel Japonais peine-avec travail faire pres.3p dem1 riche être.pres.3p (exister.pres.3p)2
Les Japonais qui travaillent dur sont riches
b. jâpânî jo mahnat se kâm karte hain amîr hain (hote hain)
Japonais rel peine avec travail faire pres.3p riche être.pres.3p (exister.pres.3P)
Les Japonais, qui travaillent dur, sont riches
(2) jo mahnat se kâm kartâ hai vah amîr hai (hotâ hai)
rel peine avec travail faire pres.3s 3ms riche être.pres, 3s (exister. pres.3s)
Celui qui travaille dur est riche.
La lecture générique est possible (requise avec la forme longue du verbe « être » : hote hain/hotâ hai qui exclut la spécificité) mais elle n’est obligatoire ni pour les corrélatives incluant un nom (1) ni pour celles qui équivalent à une relative « libre » : ce n’est pas ce qui distingue les corrélatives des relatives.
Toutes les corrélatives sont déterminatives, mais toutes les relatives à antécédent (non corrélatives) ne sont pas appositives : un antécédent quantifié par un indéfini ou un numéral (quantifieur non universel) est obligatoirement relativisé par le type (b) et non (a). Les déterminatives sur des indéfinis comme « quelqu’un », « un X », « un tel », de même que « le seul », « le premier », « le dernier », n’acceptent pas la construction corrélative, quelle que soit leur interprétation (spécifique comme en (3b) ou comme en (3a) générique) :
(3) a. main ek naukar ko khoj rahâ hû jo acchâ kâm kare
1s un domestique acc chercher prog prst.1s rel bon travail fairesubj.3s
Je cherche un domestique qui travaille bien
b. Hilary pahlâ âdmî hai jo Everest par caRhâ
Hilary premier homme être.3s rel Everest sur grimper.aor.3s
Hilary est le premier homme qui a fait l’ascension de l’Everest.
Le relatif reste, dans sa proposition, in situ – comme l’interrogatif ou l’exclamatif –, ainsi que le pronom résomptif dans la sienne (4a) : l’ordre dominant en hindi étant à tête finale, le nom recteur précédant le nom régi, le relatif peut intervenir après le complément de nom (4b), après le complément d’attribution si l’expression relativisée est un objet direct (4c) puisque les compléments les plus proches sont les plus à droite :
(4) a. jo admî kal âegâ main tumhen uske bâre-men batâ cukâ hûn
rel homme demain venir.fut.3s 1s 2.dat dem1 au-sujet parler term pres. 1s
Je t’ai déjà parlé de l’homme qui viendra demain
b. videsh kî jo mahilâen tere sâth thîn maîn unko jântâ hûn
étranger de rel femmes 2s avec étaient 1s dem 1.acc connaître.pres.1s
Je connais les femmes étrangères qui étaient avec toi.
c. hamen us laRkî ke-lie jo hâr kharîdnâ thâ vah na kharîd pâe
1 p.dat cette fille pour rel collier acheter fallait dem1 neg acheter pouvoir.
aor.mp
Nous n’avons pas pu acheter le collier qu’il nous fallait acheter pour cette fille3.
L’essentiel des études récentes sur la corrélative ont été menées dans le cadre de la théorie chomskyenne et reflètent les recherches sur les rapports de la relative et de l’interrogation (wh-), à l’exception de Rebuschi (2001a).
La principale différence avec la relative à antécédent (non corrélée) sur laquelle toutes les analyses s’accordent (Bhatt 2003, Mahajan 2000, Dayal 1995, 1996, Srivastav 1991) est que la corrélative (qui n’est pas dérivée de la relative) n’est pas générée au niveau du syntagme nominal mais au niveau de la phrase, et que par ailleurs elle ne monte pas au niveau Spec, Top P, restant donc soumise à la localité. Elle peut en effet se trouver à droite d’un thème cadre (frame topic), comme dans (5), emprunté à Dayal (1996), bien qu’elle soit elle-même thématisable comme les thèmes ordinaires (aboutness topic) :
(5). kal jo vahân khaRî hai râm us laRkî se milegâ
demain rel ici debout être.pres.3s Ram dem1 fille soc rencontrer. fut.3s
Demain, Ram rencontrera (a rendez-vous avec) la fille qui se tient ici.
Considérée comme un adjoint (d’où les études sur les similitudes et différences avec la dislocation à gauche : Choi-Jonin 2009, Lipták 2009 : 29), la correlative « left adjoined » est selon Dayal, auteur des analyses les plus intéressantes, un quantifieur universel qui lie une variable à l’intérieur de IP. Elle ne peut en effet correspondre à un nom indéfini ou quantifié par autre chose qu’un quantifieur maximal (sab ‘tous’, Numéral-on ‘tous les-Numéral’), la reprise n’étant possible que par le résomptif défini et/ou un quantifieur maximal, comme l’indique (6), adapté de Dayal 1995 :
(6) a. jo laRkiyân yahân khaRî hain ve sab/ ve donon / sab donon lambî hain
rel filles ici sont.debout dem1 toutes/ dem les.2/ toutes les.2 grandes sont
The girls / all the girls/ the two girls who are standing are tall
b. *jo laRkiyân yahân khaRî hain do/ kuch /kaî lambî hain
rel filles ici sont.debout 2/ quelques.2/ plusieurs grandes sont
Deux / quelques / plusieurs, filles qui sont debout sont grandes.
Dans les termes de Dayal (1996 : 13), « la proposition relative dénote l’ensemble de propriétés de l’unique individu (maximal) pour lequel vaut ce qui est prédiqué dans la relative. Le pronom dans la principale est traité comme une variable qui en est abstraite pour se combiner avec la proposition relative. La phrase complète est vraie si et seulement si la propriété dénotée par la proposition principale est l’une des propriétés de la relative » (relation de liage : respect de la localité). « L’unique individu » correspond, si le nom est au pluriel, à l’individu maximal pluriel (« those individuals who uniquely satisfy maximality ») : (6a) par exemple atteste que l’individu maximal pluriel, qui est fille (toute la classe des filles prise en considération), est grande, et (5) atteste que l’individu unique maximal qui est fille (cette fille) a rendez-vous avec Ram.
Cela rapproche les corrélatives hindi des « free relatives » de l’anglais, que Dayal analyse comme des descriptions définies, partageant l’une comme l’autre deux interprétations, l’interprétation « unique » et l’interprétation « universel », même en présence d’un opérateur de parcours (ever en anglais, bhî en hindi), l’interprétation unique étant corrélée à l’identité, et l’interprétation universelle (free choice reading) à la généricité, le temps-aspect étant seul discriminant : interprétation identité unique en (7a) avec le présent actualisé, spécifique, interprétation générique en (7b) avec le présent général :
(7) a. jo bhî laRkî mahnat kar rahî hai vah saphal hogî
rel indéfini fille peine faire prog pres.3s dem1 réussi être.fut.3f
La fille quelle qu’elle soit qui fait des efforts réussira
b. jo bhî laRkî mahnat kartî hai vah saphal hogî
rel indéfini fille peine faire pres.3s dem1 réussi être.fut.3f
Toute fille qui fait des efforts réussira.
Cf. les énoncés anglais respectivement whatever movie is playing at the Avon is making a lot of money vs whatever movie plays at the Avon makes a lot of money.
1.2. Le système corrélatif dans son ensemble : relativisation d’un NP, d’un adjectif, d’un adverbe de lieu ou de temps
Quand on situe la corrélativisation de l’entité nominale dans l’ensemble du système, on constate qu’elle couvre toutes les relations d’hypotaxe, de la comparative (qualitative (8b) et quantitative (8a)), à la circonstancielle de lieu (8c), de temps (8d), ainsi qu’à l’hypothétique (8e) et à la concessive (8f) :
(8) a. sîtâ jitnî lambî hai maîN utnî hî hûn
Sitaautant.fs grande être.3s 1s autant.fs just être.pres.l
Je suis juste/exactement aussi grande que Sita
b. jaise maîNne kahâ vaise karo
comme 1s-erg dire.aor.ms ainsi faire.imper
Fais comme je te dis
c. jahân bhî tumjâoge, vahân maîn bhî jâûgî
où que-ce-soit 2 aller.fut.2m là 1s aussi aller.fut.lfs
J’irai partout où tu iras
d. jab ham logon ne pûcchâ to/tab vah bolâ
quand 1p gens erg demander.aor.ms alors 3s dire.aor.ms
Quand on lui demanda, il dit
e. yadi âpne davâiyân na bhejî hotîn to vah mar-gayâ hotâ
si 2 p.erg médicaments neg envoyer irréel2 alors 3s mourir irréel2
Si vous n’aviez pas envoyé de remèdes, il serait mort
f. yadiapi âpne davâiyân bhejîn to/phir bhî vah mar-gayâ
même-si 2 p.erg remède.fp envoyer aor.fp alors/pourtant 3s mourir.aor.ms
Même si vous aviez /bien que vous ayez envoyé des remèdes, il est mort.
(8a) qui introduit une comparaison (quantité égale) présente deux bases adjectivales clairement dérivées des mêmes thèmes que ceux de la corrélative, (8b) présente la forme adverbiale (-e) du morphème par ailleurs aussi adjectival (jaisâ… vaisâ ‘tel’) qui exprime l’identité de qualité. (8c) présente des adverbes de lieu (auquel on peut ajouter la paire dynamique jidhar… udhar) et (8d) des adverbes de temps, le to résomptif qui peut alterner avec tab dans le système temporel ajoutant une nuance d’enchaînement logique. C’est également to qui corrèle une principale à une hypothétique (8e), elle-même introduite par le morphème sanscrit yadi ou l’emprunt persan (du turc) agar.
S’il est vraisemblable que toutes ces corrélatives correspondent à des descriptions définies (l’étude n’a pas encore été faite), il est certain que toutes contiennent une variable (le « relatif » en j- ou y- de la proposition 1) liée au résomptif de la proposition 2. L’analyse énonciative que fait dans cet ouvrage Sylvie Mellet des corrélatives latines, pour le diptyque dit normal rend bien compte des données hindi. La construction de la variable en P1 correspond dans la série (8) à une opération de parcours (parcours de la classe des occurrences possibles de la notion, ici prédicative), la valeur définie qui permet de stabiliser l’occurrence étant donnée par P24. Le résomptif de P2 identifie la valeur de la variable de P1 par fléchage (opération d’identification portant sur une extraction : de quelque nature/taille que soit X : cette taille/nature, où que ce soit : là), P2 validant toutes les propriétés posées par P1 et leur donnant un ancrage situationnel, la variable contenue dans P2 étant instanciée par les propriétés de la variable qualifiée de P1.
Ce qui est particulier toutefois au hindi (à l’indo-aryen en général), c’est que la construction de la première variable n’est pas le produit d’une opération de quantification (ou de parcours dans le cadre des opérations énonciatives) issue du marqueur utilisé5 : alors que le latin comme le français ou l’anglais a pour thème relatif une base en wh- / qu-, le hindi a un thème d’origine démonstrative (cf. section 2). L’opération de fléchage intervient donc entre deux variables toutes les deux d’origine démonstrative et fonctionnant comme anaphorique ou cataphorique. L’une renvoie en boucle à l’autre (double identification en miroir), d’où, peut-être la fréquence du diptyque « normal » par rapport au diptyque « inversé » : le fléchage opéré par la seconde variable (résomptif) nécessite une extraction préalable.
Dans le diptyque normal, P1 sert clairement de thème à P2, posant le terme à propos duquel va être prédiqué quelque chose. C’est du reste la fonction principale que Gupta (1986) assigne à la corrélative hindi, essentiellement « topicalisante », et l’ordre dit « normal » est effectivement le seul non marqué car il est le seul à autoriser l’extraposition de certains éléments de la proposition : (9), emprunté à Dvivedi (1994) montre qu’à partir de l’ordre normal (9a) on peut extraposer le prédicat de la relative pour en faire un thème principal, en standard dans l’exemple et en italique dans la traduction (9b), l’élément relativisé étant thème secondaire (de la proposition enchâssée), alors que les ordres alternatifs (9c-d) n’autorisent pas l’extraposition :
(9) a. jo makân tum kharîdnâ câhtî thîn vah bik cukâ hai
rel house 2 buy.inf want impft dem1 be.sold term pft
The house that you wanted to buy has just been sold
b. kharîdnâ merâ khyâl hai ki jo makân tum câhtî thîn vah bik cukâ hai
buy my though is that rel house 2 want.impft dem1 be.sold term pft
I think that the house you wanted to buy has already been sold
c. *kharîdnâ merâ khyâl hai ki vah makân bik cukâ hai jo tum câhtî thîn
buy my thougjt is that dem1 house be.sold term pft rel 2 want.impft
d. *kharîdnâ merâ khyâl hai ki vah mâkân jo tum câhtî thîn bik cukâ hai
buy my thought is that dem1 house rel 2 want.impft be.sold term pft.
Dans le diptyque inversé, le « résomptif » vah est suivi du nom relativisé dans P1, et P2, qui contient le relatif j-, fournit une indication qu’on peut interpréter comme un contre-thème (l’anti-topic de Chafe 1976), mais qui repose sur le fait que l’information est supposée partagée par les participants du discours. Ce rappel d’information additionnel, sous forme de post-rhème (Morel & Danon-Boileau 1998), ne modifie que la structure informative, le sens étant toujours déterminatif et défini, et la forme du morphème résomptif restant contrainte (démonstratif distal/ pronom personnel en v-, et non le déictique proximal en y-). Ainsi (10a) correspond au diptyque normal de (10b) :
(10) a. ve /* ye log â gae jinkâ intazâr kar rahâ thâ
dem1/*dem2 gens venir aller.aor.mp rel.gen attente faire prog impft
Les gens que (j’) attendais sont arrivés/ils sont arrivés, les gens que j’attendais6
b. jin logon kâ intazâr kar rahâ thâ ve â gae
rel gens de attente faire prog impft 3p venir aller.aor.3p
Les gens que (j’) attendais (ils) sont arrivés.
Un troisième ordre est possible, parfois considéré comme une extraposition (Subbarao 1984 : 102sq)7, mais nettement plus rare : il conserve le modèle morphologique des corrélatives, vah étant corrélé à jo, mais avec la relative médiane, et l’ordre constitue l’ensemble de l’énoncé (sans pause) comme un énoncé entièrement rhématique :
(10) c. ve log jinkâ intazâr kar rahâ thâ âkhir â gae
dem1 gens rel.gen attente faire prog impft finalement venir aller.aor.3p
Les gens que j’attendais sont arrivés.
Une raison supplémentaire de privilégier la fonction topicalisante du diptyque normal (et la fonction d’anti-topique du diptyque inverse) est le statut particulier des hypothétiques en hindi. Contrairement aux autres corrélatives, elles n’alternent jamais avec des relatives simples (à antécédent pour le nom, sans corrélatif pour les subordonnées circonstancielles), et se présentent toujours dans l’ordre de (8e) : P1 introduit par l’élément relatif en y- (yadi est le terme sanskrit qui est à l’origine des termes en j- de l’indo-aryen moderne, cf 2), P2 toujours corrélé par la base déictique to. Lorsque le réemprunt sanskrit yadi alterne avec l’emprunt turc agar ‘si’, le corrélatif reste le même (to ‘alors’)8. Le système hypothétique étant toujours corrélatif, on peut donc le considérer comme l’exemple le plus typique de la corrélation hindi, comme le fait Rebuschi (2001a) pour les corrélatives du basque, qu’il considère comme des variantes de la conditionnelle. Or on sait (Haiman 1978 : « Conditionnals are topics ») que les conditionnelles fonctionnent comme des thèmes, P1 fournissant le cadre interprétatif de P2. L’argument est d’autant plus convaincant pour le hindi que la particule thématique est précisément to (Montaut 2001, 2012 : 188-91) :
(11). main to jâûngâ
1s T aller.fut.1ms
Moi, j’irai.
La recaractérisation de to comme particule thématique peut (entre autres) s’expliquer par le fait que le morphème ouvrant la protase est ommissible en hindi (12a) mais jamais le morphème « résomptif » ouvrant l’apodose, requis même dans les phrases suspendues ne comportant que la protase (12b), ce qui place to exactement dans la position de la particule thématique, à droite de l’élément sur lequel elle porte (position des « complémenteurs » du dravidien, cf Steever 1991) :
(12) a. [agar/yadi] bârish ho gaî to ham film dekhne jâenge
si pluie être aller.aor alors 1p film voir inf aller.fut.1mp
S’il pleut, on ira au cinéma
b. bârish ho gaî to ? (bârish ho gaî)
pluie aller.aor to pluie aller. aor
(Et) s’il pleut ? il a plu
c. mashai peit.âl…
pluie tombe.quotatif (tamoul)
S’il pleut… (lit. disant il pleut).
Dans le diptyque complet, c’est la position (avec le sens) qui assure à la protase une fonction thématisante. Avec la troncation de l’apodose, la marque to est à la fois ce qui thématise la proposition et appelle l’apodose. On pourrait considérer le rôle thématisant de la particule discursive to comme un héritage de la structure thème protase/rhème apodose, dans la mesure où dans le système hypothétique, le résomptif to est intonativement l’élément final de la protase. La protase dans toutes les corrélatives constitue le point de départ de ce que H. Weil déjà appelait en 1844 la marche des idées, la protase constituant le but ou le point d’arrivée, ce que l’énonciateur souhaite communiquer de nouveau et mettre en évidence. L’ordre canonique de la corrélative hindi (protase apodose) serait tel parce qu’il correspond à celui du constituant thématisé suivi de ce qui en est prédiqué ou est prédiqué à partir du repère qu’il pose, la relation des deux propositions étant une relation de localisation de la seconde par rapport à la première, ou encore une relation thème-rhème. Il y a co-dépendance et non dépendance orientée.
2. Origine des marqueurs
Comme le soulignent Renou et Minard, le système correlatif sanskrit est entièrement dérivé du diptyque de base yah… tah, les autres corrélatifs (manière, temps, lieu, etc.) étant formés par suffixation sur cette base (yathâ… tathâ, yadâ… tadâ, etc.). Si le système moderne illustré par la série (8) est moins transparent que celui du sanskrit, il n’en développe pas moins la même logique. Cela reste clair pour les relatifs en j-, qui représentent l’évolution régulière de la base ya- du sanscrit. Et si c’est aujourd’hui l’emprunt sanscrit yadi qui sert à introduire une hypothétique, c’était jusqu’au XIXe siècle encore sa forme populaire jo, signifiant donc aussi bien « si » que « qui ». Le système des pronoms résomptifs, moins transparent à première vue, présente dans la langue moderne deux types de base : la base en v- (vahân, vaisâ), à laquelle il faut associer celle en u- (utnâ ‘tant’, udhar ‘là-allatif’) car ce sont les deux formes, devant consonne et devant voyelle, de l’anaphorique et déictique9, et la base en t- (tab, to). Cette dernière est directement héritée du sanskrit, explicitement suffixée (-b) pour l’expression du temps (tab) et présentant pour l’enchaînement une forme anciennement suffixée aussi (tavat > tau > to). A cette base originelle to s’apparente en hindi ancien la base so, également originaire de la base pronominale du sanscrit où les formes en s- alternent avec les formes en t- dans le paradigme du pronom de troisième personne. So, toujours utilisé comme adverbe (‘ainsi’) en hindi moderne, était en hindi ancien le résomptif du système relatif, et s’observe encore dans les proverbes et locutions figées :
(13). jo honâ hai so hogâ
relêtre.inf être.pres.3s dem1 être. fut.3s
Ce qui doit arriver arrivera / si cela doit arriver cela arrivera ainsi.
La substitution de la nouvelle base en v-/u- à l’ancien résomptif en s-/t- maintient le système ancien puisque ce sont les déictiques distaux qui ont remplacé en hindi moderne l’ancien paradigme en s-/t- du pronom personnel de troisième personne. Un ancien résomptif tahân a d’ailleurs précédé jusqu’au XIXe siècle le moderne vahân pour le lieu, et on le retrouve dans les locutions vahân tahân, jahân tahân ‘ici et là, à divers endroits’. Et le diptyque jaise hî… vaise hî ‘dès que’, alterne encore aujourd’hui avec jyon hî… tyon hî, jyon étant la forme ancienne du comparateur, dans un paradigme dont l’adverbe yon/yûn ‘ainsi’ reste usité. Le matériel morphologique semble plus disparate qu’en sanskrit, mais le système conserve sa cohérence : thème relatif en y- (j-), thème pronominal (hérité du pronom sanskrit t- ou renouvelé par v-). Sur cette base, le même suffixe précise pour les corrélatifs et les résomptifs la sémantique de la dépendance : -ân pour le lieu, -dhar pour le déplacement (jidhar… udhar ‘là où’), -ab pour le temps, -aisâ pour la manière/nature, -tnâ pour la quantité. Et le même matériel morphologique, suffixé au thème interrogatif k-, fournit le paradigme des interrogatifs : kaun ‘qui’, kab ‘quand’, kahân ‘où’, kidhar ‘où’, kaise ‘comment’, kyon ‘pourquoi’, etc. Le paradigme interrogatif, formé sur la même base que celui du sanskrit, entre donc en système avec celui des corrélatifs, comme c’était le cas en sanskrit : ya- /ta- /ka- (kah ‘qui ? ‘, kadâ ‘quand ? ‘, kathâ ‘comment ? ‘), et comme l’illustre le tableau suivant10.
interrogatif | relatif | resomptif | |
(pro)nom | kaun | jo | vah |
manière | kyon | jyon | tyon |
qualité | kaisâ | jaisâ | vaisâ |
quantité | kitnâ | jitnâ | utnâ |
lieu | kahân | jahân | vahân |
lieu (dynamique) | kidhar | jidhar | udhar |
temps | kab | jab | tab |
hypothèse | yadi/jo | to |
Si on peut admetre que la relation primaire entre relatif et interrogatif (morphologie commune dans beaucoup de langues, dont le français) rend compte des relations avec la quantification et de l’opération de parcours11, ce n’est pas le cas en indo-aryen. A l’origine du système correlatif hindi est simplement la relation anaphorique. Comme on le voit, à la différence du latin (du français, de l’anglais), le thème relatif indo-aryen est distinct du thème interrogatif. Le thème des indéfinis en hindi se rattache à celui des interrogatifs, également en k- (kuch ‘quelque chose, quelque’, koî ‘quelqu’un’, kaî ‘plusieurs’), mais non celui du relatif.
Le thème relatif du sanskrit ya- est apparenté par Bopp (1876 : 361sq) au lituanien jau, au latin jam ‘en ce temps’, ainsi qu’au gothique jabai ‘si’. En avestique (zend), ya est à la fois relatif et démonstratif (yim a le sens de latin hunc ‘ici’), et pronom personnel (sujet jis, accusatif jin ‘il’). Bien que Bopp distingue nettement le thème relatif de l’article en grec, ils ont la même forme (os) dérivée aussi du thème ya- Il est donc clair que la base relative indo-aryenne ya-, à l’origine du hindi jo, est déictique, comportant le trait de définitude, à l’inverse du thème interrogatif et indéfini. Le fait qu’il ait pu donner l’article défini grec est compatible avec son origine, comme le fait qu’il soit dans de nombreuses langues un anaphorique ultérieurement grammaticalisé comme pronom personnel.
Si les corrélatives hindi sont des descriptions définies (Dayal 1996, 1997), c’est en conformité avec l’origine des marqueurs, qui comportent tous les deux, étant tous les deux des anaphoriques issus de déictiques, le trait de définitude. Ces marqueurs construisent, non l’instanciation d’une place vidée par le déplacement de l’expression wh- (ou l’assignation d’une valeur définie à l’issue d’un parcours opéré par l’expression interrogative), mais une double identification, chacun des marqueurs démonstratifs/anaphoriques renvoyant à l’autre pour trouver sa valeur de référence dans l’opération de fléchage mentionnée plus haut. Dayal (1997) suggère que la très forte fréquence des corrélatives en hindi comparée à la faible fréquence des relatives libres de l’anglais (elles aussi fonctionnant comme des descriptions définies) est à mettre en rapport avec l’absence d’article défini en hindi. La corrélative compenserait l’absence d’un article défini correspondant à l’anglais the. De fait, le grec, qui a la même forme pour le relatif et l’article, n’a pas comme le latin (sans article défini) développé les corrélatives. D’autres langues ont des correlatives issues de démonstratifs, comme le malinké de Kita étudié par Creissels (2009), qui les interprète comme des constituants ordinaires, à la position près, dépourvues en tout cas de propriétés wh-12. De même les corrélatives du basque étudiées par Rebuschi (2001) n’exhibent pas de propriétés wh- et sont aussi introduites par des morphèmes issus d’indéfinis.
Le fait que le résomptif du sanskrit tathâ (yathâ… tathâ ‘ainsi… ainsi’, ‘comme’) ait été réemprunté en hindi (registre élevé) dans le sens de « et » est peut-être l’indice d’une relation entre coordination et système corrélatif par anaphore13 (de même que P’, de même P = P et P’).
3. Le système subordonnant : conjonctives et relative
3.1. Ki ‘que’ et ses dérivés
Ki, emprunt persan14, fournit à l’origine les seules vraies subordonnées au sens restreint du terme (discours et contenus de pensée rapportés au style direct pour ce qui est du verbe subordonné, temps, personne, et du type de phrase, par exemple interrogatif) comme dans (14a-b), et toute une gamme de conjonctions dérivées (kyonki ‘parce que’, hâlânki ‘bien que’ (cf. supra), tâki ‘pour que’, cûnki ‘puisque’ (14c-d).
(14) a. usne kahâ ki maîn kal âûngâ
3s.erg dire. aor.ms que 1s demain venir. fut.1ms
Il a dit qu’il viendrait le lendemain (lit. il a dit que je viendrai demain)
b. main nahîn jântâ ki sîtâ kab âegî
1s neg savoir. pres.ms que Sita quand venir. fut.3fs
Je ne sais pas quand Sita viendra
c. main nahîn â pâûngâ kyonki ek zarûrî apointment hai
1s neg venir pouvoir. fut.1ms parce-que un important rendez-vous être.pres
Je ne pourrai pas venir parce que (j’) ai un rendez-vous important
d. tumhen jaldî uThnâ hogâ tâki sab Thîk samay taiyâr ho jâe
2.dat tôt se.lever être. fut.ms pour.que tout juste temps prêt être.subj.3
Il faudra que tu te lèves tôt pour que tout soit prêt à temps.
Dans les complétives, l’ordre est toujours celui de (14a-b) : principale – conjonction (ki) – subordonnée, l’inverse donc, du modèle dravidien qui est subordonnée – conjonction (verbe dicendi) – principale.
3.2. Troncation du diptyque correlatif
Quand seul le premier membre du diptyque correlatif est exprimé, on aboutit à un système de subordination hiérarchisé (principale/ dépendante), qui s’est développé en hindi probablement sous la double influence du persan d’abord et de l’anglais ensuite, et qui, dans la relative, s’est spécialisé dans l’expression de la relative descriptive ou appositive, sans résomptif donc. Le modèle (15) structuré comme une relative française, à la différence près que la relative peut être séparée de son antécédent, est chronologiquement postérieur au modèle (1a), et souvent, surtout dans le parlé, souligné comme subordonnée par l’usage de ki après le relatif15 :
(15) maîn sîtâ se pûchûngâ jo (ki) sab-kuch jântî hai
1s Sita à demander. fut.1m qui (que) tout savoir pres.3s
Je demanderai à Sita, qui sait tout.
La troncation du diptyque corrélatif, pour reprendre l’expression de Haudry (1973) a ainsi fourni les subordonnées temporelles, locatives, comparatives, du type (16), qui se sont répandues dans la langue contemporaine, mais sans éliminer le modèle corrélatif :
(16) maîn zarûr ghûmne jâûgî jab mausam Thîk ho-jâegâ
1s sûrement promener aller. fut.1fs quand temps bien devenir. fut.3s
J’irai certainement me promener quand le temps s’arrangera.
On pourrait déduire de cette évolution que la subordination (avec la représentation hiérarchisée de la phrase complexe) procède d’une évolution de la corrélation, qui est une co-dépendance non hiérarchisée, vers la simplification et la hiérarchisation. C’est la thèse de Haudry (1973), et on pourrait penser que cette évolution a été catalysée en hindi par le comportement de la conjonction empruntée au persan.
3.3. Correlativisation du modèle subordonnant
Il n’en est rien, et l’un des traits remarquables de l’emprunt du hindi au persan a consisté précisément à recatégoriser la conjonction ki comme premier ou second terme d’un diptyque : cûnki ‘puisque’ est systématiquement repris par is lie ‘pour ceci’, comme hâlânki ‘bien que’ est presque toujours repris par lekin/phir-bhî ‘mais/pourtant’, kyonki ‘parce que’, fréquemment repris par islie ‘c’est pourquoi’. De nouvelles locutions comme is se pahle ki ‘avant que’, is had tak ki ‘au point que’ corrèlent systématiquement la locution ‘conjonctive’ à un déictique ici cataphorique, résumant le contenu propositionnel, qui est toujours yah/is (nominatif/oblique). Même les emplois les plus canoniques de ki dans les complétives sont corrélés à un yah cataphorique soit optionnellement (17) si le verbe est fini, soit obligatoirement si le verbe est non fini (18).
(17) a. maîn.ne yah kahâ ki /… yah sunâ / ki… yah socâ ki…
1s.erg dem2 dire. aor que… dem2 entendre.aor que… dem2 penser. aor que…
J’ai dit que… j’ai entendu dire que… j’ai pensé que…
b. mujhe (yah) ummîd hai ki tum jaldî âoge
1s.dat (dem2) espoir être.3s que 2 bientôt venir. fut.2
J’espére que tu viendras bientôt
(18) a. *Ø /*vah/ yah sunkar mujhe baRî khushî huî ki…
*zero/* dem1/ dem2 entendre.cv 1s.dat grand bonheur être. aor que…
J’ai été très content(e) d’apprendre ça
b. yah sunte hî ki Nishâ ânevâlî hai…
dem2 entendant juste que Nisha venir. fut.imminent.3fs
Dès qu’il entendit que Nisha allait arriver…
c. mujhe yah kahne kâ mauqâ nahîn milâ ki yah-sab galat hai
1s.dat dem2 dire de occasion neg trouver. aor que tout-ceci faux être. pres.3s
L’occasion ne se présenta pas pour moi de dire que tout ça était mal.
La présence du déictique yah/is dans les locutions postpositionnelles dérivées (is had tak ki ‘au point que’, iske bâvjûd ‘malgré’, etc.), de même qu’avec les noms gouvernant une complétive (19), suggère la généralisation du modèle corrélatif pour tout type de complétive. Le corrélatif ou résomptif est dans ce cas le déictique proximal dans son emploi cataphorique, yah/is ‘ce(lui-)ci’, systématiquement utilisé pour renvoyer à des contenus propositionnels abstraits. Inversement, la corrélative traditionnelle utilise le déictique distal, qui renvoie à des entités référentielles et sert aussi de pronom personnel, vah ‘ce(lui-)là’.
(19) a. is bât par /is par dhyân denâ paRegâ ki…
dem2chose sur / dem2 sur attention donner falloir. fut.3s que
On devra veiller à ce que…
b. sab-se zarûrî bât yah hai ki…
superlatif important chose dem2 être. pres.3s que
la chose la plus importante est que…
c. yah khabar abhî milî ki râm kal âegâ
dem2 nouvelle à.l’instant trouver. aor.fs que Ram demain venir. fut.3ms
(On) a appris à l’instant que Ram arrivait demain.
On a même pu affirmer que l’absence du pronom/adjectif yah (quand il n’est pas obligatoire : 17) résulte d’un effacement (Subbarao 1984 : 135-94), considérant comme basique le modèle corrélatif dans la complémentation nominale ou verbale aussi. Ce système cataphorique établit en tout cas une relation de claire co-dépendance entre les deux propositions, dans un ordre inverse de celui du diptyque normal. Cette co-dépendance se manifeste particulièrement dans les phénomènes de troncation ou ellipse de la conjonction, qui aboutissent à des énoncés structurés de façon parataxique.
4. Anaphore, ‘parataxe’, ‘inversion’ des termes
Le type complétif qui postpose la subordonnée, qu’il soit corrélativisé (18-19) ou non (14), a de très fréquentes alternatives (surtout à l’oral) de type asyndétique, la principale étant simplement suivie du contenu du discours direct, sans modification du temps ou de la personne (20a). Mais si cet ordre séquentiel s’inverse – le contenu propositionnel de la « complétive » s’antéposant au verbe principal –, le modèle anaphorique est nettement préféré (obligatoire avec un nom recteur : 21b-d), avec le pronom/adjectif yah (21) :
(20) a. usne kahâ maîn kal âûgâ
3s.erg dire. aor.ms 1s demain venir. fut.1ms
Il a dit qu’il viendrait le lendemain
b. main nahîn jântâ sîtâ kab âegî
1s neg savoir. pres.ms Sita quand venir. fut.3fs
Je ne sais pas quand Sita viendra
(21) a. sîtâ kab âegî (yah) maîn nahîn jântâ
Sita quand venir. fut.1fs (dem2) 1s neg savoir. pres.ms
Je ne sais pas quand Sita viendra (quand Sita viendra, je n’en sais rien)
b. vah mere ghar is tarah âe yah maîn nahîn câhûngî
3s ma maison cette façon venir.subj.3s dem2 1s neg vouloir. fut.1fs
Je ne voudrais pas qu’eiie arrive de cette façon chez moi
c. vah kal âegâ yah khabar abhî milî
3s demain venir. fut.ms dem2 nouvelle à.l’instant trouver.aor.fs
(On) a appris à l’instant qu’il viendrait demain
d. bât na baRhe is khyâl se hameshâ cup rahtî thî
chose neg augmenter. subjdem2 pensée par toujours silencieuse rester impft.fs
Elle ne disait jamais rien, dans l’idée de ne pas aggraver le problème.
L’anaphore yah/is a alors un statut de connecteur entre les deux propositions, au point que certains ont pu l’analyser comme un complémenteur : Pandharipande (1997) glose le déictique proximal i du marathi, équivalent du hindi is/yah, par COMP dans les exemples marathi équivalents à (21). Cette analyse devient bien sûr problématique dès que la conjonction n’est pas omise (19) car on est obligé d’analyser différemment le même morphème anaphorique, le complémenteur étant la conjonction. Mais elle témoigne clairement d’une intuition des rapports de (co)-dépendance entre les propositions. Ainsi, (21b) peut être paraphrasé par (22), qui en diffère par l’ordre et par la présence possible de la conjonction ou de la conjonction et de l’anaphorique :
(22) a. maîn nahîn câhûngî vah mere ghar is tarah âe
1s neg vouloir. fut.1fs 3s ma maison cette façon venir.subj.3s
Je ne voudrais pas qu’elle arrive de cette façon chez moi
b. maîn (yah) nahîn câhûngî ki vah mere ghar is tarah âe
1s (dem2) neg vouloir. fut.1fs que 3s ma maison cette façon venir.subj.3s
Je ne voudrais pas qu’elle arrive de cette façon chez moi.
L’ordre de (21b), comme de (21c-d), correspond typiquement à la structure du dravidien (Steevers 1991), si on admet que l’anaphorique fonctionne comme le verbe dicendi complémenteur universel du dravidien (12c), alors que celui de (22) est typiquement indo-aryen, soit dans le modèle asyndétique de (22a), soit le modèle corrélatif de (22b). Mais le premier de ces ordres, ne présentant pas de hiérarchie contrairement au dravidien, car l’anaphorique co-joint sans marquer de relation de dépendance, renvoie lui aussi, intonativement, à la structure du diptyque : simplement, si on admet que le premier élément est thématique, il correspond dans l’ordre de (21) à ce que Weil appelait « l’ordre pathétique », renversant la marche logique ou naturelle des idées (car le contenu de la nouvelle ou de la pensée suit logiquement le procès d’énonciation ou de découverte de ce contenu) pour mettre l’accent sur l’impact émotionnel de ce contenu sur le locuteur.
‘Parataxe’, ou disposition asyndétique, et anaphore apparaissent donc comme des alternatives, aujourd’hui très productives, au système subordonnant, parallèlement à la corrélativisation. Il est délicat de situer cette dernière comme le fait Haudry (1973) dans une évolution logique qui irait du stade de la parataxe à celui de l’anaphore puis de la corrélation avant de parvenir au stade ultime de la subordination, optimum d’intégration syntaxique, puisque le hindi présente un cas d’évolution vers la corrélative et vers l’anaphore à partir de la subordination, et que d’autre part il maintient le modèle asyndétique avec la parataxe comme alternative à l’anaphore et à la subordination. Il est aussi significatif qu’en vieil hindi (avant l’introduction du système persan de subordination), la troncation du diptyque corrélatif ait consisté à omettre l’élément relatif, aboutissant ainsi à un système anaphorique où seul le résomptif (so) signale la codépendance entre les deux propositions16 :
(23). siddh hoî so nahî ravatâ
juste être.subj dem1 neg demeure. pres
Celui qui est juste n’habite pas (ici) = n’est pas de ce monde17.
5. Conclusion
Il se trouve qu’en matière de coordination (Montaut 2007), le hindi fait une place importante aux procédés asyndétiques (pas de coordonnant entre les constituants coordonnés) et bi-syndétiques (double coordonnant, après chaque constituant coordonné, sur le modèle du sanskrit Xca… Xca, ou avant chaque constituant). Ces deux tendances de la connection entre deux constituants coordonnés se retrouvent dans les deux tendances qu’on a observées dans la connection entre deux propositions co-dépendantes, la parataxe et la corrélation. Parataxe et corrélation sont en effet les systèmes traditionnels de l’indo-aryen, seulement récemment concurrencés par la subordination asymétrique pour les propositions à verbes finis (troncation du diptyque ou emprunt du complémenteur ki), et traditionnellement complétés par l’usage des verbes non finis, mode de dépendance privilégié en dravidien. Le fait que ki, prétendu complémentateur universel, fonctionnant plutôt comme un simple démarcateur entre énoncés dépendants ou co-dépendants18, puisse être aussi re-catégorisé comme disjoncteur dans des structures coordonnées suggère que les relations entre subordination et coordination ne vont pas toujours dans le sens conj > sub. De même l’usage du résomptif (anaphorique) d’abord comme corrélatif puis conjonction (so, to, ‘ainsi, donc’) montre qu’un corrélatif peut se recatégoriser comme coordonnant, pour peu que l’économie générale de la langue ne favorise pas la subordination de propositions finies, lui préférant la parataxe ou la corrélation. Enfin, si on admet l’hypothèse que les propositions dépendantes développent des arguments (objet, sujet, circonstants), on peut se demander si la corrélation ne développe pas une relation plus discursive que syntaxique, celle de thème à rhème, l’apodose constituant le rhème et la protase le thème.
Liste des abréviations : acc – accusatif, aor – aoriste, cv – converbe, dat – datif, dem1 – démonstratif distal, dem2 – démonstratif proximal, erg – ergatif, f – féminin, gen – génitif, impft – imparfait, m – masculin, p – pluriel, pft – parfait, ppft – plus-que-parfait, pres – présent, rel – relatif, s – singulier, soc – sociatif, T – thème, term – terminatif.
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1 Dans les énoncés non marqués, c’est-à-dire non soumis à des contraintes contextuelles ou intonatives particulières. Sur le rapport entre verbe final, plus généralement tête finale, et la contrainte du verbe fini unique, voir Montaut (2000).
2 Pour les abbréviations, voir la liste à la fin du texte.
3 Exemple de Dvidedi (1994). L’expression relativisée peut être anaphorisée par une copie du nom relativisé, trait fréquemment repris en anglo-indien :
jis jagah vah baiThâ thâ us jagah ko pânî se dhonâ zarûrî hotâ thâ
rel endroit 3s s’asseoir ppft.ms dem1 endroit acc eau avec laver nécessaire être.impft.ms
Il fallait laver à grande eau l’endroit où il s’était assis
4 Le cas des hypothétiques est particulièrement clair sous cet angle, P1 construisant un repère fictif, non stabilisé par nature et correspondant à un parcours possible, qui est validé comme seul à envisager par P2. Pour la notion de parcours, voir Culioli (1990 : 57). Pour l’opération de fléchage, voir Culioli (1999 : 46sq).
5 Dans la série (8), ce n’est pas le thème wh- qui est responsable de parcours, mais le fait que les corrélés ne soient pas des entités nominales.
6 Le sujet étant omissible en hindi et le verbe ne prenant à l’imparfait que des marques de genre et de nombre, la phrase hors contexte pourrait signifier aussi « que tu/il attendait ».
7 Mais il est impossible d’avoir le nom dans la même proposition que le relatif : *ve, jin logon ka intazâr kar rahâ thâ, âkhir â gae, alors que dans le second ordre, pareille possibilité n’est pas exclue (cf exemple 5).
8 De même dans l’expression de la concession, le dérivé sanskrit yadyapi ‘si-même’, corrélé à to bhî ‘alors même’, est remplacé dans le registre non solennel par l’emprunt persan hâlânki ‘bien que’, et le corrélatif, de sens adversatif, peut varier (to bhî/phir bhî ‘pourtant’, par/magar/lekin ‘mais’, etc.).
9 Vah, ve formes du sujet (singulier, pluriel), us, un formes obliques pour le singulier et pluriel. De même pour le déictique de la proximité, yah, ye (is, in). Tout l’indo-aryen connaît cette opposition, le plus souvent représentée par un contraste o/i. Les deux formes sont héritées des déictiques du sanskrit.
10 La conjonction kyon (correspondant à la série comparative « ainsi ») signifie aujourd’hui exclusivement « pourquoi » (cause), ayant privilégié l’évolution du comment à la cause.
11 Développées dans l’introduction du numéro 158 de Langue Française (Les Proformes indéfinies, 2008) sur les relations entre interrogatif, indéfini et relatif.
12 La relative L ‘homme qui fait le travail articule simplement deux propriétés, la double appartenance de x à deux enesmbles : x est un homme, et x fait le travail.
13 Yathâ existe aussi en hindi moderne au sens « de telle manière », et en composition : yathâkathit ‘ainsi dit, sus-mentionné’, yathâ prasthâvit ‘ainsi présenté’.
14 Bien que certains le rattachent au sanskrit kimcit, son usage comme complémenteur ne semble pas précéder l’influence du persan sur l’indo-aryen.
15 Ce type de relative peut, exceptionnellement, avoir un sens déterminatif après un indéfini, « le dernier », « le premier », mais n’est jamais thématisante :
maîn ek/aise âdmî ko jântâ hûn jo tumhârî madad kar sakegâ
1s un/tel homme acc connais qui ton aide faire pouvoir. fut.3ms
Je connais un homme qui pourra t’aider (cf. section 1, exemple 3).
16 Ce qui aboutit à un modèle formellement comparable aux structures dravidiennes (c), sans pronom relatif (et à celles des langues indo-aryennes en contact avec le dravidien, hindi méridional (a) au konkani, parlé au sud de Bombay (b), qui ont remplacé leurs corrélatives par un équivalent du participe relatif dravidien) :
a. pyano bâjâ ria so merâ dost ai (dakkhini hindi)
piano jouer prog.ms celui-là mon ami est
celui qui joue du piano est mon ami.
b. pepar vaccat aassillo mhantaro Daaktar assa (konkani sud)
journal lire prog.ms vieux docteur est
Le vieux qui lit le journal est médecin.
c. pepar oduttaaidda mudukanu Daaktatanu iddaane (kannada)
journal lire-part –rel vieux docteur est
Le vieux qui lit le journal est médecin ».
17 Cité par Kellogg (1875). Hoî est une forme finie du verbe « être » alors que ravatâ est la forme du participe présent employé prédicativement. Sur le plan purement formel, il est tentant d’analyser ce « so » sur le modèle du morphème relativisant en dravidien (désinence spécifique du participe) : en hindi/ourdou méridional, parlé donc en contact avec le tamoul ou le télougou à Madras ou Hyderabad, la relative a été systématiquement restructurée en Nom Verbe so, par calque du dravidien Nom Verbe-participe relatif. Deux évolutions différentes (calque dans le sud, troncation du diptyque dans le nord) peuvent donc aboutir à un résultat analogue.
18 Jusqu’au XVIIIe-XIXe siècle précédant le relatif (ki jo ‘qui’, ki jismen ‘dans lequel’) alors qu’aujourd’hui il se place après (uniquement dans les appositives, système non corrélatif).