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Domaines de la corrélation en russe

Olga INKOVA

1. Introduction

Malgré l’intérêt toujours croissant pour les structures corrélatives, les études qui portent sur la corrélation en russe ou qui utilisent les données du russe restent rares. Je ne peux citer que Mitrenina (2008, 2010a, 2010b), qui s’attache à décrire, dans le cadre de la grammaire générative, la structure syntaxique des corrélatives1, Paykin (2009) sur la comparative de proportionnalité en čem-tem ‘plus… plus’, ainsi que mes propres travaux (cf. les références bibliographiques). Le russe possède cependant un paradigme très riche de structures corrélatives, qui présentent en outre de nombreuses particularités par rapport à celles qui existent dans d’autres langues. Leur analyse détaillée permet, à mon avis, de mieux saisir la syntaxe et la sémantique de la corrélation.

L’étude de la corrélation en russe est fondamentalement liée à la reconnaissance, au sein de la subordination, d’un rapport syntaxique particulier : sootnositel’naja svjaz’ ‘rapport co-relatif’ ou encore mestoimenno-sootnositelnaja svjaz’ ‘rapport pronominal-co-relatif’. Ce rapport se caractérise par la présence, dans la principale, d’un corrélat du marqueur de subordination qui prend le plus souvent la forme d’un démonstratif2. Le marqueur de subordination, quant à lui, peut être aussi bien un pronom relatif qu’une conjonction de subordination.

Voici quelques exemples3 de phrases avec le rapport ‘pronominal-co-relatif’ :

(1) Тот, кто читал газеты, так и будет жаловаться на то, что получает мало полезной информации, а кто не читал – тому тем более все равно

Celui, qui lire-sg.m.pas journaux-acc, ainsi part.anal être-3sg.fut se.plaindre sur cela-acc, que recevoir-3sg.prés peu utile information-gén, et qui nég lire-sg.m.pas – celui-dat d’autant plus tout égal

Celui qui lisait les journaux continuera à se plaindre qu’il reçoit peu d’information utile, et celui qui ne lisait pas ne sentira même pas la différence

(2) Значит, дело не в истории, а в людях – какие люди, такая история

Donc, cause nég dans histoire-loc, mais dans gens-loc – quels gens, telle histoire

Donc, ce n’est pas l’histoire qui est en cause, mais les gens : tels gens, telle histoire

(3) Позвонил тогда, когда я меньше всего этого ждала

Téléphoner-sg.m.pas alors, quand je moins tout cela-gén attendre-sg.f.pas

Il téléphona quand je m’y attendais le moins

(4) Деспотия и в науке так же сильна, как на войне

Despotisme part.anal dans science-loc ainsi part.id forte, comme sur guerre-loc

De même dans la science, le despotisme y est aussi fort qu’à la guerre

(5) Как театр начинается с вешалки, так поликлиника начинается с регистратуры

Comme théâtre commencer-3sg.prés avec vestiaire-gén, ainsi polyclinique commencer-3sg.prés avec réception-gén

De même que le théâtre commence par le vestiaire, de même la polyclinique commence par la réception

(6) Сколько существует в мире государств, столько, думаю, и определений терроризма

Combien existe-3sg.prés dans monde-loc états-gén, autant, penser-1sg.prés, part.anal définitions-gén terrorisme-gén

Autant il existe d’états dans le monde, autant, je pense, il existe de définitions du terrorisme

(7) Лермонтовская природа ? Она, как правило, ночная и хороша постольку, поскольку в ней нет человека

Lermontovienne nature ? Elle, comme règle, nocturne et belle pour. autant, pour.combien dans elle-loc nég.être-3sg.prés homme-gén

La nature chez Lermontov ? D’habitude, elle est nocturne et belle dans la mesure où l’homme y est absent

(8) Была у него особенность : чем больше он пил, тем словоохотливее становился

Etre-sg.f.pas chez lui-gén particularité, quoi-inst plus il boire-sg.m.pas, cela-inst plus.volubile devenir-sg.m.pas

Il avait cette particularité : plus il buvait, plus il devenait volubile.

Toutes ces structures, aussi différentes qu’elles soient, se caractérisent par la présence de deux marqueurs du rapport syntaxique4 : dans la principale, l’élément d’origine démonstrative en t- (< i.e. *to-) avec une valeur phorique et, dans la subordonnée, l’élément d’origine relative/interrogative/indéfinie en k- (< i.e. *kw-)5. Vu la nature de ce dernier élément, nous sommes bien, au moins d’un point de vue formel, en présence de la subordination, raison pour laquelle je continue à appeler la proposition introduite par le démonstratif « principale », et celle introduite par le relatif « subordonnée »6. Ceci dit, la délimitation du domaine de la corrélation ne va pas de soi : le russe, comme beaucoup d’autres langues, notamment les langues classiques, et à la différence par exemple de l’ossète qui utilise un matériel spécifique pour marquer les structures corrélatives (Christol [1992] 2008), recourt à des moyens linguistiques – le relatif et l’endophorique – qui connaissent des emplois variés également en dehors de la corrélation.

L’exemple (1) est particulièrement riche en structures corrélatives : nous avons deux structures symétriques réversibles avec tot ‘celui’ et kto ‘qui’, qui sont soit des sujets, soit des compléments d’objet (tomu ‘à celui’) ; une complétive introduite par un démonstratif žalovat’sja na to, čto ‘se plaindre (du fait) que’, qui, elle, ne permet pas la permutation des propositions. Dans tous ces cas, le démonstratif est d’origine nominale, de même que l’adjectif takoj ‘tel’ en (2). Mais il peut être aussi d’origine adverbiale, au moins étymologiquement, comme en (3)-(7) avec togda ‘alors’, tak ‘ainsi’ et stol’ko ‘autant’. Le subordonnant peut être un relatif, tels le pronom kto ‘qui’ en (1), l’adjectif kakov ‘quel’ en (2) ou l’adverbe de quantité skol’ko ‘combien’ en (6), ou une conjonction, telles čto en (1) et en (19), slovno ‘comme si’ – une des rares conjonctions de subordination qui ne remontent pas à la base en *kw- – en (21). C’est cette dernière opposition – relatif vs conjonction – qui est prise comme critère distinctif pour la classification des subordonnées russes. Or, il n’est pas toujours aisé de dire – c’est en premier lieu le cas des corrélateurs d’origine adverbiale – si le subordonnant est un relatif ou une conjonction, notamment du fait que la grande majorité des conjonctions de subordination russes soit sont d’anciens relatifs, soit sont issues de la corrélation7. En effet, kak ‘comme’ ou kogda ‘quand’ fonctionnent également en dehors des structures corrélatives comme des conjonctions de subordination incontestables : kak de comparaison (9) et kogda de temps (10).

(9) Она перебирала свою жизнь, как перебирают старые письма

Elle feuilleter-sg.f.pas sa vie-acc, comme feuilleter-3pl.prés vieilles lettres-acc

Elle feuilletait sa vie comme on feuillette de vieilles lettres

(10) Когда окончилась репетиция, я пошел за кулисы

Quand se.terminer-sg.f.pas répétition,

aller-sg.m.pas derrière coulisses-acc

Quand la répétition se termina, j’allai derrière les coulisses.

Mais comment qualifier les marqueurs en (3) et en (5) ? Kak en (5) reste en dehors de la structure syntaxique de la phrase, à la différence de (11) où il est circonstanciel de manière. De plus, le corrélat démonstratif en (5) peut être omis sans rendre l’énoncé agrammatical, ce qui est impossible en (11) :

(11) По его решимости было видно, что как он сказал, так и сделает

Sur sa résolution-dat être-sg.n.pas vu, que comme il dire-sg.m.pas, ainsi part.anal faire-3sg.prés.

On voyait d’après son air résolu qu’il fera comme il l’a dit.

S’agirait-il de deux kak ‘comme’ et de deux tak ‘ainsi’, et, par conséquent, de deux structures syntaxiques différentes ? C’est la solution proposée par la Grammaire russe de l’Académie (par la suite, RG-80) pour stol’ko ‘autant’ et skol’ko ‘combien’, qui peuvent, selon cette grammaire de référence, être pronoms (12), composantes d’une conjonction de subordination (6) ou d’une conjonction de coordination (13).

(12) Главная хитрость состоит в том, чтобы добавить молока столько, сколько указано в рецепте

Principale ruse consiste dans cela-loc, que.mod ajouter lait-gén autant, combien indiqué dans recette-loc

L’astuce principale est d’ajouter autant de lait qu’il est indiqué dans la recette

(13) Столетие спустя ситуация изменилась, решающим для судьбы писателя оказалось не столько мнение критика, сколько ‘официальная позиция’ властей

Centenaire plus.tard situation changer-sg.f.pas, décisif pour destin-gén écrivain-gén se.trouver-sg.n.pas nég autant opinion critique-gén, combien officielle position autorités-gén

Un siècle plus tard, la situation a changé, ce qui est devenu décisif pour le destin de l’écrivain, c’est davantage la ‘position officielle’ des autorités que l’opinion du critique.

Ainsi, en (12), selon la RG-80, il s’agit d’une phrase liée avec subordonnée de type relatif qui caractérise la quantité, le démonstratif stol’ko ‘autant’ régit la subordonnée introduite par le relatif skol’ko ‘combien’ (RG-80 : II, § 2824). En (6), il s’agit d’une conjonction de subordination à deux places qui met en relation deux états de choses, en soulignant leur similitude (sopostavitel’nye, dans la terminologie de la RG-80 : II, § 3015, 3017). Du coup, skol’ko et stol’ko n’ont ni fonction de constituant, ni ne sont plus liés par une relation anaphorique, comme en (12), puisque qualifiés de conjonctions (RG-80 : I, § 1681). Il est pourtant évident que, dans les deux exemples, skol’ko et stol’ko ont la fonction syntaxique de quantifieur, seuls l’ordre des propositions et la position des marqueurs changent. Enfin, en (13), les mêmes marqueurs, mais avec stol’ko précédé de la négation ne (cf. ci-dessous § 2.2.1), sont qualifiés, comme en (6) de conjonction à deux places. Ce n’est plus toutefois une conjonction de subordination, mais de coordination, et elle exprime la relation de gradation (RG-80 : II, § 2078 ; Sannikov 1989 : 205-206)8.

De façon générale, la tradition grammaticale russe ne reconnaît le rapport ‘co-relatif’ que dans les phrases avec les corrélateurs d’origine nominale et uniquement dans les structures où le démonstratif régit à lui seul la subordonnée : les deux structures en tot ‘celui’ et kto ‘qui’ de l’exemple (1), ainsi que kakoj ‘quel’ et takoj ‘tel’ de l’exemple (2). Pour le reste, dans les phrases avec la principale antéposée, le démonstratif est considéré comme facultatif, même si c’est loin d’être toujours le cas (cf. Inkova 2010a pour tak ‘ainsi’), et aurait une fonction ‘emphatisante’. Les corrélateurs d’origine adverbiale dans les phrases avec la subordonnée antéposée sont qualifiés de conjonctions à deux places, une façon indirecte de reconnaître une valeur particulière de ce type de structures syntaxiques. Dans les phrases avec la subordonnée postposée, cette dernière est qualifiée de circonstancielle (Zalizniak & Padučeva [1975] 1997), ce qui remet également en question le rapport anaphorique entre le démonstratif et le subordonnant, souvent traité de conjonction.

Pour ce qui est de la comparative de proportionnalité – ou « comparative correlative » dans la terminologie de Culicover et Jackendoff (1999) – en russe (8), structure qui semble être à l’origine de ce regain d’intérêt pour la corrélation (Bril & Rebuschi 2006a : 9), son traitement n’est pas non plus exempt de contradictions. Observons en premier lieu qu’elle se distingue de celles qui existent en français ou en anglais par la présence du relatif et du démonstratif et se rapproche à cet égard de celles qui existent en latin (Bertocchi & Maraldi 2010) ou en espagnol (Sanchez Lόpez 2010). D’autre part, les corrélateurs sont ici d’origine nominale – le relatif čem est l’instrumental de čto ‘quoi’ et le démonstratif tem de to ‘cela’ –, mais ils ont une fonction de quantifieur9. Cette construction n’est donc pas à confondre avec une construction homonymique, celle où les deux éléments ont une fonction de complément ou d’attribut, comme en (14) et (15) :

(14) Чем начал, тем и кончил : « Виновным себя ни в чем не признаю »

Quoi-inst commencer-sg.m.pas, cela-inst part. anal terminer-sg.m.pas : « Coupable soi-gén nég dans quoi-loc nég reconnaître-lsg.prés »

Il a terminé avec ce par quoi il avait commencé : « Je ne me reconnais coupable de rien »

(15) Он чем был, тем и остался

Il quoi-inst être-sg.m.pas, cela-inst part.anal rester-sg.m.pas

Il est resté ce qu’il était.

Si, dans ce type de phrases, ni le statut grammatical de pronom des corrélateurs, ni le caractère corrélatif de la construction ne sont jamais contestés, dans la corrélative comparative les marqueurs sont considérés comme une conjonction de subordination à deux places. C’est d’autant plus étonnant qu’il est possible d’invertir l’ordre linéaire des propositions, une autre particularité qui distingue la comparative corrélative russe de celles qui existent en français ou en anglais, où l’ordre des propositions est fixe :

(16) Ложь тем более правдоподобна, чем она грубее и наглее

Mensonge cela-inst plus vraisemblable, quoi-inst elle plus.grossière et plus.impertinente

Plus le mensonge est grossier et impertinent, plus il est vraisemblable.

Force est de constater que l’approche qui prend pour critère discriminant de la classification des subordonnées la nature morphologique du subordonnant (relatif vs conjonction), approche dominante dans la tradition linguistique russe, ne permet pas d’aboutir à une classification cohérente des structures corrélatives. Mais l’approche qui se base sur le type de rapport syntaxique entre les parties de la phrase complexe, en utilisant un système de tests (p.ex., la permutabilité de l’ordre des propositions, la portée de la subordonnée, les possibilités d’ellipse, etc.), s’avère également peu satisfaisante, notamment du fait qu’elle reste fondamentalement dans l’opposition binaire entre la coordination et la subordination, auxquelles s’ajoute, comme une sorte de fourre-tout, la co-subordination. Les analyses récentes ont montré, et nous le verrons par la suite sur l’exemple du russe, que les corrélatives ne répondent pas de façon homogène à ces tests.

Je propose donc de vérifier s’il est possible d’unifier le traitement des phrases complexes qui présentent une propriété morphosyntaxique commune : la présence explicite de deux marqueurs du rapport syntaxique morphologiquement apparentés – le démonstratif et le relatif, qui se distinguent dans la majorité des cas uniquement par l’alternance t/k et dont le choix est contraint. Je commencerai par l’analyse des propriétés formelles des corrélatives (§ 2.) pour passer ensuite à leur analyse sémantique (§ 3.), ce qui devra permettre de mieux cerner la notion de corrélation et de situer les corrélatives par rapport à l’ensemble des phrases complexes en russe.

2. Propriétés formelles des structures corrélatives en Russe

2.1. La permutabilité des propositions

La propriété d’invertir l’ordre des propositions est considérée comme un des traits typiques de la subordination. Or, en examinant les structures corrélatives russes, on constate que seules les structures symétriques, c’est-à-dire celles où les corrélateurs sont un pronom démonstratif et un pronom relatif, peuvent permuter l’ordre des propositions10 ; cf. (6) et (12) pour stol’ko ‘autant’ et skol’ko ‘combien’, (1) avec les deux ordres possibles pour tot ‘celui’ et kto ‘qui’, (8) et (16) pour la comparative corrélative en čem – tem ‘plus… plus’.

Deux exceptions à cette règle sont toutefois à signaler. La première est ne stol’ko… skol’ko (cf. (13) ci-dessus). L’ordre relatif/démonstratif est probablement empêchée ici par la négation, qui rompt la symétrie de la construction, ainsi que par le statut de thème associé à la subordonnée antéposée, alors que la sémantique de ne stol’ko… skol’ko exige que la subordonnée fasse partie du rhème. J’y reviendrai encore.

La deuxième exception est la relative introduite par kotoryj ‘quel’, qui suit toujours la principale :

(17) В том типе государства, которым был СССР, все было национализировано

Dans ce type-loc état-gén, quel-inst être-sg.m.pas URSS, tout être-sg.n.pas nationalisé

Dans ce type d’état que représentait l’URSS, tout était nationalisé.

Cependant, la possibilité d’avoir une subordonnée antéposée avec kotoryj a existé en russe jusqu’au début du XVIIIe siècle :

(18) А которые князи служилыя в Московской и Тверской земле, и те князи служат сыну моему Ивану (exemple de Borkovskij 1979 : 61) Et quels princes servant dans moscovite et de. Tver terre-loc, et ces princes servir-3pl.prés fils-dat mon Ivan-dat

Et les princes qui sont dans les terres de Moscou et de Tver doivent être au service de mon fils Ivan.

Cette possibilité existe également dans les dialectes russes et en russe ‘populaire’ (Zalizniak & Padučeva [1975] 1997 : 79).

Dans les phrases où le démonstratif régit une subordonnée introduite par une conjonction, la permutation de l’ordre des propositions est exclue. C’est notamment le cas des consécutives (19)-(20) et des comparatives introduites par les conjonctions ‘de comparaison hypothétique’ (21)-(22) :

(19) Он сказал это так громко, что все слышали его слова

Il dire-sg.m.pas cela-acc ainsi fort, que tous entendre-pl.pas ses paroles-acc

Il le dit si fort que tout le monde entendit ses paroles

(20) *Что все слышали его слова, так громко он это сказал

*Que tous entendre-pl.pas ses paroles-acc, ainsi fort il cela-acc dire-sg.m.pas

(21) Мальчик скрылся за кустами так быстро, словно его и не было

Garçon disparaître-sg.m.pas derrière buissons-inst ainsi vite, comme.si il-gén part.anal nég être-sg.n.pas

Le garçon disparut derrière les buissons très rapidement, comme s’il n’y avait jamais été

(22) *Словно его и не было, так быстро мальчик скрылся за кустами

*Comme.si il-GÉN part.anal nég être-sg.n.pas, ainsi vite garçon disparaître-sg.m.pas derrière buissons-inst.

Comme le montrent ces exemples, seul l’ordre principale/subordonnée est possible avec le subordonnant-conjonction. Cette différence de fonctionnement est très nette dans le cas des interrogatives indirectes et des complétives régies par le démonstratif et introduites respectivement par un relatif ou par les conjonctions čto ‘que’ ou čtoby ‘que-mod’.

(23) Старичок, севши за стол, стал думать о том, о чем он думал всякий раз, когда садился утром за стол

Petit.vieux, assis-part.pas.act, se.mettre.à-sg.m.pas penser à cela-loc, à quoi-loc il penser-sg.m.pas chaque fois, quand il s’assoir-sg.m.pas matin-inst devant table-acc

Le petit vieux, une fois assis devant la table, se mit à penser à ce à quoi il pensait chaque fois qu’il se mettait le matin à table.

(24) Он думал о том, что дочь Наташа к нему плохо относится

Il penser-sg.m.pas à ce-loc, que sa fille Natasha le traiter-sg.f.pas mal Il pensait que sa fille Natasha le traitait mal (= Sa pensée était que sa fille…).

En (23), une structure de type relatif, la subordonnée régie par le démonstratif to ‘cela’ au locatif est introduite par le relatif čto ‘quoi’, également au locatif. Les corrélateurs sont dans les deux cas les COI du verbe penser et se trouvent en relation de coréférence avec la valeur indéfinie spécifique. C’est la phrase suivante, notre exemple (24), qui permet de définir quelle est la pensée du vieux. La subordonnée – complétive – est introduite par la conjonction čto ‘que’. La valeur du démonstratif ne se définit plus par le relatif coréférentiel, mais bien par la subordonnée dans son ensemble11. Seule la structure (23) est réversible, comme le montre (25) qui se distingue de (23) par l’ordre des propositions, mais aussi par la structure informationnelle :

(25) О чем старичок думал каждый раз, когда утром садился за стол, о том он и стал думать, севши за стол

A quoi-loc petit.vieux penser-sg.m.pas chaque fois, quand il s’assoir-sg.m.pas matin-inst devant table-acc, à cela-loc il part.anal se.mettre.à-sg.m.pas penser, assis-part.pas.act devant table-acc

De même, aujourd’hui, le petit vieux se mit à penser à ce à quoi il pensait tous les matins, une fois à table.

La première distinction que je propose de faire sur la base du critère de la permutabilité des propositions est celle entre la subordination par cataphore et la corrélation. Dans le cas de la subordination par cataphore, à savoir dans les phrases avec un subordonnant-conjonction, le démonstratif renvoie à la subordonnée dans son ensemble. La relation phorique est unilatérale et asymétrique ; la principale précède toujours la subordonnée qui sert à saturer sémantiquement le démonstratif. Dans le cas de la corrélation, la relation phorique est réciproque, symétrique. Les corrélateurs, qui sont tous les deux des variables, renvoient l’un à l’autre et s’interprètent l’un à travers l’autre. Ce n’est que dans ce deuxième cas que l’ordre subordonnée/principale devient possible. La subordination par cataphore est ainsi une dépendance – aussi bien syntaxique que sémantique – orientée (démonstratif → [conj] subordonnée), la corrélation par renvoi phorique est une co-dépendance (démonstratif ↔ relatif), ce qui explique et permet sa réversibilité12.

La relation anaphorique bilatérale n’est cependant pas une condition suffisante pour que l’ordre des propositions puisse être inverti. Deux autres conditions doivent être satisfaites :

– les corrélateurs doivent appartenir au même domaine notionnel (objet, qualité, temps, lieu, manière, etc.) ;

– ils doivent se trouver au même niveau de la structure syntaxique de la phrase.

La contrainte du même domaine notionnel explique notamment l’irréversibilité des interrogatives indirectes introduites par un relatif autre que le complément d’objet13 :

(26) А я не понимала того, почему нельзя носить серьги, каким образом серьги в моих ушах влияют на то, как я учусь, и бунтовала

Et je nég comprendre-sg.f.pas cela-gén, pourquoi interdit porter boucles.d’oreilles-acc, quelle façon-inst boucles.d’oreilles dans mes oreilles-loc influencer-3pl.prés sur cela-acc, comment je étudier-lsg. prés, et se.révolter-sg.f.pas

Et moi, je ne comprenais pas pourquoi il était interdit de porter des boucles d’oreilles, quelle influence les boucles d’oreilles avaient sur mes notes, et je me révoltais.

En (26), les deux démonstratifs sont des compléments d’objet (des verbes ponimat’ ‘comprendre’ et vlijat’ ‘avoir de l’influence sur’), alors que les relatifs sont soit un circonstanciel de cause (počemu ‘pourquoi’), soit un circonstanciel de manière (kakim obrazom ‘de quelle façon’ et kak ‘comment’). L’appartenance des corrélateurs à des différents domaines notionnels bloque la possibilité d’antéposer la subordonnée14.

Mais même si cette condition est satisfaite, l’antéposition de la subordonnée n’est possible que si les corrélateurs se trouvent au même niveau syntaxique. Ainsi, kto ‘qui’ et tot ‘celui’ doivent être tous les deux les arguments des prédicats respectifs. Pour cette raison, les deux structures corrélatives avec tot et kto en (1) ci-dessus (dont je reproduis sous (27) et (29) les segments qui nous intéressent), sont ‘interchangeables’ : (27), où tot et kto sont des sujets, peut être transformé en (28), et (29), où kto est le sujet et tot est le COI, se transforme facilement en (30) :

(27) Тот, кто читал газеты, так и будет жаловаться

Celui, qui lire-sg.m.pas journaux-acc, ainsi part.anal être-3sg.fut se.plaindre

Celui qui lisait les journaux continuera à se plaindre

(28) Кто читал газеты, тот так и будет жаловаться

Qui lire-sg.m.pas journaux-acc, celui ainsi part.anal être-3sg.fut se. plaindre

(29) кто не читал – тому тем более всё равно

qui nég lire-sg.m.pas – celui-dat d’autant plus tout égal celui qui ne lisait pas ne sentira même pas la différence

(30) тому, кто не читал, – тем более всё равно

celui-dat, qui nég lire-sg.m.pas, – d’autant plus tout égal.

Les deux derniers exemples montrent par ailleurs que la correspondance en cas des corrélateurs n’est pas requise.

Par contre, en (31) :

(31) Озеро… захватило все внимание тех, кто пришел его увидеть

Lac… captiver-sg.n.pas toute attention-acc ceux-gén, qui venir-sg.m.pas le-acc voir

Le lac a captivé toute l’attention de ceux qui sont venus le voir.

le démonstratif tem (le génitif pluriel de tot ‘celui’) est un complément de nom, alors que le relatif kto est un sujet. Ils se trouvent ainsi à différents niveaux syntaxiques, ce qui bloque la possibilité de renverser l’ordre des propositions :

(32) *Кто пришел увидеть озеро, тех внимание оно захватило

Qui venir-sg.m.pas voir lac-acc, ceux-gén attention-acc il captiver-sg.n.pas.

La contrainte de se trouver au même niveau syntaxique explique également l’irréversibilité des relatives introduites par kotoryj : le corrélat démonstratif dans la principale est toujours une épithète15 du nom qu’il détermine, alors que le relatif de la subordonnée est soit un sujet, soit un complément, soit un attribut, mais jamais une épithète, ce qui crée un déséquilibre de leur niveaux syntaxiques respectifs.

Le premier bilan que l’on peut tirer du test de la réversibilité des propositions est donc le suivant : pour que l’ordre principale/subordonnée puisse être inverti, trois conditions doivent être réunies : (a) le rapport anaphorique symétrique, bilatéral, entre les corrélateurs ; (b) leur appartenance au même domaine notionnel ; (c) la localisation des corrélateurs au même niveau de la structure syntaxique des propositions qui les accueillent.

2.2. La portée de la subordonnée

La portée de la subordonnée est un des paramètres sémantico-syntaxiques utilisés en linguistique typologique pour évaluer le type de connexion entre propositions (cf. notamment Lehmann 1988). Or, dans les corrélatives avec la principale antéposée, la portée de la subordonnée est étroitement liée au statut et à la portée du démonstratif dans la principale. Nous verrons que les corrélateurs russes présentent à cet égard des différences considérables dans les phrases avec la principale antéposée et que dans les corrélatives avec l’ordre inverse, ces différences semblent en revanche être nivelées.

2.2.1. L’ordre principale/subordonnée

Avec la principale antéposée, la subordonnée peut avoir une portée syntagmatique. Elle porte sur le démonstratif intégré en tant que constituant dans la structure syntaxique de la principale. Cf. tot ‘ce, celui’ et takoj ‘tel’ (33), les adverbes de lieu tam ‘là’ (35) et de temps togda ‘alors’ (3), l’adverbe de quantité stol’ko ‘autant’ (12) et (36) :

(33) В купе был неправдоподобный беспорядок – такой, какой возникает только при похоронах, родах и переездах

Dans compartiment être-sg.m.pas invraisemblable désordre – tel, quel apparaître-3sg.prés seulement lors enterrements-loc, accouchements-loc et déménagements-loc

Dans le compartiment, le désordre était incroyable, tel que l’on ne peut avoir que lors des enterrements, des accouchements et des déménagements.

La portée syntagmatique de la subordonnée permet de l’intercaler dans la principale ; le démonstratif avec la subordonnée qui suit forment un seul et même constituant. cf. :

(34) Тот, кто курит, испытывает большой дефицит витамина А

Celui, qui fumer-3sg.prés, épouver-3sg.prés grand déficit-acc vitamine-gén A

Celui qui fume éprouve un grand déficit de la vitamine A

(35) От дневного света связанный Цербер рассвирепел, из всех его трех пастей потекла слюна, и там, где она падала на землю, вырос аконит

De diurne lumière-gén lié Cerbère s’enrager-sg.m.pas, de toutes ses trois gueules-gén couler-sg.f.pas salive, et là, où elle tomber-sg.f.pas sur terre-acc, pousser-sg.m.pas aconit

La lumière diurne fit s’enrager Cerbère, la salive coula de toutes ses trois gueules et là où elle tombait par terre poussèrent des aconits

(36) Столько, сколько она для всех сделала, не сделал никто из нас даже для себя

Autant, combien elle pour tous-gén faire-sg.f.pas, nég faire-sg.m.pas personne de nous-gén même pour soi-même-gén

Personne de nous n’a fait même pour lui-même autant qu’elle avait fait pour nous autres.

Il est cependant plus difficile, voire impossible, d’intercaler la subordonnée avec takoj en fonction d’attribut, à cause de la portée prédicative de celle-ci :

(37) Глядя на фотографию, она чувствовала себя такой, какой она была изображена на ней

Regarder-gér.prés sur photo-acc, elle sentir-sg.f.pas soi telle, quelle elle être-sg.f.pas représentée-part.pas.passif sur elle-loc Regardant la photo, elle se sentait telle qu’elle y était

(38) *Такой, какой она была изображена на фотографии, чувствовала себя она

* Telle, quelle elle être-sg.f.pas représentée-part.pas.passif sur photo-acc, sentir-sg.f.pas soi elle

*Telle qu’elle était sur la photo, elle se sentait.

La portée prédicative de la subordonnée empêche de l’intercaler aussi dans le cas de nastol’ko ‘lit. de autant’ et naskol’ko ‘lit. de combien’.

(39) Система AquaStop настолько же проста, насколько эффективна

Sistema AquaStop de.autant part.id simple, de.combien efficace

Le système AquaStop est aussi simple qu’efficace (> Inkova 2009)

(40) И системы контроля хороши или совершенны настолько, насколько профессиональны и способны люди, создающие эти системы

Et systèmes contrôle-gén bons ou efficaces de.autant, de.combien professionnels et compétents gens, créant ces systèmes-acc

Et les systèmes de contrôle sont bons et efficaces dans la mesure où les gens qui les créent sont professionnels et compétents (> Inkova 2009).

En (39), nastol’ko že ‘de.autant + part.id’, grâce à la relation phorique qu’elle entretient avec le relatif naskol’ko ‘de.combien’, établit l’identité de degré des deux propriétés « simple » et « efficace » décrites par les prédicats de la principale et de la subordonnée. En (40), le même démonstratif, mais sans la particule d’identité, sert à qualifier le degré des propriétés « bon » et « efficace » attribuées au sujet de la principale « systèmes de contrôle » à travers le renvoi au degré des propriétés « professionnel » et « compétent » attribuées au sujet « gens » de la subordonnée. Observons également que, dans la principale antéposée, nastol’ko n’occupe jamais de position frontale, mais se place soit devant, soit après le mot quantifié.

Un autre couple de corrélateurs – postol’ku ‘lit. pour autant’ et poskol’ku ‘lit. pour combien’ – ne permet pas d’intercaler la subordonnée. Les dictionnaires contemporains et la RG-80 les qualifient de conjonctions, en glosant le démonstratif postol’ku par ‘dans la même mesure’ et le relatif poskol’ku par ‘dans quelle mesure, puisque’. Ce dernier peut également être employé en dehors de la corrélation, à l’instar de kak ‘comme’ et kogda ‘quand’ (cf. §1. ci-dessus), comme une conjonction causale. Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, en vieux et moyen russe postol’ku et poskol’ku étaient des adverbes de quantité (écrits en deux mots – po stol’ku ‘pour autant’ et po skol’ku ‘pour combien’) et exprimaient une relation de proportionnalité quantitative (Borkovskij 1979 : 371). Leur valeur causale se développe, d’une part, à partir de la préposition po ‘pour’ servant entre autres à introduire la cause et présente dans d’autres conjonctions causales16, et d’autre part à partir de la valeur implicative souvent associée aux structures corrélatives. Et si encore au XIXe siècle, postol’ku et poskol’ku étaient les synonymes de nastol’ko et naskol’ko – un peu vieux et savants, il est vrai –, dans la langue d’aujourd’hui l’interprétation quantitative ne se laisse plus percevoir qu’avec les prédicats graduables17 :

(41) Литературоведов биография поэта интересует, как правило, постольку, поскольку она отразилась в его творчестве

Critiques.littairares-acc biographie poète-gén intéresser-3sg.prés, comme règle, pour autant, pour combien elle se.refléter-sg.f.pas dans son œuvre-loc

Les critiques littéraires s’intéressent, en général, à la biographie d’un poète dans la mesure où elle se reflète dans son œuvre (> Inkova 2011a).

Néanmoins, plutôt que porter sur le degré des prédicats « intéresser » et « se refléter », comme l’aurait fait nastol’ko et naskol’ko, postol’ku dans la principale ne fait que mettre en relation de dépendance deux états de choses, en présentant la réalisation de la principale comme dépendant de celle de la subordonnée. Si l’on peut parler ici d’une quantification, ce n’est que dans le sens d’une restriction : l’interprétation de la principale est restreinte par la subordonnée. La présence dans la principale du démonstratif postol’ku focalise en effet la subordonnée et la présente comme l’unique condition de la réalisation de la principale (Inkova 2011a : 271).

La portée de postol’ku et de poskol’ku n’est donc plus prédicative, comme dans le cas de nastol’ko et naskol’ko, mais propositionnelle (ou « prédicationnelle » dans la terminologie de Hadermann et al. 2006). D’une part, il est difficile d’attribuer aux corrélateurs une fonction syntaxique de constituant. Le fait que le démonstratif postol’ku, à la différence de nastol’ko, occupe toujours une position finale dans la principale, ainsi que l’emploi de poskol’ku en tant que conjonction de cause (42) le confirment.

(42) В Минюсте отказались комментировать письмо, поскольку там его еще не получили

Dans Ministère.de.la.justice refuser-pl.pas commenter lettre-acc, pour. combien là la-acc encore neg recevoir-pl.pas

Le Ministère de la justice a refusé de commenter la lettre, puisqu’ils ne l’ont pas encore reçue

D’autre part, le relatif poskol’ku ne s’emploie jamais dans les questions, ni n’introduit d’interrogatives indirectes, à la différence des autres corrélateurs relatifs. Il est toutefois important de souligner que, malgré le fait que les corrélateurs ne sont plus des constituants, donc de vrais pronoms, la relation anaphorique entre eux reste transparente.

Un autre couple de marqueurs – nestol’ko… skol’ko ‘lit. non autant… combien’ – n’est pas non plus intégré dans la structure syntaxique des propositions qui l’accueillent. Même si ces marqueurs peuvent lier, comme en (13) ci-dessus, deux termes, en l’occurrence, deux sujets, ils ne fonctionnent pas pour autant comme des adverbes de quantité. Cette structure est de ce fait à séparer de celle qui exprime la comparaison d’égalité, ou plutôt la négation de l’égalité. Comparons les exemples suivants :

(43) Петя ест не столько яблок, сколько груш

Pet ja manger-3sg.prés nég autant pommes-gén, combien poires-gén

Pierre ne mange pas autant de pommes que de poires

(44) Петя ест не столько яблоки, сколько груши

Petja manger-3sg.prés nég autant pommes-acc, combien poires-acc

Plus que manger des poires, Pierre mange des pommes

(45) Петя ест не столько, сколько Миша

Petja mange nég autant, combien Miša

Pierre ne mange pas autant que Michel

(46) Не столько Петя ест, сколько Миша

nég autant Petja mange, combien Miša

Ce n’est pas tellement Pierre qui mange, c’est (plutôt) Michel.

Comme je l’ai montré ailleurs (Inkova 2010a : 93-94), la négation dans les comparaisons d’égalité peut porter soit sur le démonstratif (le locuteur nie l’égalité de quantité), soit sur la prédication dans son ensemble. En (43), stol’ko et skol’ko sont des adverbes de quantité : le génitif des noms qu’ils quantifient l’atteste. La négation porte sur la quantité égale de pommes et de poires que mange Pierre. En (44), les mêmes substantifs – pommes et poires – sont à l’accusatif ; ils sont donc en dehors de la portée des quantifieurs. La négation porte sur le degré d’adéquation de deux descriptions d’un seul et même état de choses, en l’occurrence, « Pierre mange » : des deux descriptions possibles de cet état de choses – « Pierre mange des pommes » et « Pierre mange des poires » – la deuxième est considérée par le locuteur comme plus adéquate. La portée de ne stol’ko… skol’ko doit être définie ici comme énonciative. Enfin, (45) peut être compris uniquement comme la négation de la comparaison d’égalité, alors que la position frontale du démonstratif, qui prend dans sa portée la proposition dans son ensemble, donne accès à son interprétation énonciative en (46). Issu – étymologiquement et sémantiquement – d’une structure comparative, ne stol’ko… skol’ko autorise la réduction de la structure propositionnelle des deux propositions mises en relation, réduction qui peut se produire aussi bien dans la partie introduite par le démonstratif (47) que dans celle introduite par le relatif (46).

(47) Но не столько по этим вещам, которые не встречаются обыкновенно у пехотного офицера, сколько по общему выражению его персоны, опытный военный глаз сразу отмечал в нем не совсем обыкновенного пехотного офицера

Mais nég autant sur ces affaires-dat, lesquelles nég se.rencontrer-3pl. prés d’habitude chez d’infanterie officier, combien sur général aspect-dat sa personne-gén, expérimenté militaire œil tout.de.suite remarquer-sg.m.pas dans lui-loc nég tout.à.fait habituel d’infanterie officier

Mais plus qu’à cause de ces affaires, que l’on ne trouve pas souvent chez un officier d’infanterie, c’est à cause de son comportement en général qu’un œil militaire expérimenté remarquait qu’il s’agissait d’un officier d’infanterie pas comme les autres

Ne stol’ko… skol’ko peuvent également lier, à l’instar des conjonctions de coordination, deux éléments à l’intérieur d’un seul syntagme – en (48) deux épithètes –, ce qui remet en question leur traitement en termes de subordination.

(48) Если же говорить об отдельных блоках, составивших программу семинара, то каждый из них нес не столько информационную, сколько ориентационную нагрузку

Si part.oppos parler de séparés blocs-loc, ayant.composé programme-acc séminaire-gén, ceci chacun d’eux porter-sg.m.pas nég autant informationnelle, combien d’orientation charge-acc

Si l’on parle de blocs thématiques qui figuraient dans le programme du séminaire, chacun d’eux avait un objectif d’orienter plus que d’informer

Si toutefois les éléments communs sont absents, les marqueurs se placent en position frontale dans les deux propositions qu’ils lient, comme en (49)18 :

(49) Лева просто поздновато стал понимать, что не столько Mитишатьевы его давят, сколько он позволяет им это

Leva simplement un.peu.tard commencer-sg.m.pas comprendre, que nég autant Mitišatjevy le-acc opprimer-3pl.prés, combien il permettre-3sg.prés leur-dat cela-acc

Simplement, Leva comprit trop tard que ce ne sont pas les Mitichatiev qui l’opprimaient, mais que c’est davantage lui qui leur permettait de le faire.

Deux solutions se présentent pour le traitement de ne stol’ko… skol’ko : soit considérer ne stol’ko… skol’ko en (43) et en (44) comme des structures homonymiques, comme le fait la tradition grammaticale russe, soit admettre que ce marqueur peut avoir deux emplois avec deux portées différentes : syntagmatique et énonciative, cette dernière quantifiant l’adéquation descriptive de deux propositions mises en relation. Ces deux emplois imposent des contraintes différentes19. Pour l’emploi syntagmatique, où le démonstratif et le relatif ont une fonction de quantifieurs, ce sont : le génitif du nom quantifié, la possibilité de la position contiguë du démonstratif et du relatif, la position frontale pour le démonstratif n’est possible qu’avec un effet de focalisation très fort.

Enfin, dans la comparative corrélative en tem-čem, selon les analyses courantes pour d’autres langues qui possèdent des structures similaires (cf. entre autres Orlandini & Poccetti 2009, Bertocchi & Maraldi 2010 pour le latin et Sanchez Lόpez 2010 pour l’espagnol), les corrélateurs sont des quantifieurs, et, en tant que tels, sont intégrés dans la structure syntaxique de la phrase. On pourrait donc supposer une portée syntagmatique de la subordonnée qui sert à déterminer la valeur de variable du démonstratif. Cependant, la position intercalée de la subordonnée, indicateur fiable de sa portée syntagmatique, s’avère le plus souvent impossible avec tem… čem ; cf. (50) et sa modification (51) devenue inacceptable :

(50) Взятка унижает тем больше, чем она меньше

Pot.de.vin humilier-3sg.prés cela-inst plus, quoi-inst elle plus.petite

Plus le pot de vin est petit, plus il humilie

(51) *Тем больше, чем взятка меньше, она унижает

*Cela-inst plus, quoi-inst elle plus.petite, il humilier-3sg.prés.

Ceci peut s’expliquer par le fait que, dans la grande majorité des cas de la principale antéposée, tem sert à modifier le prédicat ou le groupe du prédicat et a donc une portée prédicative :

(52) Реклама тем результативнее, чем больше людей узнает об описываемом товаре

Publicité cela-inst plus.efficace, quoi-inst plus personnes-gén savoir-3sg.prés de décrit produit-loc

Plus le nombre de personnes qui sauront que le produit décrit existe est grand, plus la publicité est efficace

(53) Политическая организация имеет тем большую эффективность, чем большими интеллектуальными ресурсами может пользоваться

Politique organisation avoir-3sg.prés cela-inst plus.grande efficacité-acc, quoi-inst plus.grandes ressources-inst inteliectuelles pouvoir-3sg. prés disposer

Plus l’organisation politique a de ressources intellectuelles à sa disposition, plus son efficacité est grande.

Les corrélateurs tem et čem sont toujours séparés l’un de l’autre au moins par le comparatif quantifié à l’aide du démonstratif tem, à la différence de nastol’ko et de naskol’ko, qui ont également une portée prédicative, mais acceptent la position contiguë des corrélateurs. Le démonstratif tem ne peut pas non plus occuper la position frontale dans la principale, tandis que le relatif čem (en fonction de quantifieur) ne connaît pas l’emploi interrogatif et n’introduit pas d’interrogatives indirectes. Ces dernières propriétés le distinguent du relatif naskol’ko et le rapprochent de poskol’ku.

En résumant les propriétés des corrélatives avec la principale antéposée, on peut constater que

– ces corrélatives ne sont pas homogènes du point de vue de la portée de la subordonnée ;

– la subordonnée ne peut pas être intercalée du moment où le démonstratif est attribut (comme takoj ‘tel’) ou prend dans sa portée le prédicat ;

– les corrélateurs ne sont pas toujours des constituants intégrés dans les propositions qu’ils mettent en relation ;

– la relation anaphorique entre les corrélateurs reste néanmoins transparente : dans tous les cas analysés, le démonstratif et le relatif établissent une relation de coréférence.

Les propriétés formelles des corrélateurs dans les phrases à rapport phorique symétrique sont présentées dans le tableau 1, qui montre, par ailleurs, que si le critère de portée des corrélateurs s’avère pertinent pour leur description et permet d’unifier leur traitement, la place des corrélateurs dans la proposition dépend davantage de la structure syntaxique et informationnelle de l’énoncé et ne signale que rarement de quel type de portée il s’agit.

Propriétés formelles des corrélateurs dans les phrases avec l’ordre démonstratif/relatif

CorrélateursPortée de la subordonnéePosition du démonstratifFonction syntaxique
to ‘cela’ – čto ‘quoi’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteS, COD, COI
tot ‘celui’ – kto ‘qui’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteS, COD, COI
tot ‘ce’ – kotoryj ‘quel’syntagmatiquedistanteépithète pour tot S, COD, COI, CC pour kotoryj
takoj ‘tel’ – kakoj ‘quel’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteépithète
prédicativefrontale (en absence de sujet syntaxique) contiguë distanteattribut
tak ‘ainsi’ – kak ‘comme’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteCC de manière, quantifieur
stol’ko ‘autant’ – skol’ko ‘combiensyntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distantequantifieur
ne stol’ko ‘NÉG autant’ – skol’ko ‘combien’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distantequantifieur
énonciativefrontale distante-
tam (lieu), tuda (direction) ‘là’ – gde (lieu), tuda (direction) ‘où’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteCC de lieu
togda ‘alors’ – kogda ‘quand’syntagmatiquefrontale (avec subordonnée intercalée ou effet de focalisation) contiguë distanteCC de temps
nastol'ko ‘de.autant’ – naskol’ko ‘de. combien’ (≈ ‘autant que’)prédicativefrontale (en absence de sujet syntaxique) contiguë distanteintensifieur
postol'ku ‘pour. autant’ – poskol’ku ‘pour.combien’ (≈ ‘dans la mesure où’)propositionnellecontiguë-
tem – čem ‘cela- INST – quoi-INST’ (comparative de proportionnalité)prédicativedistantequantifieur

2.2.2. L’ordre subordonnée /principale

Quand la subordonnée précède la principale, la relation phorique de coréférence entre les corrélateurs reste fondamentalement la même : le relatif sert à saturer sémantiquement le démonstratif. Mais la relation syntaxique entre les propositions n’est plus la même. Même quand le démonstratif et le relatif ont une fonction de constituant dans les propositions respectives, le démonstratif ne forme plus un seul et même constituant avec la subordonnée, comme c’était le cas des corrélateurs à portée syntagmatique, prédicative ou propositionnelle dans les phrases avec la principale antéposée. La coordination avec la conjonction i montre bien les limites de chaque proposition dans les phrases avec les deux ordres possibles.

(54) Знаешь поговорку : кто не женится до тридцати лет и кто не наживет миллиона до сорока лет, тот никогда не женится и никогда ничего не будет иметь

Savoir-2sg.prés proverbe : qui nég se.marier-3sg.prés jusqu’à trente ans-gén et qui nég posséder-3sg.prés million-gén jusqu’à quarante ans-gén, celui jamais nég se.marier-3sg.prés et jamais rien nég être-aux.3sg.fut avoir

Tu connais le proverbe : celui qui ne se marie pas avant trente ans et qui n’a pas un million avant quarante ans ne se mariera jamais et n’aura jamais rien

(55) Среди авторов были и те, кто сотрудничает с нами многие годы, и те, кто написал впервые

Parmi auteurs être-pl.pas et ceux, qui collaborer-3sg.prés avec nous-inst nombreuses années-acc, et ceux, qui écrire-sg.m.pas la.première. fois

Parmi les auteurs il y avait ceux qui collaborent avec nous depuis de nombreuses années et ceux qui ont écrit pour la première fois

Avec les corrélateurs qui acceptent la disposition contiguë, il est par ailleurs possible d’introduire devant le relatif un deuxième démonstratif, souvent avec un effet de focalisation contrastive. cf. (56) :

(56) Уехали те, кто сидел на станции и дожидался эшелона. Те, кто раздумывал, те остались. И пришли немцы…

Partir-pl.pas ceux, qui être.assis-sg.pas sur gare-loc et attendre-sg.pas train-acc. Ceux, qui réfléchir-sg.pas, ceux rester-pl.pas. Et arriver-pl.pas Allemands

Ce sont ceux qui restaient à la gare et attendaient le train qui partirent.

Ceux qui hésitaient, restèrent. Et les Allemands arrivèrent…

Dans cet exemple, la première phrase contient une corrélative avec la principale antéposée, la seconde phrase la subordonnée antéposée. En outre, dans cette deuxième corrélative le sujet, qui se trouve en contraste avec celui de la première phrase, est focalisé par le deuxième démonstratif dont la présence n’a aucune justification syntaxique, ni ne signale l’intégration de la subordonnée dans la principale, comme le montre sa comparaison avec (57) dans lequel la subordonnée intercalée a la portée syntagmatique.

(58) Те, кто раздумывал, остались

Ceux, qui réfléchir-sg.pas, rester-pl.pas

Ceux qui hésitaient restèrent

Signalons rapidement la différence de structure informationnelle des trois phrases. Dans la première corrélative de l’exemple (56), le démonstratif-sujet, ainsi que la subordonnée qui suit, font partie du rhème. En (57), le démonstratif fait partie du thème. Dans la phrase avec deux démonstratifs, le sujet de la subordonnée constitue le focus contrastif du thème, alors que la principale est ce qui est prédiqué à propos de ce thème. Le démonstratif-sujet de la principale n’a ainsi aucune fonction focalisante, fonction qui le caractérise souvent dans les corrélatives avec la principale antéposée. Il ne fait que marquer la position syntaxique du sujet. En outre, le démonstratif, grâce à sa position initiale, sert à signaler le début de la principale et, par conséquent, d’une nouvelle prédication syntaxiquement indépendante ; cf. de ce point de vue (57) ci-dessus avec la subordonnée enchâssée et (58) avec la subordonnée intégrée : l’accord du verbe de la principale avec le sujet de la principale (singulier au lieu du pluriel requis en (57) par le sujet-démonstratif te ‘ceux’ de la principale) montre bien qu’il s’agit d’un autre type de construction syntaxique :

(58) Кто раздумывал, остался

Qui réfléchir-sg.m.pas, rester-sg.m.pas

Ceux qui hésitaient restèrent.

Si la portée de la subordonnée n’est pas syntagmatique, elle n’est pas non plus prédicative. Les corrélateurs n’imposent pas en effet les mêmes contraintes dans les phrases avec la subordonnée antéposée que dans celles avec l’ordre inverse. Ainsi, les intensifieurs nastol’ko et naskol’ko n’exigent plus que les prédicats qu’ils modifient soient graduables, condition sine qua non de leur emploi dans les phrases avec la principale antéposée :

(59) Насколько вечен кирпич как строительный материал, настолько вечна проблема сохранения дома из кирпича

De.combien éternelle brique comme matériau de.construction, de.autant éternel problème conservation-gén maison-gén de brique-gén Autant la brique comme matériau de construction est éternelle, autant le problème de la conservation de la maison en brique l’est aussi (> Inkova 2009).

Les éléments auxquels les corrélateurs sont incidents (les attributs večen/ večna ‘éternel / éternelle’) ne sont pas graduables. L’interprétation en termes de degré de propriété n’est plus disponible. L’énoncé donne accès à l’interprétation épistémique, toujours scalaire, mais en termes de degré de véridicité ou d’exactitude descriptive : ‘s’il est exact de dire p, il est autant (nastol’ko že) exact de dire q’. La subordonnée antéposée, grâce à son statut informationnel de donné, connu, sert ainsi de point de repère pour évaluer le degré d’exactitude descriptive de la principale.

Le fait que dans les phrases avec la subordonnée antéposée les corrélateurs se trouvent en dehors de la portée de la négation prouve également que leur portée est extraprédicative :

(60) Насколько все понятно про Рим, настолько ничего не понятно про Афины, – то есть римская цивилизация – основа и часть европейской, а государство, культура, жизнь Древней Греции не похожи ни на что

De.combien tout clair à.propos Rome-acc, de.autant rien nég clair à.propos Athènes-aсс, ceci être-3sg.prés romaine civilisation – fondement et partie européenne-gén, et état, culture, vie Antique Grèce-gén nég ressemblants nég sur quoi-acc

Autant tout est clair avec Rome, autant rien ne l’est avec Athènes, c’est-à-dire que la civilisation romaine est le fondement et une partie de la civilisation européenne, alors que l’état, la culture, la vie de la Grèce antique ne ressemblent à rien (> Inkova 2009).

L’adverbe nastol’ko dans la principale, grâce à sa position frontale, se trouve en dehors de la portée de la négation, ce qui montre qu’il n’est plus un constituant interne à la phrase, mais qu’au contraire il prend dans sa portée, de l’extérieur, la principale dans son ensemble. La négation est en outre totale, ce qui bloque l’interprétation scalaire de l’énoncé. L’inversion de l’ordre linéaire des propositions n’est du reste pas possible.

(61) *Про Афины ничего не понятно настолько, насколько все понятно про Рим

*A.propos Athènes-aсс rien nég clair de.autant, de.combien tout clair à.propos Rome-aсс

≈ *Rien n’est clair avec Athènes dans la même mesure que tout est clair avec Rome

Un autre couple de corrélateurs – kak ‘comme’ et tak ‘ainsi’ –, qui sont toujours intégrés (en tant que compléments circonstanciels de manière ou intensifieurs) dans la structure syntaxique de la phrase avec la principale antéposée, peuvent ne plus l’être si la subordonnée est antéposée.

(62) Он был убежден, что как утка сотворена так, что она всегда должна жить в воде, так и он сотворен богом так, что должен жить в тридцать тысяч дохода и занимать всегда высшее положение в обществе

Il être-sg.m.pas convaincu, que comme canard créé ainsi, que il toujours obligé vivre dans eau-loc, ainsi part.anal il créé dieu-inst ainsi, que obligé vivre dans trente mille revenu-gén et occuper toujours supérieure position-aсс dans société-loc

Il était convaincu que, de même que le canard fut créé de telle façon qu’il doit toujours vivre dans l’eau, de même lui, il fut créé par dieu de telle façon qu’il devait avoir trente mille de revenu et occuper toujours une position importante dans la société.

Nous avons ici les deux types de structures avec les démonstratifs : une corrélative-cadre avec la principale postposée dont chaque partie comporte une phrase complexe avec une subordination par cataphore. Plus exactement, une consécutive régie par le démonstratif. Ce que l’on peut représenter de la façon suivante :

(63) … [как (утка сотворена так, что она всегда должна жить в воде)],

[так (и он сотворен богом так, что должен жить в тридцать тысяч дохода и занимать всегда высшее положение в обществе)]

… [comme (canard créé ainsi, que il toujours obligé vivre dans eau-loc)], [ainsi (part.anal il créé dieu-inst ainsi, que obligé vivre dans trente mille revenu-gén et occuper toujours supérieure position-acc dans société-loc)]

… [de même que (le canard fut créé de telle façon qu’il doit toujours vivre dans l’eau)], [de même (lui, il fut créé par dieu de telle façon qu’il devait avoir trente mille de revenu et occuper toujours une position importante dans la société)].

Dans les deux corrélatives avec les principales antéposées le corrélateur démonstratif tak (en gras) est un circonstanciel de manière. De ce fait, les corrélateurs qui introduisent la corrélative-cadre (kak et tak en petites majuscules) doivent être considérés comme extérieurs à la structure syntaxique de la phrase, ce qui leur vaut la qualification de conjonctions dans la tradition grammaticale russe. Il est cependant clair que la relation d’analogie entre les deux états de choses qu’ils mettent en relation est instaurée grâce à la relation anaphorique de coréférence entre les corrélateurs.

L’examen des exemples nous a permis d’observer que la portée de la subordonnée dans les phrases avec l’ordre subordonnée / principale est soit propositionnelle, soit énonciative : la position frontale des corrélateurs et la relation de coréférence qui les lie assurent la mise en relation de deux prédications20. Ceci dit, la position frontale que l’on trouve dans la grande majorité des phrases avec la subordonnée antéposée ne peut pas être considérée comme le trait distinctif de ce type de corrélative. Le relatif peut en effet se placer non seulement après le sujet commun des deux propositions, ce que note encore Minard (1936 : 27sq.) pour le diptyque de la prose védique et Haudry (1973 : 161) pour le latin, mais aussi après tous les éléments communs des deux propositions. Et ceci, en dehors de la comparaison, qui, on le sait bien, favorise l’ellipse :

(64) Маркел Ушаков насколько был именитый мореходец, настолько опытный судостроитель

Markel Ušakov de.combien être-sg.m.pas renommé navigateur, de.autant expérimenté constructeur.de.navires

Si Markel Uchakov était un navigateur renommé, il était aussi un constructeur de navires expérimenté

(65) Принцип глушения звука на этой системе оказался неожиданно простым, как все гениальное. (…). Техническое решение такой проблемы, предложенное русским конструктором Неугодовым, было насколько неожиданным, настолько и оригинальным

Principe étouffement-gén son-gén sur ce système-loc se.révéler-sg.m.pas incroyablement simple, comme tout génial. (…). Solution technique tel problème-gén, proposée russe constructeur-inst Neugodov-inst, être-sg.n.pas de.combien incroyable, de.autant originale

Le principe d’étouffement du son dans ce système se révéla incroyablement simple, comme tout ce qui est génial. (…). La solution technique de ce problème proposée par le constructeur russe Neugodov, si elle était incroyable, elle était aussi originale.

Dans ces exemples, l’ordre relatif / démonstratif est utilisé comme moyen de thématisation. En effet, dans le premier exemple, le fait qu’Uchakov était un navigateur est bien connu. Il est en revanche moins connu qu’il était aussi un constructeur de navires. C’est cette distribution d’information que sont appelés à véhiculer les corrélateurs. De même, dans le deuxième exemple, l’adjectif neožidannyi ‘inattendu’ précédé du relatif reprend l’adverbe neožidanno ‘de manière inattendue’ de la phrase précédente, c’est l’adjectif original’nyj ‘original’ de la principale qui constitue une nouvelle information.

D’un point de vue syntaxique, la possibilité de réduire la structure propositionnelle d’une des propositions mises en relation rapproche le fonctionnement des corrélateurs de celui des conjonctions de coordination21. Naskol’ko et nastol’ko ne constituent pas à cet égard une exception. D’autres corrélateurs connaissent ce type de fonctionnement. En (66), kak et tak lient deux compléments d’objet, de même que čem et tem en (68) ; en (67) kakoj ‘quel’ en fonction d’attribut se place après le sujet ; et même la comparative corrélative en čem – tem connaît ce type de fonctionnement, comme le montre (69), où le relatif se trouve après le sujet commun my ‘nous’ :

(66) Вы можете испытывать к прессе как любовь, так и ненависть

Vous pouvoir-2pl.prés éprouver envers presse-dat comme amour-acc, ainsi part.anal haine-acc

Vous pouvez éprouver vis-à-vis de la presse l’amour aussi bien que la haine

(67) Любовь, какая была, такая и осталась

Amour, quelle être-sg.f.pas, telle part.anal rester-sg.f.pas

L’amour est resté tel qu’il était

(68) Дети в доме, каждый из которых чем хочет, тем и занимается

Enfants dans maison-loc, chacun de quels-gén quoi-inst vouloir-3sg.

prés, cela-inst part.anal s’occuper-3sg.prés

A la maison, les enfants dont chacun fait ce qu’il veut

(69) Мы (…) стали подыматься по довольно крутому взвозу, который шел в огиб парка и постоянно держал нас в каком-то секрете от замка и других строений, так что мы чем ближе к ним приближались, тем меньше их видели

Nous… commencer-pl.pas monter sur assez raide pente-dat, qui aller-sg.m.pas dans contournement-acc parc-gén et constamment tenir-sg.m.pas nous-acc dans quelque secret-loc de château-gén et autres bâtiments-gén, ainsi que nous quoi-inst plus vers eux-dat s’approcher-pl.pas, cela-inst moins leur-acc voir-pl.pas

Nous commençâmes à monter une pente assez raide, qui contournait le parc et nous cachait constamment le château et les autres bâtiments, de sorte que plus nous avancions vers eux, moins nous les voyions.

Signalons toutefois une virgule devant le relatif kakaja ‘quelle’ qui sépare la corrélative du sujet en (67). La fonction principale de la virgule en russe est de marquer la frontière des unités syntaxiques. On pourrait donc penser pour (67) à une structure disloquée avec la thématisation du sujet dans la mesure où la syntaxe russe ne requiert pas nécessairement la reprise anaphorique de l’élément disloquée. La corrélative aurait alors sa structure ‘standard’ avec la position frontale du relatif. cf. en effet (70) où le sujet est repris dans la subordonnée par oni ‘ils’ et où la dislocation est plus évidente, mais en même temps (15) ci-dessus sans virgule dans le même type de construction syntaxique :

(70) Но мысли мои и чаяния, какими они были тогда, такими же и остались сегодня

Mais pensées mes et aspirations, quels ils être-pl.pas alors, tels part.id part.anal rester-pl.pas aujourd’hui

Mais mes pensées et mes aspirations, ils sont restés les mêmes qu’ils était à cette époque-là.

Lipták (2009 : 2) précise que la « peripheral position » de la relative corrélative n’implique pas nécessairement sa position initiale et que différents types de topics peuvent la précéder. Mais si en (64), (67) ou (69) on peut éventuellement considérer l’élément qui précède la subordonnée comme le topic de l’énoncé, il est beaucoup plus difficile de le faire en (65), (66) ou (68). D’autre part, on ne peut pas dire non plus que la subordonnée occupe dans ces trois exemples une position intercalée dans la principale du fait de l’absence de la virgule, qui aurait dû précéder la subordonnée en la délimitant.

Quoi qu’il en soit, le fait que le relatif dans les phrases avec la subordonnée antéposée peut ne pas occuper la position frontale, à l’instar du démonstratif dans les phrases avec l’ordre principale/subordonnée, et que vice versa, le démonstratif dans la principale antéposée peut y occuper une position frontale, constitue un argument fort contre l’approche étroite de la corrélation, approche qui ne considère comme corrélatives que les phrases avec la subordonnée antéposée (cf. Lipták 200922 et pour le russe Mitrenina 2008, 2010a, 2010b). Cette approche unificatrice des corrélatives me paraît justifiée, même si la position non frontale du relatif reste un emploi marginal pour certains couples de corrélateurs (elle est en effet difficilement envisageable pour tot ‘celui’ et kto ‘qui’ en fonction de sujet ou pour poskol’ku ‘pour combien’ et postol’ku ‘pour autant’) et même si ce phénomène de surface doit certainement être analysé de manière différente dans la structure profonde des corrélatives avec la principale antéposée et postposée. Rappelons toutefois que la structure syntaxique des comparatives d’égalité s’analyse d’habitude par ellipse, comme cela doit être le cas pour le relatif non frontal dans les corrélatives avec la subordonnée antéposée.

Signalons également que les corrélatives avec la subordonnée antéposée connaissent l’ellipse des éléments communs même avec la position frontale des corrélateurs. Pour le couple takoj ‘tel’ – kakoj ‘quel’, Mitrenina (2010 : 139) montre que dans les phrases avec l’ordre subordonnée/principale, la ‘tête’ de la relative peut apparaître aussi bien dans la principale que dans la subordonnée, ou dans les deux ; cf. ses exemples (a) avec la tête ‘voiture’ dans la subordonnée ; (b) dans la principale ; (c) dans les deux parties ; en (d), en revanche, ni la répétition (*) de la tête dans la relative, ni son omission *() dans la principale ne sont possibles :

(a) Какую машину он хотел, такую и купил

Quelle voiture-acc il vouloir-sg.m.pas, telle part.anal acheter-sg.m.pas

(b) Какую он хотел, такую машину и купил

Quelle il vouloir-sg.m.pas, telle voiture-acc part.anal acheter-sg.m.pas

(c) Какую машину он хотел, такую машину и купил

Quelle voiture-acc il vouloir-sg.m.pas, telle voiture-acc part.anal acheter-sg.m.pas

(d) Он купил такую *(машину), какую (*машину) хотел

Il acheter-sg.m.pas telle *(voiture), quelle (*voiture) vouloir-sg.m.pas.

Notons, pour notre part, que cette observation vaut pour tous les couples de marqueurs relatif/démonstratif, et que la même propriété a été relevée par Testelec (2001 : 261) pour la conjonction à deux places esli… to ‘si… alors’, à la différence de sa variante ‘simple’ esli ‘si’, incompatible avec l’ellipse.

3. Propriétés sémantiques et discursives des corrélatives

Malgré les affinités des propriétés formelles des corrélatives avec l’ordre principale/subordonnée et avec l’ordre subordonnée/principale et le fait que la relation sémantique qui lie dans les deux cas les corrélateurs est celle de coréférence, ces deux types de corrélatives n’ont pas néanmoins les mêmes propriétés discursives. Les trois propriétés que nous avons pu dégager pour les corrélatives avec la subordonnée antéposée – le statut informationnel de thème pour la subordonnée, la position le plus souvent initiale du démonstratif dans la principale (position qui lui permet d’assumer une fonction de connecteur discursif), la portée propositionnelle ou énonciative de la subordonnée – font penser que la visée communicative de ces constructions ne se limite pas à l’identification, grâce à la subordonnée, d’un élément – un actant ou un circonstant – d’un état de choses décrit dans la principale, mais que la corrélation syntaxique développe également une relation discursive entre deux états de choses sur la base de cet élément commun. Les quelques exemples analysées ont déjà permis de remarquer que la relation d’anaphore ‘pure’ se transforme souvent en une relation sémantiquement plus riche. Trois types de relation entre la subordonnée antéposée et la principale peuvent être isolés :

1. la relation d’identité

2. la relation d’analogie

3. la relation d’implication.

Ce qui réunit cependant ces trois types de relation, c’est le fait qu’elles s’instaurent entre les états de choses sémantiquement indépendants et s’interprètent donc toujours dans le domaine propositionnel. En plus, les corrélatives fonctionnent souvent en bloc à fonction argumentative (d’où un grand nombre de proverbes moulés dans une forme corrélative). Leur unité sémantique et syntaxique est ainsi assurée par rapport à un troisième terme. Pour illustrer cet emploi argumentatif des corrélatives, rappelons un passage bien connu de l’Evangile selon Saint Mathieu (7, 2) traduit en russe avec deux corrélatives qui suivent la conjonction de cause ibo ‘car’ et, chacune à son tour, servent à appuyer l’injonction « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés » :

(71) Не судите, да не судимы будете, ибо каким судом судите, таким будете судимы ; и какою мерою мерите, такою и вам будут мерить nég juger-2pl.prés, et nég jugés être-2pl.fut, car quel jugement-inst jugez-2pl.prés, tel-inst être-2pl.fut jugés ; et quelle mesure-inst mesurer-2pl.prés, telle-instr part.anal vous-dat être-3pl.fut mesurer Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez.

Les parties des deux corrélatives sont ici liées par la relation d’implication. Comme on le verra par la suite, cette relation ne peut toutefois pas être considérée comme une propriété sémantique intrinsèque des corrélatives avec la subordonnée antéposée.

3.1. La relation d’identité

L’anaphore ‘pure’ qui lie les corrélateurs se transforme en relation d’identité grâce à la présence de la particule že d’identité. Précisons que cette particule peut apparaître aussi bien dans les phrases avec la principale antéposée que dans celles où cette dernière suit la subordonnée. Son emploi impose néanmoins des contraintes sur la structure sémantique de l’énoncé, car si la relation de coréférence ne fait qu’identifier, définir le référent à travers un renvoi anaphorique, la relation d’identité présuppose une comparaison préalable de deux objets, propriétés, quantités, etc. qui auraient pu être différents (Rivara 1990 : 151sq., Inkova 2008b, 2010)23. Comparons les énoncés suivants :

(72) Но надежда угасла так же быстро, как и появилась

Mais espoir s’éteindre-sg.f.pas ainsi part.id vite, comme part.anal apparaître-sg.f.pas

Mais l’espoir s’éteignit aussi rapidement qu’il apparut

(73) Как неожиданно гроза началась, так же внезапно и просияло солнце на голубом небе

Comme de.manière.inattendue orage commencer-sg.f.pas, ainsi part.id subitement part.anal briller-sg.n.pas soleil sur bleu ciel-loc

≈ Le soleil réapparut dans le ciel bleu aussi brusquement que l’orage, qui éclata quelques instants auparavant

(74) Чичикову сделалось так приютно, как не бывало давно

Čičikov-dat se.faire-sg.n.pas ainsi confortablement, comme nég être-sg.n.pas il.y.a.lontgtemps

Čičikov se sentit parfaitement à son aise, comme il ne se sentait pas depuis longtemps.

L’exemple (72) comporte une comparaison d’égalité, plus exactement, une construction équative spécifique, qui se construit en russe à l’aide des démonstratifs suivis de la particule d’identité že. La comparaison porte sur le degré de la propriété bystro ‘rapidement’ qui qualifie deux procès : ugasnut’‘s’éteindre’ et pojavit’sja ‘apparaître’. Le degré de cette propriété est égal pour les deux procès. De même, en (73), avec l’ordre des propositions inversé, le locuteur évalue la propriété neožidanno ‘de manière inattendue’ (exprimée dans la principale par un adverbe synonymique vnezapno ‘soudainement’) qui qualifie deux procès načat’sja ‘commencer’ et prosijat’ ‘briller’. Cette fois-ci les sujets sont différents, comme l’est la structure informationnelle des énoncés : en (72), le comparant se trouve dans le rhème de l’énoncé, en (73), il constitue son thème.

Enfin, en (74), il s’agit d’un autre type de comparaison : une « comparative caractérisante » (Inkova 2010 : 93). La subordonnée régie par le démonstratif ne sert plus à évaluer le degré d’une propriété commune dont l’existence est présupposée chez les deux ‘objets’, mais à caractériser une propriété ou son degré à travers sa comparaison avec une autre. Dans les comparatives caractérisantes, c’est donc l’attribution d’une propriété ou d’un degré qui constitue une nouvelle information. L’état de choses décrit dans la subordonnée n’est pas sémantiquement indépendant, mais intégré – notamment grâce au démonstratif – dans celui décrit dans la principale, ce qui ne permet d’établir une relation d’identité entre eux, ni d’invertir l’ordre des propositions.

De plus, la négation dans la subordonnée de (74), négation qui exprime l’unicité de l’état de choses décrit dans le comparant, exclut naturellement l’interprétation en termes d’égalité de degré, en produisant un effet de haut degré (Rivara 1995, Muller 1996a). Ceci bloque la possibilité d’introduire la particule že. Il est à noter que, de façon générale, la particule že ne s’emploie que dans les phrases que j’ai proposé d’appeler « corrélatives » (cf. § 2.1. ci-dessus), c’est-à-dire avec une relation phorique réciproque entre les corrélateurs. Son introduction n’est en revanche pas possible dans les phrases avec la subordination par cataphore – avec une dépendance orientée – dans lesquelles la principale est suivie d’une consécutive (19) ou d’une comparative hypothétique (21).

Cette contrainte soulève le problème du traitement de kak dans les comparatives d’égalité : serait-ce une conjonction ou un pronom ? Si la relation d’identité exige une relation anaphorique symétrique, (cf. les exemples (75)-(77) avec d’autres démonstratifs), kak dans les comparatives doit être qualifié de pronom.

(75) Родила этого ребенка Матрешка в картофелях ; и где родила его, там же его и кинула

Mettre.au monde-sg.f.pas ce enfant-acc Matreška dans pommes. de.terre-loc ; et mettre.au.monde-sg.f.pas lui-acc, part.id lui-acc part.anal abandonner-sg.f.pas

Matreška mit cet enfant au monde dans un champ de pommes de terre, et là où elle le mit au monde, là elle l’abandonna

(76) Те, кто распределяет хлеб между населением, те же имеют право и браковать его

Ceux, qui distribuer-3sg.prés pain-acc entre population-inst, ceux part. id avoir-3pl.prés droit-acc part.anal mettre.au.rebut lui-acc

Les mêmes personnes qui distribuent le pain à la population ont le droit de le mettre au rebut

(77) Действие в точности равно противодействию, поэтому, с какой силой винт толкает корабль вперед, с такой же точно силой и корабль толкает винт назад

Action dans exactitude-loc égale réaction-dat, c’est.pourquoi, avec quelle force-inst hélice pousser-3sg.prés navire-acc en.avant, avec tel part.id exactement force-inst part.anal navire pousser-3sg.prés hélice-acc en.arrière

L’action est exactement égale à la réaction ; c’est pourquoi, la force avec laquelle l’hélice pousse le navire en avant est exactement la même avec laquelle le navire pousse l’hélice en arrière

Deux arguments peuvent être avancés pour appuyer cette hypothèse. Le premier est le fait que, avec les adjectifs de forme longue, tak et kak se transforment en adjectifs takoj et kakoj quand les prédicats sont au passé ; cf. de ce point de vue (78) et sa transformation (79) :

(78) Жизнь стала такой же ненадежной, какой она была во времена Марциала

Vie devenir-sg.f.pas telle part.id instable, quelle elle être-sg.f.pas dans temps-acc Martial-gén

La vie est devenue aussi instable qu’elle était au temps de Martial

(79) Жизнь так же ненадежна, как во времена Марциала

Vie ainsi part.id instable, comme dans temps-acc Martial-gén

La vie est aussi instable qu’au temps de Martial.

Selon l’hypothèse de Matushansky & Ruys (2007), les subordonnées introduites par takoj et tot en combinaison avec že ont la syntaxe des relatives. Ceci permet de qualifier kak également de pronom.

Le deuxième argument qui confirme, de façon quelque peu indirecte, notre hypothèse est le fait que, à l’origine et jusqu’à la deuxième moitié du XIXe, l’adverbe tak s’employait également avec la forme longue des adjectifs (80), et que les adverbes stol’ko et skol’ko dont l’emploi est réservé aujourd’hui à la quantification de quantité, comme dans les exemples (43) et (45) ci-dessus, s’employaient également pour la quantification de la qualité comme en (81). La construction était donc dans les deux cas symétrique : le démonstratif suivi du relatif.

(80) Забирая свои вещи, все мальчики выбегали из класса и вместе с ними наказанные, так же веселые и резвые, как и другие

Prenant leurs affaires-acc, tous garçons sortir.en.courant-pl.pas de classe-gén et avec eux-inst punis, ainsi part.id joyeux et pétulant comme part.anal autres

Après avoir pris leurs affairs, tous les garçons sortaient en courant de la classe, et avec eux ceux qui ont été punis, aussi joyeux et pétulants comme les autres

(81) Незнакомка была столько же глупа, сколько и прекрасна

Inconnue être-sg.f.pas autant part.id bête, combien part.anal belle

L’inconnue était aussi bête que belle

Pour ce qui est du statut grammatical de kak dans les comparaisons hypothétiques (82), il ne s’agira pas alors d’une structure anaphorique symétrique tak… kak [ + budto, esli by, etc.], mais d’une conjonction composée d’éléments de nature morphologique différente24 (kak budto = kak ‘comme’ + budto [> bud’ to] ‘soit ceci’ ; kak esli by = kak ‘comme’ + esli ‘si’ + by particule modale) et, par conséquent, de la subordination par cataphore.

(82) Нинка обернулась и посмотрела на Чонкина как-то странно, так странно, как будто с ним что-то случилось

Ninka se.retourner-sg.f.pas et regarder-sg.f.pas sur Tchonkine-acc comment-indéf étrangement, ainsi étrangement, comme si avec lui-inst quelque.chose arriver-sg.n.pas

Ninka se retourna et regarda Tchonkine de manière étrange, comme s’il lui était arrivé quelque chose

Le fait que ce soit bien une conjonction se voit confirmé par l’alternance des conjonctions de comparaisons hypothétiques qui comportent l’‘élément’ kak avec d’autres, à savoir točno ou slovno (21) qui ne le comportent pas.

La particule že d’identité se combine avec tous les démonstratifs corrélateurs sauf deux : ne stol’ko de la construction ne stol’ko… skol’ko (13) et tem de la comparative corrélative čem. L’incompatibilité de že avec ne stol’ko s’explique par la portée de la négation qui nie la coréférence des corrélateurs et, par conséquent, leur éventuelle identité. La raison de l’incompatibilité de tem – čem avec že est moins immédiate et à chercher probablement dans le caractère ‘dynamique’ de cette construction qui établit la proportionnalité de progression de deux degrés ou quantités25.

Observons, enfin, que pour postol’ku et poskol’ku la particule že ne s’emploie que dans les phrases avec la subordonnée antéposée. Cette particularité peut trouver son explication tout d’abord dans la relation implicative entre les propositions liées par ces marqueurs, ainsi que dans la fonction essentiellement focalisante de postol’ku dans la principale antéposée. Elle est comparable à celle de la forme discontinue d’un autre marqueur causal – potomu čto –, qui a la même forme interne que son équivalent français parce que. Normalement, cette conjonction occupe la position initiale dans la subordonnée, mais, pour focaliser cette dernière, la partie avec le démonstratif potomu se déplace dans la principale, tandis que la deuxième partie avec la conjonction čto (ancien relatif) reste dans la subordonnée et est séparée de potomu par une virgule :

(83) На отцовские деньги мне было… наплевать, я никогда… на них не рассчитывал – и вовсе не потому, что я такой бессребреник

Sur paternel argent-acc.pl moi-dat être-sg.n.pas… se.ficher, je jamais sur eux neg compter-sg.m.pas – et absolument neg parce que je tel désintéressé

Je me fichais de l’argent de mon père, je… n’ai jamais compté dessus – et ce n’est absolument pas parce que l’argent ne m’intéresse pas (> Inkova 2011b).

La même fonction focalisante peut être attribuée à postol’ku dans les phrases avec la principale antéposée. cf. (84) où nous trouvons en même temps la forme discontinue de potomu čto et postol’ku, poskol’ku, utilisés presque comme synonymes ; en outre, la partie avec le démonstratif de potomu, čto est précédée d’une négation contrastive et le démonstratif postol’ku est précédé de la particule focalisante liš’ ‘seulement’ :

(84) С ним случилось несчастье, и те слабые узы, которые соединяли его с Офелией, сразу порвались. Это не потому, что любовь не выдерживает испытания. Нет, причина все та же. Гамлет любит, как и ненавидит, лишь постольку, поскольку это от него ничего не требует

Avec lui-inst se.passer-sg.n.pas malheur, et ces faibles liens, qui unir-pl.pas lui-acc avec Ophélie-inst, immédiatement se.rompre-pl.pas. Ceci nég parce, que amour nég supporter-3sg.prés épreuves-acc. Non, raison toujours cette part.id. Hamlet aimer-3sg.prés, comme part.analhaïr-3sg.prés, seulement pour. autant, pour.combien cela de lui-gén rien nég exiger-3sg.prés

Il lui est arrivé un malheur, et les faibles liens qui l’unissaient à Ophélie se sont immédiatement rompus. Ce n’est pas parce que l’amour ne supporte pas d’épreuves. Non, la raison est toujours la même. Hamlet aime et hait seulement parce que/ seulement si cela n’exige rien de lui (> Inkova 2011a).

Issus de deux structures syntaxiques différentes26, postol’ku… poskol’ku et potomu čto ont donc un fonctionnement discursif similaire.

3.2. La relation d’analogie

L’anaphore ‘pure’ peut devenir une relation d’analogie, signalée par la particule i, que nous avons déjà rencontrée à plusieurs reprises dans les phrases avec la relation d’identité. Il ne s’agit en aucun cas de la conjonction de coordination i ‘et’ – qui n’apparaît du reste jamais entre les propositions formant une corrélative – du simple fait que la conjonction aurait été placée à la césure des propositions, alors que la particule i peut occuper n’importe quelle place à l’intérieur de la phrase, car elle précède toujours l’élément rhématique.

Pour ce qui est de sa valeur, il ne s’agit pas d’une particule « d’intensité », comme le propose Paykin (2009 : 88), ni non plus d’un « emphatic particle » (Mitrenina 2010 : 149, 151). Ces termes sont en tout cas beaucoup trop vastes27 pour expliquer l’apport sémantique de i dans les corrélatives et dans d’autres structures sémantiques. Pour Lomtev (1971 : 112-113), il s’agit d’un « quantifieur de non-unicité » (kvantitativ needinstvennosti) – cette hypothèse est particulièrement juste pour les phrases comme (66) ; pour Nikolaeva (2004 [1985] : 113), la particule i est souvent synonyme de l’adverbe tože ‘aussi’, hypothèse qui va dans le sens de celle de Lomtev ; pour Uryson (2000) et pour Bezjaeva (2002 : 348), la particule i exprime une identité ou une analogie de deux objets ou de deux situations. A mon avis, la différence fondamentale entre la particule že et la particule i réside dans leur portée : si že prend dans sa portée le mot qui le précède (comme nous l’avons vu notamment dans le cas des corrélateurs démonstratifs dans les phrases avec la relation d’identité), la particule i, elle, prend dans sa portée un état de choses dans son ensemble, en marquant l’élément concerné par l’analogie. Si l’on reprend l’exemple (72) ci-dessus, la particule že porte sur le démonstratif tak en exprimant l’identité de degré de l’adverbe bystro ‘vite’ qui qualifie les prédicats ugasnut’ s’éteindre’ et pojavit’sja ‘apparaître’, tandis que la particule i établit une analogie entre les états de choses nadežda pojavilas’ bystro ‘l’espoir apparut rapidement’ et nadežda iscezla bystro ‘l’espoir s’éteignit rapidement’ du point de vue de leur degré de rapidité, en marquant celui des éléments des deux états de choses qui fait leur différence (en l’occurrence isčezla ‘s’éteignit’ pojavilas’ ‘apparut’). La présence quasi-constate de la particule i dans les comparatives d’égalité soutient ainsi indirectement leur analyse par ellipse. De même, en (75) avec l’ordre des propositions inverse, la particule i établit l’analogie entre deux états de choses mettre au monde et abandonner du point de vue du lieu de ces deux événements, en marquant de nouveau, mais cette fois-ci dans la principale qui constitue le rhème, l’élément différent, à savoir abandonner.

En dehors de la comparaison, la particule i d’analogie s’emploie le plus souvent dans les phrases avec l’ordre subordonnée/principale, puisqu’elle requiert deux états de choses sémantiquement indépendants. Dans les phrases avec l’ordre principale/subordonnée, dans lesquelles l’objectif communicatif du locuteur est de définir le référent du démonstratif, la particule i est extrêmement rare. En (85), un des rares exemples répertoriés dans mon corpus, l’analogie s’établit en effet en deux mouvements énonciatifs : le locuteur définit dans un premier temps l’endroit où le garçon faisait ses devoirs et, en reprenant anaphoriquement le circonstanciel de lieu dans la pièce du fond, il établit, dans un deuxième temps et à l’aide d’une structure appositive – la virgule devant tak l’atteste –, son analogie avec l’endroit où il dormait.

(85) Девятилетний мальчонка Яков, с серьёзным прозвищем Фетисыч, обычно уроки готовил в дальней комнате, там, где и спал

De.neuf.ans garçonnet Jakov, avec sérieux surnom-inst Fetisyč, d’habitude devoirs-acc préparer-sg.m.pas dans lointaine pièce-loc, là où part.anal dormir-sg.m.pas

Le petit garçon de neuf ans Jakov, avec un surnom sérieux Fétisytch, faisait d’habitude ses devoirs dans la pièce du fond, là où il dormait également

La relation d’analogie impose des contraintes sur la structure syntaxique et sémantique de l’énoncé. Parmi celles-ci, le parallélisme des structures syntaxiques des propositions mises en relation est souvent mentionné. La particule i est en effet très répandue en russe dans les phrases du type Tel père, tel fils, Tel pope, telle paroisse. Pour cette raison, Kručkov & Maximov (1960 : 16) proposent même de les séparer dans une classe sémantico-syntaxique à part : les propositions d’analogie. En revanche, i n’est pas acceptable en (50) et (52) du fait que les propositions mises en relation ne possèdent pas le parallélisme nécessaire. Mais elle n’est pas possible non plus en (56), et ceci, nonobstant ce parallélisme syntaxique des propositions. La raison de cette inacceptabilité est à chercher dans l’objectif communicatif du locuteur qui ne cherche pas à établir une relation d’analogie entre les deux états de choses (ceux qui hésitaient et ceux qui sont restés), mais d’identifier le référent du sujet de la principale.

3.3. La relation d’implication

La corrélation est souvent définie comme une relation de co-dépendance de deux états de choses, dont le premier (décrit dans la subordonnée) est une condition, une cause ou, au moins, un cadre interprétatif pour le deuxième (décrit dans la principale). Il semble toutefois évident que l’interprétation d’implication ne doit pas être attribuée à la sémantique des corrélateurs, mais considérée comme un ‘effet de sens’ engendré par la structure sémantique des propositions mises en relation. Ainsi, en (2), la lecture implicative de la corrélative tels gens, telle histoire est suggérée par le contexte gauche : « ce n’est pas l’histoire qui est en cause, mais les gens ». Elle n’est en revanche disponible ni en (75) et ni en (76) ci-dessus.

Parmi les conditions nécessaires donnant accès à ce type d’interprétation, on évoque souvent la lecture générique de l’énoncé (cf. Maximov [1971] 2011 : 414, Orlandini & Poccetti 2009, Choi-Jonin ici-même). Les énoncés génériques véhiculent en effet souvent une implication, même en dehors de la corrélation :

(86) За двумя зайцами погонишься, ни одного не поймаешь

Derrière deux lièvres-inst courir-2sg.prés, nég seul-acc nég attraper-2sg.prés

Su tu poursuis deux lièvres à la fois, tu n’en attraperas aucun.

Cette condition de généricité ne suffit cependant pas toujours. L’interprétation implicative n’est pas disponible en (87), pourtant générique : ce sont la particule d’identité že qui suit le démonstratif tak ‘ainsi’ et la focalisation de la relation d’identité par l’adverbe točno ‘exactement’ qui bloquent cette lecture.

(87) Как фитиль пропитывается керосином, точно так же и корень пропитывается соками почвы

Comme mèche s’imprègner-3sg.prés pétrole-inst, exactement ainsi part.id part.anal racine s’imprégner-3sg.prés sèves-inst terre-gén

Comme la mèche s’imprègne de pétrole, de la même façon la racine s’imprègne de la sève de la terre

La particule d’analogie i, en revanche, n’empêche pas l’interprétation implicative, à condition qu’une relation de cause à conséquence puisse être instaurée entre les prédicats des propositions mises en relation.

(88) Кто с мечом придет, тот от меча и погибнет

Qui avec glaive-inst venir-3sg.prés, celui de glaive-gén part.anal périr-3sg.prés

Qui viendra avec le glaive périra du glaive

Cette relation implicative est souvent basée sur la succession de deux états de choses dans le temps : Post hoc, ergo propter hoc.

(89) Что посеешь, то и пожнешь

Quoi-acc semer-2sg.prés, cela-acc part.anal moissonner-2sg.prés

Tu récolteras ce que tu sèmeras (auras semé)

La lecture implicative n’est donc pas nécessairement liée à la sémantique de la corrélation qui la favoriserait, mais essentiellement aux contenus propositionnels mis en relation.

Pour ce qui est de la comparative corrélative, elle donne effectivement le plus souvent accès à l’interprétation implicative conditionnelle. cf. (90) où cette relation de cause à conséquence est marquée de manière supplémentaire par l’adverbe estestvenno ‘naturellement’ dans la principale :

(90) Чем шире и активнее деятельность Никона, тем, естественно, и больше его власть

Quoi-inst plus.vaste et plus.active activité Nikon-gén, cela-inst, naturellement, part.anal son pouvoir plus.grand

Plus l’activité de Nikon est vaste et zélée, plus, naturellement, son pouvoir est grand.

La lecture implicative est également favorisée par la valeur des corrélateurs, formes figées de l’instrumental, en l’occurrence de l’instrumentale de mesure. Or, l’instrumental en russe est extrêmement polysémique et parmi ses différentes valeurs on trouve également une valeur causale (cf. Mrazek 1964, Lomtev [1958] 2006). Le démonstratif et le relatif à l’instrumental avec la valeur causale ont été assez répandu en vieux russe et s’employaient non seulement dans les structures corrélatives. Le russe d’aujourd’hui connaît également ce type d’emploi :

(91) Внешне он казался бодрым, но тем сильнее страдала его нервная система

Extérieurement il sembler-sg.m.pas dispos, mais cela-inst plus.fort souffrir-sg.f.pas son système nerveux

De vue, il semblait dispos, mais son système nerveux n’en souffrait que davantage

(92) Однако в присутствии Сталина больше помалкивал, чем и заслужил репутацию молчальника

Pourtant dans présence-loc Staline-gén le.plus.souvent se.taire-sg.m.pas, quoi-inst part.anal. mériter-sg.m.pas réputation-acc homme. taciturne-gén

Pourtant en présence de Staline il gardait le plus souvent silence, ce qui lui a valu la réputation d’un homme taciturne.

Ceci a amené à considérer la valeur implicative comme inhérente à cette construction et comme la raison de son irréversibilité. Or, nous avons vu qu’en russe, l’ordre des propositions est réversible, ce qui est dû certainement au fait que les corrélateurs ne sont pas identiques. Mais on a vu aussi que la valeur de la construction n’est pas nécessairement implicative ; cf. (69) ci-dessus ou (93) :

(93) Вся его жизнь, чем ближе к развязке, тем сильнее обращалась в жесточайшую борьбу

Toute sa vie, quoi-inst plus.proche vers dénouement-dat, cela-inst plus.fortement se.transformer-sg.f.pas dans la.plus.cruelle lutte-acc

Tout sa vie, plus elle s’approchait du dénouement, plus elle se transformait en une lutte des plus cruelles.

L’exemple suivant est intéressant pour notre propos dans la mesure où la principale est suivie de trois subordonnées postposées, dont les deux premières sont liées par une relation d’énumération, alors que la deuxième et la troisième se trouvent en relation causale signalée par l’adverbe sledovatel’no ‘par conséquent’. Cela fait penser que la valeur inhérente de la construction se limite à la relation de proportionnalité et que la relation implicative est de nouveau un effet de sens disponible à partir des contenus propositionnels.

(94) Борьба, которая, по словам одного из крупнейших русских историков Ивана Забелина, « пробуждалась всегда тем сильнее, чем неудовлетвореннее оказывалось современное устройство, чем настоятельнее являлась потребность перемен и улучшения, чем, следовательно, живее чувствовалась необходимость отыскать прямой и верный путь общественного спасения »

Lutte, qui, selon propos-dat un-gén de plus.importants russes historiens-gén Ivan-gén Zabéline-gén, « s’éveiller-sg.f.pas toujours cela-inst plus.fort, quoi-inst plus.insatisfaisant se.révéler-sg.n.pas actuel ordre, quoi-inst plus.préssant apparaître-sg.f.pas nécessité changements-gén et amélioration-gén, quoi-inst, par.conséquent, plus.vivement se.sentir-sg.f.pas nécessité-acc trouver droit et juste chemin-acc social salut-gén

La lutte, qui, selon l’un des plus grands historiens russes Ivan Zabéline, « s’éveillait plus fortement quand l’ordre actuel se révélait plus insatisfaisant, quand la nécessité de changements et d’amélioration devenait plus pressante, et quand, par conséquent, la nécessité de trouver une voie directe et juste pour sauver la société se sentait plus fortement

On peut donc conclure que la comparative corrélative n’est pas fermée à la lecture implicative, mais que sa valeur primaire est celle de proportionnalité28 : tous les énoncés avec les corrélateurs tem – čem ont cette interprétation, alors que la lecture implicative exige des conditions sémantiques spécifiques.

4. Conclusion

Nous avons examiné plusieurs propriétés formelles et sémantiques des phrases corrélatives en russe, notamment la permutabilité de l’ordre des propositions, la portée et la place des corrélateurs, les relations sémantiques qu’ils peuvent instaurer. D’autres questions, faute de place, sont restées en dehors de la présente étude, à savoir le caractère obligatoire vs facultatif du démonstratif, la possibilité de fonctionner en tant que phrase autonome pour la subordonnée et la principale. Mais un dépouillement rapide du corpus a déjà permis d’observer que les corrélateurs ne sont pas non plus homogènes vis-à-vis de ces paramètres. Les autres critères passés en revue (notamment, la portée de la subordonnée, la fonction de constituant des corrélateurs, la position frontale du relatif dans les phrases avec la subordonnée antéposée) ne peuvent pas non plus être retenus comme discriminants dans la mesure où les corrélateurs ont des modalités de fonctionnement différentes et que celles-ci dépendent en outre de l’ordre linéaire des propositions.

Le critère qui peut néanmoins être retenu pour regrouper les corrélatives dans une classe particulière est la relation phorique symétrique qui lie les corrélateurs. J’ai donc proposé d’opérer une distinction entre la corrélation (une relation de co-dépendance des propositions formant une phrase complexe) et la subordination par cataphore (une dépendance orientée). Les corrélatives peuvent ainsi être définies comme des structures syntaxiques binaires dont les deux membres sont introduits par des éléments morphologiquement apparentés, les ‘corrélateurs’ (le démonstratif dans la principale et le relatif dans la subordonnée) liés par une relation phorique symétrique. L’approche proposée, même si elle n’est certainement pas exempte de défauts, a du moins l’avantage de ne pas engendrer de contradictions dans la description des structures corrélatives que j’ai mentionnées au début de mon étude et permet d’éviter de traiter différemment les mêmes morphèmes démonstratifs et relatifs. Le critère de relation phorique symétrique permet, en outre, de séparer les corrélatives d’autres structures binaires : des phrases avec les conjonctions « à deux places » (telles que ne tol’ko… no i ‘non seulement… mais aussi’, esli… to ‘si… alors’), ainsi que des conjonctions dites corrélatives (ni… ni, et… et, etc.) et des phénomènes de co-subordination (cf. notamment certains types de subordonnées temporelles).

Liste des abréviations : gén – génitif, dat – datif, acc – accusatif, inst – instrumental, loc – locatif, sg – singulier, pl – pluriel, m – masculin, f – féminin, n – neutre, prés – présent, fut – futur, pas – passé, aux – auxiliaire, nég – négation, mod – modal, indéf – indéfini, part.id – particule d’identité, part.anal – particule d’analogie, part.oppos – particule d’opposition, dir – direction, part.pas.act – participe passé actif, part. pas.passif – participe passé passif.

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1 O. Mitrenina appréhende les corrélatives de façon restrictive : il s’agit uniquement de phrases complexes avec la subordonnée antéposée liée à la principale par un double rapport syntaxique : relatif et anaphorique [« Коррелятивы – это сложноподчиненные предложения с препозицией придаточной части, которая связана со своей вершиной в главной клаузе двойной связью : подчинительной (определительной) и анафорической » (Mitrenina 2008 : 356)].

2 La tradition grammaticale russe considère comme corrélateurs non seulement les pronoms démonstratifs, mais aussi les pronoms négatifs et opredelitel’nye ‘déterminatifs’, tels que každyj ‘chacun’, vse ‘tous’, etc.

3 Le corpus pour cette étude a été composé à partir du Corpus national russe (ruscorpora.ru) et couvre des occurrences datant de la période du début du XIXe siècle à nos jours.

4 Il est du reste possible d’avoir plusieurs éléments corrélés dans la même phrase :

Увы, на войне с кем куда пошлют, с тем туда и пойдешь

Hélas, sur guerre-loc avec qui-inst envoyer-3pl.prés, avec celui-inst part.anal aller-2sg.fut

Hélas, à la guerre, tu iras avec celui et là avec qui et où tu seras envoyé.

5 L’alternance des formes en [k] et en [č] initiales dans le système des relatifs/interrogatifs/indéfinis russes (y compris dans la corrélative en čem – tem), ainsi que dans les conjonctions qui en dérivent s’explique par la palatalisation de la vélaire [k] devant les voyelles d’avant (les formes en [č] proviennent de la base i.-e. *kw ĭ-) qui s’est produite dans les langues slaves, à la différence, par exemple, du latin ; cf. quid.

6 Le terme « constructions siamoises » de Cappeau & Savelli (1995) est ainsi inapplicable au russe, qui, à la différence de l’allemand ou du français, ne connaît pas – même dans les phrases avec la subordonnée antéposée – la corrélation à corrélateurs identiques. Les cas avec deux corrélateurs démonstratifs, comme dans cette citation de Gogol :

За что же его убить ? Он перешел по доброй воле. Чем человек виноват ?

Там ему лучше, туда и перешел

Pour quoi donc le-acc tuer ? Il passer.chez.l’ennemi-sg.m.pas sur bonne volonté-dat. Quoi-inst homme coupable ?

-lieu lui-dat mieux, -dir part.anal passer-sg.m.pas

Pourquoi donc faudrait-t-il le tuer ? Il est passé chez l’ennemi de bon gré.

Pourquoi serait-il coupable ? C’est là-bas qu’il se sentait mieux, c’est donc là-bas qu’il a décidé de rester,

sont extrêmement rares et n’ont pas la même structure sémantique que les corrélatives ‘standard’. Les corrélateurs ne renvoient pas ici l’un à l’autre, mais à une troisième entité, déjà présente dans le texte ou dans la situation communicative, en l’occurrence, au complément de lieu « chez l’ennemi ».

7 De ce fait, la frontière entre la corrélation et la subordination s’avère souvent difficile à tracer (cf. Inkova 2011b).

8 Il n’est pas sans intérêt de remarquer que pour les auteurs du manuel de syntaxe russe Galkina-Fedoruk et al. (2009 : 173), il s’agit d’une conjonction de subordination.

9 Cette valeur de quantifieur se développe, selon Mrazek (1964), à partir de la valeur de mesure du cas instrumental (instrumentalis mensurae) dans son emploi non prépositionnel.

10 Je ne touche pas ici, car elle me semble peu pertinente pour la description du fonctionnement des corrélatives en russe contemporain, la question de savoir lequel des deux ordres possibles – relatif/démonstratif ou vice versa – doit être considéré comme ‘prototypique’. Les historiens de la langue russe sont, en général, d’accord avec la position de Korš 1877, Minard 1936 et Haudry 1973, selon laquelle la forme de base de la corrélation est ce que Minard (1936) nomme le diptyque normal, celui où la proposition introduite par le relatif précède la proposition introduite par le phorique (cf. notamment Karcevski 1961, Borkovskij 1979 ou Kuznecova 1983). Par contre, Borkovskij (1983), qui analyse l’évolution des structures syntaxiques dans les langues slaves orientales, associe tel ou tel ordre linéaire des propositions au type sémantico-syntaxique de la phrase complexe : l’antéposition de la subordonnée caractériserait les subordonnées hypothétiques, concessives et relatives-sujets, alors que l’ordre inverse serait typique des autres types de subordonnées (Borkovskij 1983 : 217sq.).

11 Cette différence de type de reprise anaphorique a été relevée pour la première fois par Belosapkova (1971). Sa typologie des phrases avec le démonstratif dans la principale, reprise ensuite sans modifications dans Belošapkova ([1981] 1997 : 857), n’inclut cependant pas les phrases avec l’ordre subordonnée/principale.

12 Cette distinction ne rejoint qu’en partie celle qui est faite dans la RG-80 (II : 512) pour les phrases liées entre la relation anaphorique orientée et non-orientée. Les phrases liées y sont divisées en deux groupes : avec les subordonnées conjonctives et avec les subordonnées relatives. Ces dernières sont, à leur tour, divisées en :

– subordonnées introduites par un relatif et régies par un constituant sémantiquement plein ; ces subordonnées ne peuvent être que postposées (« anaphore orientée »), cf. les relatives régies par un groupe nominal, comme en (17) ci-dessus ;

– celles qui sont régies par un démonstratif seul (mais un démonstratif d’origine nominale uniquement) et peuvent être aussi bien postposées qu’antéposées (« anaphore non orientée »), cf. (27) et (28) ci-dessous.

13 Peškovskij ([1938] 2001 : 429) et Belošapkova (1971 : 42) lui refusent du reste le caractère anaphorique.

14 L’inversion de l’ordre des propositions est possible, mais il ne s’agira plus d’une structure corrélative ; cf. :

Почему нельзя носить серьги, (этого) я не понимала

Pourquoi interdit porter boucles.d’oreilles-acc, cela-gén je nég comprendre-sg.f.pas

Pourquoi il était interdit de porter des boucles d’oreilles, (ça), je ne le comprenais pas.

C’est une phrase avec une dislocation à gauche : la subordonnée thématisée est reprise par un démonstratif, mais ce n’est plus un démonstratif de distance en t-, dont l’emploi anaphorique est réservé presque exclusivement aux structures corrélatives, mais un démonstratif de proximité en èt – (en l’occurrence èto ‘ceci’), qui ne s’emploie jamais dans les structures corrélatives. Sa présence dans la principale dépend du reste du régime du verbe : le démonstratif n’est obligatoire qu’avec le régime indirect.

15 Notons cette différence terminologique importante : du fait que l’article n’existe pas en russe, l’adjectif démonstratif est considéré comme épithète du nom qu’il qualifie, comme le sont les adjectifs lexicalement pleins.

16 cf. la conjonction causale russe la plus fréquente potomu čto (pour cela-dat que ‘parce que’), ainsi que les conjonctions slavonnes, qui disparaissent par la suite, poneže ‘puisque’ et poeliku, qui comportent également la préposition po.

17 L’interprétation quantitative est en revanche bloquée en (7) ci-dessus par le caractère non-graduable du deuxième prédicat « l’homme y est absent » (litt. il n’y a pas d’hommes). De ce fait, il est impossible de remplacer postol’ku… poskol’ku par nastol’ko… naskol’ko qui donne accès à cette interprétation.

18 Précisons cependant que, de façon générale, la position frontale – et non contiguë – du démonstratif dans les phrases avec la principale antéposée dépend de sa structure syntaxique. En dehors des cas de la subordonnée intercalée, ce qui fait déplacer le démonstratif en position frontale, peuvent se placer au début de la phrase principale takoj et nastol’ko qui portent sur le prédicat d’une phrase impersonnelle (sans sujet syntaxique), leur position frontale est en revanche exclue en présence du sujet syntaxique ; par contre, la position frontale des pronoms to ‘cela’ et tot ‘celui’ en fonction de sujet ou de complément aboutit à un effet de focalisation très fort, typique de l’oral ou de la syntaxe poétique ; cf. l’exemple de Karamzine :

Тому не надобно Фортуны, Кто с Фебом в дружестве живет !

Celui-dat nég nécessaire Fortune-gén qui avec Phèbe dans amitié vivre-3sg.prés

Celui qui est un ami de Phèbe, n’a pas besoin de la Fortune.

19 cf. pour takoj dont les possibilités d’introduire une subordonnée intercalée dépendent également de sa fonction syntaxique : épithète vs attribut.

20 La nature de cette relation sera analysée dans le paragraphe suivant.

21 cf. ce qui a été dit ci-dessus à propos du statut grammatical de ne stol’ko… skol’ko. Mais aussi le fait que kak… tak i de l’exemple (66) est qualifié de conjonction de coordination par la RG-80 (II : 172) et par Sannikov (1989 : 199).

22 « […] the term correlative is used to refer to combinations of a relative clause and a possibly non-adjacent nominal expression linked to it. […] The defining property of correlative constructions is the left peripheral position of the relative clause » (Lipták 2009 : 1-2).

23 cf. également la remarque de Manoliu-Manea (1997 : 211) qui va dans le même sens : « … les pronoms d’identité ne sont pas des moyens exprimant une identité purement et simplement mais servant à nier une attente négative, une attente de non-identité ».

24 Comme c’est souvent le cas des conjonctions de subordination en russe ; cf. Čeremisina & Kolosova (1987).

25 A la différence de nastol’ko – naskol’ko également possibles avec les comparatifs, mais qui n’ont pas cette interprétation progressive.

26 Pour potomu čto, c’est une phrase complexe où le démonstratif (en deux mots po tomu) avait une fonction non-régie de circonstant et servait à nominaliser la cause. Il était lié au relatif qui introduisait la subordonnée par une relation cataphorique (cf. Georgieva 1968, Inkova 2011b). Pour postol’ku… poskol’ku, comme on l’a vu, il s’agit d’une structure corrélative.

27 Les mêmes termes s’appliquent souvent également à la particule že d’identité.

28 Mais il ne s’agit pas en réalité, comme l’a souligné Jespersen (1924 : 251-252), d’une proportionnalité exacte : « in practice no such exact proportion exists, and the only mathematical formula to render such a combination as, for instance “the more books he reads, the more stupid he becomes” would be something like S (n + 1)>S (n) where S (n) means the degree of stupidity found after reading n books ».