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La corrélation en latin : statut et évolution

Michèle FRUYT

Nous définissons la corrélation en latin comme un phénomène morphosyntaxique fondé sur la présence de deux lexèmes associés et fonctionnant en couple, généralement un subordonnant et un corrélatif endophorique non subordonnant. Chacun de ces lexèmes caractérise une proposition et l’ensemble de ces deux propositions constitue un énoncé complet. C’est donc le couplage de ces deux lexèmes que nous retiendrons comme trait définitoire pour la corrélation en latin.

1. Généralités sur la corrélation dans les langues indo-européennes

Le phénomène morpho-syntaxique de la corrélation, tel qu’il se présente en latin, doit être, en premier lieu, re-situé par rapport aux caractéristiques générales de la corrélation dans les langues indo-européennes. Au sein de ce groupe linguistique, le latin partage avec d’autres langues un certain nombre de traits caractéristiques.

1.1. La nature des lexèmes corrélatifs

On distingue dans les langues i.-e. les phrases corrélatives à corrélatifs différenciés ou, au contraire, indifférenciés.

1.1.1. Corrélatifs différenciés

La plupart de ces langues emploient des corrélatifs différenciés. La corrélation s’incarne alors dans une phrase associant deux propositions : l’une, subordonnée, est introduite par un subordonnant généralement issu du thème du relatif (pronom, adjectif ou adverbe relatif), tandis que l’autre contient le corrélatif, qui est un pronom-adjectif-adverbe endophorique, reprenant anaphoriquement le relatif précédent auquel il est associé ou bien annonçant cataphoriquement le relatif subséquent qui lui est apparié.

Parmi les langues dont le thème de relatif est issu de *yo-, on peut citer le sanskrit (yaḥ…, sa (ta-)… ‘celui qui…, celui-là…’ avec un corrélatif issu de i.-e. *so- et *to-)1 ou le grec. Mais le thème du relatif est issu de *kwo- / *kwi- en latin, où la structure corrélative la plus ancienne correspond à deux propositions en qu-…, t-. (avec la subordonnée antéposée) ou bien, dans l’ordre inverse (avec la principale antéposée) t-., qu-… A côté de ce thème t- en partie conservé, le latin a adopté de manière productive un autre corrélatif. On a ainsi quī…, is… ‘celui qui…, celui-là’, soit qui pour le pronom-adjectif relatif, et is pour le corrélatif, issu du thème pronominal *i-/ey-, renouvellement latin de l’ancien corrélatif *so-, *to- Pour les adverbes relatifs devenus conjonctions de subordination, on peut citer ubi…, ibi… ‘là où…, là’, u-bi étant le subordonnant issu de *kwu- et i-bi son pendant adverbial corrélatif (issu de *i-/ey-).

Ce schéma est fondamental dans la subordination latine productive dès les premiers textes latins et le restera tout au long de la latinité. La corrélation a joué un rôle primordial en latin, puisqu’elle a fourni la plupart des conjonctions de subordination usuelles. Ainsi trouve-t-on les couples de lexèmes corrélatifs : quom/cum…, tum… ‘quand…, alors…’ ; quantum…, tantum… ‘autant que…, autant…’ ; quantus…, tantus… ‘aussi grand que…, aussi grand…’ ; quot…, tot… ‘aussi nombreux que…, aussi nombreux…’ ; quot-iēns…, tot-iēns… ‘toutes les fois que…, toutes les fois…’ ; ut…, ita/sīc… ‘de même que…, de même…’ ; ubi…, ibi… ‘là où…, à cet endroit…’ ; unde…, inde… ‘d’où…, de là…’ ; quōmodo…, eōdem modo… ‘de la manière dont…, de la même manière…’ ; qu-am…, t-am… ‘autant que…, autant…’ ; qu-ālis…, t-ālis… ‘tel que (quel)…, tel…’ ; etc.

Le lituanien atteste la même structure : lit. kàs…, tàs… ‘celui qui…, celui-là…’2, ainsi que l’ossète3, où le système corrélatif est hérité de l’indo-iranien.

En français, les corrélatifs différenciés sont usuels lorsque la subordonnée est postposée à la principale dans les types : tel que… (il est tel que vous l’avez connu), aussi… que (Pierre est aussi grand que Paul ; il vient aussi souvent qu’il le veut), d’autant plus… que (on est d’autant plus heureux qu’on est riche), etc.

1.1.2. Corrélatifs indifférenciés

Les langues i.-e. offrent aussi des corrélatifs indifférenciés. Dans chacune des deux propositions, on a alors le même lexème. Il s’agit généralement de l’endophorique, le lexème non subordonnant dans le couple. Dans les langues anciennes, les corrélatifs indifférenciés proviennent généralement des pronoms-adjectifs à thème *to- et *so-, de sorte que la phrase corrélative est alors en * to-…, *to-. ou bien *so-…, *so-.

Les langues germaniques anciennes en fournissent de bons exemples. En moyen-haut-allemand « l’article der, diu, daz est utilisé comme déterminant, comme démonstratif et comme pronom relatif »4.

Les corrélatifs indifférenciés sont usuels en français quand la proposition qui serait subordonnée dans un système différencié (on est d’autant plus heureux qu’on est riche) est antéposée : fr. plus on est riche, plus on est heureux, exprimant la proportionnalité de deux entités massives. On trouve aussi plus on est de fous, plus on rit pour la proportionnalité de deux entités nombrables ou bien encore tel père, tel fils5 pour un parallélisme entre deux comportements avec une relation implicite de cause à effet.

Mais en latin les corrélatifs indifférenciés, non productifs, ne se trouvent guère, en nombre limité, que dans des énoncés figés, des proverbes (talis pater, talis filius ‘tel père, tel fils’) ou des traces fossiles de lexèmes grammaticalisés en conjonction de subordination.

En effet, le subordonnant ‘si’ hypothétique et son corrélatif sīc ‘ainsi’ proviennent respectivement de sei et sei-ce (de l’endophorique *so- au locatif sg.). Dans un système binaire ancien, non attesté dans son intégralité, on pourrait supposer une structure en *sei…, sei-ce… ‘dans ces conditions…, dans ces conditions précisément’ avec des corrélatifs indifférenciés, avant que la première proposition ne soit ensuite réinterprétée comme une subordonnée, conformément au système productif latin6.

1.2. L’ordre des propositions

1.2.1. La dénomination des deux diptyques

Le fait que deux ordres soient possibles pour les deux propositions couplées a entraîné des dénominations différentes selon que la subordonnée précède ou suit la principale. On conserve souvent la terminologie qu’A. Minard (1936 : 9) a créée pour la prose védique. Il parle de « diptyque normal » pour la phrase corrélative à relative antéposée (relative + principale comme fr. (celui) qui fait ceci, celui-là fait cela) et de « diptyque inverse » pour l’ordre inverse (principale + relative comme fr. j’ai vu celui qui a fait cela). Selon A. Minard, dans la prose védique, le diptyque inverse est toujours justifié.

Cependant, A. Minard entendait par normal non une référence à la norme au sens de « conforme à la norme », mais une référence à la fréquence d’emploi comme « l’emploi majoritaire ». Cette terminologie ne s’applique, à notre avis, qu’à un état de langue où la position initiale de la relative est majoritaire. C’est le cas dans la prose védique, en hittite et en ossète7, mais non en latin.

Pour la proposition relative, en latin archaïque, l’emploi numériquement dominant est celui où le corrélatif précède le relatif8. Aussi préférons-nous (Fruyt 2003, 2005a, b, c, 2010) parler de « diptyque 1 » ou D1 pour l’ordre relative + principale (c’est-à-dire relatif + corrélatif) et de « diptyque 2 » ou D2 lorsque le corrélatif précède le relatif, que le corrélatif soit à une certaine distance du relatif ou bien situé juste devant le relatif. Nous verrons, en effet, que corrélatif et relatif ont eu tendance à se souder en formant une seule unité syntaxique (cf infra § 2.3.2. ; § 2.10. note 26 ; § 3.4. note 42 ; § 4.1.).

1.2.2. Le statut de D1

Bien que la corrélation concerne, à notre avis, les deux ordres de propositions, D1 et D29, la plupart des linguistes la réduise à l’ordre subordonnée + principale (Touratier 1988, 1994) et le maintien de la nomenclature d’A. Minard chez certains linguistes10 dénonce, en fait, l’idée que le D1 serait plus ancien que le D2.

Cependant, selon nous, l’antéposition de la subordonnée en D1 peut être liée au genre littéraire et au niveau de langue des textes qui nous restent. Elle ne caractérisait probablement pas l’ensemble des énoncés de la langue à une certaine époque et, en particulier, pas la langue parlée. Si les textes qui subsistent offrent, effectivement, une prépondérance numérique pour D1, il est probable que le statut de D1 dans les énoncés oraux n’était pas similaire, de même que dans les énoncés écrits dont nous n’avons pas de traces. F. Panchon va dans le même sens lorsqu’il remarque que la corrélation en D1 apparaît seulement dans les textes utilisant un niveau de « langue formulaire religieux, gnomique, juridique » (Panchon 1982 : 9, 15). En outre, dans certaines langues, D1 n’est pas prédominant, même dans les textes les plus anciennement attestés.

1.2.3. Distribution de D1 en latin

Pour la proposition relative latine, D1 en qui…, is… est minoritaire à l’époque archaïque ; il est encore moins fréquent à l’époque classique et il n’est plus attesté à l’époque tardive dans les niveaux de langue proches de la langue parlée11. Mais il continue à être attesté, en petit nombre, dans les textes littéraires d’un haut niveau de langue. La relative en qui…, is… chez Cicéron, parce qu’elle n’est pas majoritaire, peut avoir valeur stylistique, par exemple pour mettre en relief certains segments d’énoncés et leur designata. Comme nous le verrons dans les Lettres à Atticus de Cicéron, D1 peut correspondre à une certaine structure informative de la phrase (cf. § 3.5.).

Enfin, le latin ayant été une langue parlée, dans ces structures phrastiques à l’oral, l’intonation a dû jouer un rôle primordial, avec une certaine saillance pour les lexèmes corrélatifs assurant l’ossature syntaxique, sémantique et informationnelle de la phrase. Par exemple, le type qui…, is… ‘celui qui…, celui-là’ devait avoir une ligne mélodique montante sur la première proposition et descendante sur la deuxième en fin de phrase.

1.3. Les lexèmes corrélatifs en latin

Comme nous l’avons vu (cf. § 1.1.1.), à côté du corrélatif ancien en t-…, le latin a développé comme corrélatif productif le pronom-adjectif is (ea, id), qui est en même temps l’endophorique par excellence à l’époque archaïque et classique. Des adverbes fondés sur le thème i- de is (i-bi, i-ta) servent de corrélatif adverbial aux conjonctions de subordination.

Les pronoms-adjectifs hic et ille peuvent également fonctionner comme corrélatifs, mais ils cumulent alors ce rôle avec celui d’opérateurs de deixis (personnelle, spatiale, temporelle), du moins à l’époque archaïque et classique. Dans la latinité tardive, hic et ille pourront être de simples endophoriques ou de simples corrélatifs dépourvus de valeur déictique (cf. infra § 4.2.3).

1.4. Corrélation, subordination, coordination

Le statut de la corrélation par rapport à la coordination et à la subordination fait l’objet de discussions. Certains linguistes situent la corrélation entre la coordination et la subordination comme une étape intermédiaire12, les uns d’un point de vue diachronique, les autres d’un point de vue synchronique ou des deux points de vue. D’un point de vue diachronique, cette interprétation supposerait, dans le développement des langues i.-e. anciennes, un passage qui se serait réellement effectué de la parataxe ou bien de la coordination à la corrélation, puis de la corrélation à la subordination ou hypotaxe. D’un point de vue synchronique, le degré de resserrement des liens entre deux propositions adjacentes évoque un continuum : dans la phrase corrélative, les liens seraient moins forts que dans la phrase hypotactique et plus forts que dans les propositions coordonnées ou juxtaposées.

Or cette situation intermédiaire de la phrase corrélative ne nous paraît guère possible que pour les corrélatifs indifférenciés, qui entraînent un parallélisme entre les deux propositions (fr. plus on étudie, plus on est savant)13. Et c’est seulement dans ce cas de figure que l’on peut en français ajouter la conjonction de coordination et entre les deux propositions : fr. plus on étudie et plus on est savant.

Pour les corrélatifs différenciés, la corrélation, par définition, relève de la subordination à partir du moment où est employé le thème du relatif, ce dernier étant un subordonnant. En latin, un autre indice de ce que les phrases corrélatives relèvent de la subordination est que la plupart des conjonctions de subordination sont issues du thème de relatif, figé à certains cas encore reconnaissables ou bien comportant à la finale des éléments adverbiaux d’origine peu assurée (cf. supra § 1.1.1.). En outre, dans un diptyque corrélatif intégré dans un énoncé au discours indirect (oratio obliqua), la proposition caractérisée par le lexème en qu- est traitée comme une véritable subordonnée et donc mise au subjonctif, alors que l’autre proposition du diptyque, caractérisée par le corrélatif is, ea, id, se comporte comme une proposition principale à l’infinitif14. De ce fait, en latin, la corrélation apparaît clairement comme un cas particulier de la subordination15.

En outre, puisque le français contemporain a des structures parallèles à corrélatifs indifférenciés (fr. plus on est nombreux, plus on rit), alors que le latin avait des structures subordonnées à thème de relatif, la corrélation à corrélatifs indifférenciés n’est pas nécessairement plus ancienne que la corrélation à relatif subordonnant. Tout dépend du type morphologique de chaque langue.

1.5. Un matériel lexical et morphématique spécifique ?

Le latin n’a pas de matériel lexical ou morphologique spécifique à la corrélation puisque les lexèmes associés dans la phrase corrélative fonctionnent par ailleurs également seuls, hors de la corrélation16. En fait, la plupart des conjonctions de subordination latines sont plus souvent employées seules qu’avec un corrélatif.

1.6. Subordonnées conjonctives vs relatives

Si l’on admet une définition morpho-syntaxique de la corrélation, le phénomène regroupe les subordonnées conjonctives et les relatives. Pourtant, en latin comme dans les autres langues, ces deux types de subordonnées n’ont pas le même comportement syntaxique, sémantique ou informationnel. Il convient donc de les séparer dans une étude sur la corrélation. Le subordonnant le plus fréquent en latin est le pronom relatif : c’est donc lui qui offrira le plus grand nombre de cas de corrélation.

1.7. Variations diastratiques

La corrélation en latin se présente différemment selon les genres littéraires, les niveaux de langue, et nous pouvons faire l’hypothèse que les occurrences de la corrélation variaient selon qu’il s’agissait de langue écrite ou de langue parlée. Nous avons choisi dans cette étude d’essayer de cerner au plus près (dans la mesure du possible) l’usage courant de la langue parlée. Aussi prendrons-nous en considération à la période archaïque Plaute dans ses comédies iambo-trochaïques et Caton dans sa prose didactique, relativement proche de la langue parlée quotidienne des propriétaires fonciers (fin du – 3e s. et début du – 2e s.). Pour la période classique, nous citerons les Lettres à Atticus de Cicéron, qui paraissent les plus proches de la conversation familière entre gens cultivés. A l’autre extrêmité de la latinité, nous prendrons en compte Egérie, dans son Journal de voyage ou Itinerarium (fin du + 4e s.) en raison de sa prose épistolaire qui pourrait être assez proche de la langue parlée de l’époque dans des milieux moyennement cultivés.

2. Les énoncés concrets : les subordonnées conjonctives

2.1. Exemples prototypiques en D1

Une configuration prototypique de la corrélation à l’époque archaïque correspond à deux propositions en D1 (subordonnée + principale), comme l’illustre l’exemple (1) avec quotiens…, totiens… chez Caton, qui énumère les précautions à prendre avant d’acheter une propriété :

(1) Praedium quom parare cogitabis, sic in animo habeto : uti ne cupide emas, neue opera tua parcas uisere, et ne satis habeas semel circumire ; quotiens ibis, totiens magis placebit quod bonum erit (Caton, De agricultura 1,1)

Lorsque vous songerez à acheter une propriété, voici ce qu’il faut garder à l’esprit : n’achetez pas avec empressement ; n’épargnez pas votre peine pour aller la voir et ne considérez pas comme suffisant d’en faire le tour une seule fois : plus vous irez, plus elle vous plaira, si elle est de bonne qualité quotiens ibis, // totiens magis placebit quod bonum erit

autant de fois que / on ira // autant de fois / davantage / plaira /celle qui sera bonne

= plus vous irez, plus elle vous plaira, si elle est de bonne qualité.

Il existe dans cette phrase une relation de cause à effet entre les deux événements dénotés par les deux propositions, et, en outre, une relation de proportionnalité entre ces deux événements avec une augmentation proportionnelle de deux variables, dont l’une est nombrable (répétition d’un procès : autant de fois que l’on ira), tandis que l’autre est massive et graduable (différents degrés d’intensité d’un sentiment : autant elle plaira). Les procès sont dénotés dans l’énoncé dans l’ordre chronologique de leur réalisation dans la réalité extralinguistique : d’abord la cause, puis la conséquence.

Du point de vue de la structure informative, nous pouvons évaluer le rôle de l’énoncé corrélatif dans la cohésion du macro-texte et la progression de l’argumentation : nous sommes ici dans un énoncé conclusif en fin de paragraphe, arrivant au sommet du crescendo de l’argumentation antérieure. La phrase corrélative dans ce passage n’est pas autonome du point de vue informationnel : elle nécessite la connaissance du contexte antérieur depuis le début du paragraphe17.

La nécessité de recourir à l’anaphore pour interpréter l’énoncé corrélatif n’est pas une caractéristique constante de la corrélation : les diptyques corrélatifs sont souvent informativement autonomes, en ce sens qu’ils se suffisent à eux-mêmes pour leur compréhension. Le rôle conclusif de l’énoncé corrélatif en (1) pourrait être considéré comme un stylème d’auteur, puisqu’un second passage de Caton offre une situation similaire dans un énoncé également prototypique de la corrélation. Caton explique comment utiliser les diverses espèces de chou comme remèdes médicinaux :

(2) Insomnis uel si quis est seniosus, hac eadem curatione sanum facies ; uerum assam brassicam et unctam caldam, salis paulum dato homini ieiuno : quam plurimum ederit, tam citissime sanus fiet ex eo morbo (Caton, De agricultura 157,8)

La personne insomniaque ou bien très âgée, on la guérira avec ce même remède ; mais le chou frit dans la graisse et chaud avec un peu de sel, donnez-le à un homme à jeun : plus il en aura mangé, plus vite il guérira de cette maladie18

quam plurimum ederit, // tam citissime sanus fiet ex eo morbo

autant que / le plus (beaucoup) / il aura mangé // autant / le plus (très) rapidement / sain / il deviendra / hors de cette maladie

= plus il en aura mangé, plus vite il guérira de cette maladie.

A la différence du latin, le français recourt en (1) et (2) à des corrélatifs indifférenciés plus…, plus…, pour dénoter deux grandeurs proportionnelles dont les variations sont orientées dans le même sens19.

2.2. Les cas les plus fréquents

Cependant, ces exemples prototypiques de la corrélation ne sont pas très fréquents dans les textes latins. Les phrases corrélatives les plus fréquentes contiennent, en fait, les conjonctions de subordination les plus répandues, soit par ordre de fréquence décroissante : ut, cum, quam, quod.

En outre, le sémantisme des conjonctions de subordination a un rôle pertinent dans la configuration de la phrase corrélative, puisqu’il privilégie un certain ordre des propositions. Ainsi, comme nous allons le voir, les consécutives sont-elles en D2 dans tous les cas et les causales dans la plupart des cas, tandis que les temporelles sont majoritairement en D120.

2.3. La comparaison ‘de même que…, de même…’

2.3.1. Les systèmes comparatifs binaires corrélatifs : ut…, ita… ; ut…, sic

Les phrases comparatives en D1 du type ut… (+ indicatif), ita… ou ut…, sic… ‘de même que…, de même…’ servent dans les textes techniques comme outil de démonstration par rapprochement analogique ; ainsi chez Varron pour exposer les différentes divisions et subdivisions par lesquelles il classifie le monde :

(3) Vt omnis natura in caelum et terram diuisa est, sic caeli regionibus Terra in Asiam et Europam (Varron, De lingua Latina 5,31)

De même que la nature dans son ensemble est divisée en ciel et terre, de même pour ce qui est des régions du monde la Terre est divisée en Asie et Europe.

Mais le diptyque comparatif est aussi un procédé poétique bien connu, par exemple chez Virgile, dans l’Enéide, où l’on rencontre d’amples comparaisons, telle : ueluti… lupus…, haud aliter Rutulo… ‘de même qu’un loup…, de même (litt. non autrement) pour le Rutule…’. Nous pouvons, à notre avis, parler de corrélation, même si le corrélatif n’est pas prototypique – puisqu’il s’agit d’une double négation en litote et qu’il n’est pas issu d’un endophorique :

(4) Huc turbidus atque huc/ Lustrat equo muros aditumque per auia quaerit./Ac ueluti pleno lupus insidiatus ouili/ Cum fremit ad caulas uentos perpessus et imbris/ Nocte super media ; tuti sub matribus agni/ Balatum exercent, ille asper et improbus ira/ Saeuit in absentis, collecta fatigat edendi/ Ex longo rabies et siccae sanguine fauces : / Haud aliter Rvtvlo muros et castra tuenti/Ignescunt irae, duris dolor ossibus ardet / (Virg., En. 9, 57-66)

L’âme en feu, Turnus, à cheval, passe et repasse autour des murs ; il cherche un accès hors des chemins tracés. Tel un loup qui assiège un parc plein de brebis : il hurle auprès des barrières, endurant les pluies, les vents jusqu’au delà de la minuit ; les agneaux en sûreté sous leurs mères poussent leurs bêlements ; hérissé, emporté par sa fureur, il se déchaîne contre les absents ; la faim accumulée depuis de longs jours se fait rage épuisante, son gosier a soif de sang. Ainsi le Rutule21, quand il regarde les murs et le camp, sa fureur s’enflamme, le dépit allume un feu dans ses os durs (traduction J. Perret, Paris, Belles Lettres, CUF).

2.3.2. Des exemples fréquents périphériques

On rencontre aussi une subordonnée comparative postposée sans corrélatif, par exemple avec sicut ‘de même que’. Ce subordonnant est issu d’un procédé d’agglutination bien attesté : la soudure du corrélatif (ici sic) devant son subordonnant (ici ut). Cette soudure renforce ut au plan du signifiant et sélectionne, pour ce subordonnant plurifonctionnel et polysémique, une valeur comparative nette22. Il s’agit d’un cas limite de corrélation, puisque corrélatif et relatif, soudés par univerbation, ne constituent plus qu’un seul terme :

(5) Libros uero tuos caue cuiquam tradas ; nobis eos, quemadmodum scribis, conserua. Summum me eorum studium tenet sicut odium iam ceterarum rerum (Cicéron, Lettres à Atticus 1,11,3)

Quant à tes livres, ne les cède à personne ; mets-les de côté, comme tu l’écris, pour nous. Une immense passion pour eux me possède, de même qu’une haine désormais pour toutes les autres choses.

Lorsque la comparaison est exprimée par le subordonnant ut ‘comme’ dans une proposition en incise, nous sortons du cadre de la corrélation, puisque seul est alors présent le subordonnant :

(6) Terra dicta ab eo, ut Aelius scribit, quod teritur (Varron, De lingua Latina 5,21)

La terre est appelée ainsi (terra), comme l’écrit Aelius Stilo, du fait qu’elle est foulée aux pieds (teritur).

2.3.3. Grammaticalisation d’un couple corrélatif

Par une sorte de grammaticalisation, un couple de termes corrélatifs scalaires comme tam… quam… ‘autant… que…’ peut se trouver ré-employé dans un énoncé négatif pour exprimer le haut degré :

(7) Neque epistolae tuae neque nostra allegatio tam potest facile delere quam tu praesens non modo oratione sed tuo uultu illo familiari tolles (Cic., Att. 1,11,1)

Ni ta lettre, ni notre démarche ne peuvent détruire (ces mauvais sentiments) aussi facilement que ta présence et le fait que tu puisses te manifester non seulement par ta parole, mais aussi par ton visage, qui lui est familier (Le sens est en substance : ta présence est plus efficace que toute autre chose pour convaincre cet homme).

2.4. La conséquence en D2

Lorsque ut introduit une subordonnée consécutive au sens de ‘de telle sorte que’ (+ subjonctif) et qu’il est associé à un corrélatif, il est en D2, tels ita… ut… ou bien… sic… ut… – comme on pouvait s’y attendre étant donné le sémantisme de la conséquence :

(8) Nos Tusculano ita delectamur ut nobismet ipsis tum denique cum illo uenimus placeamus (Cic., Att. 1,6)

Pour notre part, nous aimons tellement notre villa de Tusculum que, dans notre for intérieur, c’est seulement lorsque enfin nous y sommes arrivés que nous éprouvons du contentement.

2.5. Vt final en D2

Les subordonnées de but introduites par ut ‘afin que’ couplé à un corrélatif sont toujours en D223, ce qui est lié au sémantisme final de la subordonnée :

(9) ego omnis meas uindemiolas eo reseruo ut illud subsidium senectuti parem (Cic., Att. 1,10,4)

Pour ma part, je mets de côté mes petits gains pour préparer ces subsides pour ma vieillesse (litt. pour cette raison afin que… : le corrélatif eo annonce ut).

2.6. Les subordonnées temporelles

Pour les subordonnées temporelles, la configuration la plus usuelle est une conjonction de subordination sans corrélatif, par exemple ubi ‘lorsque’ dans (10) :

(10) Brassicam macerato bene, postea in aulam coicito, deferuefacito bene ; ubi cocta erit bene, aquam defundito, eo addito oleum bene…, postea ferue bene facito ; ubi feruerit, in catinum indito (Caton, De agricultura 157,9)

Faites bien macérer le chou ; ensuite jetez-le dans une marmite, faites-le bien bouillir ; quand il sera bien cuit, verser l’eau par dessus ; ajoutez-y l’huile en bonne quantité… ; ensuite faites bien bouillir ; lorsqu’il aura bouilli, mettez-le dans un plat.

Mais en (11), continuo ‘immédiatement’ peut être considéré, par rapport à ubi ‘quand’, comme un corrélatif portant des sèmes particuliers et comme une variante de tum ‘alors’ :

(11) Nam ubi ego argentum accepero, / Continuo tu illam a lenone adserito manu (Plaute, Persa 162-163)

Car quand j’aurai reçu l’argent, immédiatement toi réclame-la comme tienne au léno.

Les subordonnées temporelles sont souvent en D1 : cum…, tum… ou bien ubi…, tum… ‘lorsque…, alors… ; au moment où…, à ce moment…’24. Un indice de la solidarité des deux membres du diptyque réside dans leur grammaticalisation25 en deux coordonnants ‘non seulement X, mais encore Y’ :

(12) Sane sum perturbatus cum ipsius Satyri familiaritate, tum Domiti (Cic., Att. 1,1, 4)

J’ai, certes, été gêné par les liens de familiarité que j’ai non seulement avec Satyrus lui-même, mais aussi avec Domitius.

Le D2 tum…, cum… ‘alors… lorsque…’ peut servir à focaliser le moment où se réalise l’événement dénoté par la subordonnée postposée. Ce rôle de focalisation est souligné en (13) par la présence de l’adverbe denique ‘enfin’ à valeur terminative :

(13) Nos Tusculano ita delectamur ut nobismet ipsis tum denique cum illo uenimus placeamus (Cic., Att. 1,6)

Pour ma part, j’aime tellement ma villa de Tusculum que, au fond de moi-même, c’est seulement lorsqu’enfin j’y suis arrivé que j’éprouve un vrai contentement.

2.7. Relations spatiales

Une subordonnée pourvue d’un corrélatif peut dénoter un lieu, soit en D1, soit en D2. Selon F. Panchon (1982 : 230), D1 est le plus fréquent chez Plaute. Si (14) en D1 peut illustrer une thématisation (cf infra § 3.5.1.) de la subordonnée initiale, (15) est un énoncé stylistiquement élaboré reposant sur des jeux d’oppositions26 :

(14) quo auecta est, eo sequemur (Plaute, Cist. 580)

là où elle a été emmenée, nous (la) suivrons

(15) ubi sum, ibi non sum/ Vbi non sum, ibi est animus (Pl., Cist. 211-212)

Là où je suis, là je ne suis pas. Là où je ne suis pas, là est mon esprit.

2.8. Complétives introduites par un cataphorique

Un cas usuel est celui où une subordonnée complétive postposée à sa principale est annoncée par un pronom cataphorique au neutre singulier : id, hoc, illud (éventuellement istud), servant de relais pour renvoyer, en cataphore, aux subordonnants ut ou quod :

(16) Quid ? istuc times quod ille operam amico dat suo ? (Térence, Heaut. 910)

C’est cela que tu crains : qu’il prête son aide à son ami ? (avec focalisation sur la subordonnée) ; litt. Eh quoi ? Tu crains cela à savoir qu’il prête son aide à son ami ?

2.9. La cause

Les subordonnées causales offrent des cas de D1 (Plaute, Mi. 1257) : quia…, propterea… ‘parce que…, pour cette raison…’.

Mais, le plus souvent, les causales sont en D2. Le corrélatif cataphorique peut alors être mis en valeur à l’initiale de la proposition principale avec une focalisation sur le contenu de la subordonnée postposée. Ainsi en (17), le locuteur (le prologue) raconte-t-il l’histoire qui précède le début de la pièce en des termes qui équivalent à : ‘La raison pour laquelle je me souviens tout à fait facilement de son nom, c’est que je l’ai personnellement entendu se faire appeler à grands cris’ :

(17) propterea illius nomen memini facilius, / Quia illum clamore uidi flagitarier (Pl., Men. 45-46)

Je me souviens tout à fait facilement de son nom du fait que je l’ai moi-même entendu se faire appeler à grands cris.

Une certaine ambiguïté peut s’observer dans une chaîne de grammaticalisation affectant le relatif au neutre singulier quod. On peut hésiter entre un premier stade de grammaticalisation où quod signifie encore ‘le fait que’ et une grammaticalisation complète, où quod est devenu une véritable conjonction causale au sens de ‘parce que’. En (18), la tournure corrélative eo… quod… peut signifier littéralement ‘pour cette raison… à savoir que…’ (avec une grammaticalisation partielle) ou bien se traduire par ‘parce que…’ (avec une grammaticalisation complète) :

(18) Hoc eo ad te scripsi quod is me accusare de te solebat (Cic., Att. 1,3, 3)

Ceci, je te l’écris pour cette raison que cet homme avait coutume de me mettre en cause à propos de l’affaire qui te concerne (scripsi : parfait épistolaire)

Hoc eo ad te scripsi quod…

Ceci (que je viens d’écrire) / pour cela (qui va suivre) / à toi / j’écris / parce que.

On remarque que le même processus de grammaticalisation est à l’origine du subordonnant fr. parce que, issu de par ce que, avec la soudure du syntagme prépositionnel contenant le corrélatif (ce) et le relatif (que).

2.10. La concession

Les subordonnées concessives latines sont le plus souvent en D1, comme en français : bien que/quoique/même si…, cependant/pourtant/ néanmoins/du moins… (bien quil n’ait pas travaillé, il a pourtant réussi son examen).

Comme en français également, on observe en latin une grande variété pour la formation des lexèmes concessifs. Ce fait ne semble, d’ailleurs, pas être propre à ces deux langues, mais être une tendance partagée par un grand nombre de langues. On observera donc en latin des subordonnants concessifs issus du thème de relatif (qu-) et des corrélatifs issus de l’ancien endophorique (t-) comme les couples quanquam…, tamen… ainsi que quam-uis…, tamen…, mais aussi de nombreux renouvellements de l’encodage. Cependant, même si les subordonnants concessifs (sī, quod-sī, et-sī, etiam-sī ‘même si’27, licet ‘bien que’ à l’époque tardive) et les corrélatifs concessifs (tamen, at, certē, nihilōminus, etc.) sont variés, nous avons bien affaire à des structures corrélatives, puisque ces configurations offrent le même schéma lexical et syntaxique que les énoncés corrélatifs prototypiques, avec la même correspondance entre deux lexèmes couplés en distribution complémentaire :

(19) Quo si non perueniam ad scientiam, at opinionem aucupabor (Varr., L. 5, 8)

Si je ne parviens pas à l’avenir à la connaissance à ce degré-là, du moins je resterai à l’affût de l’opinion

(20) Quodsi summum gradum non attigero, tamen secundum praeteribo (Varr., L. 5,9)

Si je n’atteins pas le degré suprême, néanmoins je dépasserai le second degré.

3. Les propositions relatives

Pour les relatives associées à un corrélatif, nous prenons en considération trois structures28 : D1 en qui…, is… ainsi que les deux configurations sous lesquelles peut se présenter D2 : a) soit is… qui… avec une séparation entre le corrélatif et le relatif ; b) soit… is qui… avec contiguïté entre le corrélatif et le relatif. Cette dernière configuration correspond à la tendance générale de la langue latine, qui est devenue de plus en plus manifeste au cours de la latinité.

3.1. Les relatives à corrélatif

Du point de vue sémantique, toutes les relatives pourvues d’un corrélatif (qu’il soit anaphorique en D1 ou cataphorique en D2) appartiennent à la catégorie des relatives déterminatives29, qui sont définies par opposition aux relatives apposées ou appositives30. Les relatives déterminatives ont un but identificatoire. C’est aussi le cas des relatives accompagnées d’un corrélatif, qui sont un sous-groupe des relatives déterminatives. Il y a, par exemple, une visée identificatoire lors d’une désignation univoque d’un personnage par ses fonctions et même son anthroponyme en (21) :

(21) Vna agebant ceteri creditores, in quibus erat L. Lucullus et P. Scipio et is quem putabant magistrum fore si bona uenirent, L. Pontius (Cic., Att. 1,1, 3)

Les autres créanciers s’associent à la poursuite, parmi lesquels il y a L. Lucullus et P. Scipion et celui qui sera, pensent-ils, syndic si les biens sont vendus, L. Pontius,

ou d’une indication des relations de parenté entre deux personnages en (22) :

(22) Et hic qui poscet eam sibi uxorem senex, / Is adulescentis illius est auunculus, / Qui illam stuprauit… (P1., Aul. 34-35)

et ce vieillard qui va la demander en mariage pour lui-même, cet homme-là c’est l’oncle maternel du jeune homme qui l’a violée…,

ou encore d’une date précise :

(23) Nunc uero sentio, quod commodo tuo facere poteris, uenias ad id tempus quod scribis (Cic., Att. 1,4, 1)

Mais à présent je suis d’avis (selon ce qu’il te sera possible de faire sans te gêner) que tu viennes (précisément) à la date que tu donnes dans ta lettre.

3.2. Fréquence des deux diptyques

Chez Plaute comme chez Caton ou Cicéron, le type le plus fréquent est la relative sans corrélatif et sans antécédent. Elle est alors complément de verbe, occupant généralement la fonction syntaxique de sujet grammatical31 ou de premier objet d’un verbe transitif (fonction syntaxique remplie prototypiquement par un accusatif)32.

D’autre part, chez Plaute, D2 l’emporte numériquement sur D1, selon F. Panchon33. Ces chiffres contredisent l’opinion traditionnelle selon laquelle D1 serait majoritaire à l’époque archaïque.

3.3. Détail des fréquences pour les différentes configurations de D1

Pour la relative antéposée, le type le plus fréquent est la relative sans corrélatif avec un relatif pronom : qui peccauit / puniturcelui qui a commis une faute / est puni’34. Selon la stricte définition que nous avons donnée de la corrélation, il ne s’agit pas ici d’une phrase corrélative, puisqu’elle n’offre pas de corrélatif. Mais on constate assez souvent en synchronie que ce type de phrase fonctionne en alternance avec le type suivant à corrélatif35.

La configuration arrivant en seconde position par le nombre des occurrences correspond à qui…, is…, ce qui relève de D1 : qui peccauit / is puniturcelui qui a commis une faute, / celui-là est puni’36.

Les configurations de D1 à relatif-adjectif sont beaucoup plus rares : Qui homo peccauit, puniturlequel homme a commis une faute / est puni’37.

Enfin, la configuration la plus complète est également peu fréquente38 :

Qui homo peccauit, is puniturlequel homme a commis une faute, celui-là est puni’39.

3.4. Détail des fréquences pour les variantes de D2

La configuration de D2 la plus fréquente chez Plaute40 est is… qui… avec séparation du corrélatif et du relatif qu’il annonce41.

Mais is qui avec contiguïté a approximativement la même fréquence chez Plaute42. Or, c’est la structure qui va s’imposer au fil de la latinité. En effet, de même que, à partir de Sénèque, la relative aura tendance à suivre immédiatement son antécédent avec contiguïté, de même le corrélatif-pronom viendra, de plus en plus souvent, se coller devant le relatif43. Lorsque le corrélatif est un adjectif, c’est le syntagme « corrélatif + substantif antécédent » qui, de plus en plus fréquemment, sera contigu au pronom relatif.

3.5. La structure informative

3.5.1. Première fonction informative pour D1

3.5.1.1. Support informatif

Dans notre corpus chez Caton et dans les lettres de Cicéron à Atticus, une première fonction pour D1 dans la structure informationnelle de la phase est la mise en exergue du Support informatif44 de la nouvelle phrase et cela, en général, lorsque le Propos de la phrase (c’est-à-dire ce dont on va parler) est nouveau par rapport à ce qui précède. Un nouveau Propos est posé comme Support informatif.

En outre, la plupart de ces phrases sont autonomes en ce qu’elles n’ont besoin ni d’anaphore, ni de cataphore pour être décryptées : elles se suffisent à elles-mêmes pour la compréhension du message, dans un système clos :

(24) Ager oleto conserundo, qui in uentum Fauonium spectabit et soli ostentus erit ; alius bonus nullus erit. Qui ager frigidior et macrior erit, ibi oleam Licinianam seri oportet (Caton, De agricultura 6,2)

Le terrain, pour planter une oliveraie, sera celui qui sera orienté vers le vent Favonius et exposé au soleil ; aucun autre ne sera bon. Dans un terrain qui sera plutôt froid et maigre, il faut planter l’olivier Licinien.

En (24), la relative initiale correspond au Support informatif de la phrase et la principale postposée à l’Apport informatif. L’ensemble des deux propositions représente des informations nouvelles et est un énoncé complet.

En (25), la confrontation entre les quatre phrases successives commençant par qui locus est intéressante :

(25) Vineam quo in agro conseri oportet, sic obseruato : qui locus uino optimus dicetur et ostentus soli, Aminnium minusculum… conserito ; qui locus crassus erit aut nebulosior, ibi Aminnium maius… serito.

… qui locus uino optimus dicetur, Aminnium minusculum conserito.

qui locus crassus erit, ibi Aminnium maius… serito (Caton, De agricultura 6,4)

La vigne, (pour savoir) dans quel terrain il faut la planter, tenez compte des indications suivantes : dans un endroit qui aura la réputation d’être bon pour le vin et sera exposé au soleil, plantez la petite aminnée ; dans un endroit qui sera gras ou bien exposé aux brouillards, plantez la grande aminnée ;

dans un endroit qui a la réputation d’être le meilleur pour le vin, plantez la petite aminnée (= litt. lequel endroit / pour le vin/ le meilleur/ sera dit // l’aminnée / petite/… plantez) ;

dans un terrain qui sera gras, plantez la grande aminnée (= litt. lequel endroit / gras / sera //  / l’aminnée / grande /. plantez).

En (25), la première phrase et la troisième ne relèvent pas de la corrélation puisque la relative initiale n’est pas reprise par un corrélatif au début de la seconde proposition. Au contraire, la seconde phrase et la quatrième sont corrélatives puisqu’elles offrent le corrélatif ibi. On observe donc ici une situation de variation45 : la présence du corrélatif n’est pas obligatoire. Il est un pilier pour l’architecture de la phrase et a une fonction signalétique : il marque le début de la deuxième proposition, la principale, et donc l’articulation entre le Support informatif, qui vient de finir, et l’Apport informatif, qui va commencer.

Ainsi, pour répondre à une question posée dans l’introduction à cet ouvrage, proposons-nous, au vu de ce passage, de ne pas considérer comme corrélative une phrase qui n’aurait pas de corrélatif, tout en reconnaissant qu’en synchronie on peut rencontrer des variations entre phrases avec et sans corrélatif46.

Dans les lettres de Cicéron à Atticus, dont le niveau de langue est relativement proche de la langue parlée, de nombreuses occurrences de D1 représentent des cas particuliers de thématisation par la mise en exergue d’un nouveau Propos en tête de paragraphe. La preuve en est que cette place peut être occupée par autre chose qu’une relative intégrée dans un système corrélatif. En (26), Cicéron écrit à propos d’œuvres d’art qu’Atticus lui a achetées :

(26) Quod ad me de Hermathena scribis, per mihi gratum… Quare uelim, ut scribis, ceteris quoque rebus quam plurimis eum locum ornes. Quae mihi antea signa misisti, ea nondum uidi ; in Forminiano sunt, quo ego nunc proficisci cogitabam. Illa omnia in Tusculanum deportabo (Cic., Att. 1,4, 3)

Ce que tu m’écris à propos de l’Hermathéna m’est très agréable… C’est pourquoi je voudrais, comme tu me l’écris, que tu décores cet endroit avec les autres objets d’art, les plus nombreux possible. Les statues que tu m’as envoyées précédemment, je ne les ai pas encore vues ; elles sont dans ma propriété de Formies, où je pense à présent de me rendre. Toutes, je les transporterai dans ma propriété de Tusculum

Quae mihi antea signa misisti, ea nondum uidi

lesquelles / à moi / auparavant / statues / tu as envoyées //celles-là / ne … pas encore / j’ai vu.

Cette position initiale de la relative en (26) entraîne une structure en D1 dans un texte où, par ailleurs, D2 est le plus fréquent. On commence la phrase en affichant ce dont on va parler dans les phrases suivantes.

Dans le même type de contexte avec extraposition de signa, on peut citer (27) pour un nouveau Propos47 :

(27) Nos hic te ad mensem Ianuarium expectamus ex quodam rumore an ex litteris tuis ad alios missis ; nam ad me de eo nihil scripsisti. Signa quae nobis curasti, ea sunt ad Caietam exposita (Cic., Att. 1,3, 2)

De notre côté, nous t’attendons ici pour le mois de Janvier, selon une certaine rumeur ou bien une lettre que tu as envoyée à d’autres ; car à moi, tu n’as rien écrit à ce sujet. Quant aux statues que tu m’as procurées, elles ont été débarquées à Caïète

Signa quae nobis curasti, ea sunt ad Caietam exposita

les statues / que / pour nous/ tu as trouvées // celles-là / sont / près de Caïète / débarquées.

On trouve aussi dans cette fonction le relatif grammaticalisé au neutre singulier Quod ‘le fait que’ au début d’un nouveau paragraphe48 :

(28) Quod te de Tadiano negotio decidisse scribis, id ego Tadio et gratum esse intellexi et magnopere iucundum (Cic., Att. 1,8, 1)

Quant au fait que tu écris que tu as réglé à l’amiable l’affaire de Tadius, cela j’ai compris que c’était agréable à Tadius et que cela lui faisait grand plaisir.

3.5.1.2. Thématisation gauche

Certaines tournures permettent de mettre en valeur les liens que la corrélation peut entretenir, parmi des phénomènes informatifs, avec la thématisation à gauche. Dans le passage (29) situé au début d’une comédie de Plaute, le prologue fait le récit de ce qui s’est passé avant la pièce :

(29) Epidamniensis quidam ibi mercator fuit ; / Is puerum tollit auehitque Epidamnum eum (Pl., Mén. 32-33)

Il y avait là un certain marchand d’Epidamne ; il enlève l’enfant et l’emmène en bateau à Epidamne.

Vingt vers plus loin en (30), il renvoie à ce passage avec, comme opérateurs d’anaphore lointaine, l’adverbe illuc ‘là-bas’ et l’adjectif ille :

(30) Verum illuc redeo unde abii atque uno adsto in loco./ Epidamniensis ille, quem dudum dixeram, / Geminum illum puerum qui surrupuit alterum, /Ei liberorum, nisi diuitiae, nil erat (Pl., Mén. 56-59)

Mais je reviens à l’endroit (illuc) d’où (unde) je suis parti et je reste au même endroit. Cet (ille) homme d’Epidamne dont (quem) je vous avais parlé tout à l’heure, qui (qui) a enlevé l’autre enfant jumeau, celui-là (ei) n’avait pas d’enfant, seulement des richesses.

On parle de nominatiuus pendens (litt. « nominatif suspendu » ou anacoluthe, rupture de construction) pour Epidamiensis ille parce que cette séquence est reprise au début de la principale par ei (datif sg. de is) et qu’elle offre le nominatif, qui n’est pas le cas voulu par sa fonction par rapport au verbe principal. C’est en quelque sorte l’équivalent de fr. L’homme qui a acheté la voiture, je le connais avec une thématisation à gauche. Le tour relève d’un niveau de langue proche de la langue parlée spontanée.

3.5.2. Focalisation contrastive entre deux phrases corrélatives

Parfois, quand le texte offre une succession de deux systèmes corrélatifs à proposition relative, on rencontre une focalisation contrastive entre les deux phrases corrélatives, avec plusieurs configurations très proches. On a D2 suivi de D1 en (31) dans une sorte de chiasme :

(31) ea loca primum arato quae siccissima erunt et quae crassissima et aquosissima, ea postremum arato (Caton, De agr. 50)

ce sont les endroits qui seront les plus secs que vous devez commencer à labourer et ceux qui seront les plus gras et les plus humides, ceux-là labourez-les en dernier.

En (32), on rencontre un diptyque fondamentalement en D1 (qui… eos), mais le relatif est annoncé par un corrélatif supplémentaire (illos : à valeur déictique cumulée), qui le précède immédiatement. La seconde phrase, qui s’oppose à la première par des moyens lexicaux reposant sur deux couples d’antonymes (dant vs deludunt et derides vs deperis), offre un relatif sans corrélatif. Cette tournure semble proche de D1, qui serait en qui… eos, mais l’absence du corrélatif eos en fait une relative-objet antéposée :

(32) Illos qui dant, eos derides : qui deludunt, deperis (Pl., As. 527)

ceux qui paient bien, de ceux-là tu te moques ; mais ceux qui (nous) bernent, tu meurs d’amour pour eux.

Ainsi, dans le même passage, l’auteur peut-il jouer avec les deux diptyques D1 et D2 ainsi qu’avec la relative sans corrélatif dans des tournures connexes où il est parfois difficile de justifier la présence ou l’absence du corrélatif.

3.5.3. Second rôle informatif pour D1

D1 peut avoir une fonction de mise en saillance, alors que D2 est non marqué49. En (33), D1 est le siège d’une focalisation contrastive entre puerum et senecta d’une part et entre formosum et deformem de l’autre (avec un chiasme) :

(33) Vetustas pauca non deprauat, multa tollit. Quem puerum uidisti formosum, hunc uides deformem in senecta. Tertium seculum non uidet eum hominem quem uidit primum. Quare illa quae iam maioribus nostris ademit obliuio, fugitiua secuta sedulitas Muci et Bruti retrahere nequit (Varr., L. 5, 5)

Il y a peu de choses que l’âge n’altère pas, beaucoup de choses qu’il fait disparaître. Celui que tu as vu lorsqu’il était enfant dans toute sa beauté, celui-là tu le vois laid dans sa vieillesse. La troisième génération ne voit pas l’homme que la première a vu. Aussi les générations (lointaines) que l’oubli a déjà effacées pour nos ancêtres, le zèle que mettent Mucius et de Brutus à poursuivre les périodes enfuies du passé ne peut en retrouver la trace.

La structure quem…, hunc correspond à une mise en relief soulignant le contraste entre l’état de l’enfant et celui du vieillard. Les autres corrélations sont non marquées (eum hominem quem, illa quae).

Comme cette structure de D1 se prête à la mise en relief, l’auteur peut éprouver le besoin de mettre encore davantage en relief le corrélatif en le faisant déterminer par ipse ‘lui-même’, qui est un opérateur de focalisation. Le frère de Cicéron écrit en (34) à la fin d’un paragraphe :

(34) Prodest quorum in locum ac numerum peruenire uelis, ab his ipsis illo loco ac numero dignum putari (Q. Cic., Comm. Pet. 4)

Il est utile que les personnages au nombre et au rang desquels tu veux parvenir, par ceux-là eux-mêmes tu sois jugé digne d’être de ce nombre et à ce rang

quorum in locum ac numerum peruenire uelis, ab his ipsis desquels / dans la place/ et / dans le nombre / parvenir/ tu voudrais // par / ces gens/ eux-mêmes

Dans l’exemple (35) tiré d’une tragédie de Sénèque (+ 1er s.), dans un style élevé, le corrélatif is en tête de la principale est lui aussi focalisé :

(35) cui prodest scelus / Is fecit (Sénèque, Médée 500-501)

celui à qui profite le crime, c’est lui qui l’a commis

à qui / est utile / le forfait //celui-là / (l’) a fait.

3.5.4. Rôle informatif de D2 … is qui… avec contiguïté

Le corrélatif50 contient le morphème flexionnel caractérisant la fonction syntaxique de la relative par rapport au verbe de la proposition principale régissante. Ce morphème flexionnel est parfois nécessaire pour la clarté de l’architecture de la phrase. Ainsi en (36), eos (accusatif M. pl. de is) montre-t-il que la séquence ‘eos + relative’ constitue l’objet du verbe persequerentur :

(36) milites misit ut… eos qui fugerant persequerentur (César, Bellum Gallicum 5,10,1)

il envoya des soldats pour poursuivre ceux qui avaient fui.

Une relative corrélative étant une déterminative à but identificatoire51, le locuteur peut s’exprimer de manière implicite, par suite de sa complicité et de son savoir partagé avec le destinataire de la lettre :

(37) Signa nostra et Hermeraclas, ut scribis, cum commodissime poteris, uelm imponas, et si quod aliud οἰκεῖον eius loci quem non ignoras reperies et maxime quae tibi palaestrae gymnasiique uidebuntur esse (Cic., Att. 1,10,3)

Mes statues et Herméraklès, comme tu l’écris, lorsque tu pourras le faire commodément, je voudrais que tu les embarques ainsi que tout autre objet que tu trouveras qui soit « à sa place » dans l’endroit que tu connais bien et surtout ceux qui te sembleront adaptés à une palestre et à un gymnase.

Comme la position à l’initiale d’un nouveau paragraphe est celle d’un nouveau Propos, on peut aussi trouver à cet emplacement une relative en D2 où le relatif est précédé immédiatement de son corrélatif. En (38), à l’initiale d’un nouveau paragraphe, Cicéron affiche un nouveau Propos avec une anaphore assurant le lien avec l’avant-texte :

(38) De iis qui nunc petunt, Caesar certus putatur (Cic., Att. 1,1, 2)

Parmi ceux qui sont candidats cette année, César est sûr de passer.

On note dans ces configurations la fréquence du neutre pluriel… ea quae… avec contiguïté – ce qui se confirmera en latin tardif52 – au point qu’on peut se demander si ea ne devient pas ici un clitique ou, du moins, s’il ne forme pas déjà, avec le relatif qui suit, une seule unité accentuelle et syntaxique53.

D2 peut également s’illustrer dans un énoncé parenthétique au neutre sg. :

(38) uelim cogites, id quod mihi pollicitus es, quemadmodum bibliothecam nobis conficere possis (Cic., Att. 1,7, 1)

je voudrais que tu réfléchisses (ce que tu m’as promis) à la manière dont tu pourrais nous faire une bibliothèque,

ou dans un énoncé en rallonge offrant successivement le Support, l’Apport et enfin le Report informatif (selon la terminologie de J. Perrot)54. Dans une lettre à Atticus, Cicéron écrit en substance : ‘il faudrait que tu sois présent si tu penses que cette affaire est importante, ce que tu penseras certainement’, ce qui donne pour la proposition en position finale et en rallonge…, id quod,…, certe putabis (Cic., Att. 1,11,1) ‘ce que tu penseras certainement’.

D2 peut aussi marquer une insistance sur le contenu de la proposition relative postposée, rejetée à la fin de la phrase et apportant une information nouvelle importante55 :

(40) Vicit is qui non fortuna inflammaret odium suum (Cic., Marc. 31)

A vaincu celui qui n’était pas homme à enflammer sa haine sous l’effet du succès.

La même configuration est attestée avec is adjectif en (41) :

(41) testis erit tibi ipsa quantae mihi curae fuerit ut Q. fratris animus in eam esset is qui esse deberet (Cic., Att. 1,5, 2)

Elle (ta sœur) portera elle-même témoignage auprès de toi de tous les efforts que j’ai mis pour que l’attitude de mon frère Quintus à son égard soit celle qui convient.

Comme is qui… est la configuration la plus usuelle (et aussi la tournure « neutre » non marquée), si l’on veut focaliser le contenu de la relative, on peut employer le focalisateur ipse, qui détermine le corrélatif :

(42) Nos autem initium prensandi facere cogitaramus eo ipso tempore quo tuum puerum cum his litteris proficisci Cincius dicebat (Cic., Att. 1,1, 1) Je pense commencer ma campagne au moment même (exactement) où Cincius dit que ton esclave va partir avec la présente lettre.

4. Les tendances évolutives du latin

Le Journal de voyage (Itinerarium) d’Egérie, écrit à la fin du + IVe siècle, met en valeur certains phénomènes évolutifs qui ont affecté la phrase corrélative latine dans ses variantes basses dans la langue parlée familière des gens peu ou moyennement cultivés.

4.1. La subordination corrélative

Nous rencontrons chez Egérie une occurrence exceptionnelle de D1 en quantum…, tantum… en (43) dans un passage évoquant des faits bibliques :

(43) ut quantum irent dextra, tantum reuerterentur sinistra, quantum denuo in ante ibant, tantum denuo retro reuertebantur (Eger., Itin. 7,3) de sorte que autant ils allaient à droite, autant ils revenaient à gauche et autant de nouveau ils allaient en avant, autant de nouveau ils retournaient en arrière

quantum irent dextra, tantum reuerterentur sinistra

autant que / ils allaient / à droite // autant / ils revenaient /à gauche56.

Mais, en général, chez cet auteur et à son époque, le choix entre D1 et D2 dépend de la nature de la subordonnée. Il convient donc d’examiner successivement les différents types sémantiques de subordonnées.

En général chez cet auteur, D1 ne se maintient de manière productive que là où il était obligatoire en raison de la valeur sémantique de la subordonnée. Dans ces cas, D1 était donc déjà, pour les mêmes raisons, installé à l’époque classique dans des diptyques dont l’ordre des propositions n’était pas libre.

Dans ce texte, on note des innovations lexicales, pour tous les types de subordonnées, dans la mesure où l’on assiste à un renouvellement partiel de l’encodage avec de nouvelles conjonctions de subordination, qui parfois éliminent les conjonctions classiques et parfois co-habitent avec elles.

Les conjonctions temporelles sont souvent employées seules, hors de la corrélation, comme à l’époque classique : cum ‘alors que, après que’ : cum peruenissem (Eger., Itin. 4,8). En D1, un renouvellement de l’encodage57 est illustré avec la séquence figée lexicalisée illa hora qua ‘au moment où, lorsque’58.

Par une innovation intéressante, semble se créer une conjonction temporelle à partir d’un adverbe de temps mox ‘bientôt’, non subordonnant à l’origine. On pourrait y voir un passage d’une structure à corrélatifs (presque) indifférenciés mox…, statim… ‘bientôt…, immédiatement’ avec juxtaposition des propositions à la subordination avec hiérarchisation des propositions ‘dès que… immédiatement…’59 :

(44) Mox autem primus pullus cantauerit, statim descendet episcopus et intrat intro speluncam ad Anastasim (Eger., Itin. 24,9)

Mais dès que le premier coq a chanté, aussitôt l’évêque descend et pénètre à l’intérieur de la grotte, à l’Anastasis.

Cette évolution vers la subordination de mox ‘bientôt’ rappelle, en latin prélittéraire, l’évolution de dum, donec, adverbes temporels non subordonnants à l’origine devenus subordonnants. On peut rapprocher aussi simul atque ‘aussitôt que’ et si hypothétique (cf. supra § 1.1.2.). Ces faits confirment que la tendance du latin a bien été de créer de la subordination là où il y avait peut-être anciennement de la corrélation à corrélatifs indifférenciés.

Bien que chez Egérie les temporelles soient généralement en D1 comme à l’époque classique (pour ubi, cf. supra § 1.2.3. note 11), cet auteur, comme à l’époque classique également, offre des temporelles postposées en D2 lorsque le sens est terminatif ‘jusqu’à ce que’ : tamdiu… donec… ‘aussi longtemps… jusqu’à ce que…’60, la valeur terminative étant responsable de l’ordre des propositions.

Pour les causales, comme à l’époque classique, D1 est usuel pour quoniam ‘puisque’ ; mais on observe un renouvellement lexical pour le corrélatif avec61 : itaque, ergo, ac sic ergo. En D2, le corrélatif se situe, de manière étroite, devant le subordonnant : ideo quia… (Eger., Itin. 4,8) ‘pour cette raison parce que…’, ce qui rappelle l’agglutination qui présida à la formation du subordonnant causal fr. parce que, issu de la séquence par ce que62. La disjonction focalisante propterea… quia… ‘pour cette raison… parce que…’ de l’époque classique, mettant en saillance le contenu référentiel de la subordonnée annoncée en cataphore, est encore attestée63.

Les subordonnées comparatives continuent à être majoritairement en D1 ‘de même que… de même’ comme à l’époque classique. Le subordonnant est souvent sic-ut (cf. § 2.3.2. pour l’agglutination du corrélatif et du « relatif »), sicut… ita… ou bien sicut…, sic… 64. Une innovation réside dans la séquence sicut et coordonnant, là où l’on attendrait sic ‘ainsi’65 à la fin d’une longue phrase66. Le ut ‘de même que’ subordonnant est également concurrencé par quem-ad-modum (litt. ‘selon laquelle manière’).

Malgré la prédominance de D1, D2 n’est cependant pas absent dans les subordonnées de comparaison (ita … sicut)67.

Le diptyque comparatif peut aussi fonctionner avec tam. quam, mais ces termes connaissentt alors une grammaticalisation en adverbes non subordonnants68 : ‘autant X que Y’ et ‘à la fois X et Y’, ce qui rappelle la grammaticalisation de cum… tum, qui sont passés de la corrélation à la coordination.

Les diptyques concessifs en licet…, tamen… ‘bien que…, cependant…’ manifestent un renouvellement de l’encodage pour licet, qui devient le subordonnant concessif usuel en prose en latin tardif69. Ainsi la structure corrélative en D1 demeure-t-elle, même si désormais le subordonnant n’est plus prototypique, n’étant plus bâti sur le thème du relatif.

Comme à l’époque classique, en raison de la nature même des liens logiques entre les deux propositions du diptyque, les consécutives sont en D270 : ita… ut… ou bien sic… ut… (litt. ‘dans ces conditions en sorte que’).

En D2 également, comme à l’époque classique, un pronom au neutre71 sg. hoc, illud annonce avec disjonction en cataphore une subordonnée en ut ou quod ‘le fait que’72 pour mettre en saillance le contenu référentiel de la subordonnée73.

4.2. Propositions relatives en corrélation

4.2.1. Des relatives en D2

A la fin du + IVe siècle, dans les bas niveaux de langue, la proposition relative en D1 (qui…, is…) ne semble plus être en usage. Les propositions relatives sont seulement en D2. En outre, si le pronom-adjectif relatif continue, comme dans les époques précédentes, à être un anaphorique de courte portée, sa portée est encore plus courte qu’auparavant. Il nécessite désormais une contiguïté74 avec le substantif qui lui sert d’antécédent ou bien avec son corrélatif.

4.2.2. Le tour ea quae ‘ce que’

On trouve chez Egérie quelques relatives en fonction de premier objet d’un verbe transitif. Elles sont postposées au verbe dont elles dépendent et leur pronom relatif est au neutre pluriel (quae) sans corrélatif et sans antécédent75. Cette postposition est, en fait, la manifestation de la tendance générale à l’ordre VO à cette époque.

Parfois un corrélatif au neutre pluriel (ea) est présent en cataphore76 avec une configuration en ea quae – déjà bien présente à l’époque classique77 – avec contiguïté entre le corrélatif et le relatif. Cette contiguïté laisse penser que les deux mots ne constituent plus qu’une seule unité accentuelle, comme c’est le cas en français pour ce que78. Le corrélatif pourrait être dépourvu d’accent propre et donc cliticisé.

Nous serions alors dans une situation extrême à la limite de la corrélation, puisque le corrélatif et le relatif ne seraient plus deux morphèmes, mais une seule unité fonctionnelle. Les D2 en ea quae sont de faible fréquence chez Egérie, puisque les formes de is, de manière générale, sont très rares à cette époque.

4.2.3. Corrélatif + substantif antécédent + relatif

Is a perdu en latin tardif la position de corrélatif privilégié qu’il avait à l’époque classique. Il est en récession dans tous ses emplois comme endophorique et donc comme corrélatif. Dans l’Itinerarium, il ne figure plus que dans des séquences soudées, figées ou lexicalisées, telles les lexies équivalant à des adverbes de temps ou de lieu : in eo loco ubi, in eo loco quo ‘à l’endroit où’, issues de l’agglutination d’anciens syntagmes, de manière comparable à fr. à l’endroit où, au moment où, alors que, etc. Le corrélatif-adjectif peut être hic79 avec contiguïté dans le type hic A qui ‘le A qui, ce A qui’, le syntagme nominal antécédent, qui inclut le corrélatif, ayant tendance à faire corps avec le relatif et la relative80. La structure de D2 avec hic comme corrélatif a donné naissance à un tour présentatif (d’une grande fréquence chez Egérie) qui est le précurseur de la construction focalisante française C’est le X qui81 :

(45) Haec est autem uallis ingens et planissima in qua filii Israhel commorati sunt (Eger., Itin. 2,2)

C’est la vallée immense et très plane les fils d’Israel ont séjourné.

Dans cet emploi, hic à l’initiale de phrase est anaphorique, puisqu’il reprend des éléments d’information donnés dans le contexte immédiatement antérieur, mais il amorce en même temps la nouvelle phrase en tête de laquelle il se trouve : il annonce en cataphore le pronom relatif tout proche.

Un autre cas particulier de la corrélation, bien attesté chez Egérie, préfigure la syntaxe de la relative et de l’article défini dans les langues romanes : le tour… ille A qui… ‘ce A qui ; le A qui’ ou bien, dans l’ordre inverse entre le corrélatif ille et le substantif antécédent, la variante … A ille qui… Egérie l’emploie pour désigner une entité relevant de la connaissance partagée du locuteur et des allocutaires pour des réalités bibliques bien connues d’elle-même et des dames auxquelles elle destine son récit. Le choix du corrélatif-adjectif ille est alors conditionné par la valeur sémantique de ce lexème, bien attesté dans cet emploi mémoriel en latin dès l’époque archaïque82. Ille fonctionne dans ce cas comme un corrélatif-adjectif en cataphore en D2. L’ordre ille A qui correspond aux langues romanes où l’article défini est antéposé au substantif qu’il détermine (fr. le prêtre qui…), tandis que l’ordre inverse A ille qui (où le corrélatif ille est situé entre l’antécédent et le relatif) préfigure une langue romane comme le roumain, où l’article défini est postposé au substantif83. Dans les deux cas, ille est adjectif (comme l’article défini des langues romanes) dans le syntagme antécédent, situé juste avant le relatif, de manière adjacente. Tous ces faits montrent la solidarité du corrélatif ille avec le relatif.

Dans le cas particulier d’Egérie, dans cette configuration avec ille, la valeur identificatoire du tour corrélatif aboutit à une désignation univoque pour des réalités bibliques uniques84 :

(46) Haec ergo uallis ipsa est in cuius capite ille locus est ubi sanctus Moyses… (Egér., Itin. 2,3)

C’est la vallée précise à l’entrée de laquelle se trouve l’endroit précis où saint Moyse…

Il est probable que ces emplois de la corrélation latine en D2 aient joué un rôle non négligeable dans l’élaboration de la syntaxe et de la sémantique de l’article défini des langues romanes85.

5. Conclusion : la portée des faits latins de corrélation

5.1. La corrélation : un phénomène morpho-syntaxique et lexical

Ainsi avons-nous choisi de définir la corrélation comme un phénomène à la fois morpho-syntaxique et lexical, lié à la co-présence d’un lexème corrélatif et d’un lexème subordonnant (relatif au sens large) associés dans un couple et affectés respectivement l’un à la proposition principale et l’autre à la proposition subordonnée d’une phrase corrélative constituée de deux propositions solidaires. L’ensemble est un « diptyque », soit D1 (subordonnée + principale), soit D2 (principale + subordonnée).

5.2. Un éventail de configurations

Dans le cadre de cette définition morpho-syntaxique, nous avons tenté de montrer l’éventail des configurations offertes en latin pour D1 comme pour D2.

Nous sommes partie, de ce fait, d’exemples prototypiques en D1 unanimement considérés comme relevant de la corrélation (§2.1.). Nous avons considéré que nous pouvions parler de corrélation à chaque fois qu’un corrélatif était présent et nous avons constaté la grande solidarité entre corrélatif et relatif, au point qu’on observe des cas limites. On peut rencontrer un groupe soudé ‘corrélatif + subordonnant’, comme ea quae à l’époque tardive. Avec un degré encore plus fort de soudure, si ce groupe ne constitue plus qu’un seul lexème comme dans sicut (< sic ut), nous sortons de la corrélation.

5.3. La corrélation dans la syntaxe du latin et des langues romanes

La corrélation en D1 et en D2 a joué un rôle dans l’architecture syntaxique, sémantique, informative de la phrase latine, dans l’élaboration de la cohésion textuelle et dans la constitution du lexique latin des subordonnants.

En outre, la structure corrélative latine permet d’éclairer certaines évolutions attestées dans les langues romanes. Le D2 avec ille comme corrélatif-adjectif cataphorique soudé au relatif semble avoir joué un rôle dans l’élaboration de la nouvelle catégorie linguistique qu’est l’article défini, qui émergea dans les langues romanes. Le D2 du latin tardif préfigure également le tour focalisant du français C’est le A qui… avec le pronom-adjectif hic, corrélatif en cataphore du relatif latin. La phrase corrélative latine, dans ses évolutions, a donc eu des répercussions sur des domaines plus vastes qu’on ne le pense généralement. Ses diverses configurations, parce qu’elles ont elles-mêmes évolué, ont participé à l’évolution des catégories linguistiques.

5.4. Le latin et les autres langues indo-européennes

Les faits du latin ne sont pas seulement éclairants pour certains traits romans. Ils offrent aussi des similitudes avec les présentations d’autres langues indo-européennes, telles l’allemand ou le russe, qu’on trouvera dans ce volume.

La corrélation est, en effet, une structure ancienne dans l’ensemble du groupe des langues indo-européennes. Bien conservée dans presque toutes les langues anciennes, elle est encore présente aujourd’hui dans un certain nombre de langues contemporaines appartenant à ce domaine linguistique.

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1 Du thème de relatif sont issues des conjonctions de subordination : sk. yasmāt…, tasmāt ‘puisque …, pour cette raison’ ; yadā…, tadā… ‘quand…, alors…’ ; etc.

2 Sur les mêmes thèmes *kwo- et *to- ; cf. lit. kόks…, tόks… ‘tel que …, tel …’, lit. kaĩp…, taĩp… ‘de même que…, de même…’.

3 Selon Christol (1992, 2008 : 313-314), on trouve, sur le même thème *kwo-, oss. koed ‘quand, si’, oss. kuy ‘quand’, oss. kuyd ‘comme’, oss. koej ‘que’, etc., avec une extension de la corrélation à l’ensemble des subordonnées et un ordre subordonnée + principale majoritaire, comme en védique.

4 Selon Lecouteux (1996 : 61), qui cite en outre p. 49 un passage avec die… die… pour la proposition relative, puis so… so… pour un système comparatif (Chronique des Empereurs, Vorau, Bibliothek des regulierten Chorherrenstiftes, ms n°XI, fol. 15v ; 2e moitié du XIIe siècle). cf. Haudry (1973). Le phénomène a laissé des traces en anglais, où le lexème that (issu du thème i.-e. *to-) joue à la fois les rôles d’un endo-phorique-déictique et d’un subordonnant (relatif et conjonction de subordination).

5 Par opposition à Le fils est tel que le père, où l’on a des corrélatifs différenciés.

6 On pourrait également supposer une étape intermédiaire en Quod si à l’initiale de phrase : Quod si…, sic… ‘Que si…, ainsi…’. Quod serait le subordonnant et si ‘ainsi’ un adverbe non subordonnant à l’origine. Ensuite Quod si aurait été réduit à si, ce dernier assumant alors seul le rôle de subordonnant.

7 On admet généralement que, dans les états de langues où l’antéposition de la subordonnée est majoritaire, cet ordre est neutre et non marqué, tandis que l’ordre inverse est stylistiquement marqué.

8 Que la relative soit toute entière postposée à la principale (fr. j’ai vu celui que tu as rencontré hier) ou enchassée dans la principale (fr. j’ai vu celui que tu as rencontré hier se promener ce matin) ; cf. Bertelsmann 1885.

9 cf. même avis dans Panchon (1982 : 10).

10 cf. Lehmann (1979, 1984), Rosen (1999 : 164-165).

11 A l’époque archaïque, la proposition relative est nettement plus utilisée en D2 qu’en D1 selon Panchon (1982 : 158) : chez Plaute (qui…, is… = 111 occurrences vs is… qui… = 296 occ. et is qui… avec contiguïté = 271 occ.), chez Caton (qui…, is… = 8 occ., is… qui.= 9 occ., is qui… = 6 occ.). De même pour ut selon Panchon (1982 : 253) : chez Plaute (ut…, ita… = 28 occ., ita… ut… = 77 occ., ita ut… = 125 occ.), chez Caton (ut…, ita… = 2 occ., ita… ut… = 5 occ., ita ut… = 9 occ.). Au contraire ubi est plutôt en D1 selon Panchon (1982 : 230) : chez Plaute (ubi…, ibi… = 52 occ. vs ibi… ubi… = 15 occ. et ibi ubi… = 15 occ.), chez Caton (ubi…, ibi… = 3 occ., aucune occ. pour ibi… ubi…, ibi ubi…). Panchon (1982 : 239) fournit également d’autres fréquences, mais elles sont trop faibles pour être significatives : Plaute : unde…, inde… aucune occ., inde… unde… = 3 occ., inde unde… = 2 occ. ; Caton : aucune occ. pour unde…, inde…, inde… unde…, inde unde. On trouve aussi chez Panchon (1982 : 196) : chez Plaute : 4 occ. pour quo…, eo…, eo… quo…, eo quo… ; chez Caton : aucune occ. pour quo…, eo…, eo… quo…, eo quo…

12 Haudry (1973 : 152) : « comme dans la parataxe, les deux parties de l’énonciation sont grammaticalement indépendantes l’une de l’autre ; aucune des deux n’est à considérer comme subordonnée ».

13 Panchon (1982 : 8) est du même avis.

14 Le locuteur, Virginius, vient de tuer sa fille, qui avait été victime d’Ap. Claudius. Il s’adresse à la foule pour lui demander de reporter la responsabilité du crime sur Ap. Claudius : Liu. 3,50,7 : nec cum filia sua libidinem Ap. Claudi extinctam esse, sed quo impunitior sit, eo effrenatiorem fore ‘la luxure d’Appius Claudius ne s’était pas éteinte avec (la vie de) sa fille, mais au contraire plus elle resterait impunie, plus elle serait effrénée’.

15 cf. pour le même avis : Touratier (1994), Fruyt (2005a, b, c, 2010) ; la corrélation relève de « l’interdépendance » pour Panchon (1982 : 8).

16 Au contraire, l’ossète, selon Christol (1992, 2008), possède un matériel lexical propre à la corrélation.

17 Dans ce passage, il y a anaphore puisque le décryptage de l’énoncé corrélatif nécessite la connaissance du contexte antérieur : ni le complément directif du verbe ibis ‘aller’, ni l’antécédent du relatif quod ne sont exprimés parce qu’ils sont connus par anaphore. Il s’agit de la propriété foncière à acheter : praedium, substantif neutre sg. Le paragraphe commence précisément par le mot praedium ‘propriété’ parce que l’achat d’une propriété est le Propos du paragraphe.

18 En (2), qu-am et t-am portent sur des adverbes de sémantisme graduable : un adverbe quantificateur au superlatif plurimum ‘beaucoup’ et un adverbe de manière au superlatif citissime ‘très rapidement’.

19 Autre énoncé corrélatif conclusif chez Plaute, Ménechmes 94-95.

20 En outre, il conviendrait même d’étudier séparément les subordonnants pour savoir s’ils sont davantage enclins au D1 ou au D2, comme le fait Panchon 1982.

21 Cette traduction française par une anacoluthe (alors qu’en latin nous avons une construction syntaxique normale avec un datif) vise probablement la mise en saillance de Rutulo comme désignant le Propos de la phrase.

22 Le terme comparant (le feu) est postposé dans : Virgile Enéide 7, 461-464 : Saeuit amor ferri et scelerata insania belli, / Ira super, magno ueluti cum flamma sonore/ Virgea suggeritur costis undantis aeni/ « l’amour du fer se déchaîne en lui, la folie scélérate de la guerre, la colère, de surcroît. Parfois, menant grand bruit, un feu flambant de menu bois est amassé aux flancs d’une chaudière d’airain… » (traduction J. Perret). Turnus est l’entité qui est le Propos du passage et ici l’entité comparée. L’entité comparante est le feu : litt. ‘de même que lorsqu’une flamme, dans un grand bruit,…’.

23 Sauf lorsque la finale est située à l’initiale de phrase et porte sur l’énonciation de la principale (et non sur le contenu de la principale) dans le type : fr. Pour faire simple, je dirai que…

24 Ces diptyques glissent souvent de l’expression du temps à celle de la cause : Plaute, Mercator 553-554.

25 La grammaticalisation se manifeste dans ce cas par une restriction d’emploi, une perte de possibilités de variation syntaxique, une perte d’autonomie. cf. Fruyt 2011.

26 cf. pour D2 : ibo huc quo mihi imperatumst (Pl., Trin. 600) ‘J’irai là où on m’a ordonné d’aller’.

27 La tendance décrite supra (§1.2.1. ; §2.3.2.) et infra (§3.4. note 42 ; § 4.1.) à propos de sic-ut, c’est-à-dire la soudure du corrélatif devant le subordonnant, se manifeste également pour le subordonnant concessif tam-etsi ; cf. Tametsi…, tamen… (Cic., Att. 1,11,1).

28 Cf. supra § 1.2.1. et note 8 ; cf. la classification de Bertelsmann (1885).

29 Mais la catégorie des relatives déterminatives en latin est plus large que celle des relatives corrélatives : une relative déterminative avec antécédent peut être dépourvue de corrélatif ; cf. animalia… quae (Varr., L. 5, 78) ‘des animaux qui’.

30 Une relative déterminative limite l’extension sémantico-référentielle de son antécédent ; elle ne peut être supprimée sans que l’énoncé change de signification ou bien devienne agrammatical ; elle est prononcée dans une seule émission de voix et sans pause (sans virgule à l’écrit en français) : fr. les maisons du village qui avaient un toit de chaume ont brûlé signifie que seules les maisons qui avaient un toit de chaume ont brûlé, tandis que les autres (qui avaient un toit de tuiles, d’ardoise, etc.) n’ont pas brûlé. Mais une relative apposée n’est pas sémantiquement limitative, est prononcée avec deux pauses et écrite avec deux virgules en français : les maisons du village, qui avaient un toit de chaume, ont brûlé signifie que toutes les maisons du village avaient un toit de chaume et que, pour cette raison, elles ont toutes brûlé.

31 sunt quos scio esse amicos (Pl., Trin. 91) ‘il y a des gens qui, je le sais, sont des amis’.

32 quod imperabit facito (Tér., Heaut. 828) ‘fais ce qu’il ordonnera’ ; Misimus qui pro uectura solueret (Cic., Att. 1,3, 2) ‘J’ai envoyé quelqu’un pour payer le transport’ (cf. Cic., Att. 1,5, 7).

33 Selon Panchon (1982 : 158), D2 a chez Plaute 567 occurrences (soit 296 occurrences pour is… qui avec séparation ; et 271 occurrences pour is qui avec contiguïté), tandis que D1 en a seulement 111.

34 Il représente 280 occurrences chez Plaute selon Panchon (1982 : 166). Cet exemple prototypique de relative et les suivants sont ceux de Bertelsmann (1885), repris par Panchon (1982) et Fruyt (2005a, b).

35 On a parfois considéré cette configuration sans corrélatif comme contenant un « corrélatif zéro » ou bien une « ellipse du corrélatif » par rapport au tour qui…, is… avec corrélatif. A notre avis, néanmoins, il s’agit d’une simple alternance synchronique entre les deux tours qui relève de la syntaxe de la proposition relative en général, dont la relative à corrélatif représente un cas particulier. Il serait difficile de poser en synchronie un schéma corrélatif sous-jacent omniprésent pour toutes les relatives latines, même celles qui n’ont pas de corrélatif. Cf. infra § 3.5.1. note 44 pour la variation entre qui locus seul et qui locus…, ibi… chez Caton.

36 On en trouve chez Plaute 110 occurrences selon Panchon (1982 : 166-167). Cf : Itidem diuos dispendisse uitam humanam aequom fuit : / Qui lepide ingeniatus esset, uitam ei longinquam darent, / Qui improbi essent et scelerati, is adimerent animam cito./ (Pl., Mi. 731-735) ‘Il aurait été équitable que les dieux répartissent la vie humaine de la même façon : à celui qui serait aimable et bon, à celui-là ils donneraient une longue vie ; à ceux qui seraient malhonnêtes et criminels, à ceux-là ils ôteraient rapidement le souffle’.

37 Avec seulement 18 occurrences chez Plaute selon Panchon. cf. : Qui homo timidus erit in rebus dubiis /nauci non erit (Pl., Most. 1041) ‘L’homme qui aura peur dans les situations périlleuses / ne vaudra pas un fétu de paille’.

38 Avec seulement 18 occurrences chez Plaute selon Panchon (1982 : 157-158). Cf. Quoi homini dei sunt propitii / lucrum ei profecto obiciunt (Pl., Curc. 531) ‘Auquel homme les dieux sont propices, à celui-là ils apportent assurément du profit’.

39 Comme variante, Caton offre un adverbe relatif ubi : ubi ager crassus et laetus est sine arboribus, eum agrum frumentarium esse oportet (Caton, De agricultura 6,1) ‘Là où le terrain est gras et fertile sans arbres, ce terrain il faut qu’il soit céréalier’.

40 Avec 296 occurrences selon Panchon (1982 : 158).

41 CH. : – Quis ego sum igitur, siquidem is non sum qui sum ? SY : – Quid id a me attinet ? / Dum ille ne sis quem ego esse nolo, sis mea causa qui lubet./ Prius non is eras qui eras ; nunc is factu’s qui tum non eras./ (Pl., Tri. 978-980) ‘CH. : – Qui suis-je donc si je ne suis pas celui que je suis ? SY : – En quoi cela me concerne-t-il ? Pourvu que tu ne sois pas celui que moi je ne veux pas que tu sois, sois – pour ce qui me regarde – qui il te plaît d’être. Auparavant, tu n’étais pas celui que tu étais ; et maintenant tu es devenu celui que tu n’étais pas à ce moment-là’.

42 Selon Panchon (1982 : 158), avec 271 occurrences. Cf. Nimio id quod pudet facilius fertur quam illud quod piget (Pl. Pseud. 281) ‘Ce qui donne de la honte se supporte beaucoup plus facilement que ce qui donne du regret’ ; Bene ei qui inuidet mihi et ei qui hoc gaudet (Pl., Pers. 776-777) ‘Je fais des vœux de prospérité pour celui qui est jaloux de moi et pour celui qui se réjouit pour moi’.

43 On peut rapprocher ce phénomène de l’agglutination du corrélatif et du subordonnant dans sic-ut : cf § 1.2.1. ; § 2.3.2. ; § 2.10. note 26 ; § 4.1.

44 Dans cet article, nous employons Support informatif et Apport informatif dans la terminologie de B. Pottier, Ch. Touratier (1994).

45 Cf. supra § 3.3. note 34 à propos de qui… sans corrélatif face à qui…, is…

46 Cf la note précédente.

47 Cf. Signa Megarica et Hermas… uehementer expecto. Quicquid eiusdem generis habebis dignum Academia tibi quod uidebitur, ne dubites mittere et arcae nostrae confidito. Genus hoc est uoluptatis meae ; quae γυμνασιώδη maxime sunt, ea quaero (Cic., Att. 1,9, 2) ‘Les statues de Mégare et les Hermès, je les attends avec grande impatience. Tout ce que tu auras du même genre qui te paraîtra digne de mon Académie, n’hésite pas à me l’envoyer et aie confiance en ma cassette. C’est ce genre (d’œuvre d’art) qui est l’objet de mon plaisir ; les œuvres qui sont surtout « aptes à orner un gymnase », ce sont celles-là que je recherche’.

48 De même chez Varron au début d’un nouveau paragraphe : In quo genere uerborum aut casu erit illustrius unde uideri possit origo, inde repetam (Varr., L. 5,4) litt. ‘Dans laquelle forme de mot ou de cas il sera plus clair de voir d’où provient l’origine d’un terme, c’est de là que je partirai’.

49 Il est possible que la fréquence d’emploi puisse jouer dans ce cas, dans un état de langue où D2 est usuel, tandis que D1 est plus rare ; cf. § 1.2.1. note 7.

50 Selon Lavency (1996), dans les livres 1 à 7 de César BG, il y a environ 100 occurrences de cataphoriques. Pour la place du relatif et de l’ana-, cata-phorique en latin, voir Lavency (1998, 57-101 ; 1998a).

51 Pour cette propriété, cf. supra § 3.1. et note 29.

52 cf. §4.1. note 61 ; § 4.2.2.

53 Dans Cicéron (en fait le frère de Cicéron : Quintus Tullius Cicero) Commentariolum petitionis, le § 1 offre 3 occurrences de ea quae.

54 ea quae ; id quod (Cic., Att. 1,11,1).

55 Dans ce passage, déjà mentionné, le syntagme portant l’information essentielle est rejeté à la fin après le verbe : Nunc uero sentio… uenias ad id tempus quod scribis (Cic., Att. 1,4, 1) ‘Mais à présent, je suis d’avis… que tu viennes au moment que tu mentionnes dans ta lettre’.

56 Plus clairement : ‘La distance qu’ils parcouraient à droite, cette distance ils la perdaient en revenant à gauche’. Le sens est en substance : ‘ils ne parvenaient pas à avancer’.

57 Mais on rencontre aussi des systèmes corrélatifs d’un type classique : ubi…, tunc… (Eger., Itin. 24,2) ; Vbi cum peruentum fuerit, statim sic… (25,7) ‘quand on y fut arrivé, aussitôt…’.

58 Nam et illa hora qua omnes nocte in Ierusolima reuertuntur cum episcopo, tunc loci ipsius monachi… (Eger., Itin. 25,12) ‘Au moment où ils reviennent tous à Jérusalem à la nuit avec l’évêque, alors les moines de cet endroit…’.

59 Le statut subordonnant de mox est démontré par une occurrence où il est suivi du subjonctif parfait au sens de ‘aussitôt après que’ en postposition sans corrélatif en Eger., Itin. (27,9).

60 et denuo tandiu ibi immorati sunt, donec fieret tabernaculum (Eger., Itin. 5,9) ‘et ils y sont restés encore le temps que soit fabriqué le tabernacle’.

61 Et quoniam nobis iter sic… : itaque ergo… (Eger., Itin. 5,1) ‘Puisque notre itinéraire était de … : ainsi donc…’.

62 Nous avons vu que la soudure du corrélatif devant son subordonnant est un phénomène récurrent : cf. à propos de sic-ut, tam-etsi, ea quae § 1.2.1. ; § 2.3.2. ; § 2.10. note 26 ; § 3.4. note 42).

63 Propterea autem octo septimanae attenduntur quia dominicis diebus et sabbato non ieiunantur (Eger., Itin. 27,1) « Si on observe 8 semaines, c’est parce qu’on ne jeûne pas les dimanches et les samedis » (traduction P. Maraval, Paris, Le Cerf, 1982).

64 Nam sicut apud nos quadragesimae ante pascha adtenduntur, ita hic octo septimanas attenduntur ante pascha (Eger., Itin. 27,1) ‘De même que chez nous on observe 40 jours avant Pâques, de même ici 8 semaines sont observées avant Pâques’.

65 ac sic ergo fecimus ibi mansionem (Eger., Itin. 4,8) ‘et ainsi nous avons fait là une étape pour la nuit’.

66 In eo loco cum uenitur,… (3 lignes)… : sicut et nos fecimus (Eger., Itin. 1,2) ‘Lorsqu’on vient dans ce lieu. (3 lignes)… : et c’est ainsi que nous avons fait nous aussi’.

67 Item ad sextam et nonam et lucernare ita aguntur sicut consuetudo est per totum annum agi semper in ipsis locis sanctis (Eger., Itin. 27,4) « A la 6e heure, à la 9e et au lucernaire, on fait comme c’est l’habitude de faire toujours toute l’année dans ces lieux saints » (trad. P. Maraval).

68 et sic orant omnes tam fideles quam et cathecumini simul (Eger., Itin. 24,6) ‘puis tous prient, les fidèles comme aussi les cathéchumènes en même temps’.

69 Et licet semper Deo in omnibus gratias agere debeam… (3 lignes)… : tamen etiam et illis omnibus sanctis nec sufficio gratias agere (Eger., Itin. 5,12) ‘Et bien que je doive toujours remercier Dieu en toutes choses… : néanmoins pour tous ces saints aussi je ne peux émettre suffisamment de remerciements… « Certes, je dois toujours rendre grâce à Dieu pour toutes choses… (3 lignes)… : mais c’est aussi tous ces saints que je ne puis assez remercier… » (trad. P. Maraval). Cf. Sane licet…, tamen… (Itin. 7,1) ‘Bien qu’en vérité…, néanmoins…’.

70 Et quoniam nobis iter sic erat ut per ualle illa media, qua tenditur per longum, iremus (Eger., Itin. 5,1) ‘Et puisque notre itinéraire était tel que nous devions traverser par le milieu cette vallée qui s’étend en longueur, …’. filios Israhel sic ambulasse ut (Itin. 7,3) ‘… que les fils d’Israël ont cheminé de telle sorte que…’.

71 Mais, contrairement à l’époque classique, le corrélatif en cataphore, désormais, n’est plus id.

72 L’ensemble corrélatif + relatif pourrait alors être traduit littéralement par ‘cela à savoir que’.

73quoniam in diebus quadragesimarum et hoc additur ut et ad tertiam eatur (Eger., Itin. 27,4) ‘… puisque, pendant les jours du carême, cela seulement est ajouté aussi, à savoir que l’on y va aussi à la 3e heure’ ; illud solum additur tertia feria quod nocte sera… (Itin. 33,1) ‘la seule chose que l’on ajoute le mardi, c’est qu’à la nuit, le soir, …’ ; illud… ut… (Itin. 2,7).

74 Ce phénomène de contiguïté commence à apparaître progressivement dès Sénèque au + 1er s.

75 et aguntur usque ad mane quae semper (Eger., Itin. 27, 4) ‘et l’on fait jusqu’au matin ce que l’on fait toujours’.

76 et aguntur ea quae semper usque ad mane (Eger., Itin. 27,5) ‘et l’on fait ce que l’on fait toujours jusqu’au matin’ ; ea quae superius dicta sunt (Itin. 47,2) ‘ce qui a été dit plus haut’.

77 cf. §3.5.4. et note 51.

78 La disjonction entre le corrélatif et le relatif est rare et, en outre, la distance entre les mots n’est pas grande : ea… quae (Itin. 35,1). Ces quelques occurrences n’infirment donc pas la tendance à la contiguïté.

79 Selon les indices donnés par la graphie avec initial, mais certaines formes de hic se sont confondues depuis l’époque classique avec des formes de is : hi omnes qui per girum sunt (Eger., Itin. 2,5) ‘tous ces (monts) qui sont autour’ ; in his locis ubi (Itin. 6,2) ‘dans ces endroits …’.

80 non dicam in his tantis et talibus quae circa me conferre dignatus est (Eger., Itin. 5,12) ‘Je ne parle pas seulement de ces si nombreuses et si grandes faveurs dont il a daigné me combler’.

81 Cf. Haec est autem uallis in qua factus est uitulus… Haec ergo uallis ipsa est in cuius capite ille locus est ubi sanctus Moyses… (Eger., Itin. 2,3) ‘Or c’est la vallée où fut fabriqué le veau… C’est donc la vallée même au début de laquelle se trouve l’endroit où saint Moyse …’ ; Hic est autem rubus quem superius dixi, de quo locutus est Dominus Moysi in igne, qui est in eo loco ubi monasteria sunt plurima (Itin. 4,7) ‘Or, c’est le buisson ardent dont j’ai parlé précédemment, à partir duquel le Seigneur parla à Moyse, et qui se trouve à l’endroit où il y a des monastères en très grand nombre’ ; cf. Eger., Itin. (7,5) ; etc.

82 cf. l’exemple usuel des grammaires latines : ille Socrates ‘le célèbre Socrate, ce célèbre Socrate’. La fonction de ille est alors une exophore mémorielle : il fait appel à la mémoire des allocutaires ou lecteurs.

83 L’attestation de cet ordre des mots en latin montre que la syntaxe latine rendait possible la postposition de l’article défini en roumain ; mais d’autres facteurs ont dû intervenir dans cette langue pour entraîner la fixation de cet ordre des mots.

84 Cf. ubi est spelunca illa in qua docebat Dominus (Egér., Itin. 30,3) ‘là où se trouve la grotte dans laquelle enseignait le Seigneur’ ; stat diaconus, tenet anulum Salomonis et cornu illud de quo reges unguebantur (Itin. 37,3) ‘un diacre se tient debout, il tient l’anneau de Salomon et l’ampoule à l’aide de laquelle les rois sont oints’ ; locum illum euangelii qui semper dominica die legitur (Itin. 43,1) ‘le passage précis de l’évangile qui est toujours lu le dimanche’ ; ubi manseramus et uideramus rubum illum de quo locutus est Deus sancto Moysi in igne (Itin. 5,2) ‘où nous avions fait étape et où nous avions vu le buisson en feu d’où Dieu parla à saint Moïse’ ; Item ostenderunt torrentem illum de quo potauit sanctus Moyses filios Israhel, sicut scriptum est in Exodo (Itin. 5,6) ‘De même ils nous montrèrent le torrent dont Moïse fit boire les eaux aux fils d’Israël, comme cela est écrit dans l’Exode’ ; Nam ostenderunt nobis etiam et illum locum qui appellatus est incendium quia incensa est quedam pars castrorum (Itin. 5,7) ‘Et ils nous montrèrent aussi l’endroit qui s’appelle incendium « incendie » parce qu’une certaine partie du camp y fut incendiée’.

85 Même si, dans ce texte d’Egérie, l’adjectif ille ne joue pas le rôle d’un article défini.