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Montrer l’invisible

Les dieux et leurs statues dans la céramique grecque

Hélène COLLARD

Université de Liège, EHESS – Paris

Cette contribution s’inscrit dans la préparation d’une thèse de doctorat portant sur la mise en image de la présence divine dans la céramique grecque, sous la direction de Vinciane Pirenne-Delforge (Université de Liège) et de François Lissarrague (EHESS-Paris). Je les remercie tous les deux pour leur aide et leurs remarques lors de l’élaboration de cet article. Je tiens aussi à remercier les participants qui ont pris la parole à la suite de mon intervention et m’ont amenée à pousser plus loin la réflexion ; je pense notamment à Anne-Françoise Jaccottet, Philippe Borgeaud, Marie-Christine Villanueva, Sophie Montel et Adeline Grand-Clément.

La perception du divin est une composante essentielle de la plupart des systèmes religieux, et les Grecs ne font pas exception. Une des modalités de cette perception est la perception visuelle. Pour répondre à la thématique de cet atelier, j’ai donc choisi de me tourner vers l’iconographie céramique, puisque l’image était justement un moyen de montrer l’invisible et de donner corps au divin1. Plus précisément, je voudrais examiner un groupe de vases particuliers, sur lesquels une divinité est figurée à côté de sa propre statue2. Ces documents posent une série de questions intéressantes sur le statut de l’image divine et sur les modes de représentation du divin en Grèce ancienne.

Dans la pratique cultuelle, un des supports privilégiés pour représenter les dieux est la statue en ronde-bosse, qui matérialise de façon iconique la présence divine. Sur les vases peints, les dieux sont représentés le plus souvent comme le sont les humains, c’est-à-dire comme des figures vivantes et animées, mais ils peuvent aussi apparaître sous d’autres formes. Différents procédés figuratifs sont donc utilisés pour « présentifier » le divin3. La difficulté qui ressort du corpus envisagé est l’utilisation conjointe de deux de ces procédés : dans une même image, on a, d’un côté, la « représentation d’une représentation », à savoir la statue, de l’autre, la représentation d’une divinité sous sa forme anthropomorphe « habituelle ». La question qui surgit d’emblée est celle du sens de ce type de figuration, qui redouble en quelque sorte la divinité. Il s’agira donc ici d’analyser ces images, en montrant qu’elles sont signifiantes car elles mettent en scène deux modes de présence différents. Quelques pistes de réflexion seront également explorées, tant sur la place des statues divines dans l’iconographie que sur le rôle qu’elles jouaient dans la communication rituelle établie entre les hommes et les dieux.

Le corpus se compose d’une petite trentaine de vases à figures rouges, italiotes pour la plupart, et les scènes représentées font presque toutes référence à un épisode mythologique, souvent tiré du cycle troyen. Les mêmes thèmes revenant plusieurs fois, nous allons voir les exemples les plus significatifs, en gardant à l’esprit que chaque scène mythique a ses propres caractéristiques. Dans certains cas, en effet, la statue occupe une place centrale dans le récit auquel l’image renvoie ; sa présence est donc presque obligatoire. Dans d’autres cas, elle a été ajoutée à la scène alors qu’elle n’y figurait pas au départ, ce qui relève du choix des imagiers. A des enjeux narratifs différents correspondent alors des solutions iconographiques différentes, auxquelles il faudra être attentif.

Le premier vase sur lequel on observe le redoublement d’une divinité est une amphore attique représentant le vol des Palladia (fig. 1), datée des environs de 480 avant n.è. La composition est assez simple :

Fig. 1 : Vol des Palladia. Stockholm, Medelhavsmuseet 1963.1 (photo Medelhavsmuseet, Stockholm).

Diomède et Ulysse, armés, portent chacun un Palladion et se font face, alors qu’Athéna se tient entre eux. La première particularité de cette image est qu’elle montre deux Palladia4, ce qui contraste avec les sources littéraires qui ne mentionnent qu’une statue dérobée par les deux héros, bien que l’existence de plusieurs Palladia à Troie soit attestée chez divers auteurs5. Ici, seule la statuette de gauche est visible, de l’autre on ne voit que le haut du casque par-dessus l’épaule droite de son ravisseur. Le peintre utilise donc le jeu du « caché-montré » pour instaurer une distinction entre les deux statues6. Celle que l’on voit est de petite taille, comme sur toutes les autres représentations de ce thème7, et paraît presque animée : elle est représentée de trois-quarts, son vêtement forme des plis, ses pieds sont séparés et ses bras en mouvement. La deuxième spécificité, et c’est ce qui nous intéresse, est le fait qu’Athéna soit aussi représentée « en personne ». La déesse et la statuette portent toutes deux une lance et un casque, et sont vêtues de l’égide et d’un péplos fort semblable qui se termine par une broderie en zigzag. Il y a donc un certain parallélisme entre les deux figures ; néanmoins, elles se différencient par la taille et les gestes : le Palladion tient son bouclier levé et porte son casque sur la tête, tandis qu’Athéna est calme, casque en main et lance au repos. En outre, la déesse se trouve au centre de l’image et fait partie intégrante de la scène, au même titre que les deux autres personnages. Sa présence et son attitude impassible semblent ainsi cautionner l’acte d’Ulysse et Diomède8.

Fig. 2 : Ajax et Cassandre. Cambridge, Fitzwilliam Museum 103.22, d’après davreux 1942, fig. 49.

Vers le milieu du Ve siècle, le redoublement apparaît sur plusieurs vases attiques se rapportant à l’épisode de la chute de Troie, notamment sur une amphore à col du Groupe de Polygnotos conservée à Cambridge (fig. 2). La scène représentée est celle du rapt de Cassandre par Ajax, où la statue d’Athéna joue un rôle central9. Sa présence est de ce fait quasiment indispensable. Ce thème a largement inspiré les peintres de vases et les représentations sont très nombreuses, mais on observe des constantes d’un vase à l’autre10. Sur celui-ci, le schéma général suggère l’idée d’une poursuite entre les deux personnages : Cassandre s’agrippe à la statue d’Athéna, au pied de laquelle elle est tombée à genoux, alors qu’Ajax, qui l’a rattrapée, la saisit par les cheveux pour l’emmener en arrière. A droite, on trouve le personnage de la « prêtresse en fuite », assez fréquent dans cette scène. La statue est frontale et d’une raideur archaïsante : elle a les jambes et les pieds joints, et porte un vêtement étroit et resserré à la taille ; seuls les bras sont en mouvement. Elle est placée sur une base à trois degrés et est armée du casque, de la lance et du bouclier. La composition de l’ensemble de la scène correspond au schéma habituel pour ce thème dans la figure rouge, mais il est particulier de voir la figure d’Athéna s’ajouter à celle de son effigie. La déesse, debout à gauche de sa statue, occupe une place importante dans l’image et prend part à l’action : armée de l’égide et de la lance, elle fait face à Ajax tout en tendant la main droite vers Cassandre, dans un geste de bienveillance et de protection. La position d’Athéna, qui est debout à côté de sa statue, facilite le rapprochement entre les deux figures.

On retrouve le motif de la supplication à la statue dans une autre scène de l’Ilioupersis, celle des retrouvailles entre Hélène et Ménélas. Dans ce cas, la statue n’était pas imposée par le mythe. D’ailleurs, la plupart des vases représentant cet épisode ne l’incluent pas et, quand il y en a une, il ne s’agit pas toujours du même dieu11. Sur un cratère à volutes attribué au Peintre des Niobides (fig. 3), le schéma est aussi celui de la poursuite : on voit Hélène qui, tout en regardant derrière elle, s’enfuit vers la droite où se trouvent Apollon, sa statue et Aphrodite. A gauche, Ménélas tente de rattraper son épouse mais est stoppé par Athéna qui s’interpose entre eux. La combinaison de la statue et de l’autel semble indiquer que la scène se déroule dans le sanctuaire d’Apollon. L’effigie, qui tient une phiale dans la main droite et un rameau de laurier dans la gauche, est représentée de façon très différente de celle d’Athéna sur l’amphore de Cambridge (fig. 2) : nue et de petite taille, elle est debout sur une colonne et a une attitude assez libérée. On observe en effet un léger déhanchement et les bras sont décollés du corps. Apollon, lui, est vêtu d’un chiton et d’un himation et, comme la statue, il porte une couronne et une branche de laurier.

Ici encore, le dieu intervient donc à côté de sa statue, en accueillant Hélène qui se précipite vers le lieu sacré. Mais ce n’est pas tout. Sur ce vase, le peintre fait intervenir plusieurs divinités en faveur de la jeune femme et joue sur la combinaison de leurs présences : la statue, qui sert de lieu de refuge à Hélène, est entourée par Apollon et Aphrodite. Les deux divinités sont là, en plus de l’effigie, pour recevoir et protéger la suppliante, alors qu’une troisième – Athéna – tente de retenir Ménélas pour épargner cette dernière. L’image se complexifie donc par rapport à celle du vase précédent, mais on peut faire une même remarque. Dans ces deux scènes de supplication, le redoublement n’est pas une simple redondance et ne prive pas la statue de son importance figurative. La divinité et son effigie ont un rôle complémentaire, car elles font référence à deux sphères d’action différentes : la statue auprès de laquelle se réfugie Hélène – ou Cassandre – est un lieu d’asile concret et tangible, tandis que l’action divine protectrice, invisible dans la réalité humaine, est rendue visible dans l’image par la présence des dieux « en personne ».

Fig. 3 : Hélène et Ménélas. Bologne, Museo Archeologico 269, d’après Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, IV, pl. 336, n° 250.

Sur ces trois vases attiques, les dieux prennent part à l’action et interviennent dans le monde des humains12, sans qu’il y ait de séparation claire entre les différentes sphères. Tous les personnages, humains ou divins, sont représentés sur un même registre et selon les mêmes règles figuratives. On va voir que sur les vases italiotes, les sphères humaines et divines sont mieux différenciées car le champ pictural est souvent divisé en registres, plus ou moins bien définis13.

Fig. 4 : Enlèvement des Leucippides. Londres, British Museum E224 (photo © Trustees of the British Museum).

Un document attique fait toutefois exception : la célèbre hydrie du Peintre de Meidias (fig. 4), datée de l’extrême fin du Ve siècle. La partie supérieure du vase montre l’enlèvement des Leucippides par les Dioscures. La scène se passe dans le sanctuaire d’Aphrodite, qui se trouve dans la zone inférieure, assise contre l’autel, et est identifiée par une inscription. Elle est entourée d’autres divinités, nommées elles aussi. La statue orne l’épaule du vase, entre les chars des deux ravisseurs. Son apparence est figée et archaïsante : elle est debout sur une base, de face et le corps rigide, et tient une phiale dans la main droite. Si les statues d’Athéna et d’Apollon sur les documents précédents étaient immédiatement identifiables par leurs attributs, ce n’est pas le cas ici, mais l’attribution à Aphrodite semble peu douteuse14. En effet, la déesse est présente en personne dans la scène, identifiant clairement le sanctuaire ; il est donc très probable que la statue soit effectivement la sienne. De plus, le caractère érotique de la scène rend cette identification tout à fait pertinente. On a donc à nouveau un redoublement, mais, ici les figures sont réparties en plusieurs registres : les dieux sont en bas, autour d’Aphrodite et de l’autel, et les humains en haut, autour de la statue. La déesse regarde la scène qui se déroule au-dessus d’elle, mais sans y participer, contrairement à ce qu’on a vu avant. Enfin, la déesse et son effigie constituent deux des points focaux de l’image, guidant ainsi l’œil du spectateur dans sa lecture.

Bien qu’il soit attique, ce vase se rapproche par sa composition des vases d’Italie du Sud. En effet, la division en registres est plus fréquente dans la céramique italiote, où on retrouve la même répartition, mais inversée. Quand une divinité est présente, elle se tient en général dans le champ supérieur de l’image, en retrait par rapport à l’action représentée. Les dieux sont là en tant que « spectateurs », ils se contentent de regarder la scène, sans intervenir15.

Fig. 5 : Ajax et Cassandre. Tarente, Museo Archeologico 52.665, d’après Moret 1975, pl. 3.

C’est le cas pour Athéna sur plusieurs vases se rapportant à l’enlèvement de Cassandre, comme sur un cratère en calice apulien de Tarente (fig. 5). Ici l’action se passe dans le temple d’Athéna : Cassandre s’accroche à la statue de la déesse tandis qu’Ajax l’empoigne par les cheveux, comme on l’a déjà vu (fig. 2). Athéna en personne est assise en haut à droite, et son regard est dirigé vers le groupe formé par Cassandre et l’effigie. Elle assiste donc aux évènements, mais de loin, elle ne fait pas partie de l’action. Comme la statue, elle porte un casque et est armée de la lance et du bouclier, qui est d’ailleurs identique pour les deux figures. Cependant, elles se démarquent l’une de l’autre par leurs vêtements et leur attitude : celle de la déesse est très peu martiale, elle est vue de trois quarts avec la tête tournée sur le côté, alors que la statue est frontale et rigide, la lance levée au-dessus de l’épaule.

Fig. 6 : Iphigénie en Tauride. Saint-Pétersbourg, Hermitage B 1715 (photo by Vladimir Terebenin, Leonard Kheifets, Yuri Molodkovets © The State Hermitage Museum).

On trouve le même type de composition, mais beaucoup plus dense, sur un cratère à volutes apulien attribué au Peintre de Baltimore (fig. 6), illustrant le séjour d’Iphigénie en Tauride. Au centre de l’image se dresse le temple d’Artémis, abritant la statue de la déesse16. A gauche de la statue se tient Iphigénie, qui est figurée en tant que prêtresse d’Artémis, tenant la clé de la main gauche. Elle tourne la tête vers Pylade qui se trouve sur sa gauche. Oreste est présent lui aussi, ainsi que divers personnages. La statue d’Artémis porte une torche et une lance, et a une posture tout à fait libérée : les jambes ne sont plus sur le même plan, l’attitude est déhanchée, la tête tournée sur le côté et les bras en mouvement ; on dirait presque qu’elle est animée. Mais son caractère de statue est bien marqué, par sa petite taille, la base sur laquelle elle est placée et l’utilisation du rehaut blanc, qui est un des moyens privilégiés dans la céramique italiote pour représenter les statues. Enfin, dans la zone supérieure de l’image prennent place quatre divinités : Iris et Athéna à gauche du temple, Artémis et Hermès à droite. La déesse et sa statue sont toutes les deux représentées selon le type de l’Artémis chasseresse : lance, bandes croisées sur la poitrine, chiton court et flottant dans le bas, bottes et ceinture. Mais leur position est différente, ainsi que leur coiffure et leurs attributs : arc et carquois pour l’une, torche pour l’autre.

Fig. 7 : Sacrifice à Dionysos. Naples, Museo Archeologico H 2411, d’après Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, III, pl. 405, n° 863.

La division en registres est encore utilisée par le Peintre de la Naissance de Dionysos sur un cratère à volutes apulien (fig. 7), décoré d’une scène de sacrifice à Dionysos. Dans le registre inférieur, derrière un large autel décoré d’un bucrane, se trouve une statue du dieu. Juste à côté de celle-ci se tient une femme qui s’apprête à égorger la jeune chèvre qu’elle tient au-dessus du feu brûlant sur l’autel. Elle est couronnée et tient un couteau de la main droite, pointé vers l’animal. A droite de l’autel, une oenochoé est placée sur une trápeza sur laquelle une deuxième femme s’apprête à déposer un panier rempli d’offrandes. Sur la gauche, deux autres femmes, avec crotale et tambourin, sont en train de danser. Dans le registre supérieur, Dionysos « en personne » est assis en compagnie de quatre ménades et d’un satyre. La statue de Dionysos est légèrement inférieure à la taille humaine et de style archaïsant. Elle porte un vêtement richement décoré, une barbe et un pólos, et tient un thyrse dans la main gauche ainsi qu’un canthare dans la droite. La frontalité et la rigidité de la statue contrastent avec la figure du dieu « vivant », qui est rendue de manière fort différente : Dionysos est nu, jeune et imberbe, il porte une couronne et est assis sur son vêtement dans une position détendue. Son bras droit entoure une longue branche décorée de bandelettes, sur laquelle il a l’air d’être appuyé.

Ce cratère est extraordinaire à plus d’un titre : premièrement, il est très rare que le moment de l’égorgement soit représenté ; deuxièmement, le sacrificateur ici est une femme, ce qui est exceptionnel également ; et, enfin, le redoublement du dieu est le seul exemple connu pour les scènes sacrificielles. On est donc loin des représentations de sacrifice ordinaires17. La composition en registres place la statue dans la sphère humaine, au sein même du rituel, et le dieu dans la sphère divine, destinataire invisible dont la présence se manifeste par la statue.

Les vases que l’on vient de voir, par leur division en registres, permettent de faire une séparation claire entre les sphères divines et humaines. Mais ils montrent aussi, par la présence des dieux « en personne », que la frontière entre les deux n’est pas complètement étanche et que la communication est possible, notamment au travers de la statue divine.

Dans d’autres cas, la divinité ne se trouve pas sur un registre différent, mais en marge de l’image, en retrait par rapport à la statue et aux humains. Le plus bel exemple figure sur un cratère en cloche lucanien attribué au Peintre de Pisticci (fig. 8). La scène fait référence à l’une des versions du mythe de Laocoon selon laquelle le châtiment du prêtre vient d’Apollon18. Deux serpents s’enroulent autour de la statue d’Apollon, qui se trouve à l’extrême gauche de l’image. A ses pieds, on distingue les restes d’un corps d’enfant, probablement l’un des fils de Laocoon. Au centre se tient une femme qui brandit une hache au-dessus de sa tête et, derrière elle, un homme barbu à l’air désespéré. On peut sans doute y reconnaître Laocoon et sa femme, qui cherche à intervenir pour mettre fin au drame. Tout à fait à droite, Apollon en personne ferme la scène. On observe certaines similitudes entre Apollon et sa statue : le dieu est chaque fois figuré nu, avec de longs cheveux et ses attributs spécifiques.

Fig. 8 : Punition de Laocoon. Bâle, Antikenmuseum Lu 70 (photo by Andreas F. Voegelin, Antikenmuseum und Sammlung Ludwig, Bâle).

Les deux figures encadrent la scène de façon symétrique et il y a comme un jeu de miroir entre elles : elles regardent l’une vers l’autre, tenant chacune une branche de laurier dans la main qui est à l’intérieur de l’image et un arc dans l’autre. Mais la statue est de profil19 alors que le corps du dieu est vu de face, et la base sur laquelle est placée l’effigie empêche toute confusion entre les deux. L’attention du spectateur, tout comme celle des personnages de la scène, est portée sur le drame qui se déroule autour de la statue. Apollon, qui se tient immobile au bord de l’image, semble assister aux évènements de très près, mais sans être vu de Laocoon et de sa femme. On retrouve donc le détachement entre la sphère humaine, dans laquelle se trouve la statue, et la sphère supra-humaine, dans laquelle se trouve le dieu.

L’exemple suivant est assez particulier, car il montre un artiste au travail, ce qui est extrêmement rare dans la peinture de vases. Il s’agit d’un cratère à colonnettes apulien (fig. 9), daté du milieu du IVe siècle. Au centre de la représentation, un artisan est en train de finir de peindre la leontḗ de la statue d’Héraclès. La statue, peinte en rehaut blanc, est debout sur une haute base quadrangulaire. Nue et imberbe, elle est appuyée sur la massue et tient un arc dans la main gauche. A gauche de ce groupe, un jeune homme nu, qui doit être un assistant, se tient près d’un brasero ; la technique utilisée pour peindre la statue est donc probablement celle de l’encaustique20. Dans le champ supérieur se trouvent Zeus et Niké, et on voit aussi une colonne et une phiale. Enfin, Héraclès est présent en personne, caractérisé par la jeunesse, la nudité, la peau de lion, l’arc et la massue, tout comme l’effigie. Il est debout sur la droite, en marge de l’image, et paraît surveiller de loin la réalisation de sa statue, sous le regard de son père.

La scène est donc d’un type fort différent de celles qu’on a analysées jusqu’ici : le peintre ne s’est pas contenté de mettre la statue en image, il insiste sur sa fabrication, qui est représentée en détail et qui se déroule sous la surveillance des dieux. En faisant de l’effigie l’axe de l’image, l’élément central de la composition autour duquel toute la scène s’organise, c’est le processus de création qu’il met en évidence. Ce qui est encore accentué par le redoublement d’Héraclès et par la présence de Niké, qui est le signe de l’approbation des dieux à l’égard du travail du sculpteur. On notera aussi que la statue et la base sur laquelle elle se trouve hissent le héros au niveau des dieux du registre supérieur21.

Fig. 9 : Fabrication d’une statue d’Héraclès. New York, Metropolitan Museum 50.11.4 (photo © The Metropolitan Museum of Art).

Avant de conclure, j’aimerais m’arrêter sur un autre type de représentation, très intéressant pour cette étude. Il s’agit de vases sur lesquels la figure divine est très ambiguë, au point qu’il n’est pas facile de savoir si elle fait allusion à une statue ou à la divinité elle-même22. C’est surtout le cas dans la figure noire car au vie siècle, on ne trouve pas de statue explicitement caractérisée comme telle dans la peinture de vases23. Cette ambiguïté est particulièrement perceptible sur le médaillon intérieur d’une coupe de Siana (fig. 10)24, qui représente encore une fois la scène d’Ajax et Cassandre. Athéna y est représentée armée et « en marche », selon le type de la Prómachos. Elle se tient debout de profil, à droite de l’image, et fait face à Ajax vers qui elle pointe sa lance. Au milieu d’eux se trouve Cassandre, agenouillée aux pieds de la déesse et si petite qu’elle disparaît en partie derrière le bouclier de sa protectrice25. Les principaux acteurs de la scène sont donc Ajax et Athéna, qui s’affrontent comme de véritables adversaires26. Les exemples sont nombreux mais, sur cette coupe, la figure d’Athéna est parfaitement identique à celle de la face extérieure (fig. 11), qui fait pourtant référence à la déesse en personne, la scène représentée étant celle de l’introduction d’Héraclès dans l’Olympe. Cette ressemblance montre bien que, dans la figure noire, il est difficile de faire la distinction entre la déesse et son effigie. Toutefois, dans ce cas, le contexte mythologique nous éclaire, puisqu’on sait que c’est auprès de la statue d’Athéna que Cassandre s’est réfugiée.

Fig. 10 : Ajax et Cassandre. Londres, British Museum B379, médaillon intérieur (photo © Trustees of the British Museum).

Fig. 11 : Introduction d’Héraclès dans l’Olympe. Londres, British Museum B379, face extérieure (photo © Trustees of the British Museum).

A partir du Ve siècle, les artistes vont peu à peu caractériser les statues afin de les rendre reconnaissables. Mais l’ambiguïté se retrouve encore sur plusieurs vases à figures rouges, qui peuvent poser problème parce que la figure divine est représentée comme une divinité active, alors que la combinaison de différents éléments pourrait indiquer qu’on a plutôt affaire à une statue27. Pour comprendre la portée de ce type de représentation, il faut considérer que l’ambiguïté entre la divinité et sa statue est volontaire, et se rappeler que les images fonctionnent sur le mode symbolique. Les imagiers ne reproduisent pas une statue réelle et concrète, mais ils jouent sur les possibilités d’une animation de l’image divine, pour montrer que celle-ci pouvait devenir le lieu de la manifestation du dieu28.

Conclusions et perspectives

Sur la majorité des vases, la divinité et son effigie sont associées, soit par leur position dans l’image, soit par des attributs identiques, ou encore par un élément figuratif faisant le lien entre elles. Ces rapprochements mettent en évidence l’identité des figures et montrent que les dieux étaient bien censés entretenir une relation avec leur statue. Toutefois, les deux figures sont aussi bien différenciées. Quand elles sont représentées ensemble, l’effigie n’est jamais ambiguë, au contraire, ses traits de statue sont clairs et elle se distingue ainsi clairement de la divinité agissante. Cette distance iconographique montre le détachement, relatif, entre le dieu et son effigie, en créant comme un jeu de tension entre les deux. Le redoublement n’est donc pas redondant, puisque les deux figures co-présentes ne se situent pas au même plan et n’ont pas le même aspect. Les peintres ont recours à des formes de figuration différentes pour exprimer des modes de présence différents.

Si les statues « vivantes » permettaient de traduire iconographiquement le fait que les divinités pouvaient se manifester au travers de leur image, juxtaposer les deux figures est un autre moyen d’exprimer la présence divine perceptible aux abords de l’effigie. Celle-ci est l’un des sièges possibles de la divinité – comme l’atteste le grec hédos qui sert parfois à désigner la statue29 – et est donc un vecteur privilégié de communication avec le divin. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : au travers de la statue, l’acteur du culte espère atteindre la divinité que celle-ci est censée représenter. La présence des dieux dans les images, qu’ils assistent à la scène en tant qu’acteurs ou en tant que spectateurs, symbolise cette communication rituelle établie entre les deux sphères : la statue, en matérialisant la présence divine, devient une sorte de pont entre le monde des dieux et celui des mortels.

Enfin, concernant le statut de l’image divine, l’iconographie s’avère particulièrement précieuse. Si les vases sur lesquels la figure divine est ambiguë peuvent prêter à confusion, le redoublement de certains dieux dans les images prouve que les statues, même quand elles font l’objet de pratiques cultuelles, ne sont en aucun cas confondues avec les divinités, puisque celles-ci se trouvent « au-delà », dans une autre sphère30. En ajoutant la figure vivante du dieu à côté de son effigie, les peintres creusent l’écart entre les deux. L’iconographie confirme ainsi que pour les Grecs, la statue n’est pas le dieu. Elle n’est donc pas la destinataire des rites accomplis pas les humains, elle en est plutôt l’instrument31. L’effigie, image concrète d’un dieu, fonctionne comme une sorte de substitut de ce dieu, un remplaçant tangible32. Elle est donc un élément précieux du culte, bien qu’elle ne soit pas indispensable au rituel puisque bon nombre d’images illustrant un acte cultuel ne comprennent pas de statue. Mais en rendant perceptible la divinité à laquelle les fidèles s’adressent, elle donne un sens aux gestes effectués : si les dieux ne leur sont pas visibles, ils sont pourtant présents et prêts à recevoir les honneurs auxquels ils ont droit.

Dans la peinture de vases, la représentation anthropomorphe est sans doute le moyen le plus utilisé pour figurer la présence divine. Cependant, la manifestation du divin dans les images est un problème complexe et n’est pas toujours aussi facile à déterminer, à détecter. On terminera par deux exemples qui illustrent bien cette problématique. Le premier est une hydrie à figures noires attribuée au Peintre de Thésée (fig. 12)33, sur laquelle se déroule une scène sacrificielle : un mouton est mené vers l’autel par un homme barbu et couronné. L’autel est surmonté d’une énorme chouette, ce qui identifie Athéna comme propriétaire du lieu. On distingue aussi un oiseau peint en clair sur la face de l’autel, une colonne, qui délimite un espace construit, et enfin un bœuf tout à fait à droite. Le deuxième exemple est une coupe à figures rouges attribuée au Peintre d’Euaion (fig. 13)34. Une femme couronnée se tient devant l’autel et tient une gerbe de céréales de la main droite. Derrière elle, il y a une inscription : Dēmḗtros. On a donc souvent interprété cette figure comme étant Déméter35, mais l’emploi du génitif semble indiquer autre chose : l’autel de Déméter ? La coupe de Déméter ? La prêtresse de Déméter ? Dans les deux cas, la chouette et l’inscription évoquent à leur manière la présence divine dans l’esprit du spectateur. Davantage d’attention doit être accordée à ce type d’images, dont l’analyse devrait nourrir le questionnement sur la représentation du divin dans le système religieux des Grecs36.

Fig. 12 : Sacrifice à Athéna. Uppsala, Museum Gustavianum 352 (photo © Museum Gustavianum).

Fig. 13 : Femme à l’autel. Bruxelles, Bibliothèque Royale 12 (photo © Bibliothèque Royale de Belgique).

Corpus

Vases attiques à figures rouges

1. (Fig. 1) Amphore. Stockholm, Medelhavsmuseet 1963.1 – ARV2 1643/33bis : Peintre de Tyszkiewicz – Vers 480 av. n.è. – Vol des Palladia.

2. (Fig. 3) Cratère à volutes. Bologne, Museo Archeologico 269 – ARV2 599/8 : Peintre des Niobides – 460-450 av. n.è. – Hélène et Ménélas.

3. Cratère en calice fr. Ferrare, Museo Archeologico 2895 (T 936) – ARV2 601.18 : Peintre des Niobides – 460-450 av. n.è. – Hélène et Ménélas.

4. (Fig. 2) Amphore à col. Cambridge, Fitzwilliam Museum 103.22 – ARV2 1058/114 : Groupe de Polygnotos – Vers 450 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

5. Cratère à volutes fr. Malibu, Getty Museum 79.AE.198 – Greek Vases in the J. Paul Getty Museum 3, 1986, p. 102, fig. 1a-c : Polygnotos – 440-430 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

6. (Fig. 4) Hydrie. Londres, British Museum E224 – ARV2 1313/5 : Peintre de Meidias (signature) – 420-400 av. n.è. –Enlèvement des Leucippides.

7. Cratère en calice. Ferrare, Museo Archeologico 3032 (T 1145) – ARV2 1440.1 : Peintre d’Iphigénie – 390-380 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

Vases italiotes à figures rouges

8. (Fig. 8) Cratère en cloche lucanien. Bâle, Antikenmuseum Lu 70 – LCS suppl. II, 154/33a : Peintre de Pisticci – 430-420 av. n.è. – Punition de Laocoon.

9. Cratère à volutes apulien. Ruvo, Museo Jatta 1096 – RVAp I 16/52, pl. 5.1 : Peintre de Sisyphe – 410-400 av. n.è. – Enlèvement des Leucippides.

10. Cratère en calice fr. apulien. Amsterdam, Allard Pierson Museum 2579 – RVAp I 36/10, pl. 9.2 : Peintre de la Naissance de Dionysos – 400-380 av. n.è. – Apollon.

11. (Fig. 7) Cratère à volutes apulien. Naples, Museo Archeologico H 2411 – RVAp I 35/8 : Peintre de la Naissance de Dionysos – 400-380 av. n.è. – Sacrifice à Dionysos.

12. Cratère en calice apulien. Matera, Museo Archeologico – Atti XVII CMGr 1977, p. 443-444, pl. 48.2 : Cercle du Peintre de la Naissance de Dionysos (?) – 400-380 av. n.è. – Dionysos (?).

13. Fr. de cratère apulien. Ruvo, Museo Jatta – Monumenti Antichi IX, 1899, p. 193-200, pl. 15 ; Antike Kunstwerke aus der Sammlung Ludwig I, 1979, p. 239-240, fig. 1-2 : Cercle du Peintre de l’Ilioupersis – 380-370 av. n.è. – Punition de Laocoon.

14. Péliké apulienne. Naples, Museo Archeologico H 3231 – RVAp I 401/29 : Groupe de Naples 3231 – 370-360 av. n.è. – Vol du Palladion.

15. Cratère à volutes apulien. Londres, British Museum F160 – RVAp I 193/8 : Peintre de l’Ilioupersis – 360-350 av. n.è. – Ajax et Cassandre (?), Hélène et Ménélas (?).

16. Cratère à volutes apulien. Naples, Museo Archeologico H 3230 – RVAp I 421/43, pl. 155.1 : Groupe de l’Orphée de Milan – 360-350 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

17. (Fig. 9) Cratère à colonnettes apulien. New York, Metropolitan Museum 50.11.4 – RVAp I 266/47, pl. 89.1 : Groupe de Boston 00.348 – 360-350 av. n.è. – Fabrication d’une statue d’Héraclès.

18. Cratère en cloche apulien. New York, Royal Athena Galleries HNH 45 – RVAp suppl. II, 63/48a : Peintre de Boston 00.348 – 360-350 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

19. Oenochoé apulienne. Paris, Louvre K36 – RVAp I 206/120 : « Mound Painter » – 360-350 av. n.è. – Vol des Palladia.

20. (Fig. 5) Cratère en calice apulien. Tarente, Museo Archeologico 52.665 – RVAp I 39/24, pl. 12.1 : proche du Peintre de la Naissance de Dionysos – 360-350 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

21. Cratère en calice apulien. Moscou, Pushkin Museum 504 – RVAp II 478/8 : Groupe de l’Iphigénie de Moscou – 350-340 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

22. Cratère en calice apulien. New York, Royal Athena Galleries – Christie’s Cat. June 10, 1994, n° 147 : Peintre d’Hippolyte – 345-335 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

23. Cratère en calice apulien. Bâle, Antikenmuseum S 34 – RVAp II 501/64 : Peintre de Darius – 340-330 av. n.è. – Rhodope.

24. Fr. d’amphore apulienne. Halle, Université 215 – RVAp II 504/87 : Peintre de Darius – 340-330 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

25. Cratère à volutes apulien. Matera, Museo Archeologico – RVAp suppl. II, 97/126b, pl. 19.2 : Peintre de Bari 12061 – 340-330 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

26. Hydrie campanienne. Londres, British Museum F209 – LCS 433/538 : proche du Peintre des Danaïdes – Vers 330 av. n.è. – Ajax et Cassandre.

27. Cratère à volutes fr. apulien. New York, Royal Athena Galleries – RVAp suppl. I, 151/21a, pl. 29.4 : Peintre de Baltimore – 330-320 av. n.è. – Hélène et Ménélas, Ajax et Cassandre.

28. (Fig. 6) Cratère à volutes apulien. Saint-Pétersbourg, Hermitage B 1715 – RVAp II 863/18 : Peintre de Baltimore – 330-320 av. n.è. – Iphigénie en Tauride.

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1 Sur la place de l’image dans l’étude des religions du monde antique, voir Estienne et al. 2008 ; ainsi que les différentes interventions aux séminaires antérieurs au colloque, parues dans Mélanges de l’Ecole Française de Rome (Antiquité) 113/1 (2001) et Mélanges de l’Ecole Française de Rome (Antiquité) 116/2 (2006).

2 Il s’agit d’un dossier que j’ai eu l’occasion d’étudier dans mon mémoire de master, intitulé Les dieux et leurs statues dans la céramique attique et italiote et soutenu à l’Université de Liège en 2009. Plusieurs études ont déjà été consacrées aux représentations de statues dans l’imagerie céramique, parmi lesquelles deux travaux importants parus en 1997 : de Cesare 1997 et Oenbrink 1997. Bien qu’ils soient très intéressants et fort bien documentés, ces deux ouvrages sont avant tout des études d’histoire de l’art. Mon travail s’inscrit dans une démarche différente, puisque l’objectif est de contribuer à une meilleure compréhension d’un aspect fondamental de la religion grecque par la lecture des images.

3 Vernant 1996.

4 On trouve deux Palladia sur deux autres vases : une coupe attique à figures rouges datée des environs de 480 av. n.è. (Saint-Pétersbourg, Hermitage B1543 ; ARV2 460/13 : Makron, Hieron [signature]) et une oenochoé apulienne (cf. infra, n° 19 de notre corpus).

5 D’après Denys d’Halicarnasse I, 68-69, on racontait que les Palladia avaient été offerts à l’épouse de Dardanos par Athéna, puis cachés par les descendants de celui-ci dans un endroit secret d’Ilion. Lors du sac de la ville, l’un des Palladia avait été ravi par Ulysse et Diomède, et l’autre emporté par Enée en Italie. Mais selon Arctinos, un seul Palladion avait été donné par Zeus à Dardanos, et celui volé par les Achéens n’était qu’une copie façonnée pour tromper d’éventuels ravisseurs. Dans ces différentes versions, il n’est donc question que d’une statue dérobée, qu’elle soit vraie ou fausse.

6 La différenciation des deux Palladia se retrouve sur les deux autres images montrant un double rapt (cf. supra, n. 4), bien qu’elle se traduise de différentes façons. Peut-être était-ce un moyen de montrer que l’une des statuettes était vraie et l’autre pas. Voir Moret 1975, p. 91-92.

7 Pour une liste de ces vases, voir Boardman & Vafopoulou-Richardson 1986, p. 401-402, n° 23-32.

8 Pour Moret 1975, p. 72-73, Athéna est là en tant qu’arbitre du conflit qui oppose Ulysse et Diomède pour le Palladion, thème récurrent dans les sources littéraires. Toutefois, dans cette image, il n’y a aucun signe de violence et la dispute entre les héros paraît inconciliable avec la présence de deux statues, à moins qu’elle ait justement eu pour objet l’authenticité de celles-ci (cf. supra, n. 6).

9 Dans cet épisode, la statue est le signe de la position de suppliante prise par Cassandre et donc du sacrilège commis par Ajax, qui, en plus de violer la jeune fille, a outragé Athéna en violant son sanctuaire.

10 Deux schémas principaux se dégagent, correspondant respectivement à la figure noire et à la figure rouge. Ce corpus a fait l’objet de plusieurs études très complètes, notamment : Davreux 1942 ; Moret 1975, p. 11-27 ; Touchefeu 1981, p. 339-351, n°16-95 ; Connelly 1993, Mangold, 2005, p. 27-52.

11 Ce qui n’est pas étonnant, puisque les peintres n’étaient pas tenus de respecter une donnée mythique déjà établie. La statue divine auprès de laquelle Hélène se réfugie fait son apparition dans la scène au début du Ve siècle. Sur les plus anciens documents, il s’agit de la statue d’Apollon, qui sera remplacée plus tard par celle d’Athéna et, une seule fois, par celle d’Aphrodite. Sur cet épisode et ses représentations figurées, voir Ghali-Kahil 1955, p. 71-113, 190-194 ; Moret 1975, p. 31-41 ; Kahil 1988, p. 537-552, n° 210-372 ; Mangold, 2005, p. 67-88.

12 Sur les dieux accompagnant et assistant les héros dans l’art grec, voir Beckel 1961.

13 Sur le double registre dans la céramique italiote, voir Morard 2009.

14 Nicole 1908, p. 58 ; Schefold 1937, p. 52-53 ; Langlotz 1954, p. 9 ; Delivorrias 1984, p. 14, n° 41 ; Hermary 1986, p. 584, n° 201 ; de Cesare 1997, p. 126-127 ; Oenbrink 1997, p. 88.

15 La passivité des divinités sur les vases italiotes les distingue clairement des « Götterbeistand » impliqués dans l’action sur les documents attiques (cf. supra, n. 12). « Elles [les divinités du bandeau supérieur] attestent, par leur présence, que rien ne s’accomplit sur terre sans la volonté du ciel, mais le message est destiné aux utilisateurs du vase. Les héros représentés dans le bandeau inférieur ne savent pas qu’ils sont là, tout près d’eux. » Morard 2009, p. 90.

16 La statue de l’Artémis Taurique est présente dans presque toutes les representations de cet épisode. Voir Kahil 1990, p. 713-718, n° 14-30.

17 Ce qu’a bien montré Piettre 2001, p. 222-223.

18 Le dieu, en colère contre son prêtre parce que celui-ci avait pris une épouse et eu des enfants (ou, selon certaines sources, s’était uni à son épouse dans le temple, devant la statue du dieu), aurait envoyé deux serpents pour tuer les fruits du sacrilège (Ps. Apollodore, Epitomé 5,18 ; Hygin, Fables CXXXV). Il semble que cette version – représentée également sur un fragment de cratère apulien (cf. infra, n° 13 de notre corpus) – était aussi celle du Laocoon de Sophocle (Jatta 1989). Sur cette question, voir Séchan 1926, p. 160-166.

19 C’est un des rares exemples de ce corpus où la statue est vue de profil, ce qui la met en interaction avec les autres personnages de la scène, contrairement au dieu qui a le corps tourné vers le spectateur du vase.

20 La peinture à l’encaustique (du terme ἐγκαίω = « faire brûler dans » et, par extension, « peindre à l’encaustique » [LSJ, s.v. I, 4]) est une technique qui consiste à lier les pigments dans de la cire fondue avant de les appliquer sur la surface à peindre. Ce vase a été longuement étudié par von Bothmer 1951, qui détaille les différentes phases du procédé représentées. Voir aussi Robertson 1975, p. 485.

21 Dans cette image, on a une sorte d’étagement entre plusieurs niveaux : divinités-héros-humains. Voir de Cesare 1997, p. 105.

22 J’ai présenté une communication sur ce sujet – intitulée « Les ambiguïtés de l’anthropomorphisme. De la divinité agissante à sa statue dans la céramique grecque » – lors du colloque Images fixes / Images en mouvement organisé par le groupe Intersection à l’Université de Liège du 9 au 11 mai 2011.

23 Dans la figure noire, les statues sont représentées comme le sont les dieux « vivants ». Les seules effigies divines parfaitement discernables sont le pilier hermaïque et le masque de Dionysos ; il ne s’agit donc pas de statues purement anthropomorphes. Voir à ce sujet l’étude de Frontisi-Ducroux 1986.

24 Londres, British Museum B379 ; ABV 60/20 : manière du Peintre C (vers 560 av. n.è.).

25 Sur les personnages qui disparaissent au regard du spectateur dans la céramique attique à figures noires, voir Chazalon 2001, notamment sur Cassandre p. 77-78.

26 La formule du combat entre Ajax et Athéna est la norme dans toute la figure noire. Les peintres insistent donc plus sur l’affront qu’a subit la déesse – la violation de son sanctuaire – que sur le viol de Cassandre proprement dit. Cf. supra, n. 9.

27 C’est notamment le cas sur deux cratères à volutes attiques datés du troisième quart du Ve siècle av. n.è. (Ferrare, Museo Archeologico 44894 ; ARV2 1143.1 : Peintre de Kléophon ; et Ferrare, Museo Archeologico 2897 ; ARV2 1052.25 : Groupe de Polygnotos). Ces deux vases montrent une procession se dirigeant vers une (ou deux) divinité(s) assise(s) entre des colonnes, sur un trône posé sur une base : il pourrait donc s’agir de statues installées dans le temple. Voir Bérard & Durand 1984.

28 C’est particulièrement clair dans la scène de Cassandre : le fait de représenter la statue d’Athéna sous la forme d’une divinité vivante et agissante lui permet d’incarner toute la puissance de la déesse, et montre ainsi que le sacrilège commis par Ajax ne restera pas impuni. Voir Connelly 1993, p. 101 et 107-108.

29 LSJ, s.v. ἕδος I, 3.

30 Ce qui est mis en évidence sur les vases italiotes par l’utilisation du double registre.

31 Rudhardt 2001, p. 184.

32 Sur le rôle de « remplaçant » rempli par les statues, voir Steiner 2001, p. 5-19.

33 Uppsala, Museum Gustavianum 352 ; ABV 519/15 : Peintre de Thésée (500-490 av. n.è.).

34 Bruxelles, Bibliothèque Royale 12 ; ARV2 797/134 : Peintre d’Euaion (460-450 av. n.è.).

35 Entre autres : Feytmans 1948, n° 12, p. 64-67, pl. 33 ; ARV2 797/134 ; Metzger 1965, p. 26-27, n° 61, pl. 12 ; Simon 1969, p. 115-116, fig. 110 ; Beschi 1988, p. 850, n° 25. Sur ce vase et sur l’interprétation de la figure féminine, voir Connelly 2007, p. 110-111, fig. 4.18.

36 C’est dans cette voie que s’inscrit mon projet de thèse, dont l’objectif principal sera de saisir et d’analyser les diverses modalités de la « présentification de l’invisible ». Une des tâches intimement liées à la constitution du corpus est donc de repérer des éléments qui n’entrent pas nécessairement dans les schémas attendus de la représentation divine.