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Du corps humain au corps divin

L’apothéose dans l’imaginaire et les représentations figurées

Anne-Françoise JACCOTTET

Université de Genève

Nombreux sont les empereurs romains et les membres de la famille impériale à avoir connu ce que l’on appelle communément l’apothéose1. Ce processus complexe et déroutant m’a paru une clé de lecture appropriée à la thématique de ces journées de réflexion. Que devient le corps, bien humain, des hommes et des femmes promus au rang de divi ou divae ? Comment les représentations figurées rendent-elles compte de ce changement de statut ontologique et corporel ? Sans ouvrir ici l’entier du dossier, trop conséquent, je me bornerai à la reprise de quelques représentations figurées d’apothéoses impériales, éclairées par des textes, dont l’analyse devrait permettre d’approfondir la question de la corporéité des êtres divinisés.

I. Héraclès et Romulus comme modèles

Pour bien cerner, d’entrée de jeu, le problème posé par la représentation d’une divinisation, un détour par l’iconographie grecque s’impose. Car les imagiers ont très tôt été confrontés à la question au travers de la geste d’Héraclès. Littéralement consumé par la tunique empoisonnée que le centaure Nessos, dans sa folle jalousie, fait offrir au héros par l’innocente Déjanire, Héraclès se jette sur le bûcher érigé sur ses ordres par son fils sur le mont Oeta pour abréger son supplice. C’est précisément là que s’opérera son apothéose ; c’est de ce bûcher que le héros rejoindra les dieux sur l’Olympe. Les Grecs ont essayé de représenter cet épisode ; ils ont cherché la formule leur permettant de dire cette « évaporation » du héros sur le bûcher, de traduire sa disparition physique. Je retiendrai ici le petit corpus, rassemblé par Annie-France Laurens et François Lissarrague2, et datant de la fin du Ve ou du début du IVe siècle av. n.è. La péliké de Munich (fig. 1) est la plus représentative des trois vases concernés : au registre supérieur, Athéna enlève sur son char Héraclès, représenté dans une nudité glorieuse, dépouillé de la tunique maléfique ; le registre inférieur est occupé par le bûcher, entouré de porteuses d’eau et de satyres. C’est le regard insistant du satyre, clairement souligné par ce geste d’aposkopeîn et par le nom de Skopas (celui qui observe), qui lui est attribué et nous est donné à voir, qui nous guide vers le point focal de la scène. Au centre du bûcher apparaît une sorte de cuirasse vide ; la fine analyse d’Annie-France Laurens et de François Lissarrague démontre bien qu’il ne s’agit pas d’une cuirasse à proprement parler mais bien « d’un corps creux, comme une cuirasse, mais différent en son contour, sorte d’empreinte, de marque en négatif laissée sur terre par Héraclès qui, en tant que dieu, ne peut abandonner de dépouille mortelle »3. La représentation de cette fausse cuirasse est donc bien un truc iconographique, inventé de toutes pièces pour signifier le vide, le manque. Plus de corps sur le bûcher, pas de restes, pas d’ossements ni de cendres à récolter ; Héraclès n’est plus là ; il a été enlevé par Athéna pour rejoindre les dieux dont il partagera désormais la nature. Sur le char de l’apothéose, ce n’est pas le corps mortel et souffrant du héros qui est représenté mais bien celui du nouveau dieu. Le bûcher et l’empreinte sont là pour nous donner à voir cette sublime métamorphose. Ce tour de passe-passe iconographique formera une toile de fond essentielle à nos réflexions sur les représentations romaines d’apothéose.

Fig. 1 : Péliké Munich 2360, archives Beazley, d’après http:www.perseus.tufts,edu/hopper/image?img=Perseus:image:1993.01.0532.

Héraclès, ou plutôt Hercule, loin d’être un étranger à Rome, en est l’hôte privilégié dès une haute antiquité. Ce n’est pourtant pas lui, mais Romulus qui représente le modèle romain de l’apothéose. C’est bien par l’entremise du fondateur de Rome que nous entrons de plain pied dans la question du passage d’une corporéité à une autre au travers de la divinisation. Parmi les divers récits de « l’enlèvement » de Romulus, j’ai choisi de me concentrer ici sur la version composée par Ovide dans ses Métamorphoses, en ce qu’elle met en scène de façon manifeste les corps en jeu4.

Tatius était mort et toi, Romulus, tu avais soumis les deux peuples aux mêmes lois, lorsque Mars, ayant déposé son casque, s’adresse en ces termes au père des dieux et des hommes : « Il est temps, ô mon père, puisque la puissance romaine repose sur un fondement solide et ne dépend plus uniquement de celui qui préside à ses destinées, il est temps que, fidèle à la promesse que tu nous as faite à moi et à ton petit-fils, tu lui accordes la récompense qu’il a si bien méritée, que tu l’enlèves à la terre et le places dans le ciel (v. 811). Car jadis, en présence de tous les dieux assemblés (souffre que je te rappelle tes paternelles paroles, qui sont restées gravées dans ma mémoire) tu m’as dit : « Il y aura un de tes fils que tu feras monter dans le ciel azuré (v. 814). » Tu l’as dit ; que ta parole s’accomplisse. » Inclinant la tête, le dieu tout puissant approuve ; aussitôt de noirs nuages obscurcissent les airs ; la foudre et les éclairs répandent la terreur dans le monde. A ces signes infaillibles Gravidus reconnaît qu’il peut emmener son fils comme il en avait reçu la promesse (v. 818) ; appuyé à sa lance, le dieu intrépide monte sur son char, dont ses chevaux soutiennent le timon ensanglanté ; d’un coup de fouet il les excite et, fendant les airs, il les lance vers la terre ; bientôt il s’arrête au milieu des bois qui couronnent la colline du Palatin et, tandis que le fils d’Ilia rendait la justice, comme ne le font point les tyrans, aux Quirites, ses sujets, il l’emporte avec lui ; le corps mortel du héros se dissout en traversant les airs subtils, comme fond au milieu des nues la balle de plomb lancée par une large fronde ; à sa place apparaît une figure d’une grande beauté, plus digne de partager la couche élevée des dieux, une figure toute pareille à l’image de Quirinus vêtu de la trabée (v. 824-828)5.

Les termes choisis par Ovide font clairement référence à un enlèvement : ablatum (v. 811), tolles (v. 814), rapinae (v. 818), abstulit (v. 824). Romulus est arraché à la terre pour être placé au ciel (imponere caelo, v. 811). Entièrement passif, il est transporté au séjour des dieux sur le char de son père divin ; quant à son corps, mortel, il est dissout par l’effet purificatoire de l’éther. Nous assistons, par l’entremise d’Ovide, à une véritable transfiguration ; un corps glorieux remplace le corps trop charnel pour résister aux airs subtils ; à un corps humain se substitue une facies d’une beauté plus qu’humaine, figure de Quirinus. Cette métamorphose retranscrit en mots ce que les imagiers attiques ont tenté de figurer (fig. 1) : le corps glorieux d’Héraclès sur le char d’Athéna comme expression d’une nouvelle identité, divine, remplaçant le corps mortel et souffrant, dont l’absence significative est rendue par la coquille vide laissée sur le bûcher.

Ovide reprend quelques vers plus bas le même procédé narratif pour évoquer le destin d’Hersilie, épouse de Romulus :

Aussitôt elle (Hersilie) monte avec la vierge (Iris), fille de Thaumas, la colline de Romulus ; là un astre tombe du haut des cieux sur la terre ; sa lumière met en flammes les cheveux d’Hersilie, qui s’envole avec l’astre dans les airs. Le fondateur de la ville de Rome la reçoit entre ses bras qu’elle connaît si bien ; il lui donne à la fois un autre corps et un autre nom (v. 850-851) ; il l’appelle Hora ; c’est la déesse dont le culte et aujourd’hui associé à celui de Quirinus6.

Si le passage est moins développé pour Hersilie que pour Romulus, les termes n’en sont que plus clairs. Tout comme son époux, Hersilie est emmenée, enlevée ; emmenée tout d’abord par Iris, sur le chemin terrestre du Palatin, puis enlevée dans les airs par l’astre venu du ciel (cum sidere cessit in auras v. 848). Son accession au séjour des dieux et au statut divin est là aussi accompagnée d’un double changement : changement de corps et changement de nom. Les deux passages répondent à une même conception de la divinisation. Un enlèvement par un être divin ou un astre, une évaporation du corps mortel et son remplacement par une image divine porteuse d’un nouveau nom. De Romulus à Quirinus, comme d’Hersilie à Hora, il y a triple changement d’identité, corporelle, visuelle et nominale. Quirinus est la transfiguration de Romulus comme il en est la « transnominalisation ».

II. De Romulus-Quirinus au Divus Julius

La mise en scène de l’astre dans l’épisode d’Hersilie est tout sauf anodine. Pour un Ovide comme pour ses contemporains, l’action divinisante de l’astre, soulignée encore par l’embrassement de la chevelure d’Hersilie, véritable comète, ne pouvait manquer d’évoquer la divinisation de César. C’est donc sans surprise que nous en retrouvons au livre XV une évocation subtilement rétro-anticipée, dans des termes que les deux passages déjà mentionnés rendent particulièrement parlants :

[Jupiter à Vénus] « Celui pour qui tu prends tant de peine, Cythérée, a fait son temps, il est parvenu au terme des années qu’il devait à la terre. Il deviendra un dieu qui montera au ciel et recevra un culte dans les temples ; ce sera ton œuvre et celle de son fils. […] Cependant emporte avec toi cette âme qui s’échappe de son corps immolé et change-la en étoile, pour que le divin Jules veille à tout jamais du haut des célestes demeures sur notre Capitole et sur le forum. » Il avait à peine fini de parler que la bonne Vénus s’arrête au milieu du palais du sénat ; invisible pour tous, elle enlève du corps de son cher César l’âme qui vient de s’en séparer et, pour l’empêcher de se dissiper dans les airs, elle la porte au milieu des astres du ciel ; cependant elle s’aperçoit que cette âme s’illumine et s’embrase ; elle la laisse échapper de son sein ; l’âme s’envole au-dessus de la lune, traînant après soi, à travers l’espace, une chevelure de flamme, elle prend la forme d’une étoile brillante7.

Inutile d’insister sur les nombreux traits qui nous font réaliser combien ce passage est conçu en écho à la divinisation de Romulus ou à celle d’Hersilie. Retenons simplement l’aspect transfiguratif clairement accentué ici aussi : tout comme Romulus ou Hersilie, César change d’apparence et de nom, devenant, de Caius Iulius Casear, Divus Iulius et prenant comme nouvelle expression figurée l’apparence d’une comète, le fameux Sidus Iulium si bien exploité dans la propagande du futur Auguste. Si les parallèles sont frappants et soigneusement conçus pour l’être, une différence essentielle sépare pourtant César de Romulus : sa dépouille mortelle. Le corps mortel et humain de César n’est pas escamoté, il ne disparaît pas sans laisser de trace, à la différence du fondateur de Rome8. Ovide ne s’extrait pas totalement de la réalité historique. L’épisode est bel et bien placé dans la curie du théâtre de Pompée ; le corps de César reste au sol ; seule son âme est enlevée par sa mère divine Vénus et transfigurée pour rejoindre le ciel.

La lecture en parallèle de la divinisation de Romulus et de celle de César souligne bien le problème posé par le corps mortel ; si l’aura mythique et la distance « historique » permettent sans autre d’escamoter le corps de Romulus, la contemporanéité des faits et le souvenir vivant des funérailles de César rendent ce raccourci impossible. Entre l’évocation du modèle romuléen et la réalité rituelle et historique de la divinisation, telle que va la connaître de façon récurrente l’Empire romain, la question du corps mortel fait toute la différence.

III. Corps mortel, tombeau et divinisation impériale

Qu’ils soient divinisés ou non, les empereurs ont un corps qui, comme celui de César, laisse des traces, un corps pour lequel un funus sera organisé et un tombeau prévu. Si donc le cas idéal d’Hercule ou de Romulus, aux corps escamotés, ne peut être repris tel quel, comment s’opère la divinisation impériale en tenant compte des dépouilles des divi et divae ?

Il convient de remarquer en préambule que l’empereur n’a pas la même identité dans son tombeau ou sur les monuments qui le célèbrent comme empereur divinisé, que ce soit son temple ou les monuments érigés en son honneur après sa mort et sa divinisation. Il suffira, en guise d’exemple, de confronter deux inscriptions contemporaines, toutes deux officielles, dédiées au même empereur Antonin le Pieux, quelques mois après sa mort. Dans le mausolée d’Hadrien a été conservée son épitaphe9 :

IMP • CAESARI • TITO • AELIO

HADRIANO • ANTONINO

AUG • PIO • PONTIFICI • MAX

TRIBUNIC • POT • XXII

IMP • II • COS • IIII • P • P

D’autre part, la base de la colonne élevée par ses fils, Marc-Aurèle et Lucius Verus, en l’honneur de leur père divinisé porte l’inscription suivante10 (cf. fig. 6) :

DIVO • ANTONINO • AUG • PIO

ANTONINUS • AUGUSTUS • ET

VERUS • AUGUSTUS • FILII

Si c’est la titulature bien terrestre de l’empereur, l’état le plus récent de son cursus honorum, qui fait office d’épitaphe, comme de coutume sur les monuments funéraires, tous ses titres et jusqu’à sa filiation disparaissent sur la base de la colonne. L’identité de l’empereur divinisé a changé : dépouillé de sa titulature d’empereur régnant, il n’est plus rattaché à ses prérogatives terrestres ; le seul qualificatif de divus, suivi des trois noms minimaux servant à son identification, exprime désormais sa nouvelle identité, celle sous laquelle il est susceptible de recevoir des honneurs divins11.

C’est dans cette même direction interprétative que nous entraînent les fragments d’inscriptions funéraires trouvées dans le Mausolée d’Auguste. Plusieurs conteneurs d’urnes cinéraires nous sont parvenus, clairement identifiés par le terme ossa, suivi, au génitif, du nom du défunt issu de la famille impériale12. Les dépouilles des empereurs divinisés ne sont pas escamotées ; elles sont traitées comme les dépouilles de tout mortel, confiées à un monumentum chargé d’en conserver et d’en exprimer la mémoire. Quelque grandioses que puissent être ces monumenta – comme les fameux Mausolées d’Auguste ou d’Hadrien –, quelle que puisse être leur haute valeur glorificatrice, ce n’est pas au tombeau que les empereurs sont divinisés.

Les deux identités de l’empereur sont ainsi clairement distinguées, tant dans leur énoncé que dans les lieux de leur expression. Le corps mortel, accompagné de la titulature du défunt sclérosée à son état au dernier jour de vie terrestre de l’empereur, repose dans un sepulcrum, ne se distinguant de celui du simple mortel que par l’appareil monumental et glorifiant mis en œuvre pour signifier son rang sur terre. L’identité de divus, auto-suffisante, s’affiche quant à elle sur le temple ou les monuments élevés à l’empereur divinisé. Reste alors à s’interroger sur le lieu et le temps de ce passage d’une identité à une autre, sur l’articulation d’une réalité impériale à l’autre.

IV. Funus publicum et divinisation

Si le tombeau n’est ni le lieu ni l’expression de la divinisation, celle-ci s’opère en deux lieux et deux temps différents, dans un espace géographique et temporel compris entre le bûcher funéraire, sur le champ de Mars, et le décret de consecratio rendu par le Sénat13. Je ne reprendrai pas ici dans tous ses détails le dossier bien connu et abondamment traité de la consecratio14, me bornant à ne souligner que les éléments permettant d’éclairer la question de la corporéité de l’empereur lors de sa divinisation. La première divinisation véritablement impériale, celle d’Auguste, nous est relatée par plusieurs documents. La débauche d’honneurs, effectifs ou envisagés, destinés à exprimer la grandeur du défunt fait l’objet d’une longue énumération de la part de Suétone15. Nous n’en retiendrons qu’un petit passage, permettant de souligner plusieurs faits notables :

Les sénateurs le portèrent au champ de Mars, où il fut brûlé. Il se trouva encore un ancien préteur pour jurer qu’il avait vu son fantôme monter au ciel après la crémation. Les principaux membres de l’ordre équestre, en tunique, sans ceinture et pieds nus, recueillirent ses restes et les déposèrent dans le Mausolée16.

Le rôle du témoin oculaire, sur lequel glisse prudemment Suétone sans se prononcer, est ici crucial. Dion Cassius, se permettant plus d’ironie, relate le fait également, tout en donnant le nom du sénateur en question, un certain Numérius Atticus, et en insistant sur la récompense énorme – un million de sesterces– qui lui aurait été versée par Livie à cette occasion17. Ce témoignage, qui pourrait paraître anecdotique, est pourtant bien le point focal du processus de divinisation. Les honneurs divins et le titre de divus ne peuvent être accordés à l’empereur défunt, juridiquement parlant, que sur décret du sénat ; et celui-ci ne peut statuer que sur la base d’une déposition sous serment, fournissant les arguments nécessaires à un tel décret divinisant, techniquement une consecratio. Le témoin oculaire est ainsi l’élément clé rendant possible le changement d’identité du défunt en le faisant passer du statut d’empereur mortel à celui de divus. Même un texte aussi satirique que l’Apocoloquintose du divin Claude de Sénèque nous porte témoignage de cette pratique par le gorillage qui y est fait du sénateur, spécialiste de telles visions18.

Plusieurs remarques s’imposent sur ce processus, bien attesté. Tout d’abord, le phénomène de la vision d’un être divinisé accentue encore le rapprochement tacite entre l’empereur et Romulus. Tite-Live expose l’apparition de Romulus, descendu du ciel, à Proculus Julius, ainsi que le message que le Fondateur de Rome aurait transmis, par son entremise, aux Quirites, permettant par ce biais de démentir la thèse de son assassinat et de son démembrement que la disparition de son corps avait pu susciter chez les sceptiques, tout en attestant sa divinité nouvelle19. Dion Cassius, dans le passage mentionné ci-dessus, articule d’ailleurs clairement le témoignage, généreusement rétribué, du sénateur lors des funérailles d’Auguste, avec celui de Proculus à propos de Romulus. Le recours à une vision ouvre ainsi un champ référentiel à haute portée idéologique.

Mais en quoi consiste cette vision ? Le texte de Suétone, là encore, fournit un indice. Pour spécifier ce que le sénateur a vu, c’est le terme effigies qui lui semble convenir. Terme ambigu s’il en est qui s’applique aussi bien à un portrait, une copie, qu’à une apparition spectrale, un fantôme, ou encore à une statue20. Difficile ici de trancher. L’ambiguïté du terme est d’ailleurs peut-être une des raisons de son choix par Suétone. Si la nature de l’apparition reste vague, sans rien exclure, force est de constater que tout se joue au niveau du visuel. Cette forme, plus ou moins vague, qui permet toutefois l’identification – c’est bien Auguste que le témoin a reconnu dans l’effigies21 – est une manifestation physique de l’ordre du visuel, comme si quelque chose de suffisamment matériel pour être perçu à l’œil s’élevait du bûcher, attestant de la séparation des deux identités de l’empereur.

On remarquera encore que l’agencement du texte de Suétone fait se côtoyer de façon significative la vision de l’effigies montant au ciel avec les restes, reliquias, premier terme de la phrase suivante, initiant l’ossilegium ou recollection des restes consumés du corps mortel du défunt pour les placer dans son Mausolée. Vision d’une forme reconnaissable montant au ciel et récolte des cendres du corps sont juxtaposées, présentées nullement comme contradictoires mais bien complémentaires, comme deux épisodes distincts concernant deux réalités différentes du corps de l’empereur. Les ossa ne posent pas de problème ; point n’est besoin de les évacuer du moment que la consecratio suit un protocole juridique basé sur un témoignage oculaire concernant une réalité spécifique de l’identité du défunt. Cette position, qui peut choquer notre logique toute rationnelle, nous est superbement attestée par Sénèque – ou un brillant imitateur22 –, dans une œuvre d’une portée, d’un ton et d’une composition bien différents. Dans l’Hercule sur l’Œta, en effet, Hercule, divinisé, apparaît à sa mère Alcmène. Répondant à celle-ci qui atteste l’avoir bien vu brûler sur le bûcher enflammé et ne comprenant pas l’apparence corporelle sous laquelle son fils lui apparaît, il rétorque pour l’éclairer :

Fais à présent, ô ma mère, trêve à tes plaintes ; je n’ai point revu une deuxième fois les mânes et les ombres ; toute ce qu’en moi tu avais fait passer de mortel a été emporté par le feu que j’ai vaincu : toute la partie de moi qui me venait de mon père est allée au ciel et toute celle qui me venait de toi a été livrée aux flammes23.

Si l’explication donnée par Hercule de sa double nature et de la séparation, au moment de la mort, de la part mortelle et de la part divine de l’homme s’appuie bien sur des bases stoïciennes, l’expérience des rites de consecratio se laisse également déceler dans les propos que lui prête l’auteur et leur mise en scène. On ne peut que constater l’écart de cette version de l’apothéose d’Hercule avec le mythe connu auparavant, en Grèce ou à Rome24. Les imagiers grecs se sont ingéniés à représenter l’absence de la dépouille du héros, comme le signifie la péliké de Munich (fig. 1) évoquée plus haut. Le corps mortel d’Hercule, dans la tragédie attribuée à Sénèque, bien loin d’être escamoté, est présentifié de façon insistante : aux propos d’Hercule, faisant allusion à la partie mortelle de son être qui a été consumée sur le bûcher, fait écho la mise en scène présentant Alcmène avec l’urne cinéraire de son fils et adressant à ses restes bien matériels et mortels des propos déchirants de mère endeuillée25. Cette version qui fait voisiner l’être divinisé, apparaissant sous son corps glorieux, et les restes de son corps mortel ne peut avoir été écrite et conçue que par un Romain, nourri certes de philosophie, mais coutumier également des rites de consecratio.

A la lumière de ces constatations, la place du funus publicum dans le processus de divinisation apparaît dès lors dans ses justes limites. Le rôle charnière du témoin oculaire nous fait réaliser que le funus publicum, aussi grandiose soit-il, ne saurait suffire à produire un divus ou une diva ; plusieurs empereurs, comme Tibère par exemple, ont d’ailleurs vu un faste particulièrement imposant entourer leurs funérailles sans pour autant connaître la consecratio. L’acte de consecratio se passe en marge du funus mais lié pourtant à lui par la vision d’une forme montant au ciel. Les deux temps et les deux lieux du processus sont intimement liés ; le décret du sénat (second temps et second lieu) ne peut s’opérer sans le témoignage sous serment d’une personne suffisamment haut placée pour être digne de foi, témoignage lié au premier temps et au premier lieu, le funus de l’empereur ; ce n’est pourtant pas le funus en tant que tel qui déclenche le décret de consecratio ; il ne fait que permettre la vision dont le témoignage sera la clé juridique de la consecratio. Si tel est bien le déroulement attesté des événements menant à la divinisation d’un empereur durant les premières décennies de notre ère, devons-nous croire à la permanence de ce même protocole pour les siècles ultérieurs ?

V. Consecratio et funus imaginarium

Deux textes bien connus de Dion Cassius et d’Hérodien26, décrivant respectivement les funérailles de Pertinax en 193 de n. è. et celles de Septime Sévère en 211 de n. è., ont ouvert depuis longtemps une polémique sur l’évolution des rites de consecratio27. Ces deux empereurs partagent en effet la particularité d’avoir connu, après leur décès, un funus publicum faisant intervenir, en lieu et place du cadavre, déjà incinéré et inhumé, une imago de l’empereur. L’Histoire Auguste reprend le témoignage des deux historiens tout en donnant un nom à ce funus d’un genre particulier – funus imaginarium28. De la formule généralisante employée par Hérodien, laissant accroire que ce procédé représente la pratique courante29, et de la montée en puissance des pratiques d’inhumation à partir du IIe siècle30, on a voulu voir dans ces témoignages ponctuels et tardifs le reflet d’une évolution rituelle remontant aux Antonins31.

Si la question nous intéresse ici, c’est que ce funus imaginarium, supposant un premier funus pour les dépouilles mortelles, par incinération ou inhumation, réalise une séparation de la personne de l’empereur en deux corps distincts : un premier, bien humain auquel il s’agit de donner une sépulture après avoir accompli les rites purificatoires requis par la souillure de la mort et du cadavre ; un second, fait de cire, imago au sens fort du terme, véritable métonymie du défunt, qui vaut le corps du mort32 et que le bûcher du funus publicum va faire disparaître, manifestant par l’absence de restes à récolter l’efficience de la montée ad sidera de l’empereur. Ce funus imaginarium représente bien le rite parfait, en ce qu’il manifeste le passage du corps d’un statut à un autre, sans laisser de trace, comme la réactualisation rituelle du modèle herculéen ou romuléen.

Mais ce qui à notre esprit paraît si évident et rationnellement irréprochable était-il nécessaire ou même souhaitable aux yeux d’un Romain ? L’état de notre documentation ne nous atteste cette pratique que pour des empereurs morts dans des circonstances ne permettant pas la tenue d’un funus publicum avec le corps mortel du défunt : Pertinax a été assassiné par les Prétoriens et ce n’est que plusieurs mois plus tard que Septime Sévère, confirmé désormais comme empereur, a pu faire accepter au Sénat, pour des raisons avant tout idéologiques et politiques, la tenue d’un funus publicum rendant possible la divinisation de Pertinax. Quant à lui-même, son décès en Bretagne a nécessité l’incinération de son corps dans la province avant le retour des simples ossa à Rome.

A s’en tenir aux strictes données historiques, rien n’indique la généralisation de ce procédé33. Seul un souci de vraisemblance moderne, lié à l’augmentation constatée de l’inhumation durant cette même période fonde cette hypothèse. C’est, je crois, oublier la fonction avant tout rituelle et la portée juridique de la consecratio. Il ne s’agit pas de monter une mise en scène idéale réactualisant l’apothéose d’Hercule ou de Romulus devant une foule crédule : pour un spectateur, l’embrasement du corps véritable ou de son imago ne fait pas de différence, tant sur le plan visuel que sur celui du sens. Ce serait bien plutôt lors de l’ossilegium, plusieurs jours après la crémation, que devrait se manifester la perfection de cette mise en scène, par l’absence de restes à récolter ; or l’ossilegium n’est pas un moment de grande manifestation publique, à la grande différence du funus publicum et de l’embrasement du rogus. Le funus publicum est un rite, non une représentation. En tant que rite, il opère, quelle que soit la vraisemblance rationnelle de son déroulement.

Nous avons vu, dans les cas attestés au début du Principat, que la présence manifeste des ossa, même mis en scène de façon grandiose au travers des Mausolées, n’empêchait aucunement la conception d’une montée ad sidera des empereurs divinisés. L’exemple de l’Hercule sur l’Œta de Pseudo-Sénèque, bien qu’émanant d’un fin lettré, philosophe, est à coup sûr révélateur de la conception générale des contemporains. Si les ossa n’empêchent pas la divinisation pour un Romain, c’est que la consecratio est perçue d’abord comme un acte juridique, résultant de certaines modalités du rituel. Nous l’avons déjà souligné, ce n’est pas le rogus, ni le faste du funus publicum qui font le divus ou la diva ; mais bien le décret que formule le Sénat sur la déclaration sous serment d’un témoin qui a vu l’effigies – par nature reconnaissable – du défunt s’élever du bûcher pour monter au ciel. Et si ce procédé a donné lieu à toutes sortes de dérisions, tant de la part d’un Sénèque ou d’un Dion Cassius que de la part des apologètes Chrétiens, cela ne représente pas un argument suffisant pour envisager un changement non seulement rituel mais encore juridique. De même, imaginer que le décret de consecratio puisse avoir lieu avant le funus publicum et se soit donc affranchi d’un quelconque témoignage sur lequel baser le transfert dans le domaine du sacer de la personne de l’empereur me semble devoir plus à la logique moderne qu’à une conception romaine de l’efficacité rituelle d’une part et de l’ordre juridique de l’autre34. Sauf cas exceptionnels dus à des circonstances de décès particulières, le funus publicum des empereurs et impératrices divinisés ne nécessite pas de duplication des corps. Un seul funus et un seul corps suffisent, rituellement et juridiquement, à faire un divus ou une diva, et ce malgré la douce dérision qui entoure le témoignage visuel à la base du décret sénatorial.

VI. Des images pour y voir clair ?

Si l’état de notre documentation ne permet pas de trancher de manière tout à fait définitive cette question, l’examen de quelques représentations figurées pourrait faire avancer la question.

a) L’arc de Titus

L’arc posthume de Titus, sur le clivus palatinus à la sortie du forum romanum, sera notre première station dans ce parcours iconographique35. Au centre de l’arc, vu de dessous, à l’endroit exact de la clé de voûte, un médaillon présente l’empereur défunt, regardant vers le sol, couché sur un aigle aux ailes largement déployées (fig. 2). Cette représentation, pourtant sans grande envergure, traduit l’essentiel de la divinisation de Titus ; elle en synthétise le moment-clé, celui qui voit l’empereur s’envoler ad sidera et devenir divus. Le choix du moment représenté dit bien l’importance de cette ascension, sur la réalité de laquelle se fondera le sénat, par l’entremise d’un déclaration sous serment d’un témoin oculaire, pour formuler son décret de consecratio, comme nous l’avons vu pour Auguste, Drusilla ou encore Claude.

Fig. 2 : Arc de Titus, apex de la voûte intérieure.

La matérialisation de cette ascension est ici intéressante en ce qu’elle fait intervenir un « véhicule ». L’empereur ne monte pas de lui-même au ciel, il est enlevé, transporté par un aigle. Le motif de l’enlèvement, la passivité de l’empereur, tout comme la présence d’un « véhicule » ascensionnel nous renvoient aux récits concernant tant Hercule et Romulus qu’Enée ou encore César à cette différence près que l’aigle vient remplacer le char du dieu chargé de l’enlèvement. La symbolique de l’aigle et l’allusion implicite au sort d’un Ganymède sont naturellement partie prenante du message iconographique. Mais la représentation reste tout de même en prise directe avec le rituel du funus publicum. Nous savons en effet, notamment par le témoignage de Dion Cassius et Hérodien, que lors de la mise à feu du bûcher impérial, un aigle était lâché, par un mécanisme discret, d’une cage située au sommet du rogus. Que cette mise en scène ait déjà fait partie des funera publica des empereurs divinisés dès le IIe siècle au moins, nous est attesté par la fréquence des aigles sur les monnaies portant la mention consecratio. L’arc de Titus serait donc bien une attestation de ce procédé visuel venu se greffer au rituel au courant du Ier siècle de notre ère.

Ce fait revêt une importance particulière dans notre réflexion. Il signifie que la visualisation de la montée de l’empereur au ciel, à partir de son bûcher, connaît un changement majeur. Si seul un privilégié, tel le Proculus Julius des origines de Rome, avait au début l’honneur insigne de voir véritablement l’empereur s’élever de son bûcher, sous forme d’effigies, cette vision est désormais démocratisée, l’aigle représentant le véhicule de l’ascension de l’empereur. Cette matérialisation visuelle a peut-être été conçue en réponse aux propos ironiques tenus à l’encontre des témoins, grassement payés. Cela ne signifie pas pour autant que le rôle du témoin s’éteigne du même coup. C’est bien sur la base d’un témoignage que le sénat statuera sur le décret de consecratio. Le caractère public de la vision de l’aigle permet d’ancrer le témoignage visuel dans une réalité plus directe, tout en ôtant des épaules des potentiels témoins le poids excessif qu’une simple vision « personnalisée » pouvait représenter. Reste, pour notre propos, que l’envol de l’aigle du sommet du bûcher au moment de la mise à feu, représente sous forme matérielle et visuelle le changement de lieu, de statut et d’identité de l’empereur. La reprise de l’aigle sur l’arc de Titus, accompagné de l’effigies de l’empereur, cherche bien à montrer l’efficacité du rite et le fondement du décret de consecratio.

b) Relief de Sabina

Autre relief célèbre, la plaque conservée au musée des Conservateurs, au Capitole, représentant l’apothéose de Sabina, en présence d’Hadrien36 (fig. 3). L’élément le plus imposant de la scène est bien le bûcher tout en flammes, bûcher dont on cherche encore à localiser l’emplacement, hautement symbolique, au Champ de Mars représenté sous forme de personnification. L’accent mis sur le rogus et sa localisation géographique et idéologique nous renvoie à l’importance centrale du bûcher et de la cérémonie de crémation, point de basculement d’une identité corporelle à une autre pour l’empereur ou, en l’occurrence, l’impératrice divinisée. C’est bien l’embrasement du bûcher et de la dépouille mortelle qui va initier la consecratio, décret officialisant a posteriori une divinisation qui s’est manifestée par l’apparition d’une effigies montant vers le ciel37.

Fig. 3 : Relief de l’apothéose de Sabina, Rome, Capitole, Musée des Conservateurs (anciennement arc du Portugal).

Là aussi, le choix iconographique fait la part belle au « véhicule » emmenant l’impératrice ad sidera. Point d’aigle ici, mais un personnage ailé féminin portant une torche allumée dont la flamme semble aspirée vers le haut, dans un mouvement ascensionnel accentuant la dynamique et la symbolique de la scène tout entière. Aeternitas, Iris ou autre, peu importe son nom ; seules comptent sa fonction et sa transparence symbolique. Sur son dos, à demi couchée, l’impératrice, dans une pause alanguie, tourne son regard vers le ciel, sa prochaine demeure. Son corps semble bien charnel et n’a rien d’un fantôme, ni d’une statue, dans l’attitude, l’habillement et la pose naturelle qu’elle arbore. C’est bien un corps à part entière qui nous est donné à voir, problème de représentation, inhérent au statut de l’image qui peut, mais qui doit aussi, faire des choix représentatifs là où les mots peuvent entretenir leur signifiante ambiguïté.

Si le procédé représentatif est nettement plus développé que sur l’arc de Titus, le message est bien le même. L’envol de l’empereur ou de l’impératrice, sur un « véhicule » à partir du bûcher qui va consumer les chairs mortelles est représenté comme le cœur du processus de divinisation. L’insistance graphique sur le relief de Sabina sur le bûcher et sa localisation au champ de Mars souligne le fait essentiel que la consecratio ne peut avoir lieu non seulement qu’à Rome, en lien avec le décret sénatorial, mais encore sur le seul Champ de Mars. Ne doit-on pas voir ici encore un lien entre les divinisations impériales et le modèle romuléen ? Selon une version du récit38, c’est bien au Marais de la chèvre, lieu du futur Champ de Mars, que Romulus est enlevé par le char de son père divin, Mars, justement. Et est-ce encore un hasard si ce territoire, d’abord marécageux ou inhabitable, a été prélevé sur les biens de Tarquin, dernier roi de Rome, pour être justement consacré, et passer ainsi dans le domaine du sacer par consecratio bonorum ?

c) Base de la colonne antonine

Quoi qu’il en soit, le lien indéfectible entre Champ de Mars et crémations impériales, prémisses à la consecratio, matérialisées in situ par les ustrina monumentalisés des empereurs successifs39, trouve un écho encore plus manifeste dans le relief de la base de la colonne antonine40 (fig. 4). De part et d’autre du motif central, sur lequel nous reviendrons, figurent deux personnifications, celle de Roma à droite, celle du champ de Mars à gauche. L’obélisque que tient ce dernier ancre encore davantage la scène dans un rapport territorial et symbolique particulièrement serré puisque ce monument devait être visible du spectateur se tenant devant la colonne antonine et s’offrir ainsi doublement à son regard, dans un va-et-vient significatif entre réalité physique et représentation41. Mais le lien de sens va plus loin encore : en tant qu’obélisque de l’horologium d’Auguste42 ce marqueur territorial inscrit du même coup l’ascension du couple impérial dans un temps cosmique signifié encore par les signes zodiacaux du globe porté par la figure ailée servant de « véhicule » ascensionnel. L’envol d’Antonin et de Faustine prend ainsi place entre les deux obélisques, le véritable et sa représentation, insistant sur l’emplacement géographique de la divinisation sur le champ de Mars autant que sur son inscription symbolique, dans le temps cosmique.

Fig. 4 : Base de la colonne Antonine, relief principal, Musées du Vatican, cour intérieure.

Si les figures secondaires sont porteuses d’un message fort, la scène centrale qui occupe, dans un triangle majestueux, la majeure partie de l’ensemble suscite quant à elle plusieurs remarques. La figure ailée tout d’abord, masculine ici, qui remplit l’espace de représentation, a été souvent identifiée comme Ain43 ; mais faut-il à tout prix chercher à la nommer ? Son caractère clairement cosmique suffit à en caractériser la portée symbolique. Si elle reprend le rôle de l’aigle que l’on a souligné sur l’arc de Titus, tout comme le faisait déjà la figure ailée féminine du relief de Sabina, et sert donc de « véhicule » au couple impérial divinisé, on notera que les aigles sont tout de même présents sur la scène, paraissant prendre appui, ailes légèrement déployées, sur les ailes de la figure cosmique masculine. Le relief nous donne ainsi à voir deux niveaux de réalité : les deux aigles renvoient à ceux que les Romains ont pu effectivement voir s’envoler des bûchers respectifs de Faustine et d’Antonin, matérialisations visuelles de l’efficience du rituel conduisant à la consecratio. Quant à la figure ailée, elle est la représentation de l’imaginaire de l’ascension divinisante par la signification du « véhicule » ascensionnel dans toute sa portée symbolique. Deux niveaux simultanés de réalité donc, qui loin de s’exclure se complètent pour former l’expression la plus complète de la conception de la divinisation impériale.

Reste encore la représentation du couple impérial. Tranchant sur la pose allongée et presque nonchalante de Sabina, représentation « à la grecque » d’une idéalisation divinisante, Faustine et Antonin sont ici figurés dans toute la dignité, mais aussi la raideur de corps statuaires, de bustes officiels, portant ostensiblement les insignes du pouvoir. Comme si montaient au ciel les effigies qui prendront – ou ont déjà pris – place dans les temples et monuments dédiés à ces divus et diva. Mais n’est-ce pas justement le sens d’effigies dont l’ambiguïté se manifeste ici ? Seul terme servant à désigner une statue d’un dieu aussi bien que d’un mortel44, insistant sur l’identité profonde entre le modèle et la représentation45, aussitôt reconnaissable, n’est-ce pas à cette conception multiple mais parfaitement adaptée aux différents niveaux de réalité en jeu dans le processus de divinisation qu’il doit de s’être imposé à Suétone au moment d’exprimer la forme reconnaissable apparue à Numérius Atticus lors du funus d’Auguste ?

D’autre part, la visualisation des divi dans leur montée ad sidera sous l’apparence des statues qui les représente (ro) nt dans les temples où ils reçoivent les honneurs divins, nous donne accès au véritable sens de la divinisation et du message colporté par les représentations. On ne spécule pas sur le statut ontologique des empereurs divinisés, on leur accorde des temples, des prêtres, des statues et des rites et c’est cette réalité, rituelle et quotidienne, qui prime sur toute autre considération. Dans cette optique, la préfiguration de la statue placée dans le temple sur les scènes d’ascension ad sidera n’est qu’insistance significative sur l’efficience du rituel et ses effets directs pour la pratique bien humaine du culte impérial.

On ne soulignera jamais assez l’importance d’une considération globale d’un monument pour en saisir la portée. Si le relief est bel et bien la pièce maîtresse de cette base, les trois autres faces, bien que secondaires, concourent au message complet du monument. Les deux représentations très similaires de decursio sur les côtés latéraux (fig. 5) inscrivent la scène principale dans son cadre rituel renvoyant aux manœuvres grandioses entourant le bûcher avant sa crémation46 ; la scène de divinisation ne se lit et ne se comprend ainsi que dans son rapport direct aux autres manifestations rituelles entourant les funérailles impériales et faisant du défunt non un particulier mais un père ayant l’empire pour famille. Quant à l’inscription dédicatoire (fig. 6), à l’opposé de la scène principale, elle rappelle le rôle des fils et successeurs, élevés au rang de fils de divus par la consecratio de l’empereur défunt, tout en affirmant la nouvelle identité de ce dernier, désormais divus, sans plus d’autre attache gentilice terrestre. Toutes les faces de cette base, lues en complémentarité, composent le message à la fois dynastique et rituel de la consecratio, tourné bien plus vers l’avenir que vers le passé.

On remarquera enfin combien le souci de vraisemblance est hors de propos sur les scènes figurées, tout comme il l’est, je crois, dans le rite lui-même : Faustine, morte et divinisée quelque vingt ans avant son impérial époux, en 141 de notre ère, figure ici à ses côtés dans une même envolée divinisatrice. Seul compte le résultat, tangible dans les honneurs qui leur sont rendus dans les temples qui leur sont dédiés, devant leurs effigies de divi dont la représentation anticipée dit l’efficience.

Fig. 5 : Base de la colonne colonne Antonine, decursio, face latérale.

Fig. 6 : Base de la colonne Antonine, inscription, face postérieure.

d) Plaque de diptyque dit des Symmaques

Moins connue, et beaucoup plus tardive, la plaque de diptyque conservée au British Museum47 nous permettra, pour conclure, quelques considérations sur la représentation de la relatio inter divos au moment où l’Empire romain est sous la direction d’empereurs chrétiens48 (fig. 7). L’identité du personnage élevé au rang de divus, qui a fait couler beaucoup d’encre, ne nous retiendra pas ici49. C’est bien sur le schéma représentatif que nous concentrerons notre attention.

Au centre de la plaque, le bûcher, dans sa forme attendue, à étages, maladroitement rendu ici en perspective. Deux aigles à gauche s’en échappent pour monter vers le niveau supérieur. Au sommet du bûcher, un quadrige portant l’effigie du défunt dans une nudité glorieuse et sa jeunesse idéalisée. Ce même défunt apparaît plus haut dans le champ, parfaitement vêtu et porté par deux démons représentant les vents. Serait-ce une référence à Ovide et à la purification par l’air subtil du corps mortel de Romulus ? La question reste ouverte. Ainsi porté, le défunt se voit accueilli par une assemblée de divi, en haut à gauche, qui lui tendent leur main et vers lesquels il fait un geste parallèle. Le soleil et la moitié de l’orbe zodiacal ferment la composition à l’angle supérieur droit, inscrivant la scène dans son développement cosmique et laissant supposer un panneau gauche, disparu, représentant la lune et les autres signes zodiacaux50. Le bas de la plaque est entièrement occupé par la représentation d’une pompa circensis qui, dès César, mais de façon manifeste à partir du premier siècle de notre ère, devient un instrument du pouvoir impérial51. On sait que des chars, tirés par un quadrige d’éléphants portant les effigies des nouveaux divi en étaient l’une des marques distinctives et c’est bien à ce type de char et de simulacrum que l’on a affaire ici, avec, pour plus de réalisme encore, la distribution de pain effectuée par deux des cornacs.

Fig. 7 : Diptyque des Symmaques, ivoire, Londres, British Museum.

Ce relief s’articule donc autour de trois registres, distincts mais liés. Chaque registre présente une figuration du défunt divinisé, sous trois formes clairement distinctes. Tout en bas, dans la scène de pompa, le simulacrum du divus dans un char dont la forme renvoie directement au temple dans lequel est abritée la statue en temps normal et où sont rendus les honneurs divins au divus. Dans le registre supérieur, le corps en élévation, figuré comme un être bien vivant, vêtu comme au quotidien, qui agit et réagit en manifestant ses émotions par son geste, en réponse à l’accueil lui aussi gestuel que lui réservent les divi déjà « en place ». Entre les deux, sur le bûcher, un troisième corps, clairement idéalisé par sa nudité et sa pose, dans le quadrige. Sa place sur le bûcher, reflet possible d’une réalité effective, en fait la matérialisation du lieu et du moment de la transfiguration, présentification aux yeux de tous du processus et de son résultat corporel, tel l’Héraclès de la péliké de Munich (fig. 1) ou le Romulus d’Ovide.

Le rogus, placé au centre signifie, encore une fois, le lieu et le temps du basculement d’une identité à l’autre ; il produit en outre un double effet, à la fois vers le haut et vers le bas, rendant possible la montée du défunt vers les divi, ad sidera, tout comme il suscite et permet les honneurs divins accordés dans le cadre du culte, rendus ici par la parade de la statue du nouveau divus dans Rome, lors de la pompa circensis. Ce qui est souligné, sur cette plaque, c’est l’efficience du rite et ses effets directs, notamment terrestres. Grâce au bûcher, par le bûcher et la vision, symbolisée par les aigles, de sa montée au ciel, dont prendra acte officiellement le sénat, l’empereur, qui qu’il soit, peut être présenté en divus dans son temple. On ne saurait s’étonner dès lors que le motif du bûcher ait été choisi unanimement par les empereurs successifs pour figurer le processus de divinisation sur les nombreuses émissions monétaires de consecratio. Le bûcher est une métonymie très évocatrice des différentes phases de divinisation en ce qu’il représente le point focal et rituel de basculement d’une identité terrestre à une identité divine, déclenchant le processus juridique qui en prendra acte et ouvrira ainsi la voie aux manifestations terrestres de ce nouveau statut divin que sont les temples, prêtres et honneurs divins.

Ce relief, bien que tardif, produit à contre-courant des pratiques désormais usuelles et représentant le dernier témoin figuré d’une longue tradition de consecratio, résume je crois parfaitement la conception romaine de la divinisation. Au centre, le rite, efficace, dont le critère de vraisemblance, si central aujourd’hui, n’est que très marginal ; ce rite est et reste lié à Rome – la pompa circensis est là pour nous le rappeler– et plus précisément encore au Champ de Mars, comme l’évoquent si bien les reliefs de Sabina et de la colonne Antonine. Le rite initie une chaîne d’effets, la montée de l’empereur ad sidera, la reconnaissance officielle et juridique qui en découle de son nouveau statut et conséquemment les honneurs divins qui lui seront rendus dans un temple dans lequel il apparaîtra en divus, par sa statue.

Les images sont par nature limitées dans leurs schémas représentatifs. Pas question, sur une image, de représenter l’âme monter au ciel, comme l’évoque Ovide à propos de César. La corporéité accordée à l’empereur montant au ciel n’est pourtant pas un constat d’échec des artistes. Cette contrainte figurative permet au contraire de coller au mieux à la conception profonde de la divinisation. C’est un corps visible, ou son effigies, ce qui du point de vue visuel et symbolique revient au même, qui monte au ciel et qu’un témoin peut reconnaître. C’est une statue qui prendra place dans le temple du nouveau divus. Et si certaines images jouent sur les registres, comme avec Faustine et Sabina montant au ciel en tant que statue de divus et diva, c’est bien pour donner à voir l’efficacité du rite et ses effets directs et concrets dans le quotidien cultuel.

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1 Price 1987, p. 56 dénombre 36 apothéoses d’empereurs sur les 60 qui se sont succédé d’Auguste à Constantin et y ajoute 27 apothéoses de membres de la famille impériale. Nous reprenons ici les définitions proposées par Florence Dupont (Dupont 1986, p. 233-234) : « La divinisation du prince se dit en latin consecratio. Nous dirons désormais consécration et non apothéose. Car l’apothesis grecque est la ‘transformation d’un homme en dieu’, tandis que la consecratio latine est ‘le transfert de l’espace profane à l’espace sacré’ ». Sur le sens et l’utilisation du terme consecratio cf. Kierdorf 1986, part. p. 46-49.

2 Laurens & Lissarrague 1989, p. 88-90. L’ensemble de l’article examine les autres représentations de cet épisode. Sur la péliké de Munich, voir également Lissarrague 2008, p. 25-26.

3 Laurens & Lissarrague 1989, p. 89.

4 La première attestation littéraire de la divinisation de Romulus remonte aux Annales d’Ennius. Tite-Live (I, 16), nous en donne une version circonstanciée sur laquelle nous reviendrons plus bas. Ovide compose deux versions semblables à quelques détails près, dans ses Métamorphoses XIV, 805-828, passage cité ici, et dans les Fastes II, 475-512, à propos des Quirinalia. Autres versions de cet épisode : Cicéron, République II, 10 ; Plutarque, Romulus 27 ; Denys d’Halicarnasse II, 56 ; Valère Maxime V, 3, 1. Sur la composition et les schémas narratifs en jeu cf. Devallet 1989. L’apothéose d’Enée (Métamorphoses XIV, 581-608) répond au même schéma narratif, mais le processus de divinisation, par purification puis onction, offre moins de points d’accrochage avec le rituel impérial. Nous nous concentrerons donc sur la divinisation de Romulus.

5 Ovide, Métamorphoses XIV, 805-828, trad. Lafaye & Le Bonniec 1999 ; v. 811 : et ablatum terris imponere caelo ; v. 814 : Unus erit, quem tu tolles in caerula caeli ; v. 818 : Quae sibi promissae sensit rata signa rapinae ; v. 824-828 : Abstulit Iliaden ; corpus mortale per auras / Dilapsum est tenues, ut lata plumbea funda / Missa solet medio glans intabescere caelo ; / Pulchra subit facies et pulvinaribus altis / Dignior et qualis trabeati forma Quirini.

6 Ovide, Métamorphoses XIV, 845-851, trad. Lafaye & Le Bonniec 1999 ; v. 850-851 : et priscum pariter cum corpore nomen / mutat.

7 Ovide, Métamorphoses XV, 816-850 passim, trad. Lafaye & Le Bonniec 1999, v. 818-819 : Ut deus accedat caelo templisque colatur, / Tu facies natusque suus ; v. 840-850 : « Hanc animam interea caseo de corpore raptam / Fac iubar, ut semper Capitolia nostra forumque / Divus ab excelsa prospectet Iulisus aede. » / Vix ea fatus erat, media cum sede senatus / Constitit alma Venus, nulli cernenda, suique / Casesaris eripuit membris nec in aera solui / Passa recentem animam caelestibus intulit astris ; / Dumque tulit, lumen capere atque ignescere sensit / Emisitque sinu ; luna volat altius illa / Flammiferumque trahens spatioso limite crinem / Stella micat.

8 C’est bien l’absence de corps qui donnera naissance à la double tradition concernant la fin de Romulus : enlevé au ciel par son père Mars ou assassiné et démembré par les Sénateurs jaloux (cf. Tite-Live I, 16). Comme pour le tombeau vide le matin de Pâques, l’absence de la dépouille mortelle donne lieu à des interprétations radicalement opposées selon le point de vue, sceptique, rationnel ou croyant.

9 CIL VI, 986.

10 CIL VI, 1004.

11 chastagnol 1984.

12 Cf. Hesberg & Panciera 1998, p. 88-144.

13 Sur la terminologie en jeu, notamment funus et consecratio, et leurs utilisations, dans le temps et selon les circonstances, cf. Kierdorf 1986.

14 Bickermann 1929, reste la référence sur laquelle se basent les recherches ultérieures ; parmi l’abondante littérature secondaire, citons ici Turcan 1958 ; Cracco Ruggini 1977 ; Kierdorf 1986 ; Dupont 1986 ; Price 1987 ; Beard & Henderson 1998 ; Rebenich 2000 ; Davies 2004 (par le biais archéologique) ; Hekster 2009.

15 Suétone, Vie d’Auguste 100. Senatorum umeris delatus in Campum crematusque. Nec defuit vir praetorius, qui se effigiem cremati euntem in caelum vidisse iuraret. Reliquias legerunt primores equestris ordinis tunicati et discincti pedibusque nudis ac Mausoleo considerunt.

16 Ibidem, trad. Grimal 1973.

17 Dion Cassius LVI, 46.

18 Sénèque, Apocoloquintose I, 2-3.

19 Tite-Live I, 16.

20 Cf. Estienne 2010 et Lahusen 1995, p. 246-258.

21 De même, chez Sénèque (Apocoloquintose I, 2), c’est bien Drusilla que reconnaît le témoin, tout comme il aurait reconnu Claude à sa démarche claudicante.

22 Pour une synthèse de la question de l’authenticité ou non de cette tragédie, cf. l’introduction à l’Hercule sur l’Œta dans Chaumartin 1999, p. 3-14.

23 [Pseudo-]Sénèque, Hercule sur l’Œta, trad. Hermann 1967, v. 1965-1968 : iam parce, mater, questibus : manes semel / Umbrasque vidi ; quicquid in nobis tui / Mortale fuerat, ignis evictus tulit : / paterna caelo, pars data est flammis tua. Cf. le propos d’Alcmène attestant avoir vu brûler son fils sur le bûcher, v. 1956-1959.

24 Par exemple Diodore IV, 38, 1 sq. ; Ovide, Métamorphoses IX, 136 sq.

25 Hercule sur l’Œta 1758-1939.

26 Dion Cassius LXXV, 4-5 et Hérodien IV, 2.

27 Bickermann 1929 a ouvert la polémique en postulant les doubles funérailles dès le IIe siècle. Parmi ceux qui reprennent cette thèse en y ajoutant leurs propres arguments, citons Turcan 1958 ; Gros 1965 ; Richard 1966 ; Dupont 1986. Kierdorf 1986 propose une excellente synthèse : reprenant les travaux d’Henri Chantraine (Chantraine 1980), il considère le funus imaginarium possible, si besoin, mais pas automatique. Price 1987 soutient le même point de vue, sans toutefois l’argumentation serrée de Kierdorf 1986. Temporini (1978, p. 234 sq.) va encore plus loin en n’envisageant le funus imaginarium que pour les cas de Pertinax et Septime Sévère.

28 Histoire Auguste, Pertinax XV, 1 ; Histoire Auguste, Sevère VII, 8 et XIV.

29 Ethos gár esti Rmaíois en tête de la description, Hérodien IV, 2.

30 Turcan 1958.

31 Pour l’empereur Antonin le Pieux, selon l’Histoire Auguste (Marc Aurèle VII, 10-11 : Hadriani autem sepulchro corpus patris intulerunt magnifico exequiarum officio. Mox iustitio secuto publice quoque funeris expeditus est ordo…), le corps (et non seulement ses cendres), aurait été inhumé dans le Mausolée d’Hadrien, avant son funus publicum. Cf. Turcan 1958, p. 328.

32 Florence Dupont (Dupont 1986, p. 241 et Dupont 1987) a brillamment exploré le sens profond de l’imago. Si nous la suivons parfaitement sur cette voie, nous ne partageons pas son analyse du funus imaginarium comme mode normal de consecratio dès le IIe siècle. L’existence de cette même pratique attestée dans le cadre un collège du début du IIe siècle de n.è. pour pallier l’absence éventuelle du corps à inhumer ou incinérer montre bien l’usage exceptionnel, dans le cadre privé, de cette substitution du de l’imago au corps. Sur cet usage normal du funus imaginarium, cf. Chantraine 1980 ; Kierdorf 1986, p. 44-45.

33 Cf. supra notes 27 et 32.

34 Kierdorf 1986 veut démontrer que dès le milieu du Ier siècle de n.è. le décret du sénat précède le funus. Si le terme de consecratio peut être utilisé pour désigner le funus lui-même, cette métonymie n’implique pas une confusion des étapes et une simultanéité, voire une antériorité du décret de consecratio par rapport au funus. Cet usage langagier insiste sur le lien essentiel qui lie l’embrasement du bûcher et le décret, postérieur, qui s’appuie sur le témoignage visuel remontant au funus. En tant que déclencheur du décret, le funus et la vision qui lui est liée peut prendre par anticipation le sens fort de consecratio, par l’efficience de l’action rituelle qui s’y déroule et que le décret sénatorial ne fera qu’entériner.

35 Beard & Hendersen 1998, p. 209-211, avec bibliographie en note 32.

36 Boatwright 1987, p. 226-229 ; Beard & Hendersen 1998, p. 213-214.

37 Cf. supra note 34.

38 Ovide, Fastes II, 475-512.

39 Sur les Ustrina, cf. Broatwright 1985 ; Davies 2004, p. 167-169 (qui renvoie utilement aux travaux de Vincent Jolivet) ; Rehak 2006, p. 33-35.

40 Par ex. Vogel 1973 ; Beard & Hendersen 1998, p. 193-194 ; Davies 2004, p. 163-165.

41 Cf. Davies 2004, p. 163-165.

42 Sur l’horologium, sa localisation et l’étendue ou les limites de sa symbolique cosmique, cf. Rehak 2006, p. 62-95.

43 Pour l’identification du génie ailé à Ain ou d’autres identifications proposées (Aeternitas, Ascensus, Zephyrus, Saeculum Aureum), cf. la bibliographie donnée par Le Glay 1981, p. 403-404, n. 19.

44 Estienne 2010.

45 Dupont 1986, p. 241 pose comme équivalent imago et effigies, dans le sens d’empreinte qui « vaut le mort ».

46 Dion Cassius LXXV, 4-5 et Hérodien IV, 2 ; v. Price 1987.

47 Cracco Ruggini 1977, p. 463-489, avec bibliographie antérieure. Datation proposée, seconde moitié du IVe siècle de n.è.

48 Sur la consecratio au Bas-Empire, cf. Cracco Ruggini 1977 ; Rebenich 2000.

49 Cracco Ruggini 1977, p. 468-473, p. 482-487.

50 Cracco Ruggini 1977, p. 487-488.

51 Arena 2009, avec bibliographie antérieure.