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Manifestation du divin et reconfiguration des panthéons à la période hellénistique

L’exemple des Artémis d’Asie mineure1

Stéphanie PAUL

F.R.S.-FNRS – Université de Liège

Au cours de la seconde moitié du IIe siècle, la petite cité de Bargylia, en Carie, entreprend à grands frais la réorganisation du culte d’Artémis Kinduás à la suite d’une épiphanie de la déesse, dont quatre décrets, datés de la fin du iie ou du début du ier siècle, sont les témoins. Trois d’entre eux, récemment découverts et publiés par W. Blümel, ont tout particulièrement enrichi notre connaissance de ce culte, peu connu jusqu’alors, et, plus largement, celle des pratiques rituelles de la période hellénistique2.

La première mention d’Artémis Kinduás dans le corpus épigraphique de Bargylia remonte à la charnière entre les IIIe et IIe siècles et provient d’un décret honorifique pour des juges de Priène, prévoyant la proclamation des couronnes lors du concours organisé en l’honneur de la déesse3. A cette même période, Artémis commence à apparaître sur les monnaies de la cité, où elle occupera une place prédominante4. Son culte devait toutefois être bien plus ancien, comme le laisse entendre l’épiclèse, Kinduás, un nom ethnique qui marque sa provenance de la cité de Kindya située à quelques kilomètres à l’est de Bargylia. Le territoire de cette cité, qui est attestée par les listes du tribut athénien au Ve siècle, a probablement été annexé par Bargylia au cours du IVe ou du IIIe siècle5. C’est là que se trouvait le sanctuaire d’Artémis, dont il reste très peu de vestiges archéologiques, mais dont le temple, nommé « Parthénon », est bien attesté par les inscriptions6. L’épiclèse souligne ainsi l’attachement particulier de la déesse à la cité de Bargylia et à son territoire, et il est significatif que son culte ait eu un rayonnement très limité, voire inexistant, à l’extérieur de la communauté qui l’honorait. En effet, des inscriptions funéraires de l’époque impériale imposant le paiement d’une amende à Artémis Kinduás en cas de profanation de la tombe ont été découvertes à Kildara et à Cos, mais il s’agit plus probablement de « pierres errantes » originaires de Bargylia7.

Vers la fin du IIe siècle, le culte d’Artémis Kinduás a connu un essor remarquable, dont il est toutefois difficile de donner la mesure exacte, en raison de la pauvreté des témoignages antérieurs. Hormis quelques allusions à l’embellissement d’une procession et à la réalisation d’offrandes, notamment une biche en argent de mille deux cents drachmes8, les résolutions adoptées en vue de cette réorganisation concernent la panégyrie célébrée en l’honneur de la déesse les 2 et 3 Strateios, et principalement le sacrifice de bœufs qui lui était destiné. Ces mesures sont rappelées en introduction de l’un des quatre décrets :

Dans les temps […], à la suite des épiphanies d’Artémis Kinduás qui se sont produites, le peuple a voté un décret concernant les autres honneurs et actes illustres et concernant la [panégyrie] en s’efforçant de la rendre plus remarquable et il a ordonné au prêtre d’Artémis Kinduás, en commun aux prytanes et encore au stéphanéphore, à chacun des néopes et à l’agonothète, en recevant [la somme nécessaire (?)] du trésor sacré, d’élever des bœufs et, après les avoir menés en procession, de les sacrifier sur l’autel à la déesse susnommée. A la suite de quoi il est arrivé que la dévotion et la reconnaissance du peuple envers le divin sont devenues plus illustres également en ces matières. La procession et les sacrifices sont devenus plus remarquables pour Artémis. Maintenant, il appartient au peuple d’accroître ses honneurs car la cité et la campagne sont en excellent état grâce à elle qui veille aux intérêts communs de la cité et à ceux, en particulier, de la vie de chacun des habitants de la cité et du territoire9.

Les inscriptions nous permettent de reconstituer grosso modo le déroulement de ce sacrifice bovin, dont la sélection des animaux est particulièrement remarquable. On confiait au prêtre d’Artémis et à une série de magistrats – prytanes, stéphanéphore, néopes et agonothète – une somme d’argent prise sur le trésor sacré afin d’élever des bœufs (boutropheîn) en vue d’un sacrifice à la déesse. Une telle procédure devait sans doute permettre, en achetant de jeunes veaux au lieu d’animaux adultes, d’en réduire considérablement le coût10. Quelques jours avant les célébrations, les bœufs sont menés à l’assemblée pour y subir la dokimasía, examen visant à vérifier la conformité des animaux pour le sacrifice11. Le premier jour de la fête, le 2 Strateios, les bœufs sont conduits au sanctuaire extra-urbain d’Artémis, où se tient le concours du meilleur éleveur qui déterminera la place des participants dans la procession. Les bœufs sont ensuite sacrifiés et les parts d’honneur réservées au prêtre et aux magistrats. Le lendemain, sur l’agora, la viande est partagée entre les citoyens, par tribus, et les peaux et le surplus sont vendus au profit du trésor sacré. Au cours des années suivantes, l’éclat de la fête sera encore accru par des mesures supplémentaires visant à augmenter le nombre de bœufs à sacrifier, en incluant à la boutrophie la participation des métèques et d’autres magistrats12. Hormis ce sacrifice de grande ampleur, on peut déduire de la présence de l’agonothète parmi les boutróphoi que la panégyrie comportait également des concours13.

L’introduction du quatrième décret, citée ci-dessus, attribue de manière un peu laconique l’origine de cette réorganisation du culte à des épiphanies d’Artémis Kinduás. Un passage du premier décret, pourtant fragmentaire, donne un peu plus de détails sur ce point :

Attendu que [pendant la guerre, alors que de nombreux et grands] dangers menaçaient notre cité et [le territoire, le peuple, en raison de l’]épiphanie [d’Artémis, a sauvé] l’autonomie ancestrale et a été rétabli dans son état [d’origine]14

Les restitutions de ce passage remontent à L. Robert et sont fondées sur un parallèle de Lagina, extrait d’un décret qui mentionne une apparition d’Hécate dans des circonstances similaires15. La mention de Poséidonios, fils de Ménandros, éminent citoyen de Bargylia dont l’activité est placée dans les années 129-127, permet de dater l’inscription aux mêmes années. Le conflit auquel il est fait allusion a dès lors été identifié à la révolte d’Aristonicos, fils illégitime d’Eumène II qui avait réclamé le trône à la mort d’Attale III en s’appuyant sur une armée de paysans et d’affranchis16.

En résumé, le dossier épigraphique de Bargylia rend compte de la décision de cette cité de rendre plus éclatantes les célébrations en l’honneur de sa déesse, Artémis Kinduás, dont l’intervention, sous la forme d’une épiphanie, lui aurait assuré le salut dans un moment particulièrement critique. Cette situation est remarquablement similaire à celle de deux autres cités d’Asie mineure, Magnésie du Méandre et Cnide.

Environ un siècle plus tôt, la cité de Magnésie du Méandre met en place un vaste programme de réorganisation du culte d’Artémis Leukophruēnḗ. En 221/0, à la suite d’une épiphanie de la déesse et d’après une injonction de l’oracle de Delphes, les Magnètes sollicitent l’asylie de leur cité et de son territoire, et instaurent les Leukophruēná pentétériques, comportant des concours stéphanites musicaux, gymniques et hippiques, qui seront célébrés pour la première fois en 20717. Les archives de l’agora, qui jouxtait le temple d’Artémis, ont livré un imposant dossier de réponses – décrets ou lettres – de diverses cités, rois ou associations à cette invitation18. Celles-ci mentionnent systématiquement, ou presque, l’épiphanie d’Artémis à l’origine de cette requête, de même que la volonté des Magnètes « d’accroître les honneurs » de la déesse19.

Le lien des Leukophruēná avec une autre fête en l’honneur d’Artémis Leukophruēnḗ, les Eisitḗria, instaurée à une époque plus ou moins contemporaine, n’est pas évident à définir. Un premier décret, daté de la fin du IIIe siècle, réglemente les célébrations qui accompagnent la réinstallation du xóanon d’Artémis dans son temple, dont la reconstruction vient d’être achevée20. Ces célébrations se tiendront chaque année le 6 Artémision et compteront l’accomplissement de sacrifices accomplis par la cité et, de manière individuelle, par les habitants, ainsi que l’interprétation d’hymnes par des chœurs de jeunes filles. Un second décret, un peu plus tardif, prend des mesures pour remettre en vigueur le précédent21. Les raisons qui ont motivé la reconstruction du temple ne sont guère explicitées. Le premier décret évoque comme déclencheur une « inspiration divine et une manifestation à l’ensemble du corps civique »22, tandis que le second mentionne, de manière plus vague encore, les « bienfaits accomplis par la déesse de tout temps envers notre peuple »23. La formulation semble avoir une portée assez générale, et il est difficile d’affirmer de manière formelle que ces allusions renvoient directement à l’épiphanie de la déesse dont rendent compte les documents sur l’asylie, et dont les circonstances sont, par ailleurs, assez obscures24. On y a vu un lien avec le conflit qui opposa Attale Ier à Antiochos Hiérax dans les années 229-227, et qui s’est achevé par la défaite et la fuite de ce dernier, mais l’hypothèse ne peut être confirmée en l’absence de témoignages explicites provenant des inscriptions de Magnésie25. Etant donné la chronologie des évènements, plus ou moins contemporains, il paraît cependant évident que la fondation des Leukophruēná, d’une part, et la décision de reconstruire le temple d’Artémis et l’instauration de fêtes commémorant son achèvement, d’autre part, appartiennent à un même programme de réorganisation du culte. Ces deux célébrations ont ainsi pour objectif « d’accroître les honneurs » de la déesse – l’expression se retrouve à la fois dans le décret sur les Eisitḗria et dans les documents sur l’asylie –, tout en s’inscrivant sur un plan différent26. En effet, les Leukophruēná, par la large publicité dont ils ont fait l’objet et leur caractère panhellénique, sont revêtus d’une dimension « internationale » évidente, et contribuent ainsi à affirmer la position de la cité de Magnésie vis-à-vis du monde extérieur. Le caractère politique manifeste de cette fête a été maintes fois souligné dans la recherche moderne27. Les Eisitḗria, au contraire, sont célébrés au sein de la cité de manière plus confidentielle et impliquent au premier plan les Magnètes eux-mêmes, qui accomplissent, selon leurs moyens, des sacrifices sur des autels provisoires érigés devant leur maison. Par conséquent, la configuration des Eisitḗria met en évidence la piété de la cité et de ses habitants, et démontre que cette réorganisation du culte d’Artémis Leukophruēnḗ ne se résume pas à une simple manœuvre politique, qui serait dénuée de tout fondement religieux.

Enfin, vers 200, la cité de Cnide prend la décision d’instaurer des fêtes pentétériques en l’honneur d’Artémis Hiakunthotróphos, auxquelles elle convie les cités alliées :

Attendu que, alors que [notre] peuple démontre de tout temps sa piété ancestrale envers le divin, agit avec empressement et avec amour des honneurs au sujet de [l’accroissement] des honneurs d’Artémis Hiakunthotróphos, a accompli les sacrifices, les trêves et les processions à la suite des [épiphanies] qui se sont produites de son fait, et l’a proclamée pour cette raison [déesse Epiphanḗs], il a jugé qu’il serait bon d’accomplir également en l’honneur de la déesse un sacrifice et des concours musicaux et gymniques pentétériques, et d’inviter leurs amis et alliés à participer [aux sacrifices et aux] concours en leur envoyant une ambassade28.

De même qu’à Bargylia et à Magnésie du Méandre, ce sont les épiphanies d’Artémis, cette fois attribuées à la période du siège de Cnide par Philippe V de Macédoine, qui ont motivé l’instauration de ces célébrations et la qualification de la déesse par l’épiclèse Epiphanḗs, restituée dans le décret de Cnide, mais attestée avec certitude notamment dans la réponse de Cos29.

Ainsi, en l’espace d’un siècle environ, et dans une zone géographique relativement restreinte, trois Artémis se manifestent en faveur de leur cité, dans des circonstances et avec des conséquences similaires. Si la ressemblance de ces configurations est particulièrement frappante, le phénomène de l’intervention divine en période de crise n’est évidemment pas limité à ces trois cités, ni particulier à cette déesse et les exemples en sont nombreux30. En 278, l’invasion des Galates, parvenue aux portes du sanctuaire de Delphes, est repoussée grâce à une série de prodiges : tremblement de terre, tonnerre et éclairs, neige, rochers dévalant les montagnes et épiphanies de héros combattants, et surtout d’Apollon, Athéna et Artémis31. A la suite de cette victoire miraculeuse, les Delphiens instituent les fêtes des Sōtḗria en remerciement aux dieux32. L’épiphanie d’Apollon est également mentionnée par un décret de Cos adopté à l’annonce de la victoire et qui prévoit, en action de grâces, l’envoi de théores à Delphes pour offrir un bœuf aux cornes dorées à Apollon Púthios. Ce décret réglemente en outre l’accomplissement à Cos même de sacrifices à Apollon Púthios, à Zeus Sōtḗr et à Nikè33. A Chios, des Theopháneia ont été instaurés en commémoration d’une épiphanie katà tòn pólemon, que l’on doit peut-être associer, comme pour Cnide, au siège de la cité par Philippe V de Macédoine34. Des épiphanies divines en contexte militaire sont encore connues dans la région de Stratonicée au Ier siècle. Ainsi, deux fragments conservés d’un décret de Lagina mentionnent une manifestation (enárgeia) d’Hécate lorsque la cité était menacée35, ce qui justifiera son appellation de Sōteîra Epiphanḗs36. La date de ce décret n’est pas déterminée avec précision, pas plus que les circonstances qui ont donné naissance à cette épiphanie de la déesse. Quelques années plus tard, en 39, un long décret de Stratonicée relate les prodiges de Zeus Panámaros pour la défense de son sanctuaire lors de l’invasion de Labienus : tempête, tonnerre, éclair et brouillard provoqués, croyait-on, par le dieu avaient mis l’ennemi en déroute37. Les épiphanies d’Hécate et de Zeus sont encore mentionnées dans un décret du IIe siècle de notre ère, qui prévoit la récitation quotidienne d’hymnes par des chœurs de garçons dans le bouleutérion, devant les statues de ces dieux dits « les plus épiphaniques »38.

La question de l’épiphanie divine en Grèce ancienne a fait l’objet de nombreuses études39 et il ne s’agit pas de revenir ici sur ce phénomène, ni d’interroger l’historicité de ces évènements40. Il suffira de rappeler que la notion d’épiphanie au sens où les Grecs anciens l’entendaient n’implique pas obligatoirement une apparition de la divinité dans sa forme physique, anthropomorphe, mais renvoie également à toute manifestation tangible de sa puissance41. Ainsi, cette épiphanie pourra prendre la forme de phénomènes météorologiques, comme à Delphes et à Stratonicée, ou peut-être tout simplement celle d’une victoire inattendue qui apparaîtra comme miraculeuse.

Sans entrer dans le détail de ce dossier complexe, je m’arrêterai quelque peu sur l’opinion répandue selon laquelle ces épiphanies – surtout en contexte guerrier – se seraient considérablement multipliées à la période hellénistique42. Cette problématique s’inscrit dans le cadre plus large des hypothèses qui touchent à l’évolution de la religion durant cette période, que l’on peut brièvement résumer comme suit. Selon une conception qui a longtemps prévalu dans la recherche moderne, la religion hellénistique aurait représenté soit un déclin de la religion « traditionnelle » de la période classique, soit une évolution vers un monothéisme. Au fondement de cette évolution s’inscrirait une « individualisation » de la religion, à savoir le succès croissant des cultes privés, associatifs ou orientaux, aux dépens des cultes civiques, dans la mesure où ils auraient permis d’entretenir une relation plus personnelle avec le divin. Par ailleurs, on a mis en exergue le caractère « universalisant » de certaines de ces divinités, dont la sphère de compétence se déployait dans tous les domaines, et qui étaient donc particulièrement qualifiées pour offrir à leurs fidèles une protection en toutes circonstances43. Interprétées selon cette grille de lecture, la multiplication des épiphanies divines correspondrait à la volonté d’entrer en communication plus directe avec le divin et serait la manifestation de compétences salvatrices (sōtēría) fréquemment attribuées à de nombreuses divinités en cette période de troubles incessants44.

Toutefois, lorsqu’on soumet les corpus documentaires à un examen attentif, cette prétendue évolution de la religion à la période hellénistique apparaît moins évidente et radicale qu’on a pu le prétendre45. Plusieurs études récentes soulignent au contraire une certaine forme de continuité des pratiques par rapport à la période classique et invitent à prendre en compte la spécificité des lieux étudiés, d’une part, et, d’autre part, l’amplification considérable de la production épigraphique caractéristique de cette période46. En ce qui concerne les épiphanies « militaires », l’évolution par rapport aux époques antérieures réside moins, semble-t-il, dans leur multiplication que dans la nature de la documentation qui en rend compte – essentiellement épigraphique et non plus littéraire – ainsi que dans la manière dont elles sont orchestrées par les cités47.

La démarche est simple : l’identification d’une manifestation divine salvatrice mène à un « accroissement des honneurs » de la divinité concernée. Ainsi, il est significatif que la formule précise sun (ep) aúxein tàs timás se lise dans les décrets des trois cités de Bargylia, de Magnésie et de Cnide48. Il s’agit là d’une expression fréquente dans les inscriptions hellénistiques, particulièrement du IIe siècle, qui n’est pas systématiquement liée à une manifestation du divin, mais qui reflète une préoccupation constante des Grecs dans le culte de leurs dieux49. Elle consiste, de manière concrète, à accroître les honneurs rendus à la divinité, et peut se concrétiser par une augmentation du nombre de sacrifices offerts à une occasion particulière, comme à Bargylia50, ou encore par la fondation de nouvelles célébrations ou la réorganisation de fêtes plus anciennes51. Cependant, lorsqu’on cherche à comprendre ces honneurs particuliers (timaí), qui trouvent leur signification au cœur même du rituel, il faut prendre en compte toute la complexité de la notion de timḗ qui remonte à la poésie archaïque. Ainsi, selon Hésiode, la répartition des timaí entre les dieux, qui incombe à Zeus, préside à la constitution du panthéon, en assignant à chacun la part d’honneur qui lui revient en fonction de ses prérogatives52. La timḗ est une sorte « d’interface » qui détermine à la fois la place d’un dieu au sein de la configuration panthéonique qui l’accueille et les hommages qui sont associés à cette position même. Dès lors, si l’on transpose cette interprétation sur les timaí des textes hellénistiques, on peut faire l’hypothèse que la modification de l’organisation du culte d’une divinité dans une cité conduit à un repositionnement de celle-ci dans le panthéon local. Le dossier des trois Artémis présenté ici permet de valider une telle hypothèse, dans la mesure où la revendication de leurs épiphanies et les conséquences que celles-ci ont entraîné sur le plan cultuel, avec la mise en évidence particulière de ces déesses, semblent contribuer à affirmer ces dernières dans le rôle de la divinité « tutélaire » de leur cité53.

A ce stade, quelques réflexions sur le concept de divinité « tutélaire » s’imposent54. Le terme de « tutélaire », de même que ses traductions dans les langues modernes, « tutelary », « patron » ou « Schutzgottheit », contient une idée de protection. La divinité « tutélaire » désignerait alors la divinité qui prend la défense de sa cité lorsqu’elle est en danger, quelle que soit la nature de ce danger. Or, le champ de la protection, particulièrement vital pour une communauté, n’est pas l’apanage d’une seule divinité dans un panthéon, et voit intervenir un grand nombre de puissances55. Ce cadre n’est donc pas suffisant pour déterminer la divinité tutélaire au sein d’une cité et d’autres éléments doivent être pris en compte. Ainsi, la mise en exergue d’une divinité dans un panthéon local et son intervention dans plusieurs domaines liés à la protection de la cité de manière générale créent une relation privilégiée entre cette divinité et la communauté des citoyens. Cette définition doit toutefois conserver un caractère purement opératoire. En effet, comme l’a montré S. Cole, deux difficultés principales surgissent quand il s’agit d’identifier une « divinité tutélaire » à l’échelle locale. D’une part, les lacunes de notre documentation sont susceptibles d’altérer considérablement notre représentation des configurations panthéoniques locales et, d’autre part, l’évolution de ces dernières, en fonction du contexte historique dont elles dépendent, doit être prise en compte. Partant, la notion de divinité « tutélaire », au sens où on l’entend, n’apparaît pas comme un concept figé et intemporel, mais comme une notion qui peut varier en fonction de circonstances dont le détail nous échappe malheureusement souvent.

Une fois ces principes posés, revenons à nos trois Artémis. La prééminence d’Artémis Kinduás dans le panthéon bargyliète ressort clairement des témoignages numismatiques et épigraphiques. En effet, elle figure très fréquemment sur les monnaies, soit par sa tête, de face ou de profil, soit par sa statue qui, en raison des particularités de son iconographie, est devenue un véritable symbole de la cité56. La déesse est représentée portant un voile sur la tête et vêtue d’un chiton qui s’étend jusqu’aux pieds, recouvert d’un surplis, l’ependútēs, lui arrivant à hauteur de genoux et cintré à la taille par une ceinture. La spécificité de la statue provient de la position des bras de la déesse, croisés sur sa poitrine. Dans les inscriptions, Artémis Kinduás se distingue considérablement des autres divinités, dont les cultes sont très peu connus en comparaison57. Les témoignages sur l’organisation de la panégyrie célébrée en son honneur sont particulièrement significatifs de son importance. De plus, l’attachement d’Artémis au territoire de la cité est marqué par son épiclèse toponymique, comme on l’a déjà souligné, mais également du fait que la prospérité de la cité et de son territoire soit attribuée à ses bienfaits. Comme on l’a noté, la rareté des témoignages sur son culte avant la réorganisation de la fin du iie siècle rend une éventuelle évolution de sa position dans le panthéon difficile à déterminer. Toutefois, l’ancienneté de son épiclèse et son apparition sur les monnaies dès le début de ce siècle semblent indiquer qu’elle occupait déjà le rôle de divinité tutélaire auparavant. Ce rôle n’en aura été que davantage affirmé par l’accroissement d’honneurs dont la déesse a fait l’objet par la suite.

A Magnésie du Méandre également, plusieurs éléments illustrent la position d’Artémis Leukophruēnḗ comme divinité tutélaire. Un fragment d’Anacréon évoque déjà la déesse Artémis en rapport avec cette cité58. Son épiclèse serait forgée sur le nom de Leucophrys, ancienne cité de la vallée du Méandre, où sera peut-être refondée Magnésie au IVe siècle59, et associe donc la déesse à son territoire et à sa fondation. De plus, les inscriptions l’évoquent fréquemment sous les titres d’arkhēgétis tês póleōs, « commandante de la cité » ou encore d’euergétis tês póleōs, « bienfaitrice de la cité », appellations courantes pour de telles divinités60. Enfin, même si ce n’est pas toujours un critère valable pour identifier une divinité tutélaire, Artémis apparaît très fréquemment sur les monnaies depuis le IIe siècle jusqu’à l’époque impériale61.

A Cnide, enfin, la documentation épigraphique ne nous permet guère d’identifier avec certitude la divinité tutélaire de la cité. Selon Pausanias, Aphrodite, qui y portait trois épiclèses différentes – Doritís, Akraîa et Eúploia –, était la divinité la plus honorée par les Cnidiens62. Toutefois, cette renommée de la déesse, ainsi que son apparition fréquente sur les monnaies, pourrait être attribuée à sa fameuse statue, œuvre de Praxitèle, plutôt qu’à une éventuelle prééminence dans le panthéon local63. Le cas de Cnide reste donc en suspens.

Les divinités tutélaires semblent a priori particulièrement qualifiées pour effectuer ce genre d’interventions salvatrices en faveur de leur cité en péril. Si l’on parcourt brièvement les occurrences d’épiphanies militaires à la période hellénistique, on constate que ce sont ces divinités qui y apparaissent de manière privilégiée. C’est le cas d’Athéna à Pergame et à Ilion64, d’Hécate et de Zeus à Stratonicée, ou encore, même s’il n’agit pas seul, d’Apollon à Delphes. Toutefois, ces interventions ne sont pas exclusivement l’apanage des divinités tutélaires et peuvent être le fait d’autres dieux du panthéon, comme c’est le cas de Zeus à Pergame65. De plus, il faut remarquer que les prérogatives de la divinité tutélaire varient en fonction des contextes et des nécessités des communautés auxquelles elles sont liées. Un exemple significatif en est le culte de Zeus Polieús à Cos, qui est clairement orienté vers l’unité de la cité et des citoyens, comme le montre l’organisation d’un sacrifice de bœuf offert à ce Zeus au mois de Batromios, dont les prescriptions sont conservées dans un fragment du calendrier cultuel de la cité66. Or, ce calendrier est le résultat d’une réorganisation des cultes provoquée par la fondation de la cité de Cos par synécisme en 366 avant notre ère. Dès lors, il paraît évident que les prérogatives en matière de cohésion de la communauté conférées à Zeus Polieús, dont l’épiclèse affirme encore le lien avec la pólis, trouvent leur origine dans cet évènement, qui avait dû rendre cette préoccupation d’unité particulièrement cruciale67. En période de menaces extérieures pour la cité, en revanche, il est normal que les compétences salvatrices des divinités tutélaires soient davantage mises en exergue.

En ce qui concerne les Artémis de Bargylia, Magnésie du Méandre et Cnide, il faut souligner le peu de témoignages que l’on possède sur leur culte antérieurs à l’accroissement d’honneurs dont elles ont fait l’objet. Cette lacune relève-t-elle du hasard de la transmission ou est-elle l’indice que ces divinités ont pris à ce moment une importance qu’elles n’avaient pas auparavant, même si elles semblent déjà bien établies, du moins pour Bargylia et Magnésie, dans leur rôle tutélaire ? En revendiquant une intervention salvatrice de ces Artémis et en leur assurant une large publicité par l’organisation de célébrations d’envergure auxquelles elles convient, le cas échéant, d’autres cités, ces communautés mettent en avant la puissance de leur déesse et la relation privilégiée qui les unit à elle. Ainsi, cette surenchère d’accroissements d’honneurs participe, dans une certaine mesure, à la construction de la divinité tutélaire, notamment à la face du monde extérieur. En effet, dans ce contexte de rivalités permanentes entre les cités, l’affirmation de l’identité est une préoccupation fondamentale, et cette affirmation passe notamment par les cultes et la spécificité des panthéons68. A ce titre, ce n’est pas un hasard si ces Artémis sont qualifiées d’une épiclèse particulière, rare, et qui renforce encore le lien privilégié entre divinité et cité. Le rapprochement des trois cas présentés ici, la chronologie des évènements, ainsi que la similitude dans la formulation des inscriptions du dossier permettent de supposer une influence de Magnésie sur les deux autres cités69. Par ailleurs, une volonté de démonstration caractérise très nettement le langage de ces décrets, dont les mesures consistent toujours à rendre la piété de la communauté plus évidente70. S’il semble y avoir eu une concordance entre les deux plans, intérieur et extérieur, dans la définition de la divinité tutélaire, du moins à Bargylia et à Magnésie, ce n’est pas toujours le cas. Par comparaison, à Cos, une distinction s’opère entre Asclépios, que la renommée du sanctuaire et les jeux panhelléniques des Asklēpíeia ont mis sur le devant de la scène internationale, et l’organisation interne du panthéon de la cité, où Zeus apparaît davantage comme une figure centrale71.

La tradition des divinités qui se manifestent pour protéger une communauté en danger est ancienne. L’évolution qui se fait jour à la période hellénistique semble résider moins dans la nouveauté de tels phénomènes que dans l’utilisation qui en est faite par les cités. Le dossier des épiphanies d’Artémis à Bargylia, à Magnésie du Méandre et à Cnide, dont les similitudes sont patentes, est représentatif de cette situation. Ces trois cités ont mis tout particulièrement la déesse en exergue, par la revendication d’une intervention providentielle de sa part et par la mise en œuvre d’un vaste programme de réorganisation du culte. L’« accroissement des honneurs » d’Artémis a ainsi donné lieu à une « reconfiguration » du panthéon de la cité et semble avoir contribué, du moins à Bargylia et à Magnésie, à la construction d’une figure tutélaire privilégiée. Si, comme on l’a vu, la notion de « tutélaire » peut s’avérer fluctuante, la divinité qui assume cette fonction est en l’occurrence celle qui, plus que tout autre, « veille aux intérêts de la cité, du territoire et de ses habitants », pour reprendre les termes d’un décret de Bargylia.

Par ailleurs, on observe que ces remaniements cultuels peuvent se placer sur deux plans différents. Les épiphanies d’Artémis à Magnésie du Méandre et à Cnide, la dimension internationale conférée aux célébrations et, pour la première, la demande d’asylie, jouent un rôle important dans l’affirmation de l’identité de la cité à la face du monde extérieur, en une période où s’intensifient les rivalités entre cités. Toutefois, à Magnésie, la mise en regard des célébrations panhelléniques des Leukophruēná et de celles, plus confidentielles, des Eisitḗria montre que l’accroissement des honneurs d’une divinité concerne également et avant tout les membres de la communauté qui l’ont mis en place. Le lien qui unit la déesse à la cité et ses habitants est également rendu explicite dans l’organisation de la panégyrie en l’honneur d’Artémis Kinduás à Bargylia. Ces deux exemples montrent que la dimension religieuse de tels « accroissements d’honneurs » ne doit pas être négligée au profit d’une interprétation qui serait purement politique.

Bibliographie

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1 Cet article est une version remaniée de la communication orale présentée au colloque FIGVRA 12 tenu à l’Université de Genève sur le thème « Perception des dieux, émotions, maîtrise rituelle : corps divins, corps humains » en mars 2011. Qu’il me soit permis de remercier vivement les organisateurs de leur invitation et les participants de leurs commentaires, particulièrement Nicole Belayche, Corinne Bonnet et Philippe Borgeaud. J’adresse également ma gratitude à Vinciane Pirenne-Delforge, pour sa relecture attentive et ses remarques toujours précieuses. Sauf indication contraire, les dates s’entendent avant notre ère. Les abréviations des corpus épigraphiques sont empruntées au Supplementum Epigraphicum Graecum.

2 I.Iasos 613 (c. 129-127) (I) ; Blümel 1995, p. 35-39 = SEG 45, 1508 (IIe-Ier s.) (II) ; Blümel 1997, p. 153-156 = SEG 45, 1508 (fin IIe-Ier s.) (III) ; Blümel 2000, p. 89-93 = SEG 50, 1101 (IIe-Ier s.) (IV). La chronologie relative des décrets est assez difficile à déterminer, hormis le fait que III et IV sont assurément postérieurs à II. Le dossier épigraphique concernant la fête d’Artémis Kinduás a été récemment repris, traduit et commenté dans l’ouvrage de Deshours 2011, p. 261-275. Sur cette fête, voir également le commentaire de Zimmermann 2000, qui n’a pu prendre en compte le décret n°IV, publié simultanément.

3 I.Priene 47, 1. 16-17. Remarquons toutefois que peu d’inscriptions bargyliètes sont antérieures à cette date.

4 Sur les monnaies de Bargylia représentant Artémis Kinduás, voir Head 1897, p. 71-73 ; Laumonier 1958, p. 604-606 ; Jucker 1967, p. 133-145 ; Fleischer 1973, p. 223-225 ; Weiser 1985, p. 181-185.

5 ATL I, p. 244-245 ; 312-313 ; 474 ; 503. Elle disparaît des listes après 440, en même temps que d’autres cités cariennes. Sur Kindya, voir Flensted-Jensen 2004, p. 1122-1123 (s.v. Kindye).

6 Le site du sanctuaire a pu être identifié grâce à la découverte de fragments architectoniques et de deux inscriptions mentionnant la déesse (I.Iasos 613 et 628). Sur le site de Kindya, voir Paton & Myres 1896, p. 195-197 ; Bean & Cook 1957, p. 97-99. Les mentions épigraphiques du temple d’Artémis proviennent du décret II, 1. 27 et SEG 44, 868. Hormis celui bien connu de l’acropole d’Athènes, le nom de Parthénon est utilisé à plusieurs reprises pour qualifier un temple ou un édifice à fonction cultuelle à Magnésie du Méandre, à Apollonia de la Sabalkè, à Cyzique, à Hermione et à Xanthos. Voir Bousquet & Gauthier 1994, p. 358, n. 5, pour les références à ces occurrences. Le nom de « Parthénon » ne signifie pas le « temple de la Vierge », mais aurait plutôt désigné à l’origine à une maison de parthénoi, comme l’a montré Reinach 1908, p. 499-513.

7 Kildara : Blümel 1989, p. 10-11, n° 3 ; Cos : Iscr. Cos EF 216, 332 et 362.

8 I, 1. 7-8 : προενόησεν δὲ καὶ περὶ τῆς πομπῆς [---ὡς κάλλιστα ἐπιτε]|λεῖσθαι ; 1. 8-9 : [τῶν] | ἀναθημάτων καὶ τῶν ἄλλων τῶν α[----]. Sur l’offrande de la biche en argent, dont la consécration était accompagnée d’un sacrifice, voir II, 1. 16-25.

9 IV, 1. 1-11 : [---] χρόνοις ὁ δῆμος διὰ τὰς γ̣ινομένας ἐπιφα[νείας τὰς] ὑπὸ τ̣ῆ̣ς̣ Ἀ[ρτέ] μ̣[ιδος τῆς] | [Κινδυ]άδος ἐψηφίσατο περὶ τῶν ἄλλων τιμῶν καὶ ἐνδόξων καὶ περὶ τῆς π[ανη]|[γύρεως] σπεύδων ἐπισημοτέραν αὐτὴν ποιῆσαι καὶ ἐπέταξεν τῶι τε ἱερεῖ τῆς Ἀρτέ|[μιδ]ος τῆς Κινδυάδος καὶ κοινῆι τοῖς πρυτάνεσιν ἔτι δὲ καὶ τῶι στεφανηφόρωι καὶ ἑκά|[στω]ι τῶν νεωποιῶν καὶ τῶι ἀγωνοθέτηι λαμβάνουσιν ἀπὸ τῶν ἱερῶν χρημάτων ἀναγ|[3-4] βουτροφεῖν καὶ πομπεύσαντας καταθύειν τῆι προγεγραμμένηι θεᾶι· ἐξ ὧν συμ̣|[βέ]βηκεν τοῦ τε δήμου [τὴ]ν προαίρεσιν καὶ εὐχαριστίαν τὴν εἰς τὸ θεῖον καὶ ἐν τούτοις ἐκφα|[ν]εστέραν γεγονέναι· ἥ τε πομπὴ καὶ αἱ θυσίαι ἐπισημότεραι γεγόνασιν τῆι Ἀρτέμιδι· νῦν | τε καθήκει τῶι δήμωι συναύξειν τὰ τίμια αὐτῆς διὰ τὸ τὴν τε πόλιν καὶ τὴν χώραν ἐν τῆι | καλλίστηι εἶναι διαθέσει προνοούσης αὐτῆς τῶν τε κοινῶν τῆς πόλεως πραγμάτων καὶ τῶ̣[ν] | κατ᾿ ἰδία{ι}ν ἑκάστου βίου τῶν κατοικούντων τήν τε πόλιν καὶ τὴν χώραν.

10 Cf. Jacquemin 1991, p. 98.

11 Sur la dokimasie des animaux sacrificiels, procédé bien attesté dans les sources littéraires et épigraphiques, voir Gauthier 1984 ; Feyel 2006 ; Feyel 2009, p. 303-334.

12 Sur la participation des métèques, voir III et Deshours 2011, p. 272-275. Le décret IV ajoute dans la liste des magistrats boutróphoi les chréophylaques, les agoranomes et leur secrétaire, les stratèges, l’épimélète des cérémonies sacrées, les trésoriers, le secrétaire du Conseil, le gymnasiarque, le sous-gymnasiarque et le pédonome.

13 Selon le décret II, 1. 6-8, ce sont les juges de l’euandría des tribus qui sont responsables de l’évaluation des boutróphoi. On peut donc supposer que ce concours de prestance prenait place également lors de la panégyrie en l’honneur d’Artémis. Dans le décret IV, ces juges sont remplacés par les panégyriarques, ce qui laisse supposer soit que le concours de l’euandría avait disparu, soit que le rôle de juges avait naturellement été attribué à ces derniers, dont la fonction était probablement une innovation puisqu’elle n’est pas mentionnée dans les décrets précédents. Sur le concours de l’euandría, voir Crowther 1991, p. 301-304 ; Gauthier & Hatzopoulos 1993, p. 102-104.

14 I, 1. 2-5 : ἐ[πειδή ἐν τῶι πολέμωι πολλῶν καὶ μεγάλων] | περιστάντων κινδύνων τήν τε πόλιν ἡμῶν καὶ [τὴν χώραν, ὁ δῆμος, διὰ τὴν τῆς Ἀρτέμιδος] | ἐπιφάνειαν τήν τε πάτριον αὐτονομ[ίαν διέσωσε καὶ εἰς τὴν ἐξ ἀρχῆς] | παρεγενήθη κατάστασιν.

15 I.Stratonikeia 512 (IIe-Ier s.), 1. 4-11 : ὁ δῆμος (…) διεσώθη ἐ|κ τῶν κινδύνων καὶ ἐκ τοῦ περιστάντος αὐτὸν καιροῦ, | καὶ ἐλεύθερος καὶ αὐτόνομος ἐγένετο καὶ τῶν με|γίστων ἀγαθῶν κύριος κατεστάθη, τῆς Ἑκάτης | ἐν πᾶσι τούτοις συνπαρισταμένης αὐτῶι. Cf. Robert 1937, p. 461-462.

16 Sur la révolte d’Aristonicos, voir Brun 2004. L’identification avait été suggérée en premier par Robert 1937, p. 464-465.

17 Voir le document de fondation, I.Magnesia 16, édition revue par Ebert 1982 (cf. Rigsby 1996, n° 66), 1. 4-10 : [ἐπειδὴ δὲ | ὑστε]ρ̣̣ὸν ἐπιφαινομένης αὐτοῖς Ἀρτέμι[δος] Λε[υκοφρυηνῆς ἔπεμ|ψα]ν̣ Ἀγάριστον̣ χρηστηριάζει τάδε πρὸς τὴν ἐρώ[τησιν αὐτῶν· | λώ]ϊον εἶμεν καὶ ἄμεινον τοῖς σε[β]ομένοις Ἀπ[όλλωνα Πύθι|ο]ν̣ καὶἌρτεμιν Λευκοφρυηνὴν καὶ τὰ[μ] π[όλιν καὶ τὰν | χ]ώ̣ραν τὰμ Μαγνήτων τῶν ἐπὶ Μαιάνδρ[ο]υ [ἱερὰν καὶ ἄσυ|λ]ον νομιζόντοις· « Attendu que, après qu’Artémis Leukophruēnḗ se fut manifestée à eux, ils ont envoyé Agaristos, l’oracle suivant a été proclamé (en réponse) à leur question : qu’il soit mieux et encore mieux pour ceux qui honorent Apollon Púthios et Artémis Leukophruēnḗ de reconnaître la cité et le territoire de Magnésie du Méandre comme sacrés et inviolables. » La chronologie des évènements est problématique et a été beaucoup débattue. Selon la reconstitution généralement admise (Kern 1901, Rigsby 1996, p. 180-185), une première tentative de reconnaissance de l’asylie aurait été lancée sans succès en 221/0, puis renouvelée en 208, où elle aurait obtenu cette fois une réponse positive. L’hypothèse a toutefois été récemment contestée par Sosin 2009, selon lequel il n’y aurait pas eu de tentative en 221, mais seulement en 208. Sur les Leukophruēná de Magnésie, voir également Gehrke 2001, p. 287-297 ; Slater, Summa 2006 ; Thonemann 2007.

18 Le dossier a été commodément rassemblé par RigSBy 1996, p. 179-279.

19 A titre d’exemple, dans cette réponse de Chalcis : καὶ τὸ ψήφισμα ἀποδόντες καὶ ἀπολογισάμενοι | τήν τε τῆς θεᾶς ἐ̣πιφάνειαν καὶ τὰς γεγενημένας | ὑπὸ τῆς πατρίδος εὐχρηστίας εἰς τοὺς Ἕλληνας | παρεκάλουν ἀποδεξαμέ̣ νους τοὺς πολίτας συναύ|ξειν τὰς ἐψ[ηφ]ισμένας τιμὰς τῆι Ἀρτέμιδι τῆι Λευκο|φρυηνῆι (I.Magnesia 47, 1. 12-17). Sur l’épiphanie d’Artémis Leukophruēnḗ et particulièrement l’affichage des décrets dans l’agora comme manifestation pérenne de la présence divine, voir Platt 2011, p. 151-154.

20 LSAM 33A. Sur la datation de l’inscription d’après la reconstruction du temple, voir Dunand 1978, p. 201-202 ; 210 (n. 6).

21 LSAM 33B (seconde moitié du IIe s.), notamment l’inscription du premier décret sur le portique nord (l. 16-24). Les deux inscriptions ont été récemment reprises, traduites et commentées par Deshours 2011, p. 197-208. Sur les célébrations des Eisitḗria, voir en outre Dunand 1978.

22 θείας ἐπιπνοίας καὶ παραστάσεως γενομένης τῶι σύνπαντι πλήθει | τοῦ πολιτεύματος ἐς τὴν ἀποκατάστασιν τοῦ ναοῦ (l. 12-13).

23 τῶν ὑπ᾿ αὐτῆς γεγενημένων τε καὶ γινο[μένων διὰ] | παντὸς εἰς τὸ πλῆθος ἡμων εὐεργεσιῶν (l. 8-9).

24 Les deux célébrations ne sont pas systématiquement rapprochées dans la recherche moderne, mais voir Laumonier 1958, p. 530-532 ; Dunand 1978, p. 206-207 ; Dunand 2003, p. 109-110 ; Lupu 2005, p. 107.

25 Rigsby 1996, p. 183-184. L’épiclèse Nikḗphoros accolée au nom d’Artémis dans le second décret sur les Eisitḗria pourrait de même faire référence à une intervention de la déesse en période de conflit, par une influence de l’Athéna Nikḗphoros de Pergame, qui avait amené de « nombreux et grands succès » (IG XII 4, 251). L’épiclèse a été mise en relation avec la victoire de Magnésie sur Milet en 196 (Dunand 1978, p. 210 [n. 6], en supposant alors une datation plus haute de l’inscription) ou bien avec la fin de la guerre d’Aristonicos (Syll.3 p. 297-298, n. 17 et Deshours 2011, p. 205).

26 Ce programme de réorganisation s’est également étendu à d’autres cultes, comme celui de Zeus Sōsípolis (LSAM 32, 197/6).

27 Voir notamment Dunand 1978 ; Chaniotis 1995, p. 152 ; Mikalson 2006, p. 217.

28 Le décret a été retrouvé à Cos, avec la réponse de cette cité à l’invitation : IG XII 4, 166, 1. 1-9 (=I.Knidos 220) : ἐπειδή [τοῦ ἁμοῦ | δ]άμου δ̣[ιὰ π]αντὸς ἀποδεικνυμένου τὰν ὑπάρ[χουσαν | αὐ]τῶι διὰ προγόνων ποτὶ τὸ θεῖον εὐσέβει[αν, καὶ τὰν πᾶ|σα]ν̣ σπουδὰν καὶ φιλοτιμίαν ποιουμένου περὶ ̣ [τᾶς ἐπαυξή|σιο]ς τᾶν τιμᾶν τᾶς Ἀρτάμιτος τᾶς Ἱακυνθ[οτρόφου, | κα]ὶ τὰς θυσίας καὶ ἀφικετείας καὶ πομπὰς [συντετε|λε]κ̣ότος διὰ τὰς γεγενημένας ὑπ’ αὐτᾶ[ς ἐπιφανεί|ας], καὶ διὰ ταῦτα ποταγορεύσαντος αὐτὰν̣ [θεὸν Ἐπιφα|νῆ], καὶ θυσίαν καὶ ἀγῶνας συντελεῖν τᾶι θ[εῶι κατὰ πεν|τα]ε̣τηρίδα μουσικόν τε καὶ γυμνικόν, καὶ τ[οὺς ὑπάρχον|τας] αὐτῷ φίλους καὶ συμμάχους μετέχειν [τᾶς θυσίας καὶ | τῶν] ἀγώνων καλῶς ἔχειν ἔκρινε διαπρεσ̣[βευσάμενος ποτ᾿ | αὐτ]ούς. Voir également la réponse de Delphes : F.Delphes III 1, 308.

29 IG XII 4, 166, 1. 30 et 37. Voir également I.Knidos 171 (1ère moitié du IIe s.) ; I.Knidos 59 (Auguste). Sur la relation avec Philippe V, voir Rigsby 1975. Sur l’Artémis Hyakinthotróphos, voir en outre Pugliese Carratelli 1987.

30 Pritchett 1979, p. 11-46 ; Chaniotis 2005, p. 157-160 ; Wheeler 2004.

31 Pausanias X, 23 ; Justin XXIV, 8, 4-9.

32 Sur les Sōtḗria, voir Nachtergael 1977.

33 IG XII 4, 68. Les sacrifices des citoyens de Cos à Delphes ne s’inséraient pourtant pas, comme on l’a cru, dans le cadre des Sōtḗria, dont l’instauration était plus tardive, mais plutôt lors de la célébration des Púthia de 278/7, pour laquelle les théores étaient déjà en route lors de la rédaction du décret. Voir sur ce point Nachtergael 1977, p. 295-296 et Paul [à paraître].

34 Garbrah 1986.

35 I.Stratonikeia 512.

36 I.Stratonikeia 507.

37 I.Stratonikeia 10. Voir également Roussel 1931 et, dernièrement, Belayche 2009.

38 τοῖς οὔτως ἐπιφανεστάτοις θεοῖς : I.Stratonikeia 1101 (= LSAM 69).

39 Parmi les plus importantes, on citera : Pfister 1924 ; Lührmann 1971 ; Speyer 1980 ; et la récente étude de Platt 2011, part. p. 147-169 pour les épiphanies transmises par les inscriptions de l’époque hellénistique.

40 Pour une interprétation « rationnelle » du phénomène des apparitions divines collectives dans l’Antiquité, voir récemment Graf 2004 ; Herman 2011.

41 Sur la signification de l’epipháneia, on renverra aux réflexions de Versnel 1987.

42 Robert 1937, p. 460-461, avait déjà souligné la récurrence des épiphanies divines en Carie. Voir également Nilsson 19612 ; Chaniotis 2005, p. 158.

43 Cette vision de la religion hellénistique est problématisée notamment par Mikalson 2006. Cf. Versnel 1998.

44 La multiplication des épiphanies est ainsi, selon Nilsson 19612, p. 227, caractéristique des changements survenus à la période hellénistique. Dunand 2003, p. 101, interprète la fréquence des apparitions divines comme l’une des « manifestations d’une piété plus “personnelle” », même si elle porte un jugement généralement très nuancé sur la question de l’évolution de la religion à cette période. Sur la prétendue recherche d’une relation personnelle avec le divin, voir Festugière 1954, p. 39-41, dont le fondement se trouve selon lui dans les incertitudes et dangers permanents de l’époque.

45 C’est le constat qui s’impose par exemple à l’issue de l’étude des cultes de Cos, dont la vitalité, pour les cultes dits « traditionnels » de la cité, est bien attestée jusqu’au Ier siècle, et n’a en rien été menacée par l’apparition de nouvelles divinités : Paul [à paraître].

46 Parmi ces études, on pourra citer Stewart 1977 ; Graf 1995 ; Shipley 2000, part. p. 153 ; Mikalson 1998, p. 315-323 ; Mikalson 2006. Sur la religion de la période hellénistique, voir également l’ouvrage récent de Deshours 2011, où sont distinguées, à la suite des études de L. Robert et Ph. Gauthier, la haute période hellénistique et la basse période hellénistique (cf. p. 31-83).

47 Ainsi, les épiphanies divines en contexte militaire sont loin d’être un phénomène nouveau. V. Cuche a repéré dans sa thèse de doctorat pas moins de trente-et-une batailles de l’époque classique dans lesquelles est attestée une intervention divine : Cuche 2010.

48 Bargylia : IV, 1. 9 : καθήκει τῶι δήμωι συναύξειν τὰ τίμια αὐτῆς ; Magnésie : l’accroissement des honneurs d’Artémis Leukophruēnḗ se retrouve dans les réponses des cités à la demande d’asylie et dans le décret sur les Eisitḗria : ἵνα δὲ πάντες γινώσκωσιν ὡ[ς] | καθῆκόν ἐστιν ἐν τοῖς Εἰσιτηρίοις τὰς τῆς Ἀρτέμιδος συνεπαύξε[ιν] | τιμάς (LSAM 33B, 1. 24-26) ; Cnide : I.Knidos 220 : περὶ [τὰς ἐπαυξή|σιο]ς τᾶν τιμᾶν τᾶς Ἀρτάμιτιος τᾶς Ἱακυνθ[οτρόφου] (l. 4-5) ; ὅπως οὖν καὶ ὁ δᾶμος τὰν προαί[ρεσιν τὰν πο|τὶ τὰν θ]εὸν ἀποδεικνύμενος φαίνηται καὶ σ[υναύξωνται | αἱ τιμαὶ τ]ᾶς Ἀρτάμιτος (l. 13-15) ; IG XII 4, 166 : συναύξων τὰς ἐψαφισμένας ὑπ᾿ αὐτῶν [τι|μάς] (l. 47-48) ; τὰς τιμὰς | ἐπαύξοντας τᾶς Ἀρτάμιτος (l. 49-50). Si l’expression de l’accroissement des honneurs ne se trouve pas telle quelle dans les autres exemples d’épiphanies militaires cités plus haut, les conséquences de la constatation d’une manifestation divine sur l’organisation du culte sont tout aussi évidentes.

49 Ce dossier fera l’objet d’une étude ultérieure.

50 L’accroissement d’honneurs prend également la forme d’une augmentation du nombre de sacrifices dans le culte d’Aphrodite Pandâmos (IG XII 4, 302, 1. 15-20) et dans celui d’Héraclès Kalliníkos (IG XII 4, 320, 1. 27-31) à Cos.

51 On pourra citer la rénovation des Nikēphória en l’honneur d’Athéna par Eumène II à Pergame (IG XII 4, 251, 1. 11-15).

52 Sur le rôle de la répartition des timaí dans l’ordonnancement du monde, voir Rudhardt 1981. Sur les timaí des dieux, voir aussi récemment Jaillard 2005 ; Jaillard 2010 ; et le commentaire de Pironti 2008.

53 Un phénomène similaire s’observe à Stratonicée avec l’épiphanie de Zeus Panámaros, à la différence que l’épiphanie est ici utilisée en vue de légitimer un nouveau dieu, comme l’a bien montré Belayche 2009.

54 Sur ce concept, voir l’excellent article de Cole 1995, qui critique à juste titre le modèle d’identification établi par Brackertz 1976. On évitera sur son exemple la confusion dans les notions de « tutélaire » et de « poliade », cette dernière renvoyant aux divinités portant l’épiclèse Polieús ou Poliás, à savoir, quasi exclusivement, Zeus et Athéna. En effet, la divinité poliade au sens strict n’est pas systématiquement tutélaire, et inversement.

55 Comme le montre une rapide recherche sur l’épiclèse Sōtḗr ou Sōteîra, attribuée à un grand nombre de divinités.

56 Sur les témoignages numismatiques de Bargylia, voir supra, n. 4. La statue d’Artémis Kinduás à Bargylia était en outre réputée pour être le siège d’un prodige, puisque, bien que située dans une cella à ciel ouvert, ni la pluie, ni par la neige ne l’atteignaient (Polybe XVI, 12 ; Strabon XIV, 2, 20).

57 A l’exception d’Apollon, au culte duquel la stéphanéphorie éponyme, exercée par son prêtre à partir de la fin du IIe siècle, était attachée (I.Iasos 612, 1. 6-13).

58 Anthologia Lyrica Graeca, I2, 4, p. 160-161 (fr. 1). Cf. Kern 1901, p. 507.

59 Rubinstein 2004, p. 1080-1081 (s.v. Leukophrys).

60 Sur le titre d’ἀρχηγέτης/ις τῆς πόλεως, voir Brackertz 1976, p. 216-223.

61 Head 1892, p. 162-169 ; Fleischer 1973, p. 140-146. Elle y apparaît par son buste ou sa statue, parfois couronnée, à l’époque impériale, de deux Nikè qui font écho à son surnom de Nikḗphoros.

62 Pausanias I, 1, 3 : Κνίδιοι γὰρ τιμῶσιν Ἀφροδίτην μάλιστα.

63 Voir Head 1897, p. 84-97. Les monnaies représentent d’ailleurs la tête d’Aphrodite ornée d’un bandeau selon le type de la statue de Praxitèle. Cf. Delivorrias 1984, p. 49-52. Artémis est également représentée sur les monnaies de Cnide à quelques occasions, flanquée d’un arc sur l’épaule (n° 48-50, 72 [c. 300-190]).

64 Trois épiphanies d’Athéna sont relatées dans la chronique de Lindos, catalogue des offrandes prétendument conservées dans le sanctuaire d’Athéna Líndia : I.Lindos 2. Sur cette inscription, voir Higbie 2003 ; Massar 2006 ; Platt 2011, p. 161-169. Sur les autres exemples, voir supra.

65 Les inscriptions rapportent des épiphanies de Zeus Tropaîos, commémorées le 18 de chaque mois (I.Perg I 247, avant 133) et de Zeus Sabázios (I.Perg 248).

66 IG XII 4, 278 (mil. IVe s.). Cette dimension fédératrice est démontrée de manière particulièrement évidente dans la procédure de sélection de l’animal, qui fait intervenir les subdivisions civiques. Un seul bœuf sera choisi dans un troupeau qui peut en comporter au maximum trente-six, et représentera l’offrande commune de la cité.

67 Paul 2010 ; Paul [à paraître].

68 Sur le sens de la fête hellénistique comme moyen d’autoreprésentation, voir Chaniotis 1995.

69 Tandis que Magnésie avait sans aucun doute été inspirée par d’autres tentatives de la sorte, particulièrement le cas des Sōtḗria de Delphes : voir Platt 2011, p. 156-157.

70 L’emploi des dérivés de φαίνω dans ces décrets en est significative. Un exemple parmi bien d’autres : Bargylia, IV, 1. 6-8 : ἐξ ὧν συμ̣|[βε]β̣ηκεν τοῦ τε δήμου [τὴ ν προαίρεσιν καὶ εὐχαριστίαν τὴν εἰς τὸ θεῖον καὶ ἐν τούτοις ἐκφα|[ν]εστέραν γεγονέναι. Ainsi, comme l’a remarqué Platt 2011, p. 158-161, la notion de manifestion concerne non seulement la divinité, mais également la relation entre les cités.

71 Paul [à paraître].