La nympholepsie entre possession et paysage
Nous remercions Daniel Barbu de nous avoir fait connaître ce texte, qui n’a pas seulement été une lecture agréable, mais aussi une précieuse source de réflexion.
Ces Néréides de nos campagnes sont innocentes et mauvaises comme la nature qui tantôt protège tantôt détruit l’homme. Les dieux et les déesses antiques sont bien morts, et les musées ne contiennent que leurs cadavres de marbre. Marguerite Yourcenar, L’homme qui a aimé les Néréides,
Nouvelles Orientales.
I. Entre corps et espace
Le côté sombre des Nymphes n’est pas inconnu à l’historien des religions : Roger Caillois en premier, dans trois articles parus en 1937 dans la Revue de l’Histoire des Religions, avait attiré l’attention sur l’aspect inquiétant de ces divinités, qui sont d’habitude considérées comme bienveillantes et affables, proches des mortels1. Sous la plume de ce savant éclectique, les Nymphes métamorphosent leur image traditionnelle : dépouillées de leur apparence aimable, elles dévoilent leur dangerosité, leur appartenance aux « démons de midi », des êtres malveillants qui apparaissent à l’heure méridienne et personnifient le péril de la chaleur et du soleil, particulièrement nuisible aux marins et aux bergers2. Entités féminines redoutables, comme le dit entre autres Théocrite, qui n’hésite pas à les désigner comme deinaí3, elles incarnent un érotisme périlleux, qui renverse les schémas sexuels habituels, en reléguant l’homme au rôle de proie facile et passive d’une féminité plurielle et agressive. C’est le mythe d’Hylas, enlevé et englouti dans une source par les Nymphes amoureuses de lui, qui illustre au mieux la menace représentée par ces personnages à travers une histoire où se croisent les thèmes de la sexualité, du rapt et de la mort4. A cette connotation effrayante des Nymphes dans la pensée grecque appartient de plein droit, selon Roger Caillois, le phénomène de la nympholepsie, c’est-à-dire l’état de possession prophétique causé par ces divinités, qui sont censées frapper leurs « victimes » – exclusivement masculines – en provoquant un état de folie, de perte de contrôle sur leur discours et leur corps. Le savant français interprétait par ailleurs les symptômes qu’il croyait pouvoir ramener à la nympholepsie (genoux fléchis, langue liée, impossibilité de marcher) comme la transposition au niveau mythique du coup de chaleur, de l’insolation, une hypothèse séduisante qui confirmait à ses yeux la nature de « démons de midi » de ces divinités, mais qui représente actuellement un des résultats les plus largement dépassés de son travail. Ce côté malveillant et dangereux des Nymphes a d’ailleurs connu un succès durable : ces figures sombres seraient en fait à l’origine des Néréides du folklore grec moderne, fées capricieuses et méchantes, qui tombent amoureuses de mortels qu’elles enlèvent en les rendant fous, ou en causant leur mort, comme cela arrive dans le récit de Marguerite Yourcenar cité en épigraphe5.
Après Roger Caillois, la nympholepsie ne devait longtemps rencontrer que relativement peu d’attention : parmi les contributions les plus remarquables, celle de Philippe Borgeaud a permis de situer ce phénomène religieux dans un système cultuel et mythique complexe, où elle s’articule d’une façon dynamique avec d’autres formes de possessions, notamment celles causées par le dieu Pan, inséparable compagnon des Nymphes, dans le cadre d’un panthéon qu’on pourrait définir « rustique », celui des divinités qui habitent l’espace en dehors de la ville6. Selon cette interprétation, le dieu bouc d’un côté et le chœur de jeunes filles divines de l’autre, agissent selon deux modèles opposés et complémentaires : si dans le cas de Pan, c’est le dieu qui fait irruption soudainement et violemment parmi les mortels, en provoquant avec son apparition terrifiante un état de paralysie et aphasie, la possession par les Nymphes apparait plutôt, surtout au niveau de la représentation mythique, comme le résultat d’une d’action séductrice, qui envoûte les victimes, les enlève et les transporte au loin7. Selon cette interprétation, il ne s’agit donc pas seulement de se focaliser sur les Nymphes, mais d’aborder plutôt la difficile tâche de comprendre les systèmes de relations religieuses dont elles font partie et à l’intérieur desquels elles agissent, ainsi que leurs modalités spécifiques d’actions.
Un autre courant critique s’est par ailleurs concentré sur l’importance de l’aspect cultuel, plus précisément sur les témoignages archéologiques que les cultes institués par les nympholeptes ont laissés, notamment dans les grottes de Vari en Attique, de Pharsale en Thessalie, et de Kafizin à Chypre, sur lesquelles nous auront l’occasion de revenir plus loin8. Dans un travail pionnier, Nicolas Himmelmann-Wildschütz s’est penché sur le cas du nympholepte Archédamos dans la grotte attique de Vari, en suggérant une sorte de divinisation de ce personnage après sa mort, motivée par son statut de possédé par les Nymphes9. Une trentaine d’années plus tard, Walter Robert Connor, grâce à une étude très soignée de la même grotte, nous a permis de comprendre encore plus clairement comment les rapports entre le nympholepte et la société s’articulaient à travers le medium du culte, grâce à l’utilisation de catégories d’analyse ressortissant du domaine de l’anthropologie culturelle10. Plus récemment, la nouvelle publication de la grotte de Vari par Günther Schörner et Hans Rupprecht Goette pourrait ouvrir de nouvelles pistes de recherche sur le nympholepte Archédamos grâce à une attentive réévaluation de la chronologie relative des témoignages du culte qui se sont succédés dans cet espace sacré, tout en confirmant essentiellement les intuitions précédentes11.
Il faut par contre considérer avec beaucoup de précaution les résultats de la monographie très récemment consacrée à la nympholepsie par Corinne Ondine Pache, qui malgré l’appréciable tentative de considérer à la fois les sources littéraires, épigraphiques et archéologiques, semble redéfinir et élargir la catégorie même de nympholepsie bien au-delà de ce que les sources antiques permettent, en cherchant à ramener ce phénomène religieux au thème mythologique et littéraire de l’amour entre une déesse et un mortel, un choix qui nous semble poser des difficultés méthodologiques non négligeables12.
La littérature critique a donc suivi deux fils rouges différents dans l’analyse du phénomène de la nympholepsie : d’un côté elle a choisi de se pencher sur le corps de la victime, altéré en son intérieur par l’intensité de la présence divine ; de l’autre de mettre en lumière la scène où la possession a lieu, c’est-à-dire les espaces en dehors de la ville, le plus souvent des grottes, où les cultes des nympholeptes ont laissé des traces archéologiques, mais aussi les sources d’eau, qui étaient considérées comme hantées par la présence des Nymphes. Pour notre part, nous nous proposons dans cette contribution d’aborder la question de la nympholepsie en réunissant ces deux éléments, le corps de la victime et l’espace du paysage, afin de montrer le rapport de résonnance qu’ils entretiennent. Il s’agit d’un point de vue légèrement différent de celui des savants précédents, ce qui nous permet – il nous semble – d’arriver à saisir une spécificité de la nympholepsie par rapport à d’autres formes de possessions, peut-être négligée jusqu’à présent. D’ailleurs, la création antique d’un terme spécifique – nympholepte (numphόlēptos) – pour indiquer cet état de possession13, semble déjà indiquer un certain degré d’élaboration culturelle et de fréquence de ce phénomène, qui est considéré comme une forme de théolepsie avec des caractéristiques propres. Dans cette perspective il faudra, de notre point de vue, reconsidérer les symptômes typiques de la nympholepsie en cherchant à les analyser à la lumière du paysage où elle se manifeste : en fait, comme on le verra, ce phénomène ne peut pas survenir en tout lieu indifféremment, mais seulement en des endroits particuliers où les Nymphes sont censées habiter, où leur présence se localise et se révèle. Nous nous proposons donc de montrer que le paysage ne représente pas seulement un arrière-plan, mais qu’il interagit dynamiquement avec la victime de la possession, en tant que véhicule de l’action divine.
II. Les déesses en paysage
Notre parcours commence au bord de l’Ilissos, au moment où Phèdre invite Socrate à chercher un lieu agréable où ils pourront lire confortablement le discours de Lysias sur l’amour. On découvre ainsi un endroit qui répond parfaitement au tópos du locus amoenus14 : il est midi, les cigales chantent, l’eau rafraîchissante du fleuve coule, et à l’ombre d’un platane, sur une douce pente, le maître et l’élève peuvent deviner que le lieu appartient aux Nymphes et à Pan, grâce à la présence d’objets votifs15. Cette description exemplaire constitue sans doute un défi périlleux pour l’interprète moderne : le fait que ce passage ait constitué un modèle littéraire pour les siècles à venir16, ne doit pas nous faire oublier qu’il avait aux yeux des Grecs des connotations culturelles précises. Retrouvons d’abord à travers le texte quel est son rapport à la possession.
« – Dis-moi, cher Phèdre, ne te semble-t-il pas, comme à moi, que je sois dans une disposition d’âme divine (theîon páthos) ? »
– « En effet, Socrate, cela ne t’est pas habituel : un flux d’éloquence (eúroia) t’emporte (eílēphen) ! »
– « Silence donc : écoute-moi. Car, en vérité, ce lieu paraît avoir quelque chose de divin (theîos), tellement que si dans la suite de mon discours, je deviens parfois nympholepte (numphόlēptos), ne t’étonne pas : je ne suis plus bien loin du ton dithyrambique. »17
Et plus loin :
[Socrate] : [scil. Les deux discours que j’ai prononcés] montrent comment l’homme qui connaît le vrai peut, en faisant de la parole un jeu, égarer son auditeur. Pour ma part, Phèdre, j’attribue cette chance aux dieux de cet endroit (toùs entopíous theoús). Peut-être aussi les interprètes (prophêtai) des Muses, les cigales qui chantent sur nos têtes, nous ont-elles envoyé cette heureuse inspiration (epipepneukόtes toûto tò géras). Quant à moi, je suis tout à fait étranger à l’art oratoire18.
Ce texte nous permet de faire d’emblée quelques observations sur le lien entre Nymphes et paysage. Un premier élément spécifique selon le texte que nous avons cité est représenté par le fait que cette possession se manifeste à l’intérieur d’un paysage particulier, signifié par la prairie ombragée par le platane au bord du fleuve Ilissos : le lieu où Socrate devient la proie de ces divinités est qualifié de divin (theîos), et l’inhabituelle éloquence acquise par le philosophe est toute de suite attribuée aux dieux « du lieu » (toùs entopíous theoús), c’est-à-dire aux Nymphes et à Pan, leur inséparable compagnon19. Le paysage habité par ces divinités représente évidemment l’élément médiateur qui déclenche l’état de possession du nympholepte20. On pourrait même envisager dans l’accent mis par Socrate sur cette influence du paysage, une sorte de palinodie ironique, étant donné qu’au début du dialogue le philosophe se présente comme quelqu’un qui ne sort jamais d’Athènes, en affirmant que « la campagne et les arbres ne veulent rien m’enseigner, tandis que les hommes de la ville, eux, ils le font »21. L’expérience vécue par Socrate aux bords de l’Ilissos semble donc constituer à certains regards une sorte de démenti à cette affirmation tranchante sur laquelle s’ouvre le dialogue. Quoi qu’il en soit, ce lien très fort qui unit les Nymphes à un paysage spécifique ne représente pas seulement un motif littéraire propre au texte de Platon, mais bien un élément enraciné dans la pensée grecque au niveau des pratiques rituelles : les nympholeptes « réels », documentés par l’épigraphie surtout dans les grottes, aiment par exemple souligner qu’ils adorent les Nymphes d’un endroit précis, comme nous aurons l’occasion de le répéter plus loin. C’est le cas par exemple, de Pantalkès, qui entre le Ve et le IVe s. av. n.è. aménage une grotte à Pharsale, où il vénère les Nymphes « qui se promènent dans ces lieux » (tônd’ epibainémenai khṓrōn)22. D’une façon similaire, un certain Onésagoras, qui entre 225 et 218 av. n.è. semble être le chef d’une confrérie d’hommes d’affaires dévots d’une Nymphe à Chypre, s’adresse avec obstination (à peu près 180 fois !) à la « Nymphe de la colline » (númphē epì tôi strόphingi)23. On ne manquera pas de relever que le plus souvent, les Nymphes n’ont même pas besoin d’un nom personnel, comme à Vari, où la divinité adorée par Archédamos dans la grotte reste anonyme : elle est tout simplement « la nymphe » qui a sa demeure (oîkos) dans l’antre24. A travers ces remarques il est peut-être déjà possible de suggérer que les Nymphes sont dans la pensée grecque des divinités véritablement « localisées » : le lieu où elles demeurent ou apparaissent constitue un élément essentiel de leur identité.
III. Voix prophétiques au bord de l’Ilissos
Revenons donc au bord de l’Ilissos. Quels sont les symptômes de l’inspiration nympholeptique décrits par Socrate et comment l’action des Nymphes est-elle perçue par le philosophe ? A en juger par l’épisode du Phèdre, le flux rapide et abondant de la parole, qui échappe à tout contrôle, est le premier indice de la présence des déesses.
N’as-tu pas senti, mon cher ami, que je prends le ton épique ? Je ne suis même plus au dithyrambe ! […] Sais-tu bien que les Nymphes, auxquelles tu m’as livré à dessein, vont certainement m’inspirer (hupò tôn Numphôn saphôs enthousiásō) ?25
Oh combien, à t’écouter, les Nymphes filles de l’Achélöos, et Pan, fils d’Hermès, sont plus doués pour l’art oratoire (tekhnikōtéras pròs lόgous), que Lysias, fils de Céphale !26
Socrate semble donc être traversé par un flux d’éloquence qui ne lui appartient pas, mais qui revient aux « dieux du lieu » : sa loquacité devient, pour ainsi dire, hypertrophique, mais s’exprime en même temps à travers des catégories poétiques, telles que l’épique ou le dithyrambe (épē, dithurámbous)27. Cette connotation de la voix nympholeptique n’est pas étonnante dans un dialogue où les thèmes de la poésie et de la rhétorique ont une telle importance28 : comme on l’a vu, le panthéon traditionnel de la nympholepsie, qui prévoit la présence des Nymphes et du dieu Pan, leur compagnon, est complété par Platon en ajoutant un troisième élément, les Muses, dont les cigales sont les porte-paroles29. Ces divinités semblent fournir, par leur présence, le medium linguistique – poétique – qui rend possible aux « dieux du lieu » de se manifester à travers un corps mortel. La parole nympholeptique est donc d’abord une parole poétique, au moins dans la représentation que met en scène le texte de Platon.
On ne manquera pas de constater que cette verbosité poétique nympholeptique glisse facilement en direction d’un état d’enthousiasme prophétique, comme le suggère par exemple le lexicographe Hésychius, qui glose le mot nympholeptes (numphόlēptoi) pour devins (mánteis)30. D’ailleurs, comme on le sait par d’autres témoignages, les nympholeptes pouvaient prononcer des oracles : c’est le cas du prophète Béotien Bakis, un nom éloquent, qui dérive du verbe bázein « parler », indiqué par la tradition antique comme un nympholepte et considéré comme l’auteur de vaticinations prémonitoires des événements des Guerres Médiques31. Ce personnage est probablement à mettre en connexion avec les Nymphes Sphragitídes, qui auraient autrefois proféré leurs vaticinations sur le mont Cithéron, en Béotie32, et rendu nympholeptes les habitants de la région, selon le témoignage de Plutarque33. La capacité prophétique des nympholeptes semble aussi confirmée par les témoignages épigraphiques : Onésagoras de Chypre, auquel nous avons déjà fait allusion, se définissait peut-être comme mantiárkhēs, donc comme un spécialiste de la divination34. On peut donc suggérer que le premier trait distinctif de la nympholepsie est une perte de contrôle de son propre discours, qui dépasse la mesure normale pour devenir inspiré et prophétique, marqué par l’utilisation de formes d’expression poétiques et d’un langage élevé.
Toutefois, on ne manquera pas de remarquer que rien dans le Phèdre, ne nous permet de voir en cet état une expérience négative, voir effrayante, comme les travaux de Roger Caillois le suggéreraient. Bien que bouleversante pour l’être humain, envahi par une force qui le dépasse, la possession est le signe d’une communication « positive » entre hommes et dieux. Il est très significatif à ce propos qu’Aristote mentionne les nympholeptes parmi les bienheureux (eudaímones), en témoignant de la sensation agréable qui devait accompagner cette expérience35. La mythologie savante des « démons de midi », qui voudrait voir dans les Nymphes des être prêts à prendre possession de leurs victimes pour les jeter dans un état pénible qui est près de la folie, semble donc être fondée sur l’ambiguïté et le caractère inquiétant propre de la notion moderne de « démons », qui ne reflète pas nécessairement la pensée antique d’époque classique. Comme on le verra il s’agit d’une conception qui trouve cependant des indices dans de textes plus tardifs, où le point de vue sur cette expérience a profondément changé36.
IV. Chant des cigales, bavardage des hommes
Dans le Phèdre, cette éloquence prophétique représente le résultat direct de l’influence des dieux du lieu sur Socrate, une influence qui s’exerce à travers l’environnement naturel. Il s’agit, bien entendu, d’une représentation littéraire, mais celle-ci devait toutefois être en rapport de cohérence avec les croyances antiques. Dans ce cadre, il y a un élément qui acquiert une importance assez considérable parce qu’il est censé inspirer directement Socrate en constituant l’élément pour ainsi dire actif du paysage : c’est évidemment le chant des cigales, ces cigales qui représentent, comme on l’a vu plus haut, les porte-paroles (prophêtai) des Muses37. Le choix de ces insectes n’est certainement pas fortuit : à l’intérieur du dialogue ceux-ci jouent en fait le rôle de modèle de la fonction médiatrice entre hommes et dieux, comme le met en lumière un autre passage du Phèdre, celui du célèbre mythe des cigales. C’est là que Socrate raconte à Phèdre que les Muses auraient transformé en insectes les hommes qui s’étaient laissés mourir de faim à cause de leur passion pour la musique et le chant :
Jadis les cigales étaient des hommes, de ceux qui existaient avant la naissance des Muses. Puis quand les Muses furent nées et qu’on eut la révélation du chant, il y en eut alors, parmi les hommes de ce temps, qui furent à ce point mis hors d’eux mêmes par le plaisir (exeplágēsan huph’ hēdonês), que de chanter leur fit omettre le manger et le boire, et qu’ils trépassèrent sans eux-mêmes s’en douter. Ce sont eux qui, à la suite de cela, ont été la souche de la gens cigale. Elle a des Muses reçu le privilège de n’avoir, une fois née, aucun besoin de se nourrir, et de se mettre cependant, estomac vide et gosier sec, toute de suite à chanter jusqu’à l’heure du trépas, et puis après d’aller trouver les Muses pour leur rapporter qui les honore d’ici bas et à laquelle d’entre elles va cet hommage38.
Les cigales semblent donc, avec leur chant, proposer un modèle d’inspiration : le singulier contraste qui fait qu’elles produisent leur voix puissante avec un corps minuscule qui selon la zoologie ancienne n’a aucun besoin de se nourrir, contribue en fait à construire l’image d’une pure voix sans corps, détachée du monde ordinaire, bonne à penser le rôle d’intermédiaire entre le monde divin et le monde humain39. Quelques observations encore nous permettent de mieux saisir les raisons qui pourraient expliquer pourquoi les cigales ont un rôle dans la représentation de la nympholepsie chez Platon. D’abord, ces insectes sont connus pour leur garrulité excessive, qui résonne dans un moment de la journée où tout se tait, le midi estival : cette logorrhée peut déjà facilement renvoyer à la loquacité nympholeptique. La tradition antique considère en fait les cigales comme des créatures animées par une vocalité répétitive qui est souvent comparée à l’écho, comme le montre l’épithète d’ēkhétai, qui leur est attribuée déjà dans la poésie archaïque40. Il ne nous échappera pas, soit dit en passant, que l’écho aussi est une forme d’émission sonore qui pour les anciens correspond, au fond, à une voix sans corps (celle de la nymphe Echo41 ), précisément de la même manière dans laquelle les cigales ne sont pour ainsi dire, que des voix pures, issues d’un corps qui ne demande pas à être nourri. On ne s’étonne pas qu’elles soient, en particulier chez les poètes comiques, une image bien connue pour désigner les bavards42.
Dans cette perspective, il sera très utile de constater que dans toute la tradition antique le chant de la cigale est une forme de bavardage exclusivement masculin, ce qui s’accorde bien avec le fait que les victimes de la nympholepsie, comme on l’a dit, ne sont que des hommes. Soit Aristote soit Elien affirment que ce ne sont que les mâles qui chantent, tandis que les femelles sont sans voix, silencieuses « comme des épouses pudiques », selon les paroles d’Elien43. Quant au poète comique Xénarque44, lui, il indique sans hésitation le mâle de la cigale comme le plus heureux des maris : comment cela d’ailleurs ne serait pas possible avec une épouse muette ?, se demande-t-il45. Qu’on ait affaire à une perception genrée du chant de la cigale est confirmé par des récits mythiques plus tardifs selon lesquels la voix de la cigale n’aurait à l’origine été autre que celle, plaintive, de Tithonos, le jeune homme enlevé par Eos, qui subit le mauvais sort d’avoir reçu le don de l’immortalité sans celui de la jeunesse éternelle. Face à la souffrance de son amant, dont le corps desséché par la vieillesse demeurait doué de parole, la déesse de l’Aurore l’aurait finalement transformé en cigale, insecte caractérisé par son chant intarissable46.
Selon cette représentation culturelle, la cigale, définie par une voix bavarde et masculine, constitue donc un bon référent symbolique pour penser le phénomène de la loquacité des nympholeptes. Si l’ensemble de notre analyse est correcte, on peut donc avancer l’hypothèse selon laquelle dans le Phèdre, l’influence du paysage dans le cadre de la possession s’exerce sous la forme d’une influence sonore, celle du chant des cigales : ce chant bavard et masculin, qui relie les deux mondes (une fonction prophétique justement), semble projeté dans le texte de Platon comme un modèle de la loquacité nympholeptique.
IV. Les rêves d’un nympholepte
La loquacité nympholeptique et ses rapports avec le paysage sonore, dans le Phèdre, ne sont pas le seul exemple de la relation entre nympholepsie et paysage. Un autre cas nous paraît intéressant, celui du lien entre l’inspiration nympholeptique et l’espace de la grotte où se manifeste un état léthargique de sommeil, ou une transe. D’autres sources antiques nous invitent en fait à voir un autre élément encore caractéristique de cette forme de possession dans l’alternance entre un état d’enthousiasme – celui de la loquacité excessive décrit par Platon – et une condition de léthargie où le possédé semble être « ailleurs », sans contact avec le monde qui l’entoure. Cette condition d’« éloignement » a parfois été exprimée par l’image de l’isolement du nympholepte dans une grotte, un espace sauvage, dominé par les figures des Nymphes.
A ce propos, l’histoire d’Epiménide le Crétois est très significative47. Epiménide, même s’il n’est pas défini comme nympholepte, présente toutefois dans certaines traditions des liens très forts avec les Nymphes, qui n’ont pas toujours été reconnus et suffisamment mis en lumière par les interprètes modernes48. Son histoire est bien connue : le jeune Epiménide, envoyé à la recherche d’une brebis dans l’espace ouvert de la campagne, fatigué par la chaleur du midi estival, se serait endormi dans une grotte de Crète. Il y serait demeuré en état de léthargie durant 57 ans. Enfin réveillé, on le découvre doué de capacités prophétiques, et il aurait ensuite vécu encore cent ans49. Dans ce cas, comme pour Socrate, le lieu où le jeune berger arrive par hasard joue un rôle important dans la modalité du contact avec les déesses, vu que l’état de sommeil dans la grotte constitue en fait une étape fondamentale dans l’acquisition de son pouvoir mantique50. La version de l’historien Théopompe nous intéresse plus particulièrement parce qu’elle met ce personnage en relation explicite avec les Nymphes. Dans cette version, Epiménide, une fois réveillé, aurait commencé à construire un temple pour les Nymphes, quand une voix du ciel lui intima un ordre : « Construis-le pour Zeus et non pour les Nymphes »51. Théopompe semble donc connaître (et refuser en même temps) une version selon laquelle Epiménide aurait reçu le don divinatoire après la sortie d’un état de torpeur ou de sommeil placé sous le signe des Nymphes, ce qui ne nous étonne guère en considération du fait que ce prodige a lieu dans une grotte52, demeure naturelle de ces divinités et de leur culte dans toute la tradition religieuse grecque à partir de l’Odyssée53. A bien regarder, l’élément du sommeil n’est pas non plus étranger à la description du Phèdre : le chant des cigales a évidemment aux yeux de Socrate, des pouvoirs presque hypnotiques, au point que le philosophe le compare à celui des Sirènes54. La condition de nympholepte d’Epiménide s’enrichit de nouveaux détails grâce à la notice du grammairien Démétrios de Magnésie qui à son tour attribuait l’extraordinaire longévité d’Epiménide à une nourriture merveilleuse que les Nymphes lui aurait offerte et qui lui aurait permis d’atteindre un âge si remarquable sans que personne ne le voie jamais manger55. Cette forme d’alimentation, comparable à l’absence de nourriture chez les cigales, nous renvoie encore au rôle d’intermédiaire du devin entre les deux mondes, assuré par un régime alimentaire spécial. Les mêmes éléments donc – endroit particulier, sommeil, présence des Nymphes – reviennent et forment le cadre cohérent d’une possession prophétique qui, en même temps, présente des ressemblances frappantes avec l’inspiration poétique56.
V. Paysages de l’âme
L’alternance, chez le nympholepte, entre état de logorrhée d’un côté et état de sommeil de l’autre, connaît une longue histoire : elle est encore attestée dans une source très tardive, un traité de Synésios de Cyrène, Les Egyptiens ou de la providence écrit entre l’année 400 et 402 de notre ère. Il s’agit d’un texte qu’il faut considérer avec précaution et qui n’a jamais été pris en considération jusqu’à ajourd’hui dans les études sur la nympholepsie, probablement en raison de son caractère de « divertissement » sophistique et de son époque très tardive. Toutefois, plusieurs éléments nous incitent à l’accueillir parmi nos sources : d’abord l’utilisation du terme numpholḗptos, qui apparaît très rarement dans la langue grecque57, ensuite le fait que le texte présente des développements inédits qui évidemment ne sont pas dérivés du passage du Phèdre. Il convient d’observer de plus près ce curieux traité, et plus précisément un passage qui décrit la folie de Typhon en train de présider un tribunal où il accuse injustement les citoyens, en rapprochant cette folie du comportement des nympholeptes.
Souvent en effet, quand il était occupé à accomplir quelque violence ou que, le jugement égaré, il tombait en d’étranges soupçons, au point de ressembler aux possédés par les Nymphes, et soutenait obstinément son opinion au sujet de l’« obscurité de Delphes », alors l’homme en danger était sauvé, et il n’était plus question de lui. Ou bien il était accablé d’un sommeil léthargique et de lourdeurs de tête pendant un certain temps, au point qu’il perdait conscience de ce qu’il avait dans l’esprit. Ensuite, lorsqu’il reprenait possession de lui, même ainsi le souvenir du passé récent s’était écoulé. Il chicanait les membres de l’administration sur le nombre de grains de blé que contient le médimne, ou sur le nombre de cyathe contenus dans le conge, en faisant preuve d’une vivacité d’esprit remarquable et hors de propos. Parfois le sommeil ravissait la victime au danger en s’abattant très opportunément sur Typhon, et ce dernier serait tombé de son siège sur la tête si quelque serviteur, lâchant son flambeau, ne l’avait soutenu. Ainsi, plus d’une fois, une veillée tragique finit en comédie58.
Dans cette représentation, le schéma d’alternance entre bavardage excessif et état de transe demeure le même que dans les sources plus anciennes que nous avons considérées jusqu’à présent, mais trop de distance temporelle s’interpose entre ces récits pour que l’on puisse se contenter de relever de ressemblances apparentes sans chercher à expliquer les nombreuses différences qui distinguent ces représentations de la nympholepsie. Il est d’abord évident que Synésios nous offre le cadre d’une nympholepsie « négative », renversée par rapport à la représentation donnée par Platon. La parole de Typhon, loin d’être inspirée et divinatoire, devient au contraire une verbosité inutile et sans aucune signification, celle d’un fou, selon une caractérisation qui est assez proche de la représentation de la nympholepsie donnée par Roger Caillois59. Il convient de souligner que le thème qui constitue le point focal de notre enquête, l’influence du paysage sur le possédé, est complètement absent de ce texte tardif.
Par contre, la nympholepsie semble avoir été réinterprétée par Synésios comme une véritable maladie, un ensemble de symptômes médicaux, un mal-être pathologique qui se cache à l’intérieur du corps humain : la combinaison d’un état d’enthousiasme et d’une condition de torpeur, dont on a déjà reconnu la présence au cours de l’analyse précédente, renvoie en fait chez Synésios à la description des symptômes typiques d’un excès de bile noire60. L’alternance entre enthousiasme et léthargie chez les mélancoliques est en fait un des loci communes de cette maladie : « si [la bile noire] est en quantité excessive dans le corps elle a pour conséquence des apoplexies, des assoupissements, des dépressions, ou des frayeurs, et si elle est surchauffée, elle a pour effet des accès d’euphorie accompagnés de chants, des transports extatiques »61. Plus particulièrement, l’échauffement de la bile chez les mélancoliques peut causer la même attitude logorrhéique que nous avons observé dans la nympholepsie, même si les textes médicaux et philosophiques antiques ne la considèrent pas comme la preuve d’une intervention divine, mais bien au contraire comme une parole troublée, diminuée et affaiblie par le mauvais mélange des humeurs. L’expression des mélancoliques est en fait, dans ce contexte, une parole éminemment négative : ces malades parlent beaucoup, trop vite, et sont donc particulièrement exposés à des troubles de l’expression verbale, comme le prouve le fait que ils bégaient souvent62.
Cette logorrhée n’est d’ailleurs qu’un effet secondaire de l’échauffement de la bile noire, qui rend les mélancoliques particulièrement exposés à des épisodes hallucinatoires63 : en voulant raconter leurs visions multiples et variées, leur parole n’arrive pas à les suivre, mais se bute contre l’obstacle représenté par une imagination excessive64. Nous ne serons dès lors pas étonnés de remarquer que cet état psychique altéré par des visions étrangement vives, puisse coïncider avec le moment du sommeil, précisément comme on l’a observé pour la transe / sommeil des nympholeptes. C’est surtout en rêve que l’imagination des mélancoliques se déchaine : « la nuit on crie et on hurle, quand le cerveau s’échauffe subitement. Cela arrive aux bilieux (kholṓdees), mais non aux flegmatiques. Le cerveau s’échauffe aussi quand le sang y parvient en abondance et y bouillonne ; le sang afflue en abondance par les vaisseaux mentionnés précédemment, quand l’homme se trouve voir un rêve effrayant (enúpnion phoberón) et qu’il est à la peine »65. Mais les nuits agitées des mélancoliques n’ont pas complètement perdu, même dans les textes scientifiques, leur lien avec le domaine religieux de la divination et de la possession. De la littérature médicale il ressort bien que l’opinion commune considère les rêves des mélancoliques comme prophétiques : « Des hommes tout à fait simples sont capable de prévoir en effet et voient distinctement l’avenir dans leurs rêves ; ce n’est pas un dieu qui leur envoie ces visions, mais chez tous ceux dont la nature se présente comme si elle était bavarde et mélancolique, on trouve des visions variées. En effet, parce qu’ils éprouvent des émotions nombreuses et diverses, ils rencontrent des représentations semblables à la réalité, réussissant en cela comme quelques personnes qui jouent à pair »66. De manière plus générale d’ailleurs, tous les mélancoliques sont considérés comme particulièrement enclins à avoir un tempérament prophétique, selon ce qu’affirme Aristote67.
Revenons donc à la représentation de Typhon nympholepte chez Synésios : il nous semble que cette description, tout en gardant le même schéma d’alternance que nous avons observé à l’époque classique, est nourrie par des éléments symptomatologiques qui proviennent de la caractérisation de la mélancolie dans la pensée médicale antique, dans une période où le phénomène de la possession par les Nymphes, comme on le rencontre chez Platon, devait être probablement très affaibli ou estompé, peut-être réduit à un pur souvenir littéraire. La ligne de continuité très subtile qui court d’Epiménide à Typhon, pourrait retrouver son anneau de conjonction dans la figure du mélancolique et se déployer ainsi dans les territoires de la pensée médicale antique68. On aurait donc affaire en ce cas là à un vrai processus de traduction d’un phénomène religieux, à travers différentes époques, contextes culturels et typologies textuelles sensiblement différentes à l’intérieur de la pensée grecque. Dans ces passages multiples, qu’on ne peut saisir qu’en partie, la figure du nympholepte a pu converger avec celle du mélancolique et, en même temps, l’influence du paysage naturel sur le possédé se serait de plus en plus intériorisée, cédant la place à l’effet des humeurs internes au corps.
VI. Construire la demeure des nymphes
Jusqu’à présent, notre attention a été retenue par des sources littéraires à travers lesquelles nous avons délimité le cadre d’un imaginaire assez complexe élaboré autour du phénomène de la nympholepsie et plus particulièrement sur ses interactions avec le paysage où elle a lieu. Nous nous demandons maintenant s’il est possible de retracer le même fil rouge dans les témoignages archéologiques et épigraphiques que les cultes des nympholeptes ont laissés. Nous ne serons pas étonnés de remarquer que l’attention au paysage demeure dans ce dossier un élément essentiel, toutefois décliné avec des nuances sensiblement différentes et complémentaires par rapport aux sources littéraires. Comme on le verra, dans la perspective des nympholeptes « réels », il ne s’agit apparemment pas de subir l’influence d’un paysage, mais de modifier, transformer, manipuler l’environnement naturel en certains endroits particuliers, notamment des grottes, afin de construire un vrai paysage religieux69. On pourrait d’ailleurs avancer l’hypothèse que, à travers son travail, le nympholepte construit un endroit qui crée des conditions favorables à ses états de transe70. Toutefois, cette suggestion, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas soutenue par une réflexion présente dans les sources antiques : c’est plutôt le thème de la « connotation » d’un espace comme demeure des divinités qui nous semble être mis en évidence.
Cela nous semble ressortir explicitement de l’analyse de la grotte de Vari, en Attique, aménagée pour les cultes des Nymphes par un certain Archédamos, provenant de Théra, dans la deuxième moitié du Ve s. av. n.è., plus probablement entre 450 et 425 environ71. Il n’est pas inutile de remarquer que dans le cadre des cultes référés au phénomène de la nympholepsie (notamment Pantalkès à Pharsale et Onésagoras à Chypre72 ), il est le seul qui soit explicitement défini comme nympholepte par le matériel épigraphique : dans ce cas, on peut donc être sûrs d’avoir affaire à quelqu’un qui était considéré et probablement se considérait lui-même comme possédé par les Nymphes. La grotte de Vari est composée de deux grands espaces reliés par des marches et des passages sculptés dans le rocher ; elle présente tout au long des niches et des bancs où l’on déposait probablement des offrandes73. Le premier espace, au Nord, montre à l’entrée des inscriptions qui se réfèrent à l’activité d’Archédamos et est dominé par un basin qui devait recueillir l’eau d’une source, aujourd’hui desséchée, au fond de la grotte. Dans un deuxième espace, au Sud, on trouve une représentation d’Archédamos lui-même, identifié par des inscriptions, qui le montre avec ses outils de travail, une pioche et un marteau (ou peut-être une équerre). On s’est demandé si cette représentation a été faite par Archédamos même74, ou bien s’il s’agit d’une représentation postérieure qui héroïse le nympholepte en tant que possédé75. Plus haut, vers la sortie de la grotte, on peut encore voir la statue d’une figure assise et actuellement acéphale, interprétée le plus souvent comme l’image de culte d’une Nymphe76, devant laquelle trouve place un omphalos sculpté. Un autel sur la droite et un petit édicule plus en haut dédié à Pan, édicule qui contenait peut-être une statue, complètent le cadre. Voyons de plus près comment l’action d’Archédamos est représentée par les inscriptions gravées dans la grotte :
Archédemos de Théra, le nympholepte, a aménagé la grotte selon les instructions des Nymphes77.
Archédamos de Thèra a fait pousser un jardin pour les Nymphes.
Archédamos de Thèra et kholonodokheste78 a construit une maison pour la Nymphe79.
Dans ce corpus de textes, Archédamos est donc présenté (ou se présente lui même, si c’est lui qui écrit) comme celui qui a aménagé l’antre en suivant les instructions reçues par les Nymphes, dans un rapport de communication direct et exclusif avec les divinités. Le possédé semble être investi de l’autorité nécessaire pour intervenir dans la grotte par le statut que lui confère son rapport privilégié aux divinités : on se plaît à imaginer que l’objet même de la représentation religieuse qui avait lieu dans la grotte, a pu être d’abord le lien privilégié entre le nympholepte et les déesses, mis en scène devant les yeux d’une communauté religieuse. En fait, même s’il semble qu’on ait affaire ici à un culte exclusivement privé, il faut remarquer que le sanctuaire aménagé par Archédamos a connu un certain succès longtemps après sa mort, à en juger par les reliefs, les objets votifs et les inscriptions d’époques successives. La présence d’une communauté cultuelle de référence peut donc être supposée, comme d’ailleurs le laissent à entendre l’autel (peut-être crée par Archédamos lui-même) et les bassins pour la purification, qui ont pu être utilisés pour de rites prénuptiaux80.
En ce qui concerne l’œuvre d’Archédamos, les inscriptions nous montrent qu’elle s’est concentrée sur deux éléments essentiels. Il s’agit de la construction d’une demeure pour une Nymphe (au singulier), et d’un jardin pour les Nymphes (au pluriel). Considérons d’abord le premier élément. Il faut en premier lieu remarquer que cette construction n’est pas représentée comme une entreprise ex nihilo, mais plutôt comme l’aménagement d’un espace naturel déjà existant, ce que démontre l’utilisation du verbe exergázein, qui signifie « compléter, aboutir » sur la base de quelque chose qui existe déjà81 : Archédamos a en fait créé son lieu de culte en transformant la grotte (ántron) en maison (oîkos) pour la déesse. Il est possible que la statue ait joué un rôle non négligeable dans la « prise de possession » de l’espace par la divinité : à vrai dire, il n’est pas commun de retrouver des statues de culte dans les grottes où le culte des nymphes était pratiqué. Toutefois, la chronologie est trop incertaine pour affirmer qu’elle soit l’œuvre du nympholepte, et l’identification avec la Nymphe n’est pas sûre, bien que probable. On remarquera surtout que le thème du travail est aussi central dans la représentation d’Archédamos qui se trouve dans la salle inférieure : ce bas-relief met en évidence les outils de travail en tant qu’éléments qui marquent fortement l’identité du nympholepte82. Pour que la grotte puisse devenir la demeure de la déesse donc, l’action de transformation opérée par l’homme paraît avoir constitué une étape indispensable.
Cela – il est utile de le souligner – représente une exception par rapport aux autres grottes où le culte des Nymphes est en général pratiqué sans presque toucher à la structure de l’espace naturel83. Il est intéressant de remarquer ici que si la nympholepsie littéraire met l’accent sur l’influence que le paysage habité par les Nymphes exerce sur le possédé, de son côté Archédamos, nympholepte « réel », souligne l’exceptionnalité de son travail sur le paysage. Ce travail a pour but de rendre un espace naturel bon à être habité par les divinités. On ne peut pas s’empêcher de voir une certaine complémentarité entre ces deux interprétations de la nympholepsie, qui pourraient être d’ailleurs considérées comme la double lecture du même phénomène, selon un regard de l’extérieur ou une perspective interne. Dans le premier cas, l’attention semble porter sur l’influence de l’environnement sur le corps du possédé, altéré par la présence divine en son intérieur : dans ce contexte, un parallélisme très étroit s’établit entre le corps du nympholepte, qui devient dans une certaine mesure la demeure des déesses et le paysage divin qui l’entoure, habité et altéré lui aussi, par la présence divine. De l’autre côté, en adoptant pour ainsi dire la perspective « du nympholepte », il s’agirait au contraire de souligner l’action de transformation de l’espace opérée par le possédé. C’est le thème de la « connotation » d’un espace naturel, qui est mis en évidence par l’aménagement de la grotte de Vari : cette attitude du possédé envers l’espace naturel nous semble constituer un élément nécessaire de la mise en scène de la possession nympholeptique. Il faut rendre visible aux yeux de la communauté religieuse à laquelle il se réfère, le caractère extraordinaire d’un certain endroit, que le déclenchement même de la possession indique comme habité par les Nymphes.
VII. Jardins et jardiniers
Le thème de la création d’un paysage sacré réalisé par un travail exceptionnel sur l’espace naturel est aussi présent dans les textes relatifs à un autre personnage, qui a été souvent désigné par la critique comme un nympholepte84. Il s’agit d’un certain Pantalkès, qui aménage une grotte à Pharsale, en Thessalie : même si l’interprétation de ce personnage comme dévot des Nymphes ne semble pas complètement convaincante, un des textes retrouvés dans l’antre, qui remonte au IVe s. av. n.è., demeure pour nous un parallèle intéressant aux inscriptions d’Archédamos. Selon la datation proposée par le dernier éditeur, Jean-Claude Decourt, cette inscription n’a pas été rédigée par Pantalkès, mais par un deuxième auteur qui écrit au moins une cinquantaine d’années après lui. Celui-ci aurait composé un nouveau texte avec le but de mettre en valeur le caractère vénérable du culte et d’intégrer une dédicace plus antique, qui serait attribuable à Pantalkès et qui fait référence à un érgon et à un laurier offerts « aux déesses »85. Voyons ce texte de plus près :
Dieu.
Réjouissez-vous visiteurs, femmes et hommes, époux et épouses, comme garçons et filles, vous qui venez en un lieu consacré aux Nymphes, à Pan et à Hermès, au seigneur Apollon, à Héraclès et à [ses] compagnes, vous qui venez à la grotte de Chiron, d’Asclépios et d’Hygie. Ceci leur appartient, seigneur Pan, ces offrandes très saintes en ce lieu, plantes, tableaux, statues et dons nombreux. Les Nymphes qui se promènent en ce lieu, ont fait de Pantalkès un homme de bien, et l’en ont institué le gardien, lui qui fit ces plantations et y mit toute la peine de ses mains, et elles lui donnèrent en échange une vie très opulente pendant tous ces jours. Héraclès lui donna vigueur, courage, force : en taillant ces rochers, il les fit monter. Apollon, son fils et Hermès lui donnent pour tout son âge santé et vie brillante, Pan, rire, bonne chère et insolence maitrisée par la justice (húbrin te dikaían). Chiron lui donna d’être sage et bon chanteur. Eh bien, montez avec des bons auspices, sacrifiez à Pan, priez – le, réjouissez-vous : là se trouvent oubli (?) de tous les maux, part de bonheur et fin (?) de la guerre. »86
Le panthéon privé de Pantalkès est sans doute beaucoup plus riche que celui de son collègue Archédamos : les Nymphes y font en fait leur apparition parmi bien d’autres divinités, typiquement thessaliennes87. Toutefois, il est évident qu’elles jouent dans l’inscription un rôle de premier plan : ce sont elles en fait, qui ont conféré à Pantalkès l’autorité nécessaire pour entreprendre les travaux, assumer la tâche de surveiller la grotte, gérer les offrandes, faire pousser des plantes. Dans ce cas aussi, l’attention est portée sur l’effort physique remarquable que l’aménagement de la grotte a demandé. Héraclès en personne a donné à Pantalkès la force nécessaire à achever le travail, et à déplacer les pierres pour ouvrir un chemin qui monte jusqu’à l’antre. Le travail du Thessalien a été indispensable pour transformer la grotte en lieu de culte : sans son travail, les visiteurs n’auraient pas pu arriver jusqu’au sommet ni effectuer les pratiques rituelles du sacrifice et de la prière. Ici il est très évident que cet effort a été fait pour instituer un culte, c’est-à-dire pour que les visiteurs auxquels il s’adresse au début de l’inscription puissent arriver à l’antre pour « sacrifier, prier, passer des moments agréables », une préoccupation qui pour Archédamos restait, pour ainsi dire, plus implicite. On doit probablement imaginer à Pharsale un cadre semblable à celui représenté par Ménandre dans le Dyskolos, où la grotte des Nymphes et de Pan constitue un élément central88. De plus, dans la grotte de Pharsale, l’aménagement de l’espace concerne plutôt l’extérieur de la grotte : le but de l’action du probable nympholepte est de rendre accessible l’antre pour les pratiques du culte, sans toucher à l’intérieur. Toutefois, en ce qui concerne l’extérieur de l’antre, on peut souligner qu’un élément déjà entrevu à Vari revient avec insistance en Thessalie : il s’agit des plantes qui accompagnent le culte des déesses. Dans les inscriptions attiques, c’est un jardin, du type verger (kêpos) qui est mentionné89, tandis que Pantalkès semble avoir introduit une végétation abondante quelque part près de la grotte, mais les termes employés sont plus génériques (émphuta, ephúteuse)90. Aussi bien pour Archédamos, que pour Pantalkès en tout cas, la végétation représente un élément essentiel du paysage demandé par les Nymphes : d’une certaine manière, pour ainsi dire, le rapport des deux nympholeptes avec ces divinités se présente sous la forme du « jardinage », avec l’installation et l’entretien d’un jardin91. Le jardin (kêpos) représente d’ailleurs, comme l’a bien montré Claude Calame92, un espace largement érotisé qui renvoie très clairement à la sphère du mariage présidée et incarnée par la figure des Nymphes93. Il serait cependant difficile de voir dans le rapport entre le nympholepte et les Nymphes, une relation érotique94 : rien dans le matériel parvenu jusqu’à nous permet de le penser. Au contraire, il sera très intéressant de souligner que dans le culte institué à Kafizin (Chypre) par Onésagoras entre 225 et 218 av. n.è., la Nymphe de la colline à laquelle le nympholepte s’adresse pour le compte d’une sorte de confrérie d’éleveurs et de cultivateurs dont il fait partie, est toujours appelée « fille » et « sœur »95. Ces épithètes laissent entrevoir une proximité très stricte entre les Nymphes et leur possédé, qui implique un rapport presque familial d’affection, mais pas une relation érotique. La proposition de nuancer fortement l’idée d’un jardin comme scène de l’amour entre le possédé et sa Nymphe, ne signifie toutefois pas qu’il faudrait réduire l’importance de l’élément de la végétation dans le culte des Nymphes. Il y a en fait un lien très étroit dans la pensée grecque : déjà l’Hymne homérique à Aphrodite décrit ces êtres comme des créatures dont la vie est étroitement liée à celle de leur arbre, l’élément qui constitue le point de référence de leur existence non seulement d’un point de vue temporel (la durée de vie des Nymphes correspond à celle de la plante), mais aussi d’un point de vue spatial, en tant qu’équivalent visible de leur existence96. Nous suggérons de voir dans l’activité de « jardinage » entreprise par les nympholeptes, un autre moyen à travers lequel ils se proposent de matérialiser la présence des Nymphes dans le paysage, d’une façon probablement comparable à la consécration d’une statue de culte pour une autre divinité. Il s’agit d’une mise en scène rituelle qui permet au nympholepte de présentifier les divinités en se présentant en même temps comme le créateur et l’organisateur de l’espace sacré.
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1 Caillois 1937 a ; Caillois 1937 b (qui traite plus particulièrement des Nymphes) ; Caillois 1937 c.
2 Pour une analyse de la méthodologie de Roger Caillois et sur l’utilisation de la catégorie de « démons » voir Borgeaud 2000.
3 Théocrite XIII, 44.
4 Pour l’histoire d’Hylas les loci classici sont Apollonius de Rhodes I, 1207-1239 ; Théocrite XIII ; Argonautiques Orphiques 639-657. Sur le mythe d’Hylas en générale, voir Sourvinou-Inwood 2005 (sur les Nymphes plus particulièrement p. 103-118) ; sur les rapports entre nympholepsie et nymphomanie, voir Stewart 1985.
5 Sur les Néréides v. Stewart 1985 et Braccini 2012, p. 51-57.
6 Borgeaud 1979, p. 159-191.
7 La traduction de cet état d’enlèvement et stupeur est représentée sur le plan physique par l’apoplexie, cf. Borgeaud 1979, p. 177-189.
8 On trouvera aussi une excellente synthèse des différents cultes des Nymphes de la Grèce ancienne dans Larson 2001, pour les cultes dans les grottes notamment p. 227-258.
9 Himmelmann-Wildschütz 1957.
10 Connor 1988.
11 Schörner & Goette 2004, sur les inscriptions relatives à Archédamos voir p. 42-59, sur le culte p. 111-119. Le choix de mettre en évidence dans le titre la figure de Pan, sans faire référence aux Nymphes, demeure toutefois assez discutable.
12 Pache 2011, pour les cultes des nympholeptes voir notamment p. 37-70, 155-181. Pour les problématiques soulevées par cette étude, cf. aussi le compte rendu de Jim 2011.
13 L’adjectif numphόlēptos, bien que rarement utilisé, est attesté soit dans une inscription de la fin du Ve s. av. n.è. dans la grotte de Vari (IG I3 980, 2-3) soit dans des sources littéraires à partir du IVe s. (notamment chez Platon, Phèdre 238 d 1 ; Aristote, Ethique à Eudème 1214 a 23 ; Plutarque, Aristide 11, 4 ; Philostrate, Vie d’Apollonius 2, 37 ; les autres attestations se trouvent dans des citations de Platon ou des commentaires de son œuvre).
14 Sur les implications philosophiques du paysage du Phèdre, cf. Ferrari 1987, p. 1-25.
15 Platon, Phèdre 230 b-e.
16 La description du paysage au bord de l’Ilissos dans le Phèdre était déjà considérée comme un modèle à imiter dans l’antiquité, ce que montre Plutarque, Sur l’amour 749 a, traduction de Robert Flacelière dans Cuvigny & Flacelière 1980 : « [il faut] supprimer de ton récit, pour cette fois, les prairies et les ombrages des poètes, et aussi leurs entrelacs de lierre ou de liseron, enfin toutes ces descriptions de paysages par lesquelles certains auteurs, avec plus de zèle que de bonheur s’efforcent à emprunter à Platon et de s’approprier de son Ilissos, son fameux agnus castus, et ce gazon qui pousse sur une pente doucement inclinée… ».
17 Platon, Phèdre 238 c-d, trad. Vicaire 2002. – Ἀτάρ, ὦ φίλε Φαῖδρε, δοκῶ τι σοί, ὥσπερ ἐμαυτῷ, θεῖον πάθος πεπονθέναι ; – Πάνυ μὲν οὖν, ὦ Σώκρατες, παρὰ τὸ εἰωθὸς εὔροιά τίς σε εἴληφεν. – Σιγῇ τοίνυν μου ἄκουε. τῷ ὄντι γὰρ θεῖος ἔοικεν ὁ τόπος εἶναι, ὥστε ἐὰν ἄρα πολλάκις νυμφόληπτος προϊόντος τοῦ λόγου γένωμαι, μὴ θαυμάσῃς τὰ νῦν γὰρ οὐκέτι πόρρω διθυράμβων φθέγγομαι.
18 Platon, Phèdre 262 c-d, trad. Vicaire 2002. Καὶ μὴν κατὰ τύχην γέ τινα, ὡς ἔοικεν, ἐρρηθήτην τὼ λόγω ἔχοντέ τι παράδειγμα, ὡς ἂν ὁ εἰδὼς τὸ ἀληθὲς προσπαίζων ἐν λόγοις παράγοι τοὺς ἀκούοντας. καὶ ἔγωγε, ὦ Φαῖδρε, αἰτιῶμαι τοὺς ἐντοπίους θεούς ἴσως δὲ καὶ οἱ τῶν Μουσῶν προφῆται οἱ ὑπὲρ κεφαλῆς ᾠδοὶ ἐπιπεπνευκότες ἂν ἡμῖν εἶεν τοῦτο τὸ γέρας οὐ γάρ που ἔγωγε τέχνης τινὸς τοῦ λέγειν μέτοχος.
19 Sur la combinaison des Nymphes et Pan dans une « mythologie efficace de la possession » cf. Bouvier 2011.
20 Cf. sur ce point l’analyse très utile de Pache 2011, p. 38-43.
21 Platon, Phèdre 230 d-e, trad. Vicaire 2002.
22 Pour l’inscription de Pantalkès, cf. Borgeaud 1993 ; Decourt 1995, inscriptions n° 72 et 73, p. 88-94 (= SEG 1, 247 et 248).
23 Pour cette interprétation de l’expression έπὶ τῷ στρόφιγγι, cf. Mitford 1950 et Mitford 1979.
24 Sur le symbolisme de l’oîkos dans les inscriptions de Vari, cf. Connor 1988, p. 180.
25 Platon, Phèdre 241 e, trad. Vicaire 2002. Οὐκ ᾔσθου, ὦ μακάριε, ὅτι ἤδη ἔπη φθέγγομαι ἀλλ’οὐκέτι διθυράμβους, καὶ ταῦτα ψέγων ; ἐὰν δ’ἐπαινεῖν τὸν ἕτερον ἄρξωμαι, τί με οἴει ποιήσειν ; ἆρ’ οἶσθ’ ὅτι ὑπὸ τῶν Νυμφῶν, αἷς με σὺ προύβαλες ἐκ προνοίας, σαφῶς ἐνθουσιάσω ;.
26 Platon, Phèdre 263 d, trad. Vicaire 2002. Φεῦ, ὅσῳ λέγεις τεχνικωτέρας Νύμφας τὰς Ἀχελῴου καὶ Πᾶνα τὸν Ἑρμοῦ Λυσίου τοῦ Κεφάλου πρὸς λόγους εἶναι.
27 La tendance à utiliser un langage poétique a été remarquée aussi dans les inscriptions qui décrivent l’installation du culte des Nymphes par Archédamos à Vari, comme le constate Connor 1988, p. 172-173. Toutefois on ne peut pas affirmer avec certitude que les inscriptions aient été gravées par Archédamos même ou à un moment successif.
28 Phèdre même est défini par Socrate philόmusos ánḗr (258 e), tandis que le philosophe se dit philόlogos (236 e 5).
29 Platon, Phèdre 262 e ; cf. supra par. II.
30 Hésychius, s.v. νυμφόλημπτοι οἱ κατεχόμενοι Νύμφαις. μάντεις δέ εἰσι καὶ ἐπιθειαστικοί. « Nympholeptes. Les possédés par les Nymphes. Ils sont devins et inspirés » (trad. personelle). Sur le lien entre Nymphes et don prophétique voir l’article très récent et bien documenté de Dalmon 2012 (nous remercions l’auteur, qui nous a permis de lire son travail avant la publication).
31 Pausanias X, 12, 11, trad. personnelle : « On dit que les hommes qui ont fait des prédictions sont le Cypriote Euclous, Musée fils d’Antiophémos, qui était Athénien, et Lycus, fils de Pandion, ainsi que le Béotien Bakis, qui était inspiré par les Nymphes ». Cf. Hérodote VIII, 20, 77, 96 ; IX 43 sur l’importance de ses prédictions concernant les Guerres Médiques.
32 Pausanias IX, 3, 9, trad. personnelle : « Sous le sommet où ils érigent cet autel, en descendant environ quinze stades, il y a l’antre des Nymphes Cithéronides, nommé Sphragidion ; on dit que ces nymphes y rendaient autrefois des oracles ».
33 Plutarque, Aristide 11, 4, trad. Hartog & Ozanam 2001 : « L’antre des Nymphes Sphragitides est situé sur une des éminences du Cithéron qui fait face à l’endroit où le soleil se couche en été ; il s’y trouvait autrefois, dit-on, un oracle, et beaucoup d’habitants du pays étaient possédés : on les nommait nympholeptes ».
34 Le rôle de mantiárkhēs est suggérée à partir de la lecture μα ̣ζιαρχήσαντος faite par Mitford 1980, inscription n° 258 b, p. 195-196 ; pour les aspects phonétiques et linguistiques de cette inscription voir Masson 1981, en part. p. 641.
35 Aristote, Ethique à Eudème 1214 a 23.
36 V. infra par. IV et V. Cf. Borgeaud 2000.
37 Platon, Phèdre 262 e, cf. supra par. II.
38 Platon, Phèdre 259 b-c, trad. Vicaire 2002. λέγεται δ’ ὥς ποτ’ ἦσαν οὗτοι ἄνθρωποι τῶν πρὶν Μούσας γεγονέναι, γενομένων δὲ Μουσῶν καὶ φανείσης ᾠδῆς οὕτως ἄρα τινὲς τῶν τότε ἐξεπλάγησαν ὑφ’ ἡδονῆς, ὥστε ᾄδοντες ἠμέλησαν σίτων τε καὶ ποτῶν, καὶ ἔλαθον τελευτήσαντες αὑτούς ἐξ ὧν τὸ τεττίγων γένος μετ’ ἐκεῖνο φύεται, γέρας τοῦτο παρὰ Μουσῶν λαβόν, μηδὲν τροφῆς δεῖσθαι γενόμενον, ἀλλ’ ἄσιτόν τε καὶ ἄποτον εὐθὺς ᾄδειν, ἕως ἂν τελευτήσῃ, καὶ μετὰ ταῦτα ἐλθὸν παρὰ Μούσας ἀπαγγέλλειν τίς τίνα αὐτῶν τιμᾷ τῶν ἐνθάδε.
39 Pour les Anciens les cigales sont des êtres qui ne mangent pas, ou bien aux quels il ne faut que de la rosée pour vivre (Aristote, Histoire des animaux IV, 532 b 10-13 ; Pline l’Ancien XI, 93, 5-7). Pour la cigale dans la zoologie ancienne, Davies & Kathirithamby 1986, p. 113-149 et Fabbro 1999.
40 Hésiode, Travaux 582-588, trad. Mazon 1996 : « Quand fleurit le chardon et quand la cigale bruyante (ēkhéta téttix), perchée sur un arbre, répand au battement de ses ailes, sa sonore chanson, dans les jours pesants de l’été, alors les chèvres sont plus grasses, le vin meilleur, et les femmes les plus ardentes et les hommes les plus mous. Sirius leur brûle la tête et les genoux, la chaleur leur sèche la peau » ; cf. Aristophane, Paix 1159-1160 ; Oiseaux 1095-6.
41 Borgeaud 1979, p. 145 sqq. Sur l’écho dans l’antiquité cf. aussi Bonadeo 2003.
42 Beta 2004, p. 92-93 cite les poètes comiques Théopompe, PCG VII, fr. 41 ; Aristophon, PCG IV, fr. 10, 6-7 « La cigale supporte la chaleur étouffante et bavarde à midi ». Hésychius enfin (s.v. κατακριδεύσει) nous atteste le verbe katakridéuein « bavarder comme des cigales ». Pour une lecture anthropologique des voix des animaux en Grèce ancienne, v. Bettini 2008.
43 Aristote, Histoire des Animaux V, 556 b 11-12 « Dans les deux variété les cigales qui chantent sont les mâles, les autres sont les femelles » ; Elien, La nature des animaux I, 2 « La cigale femelle est muette (áphonos) et elle a l’air de se taire comme une jeune mariée (númphē) pudique ».
44 Xénarque, PCG VII, fr. 14.
45 D’ailleurs, le nom personnel Téttix (cigale) tout en étant un substantif de genre féminin, est utilisé en prévalence comme anthroponyme masculin, comme Masson 1986 l’a remarqué dans une étude fondamentale sur les sobriquets formés à partir des noms d’animaux.
46 Sur le mythe de Tithonos métamorphosée en cigale, cf. King 1986 ; Seagal 1986 ; Brillante 1987.
47 Sur Epiménide, cf. Dodds 1977, p. 145-151 ; Detienne 1981 p. 129-131 ; Mele & Tortorelli Ghidini 2001 ; Brillante 2004 ; Jaillard 2011.
48 Une importante exception est constituée par Brillante 2004, p. 31.
49 Les principales sources antiques sur Epiménide sont Diogène Laërce I, 109-115 ; Apollonios, Histoire Merveilleuse 1 (= Giannini 1966, p. 120) ; Pausanias I, 14, 4 ; Pline l’Ancien VII, 175.
50 Jaillard 2011, p. 292-295.
51 Diogène Laërce I, 115, trad. Goulet-Caze 1999 : « Théopompe [= FGrHist 115 F 69] dans ses Récits Merveilleux, dit qu’alors qu’il construisait le sanctuaire (tò hierόn) des Nymphes, une voix surgit du ciel disant : « Epiménide, ne construis pas de sanctuaire pour les Nymphes, mais pour Zeus ». Timée le mentionne également dans son deuxième livre [= FGrHist 566 F 4] ».
52 Pour une autre histoire de sommeil/mort apparente dans une grotte, mais sans l’intervention des Nymphes cf. Pseudo-Aristote, Sur les histoires merveilleuses 838 b 30-839 a 1 et Timée, FGrHist 566 F 58.
53 Homère, Odyssée XIII, 102-112.
54 Platon, Phèdre 258 e6-259 b3. Le souvenir du sommeil causé par le chant des cigales, reviendra aussi chez Horace, Satires II 3, 14-15, cf. Mesturini 1993.
55 Diogène Laërce I, 114, trad. Goulet-Caze 1999 : « Démétrios cependant aurait dit que certains rapportent qu’il reçut des Nymphes une nourriture particulière et qu’il la conserva dans un sabot de bœuf. En prenant de cette nourriture un tout petit peu à la fois, il ne rejetait aucun excrément et paraissait ne jamais manger ».
56 Cf. Jaillard 2011, p. 296-300.
57 Cf. supra n. 13.
58 Synésios, Les Egyptiens I, 4, 2, trad. Aujoulat 2008. πολλάκις γὰρ ὢν πρὸς αὐτῷ δὴ τῷ δρᾶσαι δεινόν, ἢ παρενεχθεὶς τὴν γνώμην εἰς ἀλλοκότους ὑπονοίας ἐξέπιπτεν, ὥστε ἐοικέναι τοῖς νυμφολήπτοις, περὶ τῆς ἐν Δελφοῖς σκιᾶς ἐρρωμένως διατεινόμενος ἐν τούτῳ δὲ ὁ κινδυνεύων ἐσῴζετο, περὶ οὗ μηδεὶς ἔτι λόγος ἐγίνετο ἢ ληθάργῳ συνείχετο καὶ καρηβαρὴς ἦν ἐπὶ χρόνον τινά, ὥστε ἀπεῖναι τῶν ἐν οἷς εἴη τὸν νοῦν. εἶτα ἀγείραντος ἑαυτόν, ἐρρυήκειμὲν καὶ ὣς ἡ μνήμη τῶν ἔναγχος ὁ δὲ ἐζυγομάχει πρὸς τοὺς ἐπὶ τῶν διοικήσεων περὶ τοῦ πόσους ὁ μέδιμνος ἔχει πυρούς, καὶ πόσους κυάθους ὁ χοῦς, περιττήν τινα καὶ ἄτοπον ἀγχίνοιαν ἐνδεικνύμενος. ἤδη δέ ποτε καὶ ὕπνος ἀφείλετο συμφορᾶς ἄνθρωπον, ἐπιπεσὼν Τυφῶνι μάλα εὐκαίρως, καὶ κατὰ τῆς καθέδρας ἦν ἂν ἐπὶ κεφαλὴν ὤσας, εἰ μή τις ὑπηρέτης μεθεὶς τὴν λαμπάδα ὑπήρειδεν. οὕτω πολλάκις τραγικὴ παννυχὶς εἰς κωμῳδίαν ἀπετελεύτησεν.
59 Il est d’ailleurs possible que ce passage di Synésios cache une référence à un autre passage du Phèdre (230 a 1-6), où Socrate, juste avant d’arriver au locus amoenus, fait allusion à Typhon, comme exemple mythologique négatif de complexité, tortuosité et orgueil.
60 Cf. Lerza 1986. Sur l’histoire de la mélancolie cf. Starobinski 1960, ainsi que le recueil désormais classique de Klibansky, Panofsky & Saxl 1989.
61 Aristote, Problèmes XXX, 954 a 21-26, trad. Louis 1991-1994.
62 Aristote, Problèmes XI, 903 b 19-26 : « Pourquoi les bègues sont mélancoliques ? ».
63 Aristote, Problèmes XI, 903 b 19-26, trad. Louis 1991-1994, légèrement modifiée : « Pourquoi les bègues sont mélancoliques ? Est-ce parce que être mélancolique c’est suivre toute de suite son imagination (phantasía), et que les bègues en font autant ? Car chez eux le désir de parler précède la possibilité de le faire, parce que l’âme suit trop vite ce qui lui paraît à faire ».
64 Aristote, De la divination dans le sommeil 464 a32-b1, trad. Mugnier 1965 : « Quant aux mélancoliques, à cause de la violence de leurs sensations, ils atteignent facilement le but, comme s’ils tiraient de loin ; et à cause de leur mobilité, ils imaginent rapidement ce qui va suivre ».
65 Hippocrate, La maladie Sacrée 18, trad. Jouanna 2003. Ἐκ νυκτῶν δὲ βοᾷ καὶ κέκραγεν, ὁκόταν ἐξαπίνης ὁ ἐγκέφαλος διαθερμαίνηται τοῦτο δὲ πάσχουσιν οἱ χολώδεες, οἱ φλεγματώδεες δὲ οὔ διαθερμαίνεται δὲ καὶ ἐπὴν τὸ αἷμα ἐπέλθῃ πουλὺ ἐπὶ τὸν ἐγκέφαλον καὶ ἐπιζέσῃ. Ἔρχεται δὲ κατὰ τὰς φλέβας πουλὺ τὰς προειρημένας, ὁκόταν τυγχάνῃ ὥνθρωπος ὁρέων ἐνύπνιον φοβερὸν καὶ ἐν τῷ φόβῳ ἔῃ.
66 Aristote, De la divination dans le sommeil 463 b 15-20, trad. Mugnier 1965. πάνυ γὰρ εὐτελεῖς ἄνθρωποι προορατικοί εἰσι καὶ εὐθυόνειροι, ὡς οὐ θεοῦ πέμποντος, ἀλλ’ ὅσων ὥσπερ ἂν εἰ λάλος ἡ φύσις ἐστὶ καὶ μελαγχολική, παντοδαπὰς ὄψεις ὁρῶσιν διὰ γὰρ τὸ πολλὰ καὶ παντοδαπὰ κινεῖσθαι ἐπιτυγχάνουσιν ὁμοίοις θεωρήμασιν, ἐπιτυχεῖς ὄντες ἐν τούτοις ὥσπερ ἔνιοι ἀρτιάζοντες
67 Aristote, Problèmes XXX, 954 a 32-34. Il est très significatif de remarquer que parmi les prophètes cités dans ce passage, Aristote mentionne aussi le Béotien Bakis (cf. supra par. III) au pluriel, à côté des Sybilles, comme s’il s’agissait d’une catégorie de possédés par des divinités.
68 Le voisinage entre nympholepsie et mélancolie a été d’une certaine façon suggéré aussi par Caillois 1937 c, p. 168-172 à travers l’intermédiaire de l’acedia. Il est aussi possible que le nympholepte Archédamos ait été défini ou se soit défini lui même bilieux dans une des inscriptions retrouvées dans la grotte de Vari, comme le suggère Connor 1988, p. 171-173 (cf. infra par. VI).
69 Selon Pache 2011, p. 38 « nympholepts memorialize their encounter with the divine and transform the landscape ».
70 Ustinova 2009, p. 61-64.
71 Pour la chronologie des cultes pratiqués dans la grotte cf. Schörner & Goette 2004, notamment p. 42-59 sur les inscriptions.
72 Pour le premier voir Mitford 1980 ; pour Pantalkès cf. supra n. 19.
73 Pour une description soigneuse de la grotte, Schörner & Goette 2004, p. 17-30.
74 C’est l’hypothèse acceptée par Schörner & Goette 2004, p. 58-59 et Baumer 2010, p. 47-84.
75 Himmelmann-wildschütz 1957, p. 9-10.
76 Pour l’identification de la statue de la figure assise de Vari, cf. Weller et al. 1903, p. 267-269 (avec les interprétations précédentes) ; Connor 1988, p. 186, n. 105 ; Larson 2001, p. 243-245.
77 IG I3 980, trad. personnelle. On suit ici le texte fourni par Schörner & Goette 2004, p. 42.
Ἀρχέδημος ὁ Θ-
ηραῖος ὁ νυμφ-
όληπτος φραδ-
αῖσι Νυμφο̑ν τ-
ἄντρον ἐξηργ-
άξατο.
78 Le mot kholonodokheste (χολονοδοχεστε) lisible mais incompréhensible a été interprété par Connor 1988, p. 171-174 comme une référence à la bile, khōlḗ, ce qui suggère qu’Archédamos mettait sur le même plan la cause « religieuse » de son état, les Nymphes, et celle physique, l’excès de bile noire, c’est-à-dire une affection mélancolique, cf. supra, par. V.
79 IG I3 977 A et B, trad. personnelle. On suit ici le texte fourni par Schörner & Goette 2004, p. 51-52.
IG I3 977 A :
Ἀρχέδημος hο Θερ-
αῖος κᾶπον Nύ-
μφαις ἐφύτευσεν.
IG I3 977 B :
Ἀρχέδεμος hο Θερ-
αῖος καὶ ΧΟΛΟΝΟΔ-
ΧΕΣΤΕ [.] Νύμφαι ἐχ-
σοικο̣δ̣ὸ̣μρσρν.
80 Connor 1988, p. 178 ; Schörner & Goette 2004, p. 111-119.
81 LSJ, s.v. ἐξεργάζω « work out, bring to completion ».
82 L’identité d’Archédamos, un étranger de Théra installé en Attique, demeure encore incertaine : selon une hypothèse de travail innovatrice et fructueuse adoptée par Anne-Catherine Gillis dans sa thèse sur les pratiques religieuses des artisans en Grèce ancienne (en cours à l’Université de Lille 3, sous la direction d’Arthur Muller), il faudrait relier ce personnage aux carrières de marbre sur l’Hymette, ce qui expliquerait aussi la présence des outils de travail dans le bas relief qui le représente. Nous remercions l’auteure de nous en avoir fait part avant leur publication.
83 Larson 2001, p. 226-231.
84 Himmelmann-Wildschütz 1957, p. 10 ; contra Decourt 1995, p. 92-93.
85 Decourt 1995, inscription n° 72, p. 88-89 (= SEG 1, 247).
86 On suit ici le texte et la traduction (légèrement modifiée) donnés par Decourt 1995, inscription n° 73, p. 90-91 (SEG 1, 248). Pour l’expression húbrin te kaì dikaían, de probable dérivation aristotélicienne, voir Borgeaud 1993, p. 232-235.
θεός.
Χαίρετε τοὶ πα̣[ριόντες, ἅπ]α̣[ς] θῆλύς τε καὶ ἄρσην,
ἄνδρες τε ἠδὲ γυναῖκες ὁμῶς παῖδές τε κόραι τε
χῶρον δ’ εἰς ἱερὸν Νύμφαις καὶ Πανὶ καὶ Ἑρμῆι,
Ἀπόλλωνι ἄνακτι, Ἡρακλεῖ καὶ ἑταίραις,
Χίρωνος τ’ ἄντρον καὶ Ἀσκλαπιοῦ ἠδ’ Ὑγιείας.
τούτων ἐστὶ τ[ά]δ̣᾽, ὦνα Παν ἱαρωτὰ τ’ ἐν αὐτῶι
ἔμφυτα καὶ πίνακες καὶ ἀγάλματα δῶρά τε πολλ[ά]
ἄνδρα δ’ ἐποιήσα(ν)τὰ ἀγαθὸν Παντάλκεα Νύμφαι
τῶνδ’ ἐπιβαινέμεναι χώρων καὶ ἐπίσσκοπον εἶναι,
ὅσπερ ταῦτ’ ἐφύτευσε καὶ [ἐ]ξεπονήσατο χερσσίν,
ἀντίδοσαν δ’ αὐτῶι βίον ἄφθονον ἤματα πάντα
Ἡρακλέης μὲν ἔδοκ’ ἰσχὺν, ἀρετήν τε κράτος τε,
ὧιπερ τούσδε λίθους τύπτων ἐπόησ’ ἀναβαίνε[ιν],
Ἀπόλλων δὲ δίδωσι καὶ υἱὸς τοῦ[δ]ε καὶ Ἑρμῆς
αἰῶν’ εἰς τὸν ἅπαντα ὑγίειαν καὶ βίον ἐσθλόν,
Πὰν δὲ γέλωτα καὶ εὐφροσύνην ὕβριν τε δικαίαν,
Χίρων δ’ αὐτῶι δῶκε σοφόν τ’̣ ἔμεν[αι] καὶ ἀοιδόν.
ἀλλὰ τύχαις ἀγαθαῖς ἀναβαίνετ[ε], θύετε Πανί ̣
εὔχεσθε, εὐφραίνεσθε κακῶν δ… σις ἁπάν[των]
ἐνθάδ’ ἔνεστ’, ἀγαθῶν δὲ [λάχος] πολέμοιό [τε λήξις ?].
87 Decourt 1995, p. 93 ; Borgeaud 1993, p. 233.
88 Ménandre, Dyskolos 442-480.
89 Sur les connotations du kêpos en Grèce, l’étude de référence reste encore Motte 1973.
90 Dans l’inscription la plus ancienne (première moitié du Ve siècle av. n.è.) de la grotte de Pharsale (Decourt 1995, inscription n° 72, p. 88-89, (= SEG I, 247)), il est question d’un laurier offert par Pantalkès, mais la lecture est très incertaine.
91 Cf. sur ce point Borgeaud 2012.
92 Calame 1996, p. 173-196.
93 Schörner & Goette 2004, p. 114-115, ont proposé de voir à Vari des traces de cultes prénuptiaux.
94 Connor 1988, p. 180 ; Pache, p. 69-70 (qui nuance cette hypothèse en relevant que les nympholeptes ne décrivent pas leurs rencontres avec les Nymphes comme une expérience érotique).
95 Sur ce culte v. Jim 2012. La lecture μνηστῆρα, mot qui définirait Onésagoras comme un prétendant de la Nymphe, a été faite par Mitford 1980, inscription 251 b, p. 186-187. Elle demeure toutefois très incertaine, car elle se trouve dans un contexte assez lacunaire, qui ne permet pas d’en comprendre la signification et si elle se réfère à Onésagoras, en qualifiant son rapport avec la Nymphe. Cette lecture a été critiquée par Masson 1981, p. 105.
96 Hymne homérique à Aphrodite 256-272. Cf. Callimaque, Hymnes à Déméter, 79-85.