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Genizah Ms. 17 : une séquence narrative de coloration juive ou chrétienne provenant du contexte des récits martyrologiques

Alexandra TRACHSEL

Uri YIFTACH-FIRANKO1

Introduction

Le fragment dont il sera question ici a été préservé sur un feuillet double de parchemin réutilisé par la suite, en tant que palimpseste, pour un texte hébreu. Il fait partie d’une modeste collection de documents provenant de la Genizah du Caire et conservée actuellement à la Bibliothèque de Genève. Le professeur Jules Nicole avait acquis ce lot de documents en Egypte où il s’est rendu en 18962. Il faisait partie des nombreux érudits et voyageurs de la deuxième moitié du XIXe siècle qui se sont intéressés à la Genizah du Caire, une fois ce précieux entrepôt de textes juifs redécouvert dans la Synagogue de Ben Ezra3. Plusieurs d’entre eux s’étaient empressés d’acquérir un certain nombre de ces documents, ce qui fut à l’origine de la constitution de différentes collections, parmi lesquelles la plus importante se trouve à présent à l’Université de Cambridge4.

En ce qui concerne la collection de Genève, le professeur David Rosenthal de l’Université hébraïque de Jérusalem s’est occupé du lot provenant de la Genizah et lui a consacré tout récemment un premier volume5. Notre palimpseste y est discuté ; à la fin du volume, il nous a été permis de publier une première version d’une partie du texte grec6. Notre travail ici développe ce premier résultat, en apportant quelques remaniements du texte et en fournissant un commentaire plus étendu. Notre analyse restera toutefois limitée pour l’instant à l’étude de la face du palimpseste où les lettres sont mieux préservées ; nos résultats ne pourront de ce fait qu’être provisoires. A défaut des éléments figurant sur la deuxième face, où les lettres sont nettement moins bien conservées, une vue d’ensemble de l’extrait conservé ne pourra être esquissée7. L’exposé codicologique précédant notre discussion porte toutefois sur les deux faces, puisqu’elles sont visiblement écrites dans le même style d’écriture, et que selon toute vraisemblance des extraits d’un même récit y sont conservés.

Description codicologique

Le document se présente sous la forme d’un feuillet, plié au milieu, comportant donc deux faces (A et B) et quatre pages. La feuille mesure 24 cm de haut et 16,3 cm de large. Le texte préservé est écrit sur quatre colonnes (une par page), chacune mesurant en moyenne 11,7 cm de haut et 8 cm de large. Ainsi les marges sont relativement larges, si l’on peut en juger d’après la face la mieux préservée8. Les colonnes sont disposées de manière symétrique par rapport au pli marquant le milieu du feuillet. Comme les marges extérieures sont plus larges que les marges intérieures, les colonnes ne sont pas centrées par rapport à la page, mais se trouvent un peu plus près du pli central que des bords.

Les quatre colonnes ne forment pas de séquence narrative continue. La première ligne de la colonne de droite sur la face mieux préservée (A) commence avec une séquence de lettres (δόγμ̣ατα) qui ne peut pas correspondre à l’enchaînement suggéré par la fin de la dernière ligne de la colonne de gauche (cυνβουλεύ[οντοc). L’état du déchiffrement actuel ne nous permet pas de tirer les mêmes conclusions pour la face moins bien préservée (B)9. Il faut probablement admettre une lacune de plusieurs feuillets entre les deux séquences conservées. Celles-ci sont formées, l’une par la colonne de droite de la face A (c’est-à-dire, à proprement parler, la page recto) et celle de gauche sur la face B (verso), et l’autre par la colonne de droite sur la face B (recto) et celle de gauche sur la face A (verso). Pour placer ce feuillet double dans un codex, aucun indice ne semble avoir survécu, si ce n’est le fait que la réglure est plus visible sur la face B. Quant à la priorité des séquences, le contenu semble indiquer, à supposer qu’il s’agisse d’extraits du même récit, que la colonne de droite de la face A (numérotée col. I ci-dessous) est celle par laquelle nous devons commencer10.

L’écriture est une très belle onciale biblique grecque que nous avons datée entre le Ve et le VIe s. ap. J.-C. Comme point de départ, nous avons retenu deux des plus célèbres représentants de cette écriture, à savoir le Codex Sinaiticus, daté du IVe siècle, et la majuscule du Dioscoride de Vienne daté du VIe siècle11. Cette datation est confirmée par un certain nombre d’autres parallèles12. D’autres tracés des lettres présentent en revanche des similitudes avec des écritures plus tardives du VIIe siècle et suggèrent une certaine prudence13. Enfin, cette datation approximative entre le Ve et le VIe siècle s’accorde également avec ce que l’on sait sur la progression de l’utilisation du codex de parchemin, d’une part en comparaison avec le papyrus comme matériau, et d’autre part en comparaison avec le rouleau comme forme du livre, puisqu’on admet généralement que le IVe siècle est un tournant à partir duquel les codex de parchemin deviennent plus nombreux14. Nous disposons donc, avec l’écriture, d’un terminus ante quem pour nous pencher maintenant sur le contenu préservé dans le fragment.

Texte et traduction

Même si nous venons d’établir que le texte a été copié au Ve, voire au VIe siècle, sa première rédaction ne doit pas forcément dater de la même époque15. A défaut de posséder, dans l’état actuel du déchiffrement, des renseignements sur le contexte de la composition, nous chercherons à définir, à partir des éléments découverts dans le fragment, le contexte plus général dans lequel se déroule l’épisode dont le fragment nous livre quelques éléments.

Face A (col. IV)Face A (col. I)

……

……

πα-]

ρὰ τῶν ὁμολογού̣(ν-)

των τον Γαλιλαῖο(ν)

καὶ οὐδ’ εἷc αὐτῶν

ἀνέλυcεν ἐκ τῶ(ν)

5 χειρῶν μου ζ̣ών̣

εἰ μὴ ἐπ <ε> ίcθη καῖ ἔ-

θυcεν εἰ οὖν θέλ̣ <ε>ι̣c (?)

ἀναcχεθῆναί με

καὶ θῦσαι τοῖc θε-

10 οῖc, ἐπίβλεπε τί

μέλλ<ε>ιc πάσχειν

καὶ γὰρ πολλὰ βαcα-

νιστήρια μενοῦ-

cιν cε εἰ μὴ ἀκού-

15 cῃc μου cυνβουλεύ-

[οντοc etc.]

……

δόγμ̣ατα καταλ̣ε̣ῖ̣ψ̣αι (?)

οὐκ ἀνέχομαι τ̣ού̣-

τοισ <τοῖc> ματαίοισ θε̣οῖc̣

και βδελυκτοῖc ε[ἰ-]

5 δώλοιc προcκυ-

νῆcαι ἀλλὰ τῷ Θ̣(ε)]ῷ

μ̣ου προσκυνήcω

ἀ̣διαλ<ε>ίπτωc · καὶ

προσκ̣υ̣[ν]ῶν οὐ

10 παύcομαι δ̣α. ̣̣ ̣με-

νοc παρ’ αὐτοῦ cω-

τ̣η̣ρίασ τυχεῖν ἐ̣ν̣

δ̣ὲ̣ αγριπινε̣ μ̣α̣τ̣α̣<ί>-

[οι]c εἰδώλοιc προ-

15 ε̣c̣τηκὼ̣c̣ κ̣αὶ τὸ(ν)

……

Col. I :

(…) délaisser les dogmes (…) je ne supporte pas de (me) prosterner devant ces dieux vains et ces abominables images. Mais devant mon Dieu, je me prosternerai de manière ininterrompue ; et en me prosternant, je ne cesserai de (…) obtenir de sa part le salut (…), me plaçant en face de ces vaines images et (…).

Col. IV :

(…) de la part des partisans du Galiléen, et aucun d’eux n’a échappé vivant de mes mains sans avoir obéi et fait des sacrifices. Si donc tu consens (?) (…) à ce qu’on me retienne et à offrir des sacrifices aux dieux, regarde ce que tu es sur le point de souffrir. En effet, de nombreuses tortures t’attendront. Si tu ne m’écoutespas, moi qui te conseille (…).

Commentaire

Col. I :

1 δόγμ̣ατα καταλ̣ε̣ῖ̣ψ̣αι. L’expression, avec l’aoriste régulier καταλειψ-, est attestée chez Origène, Cels. 1, 52. On trouve aussi des formules parallèles telles que Χριστὸν καταλείπειν (Mart. Polyc. 17, 2) ou νόμον καταλείπειν (1 Macc. 2, 21 ; 1 Macc. 10, 14 ; Sir. 49, 4). Sur l’usage de δόγμα en général dans la littérature judéo-chrétienne, cf. Kittel (1935).

3 τ̣oύ̣τοιc <τoῖc> ματαίοc θε̣οῖc. La formule μάταιοc/-οι θεόc/-οί se retrouve en Act. Andr. gr. 7, 15 et en Sag. 15, 8. L’expression μάταια εἴδωλα (I, 13-14) est plus fréquente. Les attestations les plus anciennes se trouvent chez Justin Dial. cum Tryphone 91, 3, 5 et Act. Just. (B) 1, 1. En 2Chr. 11, 15 les deux termes (τοῖc εἰδώλοιc et τοῖc ματαίοιc) sont mis côte à côte en tant que substantifs.

4–5 βδελυκτοῖc ε[ἰ]δώλοιc, L’expression ne se trouve que dans des textes tardifs, à partir du Ve siècle.

6 τῷ Θ̣(ε)ῷ. Le scribe utilise une abréviation pour le nomen sacrum. Ce n’est pas la seule abréviation qu’il utilise. A la fin d’autres lignes, le nu, qu’il soit final (I, 15 ; IV, 2 et 4) ou non (IV, 2) est abrégé. Pour l’expression προcκυνεῖν τῷ Θεῷ μου, un passage parallèle se trouve en Bel (Theodotion) 25.

9 προσκ̣υ̣[ν]ῶν. Correction de προc̣κ̣[ν]ῶν dans Yiftach-Firanko / Trachsel (2010) 281.

10–11 δ̣ α ̣ ̣μενοc La terminaison du mot suggère un participe. On pourrait penser à δεχόμενοc ou bien à δεόμενοc. Mais aucune des deux formes ne tient compte de l’alpha qui semble être assez clairement visible.

11 παρ’. Correction de μαρ’ dans Yiftach-Firanko / Trachsel (2010) 281.

Col. IV :

5 ζών̣. Il s’agit probablement d’un participe présent ζῶν « vivant » qui s’accorderait avec le εἷc de la ligne 3. Les traces conservées permettraient certainement cette lecture ; l’opposition entre les termes de vivre et d’être mort ou de mourir s’insère bien dans le contexte des récits martyrologiques. Cf. Mart. Pion. 20, 3-7 et Act. Petr. 40, 13. Voir aussi Orig. Hom. in Jer. 9, 3. Nous remercions le Dr. Ralph Brucker (Université de Hambourg) pour la suggestion. D’autres lectures sont également possibles. On pourrait songer à un génitif pluriel δ̣ <υ>ῶν̣, accordé avec χειρῶν. De telles formulations sont attestées, surtout chez Hérodote ou dans des ouvrages plus techniques. Cf. Hdt. 1, 11 ; 4, 89 ; Arist. fr. 569 (Rose) = Σ Pind. Ol. 7, inscr. b Διαγόρᾳ, et Archim. Aren. 1, 21 (Heiberg). Mais la forme est plutôt surprenante dans notre contexte et l’on s’attendrait à une forme invariable comme dans la Septante ; cf. Deut. 9, 17.

6 ἐπ<ε>ίcθη. Hormis la forme retenue ici, on pourrait aussi penser à ἔ<c>π<ε>ιcεν « faire des libations », très bien attestée dans la littérature depuis l’époque classique ; cf. Aristoph. Nub. 578. Mais il y a également un très grand nombre de références plus proches du contexte chronologique et littéraire : 4Macc. 3, 16 ; Ezr. 20, 28 ; Euseb. De martyr. 3, 1, 5 et 9, 2, 10 (= 4, 8, 5) ; Lib. Or. 24, 36, 9 ; Decl. 44, 1, 17 ; Epist. 1351, 4, 6. Voir aussi Arr. Anab. 4, 11, 2, 8 ; Epict. Ench. 31, 5 ; Philostr. VA 4, 19, 7. En troisième hypothèse, on pourrait envisager ἔπεcεν « tomber » ; cf. Gen. 17, 3 ; 1Macc. 4, 55 ; Dan. (Theodotion) 2, 46.

7 θέλ̣ <ε>ι̣c̣ Le verbe θέλω est très fréquent dans la littérature martyrologique. Il peut être utilisé par un magistrat (Mart. Pion. 7, 2, 15, 5 ; Mart. Agap.  3, 4) ou par un chrétien (Mart. Polyc. 10, 1 ; Mart. Ign. Rom. 3, 7 ; Mart. Carp.   6, 14, 15 et 32).

8 ἀναcχεθῆναί. La même forme (inf. aor. passif) n’est attestée que dans des textes tardifs. Cf. Comm. in epist. Paul. 769, 40 (PG 95), attribués à Jean Damascène ; Jean Moschus, Pratum spirituale 165, 3032, 38 ; Demetrios Chomatenus, Πονήματα διάφορα 106, 293. D’autres formes de la voix passive se trouvent chez Plutarque et chez Jean Malalas. Chez Plutarque, De Is. 376b12, il s’agit d’un fragment de Manéthon (FGrHist 609 F 21). Pour Joannes Malalas, cf. Chron. 18, 68 (= 471, 14 Dindorf). La forme active ἀναcχεθεῖν est en revanche plus fréquente depuis l’époque classique ; cf. p. ex. Eur. Med. 1027 et Ap. Rh. Arg. 1, 876 ; voir aussi Smyth (1984) § 490 D.

13–14 μενοῦcίν. L’indicatif présent (μένουcιν) ou futur (μενοῦcιν) est possible.

Interprétation

Pour l’instant, l’établissement du texte – même de la face A – présente encore quelques difficultés, puisque pour certains passages la grammaire de notre texte reste problématique. En I, 13, notamment, le déchiffrement de la séquence αγριπινε̣ pose problème16. De même, en IV, 7-8, il subsiste un problème de construction. L’enchaînement logique entre la proposition hypothétique et la principale suggère une négation (« si tu ne consens pas à (…), regarde ce que tu es sur le point de souffrir ») alors que le déchiffrement actuel ne prend pas en compte cette hypothèse. De plus, la forme θέλ̣<ε>ι̣c̣ (7) est elle-même hypothétique, même si elle est attestée très fréquemment dans les récits martyrologiques17. Peut-être faudrait-il songer à une autre forme verbale qui permettrait de fournir un texte correspondant mieux à l’enchaînement logique. Pourtant, l’infinitif ἀναοχεθῆναι, bien que plutôt rare, doit – avec le verbe θῦcαι – dépendre d’une forme verbale qui demande une construction à l’infinitif. Supposer une forme avec iotacisme (θέλ̣<ε>ι̣c̣) n’est en revanche pas problématique puisque d’autres formes de iotacisme se trouvent dans le texte18. En outre, il ne faut pas oublier qu’à d’autres endroits du texte, des lettres, voire des mots semblent manquer, ce qui rend la tâche encore plus difficile lorsqu’il s’agit de proposer une hypothèse de déchiffrement pour cette fin de ligne19.

En ce qui concerne le contenu, si notre hypothèse de commencer avec la colonne de droite est correcte, l’élément le plus marquant vient certainement de la mention répétée de l’acte de la prosternation (προοκυνεῖν : I, 5-6, 7 et 9). A ce propos, l’un des deux interlocuteurs marque une opposition entre l’acte pratiqué dans le cadre d’une religion polythéiste (θε̣οῖc̣), qu’il décrit de manière péjorative (ματαίοιc), et le même comportement dans une religion monothéiste (τῷ Θ̣(ε)ῷ μ̣ου), telle qu’il la défend lui-même. Il espère recevoir le salut de ce dieu unique, et surtout – c’est ce qui retiendra notre attention ici – il ne refuse pas entièrement l’acte de la prosternation : en effet, si notre lecture est juste, il affirme le faire de manière ininterrompue pour son dieu unique (ἀ̣διαλ<ε>ίπτωc), mais refuse de le faire à l’égard des autres divinités mentionnées.

Au niveau formel, nous pouvons ajouter que le narrateur du passage expose les arguments à la première personne du singulier ; de ce fait, il s’identifie, du moins dans notre séquence narrative, avec cet interlocuteur et avec sa position monothéiste. Cette situation narrative semble se poursuivre dans la colonne de gauche. Le même narrateur expose la réponse du magistrat polythéiste, cette fois-ci à la deuxième personne du singulier ; nous pouvons supposer que cette réplique est adressée à la personne qui avait la parole dans la colonne de droite20.

La situation décrite, de même que les nombreux passages parallèles utilisés pour établir le texte, nous mènent dans le contexte de la tradition des récits martyrologiques. Les données conservées nous permettent également de définir de manière assez précise à quel moment nous nous trouvons dans la structure narrative de ces récits martyrologiques. Il s’agit très probablement d’un passage qui décrit le moment de l’interrogatoire officiel. Celui-ci se déroule souvent en public et sous forme d’un dialogue. Il aboutit généralement, après le refus catégorique du martyr d’accomplir les gestes demandés, aux tortures et finalement à la mise à mort de ce dernier21.

Il est pourtant difficile d’aller plus loin pour l’instant. En dehors de la mention des Galiléens, et peut-être du terme qui se cache dans la formule αγριπινε̣, nous n’avons aucun élément dans le texte déchiffré qui nous permettrait de préciser à laquelle des phases de la persécution notre texte appartiendrait. De plus, la religion monothéiste que l’interlocuteur menacé défend n’est pas décrite de manière assez précise pour nous permettre de décider s’il s’agit d’un récit appartenant à la tradition martyrologique chrétienne ou à la tradition juive22. Enfin les deux traditions sont, malgré leur contexte historique et culturel très différent, également très proches quant il s’agit de la langue et de la tradition littéraire dont elles sont tributaires23. Récemment de nombreuses études ont cherché à mettre en avant les multiples liens entre les deux traditions, surtout au niveau du vocabulaire24. C’est pourquoi nous essayerons dans la suite de notre analyse moins d’attribuer le récit à l’une des deux traditions – ce qui semblerait dans l’état d’avancement de notre déchiffrement peut-être encore prématuré – que de montrer l’enchevêtrement entre les deux25.

Le verbe προεκυνεῖν apparaît fréquemment dans les actes des martyrs conservés pour décrire l’acte de la vénération, qu’il s’agisse de celle des dieux païens ou de celle du dieu unique honoré par le martyr26. Cet usage existe également dans la tradition juive où la vénération du dieu peut s’exprimer par le verbe προcκυνεῖν27. Il se retouve également dans le Nouveau Testament28. Souvent aussi il est associé soit au verbe cέβειν / cέβεcθαι soit au verbe θύειν, que nous retrouvons aussi dans notre colonne de gauche. Pourtant certaines distinctions sont à faire. Le verbe cέβειν / cέβεcθαι semble être réservé à la description du culte païen29. Souvent en effet, dans les actes des martyrs, le magistrat l’utilise dans les formulations officielles au début de l’interrogatoire30. Par la suite, si le magistrat s’impatiente et s’irrite de la résistance des accusés, souvent la formule se résume à une forme impérative du verbe θύειν. Toutefois, l’usage des verbes n’est pas suffisamment bien défini pour nous permettre de trancher notre question. Même la construction du verbe προεκυνεῖν avec le datif (I, 3-5 : τ̣ού̣τοιc <τοῖc> ματαίοιc θε̣οῖc̣ καὶ βδελυκτοῖc ε[ἰ]δώλοιc ; I, 6-7 : τῷ Θ̣(ε)ῷ μ̣ου) ne nous aide pas. En effet, même si c’est un usage très répandu dans la Septante, cette construction avec le datif n’est pas totalement absente des récits martyrologiques chrétiens et figure également dans le Nouveau Testament31. Il en va de même avec l’adverbe ἀ̣διαλ<ε>ίπτωc, qui fait partie de l’expression. L’adverbe n’est certes pas absent de la tradition chrétienne puisqu’il apparaît dans les écrits des Pères de l’Eglise, souvent associé au verbe προεεύχεcθαι « faire des prières de manière ininterrompue »32. L’expression avec προcκυνεῖν ne se trouve toutefois que dans un écrit très tardif du VII/VIIIe siècle33. L’adverbe est en revanche bien plus fréquent dans les récits des martyres de la tradition juive, plus précisément dans les quatre livres des Maccabées pour désigner une vénération inébranlable34.

Cette proximité avec la tradition juive est également vraie pour la seconde expression que nous aimerions discuter ici, à savoir βδελυκτοῖc ε[ἰ]δώλοιc (I, 4-5). Prise comme un tout, l’expression est plutôt rare et tardive, attestée à partir du Ve siècle35. Le mot εἴδωλον pour désigner les dieux païens est par contre à nouveau très frequent dans les Actes des martyrs36. Quant à l’adjectif βδελυκτόc, il nous ramène d’abord à la tradition juive, puisque des mots de la même racine sont utilisés dans la traduction de la Septante, notamment dans le livre de Daniel, où le substantif βδέλυγμα est utilisé de manière récurrente pour désigner les signes des dieux païens avec lesquels les temples juifs ont été souillés37. Le substantif βδέλυγμα, de même que l’adjectif βδελυκτόc, revient également dans les quatre livres des Maccabées38. Mais à nouveau, les résultats ne sont pas assez nets pour nous permettre de faire pencher la balance en faveur de l’une ou l’autre tradition, puisque nous trouvons des expressions telles que ὁ βδελυccόμενοc τὰ εἴδωλα ἱεροcυλεῖc dans la seconde Epître aux Romains (2, 22)39.

Enfin, les mêmes remarques peuvent être faites pour deux termes de la colonne de gauche (IV). D’abord, le substantif βαεανιετήρια (IV, 12-13) est plutôt tardif : il se trouve fréquemment chez les Pères de l’Eglise, plus rarement dans les Actes des martyrs, mais à nouveau dans le quatrième livre des Maccabées40. Ensuite, l’idée de conseil, exprimée dans la dernière ligne de la colonne de gauche (IV, 15 : μου cυνβουλεύ[οντοc), se retrouve également dans les deux traditions. Dans les Actes des martyrs, les magistrats, souvent surpris et déconcertés par l’obstination des accusés, leur donnent un temps de réflexion et leur conseillent de revenir sur leur décision41. Ce temps de réflexion apparaît également dans les schémas de la tradition juive, comme notamment dans les réactions du tyran dans les récits des Maccabées, en particulier dans le quatrième livre42.

La situation est cependant un peu différente avec la dernière expression que nous aimerions discuter ici, à savoir l’allusion aux partisans du Galiléen (IV, 1-2 : πα]ρὰ τῶν ὁμολογού̣(ν)των τὸν Γαλιλαῖο(ν)). La tournure semble dans un premier temps désigner plus clairement les chrétiens, même si le Galiléen pourrait aussi désigner Judas le Galiléen43. Le verbe ὁμολογεῖν est plus clairement associé à la tradition chrétienne. Non seulement dans la tradition martyrologique, mais surtout dans ces textes, le verbe vient à désigner les professeurs de foi, ceux qui ont eu le courage de ne pas renoncer à leur croyance et de ce fait aussi les martyrs44. Il est également à noter ici que l’empereur Julien se sert, au début de sa lettre aux Alexandrins, de l’expression ὁμολογεῖ Γαλιλαῖοc εἶναι pour désigner quelqu’un qui s’avouerait chrétien45. Ainsi, il semble plus évident que, dans les cinq premières lignes de la colonne de gauche, il est question des chrétiens comme d’un groupe qui a subi un certain nombre de châtiments. Mais cette affirmation ne permet pas de désigner tout le texte comme décrivant le martyre d’un chrétien. Il n’y a aucun indice qui nous permettrait d’affirmer que la personne de laquelle le magistrat polythéiste exige un sacrifice fait partie du groupe des chrétiens. Il se pourrait que, dans une perspective polythéiste, les deux croyances monothéistes soient assimilées, et que le magistrat menace un croyant juif en lui décrivant les malheurs que les chrétiens ont subis46. De même, s’il paraît très improbable que le Galiléen soit Judas, comme nous l’avons envisagé plus haut, cette hypothèse n’est pas impossible et elle nous rappelle également à la prudence.

Conclusion

La discussion menée ci-dessus devrait donc avoir montré clairement à quel point il est difficile de faire la part des choses entre les deux traditions martyrologiques. Ceci est d’autant plus vrai qu’il faut ajouter que notre texte parallèle pour la tradition juive, le quatrième livre des Maccabées, est lui-même influencé autant par la littérature gréco-romaine que par les écrits du christianisme naissant47. Par la suite, il a aussi été utilisé par les Pères de l’Eglise, comme Jean Chrysostome et Grégoire de Naziance, pour en faire un modèle pour les croyants chrétiens48. Ce fait met en évidence une autre difficulté de notre texte. Nous avons pu établir, grâce à la datation de l’écriture, un terminus ante quem. Mais cela nous laisse une tranche chronologique très large pour faire des hypothèses quant à la date de composition. Le fait que le quatrième livre des Maccabées s’est avéré être un texte très proche quant au vocabulaire et au style nous autorise peut-être à commencer la recherche à partir de la date de composition de ce récit. De nombreuses hypothèses ont été émises à ce sujet, mais elles peuvent se résumer en un consensus en faveur de l’intervalle entre la fin du Ier s. et le début du IIe s. ap. J.-C.49 Or le IIe siècle semble aussi avoir été la date de composition des Actes des martyrs chrétiens où nous avons trouvé le plus de passages parallèles, à savoir ceux de Polycarpe, de Carpe, de Pierre, d’Ignace et enfin celui d’André50. Les Actes d’Apollonios et ceux de Agapé sont en revanche plus tardifs51. Pourtant, peut-être vaudrait-il la peine de mettre à l’épreuve cette hypothèse de datation dans nos recherches ultérieures. Quant à l’auteur, ou du moins au narrateur de ce passage, il est clair qu’il doit être cherché dans le contexte de l’une des deux traditions monothéistes et qu’il se définit, avec l’interlocuteur qu’il met en scène, comme opposé à une religion, ou plus généralement à une culture païenne, probablement à celle de la tradition gréco-romaine.

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1 Nos remerciements les plus chaleureux vont tout d’abord au Prof. Paul Schubert (Université de Genève), qui nous a soutenus dès nos premières tentatives de déchiffrement avec de nombreuses suggestions très judicieuses, des conseils toujours à propos et son expérience dans le domaine de la papyrologie. Ensuite, nous tenons également à remercier tous ceux qui nous ont écoutés et soutenus lors de notre séjour au Center for Hellenic Studies à Washington et dans nos départements respectifs (en particulier le Prof. Christian Brockmann et Dr. Christiane Krause à Hambourg, ainsi que la Prof. Hannah Cotton, le Prof. David Rosenthal et le Prof. Joseph Geiger à Jérusalem). Il convient également de mentionner l’entretien très fructueux avec le Prof. Avihai Shivtiel (Université de Leeds) qu’il nous a accordé lors de son séjour à l’Université de Hambourg en été 2010. Qu’il nous soit permis enfin d’adresser des remerciements tout particuliers à la Prof. Claire Clivaz de l’Université de Lausanne et au Dr. Ralph Brucker de l’Université de Hambourg. Les deux nous ont proposé avec enthousiasme de mettre à notre service leur savoir dans le domaine de la théologie. Le texte que nous proposons dans cet article leur doit beaucoup. Enfin nous tenons également à remercier le lecteur anonyme pour son travail et pour les nombreuses suggestions qu’il a bien voulu nous proposer. Les auteurs assument toutefois la responsabilité de toute erreur qui subsisterait.

2 Pour les détails de son voyage, cf. Schubert (2003) et Roth-Lochner (2003).

3 Cf. Kahle (1959) 5.

4 La première collection semble avoir été celle de Saint-Pétersbourg, puis celle du Jewish Theological Seminar à New York et enfin celle de la Bodleian Library à Oxford ; cf. Kahle (1959) 5-9. Sur le projet actuel de publication numérique, cf. <http://www.lib.cam.ac.uk/Taylor-Schechter/index.html" >www.lib.cam.ac.uk/Taylor-Schechter/index.html> (consulté en janvier 2011).

5 Cf. Rosenthal (2010).

6 Cf. Yiftach-Firanko / Trachsel (2010). Dans ce volume se trouve également une reproduction de la face du palimpseste qui sera discutée ici.

7 Une publication ultérieure est prévue pour l’ensemble du texte.

8 Marges supérieures : 2,1 cm ; marges inférieures : 2,6 cm ; marges extérieures : 2,4 cm ; marges intérieures : 1,5 cm. Il est pour l’instant impossible de définir la largeur des colonnes sur la face B, mais leurs dimensions doivent certainement être comparables à celles figurant sur la face A ; c’est du moins ce que suggère le système de réglures préservé sur la face B.

9 L’état de préservation du feuillet double rend la distinction entre un côté « chair » et un côté « poil » extrêmement difficile à établir. Nous avons préféré faire une distinction entre une face A où les lettres sont mieux préservées, et une face B où elles le sont moins.

10 Pour anticiper sur l’exposé du contenu du texte, ce n’est qu’après le refus catégorique de l’un des protagonistes d’accomplir les actes requis que le second peut proférer des menaces de torture. Mais il s’agit pour l’instant d’une hypothèse de travail.

11 Sur le Codex Sinaiticus, cf. Cavallo (1967) 56-64. Les ressemblances les plus frappantes touchent aux lettres epsilon et sigma, ainsi qu’à la différence entre les traits horizontaux étroits et les traits verticaux plus larges. Pour des illustrations, cf. <http://codexsinaiticus.org/en">codexsinaiticus.org/en> (consulté en janvier 2011). Sur le Dioscoride de Vienne, cf. Mazal (1998) 4-5. Ici, on peut évoquer la présence des traits ornementaux à la fin des lettres, ainsi que la ressemblance des lettres delta, pi et kappa.

12 Ainsi par exemple, Guelferb. Weissemburg 64, f. 194v (= 404) : cf. Cavallo (1967) 80-81 et pl. 66 (visible aussi sur <http://diglib.hab.de/mss/64-weiss/start.htm ? image=00404" >diglib.hab.de/mss/64-weiss/start.htm ? image=00404 [consulté en janvier 2011]>). Ms. Freer dei Salmi fr. Λ : cf. Cavallo (1967) 83-84 et pl. 72. P. Amh. I 1 : cf. Cavallo (1967) 72 et pl. 53. Codex Rossanensis : cf. Cavallo (1967) pl. 90, Cavallo / Maehler (1987) n° 40 et Seider (1970) n° 65. Codex Sinopense : cf. Cavallo (1967) 98-104 et pl. 89. Codex N dei Vangeli : Cavallo (1967) 98-104 et pl. 88. Enfin, voir aussi Cavallo / Maehler (1987) nos 24b et 25a, ainsi que Vat. gr. n° 1288 : De Cavalieri / Lietzmann (1910) n° 2 et Cavallo (1967) pl. 67.

13 Cf. Cavallo / Maehler (1987) nos 44 et 56a.

14 Cf. Turner (1977) 33-42 ; McCormick (1985) ; Van Haelst (1989).

15 Dans le cas présent, il y a trois étapes qu’il convient de distinguer, dans l’ordre chronologique : a) le temps du récit dans lequel se déroule l’épisode ; b) la composition du récit dont nous conservons un fragment ; c) le travail ponctuel de la copie du texte sur le palimpseste conservé, entre le Ve et le VIe siècle.

16 On pourrait songer à un nom propre (Agripp-) ou à un toponyme, peut-être Agrippeia = Flaviopolis = Krateia (Ruge [1922] 1609), ou bien Agrippias = Anthédon (Benzinger [1894] 2369) ; cf. Talbert (2000) 70 et 86. Mais aucune des deux hypothèses n’est convaincante, même si les noms propres d’Agrippa et d’Agrippina conviendraient dans le contexte, surtout parce qu’ils apparaissent dans Act. Petr. 33-36 et 41. Les deux Agrippa I et II s’insèrent également très bien dans le contexte de conflits entre religions monothéistes et religions polythéistes. Cf. Musurillo (1954) 117-140 ; Schäfer (1997) 152-156 ; Schäfer (2003) 112-114. Quant au toponyme Agrippeia, il apparaît dans un autre document paléochrétien ; cf. Llewelyn (1998) 117121. Une autre hypothèse consisterait à lire ἀγρυπνίᾳ « en état de veille » ; nous remercions le Dr. Ralph Brucker pour la suggestion.

17 Cf. supra, comm. ad IV, 7.

18 I, 8 : ἀ̣διαλ<ε>ίπτωc ; IV, 6 : ἐπ<ε>ίcθη ; IV, 11 : μέλλ<ε>ιc.

19 Lettres : I, 13 : μ̣α̣τ̣α̣<ί>[οι]c ; mots : I, 3 : <τοῖc>.

20 Cela parlerait en faveur de notre hypothèse qui voudrait que les deux séquences narratives appartiennent à un même récit.

21 Cf. Van Henten (1993) 714.

22 La présence du nomen sacrum ne nous aide pas davantage. L’usage est commun aux deux traditions ; Brown (1970) 7-19 explique son apparition dans les textes chrétiens par le contact avec les pratiques juives et païennes.

23 Cf. Frend (1965) 31-78 ; Frend (1976) ; Deléani-Nigoul (1985a) et (1985b) ; Van Uytfanghe (1993) ; Van Henten (1997) 145-149 ; Van Henten / Avemarie (2002) 1-8 ; Ziadé (2007) 66-103 (en particulier 5-6 et 6670 pour une bibliographie plus étendue sur ce sujet). Voir aussi l’article récent de Clivaz (2007), qui démontre l’interdépendance entre la culture juive, hellénistique et chrétienne au sujet de la notion de la prière de supplication (hiketeia) qui peut inclure une forme de proskunesis. Sur le contexte égyptien, cf. Petersen (2009) et Rubenson (2009).

24 Notamment Perler (1949) et Van Henten (1993). Sur les structures narratives parallèles, cf. Van Henten (1993) 714-717.

25 Il reste pourtant souhaitable, dans une phase ultérieure du travail, de pouvoir trouver des critères qui permettront de préciser l’attribution de notre texte.

26 Cf. Mart. Polyc. 12, 2 ; Mart. Apollon. 13 ; Mart. Ign. Rom. 7, 5 (un magistrat à propos du culte païen). Mart. Pion. 4, 24 (citant Dan. 3, 18) et 5, 2 ; Mart. Apollon. 14, 16, 17, 20, 21 et 22 ; Mart. Ign. Rom. 3, 8 (un chrétien à propos du culte païen). Mart. Polyc. 17, 3 ; Mart. Pion. 3, 3 ; Mart. Apollon. 15 ; Act. Justini 4, 4 (A) ; 3, 1 ; 4, 4 ; 4, 9 (B) ; 2, 4 (C) (un chrétien parlant du culte consacré à son propre dieu).

27 Cf. Greeven (1959) 761-764 ; Gen. 24, 26 ; Ex. 24, 1.

28 Cf. Luc 24, 52 ou Matth. 4, 10 qui reprend une citation des Dix Commandements.

29 Cf. Foerster (1964).

30 C’est le cas notamment dans Mart. Carp. 4. Dans la suite de ce récit, les exigences du magistrat finissent par se résumer dans l’impératif θύcατε. Il en va de même dans Mart. Apollon. : la formule officielle par laquelle le magistrat exige le culte semble contenir cέβειν (Mart. Apollon. 13, lié à προcκυνεῖν, et 43) ; θύειν est aussi possible (Mart. Apollon. 7).

31 Sur l’usage dans la Septante, cf. Greeven (1959) 762-762, qui fait une distinction entre la construction avec l’accusatif plus répandue dans les textes de l’époque classique et celle avec le datif. Voir aussi LSJ s.v. προcκυνέω. Pour les récits martyrologiques, cf. Mart. Pion. 3, 3 ; 4, 24 ; 5, 2 ; Mart. Apollon. 15 ; Mart. Ign. Rom. 5, 5. Pour le Nouveau Testament, Matth. 2, 2 ; 2, 8 ; 4, 9 ; Joh. 4, 21 ; Heb. 1, 6 ; 1Cor 14, 25.

32 Saint Paul utilise l’expression dans 1Thess. 5, 17 ; elle se trouve par la suite dans d’innombrables citations de ce passage. Pour d’autres attestations de l’adverbe chez Saint Paul, cf. 1Thess. 1, 2 ; 2, 13 ; Rom. 1, 9.

33 Germanus I, Narratio de haeresibus et synodis ad Anthimum diaconum 50, 1. Il s’agit du patriarche Germanus I de Constantinople (715-730).

34 En rapport avec un acte de vénération : 2Macc. 13, 12 ; 2Macc. 15, 7 et 3Macc. 6, 33. Dans d’autres contextes : 1Macc. 12, 11 (se souvenir de manière ininterrompue) ; 2Macc. 3, 26 (flageller quelqu’un de manière ininterrompue) ; 2Macc. 9, 4 (voyager sans s’arrêter).

35 Cf. supra, comm. ad IV, 8 : attesté à partir du Ve siècle, toutefois dans des textes de la tradition chrétienne.

36 L’expression qui se rapproche le plus de la nôtre est ἵνα μὴ cέβωμαι εἴδωλα χειροποίητα (Mart. Apollon. 14).

37 Parmi de nombreux exemples provenant de la Septante, l’expression βδέλυχμα προcκυνεῖν (Esaïe 2, 20) est à relever ; cf. aussi Wagner (1999) 170-171. On trouve toujours la même expression (βδέλυχμα ἐρημώcεωc) dans Dan. 9, 27 ; 11, 31 ; 12, 11 (dans la version de la Septante et celle de Theodotion). Pour une discussion de cette expression, cf. Abel (1949) 25 et 28-29.

38 Notamment 1Macc. 1, 54 ; 1Macc. 6, 7 (βδέλυχμα) ; 2Macc. 1, 27 (βδελυκούc). Voir aussi Pr 17, 15.

39 Pour un aperçu plus large de l’usage des mots comportant la racine βδελυγ-, cf. Foerster (1933).

40 L’expression est très fréquente chez Jean Chrysostome. Pour les récits martyrologiques, on peut citer Mart. Ign. Rom. 10, 4. Enfin, cf. 4Macc. 6, 1 ; 4Macc. 8, 12 ; 4Macc. 8, 19 ; 4Macc. 8, 25 pour la tradition juive.

41 Cf. Mart. Apollon. 10 et 11.

42 Cf. 4Macc. 5, 6 ; 8, 5 ; 8, 29.

43 Cette identification nous ramènerait dans le contexte de la guerre romaine contre les Juifs de l’an 6 ap. J.-C. Cf. Apolog. 5, 37 ; Joseph. Ant. 18, 4 et 23-25 ; Bell. 2 (en particulier 2, 8, 1 [p. 117-118] et 2, 17, 8 [p. 433]) ; Smallwood (1976) 152-155.

44 On notera surtout les deux substantifs ὁμολογητήc et ὁμολογήτρια (Lampe s.v. ; p. ex. Mart. Apollon. 46, 2 et Mart. Polyc. 12, 23-24). Sur l’usage très complexe du verbe ὁμολογέω dans la littérature judéo-chrétienne, cf. Michel (1954) 199-220.

45 Cf. Ep. 111, 433a (= 21) ; aussi Ep. 84, 430b (= 33) ; 89a, 454b (= 65) ; 89b, 305b (= 465), pour un usage péjoratif du terme de Galiléens pour désigner les chrétiens.

46 Cf. Mimouni (1998) 11-24. Tout en insistant sur la difficulté de séparer le christianisme naissant de son contexte historique et culturel, l’auteur affirme qu’il faudrait distinguer dans les premiers siècles une communauté judéo-chrétienne et une communauté pagano-chrétienne, ce qui illustre bien les difficultés que nous rencontrons pour attribuer notre texte à l’une des traditions.

47 Cf. Van Henten (1997) 58-82.

48 Cf. Ziadé (2007) 107-175 ; Schatkin (1974) s’intéresse surtout au culte des Maccabées que les chrétiens se sont approprié, en tout cas à partir du IVe s. ap. J.-C. Spieckermann (2004) 69-87, quant à lui, prétend que le quatrième livre des Maccabées témoigne d’une réaction juive contre cette appropriation du modèle des Maccabées par les communautés chrétiennes.

49 Pour un résumé de ce débat, cf. Van Henten (1997) 73-81 et Klauck (1989) 668-669.

50 Pour Polycarpe, le texte est daté entre 151 et 160 ; cf. Van Henten / Avemarie (2002) 94-95. Pour Carpe, cf. Lietzmann (1922) 46-57, s’appuyant sur les hypothèses de Harnack (1888). De Guibert (1908) énumère en revanche un certain nombre d’objections contre cette datation ; son article met en évidence les difficultés à dater ces textes. Les Actes de Justin sont également préservés en plusieurs versions, ce qui rend la datation d’un éventuel texte original très problématique ; cf. Lazzati (1953) et Bisbee (1983). Heid (2001) 821 les considère simplement comme « anciens ». Pour Pierre, un résumé de la question se trouve chez Lapham (2003) 67-68 ; cf. aussi Thomas (2003) 10-13, qui met en évidence la complexité de la question de la transmission des Actes de Pierre, et qui insiste sur le fait que l’ensemble des Actes apocryphes est généralement daté entre la fin du IIe et le début du IIIe siècle. De manière plus succincte, cf. Habermehl (1997). Pour Ignace, le martyre lui-même a eu lieu au début du IIe siècle, ce qui fournit un terminus post quem ; cf. Paulsen (1996) 933934. Nos exemples ne proviennent toutefois que de la version dite Martyrium Romanum, qui est considérée comme plus tardive. Lightfoot (1889) 382-383 émet l’hypothèse du Ve, voire du VIe siècle ; Diekamp / Funk (1913) lxxii ne parlent que d’un terminus ante quem au VIIIe siècle. Bolhius (1953) insiste toutefois sur les ressemblances stylistiques avec des extraits de Clément d’Alexandrie et de Lucien, ce qui pourrait, malgré des hésitations, nous autoriser à admettre que le texte, bien que rédigé plus tard, cherche à reproduire un état de la langue qui est celui du IIe siècle. Sur André, cf. Jakab (2000) 129, avec Prieur (1989) 413-414.

51 Pour les Actes d’Agapé et de ses deux compagnes, Irène et Chioné, le texte date l’événement en 304 ; de ce fait, il ne peut avoir été écrit qu’après cette date ; cf. Musurillo (1972) xlii-xliii. Quant au texte contenant le martyre d’Apollonios tel qu’il nous est conservé, il s’agirait d’une version retravaillée qui est à dater au Ve, voire au VIe siècle ; cf. Musurillo (1972) xiii-xxv).