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Trouvera-t-on encore des papyrus en 2042 ? : suite

Claudio GALLAZZI1

Dans une communication, qui fut présentée en 1992 au Congrès de Copenhague et qui avait pour titre « Trouvera-t-on encore des papyrus en 2042 ? », j’avais abordé pour la première fois le sujet de la sauvegarde des papyrus et des ostraca encore enfouis sous le sable en Egypte2. Au début de mon exposé, j’avais énuméré les menaces qui planaient déjà sur le matériel recelé par les kimân et les nécropoles : la remontée de la nappe phréatique, l’extension des cultures, l’urbanisation intensive et les pillages des clandestins. Ensuite, j’avais fait remarquer que beaucoup de papyrus et d’ostraca étaient encore ensevelis dans le sol, ainsi que l’avaient montré les découvertes faites à partir des années soixante à Medînet Mâdi et Saqqâra, Qasr Ibrim et Elkab, Kellis et Douch, Abou Mena et Naqlun, dans les forts du désert oriental et dans les ruines déjà fouillées et pillées de Tebtynis.

Après avoir constaté que des trésors se trouvaient encore cachés dans les kimân et les nécropoles, j’avais lancé l’idée de mettre en route une opération comparable à celle du sauvetage de la Nubie, pour récupérer les papyrus et les ostraca en fouillant les sites qui les recelaient. Pour réaliser une opération de cette envergure, il aurait fallu établir des conventions entre l’Egypte et les institutions étrangères engagées, coordonner l’activité des missions au travail sur le terrain, développer la coopération entre plusieurs organismes trouver beaucoup d’argent etc. J’étais bien conscient de tout cela. Par conséquent, j’avais proposé de constituer un comité restreint chargé d’effectuer les travaux préparatoires. Le projet de renouveler l’expérience faite en Nubie était utopique, à tel point que seulement des gens trop enthousiastes ou trop présomptueux auraient pu le soutenir.

Néanmoins, la gravité des risques menaçant le matériel encore sous terre fut bien perçue par les participants au Congrès et l’AIP dans son ensemble commença à réagir. A la fin des séances, l’Assemblée Générale vota à l’unanimité la motion suivante : « It has been brought to the attention of the AIP that the changes in climatic and other conditions in Egypt consequent to the construction of the Assuan High Dam have reached such proportions that there is reason to fear that whatever papyri and other organic material still left to be excavated in Egypt will be destroyed within the next decades. The General Assembly of the AIP has decided to use all resources of the AIP to accelerate and encourage excavations in Egypt with the specific purpose of finding Greek and other papyri. The Assembly proposes that a committee be formed and that all possible help and support be given to archaeological missions that are judged to contribute to this end. »3

Malheureusement, après Copenhague je n’ai plus entendu parler du comité qui aurait dû être constitué. Je ne connais pas les noms de ses membres et je ne sais pas ce que le comité aurait fait. De toute manière, si l’organisme a fonctionné et s’il a fait quelque chose, il l’a faite d’une façon tellement discrète que personne ne s’en est aperçu, surtout en Egypte, où les papyrus et les ostraca risquent de disparaître.

Pourtant, avec ou sans le comité, depuis 1992 certaines choses se sont passées en Egypte, parfois positives, parfois nuisibles pour le sujet qui nous intéresse. Commençons par les bonnes nouvelles. Sans doute, la meilleure est que les découvertes de papyrus et d’ostraca ont continué. Je ne veux pas les mentionner toutes, mais, en me limitant aux plus importantes, je dois au moins rappeler que des centaines d’ostraca sont sorties des forts du désert oriental4 ; plusieurs tessons avec des textes démotiques ont été récupérés à ‘Ayn-Manāwir (Douch)5 ; d’autres ostraca sont apparus dans les ruines de Berenike6 ; plus de mille, démotiques et grecs, ont été mis au jour à Tebtynis7 ; et de nombreuses pièces coptes sur morceaux de poterie ou éclats de calcaire ont été retrouvées dans les environs de Louxor8. Il ne faut pas non plus oublier les dipinti des amphores : un certain nombre a été récupéré aussi bien à Baouît qu’à Sheikh ‘Abada et près de 3000 ont été récoltés à Tebtynis9.

En ce qui concerne les papyrus, les découvertes ont continué sur les sites qui en avaient déjà livré auparavant. A Medînet Mâdi, des documents grecs d’époque impériale sont sortis des alentours du temple de Renenouthet10. A Sheikh ‘Abada, une quantité considérable de textes sur papyrus, parchemin et feuillets de codex, surtout en copte, a été recueillie par les fouilleurs de l’Istituto Vitelli11. A Naqlun, les archéologues polonais ont récupéré des pièces grecques et coptes sur papyrus, parchemin et papier et, en outre, des dossiers arabes non négligeables12. En même temps, leurs collègues qui travaillent à Sheikh Abd el-Gourna sont tombés sur trois codex coptes en papyrus et parchemin tout à fait remarquables13.

Mais c’est à Tebtynis que la plus grande partie des papyrus est venue au jour : en comptant seulement les pièces complètes et celles qui méritent d’être publiées, nous en avons à peu près 3000, la plupart en grec et en démotique, le reste en hiéroglyphe, hiératique, copte, arabe et araméen14. Si à ces papyrus nous ajoutons les 1000 ostraca et les 3000 dipinti mentionnés ci-dessus, nous pouvons considérer que la moisson de textes récoltée à Tebtynis est vraiment digne de la renommée du site. La nouvelle doit réjouir tous ceux qui se disent papyrologues ; cela, en effet, signifie que le sol de l’Egypte n’est pas épuisé.

Une autre bonne nouvelle est qu’après Copenhague d’autres missions sont venues se joindre à celles qui étaient déjà en activité. Une équipe italienne de l’Université de Bologne est à l’œuvre à Bakchias15 ; une autre, envoyée par l’Université de Lecce, fouille à Soknopaiou Nesos16 ; une mission conjointe de l’IFAO et du Musée du Louvre a repris l’exploration de Baouît17 ; et la New York University travaille à Amheida dans l’oasis de Dakhleh18. Tout cela est bien et nous devons nous en féliciter.

Nous avons encore une troisième raison d’être contents : le ralentissement des fouilles clandestines. Ces dernières années les contrôles sur le terrain sont devenus plus stricts, les missions archéologiques en activité ont augmenté et les zones exploitables pour la recherche des antiquités se sont réduites. Les pilleurs, par conséquent, ont fait des trous çà et là, mais ils n’ont pas répété les ravages accomplis dans les années cinquante et soixante19. A ma connaissance, aucune masse importante de cartonnage n’est arrivée sur le marché comme dans les dernières décennies du siècle passé et aucun ensemble de codex n’est apparu comme à l’époque de Martin Bodmer20 : cela signifie que les fouilleurs clandestins n’ont pas fait de grosses découvertes21.

Les papyrus et les ostraca continuent donc à sortir, les missions au travail sont devenues plus nombreuses et les pillages ont diminué. Certains pourraient dire que les prévisions pessimistes de 1992 n’étaient pas fondées, que l’alerte lancée était une fausse alerte et que tout va bien en Egypte. Il n’en est rien : en 1992, la situation était difficile ; ensuite, elle a empiré et aujourd’hui, dans certains sites, elle est devenue catastrophique. Je vais le montrer en décrivant l’état actuel de quelques lieux qui sont connus pour le matériel livré par le passé et qui en produisent – ou qui pourraient en produire – encore de nos jours.

Je commencerai par Tebtynis, c’est-à-dire par le site que je connais le mieux, puisque j’y fouille depuis plus de 20 ans. En 1992, le terrain était sec presque partout ; les indices de remontées d’eau étaient très limités et le kôm était entouré par le désert sur trois côtés, l’oasis le bornant au nord, comme à l’époque ancienne. A présent, le monticule des ruines n’est plus qu’une enclave au milieu des cultures. Au nord-ouest, les champs se sont installés presque sur les pentes du kôm22. A l’ouest, ils sont situés à 200 m des vestiges. Au sud, les cultures se trouvent à 420 m du temple de Soknebtynis. A l’est, les plants d’aubergines et de tomates étaient arrivés à 100-150 m des ruines, puis le Conseil Suprême des Antiquités est intervenu : les cultures ont été arrachées et les champs ont reculé à peu près d’un demi-kilomètre.

La situation est encore pire pour la nécropole, qui s’étend au sud et à l’ouest du kôm et qui est bien loin d’être épuisée. Des crocodiles, probablement nombreux, restent à récupérer, enveloppés ou non dans des papyrus23 ; plusieurs tombes humaines sont encore à fouiller ; le hierakotapheion et l’ibiotapheion, dont le P.Strasb. II 91 fait mention, n’ont pas été localisés jusqu’à présent. Malgré cela, les paysans ne s’arrêtent pas : les champs sont arrivés près des tombes et même au-dessus des tombes. Une petite partie des cultures, qui encerclent le kôm et qui empiètent sur la nécropole, a été autorisée ; tout le reste, d’après les bruits qui courent, est illégal. Mais cela revient au même : quand le terrain est mis en culture, il faut apporter de l’eau et arroser sans cesse. L’eau pénètre dans le sol et se répand, de sorte que le sable devient de plus en plus marron à cause des taches d’humidité et une flaque, qui s’est formée dans le secteur nord-est des ruines, s’élargit de jour en jour. Pour l’instant, l’eau affleure dans les endroits les plus bas de la zone archéologique, mais dans quelques années l’humidité atteindra toutes les tombes de la nécropole et les niveaux du kôm qui contiennent les papyrus et les ostraca. A ce moment-là, les crocodiles seront putréfiés, les cartonnages des momies seront décomposés, les papyrus auront pourri et l’encre des ostraca sera dissoute. Il sera, par conséquent, impossible de renouveler les grandes découvertes de Grenfell et Hunt, d’Anti et de Vogliano et même celles de ces dernières années24. Alors Tebtynis n’apportera plus rien aux papyrologues et elle sera aussi moins intéressante pour les archéologues : en effet, la brique crue, qui compose les murs, aura fondu, et le matériel organique, qui représente la richesse du site, aura disparu.

Les conditions de Tebtynis risquaient d’être les mêmes à Medînet Mâdi, où s’élèvent les vestiges de l’ancienne Narmouthis. Là aussi, les champs avaient avancé à peu près jusqu’au bord du kôm. Heureusement, le Ministère des Affaires Etrangères italien et le Conseil Suprême des Antiquités ont lancé un gros projet de mise en valeur du site, et les cultures ont été enlevées. La menace a été ainsi repoussée, du moins dans l’immédiat.

En revanche, un grave danger est venu menacer Soknopaiou Nesos. Le site semblait à l’abri de tout risque, étant donné que le kôm se trouve encore en plein désert, et les cultures sont bien loin, sur la rive opposée du lac Qarûn. Les quelques touristes, qui se promenaient en voiture sur le terrain archéologique, et les pilleurs, qui parfois ouvraient des trous çà et là, n’ont jamais fait d’énormes dégâts25. Mais quelqu’un a eu l’idée de mettre en valeur la rive nord du Birket Qarûn en bâtissant un gros village touristique du style de ceux qui pullulent sur la côte de la mer Rouge. Les villas et les hôtels devraient surgir à côté de la zone archéologique. Il est facile d’imaginer ce qui arrivera aux ruines du village, aux nécropoles des environs, ainsi qu’aux papyrus et ostraca qui y sont encore enfouis : en peu de temps, tout s’abîmera et petit à petit disparaîtra.

Si nous nous déplaçons dans le sud du Fayoum, ce sont les cas de Medînet Nehâs et de Khamsîn qui sautent aux yeux. A Medînet Nehâs, les vestiges de Magdola sont encore assez bien conservés26 ; la nécropole n’a vraisemblablement pas été explorée en entier par Jouguet et Lefebvre pendant leur campagne de 190227. Il est donc raisonnable de supposer que des fouilles effectuées sur le kôm et dans le cimetière permettraient de mieux connaître la structure et l’évolution urbaine du village, et aussi de recueillir une certaine quantité de textes. Malheureusement, une grande compagnie a demandé la permission d’ouvrir une carrière près des ruines pour enlever le sable des hautes dunes qui s’élèvent sur le terrain archéologique. Pour l’instant, l’Inspectorat des Antiquités du Fayoum a refusé le permis. Mais jusqu’à quand pourra-t-il s’opposer à la puissante compagnie et empêcher les bulldozers de rouler vers Magdola ?

La situation est encore pire à Khamsîn. Grenfell et Hunt y ont fouillé pendant quelques semaines en 1900 et 1902, récupérant des cartonnages de momies et des crocodiles enveloppés dans des papyrus comme à Tebtynis28. Ensuite, les sebakhin ont attaqué le kôm, mais ils ne l’ont pas trop massacré. Jusqu’aux années quatre-vingt-dix le site pouvait être considéré comme l’un des plus prometteurs du Fayoum pour l’archéologie et la papyrologie29. Aujourd’hui une bonne partie de la nécropole se trouve sous les champs de légumes, et les cultures s’approchent de plus en plus du kôm. Bientôt, à Khamsîn, tant les archéologues que les papyrologues n’auront plus rien à faire.

Il n’y a pas qu’au Fayoum que les sites contenant des papyrus et des ostraca sont menacés. Près de la Vallée, le cimetière d’Abusir el-Malek, qui a donné tant de cartonnages aux fouilleurs allemands au début du siècle passé et vraisemblablement aux clandestins dans les années soixante, est de plus en plus rongé par les champs30. De même, à Sedment el-Gebel, où plusieurs cartonnages en papyrus ont été récupérés par les inspecteurs du Conseil Suprême des Antiquités il y a une quinzaine d’années, les cultures empiètent sur la nécropole31. Dans l’oasis de Dakhleh, la mission de la New York University, active à Amheida, est obligée d’aménager des barrières pour empêcher les paysans de s’approcher trop des ruines avec leurs tracteurs et leurs conduites d’arrosage32. Je pourrais parler d’autres villages et d’autres nécropoles qui sont en danger, mais je m’arrête là. Je dis seulement qu’aujourd’hui les seuls endroits encore à l’abri sont les forts et les carrières du désert oriental : tous les autres sites, qui donnent ou qui pourraient donner des papyrus et des ostraca, sont plus ou moins menacés.

Au vu de la situation en Egypte, que devraient faire les papyrologues ? Ils pourraient décider de rester tranquilles derrière leurs bureaux et se contenter de publier les textes qui sont stockés dans les collections ou qui apparaissent de temps en temps sur le marché. Le choix serait compréhensible, d’autant plus que Peter van Minnen a écrit plusieurs fois qu’il reste encore dans le monde entre un million et un million et demi de papyrus et ostraca à éditer33. Le travail, donc, ne manquerait ni pour nous, ni pour nos fils, ni pour les générations futures. Tout cela est vrai ; je ne nie pas que l’ensemble des collections recèle une quantité importante de textes à étudier, mais je me permets quelques remarques :

1) Nous avons un million ou un million et demi de papyrus et d’ostraca dans les armoires et les tiroirs, mais combien y en a-t-il sous le sable ? Personne ne peut le dire, mais je peux rappeler qu’à Tebtynis, depuis 1992, la mission franco-italienne a récolté plus de 7 000 textes, tout en fouillant un secteur limité dans un endroit qui avait été déjà bien exploité par les scientifiques, largement saccagé par les pilleurs et terriblement dévasté par les sebakhin. Nous sommes donc sûrs que certains sites d’Egypte contiennent encore un nombre considérable de papyrus, d’ostraca et de dipinti, et qu’une fouille systématique effectuée sur ces sites ne donnerait pas seulement de bons résultats archéologiques, mais permettrait aussi de recueillir une moisson satisfaisante de textes.

2) Qu’y a-t-il encore à éditer dans les collections ? A Oxford, dans les Papyrus d’Oxyrhynque, il reste des dizaines de pièces de premier ordre ; personne ne peut en douter. Quelque morceau remarquable pourra être trouvé aussi ailleurs : il suffit de penser à l’Empédocle de Strasbourg (MP3 356.11 ; LDAB 824). En revanche, je serais surpris de découvrir au fond d’un tiroir un nouveau rouleau de Bacchylide, ou le papyrus de Posidippe (MP3 1435.01 ; LDAB 3852), ou bien l’Évangile de Judas (Cod. Tchacos). De telles pièces ne demeurent pas longtemps cachées dans les collections : elles sont vite publiées. Pour en trouver des nouvelles, il faut faire des fouilles, ou bien il faut chercher sur le marché où arrive le résultat des pillages. Aussi bien dans un cas que dans l’autre, il est évident que ce sont les kimân et les nécropoles d’Egypte, non les armoires des collections, qui fournissent des pièces sortant de l’ordinaire.

3) Que nous donnent un bout de contrat ou une liste de noms de provenance inconnue tirés d’une armoire ? Pas grand-chose du point de vue scientifique. Au contraire, les mêmes morceaux récupérés en fouille peuvent être utiles pour améliorer notre connaissance de l’économie, de la population et de l’histoire d’un village. Cette différence ne doit pas être négligée, parce que les fragments représentent un très grand pourcentage tant du matériel conservé dans les collections que de celui recueilli dans les fouilles.

Je ne ferai pas d’autres remarques, car je pense que ceux qui se disent papyrologues n’ont pas besoin d’être persuadés de la nécessité de sauver le matériel encore enfoui sous terre, s’ils ne veulent pas se retrouver à racler les fonds des tiroirs. Le moment est donc venu d’arrêter les bavardages et de commencer à faire quelques suggestions pour trouver une solution au problème qui se pose à nous.

Il y a dix-huit ans, à Copenhague, j’avais proposé de lancer une grande campagne de sauvetage des papyrus, sur le modèle du sauvetage de la Nubie ; mais c’était un rêve qui n’avait aucune possibilité de se réaliser. A présent, j’ai abandonné l’idée de sauver tous les papyrus et tous les ostraca qui demeurent sous le sol de l’Egypte, et je pense qu’il vaut mieux essayer de sauver ce qui peut être encore sauvé. Je crois qu’il faut se concentrer sur les quelques endroits qui donnent ou qui pourraient donner des papyrus et des ostraca dans une mesure convenable, et chercher à les protéger.

Si nous excluons les carrières et les forts du désert oriental, qui sont pour l’instant moins en danger, même s’il ne faut pas les négliger, l’affaire ne concerne pas plus d’une dizaine de sites. Ce n’est pourtant pas une mince affaire ou une tâche qui puisse être laissée à l’initiative d’individus ou d’institutions isolés, parce qu’un fouilleur ou une université tout seuls ont toujours des problèmes pour trouver de l’argent et, surtout, ils n’ont pas assez de poids face aux autorités. C’est à l’AIP de s’occuper de l’affaire, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, l’AIP regroupe tous les spécialistes du monde les plus experts dans le domaine des papyrus et les plus concernés par le sauvetage du matériel. Deuxièmement, l’AIP, étant une organisation réputée et reconnue sur le plan international, a assez de poids pour négocier avec les autorités, pour discuter avec d’autres institutions et pour trouver des mécènes. En troisième lieu, l’AIP peut aider les missions déjà à l’œuvre, favoriser la constitution de nouvelles équipes de fouilleurs et assurer la meilleure liaison entre les gens qui travaillent sur le terrain.

Tout cela est facile à dire, mais un peu plus difficile à réaliser. Voyons alors ce qui pourrait être fait concrètement. D’après moi, il faut constituer un comité spécial auquel déléguer la gestion de l’affaire. Le comité devrait être dirigé par le président de l’AIP, comprendre des spécialistes qui connaissent directement l’Egypte, et surtout être composé de personnes prêtes à s’engager dans l’opération. Naturellement, le comité, une fois nommé par l’Assemblée Générale, représenterait l’AIP dans l’affaire et il parlerait et agirait au nom de l’Association.

Quelles seraient les fonctions du comité ? Sans doute, peu nombreuses mais bien précises. Le comité devrait tout d’abord décider des endroits à protéger. Une fois les sites déterminés, le comité devrait prendre contact avec le Conseil Suprême des Antiquités de l’Egypte et demander d’une façon très ferme que les endroits signalés soient soumis à une protection spéciale. Il faudra, surtout, faire comprendre aux autorités égyptiennes qu’il ne suffit pas d’empêcher les paysans de planter des aubergines et des tomates sur un site archéologique : il est nécessaire de laisser un espace libre de 2-3 kilomètres tout autour des kimân et des nécropoles, pour éviter que l’eau des cultures ne coule dans le sol et fasse pourrir les papyrus. En même temps, le comité devrait s’adresser à l’UNESCO dans le but de faire déclarer comme patrimoine de l’humanité les sept ou huit kimân contenant des papyrus. Cette déclaration serait la meilleure garantie pour la sauvegarde des sites. Cela demande du temps, alors que nous devons nous dépêcher, car en Egypte l’humidité n’attend pas.

Il serait donc souhaitable de commencer à soutenir financièrement les missions qui travaillent déjà et d’aider de nouvelles équipes à ouvrir des chantiers où personne ne fouille. Le comité, par conséquent, devrait aussi s’engager à trouver de l’argent. Il pourrait commencer en organisant de bonnes campagnes de presse dans les journaux et à la télévision, pour faire connaître au grand public le problème du sauvetage des papyrus. Une fois l’opinion publique sensibilisée, le comité pourrait chercher des mécènes au nom de l’AIP, et il aurait sans doute plus de succès qu’un simple directeur de mission. Si l’argent arrive, les campagnes des missions en activité pourraient être prolongées, plus de monde pourrait y participer, il serait possible d’ouvrir de nouveaux chantiers et le comité se trouverait dans des conditions optimales pour organiser la participation des chercheurs aux travaux et à l’étude du matériel trouvé. Mais il est trop tôt pour rentrer dans ces détails.

Les propositions que j’ai faites sont assez générales. Elles doivent être améliorées et elles peuvent aussi être rejetées toutes ou en partie, mais à condition d’être remplacées par d’autres. J’invite par conséquent tous les papyrologues à faire leurs propres suggestions. Toute idée devra être examinée et toute initiative sera la bienvenue. Mais évitons de nous perdre en bavardages, de voter des motions qui ne servent à rien et de nommer des comités qui ne se réunissent jamais. Dans la situation dans laquelle nous sommes, il nous faut retrousser les manches et nous mettre à l’œuvre le plus vite possible, si nous voulons sauver quelque chose. Comme je l’ai déjà dit à Copenhague, pendant que nous bavardons, il y a sûrement en Egypte un morceau de papyrus qui est en train de pourrir ; or nous ne savons pas si c’est un bout de compte, un poème inconnu ou une page d’histoire que personne n’a lue.

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1 Je suis reconnaissant à Alain Martin, qui a aimablement lu mon exposé dans une des séances du 17 août 2010, et à Gisèle Hadji-Minaglou, qui a vérifié le français de mon texte.

2 Gallazzi (1994). Je suis revenu sur le même sujet, d’une façon moins spécifique, lors du colloque « Papyrus Collections World Wide » organisé à Bruxelles et Louvain en 2000 : cf. Gallazzi (2000) 106.

3 Le texte de la motion est imprimé à la p. 4 de la brochure envoyée aux membres de l’AIP en 1993 avec les noms et les adresses des affiliés à l’Association.

4 Pour les ostraca récupérés dans le désert oriental, cf. O.Claud. III-IV ; O.Krok. ; Cuvigny (2003) 265-291 ; BIFAO 98 (1998) 540-541 ; 99 (1999) 505-506 ; 100 (2000) 513 ; 102 (2002) 515-516 ; 103 (2003) 558-559 ; 106 (2006) 412-413 ; 107 (2007) 323 ; 108 (2008) 448 ; 109 (2009) 611.

5 Cf. BIFAO 96 (1996) 408-414 ; 97 (1997) 347-348 ; 102 (2002) 477-479.

6 Cf. O.Berenike I-II.

7 Cf. Gallazzi (2000) 103 ; Reiter (2005) ; BIFAO 101 (2001) 552 ; 102 (2002) 530 ; 103 (2003) 572 ; 104 (2004) 668 ; 105 (2005) 436 ; 106 (2006) 362 ; 107 (2007) 279 ; 108 (2008) 402 ; 109 (2009) 560.

8 Cf. PAM 11 (2000) 165-166 ; 17 (2007) 266 ; 18 (2008) 309 ; Markiewicz (2000) ; Antoniak (2005).

9 Pour Baouît, cf. BIFAO 107 (2007) 284 et 109 (2009) 563. Pour Sheikh ‘Abada, cf. Fournet / Pieri (2008). Des dipinti récupérés à Tebtynis, 820 écrits en grec sont édités dans Litinas (2008) ; les autres, démotiques et grecs, sont mentionnés rapidement dans les publications citées ci-dessus (n. 7).

10 Je remercie Edda Bresciani et Abdul Rahman Al-Ayedi pour les renseignements qu’ils m’ont donnés sur cette découverte.

11 Cf. Minutoli (2008).

12 En plus de P.Naqlun II, cf. Gaubert (1998) ; van der Vliet (2003) et (2005) ; Godlewski (2007) 203-204.

13 Cf. Górecki (2007) 266-272 ; Kordowska (2008).

14 Presque tous les textes recueillis demeurent inédits. Il faut par conséquent se rapporter aux informations génériques contenues dans les lieux cités ci-dessus (n. 7) et dans Guermeur (2008), Di Cerbo (2004) et Quenouille (2005).

15 Cf. Davoli (2004) ; Pernigotti (2009).

16 Cf. Davoli (2005) ; Capasso / Davoli (2009).

17 Cf. Rutschowscaya (2007) ; BIFAO 105 (2005) 440-443 ; 106 (2006) 365-369 ; 107 (2007) 280-284 ; 108 (2008) 403-411 ; 109 (2009) 560-564.

18 Cf. Bagnall / Ruffini (2004) ; Bagnall et al. (2006).

19 Entre-temps, l’American Society of Papyrologists a approuvé une résolution concernant le commerce des papyrus : cf. BASP 44 (2007) 289-290. L’Association Internationale de Papyrologues a aussi constitué un groupe de travail pour étudier le même sujet. Il est toutefois trop tôt pour évaluer les effets que ces actions auront sur le marché des antiquités.

20 Sur les achats de manuscrits effectués par Martin Bodmer, cf. P.Bodm.2I, p. XXIII-XXXIV.

21 Même dans les années quatre-vingt-dix et au début du nouveau siècle, plusieurs pièces – parfois exceptionnelles – sont apparues sur le marché : par exemple, le rouleau de Posidippe (MP3 1435.01 ; LDAB 3852) ; les documents de Boethos, cf. Kramer (1997) ; les P.Phrur. Diosk. ; les P.Polit. Iud. ; le dossier du basilikos grammateus Dionysios édité en partie dans P.Heid. IX ; et les textes ptolémaïques inclus dans les volumes VIII-XI des P.Köln. Mais il s’agit de matériel récupéré dans les années soixante ou soixante-dix. De même, le rouleau du P.Artemid. (MP3 168.02 ; LDAB 7132), acheté en 2004, se trouvait dans une collection privée égyptienne dès la première moitié du XXe siècle. Quant aux manuscrits de P.Schøyen I 23, de P.Schøyen inv. 187 (LXX, Ex.4, 16 – 7, 21), de l’Évangile copte de Matthieu (Cod. Schøyen) publié par Schenke (2001) et de l’Évangile de Judas (Cod. Tchacos) édité dans Kasser / Wurst (2007), ils traînaient sur le marché depuis des décennies.

22 L’état décrit est celui de novembre 2009.

23 Tous ceux qui ont travaillé dans le cimetière après Grenfell et Hunt, c’est-à-dire Rubensohn, Breccia, Anti, Bagnani et Vogliano, ont repéré des crocodiles ; cf. Gallazzi / Hadji-Minaglou (2000) 6-12. Même la mission franco-italienne, qui est à l’œuvre sur place, en a trouvé un en 1994, en faisant un sondage juste au sud du kôm ; cf. Gallazzi / Hadji-Minaglou (2000) 27-28. Nous pouvons donc supposer qu’une fouille systématique du terrain environnant le monticule de ruines permettrait de mettre au jour d’autres animaux.

24 Sur les découvertes d’Anti, voir la bibliographie mentionnée par Gallazzi / Hadji-Minaglou (2000) 8, n. 13 et 11, n. 22 ; pour celles de Vogliano, cf. Gallazzi (2003) 156-171 ; pour celles effectuées par la mission franco-italienne dès 1988, cf. ci-dessus (n. 14).

25 Je dois ces renseignements à Mario Capasso, directeur de la mission de l’Université de Lecce en activité à Soknopaiou Nesos, auquel j’exprime ma reconnaissance.

26 Cf. Arnold (1966) 109 ; Davoli (1998) 213-216.

27 Cf. Jouguet (1902) 348-352.

28 Cf. Grenfell / Hunt (1901) 378 et (1902) 3-4.

29 Cf. Bresciani / el-Naggar (1983) 154-155 ; Davoli (1998) 265-266.

30 Sur les découvertes de cartonnages effectuées par la mission archéologique de l’Ägyptisches Museum de Berlin, cf. P.Berl. Salmen., p. 13-20.

31 J’adresse mes remerciements à Mme Ola el-Aguizy, qui m’a mis au courant de la découverte.

32 Cette situation m’a été décrite par Roger Bagnall, directeur de la mission de la NYU, auquel je renouvelle mes remerciements.

33 Van Minnen (2007) 705 ; Van Minnen (2009) 648.