Mise en texte et contexte des papyrus iatromagiques Grecs
Recherches sur les conditions matérielles de réalisation des formulaires et des amulettes
Entre magie et médecine, les papyrus iatromagiques forment une catégorie spécifique au sein des textes magiques. Leur objectif principal est, soit de soigner, soit de prémunir un patient d’une maladie. Ils attestent donc un vocabulaire à la fois magique et médical, car les maux à combattre y sont généralement explicitement cités1. Ces textes, catalogués au CEDOPAL depuis 2004, sont l’objet de ma thèse de doctorat consacrée aux Influences multiculturelles sur la forme, la présentation, l’illustration et le contenu des papyrus iatromagiques grecs. Je présenterai ici les résultats des analyses de la mise en texte et de la mise en contexte des papyrus iatromagiques grecs.
Les recherches ont été menées à l’aide de deux méthodologies complémentaires : d’une part, l’approche papyrologique et, d’autre part, une méthode relevant davantage de l’archéologie expérimentale. L’objectif de cette double démarche est d’aider à se représenter plus concrètement les contraintes, les limites ou les normes rencontrées lors de la compilation des prescriptions iatromagiques en catalogues, lors de la réalisation des amulettes iatromagiques qui nous ont été livrées par l’archéologie, et des amulettes prescrites dans les formulaires.
Le catalogue des papyrus iatromagiques rassemble à ce jour 87 documents, écrits en grec ou en latin, et contenant parfois du copte2. Ils sont datés du Ier s. av. J.-C. au VIIe s. ap. J.-C. Ils ont été classés dans deux catégories principales : d’une part les formulaires – on en compte 27 – et d’autre part les amulettes – 59 –, auxquelles on ajoute une lettre. On les trouve sur différents supports : papyrus (78), parchemin (3), ostracon (1), tablette de bois (1) et lamelles en métal (or, argent) (4). On compte un palimpseste et quatre papyrus de réemploi. Un seul document a été réutilisé pour la copie d’un texte magique (→ doc., ↓ magique), alors que trois papyrus magiques ont été remployés comme support de documents ( → magique, ↓ doc.)3.
Les formulaires
Les formulaires iatromagiques sont des catalogues de charmes, soit homogènes, quand ils ne contiennent que des prescriptions médicales ou iatromagiques, soit hétérogènes, quand ils contiennent plusieurs types de formules, voire plusieurs types de textes4. Pour plus de la moitié, ces documents ont été conservés à l’état de fragments de taille très variable. Ils se présentent sous les trois formes suivantes. Dans une majorité de cas (18 sur 27), il s’agit ou il s’agissait de rouleaux5. On compte également quatre, peut-être cinq, codices et trois coupons préalablement découpés à partir d’un rouleau6. En ce qui concerne la qualité des copies, il s’agit dans une majorité de cas de copies personnelles7.
Le P.Lond. I 121 (MP3 6006, IV/Ve s.), par exemple, rouleau de plus de 2 m de long sur 33 cm de haut, présente les caractéristiques d’une copie personnelle soignée, contenant en outre des notes additionnelles autographes. Il a probablement été copié par une seule main à des moments différents8. Le copiste a fait des ajouts dans la marge (↓ marge de gauche), dans l’interligne (↓ col. v, lignes 26-27), a effacé des lignes (→ xii, 23-24 ; col. xiii, 34), et a raturé, puis recopié une autre formule (→ xiii, 16-18). On relève l’expression « j’ai trouvé dans un autre » (εὗρον ἐν ἄλλῳ, → ii, 38), qui précède une variante de la formule. Ce travail de compilation de formules est l’œuvre d’une personne qui maîtrisait le grec, au point de produire un catalogue hétérogène de formules contenant un homeromanteion, des charmes iatromagiques, des charmes d’attraction (agogai) et de victoire, attestant des noms de divinités grecques et égyptiennes, ainsi que de personnages de tradition biblique. En ce qui concerne le support, lors de la restauration numérique du papyrus, on a pu mettre des plis en évidence. Ils montrent que le papyrus a été roulé de droite à gauche, comme il se doit après utilisation d’un volumen. Les 42 sections sont de plus en plus courtes à mesure que l’on avance vers la droite du papyrus (6 cm à 3,5 cm environ)9. Ceci explique aussi que le premier kollema (à gauche du rouleau) ait été endommagé. Enfin, la mesure des sections nous permet d’évaluer le diamètre que devait avoir le rouleau à l’origine, à savoir 4 cm environ10.
Les amulettes
En guise de définition, nous pourrions dire que les amulettes iatromagiques portent une seule formule copiée sur un support de petite taille. Celles-ci étaient soit pliées, soit roulées, et ensuite, soit attachées à l’aide d’une ficelle, soit insérées dans un petit étui, pour être portées autour du cou du patient ou autour de la partie du corps malade. L’amulette est généralement personnalisée : la maladie à combattre, la divinité invoquée et le bénéficiaire du charme y sont identifiés avec plus ou moins de précision. Mais y avait-il des normes auxquelles étaient soumis ceux qui réalisaient les amulettes conservées, et à quelles difficultés se heurtaient ceux qui voulaient rédiger ou copier les amulettes prescrites dans les formulaires ?
Sur le modèle des travaux d’Eric Turner sur la typologie des codices, j’ai tenté d’établir une typologie des amulettes iatromagiques grecques conservées11. Afin d’interpréter de la meilleure manière les résultats que fournirait cette étude typologique, j’ai réalisé des répliques de ces amulettes en papyrus moderne12. Les recherches typologiques ont d’abord été consacrées au format du support, puis aux caractéristiques de la zone d’écriture, et ensuite aux traces d’utilisation (plis, zones effacées et traces miroir ou palimpsestes).
A l’aide des renseignements figurant dans les éditions, des photographies fournies par les institutions, et des données recueillies lors de l’autopsie de plusieurs documents, un premier classement des amulettes complètes tant en longueur qu’en largeur a été réalisé. Ont été ensuite ajoutées les amulettes incomplètes, mais dont un côté en longueur et un côté en largeur pouvaient être mesurés. Sur 59 amulettes iatromagiques au départ, on obtient ainsi un lot de 44 dont l’exploitation est pertinente. Sur chaque amulette de ce lot, on mesure le grand côté (GC) et le petit côté (PC). Ensuite, on calcule le rapport R entre le grand côté et le petit côté (GC/PC), ainsi que la surface totale S (GC x PC). Lorsqu’on trie le lot en fonction du rapport R, on voit apparaître quatre catégories d’amulettes.
1. Formats carrés avec PC ≈ GC (1 < R < 1,4) : 13
P.Haun. III 51 (MP3 6036, Ve s.) ; P.Kell. G 86 (MP3 6036.1, IVe s.) ; P.Mich. XVIII 768 (MP3 6042, IVe s.), P.Oxy. VI 924 (MP3 6043, IVe s.) ; PGM 43 (MP3 6045, Ve s.) ; P.Prag. I 6 (Ve s.) ; P.Princ. II 107 (MP3 6050, IV/Ve s. ed.pr. / V/VIe s. Suppl. Mag.) ; Suppl. Mag. I 33 (MP3 6055, V/VIe s.) ; Suppl. Mag. I 34 (MP3 6056, VIe s. Suppl. Mag. / VIIe s. ed.pr.) ; P.Oxy. XVI 2062 (MP3 6058.2, VIe s.) ; P.Haun. III 50 (MP3 6060, III/IVe s.) ; Acc. inv. 80.AI.56 (MP3 6065, IIIe s.) ; P.Koln VIII 339 (MP3 6066, fin du IIIe / IVe s.).
2. Formats rectangulaires avec ≈ GC/2 < PC < 2/3 GC (1,4 < R < 1,9) : 11
P.Kell. G 87 (MP3 6021, IVe s.) ; P.(Mag.) Gaal 1 (MP3 6023, IVe s.) ; P.Michael. 27 (MP3 6024, III/IVe s.) ; P.Amst. I 26 (MP3 6028, IV/Ve s.) ; P.Louvre inv. E 7332 bis (MP3 6039.1, VIIe s.) ; P.Oxy. VIII 1077 (MP3 6043.1, VIe s.), PGM II 12 (MP3 6043.4, VI/VIIe s.), PGM II 18 (MP3 6044, V/VIe s.) ; Suppl. Mag. I 20 (MP3 6052, IV/Ve s. Suppl. Mag. / V/VIe s. ed.pr.) ; Suppl. Mag. I 28 (MP3 6053, Ve s.) ; P.Oxy. XVI 2063 (MP3 6058.3, VIe s.).
3. Autres formats rectangulaires avec ≈ GC/3 < PC < GC/2 (1,9 < R < 2,9) : 12
P.IFAO III 50 (MP3 6019, IV/Ve s. ed.pr. / VIe s. Suppl. Mag.) ; Suppl. Mag. I 3 (MP3 6026, IIIe s.) ; P.Kell. G 88 (MP3 6037, IVe s.) ; P.Koln VI 257 (MP3 6038, IV/Ve s.) ; P.Laur. III 58 (MP3 6039, IIIe s. Suppl. Mag. / Ve s. PL BML) ; P.Lugd. Bat. XIX 20 (MP3 6040, VIe s.) ; P.Lund IV 12 (MP3 6041, IVe s.) ; P.Oxy. LXV 4469 (MP3 6043.3, Ve s.) ; P.Prag. II 119 (MP3 6049, VI/VIIe s.) ; P.Princ. III 159 (MP3 6051, III/IVe s.) ; P.Wash. Univ. II 75 (MP3 6059, IV/Ve s.) ; Acc. inv. 80.AI.53 (MP3 6064, IIIe s.).
4. Formats rectangulaires disproportionnés avec PC < GC/3 (2,9 < R) (comparables aux rotuli des formulaires) : 8
P.Lugd. Bat. XXV 9 (MP3 6022, Ve s.) ; BKT IX 68 (MP3 6031, III/IVe s.) ; P.Cair. Cat. 10696 (MP3 6033.1, V/VIe s.) ; P.Köln VIII 340 (MP3 6038.1, V/VIe s.) ; P.Oxy. VIII 1151 (MP3 6043.2, VIe s.) ; PGM 47 (MP3 6047, IV/Ve s.) ; Suppl. Mag. I 32 (MP3 6054, V/VIe s.) ; Suppl. Mag. I 2 (MP3 6067, IIIe s.).
On distingue aussi quatre catégories de surfaces13 :
1. Miniatures (S < 50 cm2) : 10 (MP3 6022, 6045, 6047, 6055, 6056, 6058.3, 6059, 6064, 6065, 6067).
2. Moyennes (50 cm2 < S < 100 cm2) : 22 (MP3 6019, 6023, 6024, 6026, 6028, 6036, 6038, 6038.1, 6039, 6039.1, 6040, 6042, 6043, 6043.1, 6043.3, 6049, 6051, 6053, 6054, 6058.2, 6060, 6066).
3. Grandes (100 cm2 < S < 200 cm2) : 7 (MP3 6021.1, 6031, 6033.1, 6041, 6043.2, 6044, 6048).
4. Très grandes (200 cm2 < S) : 5 (MP3 6036.1, 6037, 6043.4, 6050, 6052).
Afin de mieux comprendre la répartition de ces catégories, on a croisé les informations dans un graphique. Le premier graphique montre la répartition des amulettes en fonction de leur surface (abscisse) et de leur rapport (ordonnée). Sur le second graphique, on a ajouté la donnée culturelle (rond : judéo-chrétienne ; carré : profane ; croix : gréco-copte). L’échantillon étant assez réduit, on se limitera à quelques observations. Ces dernières seront confrontées aux prochains examens, qui consisteront à appliquer la typologie à d’autres types d’amulettes, voire ensuite à d’autres types de textes sur petits supports. Certains résultats pourraient donc être reconsidérés. Ces deux graphiques nous permettent d’effectuer quelques constats. Tout d’abord, on remarque une zone de concentration pour des amulettes ayant une surface comprise entre 40 et 90 cm2 (catégories 1 et 2) et un rapport compris entre 1 et 2,2 (principalement les catégories 1 et 2). On observe également une zone d’exclusion. Aucune amulette n’a été réalisée avec à la fois un grand rapport et une grande surface. Le rapport semble presque « inversement proportionnel » à la surface de l’amulette dans la catégorie 4 (surface et rapport). Le second graphique montre que les amulettes dont la surface est supérieure à 100 cm2 proviennent toutes d’un fonds culturel judéo-chrétien, et que les amulettes dont le rapport est supérieur à 3 proviennent majoritairement d’un fonds judéo-chrétien.
Les papyrus iatromagiques grecs ont été découverts au hasard de fouilles qui n’ont été – de loin – pas systématiques. La provenance d’une majorité d’entre eux est donc inconnue ou peu précise. En outre, la datation de ces textes, souvent déterminée par la paléographie, montre que la plupart d’entre eux ont été copiés autour du IVe siècle. Le croisement des données typologiques et de la datation ou de la provenance n’a donc donné aucun résultat pertinent.
Pour les amulettes suffisamment bien conservées et dont nous disposions de photographies numériques de qualité suffisante (34 cas sur 59), nous avons calculé la surface de la zone écrite (z.e.) qui a été comparée à la surface complète de l’amulette, afin de vérifier si les amulettes étaient parfaitement rentabilisées. Nous pouvons à nouveau identifier quatre catégories14 :
1. 85 % < z.e. < 100 % : 13 (MP3 6019, 6021.1, 6031, 6036, 6038.1, 6040, 6043.2, 6043.3, 6050, 6054, 6064, 6065) ;
2. 59 % < z.e. < 85 % : 17 (MP3 6022, 6023, 6024, 6038, 6041, 6042, 6043, 6044, 6045, 6047, 6048, 6051, 6052, 6053, 6055, 6059, 6060) ;
3. 40 % < z.e. < 59 % : 3 (MP3 6026, 6028, 6049) ;
4. z.e. < 40 % : 1 (MP3 6058.2).
Afin d’évaluer complètement le taux de rentabilisation du support, on a également mesuré la densité des lignes (D) sur la zone écrite. On distingue les amulettes ayant :
1. des lignes espacées (D < 1 ligne/cm) : 2 (MP3 6049, 6052) ;
2. des lignes serrées (1 ligne/cm < D < 2 lignes/cm) : 17 (MP3 6021.1, 6023, 6024, 6028, 6031, 6036, 6040, 6041, 6042, 6044, 6048, 6050, 6051, 6053, 6055, 6058.2, 6059) ;
3. des lignes très serrées (2 lignes/cm < D) : 14 (MP3 6019, 6022, 6026, 6038, 6038.1, 6043, 6043.2, 6043.3, 6045, 6047, 6054, 6060, 6064, 6065).
Sans surprise, on constate que la grande majorité des amulettes appartenant à l’échantillon ont été bien rentabilisées. En revanche, on compte quatre amulettes qui ne portent de l’écriture que sur une moitié environ du support. L’espacement des lignes de trois d’entre elles est plutôt restreint, alors que les lignes du texte de P.Prag. II 119 (MP3 6049, VI/VIIe s.) sont écrites de façon espacée (0,43 l/cm).
L’analyse suivante est consacrée aux plis et aux dépôts d’encre. Les données ont été récoltées sur un échantillon de 26 amulettes sur 59, soit les amulettes complètes et presque complètes montrant les traces d’un pliage, dont nous possédions une photographie numérique de qualité suffisante. L’échantillon est plus réduit que le précédent pour deux raisons : pour autant qu’il y en ait eu, les plis ont pu disparaître lors de la restauration du papyrus, et lorsqu’il en reste, il peut être difficile de les différencier des fibres et accidents du support, sur photographie, mais aussi à l’autopsie. Nous travaillons donc sur des cas suffisamment clairs afin de ne pas tronquer les données. Les plis verticaux – perpendiculaires à l’écriture – et horizontaux – parallèles à l’écriture – ont été comptés, et le nombre de sections horizontales et verticales a été ainsi évalué.
L’intérêt d’une telle recherche réside dans la possibilité de récupérer une information trop souvent perdue lors de la restauration d’un papyrus. Grâce à ces données, on a évalué la surface que formait le paquet lorsqu’il était porté. Cette étude montre qu’il existe deux méthodes de pliage : la première consistant à rouler les amulettes – dans ce cas, les sections sont de taille croissante et ne révèlent de plis que sur un seul axe (vertical ou horizontal) ; la seconde méthode consiste à plier les amulettes. On peut d’emblée constater qu’une petite majorité d’amulettes a été pliée, alors que 8 amulettes ont été roulées. Les paquets formés peuvent ensuite être classés en trois groupes en fonction de leur surface :
1. de 1 à 5 cm2 : 15, dont 13 pliées (MP3 6019, 6021.1, 6023, 6024, 6031, 6038, 6038.1, 6040, 6043, 6043.1, 6054, 6055, 6056) et 2 roulées (MP3 6064, 6065) ;
2. de 5 à 10 cm2 : 4, dont 3 pliées (MP3 6044, 6047, 6058.2) et une pliée sur le seul axe horizontal (MP3 6022) ;
3. supérieur à 10 cm2 : 7, dont 2 pliées (MP3 6036.1, 6052) et 5 roulées (MP3 6024, 6026, 6028, 6036, 6039.1, 6041, 6045, 6050).
On constate donc l’augmentation du nombre d’amulettes roulées pour les surfaces les plus importantes. Or, s’il paraît logique que les amulettes pliées, formant des paquets carrés ou rectangulaires, étaient ficelées et portées à même la peau, en était-il de même pour les amulettes roulées ou étaient-elles protégées dans des étuis15 ? Il est difficile de le préciser. Dans l’état actuel des recherches, comme réceptacle provenant d’Egypte et remontant à cette époque, nous n’avons trouvé qu’un étui en or daté du IIe s. ap. J.-C.16 Si l’on prend en considération les étuis égyptiens d’époques antérieures, on constate que tous sont de très petite taille17. Seules six amulettes iatromagiques auraient pu être insérées dans un étui de dimensions semblables à celui de Berlin. Il s’agit des trois lamelles, ainsi que de trois papyrus18. Toutefois, aucun étui n’a été découvert avec nos amulettes iatromagiques, ou du moins n’ont-ils pas été signalés dans les éditions.
L’étude des plis nous amène maintenant à aborder les traces palimpsestes et ce que nous appellerons des « traces miroir » (« mirror images » dans Suppl. Mag.), c’est-à-dire les dépôts d’encre laissés sur le support lors du pliage. A l’aide du logiciel Photoshop, plusieurs caractéristiques des papyrus iatromagiques peuvent être mises en évidence : les traces miroir, les plis et les zones palimpsestes. Sur les photographies retravaillées des papyrus iatromagiques, les zones contenant des traces d’encre ont été sélectionnées. En y appliquant un effet de symétrie et une modification de la transparence du calque, on peut vérifier si l’écriture se superpose aux traces d’encre détectées sur un papyrus.
Par exemple, P.IFAO III 50 (MP3 6019, IIIe s.) contient des traces d’encre sous la première ligne d’écriture. Il s’agit de traces miroir montrant que le papyrus a été roulé de haut en bas sur un axe horizontal. En revanche, P.Köln X 425 (MP3 6021.1, V/VIe s.) contient, sur la moitié droite, des traces miroir permettant de conclure que le papyrus a été plié pour la première fois sur un axe vertical central. Enfin, P.Lund IV 12 (MP3 6041, IVe s.) contient des traces au verso montrant que le papyrus a été roulé de haut en bas. Toutefois, les traces contenues dans la marge supérieure du recto n’ont pas de reflet dans le papyrus. Il peut donc s’agir soit d’une zone palimpseste, soit du dépôt de l’encre d’un autre papyrus placé en contact avec cette amulette. Les traces miroir relevées sur ces papyrus montrent que le dépôt suit l’ordre « chronologique » du pli de l’amulette et ne résulte pas d’un transfert ultérieur dû, par exemple, à la sueur du porteur de l’amulette qui aurait pu diluer l’encre. La surface extérieure du paquet ayant tendance à être la plus dégradée, l’écriture serait dans ce cas plutôt détériorée, voire effacée19. La fabrication de répliques a également permis de constater la rapidité nécessaire, lors de la copie ou de la rédaction de l’amulette, pour provoquer le dépôt au moment du pli. La rapidité de séchage de l’encre explique aussi que l’on n’ait pas relevé le même type de traces sur les formulaires iatromagiques.
Pour la réalisation d’une amulette iatromagique, les prescriptions des formulaires préconisent l’emploi de papyrus vierge, comme par exemple P.Lond. I 121, 193 ἐν χάρτῃ καθαρῷ. Or dans les premières éditions, on relève régulièrement la mention de traces palimpsestes, qui pourraient laisser entendre qu’on n’utilisait pas une nouvelle feuille de papyrus pour réaliser une amulette, tel qu’il est prescrit20. Souvent, il n’en est rien : l’étude du pliage des amulettes à l’aide des photographies numériques a montré que ces traces « palimpsestes » ne sont en fait que des traces miroir. Les prescriptions semblent donc avoir été respectées pour les amulettes sur papyrus ; mais pouvait-il en être de même pour les autres supports tels que les feuilles de plantes ou les peaux, par exemple ?
Lorsqu’on dresse la liste des ingrédients prescrits dans les formulaires, il faut se demander s’il était possible de se les procurer sur le territoire égyptien, en vue de répondre à une question récurrente en magie : ces prescriptions étaient-elles destinées à être mises en pratique ? Des études d’ingrédients ont déjà été menées sur les encres magiques par exemple, mais elles étaient consacrées au choix des composants et à leur valeur symbolique. La possibilité de leur réalisation, soit n’a pas été envisagée, soit n’a pu être démontrée, ou a été catégoriquement rejetée21. L’analyse des composants des prescriptions d’amulettes, nous l’appliquons également aux recettes d’encres magiques22. Un tableau des « ingrédients » destinés à servir de support d’écriture aux amulettes iatromagiques est fourni en annexe (fig.3, infra).
Certains ingrédients pouvaient être trouvés dans la nature, comme les feuilles de lierre et d’olivier. D’autres appartenaient à l’environnement quotidien, comme les montants de porte, l’ostracon et le morceau de lin fin. D’autres enfin pouvaient être achetés moyennant des frais, car le produit devait être importé ou préparé par un spécialiste, comme les lamelles d’or, d’argent et d’étain, l’anneau gothique, les peaux, les feuilles de papyrus et les feuilles de laurier. Aucun des ingrédients recommandés ne semble impossible à trouver sur le territoire égyptien, mais il ne devait pas être aisé de se procurer tout le matériel. Certains ingrédients impliquent la confection par un artisan ou des gens de métier, comme les peaux qui devaient probablement être tannées – si l’on voulait conserver un tant soit peu l’amulette –, les lamelles métalliques et le papyrus qui devaient être fabriqués, puis vendus, mais pouvaient aussi être préparés par le scribe lui-même23.
Parmi les ingrédients les plus luxueux, on citera les lamelles de métal. S’il n’est pas difficile d’y inscrire un texte à l’aide d’un stylet de bronze, l’achat du support implique un coût largement supérieur à celui d’un ostracon ou d’une feuille de papyrus24. Parmi les ingrédients les plus singuliers, on notera la peau d’hyène. Même s’il s’agit d’un animal local, l’obtention de sa peau implique la chasse et le tannage. En revanche, la feuille de laurier pourrait paraître anodine, mais cette plante, bien connue dans le monde méditerranéen et présente dans la vie quotidienne et religieuse des Grecs, ne pousse pas naturellement en Egypte et représente donc un condiment relativement luxueux, puisqu’il doit être importé.
Les supports et constituants d’amulettes ont été choisis en majorité pour des raisons soit symboliques (sympathie, liens avec une divinité), soit pratiques (le papyrus, l’ostracon, la bande de lin et le montant de porte). Si la prescription de l’hyène semble plutôt égyptienne, alors que le laurier indiquerait une origine grecque, il est difficile d’attribuer les prescriptions à un fonds culturel plutôt qu’à un autre au-delà de ces exemples. Enfin, on gardera à l’esprit que les prescriptions iatromagiques, comme les recettes de cuisine, pouvaient être adaptées25.
Au terme de cette enquête, on constate une réelle adéquation entre le choix du support, la présentation et le contenu des textes. Dans le cas des formulaires, l’objectif est de compiler un maximum de prescriptions. On trouve donc la présentation en catalogue, telle qu’elle est utilisée par exemple dans les réceptaires médicaux. En ce qui concerne les amulettes, le contenu personnalisé et le petit format répondent à une nécessité : soigner ou protéger une personne précise, d’une maladie précise, en portant l’amulette. Un rapport a même pu être établi entre la matière du support et l’objectif du charme.
On arrive aussi à la conclusion que, contrairement à une opinion qui a eu cours, mais tend à disparaître, les amulettes étaient produites avec soin. On utilisait généralement une nouvelle feuille, comme il est prescrit dans les formulaires, et non un morceau de remploi. Il y avait une recherche esthétique dans le format et le respect de certaines normes qui pouvaient dépendre du fonds culturel – judéo-chrétien, par exemple – sans entraver complètement la liberté ou l’originalité des concepteurs.
En ce qui concerne les amulettes prescrites, on constate que, malgré la difficulté inhérente au choix des ingrédients, les prescriptions ne sont pas irréalisables. Cette constatation va à l’encontre de certaines conclusions émises notamment à propos des encres magiques, qui peuvent amener un lecteur non averti à penser que les prescriptions magiques n’étaient pas destinées à être réalisées. Pourquoi un tel travail, une telle réflexion, pour ne pas dire recherche dans la prescription, s’il n’était en aucun cas prévu de mettre la théorie en pratique ?
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1 Les plus attestés sont les fièvres, en particulier les fièvres paludéennes. On note également la présence de l’épilepsie, des maux de tête, des ophtalmies, de diverses affections respiratoires, dermatologiques et gynécologiques ; cf. de Haro Sanchez (2010).
2 Cf. de Haro Sanchez (2004) accessible en ligne.
3 Remployés : P.Amh. II 11 + BKT V.2 144 (MP3 1871, Ier s. av. J.-C. / Ier s. ap. J.-C., ↓ doc.), Suppl. Mag. II 88 (MP3 1872, IVe s., ↓ doc.), Suppl. Mag. I 34 (MP3 6056, VI/VIIe s., ↓ doc.) et P.Lit. Lond. 171 (MP3 2405, IIIe s., → doc.). Palimpseste : la tablette P.Kell. G 88 (MP3 6037, IVe s., Kellis).
4 Homogènes : p. ex. P.Oxy. XI 1384 (MP3 2410, Ve s.). Hétérogènes : p. ex. P.Lond. I 121 (MP3 6006, IV/Ve s.). Plusieurs types de textes : p. ex. BGU IV 1026 (MP3 6001, IV/Ve s.).
5 Seuls les P.Lond. I 121 (MP3 6006, IV/Ve s.) et P.Oslo I 1 (MP3 6010, IVe s., Théadelphie) sont plus ou moins complets. Parmi les rouleaux, deux sont des rotuli, c’est-à-dire qu’ils ont été copiés transversa charta : P.Rain. Cent. 39 (MP3 2038, VIe s.) et Suppl. Mag. II 96 (MP3 6014, V/VIe s.).
6 Codices : BGU IV 1026 (MP3 6001, IV/Ve s.) ; BKT IX 51 (MP3 6002, VIe s.) ; BKT IX 147 (MP3 6003.1, Ier s. av. J.-C. / Ier s. ap. J.-C.) ; P.Ant. II 66 (MP3 2391, Ve s.) ; et peut-être P.Ant. III 140 (MP3 2391.5, V/VIe s.). Coupons : P.Lit. Lond. 171 (MP3 2405, IIIe s.), P.Mil. I 20 (MP3 6007, IV/Ve s.) et P.Oxy. LVI 3834 (MP3 6011, IIIe s.).
7 L’étude des formulaires a fait l’objet d’une communication « Between Magic and Medicine : the Iatromagical Formularies and Medical Receptaries on Papyri Compared » au Workshop « The Texts of the Medical Profession in Antiquity : Genres and Purposes » (Oslo, 16-19 septembre 2010).
8 Nous ne suivons pas l’hypothèse de Maltomini (1995) selon laquelle une première main aurait copié le texte du recto, ainsi que les colonnes 1-10 du verso, alors qu’une seconde aurait copié les trois dernières colonnes du verso. En effet, les φ en forme de clef de sol, les κ rompant la bilinéarité, les υ tracés d’un seul trait plutôt rond, et la diple obelismene fine et longue sont autant de points communs entre les deux écritures supposées. Il semble plus probable qu’il s’agisse de la même main, mais que la vitesse de copie et le soin accordé à celle-ci aient changé. En revanche, au verso des premiers fragments de l’homeromanteion, on observe une portion de texte (écrit tête-bêche par rapport au reste du texte du verso et donc dans le même sens que le texte du recto) dont l’écriture, plus petite, plus ronde et plus espacée, est peut-être différente de la main principale.
9 Le terme « section » est utilisé pour désigner l’espace entre deux plis ou entre un pli et le bord du papyrus.
10 La taille maximale d’une section est de 6 cm, que l’on multiplie par deux pour obtenir une circonférence de 12 cm. On obtient ainsi un diamètre de 3,8 cm. Compte tenu du fait que le rouleau n’est pas tout à fait complet, on estime à environ 4 cm le diamètre du P.Lond. I 121 lorsqu’il était roulé.
11 Turner (1971), (1974) et (1978).
12 Le papyrus choisi est moderne (J. Herbin), de qualité moyenne (assez épais), et vendu en feuilles de format A4 ou A3.
13 Pour les références et dates, voir le classement précédent, ou de Haro Sanchez (2004) en ligne.
14 Pour les références et dates, voir le classement en fonction du rapport, ou de Haro Sanchez (2004) en ligne.
15 Cf. P.Lond. I 46 (= PGM V, IVe s.), 385 : δῆcαc ἅμματι φοινικίνῳ « attache (le papyrus) avec une cordelette rouge » ; P.Oxy. VIII 1151 (MP3 6043.2, VIe s.) était pliée et ficelée lorsqu’on l’a découverte.
16 Berlin, Museum für Spätantike und Byzantinische Kunst, inv. 23/72 ; Egypte ; H 3,5 x 1,2 Ø.
17 Voir l’étui du Louvre E 3317 (H 5,6 x 1,5 Ø ; basse époque). Cf. aussi Edwards (1960) xix : étui en bois dans lequel l’amulette contenant le décret oraculaire P.4 = P. BNF 182 (3,5 x 5,2 cm) a été découvert.
18 Lamelles : Acc. inv. 80.AI.53 [MP3 6064, or, IIIe s., L = 2 cm] ; Acc. inv. 80.AI.56 [MP3 6065, argent, IIIe s., L = 3,4 cm] ; Suppl. Mag. I 2 [T.Colon. inv. 7, MP3 6067, argent, IIIe s., L = 1,5. Papyrus : P.Lugd. Bat. XXV 9 [MP3 6022, papyrus, Ve s., L = 2,3 cm] ; BKT IX 134 [MP3 6032, papyrus, V/VIe s., H = 3] ; P.Vindob. inv. G 2310 [MP3 6047, papyrus, IV/Ve s., H = 3,7 cm].
19 P. ex. PGM II 18 (MP3 6044).
20 « Palimpseste » dans ed. pr. du P.Amst. I 26 (MP3 6028) par Sijpesteijn (1970) ; P.Princ. III 159 (MP3 6051) ; P.Colon. inv. 2283 (MP3 6055), par Wortmann (1968) 105. Hypothèse corrigée par R. Daniel et F. Maltomini, respectivement dans Suppl. Mag. I 22, Suppl. Mag. I 11 et Suppl. Mag. I 33.
21 Harrauer (2001).
22 Les résultats de cette étude seront présentés dans ma thèse.
23 A propos des lamelles métalliques, cf. Burkhalter (1998).
24 Pour le stylet de bronze, cf. P.Lond. I 121 (MP3 6006) 919-920 : λαβὼν λεπίδα ἡλιακὴν γράψον χαλκῷ γραφείῳ « prends une lamelle solaire et écris dessus avec un stylet en bronze ».
25 C’est ce que montre la formule anticonceptionnelle du P.Oslo I 1 (MP3 6010) 321-332.